II. RENCONTRE DE HAUT NIVEAU AUTOUR DE 4 CONTROVERSES D'ACTUALITÉ AU SÉNAT - JEUDI 6 JUILLET 2023

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Au nom de tous les parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), je souhaite remercier le Président Gérard Larcher qui a accepté d'ouvrir cette réunion organisée dans le cadre du quarantième anniversaire de l'Office, occasion pour nous de présenter le bilan de ce qui a été réalisé à travers cet organisme depuis quarante ans. La journée d'hier à l'Assemblée nationale et celle d'aujourd'hui au Sénat nous permettent également de nous projeter dans l'avenir et de réfléchir au fonctionnement et à la vocation de l'Office et à ce que nous pourrions encore améliorer.

Cher Président, cher Gérard, tu as devant toi un bataillon indéfectible de parlementaires assidus et passionnés qui ont appris à travailler ensemble, avec la diversité de leurs formations, et produisent des travaux paritaires, associant toujours un député et un sénateur.

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur le thème original des controverses scientifiques, pour en évoquer les enjeux et montrer en quoi elles sont animées, parfois tranchées. Hier, à l'Assemblée nationale, nous avons travaillé sur le thème de la science et la politique, dans la salle Victor-Hugo, qui fut lui-même un grand sénateur. Nous avons également travaillé sur le sujet plus concret de l'évaluation scientifique et technologique au service du Parlement. La technologie influe plus directement que la science sur les décisions d'investissement et de soutien. Les députés et sénateurs sont alors concernés au premier chef, dans le cadre de leur ancrage départemental.

Je redis que nous sommes très heureux que tu participes à l'ouverture de cette séance, ce qui représente une garantie pour la qualité de nos travaux.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat. - M. le président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, cher Pierre Henriet, M. le premier vice-président, cher Gérard Longuet, merci pour vos propos. Je vois avec plaisir des anciens présidents de l'OPESCT : Henri Revol, Jean-Yves Le Déaut, qui a eu comme Victor Hugo, une fonction quasiment in eternam. Je salue également Cédric Villani et Bruno Sido. Je salue les membres anciens et actuels de l'Office, les académiciens, les responsables des grands organismes de recherche, et je salue les sénateurs.

C'est un plaisir de célébrer avec vous le quarantième anniversaire de l'Office. La loi du 8 juillet 1983 a instauré, à la suite d'un vote unanime de chaque assemblée, cette structure originale, utile et efficace. Nos prédécesseurs ont souhaité doter le Parlement d'un organisme commun pour l'informer sur les conséquences des grand choix scientifiques et technologiques, et éclairer ainsi la décision parlementaire. Lors des travaux préparatoires furent évoqués de grands sujets, toujours d'actualité aujourd'hui : le spatial - nous avons assisté hier soir au dernier lancement d'Ariane 5 -, le nucléaire et ses déchets, la génétique, l'informatique, etc.

L'Office compte un nombre égal de députés et sénateurs avec une présidence tournante entre Assemblée et Sénat, et s'impose comme un lieu de « fabrique de consensus » selon les mots de Jean-Yves Le Déaut. La force de l'Office repose sur ces rapports approfondis et communs entre députés et sénateurs et sur l'adoption le plus souvent consensuelle de ces rapports
- 250 rapports depuis le début de son existence.

Malgré les vicissitudes de la vie politique, l'Office n'a jamais renoncé à l'adoption d'un rapport, recherchant toujours le compromis. Catherine Procaccia pourrait en parler plus longuement, par exemple sur le sujet des nouvelles techniques de sélection végétale, question discutée d'ailleurs hier à la Commission européenne.

L'originalité de l'Office repose aussi sur son conseil scientifique de vingt-quatre personnalités représentatives des différentes disciplines scientifiques et technologiques, qui fournit une expertise précieuse à l'Office.

Une autre originalité repose sur ses modalités de travail.

La première de ces modalités se trouve dans les études sur saisine du Bureau ou d'une commission permanente de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Quand j'étais président de la commission des affaires économiques, j'ai saisi l'Office sur des sujets en lien avec les télécommunications. Hier, le Bureau du Sénat, conjointement avec celui de l'Assemblée nationale, a décidé de saisir l'Office sur les nouveaux développements de l'intelligence artificielle. La technologie en la matière avance très vite, comme le grand public peut le constater.

