TRAVAUX DE LA
COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER
Réunie le mercredi 14 février 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la mise en place et la viabilité de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, sur la mise en place et la viabilité de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Ce sujet intéresse tout particulièrement le Sénat pour plusieurs raisons. D'abord, parce que nous sommes sensibles à l'action des organismes qui contribuent à maintenir une forme de cohésion dans notre pays et parce que nous sommes conscients, sans doute ici plus qu'ailleurs, du risque de dislocation de la société si l'on n'atténue pas les disparités.
Ensuite, parce que notre assemblée assure la représentation de toutes les collectivités locales et qu'il faut bien reconnaître qu'un fort volontarisme politique est nécessaire pour tenter de restaurer l'accès aux services publics ou pour intensifier l'activité économique dans certains territoires.
L'ANCT joue un rôle crucial en la matière, même s'il faut bien admettre qu'il est parfois difficile de s'y retrouver dans l'ensemble des compétences qui lui ont été attribuées, quatre ans après sa création. En effet, l'agence accomplit une grande variété de missions : pilotage de la politique de la ville, des dispositifs de l'État en faveur des villes moyennes ou des petites villes, de la ruralité et de la montagne, déploiement du très haut débit, accès au numérique, politiques d'accès aux services publics, soutien à la création de tiers lieux, mobilisation pour la réindustrialisation. Elle est également l'autorité de coordination pour la gestion des fonds européens, et bien d'autres choses encore !
Aussi avons-nous demandé à la Cour des comptes d'analyser les premières années d'exercice de l'agence, qui a retenu les années 2020 à 2022 pour formuler des pistes d'amélioration.
Nous recevons Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera tout d'abord les principales conclusions de cette enquête. Ensuite, le rapporteur spécial sur les deux programmes consacrés spécifiquement à la politique des territoires de la mission « Cohésion des territoires », M. Bernard Delcros, nous indiquera les principaux enseignements qu'il en tire et posera les premières questions.
Pour nous éclairer sur le sujet, mais aussi pour répondre aux observations de la Cour et aux remarques du rapporteur spécial, M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT et à Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, prendront la parole.
Chacun pourra ensuite poser la question qu'il souhaite. Je salue d'ailleurs la présence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Je rappelle enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
Je laisse désormais la parole à Mme Catherine Démier.
Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, pour présenter le rapport, je suis accompagnée de l'un de ses coauteurs, M. Vincent Launay, conseiller référendaire en service extraordinaire, et de MM. Guy Duguépéroux et Cyrille Pierre, conseillers maîtres.
Par une lettre en date de décembre 2022, vous avez demandé à la Cour des comptes, dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement, une enquête portant sur la mise en place et la viabilité de l'ANCT.
Le périmètre de l'enquête a été mis au point, en février 2023, avec M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. Il n'était guère possible d'examiner l'ensemble des nombreuses missions de l'agence, chacune d'entre elles pouvant faire l'objet d'un travail spécifique. Du reste, en 2022, la Cour des comptes a réalisé un rapport sur le programme « Action coeur de ville ». Cette année, la Cour des comptes a programmé d'examiner le programme « Petites Villes de demain », et s'apprête à publier avec certaines chambres régionales des comptes, une évaluation des maisons France Services. De plus, le New Deal mobile a également fait l'objet de travaux de la Cour à la suite d'une demande de la commission des finances du Sénat, en septembre 2021.
Nous avons donc convenu de délimiter le champ de contrôle aux objectifs et aux conditions de création de l'agence, à la qualité de sa gestion et de son fonctionnement, et aux changements ou nouveautés que sa création avait pu susciter par rapport aux organismes dont elle prenait la suite. À cet égard, une attention particulière a été portée à sa relation aux territoires, à leur développement, auquel elle doit contribuer, et à son offre d'ingénierie.
L'enquête se présente en trois parties.
La première traite des conditions de la création de l'ANCT et de sa gouvernance. Elle rappelle la manière dont elle a été décidée : lors d'un discours prononcé ici même au Sénat en juillet 2017, le Président de la République a annoncé la création de l'agence, qu'il a décrite comme porteuse du retour de l'État dans les territoires. Celle-ci devait agir dans une logique de guichet unique et de simplification de projets pour les territoires ruraux et les villes moyennes en difficulté.
Cependant, sa gestation a pris plus de deux ans, au cours desquelles différents périmètres et plusieurs principes d'intervention ont été envisagés, avant son installation, le 1er janvier 2020. Sa mise en place et le déploiement de son action ont été fortement perturbés par la crise sanitaire, survenue moins de trois mois après son lancement.
L'agence doit composer, dans le champ étendu de ses missions, avec le nombre élevé de ministères chargés des politiques auxquelles elle participe et avec les organismes qui ont été désignés comme ses partenaires, qu'il s'agisse de l'agence nationale de l'habitat (Anah), de l'agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), de la Banque des territoires, de l'agence de la transition écologique (Ademe) ou encore du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Localement, l'agence s'appuie sur les préfets, qui sont les délégués départementaux de l'ANCT ; elle doit obtenir leur participation active à la mise en oeuvre des dispositifs.
La deuxième partie a pour objet l'organisation administrative de l'agence. Elle souligne les difficultés spécifiques qui s'opposaient à cette structure encore jeune, du fait notamment de la diversité des statuts et des cultures professionnelles de ses agents.
Dans plusieurs domaines, tels que les ressources humaines, les finances, les marchés publics ou les systèmes d'information, la structuration de l'ANCT n'est pas aboutie ; la mise en oeuvre, urgente, des dispositifs confiés à l'agence a pris le pas sur la finalisation de son organisation. Par exemple, les outils financiers dont dispose l'agence ne suffisent pas à lui donner une connaissance précise de ses coûts et une vision prospective de sa situation financière. Les documents financiers établis par l'agence ne permettent pas d'en apprécier les équilibres. Le suivi de l'emploi des crédits fléchés, des engagements des restes à payer, de l'équilibre économique et de l'activité immobilière reste lacunaire, même si la trésorerie actuelle de l'agence, au moment où nous avons rendu le rapport, en décembre 2023, lui assure à court terme une soutenabilité financière correcte.
L'État a d'ailleurs sa part de responsabilité, car la Cour estime qu'il n'a pas défini avec une clarté suffisante l'adéquation entre les financements reçus et les missions dont elle est chargée. En effet, l'ANCT devrait être en mesure d'isoler les coûts et les recettes, par exemple, de son activité en matière d'immobilier commercial - l'ex-Epareca (Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux) -, qui relève d'un service public à caractère industriel et commercial. Au surplus, l'examen de la commande publique a permis de détecter quelques anomalies, lesquelles ont été corrigées. Par ailleurs, l'étude des systèmes d'information a révélé de graves faiblesses, qui ont fait l'objet d'une annexe séparée, transmise directement à l'agence ; il n'était pas souhaitable de les divulguer au grand public, s'agissant de questions touchant à la sécurité informatique.
La majeure partie des recommandations proposées par la Cour dans son rapport vise à conforter la gestion de l'ANCT dans les domaines des ressources humaines, du budget, de la comptabilité, des finances et des systèmes d'information.
La troisième partie vise à distinguer les apports de l'ANCT à l'action publique. Si elle n'a pas compromis l'action des services qu'elle a regroupés, l'agence n'a pour l'instant que peu donné lieu à des synergies ou à des coopérations, notamment en matière de politique de la ville.
Les évolutions les plus représentatives sont les dispositifs numériques tournés vers les usagers ou relatifs au développement de services publics numériques locaux, tels que l'incubateur des territoires, pour la création de tiers lieux ou de sociétés numériques, qui regroupent des actions en faveur de l'inclusion numérique.
