C. INCITER LES ACTEURS INSTITUTIONNELS À ACCOMPAGNER LE MOUVEMENT DE L'INTERCOMMUNALITÉ
1. Le Pays
a) Déconcentrer les services du Pays
Au 31 décembre 2021, le total des effectifs globaux en position d'activité et contribuant au bon fonctionnement des services administratifs et Autorités administratives indépendantes (AAI) du Pays, s'élève à 6384, dont 5 125 effectifs sur des postes budgétaires de la Polynésie française et 1 259 effectifs hors postes budgétaires. Sur les 5 125 agents en fonction dans les services publics, 76,33 % sont localisés aux Iles-du-Vent, contre 23,45 % dans les autres archipels.
Les maires de tous les archipels ont souligné le manque de proximité des services du Pays et leur souhait de disposer d'antennes locales mieux dotées.
En ce sens, le Pays pourrait être invité à réfléchir à un plan de déconcentration de ses équipes dans les archipels, dans un dialogue avec les collectivités concernées qui pourraient faire part de leurs attentes et propositions. Cette déconcentration pourrait prendre la forme de guichets uniques des services de l'État et du Pays, voire même des communautés de communes dans des « maisons de services publics mutualisées » permettant de répondre aux attentes des usagers.
Recommandation n°7 : encourager le Pays à étudier des modalités de déconcentration renforcée de ses services.
b) Améliorer le dialogue local entre Pays et collectivités, via les tavana hau
Pour les enjeux opérationnels du quotidien, l'interlocuteur « Pays » des collectivités est le tavana hau, c'est-à-dire l'administrateur du Pays au niveau local.
Pour autant les collectivités signalent que ces derniers n'ont pas vraiment les moyens de remplir leur mission pour deux raisons. D'une part, les délégations de signature du ministre sont souvent faites aux subdivisionnaires ou chefs de service locaux et pas aux tavana hau. Cela conduit à une vision fragmentée de l'action du Pays au niveau local. D'autre part, ils n'ont pas d'autorité hiérarchique sur les subdivisionnaires ou chefs de services. Ils ne peuvent donc pas encadrer correctement les différents services locaux ou encore réorganiser ces services de façon optimale pour gagner en mutualisation et en efficacité.
Recommandation n°8 : améliorer le dialogue local entre le Pays et les collectivités, notamment en veillant à donner aux tavana hau (administrateurs du Pays au niveau local) délégations nécessaires et autorité sur les services déconcentrés.
2. Le Haut-commissariat et l'État
Les élus locaux ont rappelé leur attente de voir les services de l'État se positionner en conseil en amont, notamment en matière de contrôle de légalité. Ils attendent d'être accompagnés dans la maturation des projets et dans leurs réalisations concrètes.
Pour rappel, le Haut-commissariat dispose d'une capacité importante d'accompagnement (voir encadré).
Les missions de la Direction de l'ingénierie publique (DIP) au sein du Haut-Commissariat :
La DIP est chargée de l'assistance technique des communes et des subdivisions administratives de l'État sur l'ensemble du territoire polynésien. Elle assure notamment des missions d'ingénierie et d'expertise pour le compte des communes ou des établissements publics. Outre son isolement par rapport à la métropole et aux autres collectivités ultramarines, la dispersion géographique des îles de la Polynésie sur un territoire aussi grand que l'Europe a généré un retard en matière d'équipements structurants.
Elle est composée de 15 agents (dont 6 cat A, ingénieurs / architecte).
L'intervention de la DIP permet de compenser certaines lacunes structurelles telles que :
- le déficit en matière de compétence technique communale ou intercommunale dans la conduite des missions de maîtrise d'ouvrage (rédaction d'un cahier des charges, organisation d'un concours d'architecture, organisation et gestion de la commande publique, encadrement des missions de maîtrise d'oeuvre) ;
- le faible effectif de certaines communes pour répondre à une surcharge ponctuelle ou des besoins non courants ;
- le déficit de maîtrise d'oeuvre privée pour les projets des îles éloignées ;
- le manque d'accompagnement au bon fonctionnement des installations livrées ;
- le manque de formation technique des agents communaux.
La DIP apporte un concours technique de l'État au profit des maîtres d'ouvrage publics sous forme de conduite d'opération, de maîtrise d'oeuvre ou d'expertise technique dans les domaines de l'eau, de l'assainissement, des déchets, de la construction de bâtiments publics ou de gestion de services publics industriels et commerciaux.
Cet aspect inclut la mission de service constructeur de l'État en Polynésie française mais également l'expertise à vocation interministérielle dans le cadre de l'accompagnement à l'animation des politiques contractuelles de l'État mises en oeuvre en Polynésie française (services publics, environnement, construction, aménagement).