L'Office a également élargi ses modalités de travail en organisant des auditions publiques d'actualité. Ces auditions contradictoires sur des sujets souvent complexes et parfois controversés ont permis d'éclairer le Parlement sur de nombreux sujets : les OGM, la stratégie vaccinale, l'expérimentation animale, l'usage d'algorithmes dans certaines politiques publiques, etc. Je citerai également une audition « électrique » sur les soudures de l'EPR de Flamanville, cher Gérard Longuet. Ces auditions ont deux particularités : elles permettent d'aboutir à des conclusions assorties de recommandations et elles sont également ouvertes aux questions des internautes en direct, ce qui est une marque d'un Office vraiment à l'écoute du grand public. Non seulement au carrefour de la science et du Parlement, il est aussi au carrefour de la science et de la société.

Une autre modalité du travail de l'Office se retrouve dans les notes scientifiques. Ce nouveau format a été instauré par Cédric Villani et Gérard Longuet. Au rythme d'une dizaine par an, dans un format court et synthétique de quatre pages, avec notes et références, elles explorent des sujets très divers souvent en lien avec les travaux parlementaires et marquent une véritable réussite, par exemple sur le stockage de l'électricité, les technologies quantiques, la phagothérapie, l'huile de palme, le recyclage du plastique, la pollution lumineuse, etc.

L'Office est également chargé par la loi de l'évaluation de certaines législations ou politiques publiques. Je pense par exemple aux lois sur la bioéthique, au domaine nucléaire, avec le contrôle de la sureté et la gestion des déchets radioactifs. Le Président du Sénat désigne d'ailleurs un membre du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Dans le contexte actuel de renouvellement du nucléaire, l'Office a un rôle éminent à jouer : son rapport à venir sur la sûreté nucléaire est très attendu. Il nous permettra de regarder les choses avec la sérénité nécessaire.

Il est difficile de citer tous les travaux et, encore plus, tous les députés et sénateurs qui y ont participé, mais je veux souligner l'engagement de tous, à travers les réunions, auditions, visites de laboratoires, et rencontres avec des scientifiques, français ou étrangers. Cela est très précieux pour le Parlement.

Pour ces journées anniversaires, je rappelle que vous avez souhaité consulter le public, qui a ainsi sélectionné les quatre thèmes débattus ce matin. C'est, à mon avis, une démarche utile et essentielle pour le lien avec les citoyens que nous représentons.

Vous allez donc travailler sur les questions suivantes :

- Peut-on satisfaire nos besoins énergétiques avec les énergies renouvelables ?

- Réduire l'impact des produits phytosanitaires agricoles, est-ce mettre en danger la production alimentaire ?

- Peut-on capter et stocker davantage de CO2 ?

- L'intelligence artificielle est-elle une menace ?

Nous vous avons d'ailleurs également saisis sur ce dernier thème. Lors de la réunion du Bureau du Sénat hier, que je présidais, Pierre Laurent, entre autres, nous a rappelé l'importance de cette saisine.

Je souhaite saluer le premier vice-président Gérard Longuet et le remercier pour tout le travail accompli en tant que parlementaire, ministre et ici comme premier vice-président de l'Office. Je n'oublie pas ses propos « prophétiques » sur le nucléaire lors de la discussion d'un projet de loi en 2015 qui prévoyait la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2024, c'est-à-dire l'année prochaine. Vous prédisiez d'ailleurs la réouverture de centrales à charbon, ce qui a été fait à Saint Avold. Je pense que les ministres et les parlementaires ont toujours intérêt à s'appuyer sur la science et la technologie.

Merci, cher Gérard Longuet, ainsi que tous vos prédécesseurs, pour cet engagement.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite un très bon anniversaire à l'Office.

En ces temps de défiance envers la science, de discours obscurantistes et de raccourcis scientifiques, le rôle de l'Office n'en est que plus essentiel pour éclairer non seulement les parlementaires, mais également les médias et la société tout entière. Je formule le voeu que l'Office poursuive son travail d'intérêt général au service de la science, de la société et du Parlement. Nous en avons besoin encore plus que jamais.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je propose à présent de lancer les débats sur les controverses, avec l'idée d'en proposer des approches différentes tout en trouvant une position qui puisse fédérer une action collective nationale.

A. PREMIÈRE CONTROVERSE : PEUT-ON SATISFAIRE NOS BESOINS ÉNERGÉTIQUES AVEC LES ÉNERGIES RENOUVELABLES ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Cette première question est prudente et malicieuse. Nous avons, pour animer cette controverse, deux intervenants, David Marchal, directeur exécutif adjoint expertises et programmes de l'Agence de la transition écologique (Ademe), et Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN), dont nous connaissons l'engagement et la combativité.

Nous allons ouvrir le débat avec le point de vue de l'Ademe avec David Marchal et découvrir comment l'agence voit le rôle des énergies renouvelables.