En ce qui concerne l'activité de promotion commerciale de l'ex-Epareca, l'intention d'étendre son intervention aux villes moyennes dans le cadre d'Action coeur de ville a été ralentie par l'absence de financement. On peut également s'interroger sur la pertinence de laisser à l'ANCT le rôle d'autorité de gestion des fonds européens, qui est davantage une prérogative de l'État, et qui est peu en rapport avec les autres activités de l'agence, de même que sa désignation comme autorité de gestion de la réserve d'ajustement au Brexit.
Enfin, le rapport caractérise les nouvelles méthodes ou missions apportées par l'ANCT. Son intérêt est souligné, mais son ambition n'est pas exagérée. Au cours de la période contrôlée, seulement 20 millions d'euros ont été consacrés à l'accompagnement des dispositifs déployés par l'agence, mais ces crédits ont été doublés dans la loi de finances pour 2024.
L'ANCT joue un rôle d'ensemblier des dispositifs dont les financements sont issus de divers ministères, opérateurs ou organismes. Elle n'en effectue pas de synthèse financière, qui pourrait de fait relever des autorités de tutelle, mais la Cour recommande à tout le moins qu'une telle synthèse soit présentée dans le document de politique transversale « Aménagement du territoire » et annexée au projet de loi de finances.
Je souhaite souligner trois des principaux enseignements de notre travail.
Premièrement, la viabilité de l'ANCT requiert une stabilisation de son périmètre et de ses missions. Les gains provenant de la réunion de trois organismes seulement - le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'agence du numérique et l'Epareca -, qui oeuvrent chacun dans des domaines très spécifiques n'étant pas totalement démontrés, il n'est pas souhaitable de faire évoluer ce périmètre, selon la Cour. L'ANCT a besoin de stabilité pour déployer son action dans de bonnes conditions et construire une identité commune entre des équipes aux cultures très différentes. L'organisation en directions, héritières d'une ou de plusieurs politiques historiques, travaillant de manière très autonome et souvent en lien direct avec l'autorité publique, c'est-à-dire les cabinets, n'a pas encore permis de créer des processus de travail et des règles de gestion homogènes et rationnelles.
Deuxièmement, la présence de l'ANCT dans les territoires repose largement sur l'appropriation de ses missions par ses relais, à savoir les préfets de département. L'une des clefs du succès de l'ANCT, dont l'essentiel des effectifs est à Paris, réside dans sa capacité à relayer son action sur le terrain. Elle ne disposait pour cela, au moment de notre contrôle, que de huit chargés de mission territoriaux, nombre qu'il était prévu de doubler.
L'accompagnement des collectivités territoriales, nécessaire pour susciter des projets, a été confié aux préfets, délégués territoriaux de l'agence, et aux services déconcentrés de l'État, aux sous-préfets ou aux directeurs départementaux des territoires, lesquels sont souvent désignés comme délégués territoriaux adjoints, mais aucun moyen spécifique ne leur a été apporté pour accomplir cette tâche. Leur appropriation des enjeux portés par l'ANCT et des outils mis à leur disposition est très variable d'un département à l'autre, ce qui peut induire des différences de traitement entre les territoires. Le recrutement de cent chefs de projet dans les préfectures pour le déploiement du programme « Villages d'avenir » peut constituer une première réponse.
Troisièmement, l'apport de l'ANCT est d'être un intégrateur des interventions publiques autour de projets de territoire. L'ANCT souhaite renforcer et simplifier le dialogue avec les collectivités territoriales et favoriser la construction de projets par les collectivités territoriales, en devenant un ensemblier ou un intégrateur des politiques publiques à l'échelle locale. D'ailleurs, ce point était l'une des préoccupations de M. Bernard Delcros.
Les programmes nationaux, lancés en même temps que la décision de créer l'ANCT, mettent en application cette nouvelle approche de l'intervention de l'État en matière d'aménagement. Ils favorisent l'élaboration par les collectivités territoriales de projets de territoire, en cofinançant des chefs de projet ou en apportant l'ingénierie nécessaire, et visent à rassembler autour de ces projets les différents soutiens, en particulier à l'échelle des territoires.
Les premiers résultats obtenus par ces programmes ainsi que l'accueil favorable des élus concernés témoignent de l'intérêt de la méthode. Les contrôles en cours ou à venir de la Cour des comptes, notamment des maisons France Services ou du programme Petites Villes de demain, nous permettront d'apprécier l'efficacité de l'action de l'ANCT sur la mise en oeuvre de ces dispositifs.
Pour conclure, malgré les difficultés qu'a rencontrées l'ANCT, et bien qu'elle soit récente, sa méthode, fondée sur la coconstruction, semble avoir emporté l'adhésion des collectivités territoriales, même si nombre d'améliorations doivent encore être concrétisées. L'État doit s'engager à stabiliser son organisation et son fonctionnement. Il doit surtout renforcer ses relais locaux, dont la portée et l'efficacité devraient être réévaluées à terme.
Au fond, la question semble moins celle de l'autorité de l'ANCT, représentée par le préfet délégué territorial, ou celle de la viabilité de son projet, que celle des moyens à lui octroyer pour normaliser son organisation et son fonctionnement, ce qui lui permettra de contribuer effectivement à la territorialisation des politiques publiques. De ce point de vue, le constat dressé par la Cour des comptes est moins sévère que celui qu'a établi le Sénat dans son rapport d'information L'ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! rendu en février 2023.
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Je tiens tout d'abord à vous remercier, madame la présidente pour la présentation de l'enquête portant sur l'agence nationale de la cohésion des territoires et la qualité du travail réalisé.
L'ANCT est une agence récente, créée le 1er janvier 2020. Elle a connu, au cours de ces 4 années, une montée en charge très rapide des missions qui lui ont été confiées. J'y reviendrai.
Votre enquête était donc attendue. Elle rend fidèlement compte de l'importance des missions que l'ANCT assure, dans des conditions qui ont parfois pu être compliquées.
Elle démontre aussi l'intérêt, l'utilité de l'ANCT en matière de pilotage des politiques publiques de cohésion des territoires. Même si vous formulez aussi une série de réserves ou de pistes d'amélioration.
Lors de sa création, comme le rappelle la Cour des comptes, il a été demandé à l'agence de remettre de la proximité entre les services de l'État et les collectivités, et de simplifier la politique territoriale de l'État. Ces objectifs restent d'actualité ; ils sont même cruciaux pour rétablir la confiance et de l'efficacité dans l'action territoriale de l'État.
Je veux tout d'abord insister sur plusieurs raisons qui ont rendu parfois difficile le lancement et la mise en oeuvre par l'agence des actions dont elle a la responsabilité.
Première raison, l'agence a dû absorber dès sa création la fusion de trois entités distinctes : le CGET, l'agence du numérique et l'Epareca. Ces structures avaient chacune des missions spécifiques et leur propre mode de fonctionnement et de gouvernance.
Deuxième raison : quelques mois seulement après sa création, l'agence a dû subir la longue crise sanitaire que nous avons connue, ce qui n'a pas facilité la mise en oeuvre de ses missions au moment de son lancement.
Enfin et surtout, l'ANCT a dû faire face à une montée en charge très rapide, à un empilement continu de nouvelles missions sans avoir été toutes identifiées lors de sa création et sans que les moyens nécessaires pour les mener à bien n'aient toujours été mis à sa disposition au bon moment.
Ces missions étaient au demeurant tout à fait justifiées et utiles à l'aménagement des territoires.
