Temps d'échanges
Dominique Vérien, présidente. - Il est toujours difficile de commencer, je vais donc poser la première question.
J'avais cru comprendre que le droit existait au Mexique, mais que l'accès à l'avortement n'y était pas si simple. Or j'ai aussi entendu que si on voulait avorter au Texas, le moyen le plus simple restait de traverser la frontière. J'ai ainsi l'impression que ces deux informations se contredisent. Peut-être que la vraie réponse consiste à dire qu'il existe un accès à l'avortement au Mexique, quand on a les moyens de le faire.
Hazal Atay. - La situation change au Mexique. L'avortement était déjà légalisé à Mexico City, donc il y existait un accès à cette pratique. Beaucoup de femmes y voyageaient, mais ce n'était pas forcément le cas dans d'autres États. C'est ce qui a changé récemment. Ensuite, en raison de la situation aux États-Unis, beaucoup de femmes voyagent dorénavant au Mexique.
Anne Légier. - Merci pour cette question, Madame la Présidente. Il y a effectivement une longue histoire de voyage entre les États-Unis et le Mexique.
Avant Roe v. Wade, certaines Américaines traversaient la frontière pour avorter au Mexique. Sarah Weddington, l'une des avocates ayant défendu « Jane Roe » a plus tard révélé dans sa biographie qu'elle avait elle-même avorté au Mexique dans les années 1960. L'avortement y était interdit mais accessible (cela permet de différencier la loi de l'accès).
Actuellement, un certain nombre de personnes traversent la frontière pour obtenir des soins, et pas uniquement un accès à l'avortement, mais aussi à la contraception ou à d'autres soins, y compris esthétiques. Il faut être en mesure de le faire : cela ne fonctionne pas pour les personnes sans papiers, nombreuses à la frontière. Des questions de sécurité se posent également : quelques Américains ont récemment été kidnappés ou tués. Beaucoup de personnes traversent la frontière pour se rendre dans des pharmacies au Mexique afin de se procurer la pilule abortive. La boucle continue.
Annick Billon. - Merci, Madame la Présidente. Merci à vous, Mesdames, pour cette présentation qui nous fait rentrer tout de suite dans le vif du sujet.
Je voudrais d'abord dire que je suis profondément attachée à ce droit fondamental. Lorsque ces sujets ont été portés dans l'hémicycle du Sénat, j'ai voté ces propositions de loi avec enthousiasme et conviction.
Je voudrais vous interroger sur la contestation du droit à l'IVG qui monte dans de nombreux pays. Pouvez-vous la dater précisément ? Nous observons un phénomène de masse depuis plusieurs années. Des études montrent-elles que plus les partis politiques extrémistes montent, plus ce droit à l'IVG est contesté ?
Dans cette délégation, nous oeuvrons pour la lutte contre les violences faites aux femmes, pour l'égalité, pour la parité. Les pays où l'égalité salariale n'est pas un sujet, où les femmes ont plus facilement droit à l'égalité, contestent-ils moins ce droit ? Observe-t-on un lien avec la contestation et la législation lorsque les femmes sont plus nombreuses en politique ou dans des postes à responsabilité ? Enfin, lorsqu'il y a une contestation, elle est portée par des associations. Comment ces associations sont-elles financées ?
Dominique Vérien, présidente. - Cette dernière question sera abordée à l'occasion de la table ronde suivante.
Annick Billon. - Très bien. J'ai regroupé mes questions, car je serai peut-être amenée à vous quitter pour rejoindre une autre audition qui se tient en même temps que cette table ronde.
Anne Légier. - Ma collègue sera plus à même de répondre de manière globale, mais je répondrai sur les États-Unis.
Nous voyons bien que la révocation de l'arrêt Roe v. Wade est le résultat direct de l'élection de Donald Trump. Un peu de manipulation politique et de chance lui ont permis de nommer trois juges extrêmement conservateurs à la Cour suprême. Sur la question de l'égalité, on peut aussi souligner qu'aux États-Unis, il n'existe pas de protection constitutionnelle en matière d'égalité hommes-femmes. Le Equal Rights Amendment proposé très régulièrement depuis des décennies, qui ne semble pas a priori particulièrement controversé, n'a jamais pu être adopté aux États-Unis. Sans doute pourrait-il protéger les femmes et contrer un peu les effets de cet arrêt.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je laisse la parole à Hazal Atay.
Hazal Atay. - Le contrecoup, ou backlash, contre l'égalité de genre ou l'égalité femmes-hommes a toujours existé, mais nous observons en effet une montée de ces mouvements. Tous ces mouvements anti-choix, anti-genre, sont très bien connectés au niveau national mais aussi international. Ils sont très présents, surtout dans les espaces de discussion des Nations Unies par exemple. Pourquoi observe-t-on leur montée ? Ce n'est évidemment pas sans lien avec la politique. L'avortement est un des premiers droits attaqués ; ce fut le cas en Pologne.