M. David Marchal, directeur exécutif adjoint expertises et programmes de l'Agence de la transition écologique (Ademe). - Je vous remercie d'avoir invité l'Ademe pour l'anniversaire de l'Office.

L'Ademe a dans ses missions de lever les freins au déploiement des énergies renouvelables, en éclairant tous les débats autour de ces énergies. Nous assurons notre rôle d'agence d'expertise et de financement, qui tire son expertise des projets qu'elle finance : financements de la recherche-développement, d'études économiques et de potentiel. Nous sommes également financeur du déploiement de certaines de ces énergies renouvelables, au titre notamment des fonds Chaleur et Décarbonation de l'industrie, ce qui nous permet d'être au contact du terrain.

Je rappelle le contexte de notre approvisionnement énergétique : nous consommons 1 600 térawatts-heure d'énergie finale (chiffres 2021). Cette énergie est à 60 % d'origine fossile, 20 % nucléaire et 20 % renouvelable. Elle est répartie selon différents vecteurs : 27 % électricité, 23 % gaz et 50 % pétrole. Cette énergie est consommée pour moitié par le bâtiment tertiaire et résidentiel, principalement sous forme de chauffage, et pour 30 % par les transports. Cet état des lieux montre notre grande dépendance actuelle car 60 % de notre énergie est importée et seulement 20 % est renouvelable.

Sachant cela, il nous faut étudier la part que peuvent représenter les énergies renouvelables dans le futur. Des études ont été réalisées depuis plusieurs années. Récemment, fin 2021, l'Ademe a publié un travail de prospective nommé « Transition 2050 » autour de quatre scénarios avec une société française neutre en carbone. Nous allons au-delà de l'aspect énergétique, en interrogeant l'alimentation, l'agriculture, l'évolution des mobilités et les questions de mix énergétique.

Je rappelle que la question posée parle d'énergie, et pas seulement d'électricité. Les énergies renouvelables sont donc assez variées. À ce jour, ces énergies sont essentiellement de la biomasse puis de l'électricité. Celles qui ont une très forte dynamique, l'éolien et le photovoltaïque, sur lesquels l'essentiel des efforts repose, ne représentent qu'une faible part. En 2050, la part des renouvelables dans les mix énergétiques des scénarios varie entre 70 % ou plus, quels que soient les choix sur le nucléaire. Ces énergies bénéficient donc d'une belle voie de progression devant elles, avec une perspective de production multipliée par trois par rapport à aujourd'hui.

J'insiste sur le fait que nous sommes devant un bouquet d'énergies renouvelables, mais la transition ne se fera pas uniquement avec les énergies davantage appréciées car non « visibles » (marine, géothermie). Il faudra donc compter sur l'éolien... C'est une certaine diversité qui est facteur de résilience. Ce choix représente par ailleurs un facteur de souveraineté à travers une production locale qui se substituera aux importations (à hauteur de 85 % pour les produits pétroliers à l'horizon 2050). Ce choix est également économique : le renouvelable a longtemps été plus cher, mais nous arrivons actuellement à une meilleure compétitivité, non seulement du fait de la crise récente mais aussi des progrès technologiques. Aujourd'hui, les questions concernent les coûts de financement et les travaux de RTE et de l'Ademe montrent que le choix n'est plus économique mais politique et industriel.

La chaleur renouvelable repose aussi sur une logique économique. Le fonds Chaleur de l'Ademe a coûté à l'Etat, au contribuable, 3,5 milliards d'euros de subventions en 10 ans pour 40 térawatts-heure de chaleur renouvelable produits actuellement. Le prix du gaz observé l'an dernier a remboursé intégralement en un an ce fonds Chaleur.

Pour évoquer l'appropriation locale, nous sommes face au projet ambitieux de multiplier par trois la production des énergies renouvelables sur des territoires avec des besoins et des potentiels différents. Actuellement, dans le cadre de la planification écologique, la question se pose de la répartition de ces énergies sur les territoires. Il convient ici de réconcilier les schémas régionaux remontant des territoires avec les schémas nationaux.

Pour terminer, ces énergies renouvelables ont des potentiels techniques importants, mais nous ne devons pas oublier que les gisements sont limités. Il sera difficile d'aller à plus de 1 000 térawatts-heure de production d'énergie renouvelable en 2050. Notre consommation doit dont être réduite (elle est actuellement de 1 600 térawatts-heure), via les technologies mais aussi l'évolution des comportements, ce que nous nommons la sobriété, qui ne signifie pas la privation.