Ainsi et pour n'en citer que quelques-unes, l'ANCT s'est progressivement vu confier l'appui en ingénierie aux territoires, les conseillers numériques, le déploiement et le suivi du plan France Services - 2 700 maisons aujourd'hui -, le pilotage des programmes « Action coeur de ville », « Entrée de ville », « Territoires d'industrie », « Petites Villes de demain », « Avenir montagnes », le plan France Très Haut Débit, France mobile ou encore la coordination de fonds européens et la mise en oeuvre de la réserve d'ajustement au Brexit, créée en 2021 ; je pense aussi au programme Villages d'avenir, lancé récemment.
Il s'agit donc d'un empilement de missions successives qui ont demandé sans cesse adaptation et réorganisation.
Je considère, comme le démontre d'ailleurs la Cour des comptes au travers du schéma d'emplois, que ce n'est qu'à partir de 2023 que l'agence a été dotée de moyens à la hauteur des nombreuses tâches confiées, même si cette question des moyens n'est pas entièrement réglée à ce jour - je pense notamment à la mission de coordination des fonds européens qui reste structurellement déficitaire, son coût étant couvert à environ 70 %.
Je pense qu'il conviendrait à l'avenir, lorsqu'une nouvelle mission est confiée à l'agence, d'examiner en amont les moyens nécessaires pour la mener à bien.
Globalement, je considère que l'ANCT a su surmonter les difficultés qu'elle a pu rencontrer et qu'elle a aujourd'hui démontré sans aucun doute sa capacité à agir pour les territoires.
Je tiens à cet égard à saluer l'engagement sans faille des équipes de l'ANCT. Elles réalisent au niveau central un travail de fond solide, essentiel, avec compétence et efficacité. J'ai pu le mesurer particulièrement à l'occasion de la mission que j'ai conduite sur les maisons France Services (MFS).
Pour autant je souscris à deux pistes prioritaires d'amélioration mises en avant par la Cour dans son enquête qui sont pour moi des priorités.
Premièrement, accroître la visibilité de l'agence et de son action à l'échelle territoriale.
Deuxièmement, améliorer la lisibilité financière des programmes pilotés par l'agence.
Sur le premier point, l'ANCT est trop peu visible au niveau local. Les élus locaux, notamment dans les petites collectivités, peinent à la connaître, à comprendre son organisation et à pleinement identifier son rôle et son offre de services. Ce manque d'identification au niveau local est un handicap pour l'efficacité de l'action de l'agence sur le terrain.
Pour y remédier, les préfets de département ont, me semble-t-il, une responsabilité majeure, comme le souligne d'ailleurs la Cour des comptes, à juste titre. Ils sont les délégués territoriaux de l'agence et animent le guichet unique auquel les élus locaux doivent pouvoir avoir accès.
Certains préfets doivent se mobiliser davantage pour que les élus identifient mieux l'agence, son rôle dans les programmes qu'elle pilote et son offre de service en faveur des collectivités, tout particulièrement les plus petites d'entre elles.
Sur le second point, la lisibilité financière des programmes pilotés par l'ANCT est à parfaire. Les dispositifs que conduit l'agence sont nombreux et variés et les modalités de financement sont aussi d'une grande diversité, engageant les crédits de nombreuses missions du budget de l'État.
Dans certains cas, les crédits sont intégrés au budget de l'agence, comme par exemple pour les maisons France services au travers de la subvention pour charges de service public.
Dans d'autres cas, l'agence pilote des programmes dont les financements ne transitent pas par son budget, ce qui a pour effet de disperser l'information financière.
Il ne s'agit pas pour moi de militer pour une intégration dans le budget de l'agence des crédits de tous les programmes qu'elle pilote, mais simplement de défendre l'idée que nous devons disposer d'une meilleure information et d'une meilleure lisibilité financière de l'ensemble des programmes. Elle serait utile pour comprendre la globalité des crédits affectés par l'État aux actions mises en oeuvre ou pilotées par l'agence. Ainsi, nous pourrions mieux faire le lien entre ces actions et leur impact sur le territoire.
Pour y remédier, la Cour des comptes suggère une adaptation du document de politique transversale consacré à l'aménagement du territoire qui présenterait une synthèse financière pour chacun des programmes nationaux. Je souscris, sur le principe, à cette recommandation.
Ces deux pistes d'amélioration - identification locale et lisibilité financière - constituent à mes yeux des priorités. Pour autant, je n'occulte pas les autres recommandations de la Cour qui portent sur la gouvernance et le fonctionnement interne de l'agence qui pourraient encore être améliorés sur certains points.
Ce rapport nous pousse enfin à nous interroger sur le rôle que pourrait jouer l'ANCT dans les années à venir. Deux voies s'offrent à nous. Faut-il une pause dans le développement des missions de l'agence pour lui laisser le temps de s'adapter et de conforter ses missions actuelles ? Ou faut-il à l'inverse, élargir encore son champ d'action pour faire de l'agence l'intermédiaire de référence sur l'ensemble des sujets relatifs à l'aménagement du territoire ?
À titre personnel, je pense qu'une réflexion privilégiant cette deuxième voie pourrait être menée. Ainsi, l'ANCT pourrait, sous réserve qu'on lui en donne les moyens, devenir un acteur encore plus central des politiques d'aménagement du territoire.
Pour réussir ce pari, il faudrait me semble-t-il renforcer la transversalité de l'agence en facilitant son action interministérielle, parce que les questions d'aménagement du territoire vont bien au-delà de ses compétences actuelles et que la cohérence des politiques de l'État nécessite une vision et une action globale et transversale.
En conclusion, je tiens à souligner quatre points principaux.
L'agence, qui avait soulevé des interrogations lors de sa création, a démontré son utilité et a su faire face à une montée en charge rapide et non programmée de ses missions.
Le défaut de visibilité à l'échelle locale doit être corrigé parce qu'il nuit à l'identification, à la reconnaissance et au bout du compte à l'efficacité de l'agence sur le terrain.
Pour moi, le fait que l'agence exerce seulement une partie de ses missions par le biais de crédits internalisés n'est pas un handicap. En revanche, les élus doivent disposer d'une parfaite connaissance des moyens engagés par l'État au titre de l'ensemble des programmes confiés à l'agence.
Enfin, je suis convaincu que l'ANCT a vocation à voir son champ d'action renforcé pour devenir un acteur central d'une véritable politique d'aménagement du territoire qu'il reste à structurer et à inscrite dans la durée.
Je souhaiterais pour terminer connaître l'avis de la DGCL et de l'ANCT sur deux sujets.
Y aurait-il un intérêt ou non à intégrer dans le budget de l'agence l'ensemble des crédits affectés par l'État aux actions et aux programmes que celle-ci conduit ? Et y-aurait-il un intérêt ou non, selon vous, à étendre la vocation interministérielle de l'agence ainsi que son périmètre d'action ?
M. Claude Raynal, président. - Pour reprendre une expression en vogue, l'agence semble être au milieu du gué : elle est née, elle s'est développée, elle reste à stabiliser.
M. Stanislas Bourron, directeur général de l'agence nationale de la cohésion des territoires. - J'ai pris mes fonctions voilà quatorze mois, lors du lancement du rapport : j'ai ainsi eu la chance de participer aux travaux préparatoires de la Cour des comptes et je me réjouis de nos échanges productifs.
Nous partageons certains constats dressés par la Cour. Les huit recommandations portent sur des points d'amélioration que nous avons nous aussi identifiés. À ce titre, des actions ont d'ores et déjà été engagées en 2022 et en 2023.