Ensuite, observe-t-on moins de menaces dans les pays où il y a plus d'égalité ? J'y répondrai de manière un peu inversée. Là où l'avortement est légalisé, la participation des femmes au marché du travail augmente. Là où l'égalité femmes-hommes et de genre est remise en question, on relève des attaques contre l'avortement. Je pense que la table ronde suivante traitera plus en détail de cette question.
Olivia Richard. - Je remercie à mon tour la délégation pour l'organisation de cet événement qui permet de parler de ce sujet fondamental.
Je suis sénatrice des Français, et donc des Françaises, établis hors de France. L'assemblée des Français de l'étranger, qui réunit des élus français du monde entier, a pu travailler sur ces questions et mettre en lumière les disparités du droit en matière d'avortement.
Lorsque des Françaises arrivent dans un pays où l'avortement n'est pas légal, elles sont confrontées à une multitude de conséquences dont elles n'étaient pas du tout informées. Par exemple, une femme qui fait une fausse couche peut se retrouver interrogée par la police parce qu'elle va à l'hôpital pour obtenir un suivi médical classique. On ne mesure pas ces conséquences. Je salue d'ailleurs le travail de Laurence Helaili-Chapuis, présidente du Conseil consulaire pour l'Irlande à Dublin, qui a beaucoup travaillé sur ces questions.
Madame Atay, vous avez commencé votre propos en disant que la loi seule ne garantissait pas l'accès à l'avortement, tout en opérant une distinction entre la légalisation et l'absence de mesures pénales sanctionnant le recours à l'avortement. Quelles en sont les conséquences pratiques, à partir du moment où on peut accéder à l'avortement, même dans des conditions de délai insuffisant ? Quelles différences concrètes voyez-vous entre la reconnaissance d'un droit à l'avortement ou celle d'une liberté des femmes à accéder à cet avortement ?
Madame Légier, j'ai également une question concernant les États-Unis. Y a-t-on observé une augmentation des poursuites pénales à l'encontre des femmes dans les États qui ont interdit l'avortement ? Les restrictions légales de l'accès à l'avortement se sont-elles accompagnées de poursuites et de peines à l'encontre des femmes ?
Hazal Atay. - La criminalisation de l'avortement a un impact sur l'accès à l'avortement sur le terrain. Par exemple, nous savons que les médecins ont peur d'être poursuivis. Pour éviter ces poursuites, ils vont appliquer la loi en vigueur de manière beaucoup plus restrictive ou ne pas l'appliquer du tout. Cet impact existe et est très bien attesté dans la recherche. Par ailleurs, le fait que l'avortement figure dans le code pénal, ce qui n'est pas le cas d'autres soins de santé, a contribué à sa stigmatisation générale. Il reste problématique dans les esprits, mais aussi de manière concrète.
Anne Légier. - S'agissant de l'augmentation des poursuites judiciaires, il existe quelques exemples relativement marginaux, notamment, il me semble, dans l'État de l'Indiana. C'est surtout la peur que déclenche cette décision qui est à noter, essentiellement dans le corps médical. Des médecins hésitent à pratiquer des soins pourtant élémentaires : aider une femme qui fait une fausse couche ou pratiquer une réduction embryonnaire en cas de grossesse multiple. Cela a un effet très important sur la qualité des soins.
Par ailleurs, le risque qui plane, bien qu'il soit relativement marginal, fait que les femmes sont plus hésitantes à se rendre à l'hôpital quand elles font une fausse couche, par exemple. Ainsi, les conséquences sont à la fois symboliques et pratiques.
Dominique Vérien, présidente. - On dit souvent qu'il vaudrait mieux développer la contraception plutôt que de recourir à l'IVG. Pourtant, les États essayant de limiter l'IVG n'essaient-ils pas, aux États-Unis, de limiter l'accès à la contraception dans le même temps ?
Anne Légier. - En effet. Il y aurait beaucoup à dire sur les personnes qui tirent les ficelles. Les lobbies anti-avortement sont généralement menés par des individus hostiles à la contraception ou à la procréation médicalement assistée. Dans l'État du Kentucky, la loi dit que la vie commence à la conception, ce qui peut remettre en cause l'accès à la procréation médicalement assistée.
De manière générale, les personnes opposées à l'avortement sont également opposées à la contraception.
Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cette première séquence passionnante et enrichissante.
J'invite maintenant les participants à la deuxième table ronde à me rejoindre sur l'estrade. Je laisse notre collègue Laurence Rossignol introduire cette deuxième séquence qui porte sur l'accès effectif à l'IVG, au-delà des législations, ainsi que sur les stratégies et blocages qui entravent cet accès.