J'évoque un dernier point. De nouveaux objectifs européens existent aujourd'hui pour l'horizon 2035. Ainsi, l'objectif d'une réduction drastique
- moins 55 % - d'émissions de CO2 change la donne. L'enjeu est de développer les énergies renouvelables pour cette échéance car nous ne pourrons pas compter sur le nucléaire, dont les nouvelles installations n'entreront pas en service à cette date.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je vous remercie pour votre intervention et je passe la parole à Valérie Faudon.

Mme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN). - Nous sommes très touchés de votre invitation. Nous avons nous-mêmes fêté hier les cinquante ans de la SFEN et les cent cinquante ans de la Société française de physique.

Nous avons regardé d'anciens débats présidentiels et avons constaté que la controverse « nucléaire vs renouvelable » y était déjà présente. Selon moi, la controverse se place autour de l'idée du 100 % renouvelable. Elle n'existait pas en 1981, François Mitterrand souhaitant un mix, ce qui était aussi le cas pour Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy en 2007. La controverse actuelle apparaît dans le débat de 2012.

Selon moi, la question est d'abord politique car le nucléaire porte des halos symboliques : la bombe, la place de l'Etat, la science, la décroissance, voire le patriarcat. Beaucoup de gens y sont donc opposés.

Cette controverse s'avère compliquée car elle utilise des modèles qui valident des thèses scientifiques. C'est le cas en France, par exemple avec les scénarios de négaWatt, mais également aux États-Unis où Bernie Sanders prône un modèle 100% renouvelable en s'appuyant sur des modèles universitaires. Cette situation complique pour les citoyens la compréhension des enjeux avec peu d'informations sur la méthodologie et les données utilisées. Cependant, nous ne connaissons pas les conditions de 2050. Nous devons aussi faire preuve d'humilité car les chocs pétroliers, le gaz de schiste, la crise en Ukraine n'étaient pas prévus. Il convient donc de choisir la trajectoire la plus robuste et la plus résiliente.

De nombreux travaux existent (Ademe, négaWatt, mais aussi pro-nucléaires), mais aucun ne se base sur une hypothèse de 100 % nucléaire.

Je vais insister sur les scénarios RTE car leur méthodologie a été partagée par tous les acteurs français. Ils s'appuient sur trois niveaux de consommation : moyen de référence (scénario Stratégie nationale bas carbone SNBC), plus faible (sobriété) et plus fort (réindustrialisation profonde ; vertueux car relocalisation en France avec une production bas carbone).

Un nouveau scénario est en cours de réalisation chez RTE avec une perspective haussière de la consommation d'électricité très forte, mais en restant à 1 600 térawatts-heure en 2035, du fait de la demande d'hydrogène dans l'industrie et de l'arrivée des e-fuels dans l'aviation.

Je tiens à rappeler qu'une confusion a longtemps existé entre énergie et électricité. Or il nous faut baisser la consommation d'énergie, et pour cela il nous faut augmenter la consommation d'électricité.

Nous sommes donc devant des scénarios établis fin 2021 et avec trois niveaux de consommation et six trajectoires : trois sans renouvellement du parc nucléaire, trois avec un renouvellement progressif. Cette étude nous indique qu'il existe une différence de coûts, mais que ce sont des coûts de réseau Enedis-RTE et des coûts d'entretien. Ces coûts système jouent donc aujourd'hui à travers la distribution, le transport et l'équilibrage du réseau. Ce scénario de RTE présente aussi le mérite de poser la question de la robustesse du réseau.

Je vais évoquer les forces et les faiblesses du nucléaire. Concernant les faiblesses, nous devons nous interroger sur notre capacité à construire tous les EPR. Selon nous, il est important de lancer les constructions et d'atteindre ensuite un « rythme de croisière ». Il convient aussi de savoir si les réacteurs peuvent avoir une durée de vie supérieure à 60 ans pour ne pas avoir à fermer tous les réacteurs simultanément. Le financement, prévu actuellement à 4 %, pose aussi question, ainsi que la place du contribuable et du consommateur dans celui-ci.

Concernant les énergies renouvelables, les risques identifiés consistent en notre capacité de proposer un déploiement à la vitesse requise, plus élevée que celle de nos meilleurs voisins. Se pose aussi la question de la disponibilité, des flexibilités, donc du stockage.

Nous sommes convaincus de l'importance du nucléaire dans notre système au niveau français mais aussi au niveau européen pour stabiliser l'ensemble du réseau. Au niveau français, je souhaite que nous arrivions à un consensus sur cette question.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je vous propose de passer aux questions.