L'ANCT est un jeune établissement public : créé en 2020, il est issu d'une fusion de plusieurs entités - le CGET résultait lui aussi d'une fusion de structures diverses cinq ans auparavant. En sus de cet exercice complexe, l'agence a également subi deux événements exogènes. D'une part, la crise sanitaire a déstabilisé le fonctionnement de notre système administratif : elle ne favorisait pas l'implication des préfets en tant que délégués territoriaux de l'ANCT ; ils avaient - à juste titre - d'autres priorités. D'autre part, le plan de relance est arrivé très vite : l'agence s'est vu confier de nouvelles responsabilités, alors que la consolidation de ses missions initiales n'avait pas eu lieu.
Ce contexte délicat n'a toutefois pas remis en cause l'action menée par l'ANCT : 6 milliards d'euros ont été engagés par tous les partenaires au profit du programme Action coeur de ville, les 143 Territoires d'industrie fonctionnent bien et le plan France Services est arrivé à échéance, avec 2 500 maisons à la fin de l'année 2022. Le déploiement des 4 000 conseillers numériques s'est fait en lien avec les collectivités territoriales ; la dématérialisation des procédures a montré la nécessité de renforcer la médiation numérique. Quelque 210 cités éducatives ont été créées, en lien avec les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Le plan Avenir montagnes et l'agenda rural ont été déployés.
Ces nombreuses politiques sont le fruit de l'histoire des établissements composant l'agence, mais aussi d'une volonté forte du Gouvernement de promouvoir de nouvelles actions à destination des territoires, dans une logique se fondant sur l'initiative locale : le projet vient des élus locaux, il est ensuite accompagné par l'agence et ses partenaires et, le cas échéant, entre dans un cadre national.
Ce développement rapide a suscité des questions. Je reconnais que l'action a parfois primé sur l'organisation. Toutefois, de nouvelles étapes ont été franchies : depuis 2022, de nombreuses mesures ont été instaurées pour améliorer le fonctionnement de la structure. Des progrès ont ainsi été accomplis en matière de contrôle interne et de pilotage budgétaire. Mais notre mode de financement est complexe, aussi l'exercice prend-il du temps. La mutualisation des services est engagée. Nous avons aussi pris à bras-le-corps les problèmes liés à nos systèmes d'information.
Concrètement, le rapport de la Cour pointe 50 pistes d'amélioration. Nous avons instauré un tableau de suivi et avons déjà engagé une vingtaine de mesures ; une quinzaine d'autres suivront en 2024.
Ces efforts seront poursuivis. Mais ils n'épuisent pas le sujet de l'équilibre budgétaire complexe de l'ANCT, tant du point de vue des missions existantes que des nouvelles tâches qui nous sont confiées.
J'en viens à la lisibilité et à la consolidation de l'action de l'agence. En 2023, nous avons travaillé à une nouvelle gouvernance, le deuxième temps de l'agence, comme le souhaitait le Gouvernement. Avec le nouveau président, Christophe Bouillon, nous avons préparé une feuille de route, en lien avec les équipes de l'ANCT, les élus locaux, les préfets, les acteurs associatifs, mais aussi avec notre conseil d'administration, où siègent les associations d'élus et quatre parlementaires. Nous l'avons adoptée à la fin du mois de juin 2023 ; comme vous le disiez, monsieur le président, il nous faut désormais franchir le gué.
Pour passer de l'autre côté de la rive dans de bonnes conditions, sans être emporté par le courant, il faut, d'abord, plus de proximité. C'est un mantra très fort en interne. L'agence est en contact permanent avec les réseaux de l'État, avec ceux des collectivités locales, et avec les collectivités locales elles-mêmes, mais nous devons travailler mieux et davantage avec nos représentants locaux, qui sont les préfets, délégués départementaux de l'agence, comme la loi l'a prévu. D'ailleurs, les orientations actuelles sont de renforcer le rôle des préfets, acteurs de proximité auprès des élus, par la déconcentration des moyens dont ils disposent.
Nous avons donc engagé ce travail, avec la direction générale des collectivités locales (DGCL), notamment en déconcentrant nos moyens d'ingénierie. Un décret publié ce week-end alloue ainsi 15 millions d'euros directement aux préfets pour de l'accompagnement sur mesure. Ils pourront ainsi aller au-devant des projets des collectivités territoriales et, pour les plus fragiles d'entre elles, les accompagner en proximité. Nous doublons nos moyens d'accompagnement des préfets, car nous savons que, dans certains territoires, même les services de l'État ne sont pas bien équipés pour faire face à ces missions. Je confirme donc à la Cour que nous avons doublé le nombre de nos chargés de mission en contact direct avec les préfets de département : l'engagement pris en 2023 a été tenu.
Nous souhaitions aussi faciliter le recours aux acteurs de l'État qui sont mobilisés sur les territoires, comme l'Ademe, le Cerema, l'Anru, l'Anah ou la Banque des territoires. Leur multiplicité fait qu'il est parfois difficile pour les élus locaux de savoir à qui s'adresser. Nous avons avec ces acteurs des conventions triennales, que nous avons renouvelées fin novembre, lors du salon des maires. Nous avons achevé le recensement exhaustif de la totalité de l'offre de services de ces acteurs en matière d'ingénierie, quelle que soit la thématique ou la forme d'ingénierie : financement, direction de projet, diagnostic, subvention... Désormais, tous les services de l'État départemental connaissent de manière exhaustive l'offre de services de l'Ademe, de l'Anah ou de la Banque des territoires, par exemple, et ils peuvent donc plus facilement y recourir.
De plus, nous avons obtenu de ces acteurs, qui ne sont pas tous organisés à l'échelle départementale, qu'ils acceptent d'entrer dans un guichet unique départemental. Ainsi, ils pourront participer à l'accompagnement de tous les projets soumis par les élus locaux.
Une circulaire du 28 décembre 2023 a aussi rappelé l'importance, pour les préfets, de s'emparer de ces missions. M. le rapporteur a d'ailleurs souligné le besoin de mobiliser nos services départementaux. La circulaire rend systématique la mise en place d'un guichet unique de l'ingénierie dans chaque département. Ces guichets existaient dans bon nombre de départements, à vrai dire, mais ils seront désormais systématisés, pour faciliter la lisibilité de l'action et permettre aux élus de savoir facilement à qui s'adresser lorsqu'ils ont un besoin d'accompagnement qui ne trouve pas sa réponse.
Nous avons encouragé la transversalité par le rapprochement de nos programmes et la fongibilisation d'un certain nombre de mesures et de services, afin de sortir des logiques de silos qui étaient le fruit de l'histoire mais nous étaient reprochées. L'agence doit faire agence, dans une logique transversale.
Vous nous interrogez, monsieur le rapporteur, sur l'intégration au sein de l'agence de l'ensemble des crédits, selon une logique de type Anru. Pour Action coeur de ville, par exemple, les 6 milliards d'euros viennent, pour 2,5 milliards d'euros, d'Action Logement, pour 2,5 milliards d'euros, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), mais aussi de l'Anah, de subventions de l'État... Faut-il regrouper tous ces fonds dans une seule enveloppe, qui serait gérée par l'agence ? Je ne le crois pas. Ce ne serait pas la bonne approche. L'agence n'a pas été conçue pour cela : elle est un ensemblier, un facteur d'animation, de portage de politiques elles-mêmes portées par les élus locaux. Pour conserver cette dynamique, nous ne devons pas regrouper l'ensemble de ces crédits - même si, pour faciliter leur lecture, quelques ajustements pourraient être effectués. Sur les grands programmes, la logique d'ensemblier doit demeurer, et ne pas être remplacée par une logique de fongibilisation globale. La lisibilité des interventions, dans la présentation financière, est effectivement un enjeu majeur pour l'avenir. Nous souscrivons donc complètement aux préconisations de la Cour.