En septembre 2023, ce sont ainsi plus de 70 opérations contractualisées avec les communes de l'ensemble des archipels polynésiens qui sont menées avec les communes ou intercommunalités.
La mission suggère au Haut-commissariat d'accentuer sa posture d'accompagnement en mettant en place des guides pratiques (gestion de projets, création de sociétés publiques locales...) et/ou des formations délocalisées relatives aux attentes des élus de Polynésie française.
Dans le cadre de la mise en place de l'ANCT, il a été confié aux préfets qui sont les délégués territoriaux de cette agence, la mission de recenser l'ingénierie locale.
Ces recensements sont indispensables pour :
- permettre aux acteurs de se connaitre et de se mettre en réseau ;
- repérer les manques, les doublons, les complémentarités ;
- mettre en perspective ses savoir-faire et réfléchir à la mise en valeur de cette diversité et renseigner la collectivité sur les acteurs pertinents selon le stade du projet.
Plusieurs recensements peuvent servir de modèle comme, à titre d'exemple, le département des Hautes-Alpes10(*), le département de la Meurthe et Moselle11(*) ou encore le département du Calvados 12(*).
Afin de contribuer à cette clarification et dans la perspective d'améliorer cette connaissance pour les élus locaux, la mission a saisi plusieurs grands opérateurs afin qu'ils précisent le cadre de leur intervention en Polynésie française. Ces éléments sont disponibles en annexe 1.
La loi du 22 juillet 2019 relative à l'ANCT a créé dans chaque département un comité local de cohésion territoriale (CLCT). Si le législateur n'a pas étendu les dispositions de cette loi en Polynésie française, rien n'empêche que le Haut-commissariat s'inspire de ce type d'initiative pour impulser une dynamique d'animation et de structuration de l'ingénierie locale. L'objectif est de renforcer le lien entre les acteurs, la coordination des interventions et la diffusion des réussites. Le rapport précédemment cité mettait en évidence quelques bonnes pratiques qui permettraient d'animer et de structurer ce dialogue.
Recommandation n° 9 : faire recenser l'ingénierie publique et privée disponible en Polynésie française par le Haut-commissariat et animer un dialogue entre les élus et les acteurs de l'ingénierie.
De façon plus globale, le législateur n'a pas étendu les prérogatives de l'Agence Nationale de Cohésion des Territoires à la Polynésie française et plus généralement à l'outre-mer.
En effet, compte tenu de leur statut et de leurs compétences respectives, les interventions de l'ANCT dans les collectivités d'outre-mer (COM) régies par l'article 74 de la Constitution (dont la Polynésie française) et la Nouvelle-Calédonie sont limitées. Par exemple, le Fonds national d'aménagement du territoire (FNADT) n'est pas mobilisable dans les COM ni, sauf exception, la DSIL et la DETR alors que ces crédits constituent une part importante des crédits dédiés au financement de programmes de l'ANCT, tels que les programmes Action coeur de ville ou Petites villes de demain dont plusieurs partenaires nationaux (ANAH, Action logement...) ne sont pas non plus compétents dans ces territoires.
Comme mentionné en annexe 1, de façon à répondre aux demandes de collectivités relayées par le Haut-commissariat de la République, l'ANCT s'est attachée à adapter certaines de ses interventions pour permettre d'appuyer les collectivités dans la réalisation de leurs projets.
Il pourrait être étudié une réelle extension des prérogatives de l'ANCT à l'outre-mer.
Recommandation n° 10 : étudier les modalités d'extension de l'intervention de l'ANCT dans les territoires ultramarins dont la Polynésie française.
3. Le Pays et le Haut-commissariat
a) Un contrat pluriannuel avec les communautés de communes
Il est ressorti assez nettement de l'ensemble des échanges avec les différentes autorités qu'il y avait besoin d'un dialogue renforcé entre le Pays, l'État et les communautés de communes existantes.
Ce dialogue vise à venir conforter une vision du développement partagée entre acteurs et à établir de quelle manière les partenaires du bloc communal que sont l'État et le Pays, peuvent venir, dans le cadre de leurs propres priorités, soutenir ce dernier dans les projets qu'il porte.
Afin de faciliter l'exercice de compétences qui ne sont pas encore partagées, mais qui pourraient l'être dans l'avenir, afin d'appuyer les projets structurants qui recueillent l'assentiment général parce qu'ils répondent à des besoins et des impératifs locaux, il serait pertinent d'instaurer un dialogue entre les communautés de communes, le Pays et le Haut-commissariat.