M. Gérard Larcher, Président du Sénat, quitte la séance.

Premier intervenant. - Il convient de comparer non pas les coûts de production mais les coûts système. Entre les scénarios de RTE à 50 % de nucléaire et les scénarios les plus ambitieux en énergies renouvelables, nous notons des coûts complets de 20 milliards d'euros par an. En me référant aux propos que vous avez tenus sur les coûts du gaz l'an dernier, si nous appliquons le même raisonnement à l'électricité, l'EPR de Flamanville serait rentabilisé en trois ans.

Deuxième intervenant. - J'ai une question pour David Marchal et je souhaite évoquer la situation de la Bretagne. Cette région ne dispose pas de capacité nucléaire, et 80 % de l'électricité consommée y est amenée par RTE. Peut-on envisager que l'Ademe et la région travaillent ensemble sur le sujet ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je complète cette question en évoquant les plaques territoriales. Des situations telles que celle de l'Allemagne ou de l'Espagne, par exemple, sont-elles intégrées par l'Ademe ? Je constate par ailleurs que le vote écologiste se trouve dans des régions sans éoliennes, par exemple en Alsace...

Troisième intervenant. - Je souhaite poser une question sur les souverainetés inhérentes à la production locale d'énergie. Qu'en est-il des ressources minérales nécessaires au redéploiement du nucléaire mais aussi des renouvelables, en lien avec la position de la Chine sur ces ressources ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Le concept de système est pertinent car il ne faudrait pas créer un problème en voulant en résoudre un autre, tel le sapeur Camembert.

Quatrième intervenant. - Je souhaiterais savoir dans quelle mesure les considérations de souveraineté industrielle et technologique sont intégrées dans les différents scénarios ?

M. David Marchal. - Sur le sujet du mix électrique, depuis 2017, des études sont réalisées avec l'horizon 2050. L'Ademe y prend en compte les coûts complets. Il est important de ne pas présenter mes propos comme une opposition au nucléaire, car je rappelle que 45 % de notre consommation d'énergie finale ne sera pas de l'électricité et qu'il faut développer la part de chaleur renouvelable.

Concernant l'interdépendance des régions, nous assistons à un changement majeur. L'augmentation de la production locale ne doit pas conduire à l'autarcie des régions ou à des territoires à énergie positive. En effet, davantage de solidarité s'avérera nécessaire à l'avenir. Des études plus locales peuvent être menées et nous savons déjà que des enjeux de transferts importants entre régions existeront. Nous menons également des travaux sur les outre-mer.

Nous étudions les questions de plaques industrielles à travers les ZIBAC (zones industrielles bas carbone), mais ces études ne s'étendent pas au-delà des frontières, ou très peu.

Sur le sujet des ressources minérales, il convient d'avoir à l'esprit que c'est l'évolution de nos consommations qui aura la plus grande influence, par exemple avec les voitures électriques et l'utilisation du lithium.

Pour la souveraineté, des scénarios prévoient en effet de relocaliser des productions industrielles. Nous finançons pour cela de grands projets de réindustrialisation avec, entre autres, des projets d'usines de batteries. Aux niveaux français et européen, le marché des énergies renouvelables à l'horizon 2050 permet des investissements rentables.

Mme Valérie Faudon. - Sur la question des matières, des travaux sont en cours. Il existe un réel enjeu sur le système électrique et la consommation de cuivre augmentera de manière très importante.

Le nucléaire se révèle plutôt sobre car les constructions ont une durée de vie de 60 à 80 ans. Mais la question de l'uranium se pose et un nouveau rapport de la World Nuclear Association est attendu en septembre prochain. Il est à noter que nous disposons de ressources importantes sur notre sol avec l'uranium appauvri.

Sur la question de la souveraineté, des relocalisations sont en cours, chez Framatome par exemple. Une chaîne française existe, mais penser à la chaîne européenne est également important, pour pouvoir accompagner l'ensemble des pays européens. Les Etats-Unis sont déjà présents en Pologne et en Roumanie.

Enfin, je remercie l'Office pour son travail d'accompagnement du programme nucléaire. Des débats virulents ont parfois eu lieu, insistant sur le fait que la démocratie française était malade du nucléaire, mais le développement nucléaire a toujours été accompagné d'un débat démocratique.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je conclus en constatant que cette controverse donne lieu à des débats d'une qualité croissante, car plus respectueux des points de vue des uns et des autres. Je pense que le nucléaire était plutôt malade de la démocratie et du scrutin majoritaire à deux tours et pas l'inverse. Quand les personnes bénéficient de l'électricité bon marché, le système fonctionne. Mais l'inverse est aussi vrai et se ressent sur les scrutins électoraux. Les controverses peuvent être d'autant plus raisonnées que nous arrivons sur la réalité des difficultés, point rassurant pour la démocratie française.

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