Il ne me revient pas de me prononcer sur l'étendue du périmètre de l'agence. L'étape que nous sommes en train de franchir est celle de la consolidation, demandée par la Cour. Nous pourrons ensuite nous demander jusqu'où il faut aller, et avec quel objectif.
M. Claude Raynal, président. - Je vous prie d'excuser le départ du rapporteur général et de plusieurs commissaires, qui ont dû nous quitter pour participer à l'hommage national rendu à Robert Badinter.
Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. - Je commencerai par quelques mots sur le bilan de cette agence. La DGCL estime qu'en quatre ans, celle-ci a accompli un certain nombre de missions, dans un périmètre très vaste et avec une méthode nouvelle.
Certains programmes sont marquants. Ils sont considérés par les élus locaux comme des réussites. Je pense notamment à France Services, au déploiement du très haut débit ou, pour les collectivités territoriales qui en bénéficient, au plan Action coeur de ville ou à Petites Villes de demain, qui ont été emblématiques, notamment de cette nouvelle méthode.
Il s'agissait de changer de vision de l'aménagement du territoire et de passer de politiques descendantes, comme les grandes planifications de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar), qui furent parfois regrettables, à une méthode qui venait du terrain. L'idée est de se fonder sur une vision venant des élus locaux, de leurs territoires, de leurs projets, et de se mettre en mesure d'apporter un accompagnement, grâce à cette agence, en lien avec les sous-préfets et avec les préfets de département, pour jouer un rôle d'intégrateur, comme cela a été dit.
Nous souhaitions aussi que l'agence favorise le déploiement national des bonnes pratiques. Elle a constitué des communautés d'élus, ce qui a permis de partager à l'échelle nationale des projets de départements parfois très éloignés, et de diffuser des bonnes pratiques.
Aujourd'hui, l'enjeu est la stabilisation et la consolidation. Cela dit, la stabilisation n'est pas forcément contradictoire avec l'approfondissement d'un certain nombre de ses missions. Pour la tutelle, l'enjeu est surtout la consolidation interne et le suivi budgétaire, avec le suivi des ressources humaines et des crédits. Nous l'inscrivons dans le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) en cours d'élaboration. C'est une priorité pour que l'agence soit à même, dans les années à venir, de mener à bien ses missions dans de très bonnes conditions.
Pour en faire un acteur encore plus central des politiques d'aménagement du territoire, nous souhaitons consolider son rôle interministériel. L'ensemble des ministres doivent utiliser l'agence comme un vecteur de déploiement des politiques sectorielles et ministérielles. C'est le cas dans certains secteurs depuis l'origine - pour le numérique, par exemple. Nous voulons que cela le devienne dans de nouveaux secteurs, et notamment pour la culture et la santé : dans le cadre du plan France Ruralités, nous pouvons sans doute progresser en la matière et faire jouer à l'agence un rôle plus important.
Nous avons eu la chance de travailler pendant toute l'année avec la Cour des comptes, et donc de bénéficier, en avance de phase, de ses huit recommandations, que nous sommes d'ores et déjà en train de mettre en oeuvre. De fait, la tutelle que nous sommes les partage totalement. Certaines d'entre elles, d'ailleurs, répondent à des interrogations que vous avez formulées.
La première recommandation était de renforcer et de préciser le cadre d'intervention du préfet de département, délégué territorial de l'agence. Cela rejoint votre préoccupation sur la visibilité de l'agence sur le terrain. Le progrès devrait être immédiat avec la déconcentration des crédits d'ingénierie dont vient de parler le directeur général, permise par le décret publié samedi. Sur une grande partie de l'enveloppe, les préfets pourront décider directement, au contact des élus, des offres d'ingénierie qu'ils proposent. Cela accroîtra fortement la visibilité, en permettant de bien identifier le préfet comme interlocuteur, et en rendant clair que le catalogue d'ingénierie vient bien de l'agence, et qu'il s'agit de moyens supplémentaires apportés aux élus pour mener leurs projets.
La deuxième recommandation de la Cour a trait à tout ce qui relève du pilotage des crédits, à leur visibilité et à leur suivi. Je rejoins la réponse du directeur général : nous ne devons pas intégrer dans l'agence l'ensemble des crédits qui vont directement sur le terrain. J'en gère directement certains, en tant que responsable des programmes 112 et 147. Beaucoup sont délégués aux préfets. Beaucoup servent aussi à faire des paiements directs d'actions. Il n'y a pas d'intérêt à ce qu'ils transitent par le budget de l'agence. D'ailleurs, ces crédits sont souvent fléchés dès leur adoption. Nous respectons donc cette volonté.
Nous avons toutefois suivi la recommandation de la Cour de globaliser beaucoup plus le champ de la subvention pour charges de service public de l'agence. Quand les crédits ne sont pas fléchés, l'agence doit bénéficier d'une certaine liberté d'action pour ses moyens internes, mais aussi pour mener des actions nouvelles. L'enjeu est surtout le suivi. En lien avec tous les partenaires de l'agence - qui ont d'ailleurs signé avec elles de nouvelles conventions pour cette année 2024 -, nous souhaitons effectuer un suivi fin de ce qui contribue au financement de chacun des programmes. Nous allons y travailler, pour améliorer la consolidation et le document de politique transversale.
Les travaux en cours sont importants, même s'il s'agit de sujets internes. Je pense notamment aux systèmes d'information. À la suite des recommandations de la Cour, l'agence a souhaité lancer une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA), qui a abouti à un audit très détaillé de l'état des systèmes d'information et à des préconisations pour établir un plan d'amélioration.
Nous serons très attentifs, en tant que tutelle, à la mise en oeuvre des recommandations de la Cour. Nous les intégrons évidemment dans le COP de l'agence. Nous sommes pleinement en soutien de son action, et nous travaillons quotidiennement avec elle. En tant que tutelle, il nous importe de l'aider, par cette consolidation et ces améliorations internes, à accomplir ses missions de politique publique.
M. Claude Raynal, président. - Je donne à présent la parole à Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires » consacrés aux politiques des territoires.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Merci de votre invitation, qui permet d'associer la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable à cette audition. Je ne rentrerai pas dans les considérations financières, qui relèvent de votre commission, et partage sur ce point les propos de votre rapporteur spécial.
Lorsque l'agence a été instituée en 2019, la promesse qui avait été faite était que ce serait une agence de concertation territoriale.
Sur les territoires, on connaît bien les politiques principales de l'agence en milieu rural, comme Petites Villes de demain, Action coeur de ville, et maintenant Villages d'avenir. Le rôle du Cerema est moins perçu, même si le travail sur la politique des ponts a fait connaître cet organisme sur l'ensemble des territoires. Mais, avec la multiplication de grands organismes comme France Services, on ne voit plus très bien le rôle de l'agence.
J'ai beaucoup soutenu cette agence au départ, et elle me semble toujours utile pour l'aménagement du territoire. Les réunions organisées par les préfets sur Petites Villes de demain, ou Action coeur de ville, fonctionnent bien. Pour le reste, il s'agit surtout de distribuer les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Dans mon département, je n'arrive pas à obtenir que, lorsque des politiques sont soutenues par l'agence en termes d'ingénierie, elles bénéficient de crédits de la DETR ou de la DSIL. C'est au travers des programmes Petites Villes de demain ou Action coeur de ville qu'elles touchent ces crédits. En pratique, pour l'attribution de la DETR, au-dessus de 100 000 euros, on a quelque chose à dire mais en dessous, rien ! Les membres des commissions ne savent absolument pas comment l'agence attribue ses crédits, au travers des préfets, pour les politiques d'aménagement du territoire, d'autant qu'il n'y a pas de programmation longue sur ces crédits, qui sont annualisés. Il est donc difficile de faire la part des choses entre les politiques d'ingénierie, qui sont plutôt bien faites sur les territoires, grâce aux délégués mis à disposition, et la concrétisation financière consistant à bénéficier de crédits d'ingénierie au travers d'investissements.