Ce dialogue pourrait reposer sur les contrats de projets. Dans la continuité des contrats de développement État-Polynésie française de 1994-2007, État et Polynésie française ont conclu des contrats de projets (CDP) pour la période 2008-2014 puis 2015-2020. Ce dernier contrat, plaçant la croissance économique et l'emploi au coeur des volets d'action, a défini deux outils spécifiques avec une répartition de l'enveloppe globale : 3/4 pour le financement de projets relevant des compétences de la Polynésie française et 1/4 pour le financement de projets communaux.
Le volet communal du contrat de projet pourrait être renforcé pour les territoires organisés en communauté de communes. Il pourrait être un véritable contrat de développement pluriannuel et qui scellerait un accord sur la mise en oeuvre des compétences (par délégation / pour le compte de), l'appui aux projets structurants du bloc communal et le soutien que chaque partenaire compte apporter.
Recommandation n° 11 : Instaurer, dans le contrat de projets État / Pays, un volet tripartite intégrant les communautés de communes.
b) L'intercommunalité comme critère de bonification de financement
En métropole, plusieurs dispositifs financiers ont constitué des incitations à la dynamique intercommunale comme la dotation d'intercommunalité ou encore la mise en place de la taxe professionnelle unique (TPU), qui était un choix politique fort traduisant la volonté de mettre en commun ses ressources dans le cadre d'une structure de coopération intégrée.
Localement, dans le contrat de projets État-Polynésie française de 2015 à 2020 qui était relatif au financement des projets d'investissements communaux, la troisième recommandation stratégique visait à favoriser les opérations mutualisées (intercommunalités, syndicats) en évoquant un bonus de points ou une meilleure éligibilité. Dans le cadre du FIP, il existe des dispositions spécifiques à l'intercommunalité. D'une part, un volet dédié aux projets intercommunaux et, d'autre part, un taux de financement porté à 75 % pour l'acquisition d'équipements à vocation intercommunale en matière d'incendie-secours (contre 50 % pour les communes seules).
Cette orientation pourrait être renforcée. Pays et État pourraient prioriser le soutien ou apporter un bonus de financement aux projets portés par les intercommunalités plutôt qu'au projet de communes seules. Ce type de soutien serait de nature à renforcer le fait intercommunal et à inciter les collectivités à hiérarchiser leurs demandes, les porter ensemble et rechercher des solutions de mutualisation, plutôt que s'adresser en ordre dispersé au Pays et à l'État.
Un autre axe pourrait être d'insérer des clauses spécifiques dans le cadre du fonds intercommunal de péréquation (FIP).
Recommandation n° 12 : prioriser le soutien financier vers les projets portés par les intercommunalités plutôt que par des communes seules.
c) Mettre en place une indemnité d'éloignement pour les fonctionnaires territoriaux polynésiens
Renfoncer l'intercommunalité nécessite aussi une ingénierie de bon niveau. Permettre une plus grande mobilité des agents territoriaux exerçant en Polynésie française, par exemple par une expérience en métropole, dans un autre territoire ultramarin, ou à l'étranger, grâce à la proximité avec la zone Asie Pacifique, serait positif.
Si l'octroi d'une indemnité d'éloignement est prévu par le décret n° 96-1028 du 27 novembre 1996, le bénéfice de celle-ci ne s'applique qu'aux seuls fonctionnaires de l'État effectuant une mobilité vers Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française ou Wallis et Futuna.
La carence ainsi créée constitue donc un frein pour les mobilités en sens inverse. Aujourd'hui, réaliser une mobilité hors Polynésie pour un fonctionnaire territorial originaire de Polynésie française et sa famille est très complexe et couteux. Afin d'encourager ces mobilités, vos rapporteurs recommandent la mise en place d'une indemnité d'éloignement pour les fonctionnaires territoriaux Polynésiens pour tenir compte du surcoût d'une telle mobilité, avec un droit et des garanties de retour.
Recommandation n° 13 : étudier la possibilité de financer une indemnité d'éloignement et de conditions de retour pour les fonctionnaires territoriaux originaires de Polynésie française.
* 10 https://www.hautes-alpes.gouv.fr/catalogue-des-ressources-d-ingenierie-locale-r2246.html
* 11 https://www.meurthe-et-moselle.gouv.fr/content/download/17901/125031/file/guide%20de%20l%27ing%C3%A9nierie%20publique%20territoriale%20de%20Meurthe-et-Moselle.pdf
* 12 https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/Guide%20de%20l%27offre%20d%27ing%C3%A9nierie%20publique%20du%20Calvados.pdf