Le conseil d'administration de l'agence compte 30 ou 40 personnes, dont 14 élus. Il est difficile de mobiliser des parlementaires pour y siéger. J'ai demandé qu'il puisse y avoir des suppléants, pour éviter qu'il n'y ait que 3 ou 4 élus présents, face à une administration assez pléthorique, afin que notre voix porte davantage.
Il serait utile, avec cette volonté de collaboration et de stratégie territoriale, d'instituer un comité stratégique incluant les élus territoriaux. C'est surtout une question de forme, monsieur le directeur général, de compréhension et d'appropriation de l'agence sur les territoires. Car sur le fond, les politiques publiques sont bien portées par l'agence. Il y a tout de même un travail important de formation des préfets à effectuer, pour qu'ils vulgarisent le travail de l'agence et les possibilités qu'elle offre.
Je termine par un satisfecit à la Banque des territoires, qui fait un travail énorme d'accompagnement auprès des collectivités territoriales pour leur permettre de bénéficier de crédits et d'ingénierie.
M. Hervé Maurey. - Pour avoir travaillé sur le sujet aux côtés de Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur de la proposition de loi portant création d'une agence nationale de la cohésion des territoires, je me souviens que l'ambition initiale était de simplifier la vie des élus locaux, en faisant de l'agence un guichet unique d'entrée vers les différents dispositifs. J'avais à l'époque regretté le caractère restreint du périmètre retenu, puisque la fusion s'était limitée au CGET, à l'agence du numérique et à l'Epareca, alors qu'il aurait été pertinent d'inclure le Cerema, outil très utile aux collectivités locales.
Le rapport de la Cour des comptes a identifié une série de points problématiques, qu'il s'agisse de gestion, d'absence de synergies, de faiblesse des crédits par département ou encore de problème d'identification. Selon le rapport du Sénat, plus de la moitié des élus n'ont jamais entendu parler de l'ANCT, tandis que l'avis de ceux qui la connaissent est plutôt négatif.
Dans les faits, il semble qu'on ait plutôt ajouté une structure que déployé un véritable outil de simplification. Lorsque j'entends Mme la directrice générale des collectivités locales évoquer la fin de pratiques descendantes et l'émergence de projets locaux grâce à l'ANCT, je ne peux m'empêcher de demander si nous vivons bien dans le même pays.
Je m'interroge, quelle que soit l'amitié que je porte au directeur général de l'ANCT, sur la valeur ajoutée et l'utilité de l'agence. Les dispositifs qu'elle porte, s'ils sont connus et appréciés, pourraient très bien être pris en charge par les services de l'État ou par les agences qui existaient auparavant. Quand la directrice générale ou d'autres évoquent le déploiement du numérique, je ne peux que remarquer que l'agence du numérique faisait très bien son travail et que la valeur ajoutée de son intégration à l'ANCT n'a pas été démontrée.
À l'heure où la simplification est à l'ordre du jour, la question de l'avenir de l'ANCT, dont j'étais à l'origine un partisan, doit être posée. Force est de constater que le périmètre choisi n'a pas permis d'aboutir à une solution optimale.
M. Bruno Belin. - Je souscris à cet objectif de simplification de la vie des élus. La directrice générale des collectivités locales comme le rapporteur spécial ont évoqué les fonds européens, difficiles d'accès et qui peinent à parvenir dans les territoires, ce dont les élus se plaignent. Pourquoi ne pas replacer la gestion de ces fonds sous l'égide des préfets ?
M. Michel Canévet. - La Cour des comptes a-t-elle estimé les gains économiques générés par la fusion des trois agences au sein de l'ANCT ? Si les moyens humains sont restés relativement stables en dehors d'une augmentation assez récente, il convient d'examiner les coûts dans le contexte des difficultés budgétaires qu'affronte l'État.
Par ailleurs, le rôle des préfets m'interroge, tout comme les moyens dont ils disposent pour mener à bien les missions de l'ANCT. Les outils d'ingénierie existant dans un certain nombre de départements sont-ils associés et mobilisés dans le cadre des politiques de l'agence, ou un fonctionnement en silos prévaut-il ?
Sur un autre sujet, le rapport de la Cour des comptes révèle que l'information des délégués départementaux quant aux politiques mises en oeuvre fait parfois défaut : des progrès ont-ils été accomplis dans ce domaine ? Une connaissance de l'ensemble des programmes menés est en effet essentielle pour une politique d'aménagement du territoire efficace.
Enfin, la place des missions de l'ANCT au sein de l'action de l'État n'est pas tout à fait identifiée, alors même qu'elle regroupe 14 politiques publiques. Des avancées sont-elles envisageables ? Surtout, l'ANCT intègre-t-elle bien l'ensemble des politiques territoriales menées par l'État ? Une récente initiative de Bercy visant à soutenir le commerce et l'artisanat semblait ne pas tenir compte des actions déjà menées dans les territoires et coordonnées par l'ANCT : qu'en est-il ?
M. Éric Bocquet. - D'après le rapport de la Cour des comptes, la mise au point du projet de création de l'ANCT a été largement confiée à un cabinet de conseil. De quel cabinet s'agit-il ? Vous n'ignorez pas que le Sénat accorde une attention particulière au rôle de ces structures dans la conduite de l'action publique. Sur le même sujet, Libération avait publié un article en juillet 2022 indiquant que l'ANCT consacrait un tiers de son budget à la sollicitation des cabinets de conseil : confirmez-vous cette information ?
En ce qui concerne les ressources humaines, vous faites état de nombreux départs au sein de l'ANCT, ainsi que de difficultés de recrutement : comment l'expliquez-vous ?
Un autre rapport, rédigé par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat un an plus tôt, avait dressé une série de constats similaires aux vôtres, dont une implication inégale des préfets, une approche trop descendante et une promesse de simplification non tenue. La délégation avait également formulé des recommandations très précises : ont-elles été mises en oeuvre ? Il était notamment question d'instaurer un dialogue direct avec les élus locaux ; d'utiliser les échanges au sein du conseil d'administration de l'ANCT afin d'élaborer une feuille de route pour la période 2023-2026 ; de doubler le nombre de référents territoriaux ; de renforcer le dialogue avec les conseils régionaux ; et, enfin, de privilégier une communication plus simple, plus sobre et déconcentrée.
M. Christian Bilhac. - Si je devais présenter la vidéo de cette audition aux élus de mon département, je l'intitulerais certainement « Voyage en terre inconnue ». En effet, les élus que je rencontre évoquent généralement des échanges avec les sous-préfets, le conseil départemental et parfois la région, mais très rarement avec l'ANCT. S'il faut se féliciter de la fusion de plusieurs agences en son sein, subsistent encore l'Ademe, l'Anru, l'Anah, le programme Action coeur de ville, etc. Quel est le coût cumulé de ces opérateurs pour les finances publiques ? Ne faudrait-il pas créer une agence nationale de coordination et de supervision des agences ?
M. Stéphane Sautarel. - Je m'en tiendrai à une approche budgétaire en rappelant à quel point les finances publiques sont sous tension et ne laissent que peu de marges de manoeuvre. Dans ce contexte, le Sénat a plusieurs fois affirmé la nécessité de questionner le financement des agences. Quelles sont les pistes d'économies envisagées par l'ANCT à moyen terme, sur son propre budget ou sur les crédits des programmes qu'elle coordonne ? Ne pourrait-elle pas en revenir à un rôle plus simple, comme le suggérait Hervé Maurey ?
Pour ce qui est de l'aspect territorial, le dialogue avec les élus locaux doit à l'évidence être renforcé. J'insiste pour ma part sur le lien avec les agences départementales d'ingénierie, qui se sont développées par carence de l'État à la suite de l'arrêt de l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat). Si les relations entre l'ANCT et ces structures existent dans le Cantal, il n'est pas certain que ce soit le cas partout et que ces relations soient toujours équilibrées. Il existe là, sans doute, une piste d'économies et d'optimisation à explorer.
M. Grégory Blanc. - Je reste un peu sur ma faim sur un point fondamental, à savoir la transition écologique. Depuis vingt ans, le ministère correspondant se structure peu à peu, sans qu'aucun service public dédié à cette nouvelle problématique existe. Nous tâtonnons donc, en intégrant progressivement le logement, les transports, les collectivités territoriales et la politique de la ville, ce qui correspond peu ou prou au périmètre de l'ANCT.
Souhaitons-nous approfondir ce modèle des agences - à la fois souple et encouragé par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - dans lequel coexistent un ministère édictant des normes et une agence ? Je suis assez circonspect sur ce point : sur bien des pans de l'action publique, il me semble que nous avons besoin d'une administration relevant directement du ministère et permettant d'appliquer une politique recouvrant l'ensemble du périmètre de la transition écologique. Si l'on recherche l'efficacité, la structure hiérarchique devrait être plus ramassée.
Dans l'hypothèse où nous continuerions à développer le modèle de l'agence, il faudrait intégrer dans sa feuille de route la double exigence de la déconcentration et d'un rapprochement avec le terrain.
M. Vincent Capo-Canellas. - Le rapport mentionne à plusieurs reprises le Cerema. Organisme doté de représentations territoriales, ce dernier a déjà eu à gérer la fusion d'une douzaine de structures tout en stabilisant sa gouvernance et ses missions, ce qui a été à l'origine de nombreuses crises qu'il a fallu surmonter. Le Sénat a apporté son écot en introduisant une disposition instaurant la quasi-régie conjointe, qui a permis au Cerema de travailler directement avec les collectivités. Dans le cadre des discussions autour du projet de loi de finances pour 2024, nous avons aussi rehaussé son plafond d'emplois à hauteur de 15 ETP, en sus des 10 ETP déjà inscrits, afin qu'il puisse aligner les ressources humaines nécessaires à l'accompagnement des contrats.
Conservons ce mode de gestion qui permet au Cerema et à l'ANCT de travailler ensemble, le premier apportant son savoir-faire.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Je relaye tout d'abord une interrogation du rapporteur général relative aux programmes territorialisés dont l'agence assure le suivi : il suggère d'évaluer objectivement les programmes avant d'en initier de nouveau. Il s'interroge sur leur pertinence et sur d'éventuels effets d'aubaine. Enfin, il s'interroge sur le risque d'accentuer la concurrence entre les territoires à travers ces différents programmes.
Pour ma part, à l'heure où nous reprenons la mission de suivi de la notion de « zéro artificialisation nette » (ZAN) et où des référents ZAN sont désignés dans chaque département, je souhaite savoir si l'Institut de la transition foncière est un sujet du point de vue de l'ANCT.
Enfin, si nous approuvons ici le principe de la territorialisation des politiques, n'oublions pas qu'une planification est à l'oeuvre via les COP régionales : n'est-ce pas antinomique ?
M. Olivier Paccaud. - Nous avons observé la naissance de l'ANCT avec beaucoup d'intérêt, car il était question de soutenir les « territoires », expression pudique utilisée pour désigner une ruralité qui n'a pas vocation à devenir une réserve d'indiens. Cet intérêt s'est accompagné d'une certaine perplexité face à une tendance à l'« agencification » de l'État, qui nous déplaît fortement.
Avec le recul, le bilan de l'ANCT interroge, notamment du point de vue de l'incarnation de ses missions. Les sous-préfets, souvent compétents, réussissent en peu de temps à se créer un ancrage territorial que le préfet ne peut généralement pas obtenir et sont peut-être davantage impliqués, dans certains départements, dans les problématiques portées par l'ANCT.
La précédente présidente de l'ANCT avait multiplié les slogans séduisants - Villages d'avenir, Petites villes de demain - si cela continue, nous aurons peut-être bientôt Hameaux du futur, mais nous en sommes restés aux effets d'annonce. Ne pourrions-nous pas mobiliser les sous-préfets pour incarner un dispositif qui soit plus efficace ?
M. Claude Raynal, président. - Le lien de l'ANCT avec les agences départementales d'ingénierie appelle des précisions, ces deux niveaux ayant vocation à échanger.
Par ailleurs, l'ANCT travaille avec de nombreux ministères : certains sont-ils en deçà des attendus en termes de coopération avec l'agence ?
Mme Cécile Raquin. - S'agissant du rôle du préfet et des autres acteurs de l'ingénierie territoriale, l'agence a été d'emblée pensée comme une structure dont les préfets de département seraient les délégués territoriaux. L'idée consistait bien à profiter du maillage territorial des préfets et à s'inscrire dans le cadre de la déconcentration, en évitant de créer des agences qui manqueraient d'ancrage local. Le préfet incarne l'agence et décide au niveau local, il est donc parfaitement intégré dans l'organisation.
Si ce choix présente l'avantage pour les élus de disposer d'un interlocuteur unique - préfet ou sous-préfet -, il peut induire un handicap en termes de visibilité de l'agence elle-même. En effet, le préfet, lorsqu'il mène une politique, intègre différents financements et ne mentionne pas nécessairement le fait qu'elle est conduite par l'ANCT. Il existe sur ce point un axe de progrès : la nouvelle feuille de route de l'agence et les nouvelles instructions ministérielles adressées aux préfets mentionnent cette exigence d'une plus grande clarté de l'origine des politiques, des responsabilités et les rôles de chacun, tout en prévoyant de faire du préfet un porte-parole de l'ANCT sur le territoire.
La mise en place d'un guichet unique était en effet l'une des ambitions qui présidaient à la création de l'ANCT, qui ne devait pas être une structure supplémentaire à laquelle s'adresser. Une logique d'intégration devait prévaloir, afin que l'agence puisse coordonner au niveau national l'ensemble des politiques d'ingénierie et d'action territoriale menées par les ministères et par les autres opérateurs, via les conventions avec les grands partenaires prévues par la loi créant l'ANCT. Au niveau local, le préfet joue ce rôle d'intégrateur avec un comité local de cohésion territoriale (CLCT) regroupant tous les acteurs de l'aménagement du territoire.
L'ambition des CLCT consistait à articuler l'ensemble des offres existant sur le territoire, qu'il s'agisse des opérateurs de l'État, des agences techniques départementales ou des intercommunalités très mobilisées sur les offres d'appui aux communes. Le bilan est sans doute inégal : certains comités locaux fonctionnent très bien, avec un niveau de subsidiarité adéquat, l'ANCT venant compléter des offres d'ingénierie existantes et non s'y substituer ; dans d'autres endroits, le fonctionnement doit être amélioré.
Vous avez également soulevé la question des moyens des préfets. Chacun d'entre eux est évidemment accompagné par une direction départementale des territoires (DDT), qui joue souvent le rôle de délégué territorial ou de délégué adjoint de l'agence. Cette structuration a favorisé une forte intégration des services de l'État, démultipliant leurs forces pour conduire les politiques de l'ANCT.
Nous avons progressivement renforcé les moyens territoriaux : une hausse du nombre des référents territoriaux est ainsi prévue dans le budget pour 2024, afin qu'au moins un référent soit présent dans chaque région et fasse le lien entre le niveau national et le niveau local. De plus, le recrutement de 100 chefs de projets Villages d'avenir, souhaité par Dominique Faure dans le cadre du plan France Ruralités, est en cours. 80 chefs de projets ont déjà été recrutés et sont en train d'être formés. Ils viendront épauler les sous-préfets afin d'aller au contact des élus et de les aider à déployer les programmes de l'agence.
M. Stanislas Bourron. - S'agissant des volets de l'ingénierie et de l'investissement, je rappelle que les dotations d'investissement ne sont pas du ressort de l'agence, qui joue un rôle d'accompagnement d'ingénierie de manière pluriannuelle. Dans le cadre du programme Petites Villes de demain, l'engagement pris va ainsi jusqu'en 2026, avec un financement de 900 chefs de projets à hauteur de 75 % qui donne une visibilité aux acteurs locaux.
J'en viens au fait de savoir si les actions de l'agence sont satisfaisantes. Je rappelle que le rapport du Sénat est basé sur les résultats d'une enquête réalisée au début de l'année 2022. L'efficacité de l'ANCT est mesurée par le biais de nombreux indicateurs de suivi : pour ce qui concerne le programme Action coeur de ville, nous devons ainsi suivre le taux de vacance et l'évolution de la situation du commerce. Les données du Sénat montrent que les acteurs impliqués dans nos programmes se déclarent satisfaits à hauteur de 91 %.
Pour autant, une partie des élus ne connaissent pas l'agence, c'est un fait. La circulaire de décembre 2023 vise à créer un guichet unique, à déconcentrer les crédits et à systématiser la réunion des CLCT. Ces derniers représentent l'espace adéquat pour discuter des questions d'ingénierie en lien avec le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), les agences techniques départementales ou encore les agences d'urbanisme, afin d'apporter une offre de services structurée dans les territoires.
Le bilan est très contrasté d'un département à l'autre : si l'offre est bien structurée dans certains territoires, la situation est critique dans d'autres, une partie des projets n'y trouvant pas leur chemin. Dans le cadre de la circulaire précitée, l'Ademe et le Cerema s'engagent à apporter une réponse aux demandes qui émaneront de ce guichet départemental, toujours dans une logique de subsidiarité puisqu'il ne s'agit pas de déployer des personnels de l'ANCT partout : les sous-préfets, préfets et les DDT doivent se charger du travail d'identification et d'orientation, en lien avec les acteurs locaux.
Pour ce qui est des fonds européens, il a été décidé de transférer aux régions la gestion des fonds de cohésion. En tant qu'autorité de coordination, nous veillons à ce qu'ils soient activement consommés tant ils représentent un levier essentiel de développement des territoires.
Concernant le caractère interministériel de notre action, nous avons fortement progressé sur les questions de commerce, d'industrie et de développement des entreprises. Nous sommes ainsi l'opérateur, pour le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d'un fonds de restructuration des locaux d'activité, d'un fonds de soutien au commerce rural, ainsi que d'un récent fonds dédié aux zones commerciales d'entrée de villes, prolongement de l'action engagée en faveur des coeurs de ville. De la même manière, nous coopérons étroitement avec ce ministère dans le domaine du numérique, sans oublier un volet culturel. En matière de ruralité comme de politique de la ville, notre interconnexion avec l'ensemble des ministères est permanente et nous sommes reconnus, je crois, comme un opérateur utile, capable de porter des politiques publiques sur le territoire.
J'en viens aux recommandations de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat : huit d'entre elles ont été mises en oeuvre complètement, tandis que quatre l'ont été partiellement. La circulaire relative au guichet unique et à l'organisation des CLCT a ainsi été diffusée, tandis que nous avons modifié le fonctionnement de notre conseil d'administration afin d'aborder en priorité les débats autour de nos programmes.
Pour ce qui est du recours aux cabinets de conseil, nous avons réduit le recours aux prestations intellectuelles hors crédits d'ingénierie, exclus de ce suivi pour des raisons évidentes : ces crédits sont en effet composés en partie de financements d'opérateurs publics tels que le Cerema ou l'Ademe, ainsi que d'un marché à bons de commande qui nous permet de projeter sur le territoire une expertise qui n'existe nulle part et qui est très bienvenue. Là aussi, le taux de satisfaction à l'égard de ces expertises menées par les cabinets privés dépasse 90 %.
En matière de ressources humaines, l'ANCT n'enregistre pas de flux de départs et d'arrivées sensiblement différents d'autres structures administratives, même si la présence de deux tiers de contractuels en notre sein représente une spécificité. Si nous ne rencontrons pas de difficultés particulières de recrutement, nous sommes cependant confrontés à une problématique de rémunérations.
J'en viens au ZAN et à la transition écologique, à la fois un axe fort de notre feuille de route et une exigence que les élus locaux ont complètement intégrée. Pour reprendre l'exemple du programme Action coeur de ville, il s'agit bien de renforcer la centralité afin d'éviter l'extension urbaine, au bénéfice d'une redensification du commerce et de l'habitat, ce qui permet d'apporter des réponses aux problématiques de transition, de mobilités et de non-artificialisation. Nous sommes à la disposition des élus pour partager nos expériences en matière de sobriété foncière, certaines d'entre elles ayant permis d'identifier des leviers de développement des territoires évitant l'artificialisation en périphérie.
En conclusion, j'insiste sur le fait que l'ANCT intervient dans une logique de subsidiarité en application de la loi, au niveau national comme au niveau local. Face à des demandes de plus en plus complexes, chacun des acteurs doit coopérer avec les élus locaux et certainement pas entrer en concurrence avec eux.
Mme Catherine Démier. - Monsieur Bocquet, le cabinet de conseil Ernst & Young est intervenu lors de la création de l'ANCT, entraînant une dépense de plus de 2,5 millions d'euros. Nous avons d'ailleurs pris connaissance de ce montant dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale consacrée à l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.
Je me satisfais des propos de Mme Raquin et de M. Bourron relatifs à la poursuite de la mise en oeuvre de nos recommandations, jugées utiles. Sur le point concernant une meilleure lisibilité des crédits alloués à la cohésion des territoires, je tiens à préciser que la Cour des comptes n'a jamais recommandé l'internalisation de l'ensemble des crédits au sein de l'ANCT, mais qu'elle plaide en faveur d'une transparence accrue permettant à la représentation nationale d'évaluer leur utilisation.
Enfin, si nous avons pu, dans certains cas, donner le sentiment d'être favorables à une augmentation des crédits de l'ANCT, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les moyens que l'État doit allouer à l'aménagement du territoire. La Cour des comptes peut néanmoins relever d'éventuelles discordances entre les ambitions affichées, les missions confiées et les moyens dédiés.
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Le sujet de fond reste celui de l'avenir de l'ANCT. J'estime qu'il convient de passer d'une somme d'actions concrètes - appréciées par les élus, même s'ils ne les relient pas toujours à l'agence - à une politique globale mieux identifiée. La politique d'aménagement du territoire, par définition transversale et interministérielle, doit être mieux définie. Au milieu du gué, nous avons le choix entre un retour au point de départ et une deuxième étape qui consisterait à faire de l'agence un acteur central de la politique d'aménagement du territoire.
M. Claude Raynal, président. - Pour reprendre l'image employée précédemment, dire que nous sommes au milieu du gué doit nous amener à déterminer si nous sommes capables d'atteindre la rive. La distance parcourue devra être appréciée d'ici deux à trois ans.
Merci à l'ensemble des intervenants de s'être prêtés à cet exercice devant la commission des finances.
La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Bernard Delcros.