C. LES CONDITIONS À METTRE EN PLACE POUR UNE ÉVALUATION AU SERVICE DES ÉQUIPES PÉDAGOGIQUES
Donner du sens à l'évaluation est la condition essentielle pour qu'elle recueille l'adhésion du plus grand nombre au sein de l'établissement. Pour les rapporteurs, l'évaluation ne doit pas constituer une obligation supplémentaire - du « temps perdu » - mais recouper le travail de préparation du projet d'école et d'établissement. L'évaluation permet en effet de réfléchir sur le « contexte externe et interne ». C'est dans cette configuration qu'elle peut devenir un outil plutôt qu'un fardeau.
L'évaluation est également souvent la première fois où certaines données, dont a connaissance le personnel de direction, sont partagées avec l'ensemble de l'équipe pédagogique.
Bien menée et acceptée, l'évaluation doit permettre de poser un diagnostic collectif en vue de l'élaboration du projet d'établissement. Comme le souligne Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, « il faut que les projets d'établissement deviennent des projets de l'établissement, et plus le projet de tel ou tel ». L'évaluation doit ainsi être synchronisée avec la rédaction du projet d'école ou d'établissement dans le cadre de l'actualisation ou du renouvellement de celui-ci.
Recommandation n° 4 : Faire du projet d'établissement l'outil de son autonomie et élaborer ce projet après évaluation de l'établissement (auto-évaluation et évaluation externe) afin qu'il réponde aux besoins particuliers établis par l'évaluation et aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement.
Les rapporteurs ont identifié cinq conditions à remplir pour que les évaluations aient du sens, et ainsi puissent devenir des outils utiles pour les équipes pédagogiques.
Il s'agit tout d'abord pour les équipes de disposer de temps, dans le cadre de leurs horaires de service, ou rémunérés, pour travailler ensemble sur l'évaluation puis la rédaction du projet d'établissement. L'évaluation représente pour les équipes pédagogiques un investissement : pour le premier degré, l'auto-évaluation se déroule en moyenne sur une période de 4 à 8 semaines et l'évaluation externe sur une période de 2 à 6 semaines : « La mesure du temps passé n'est pas simple selon que les auteurs des bilans raisonnent en termes concentrés (heures strictement dédiées à ce travail) ou en termes déployés (incluant les temps d'ajustement des agendas des différents acteurs concernés) : ainsi, l'évaluation externe représente-t-elle en moyenne cinq jours (mode concentré), mais s'étale sur une période de deux à six semaines (mode déployé) »15(*).
Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, a tenu à le souligner devant les rapporteurs : « nous n'avons jamais dit que l'évaluation était du bénévolat. Nous indiquons au contraire aux recteurs d'anticiper les évaluations, de l'évoquer dès la pré-rentrée et d'inclure l'évaluation dans les 108 heures ». Les rapporteurs partagent ce point de vue : la préparation et la réalisation de l'auto-évaluation font désormais partie des tâches demandées par le législateur aux enseignants ; l'évaluation et le travail de concertation qu'ils induisent doivent être comptabilisés au titre des heures de service des enseignants.
L'évaluation doit être réalisée pour le premier degré dans le cadre des 108 heures annuelles de service (par exemple, heures prises parmi les 48 heures forfaitaires consacrées aux travaux en équipes pédagogiques et les relations avec les parents, ou encore sur certaines des 18 heures de formation et d'animation pédagogique).
Dans le second degré, des heures supplémentaires effectives (HSE) pourraient être affectées à cet usage. Par ailleurs, l'évaluation périodique et l'élaboration du projet d'établissement étant des obligations légales, les rapporteurs estiment que les établissements dont l'évaluation est prévue, doivent bénéficier l'année en question d'un abondement horaire supplémentaire, afin que ces HSE affectées à l'auto-évaluation ne soient pas prises sur la dotation globale horaire de l'établissement. Dans le cas contraire, cela reviendrait à réduire davantage ses maigres marges d'autonomie.
Recommandation n° 5 : Faire de l'évaluation un temps privilégié pour débattre de l'utilisation des marges de manoeuvre de l'établissement et mieux préparer et accompagner l'évaluation de l'établissement.
Interrogée sur l'aspect chronophage que représente l'évaluation pour les équipes pédagogiques, Béatrice Gille a indiqué assumer cette charge de travail, car l'évaluation permet d'aboutir à des projets d'établissement « d'une tout autre nature : le rapport coût/bénéfice est intéressant ». Le SE-UNSA n'est pour sa part pas opposé à la démarche d'évaluation, à condition qu'elle ait du sens pour les équipes : elle doit notamment amener à des actions concrètes, avec des moyens humains, matériels et de formation, au regard des besoins qui sont identifiés.
Or à ce jour, les rapporteurs constatent que l'évaluation et le projet d'établissement n'ont actuellement aucune conséquence. Comme le souligne le SNPDEN, « derrière l'évaluation, il doit y avoir des préconisations et des formations : à ce jour, nous n'avons pas entendu de formations qui auraient été proposées à des équipes pédagogiques à la suite de l'évaluation ». Ce constat est également dressé par Daniel Le Cam du SNES-FSU : « l'évaluation est plutôt perçue comme une perte de temps. Comment notre quotidien change, une fois le diagnostic fait ? Quelles sont les solutions proposées ? ».
L'évaluation doit permettre, pourtant, de poser un diagnostic et d'identifier les efforts à faire. Or, force est de constater qu'aujourd'hui, l'allocation des moyens ne prend pas en compte ce diagnostic. Les rapporteurs ont ainsi interrogé Richard Laganier, recteur de l'académie de Nancy-Metz à ce sujet, qui souligne la nécessité de disposer de dotations supplémentaires pour pouvoir le faire. Il a indiqué que l'enveloppe du conseil national de la refondation (CNR) permet de faire le lien avec la dynamique de projets. Néanmoins, pour les rapporteurs, cela ne répond de manière que trop partielle aux besoins, car les financements du CNR ne concernent que le subventionnement de projets jugés innovants.
Recommandation n° 6 : tirer les conséquences de l'évaluation de l'école ou de l'établissement en termes de moyens et de formation.
Afin de lutter contre certaines dérives de l'évaluation, les rapporteurs estiment nécessaire de renforcer la présence des enseignants parmi les équipes d'évaluateurs externes. Ceux-ci disposent en effet d'une connaissance complémentaire des élèves et de leurs besoins à celle des inspecteurs d'académie. Ce renforcement de la présence des enseignants est également de nature à éviter la dérive d'une évaluation de l'établissement vers une inspection individuelle de l'enseignant - ou la perception et la crainte d'une telle dérive. Enfin, lors de leur audition, les syndicats d'IA-IPR ont alerté sur la tension sur les effectifs qu'induit l'évaluation, malgré la création de postes. Du fait de leurs autres missions, notamment le rendez-vous de carrière dans le cadre du PPCR (parcours professionnels, carrières et rémunérations) et l'évaluation individuelle des enseignants, ils ne disposent plus de temps pour accompagner les établissements après l'évaluation. L'élargissement du vivier d'évaluateurs externes permettrait de limiter la pression s'exerçant sur les corps d'inspection, et de manière générale sur l'ensemble des participants qui seraient alors moins sollicités individuellement.
En ce qui concerne le premier degré, les rapporteurs se félicitent que de nombreux maires soient favorables à l'inclusion du temps périscolaire dans l'évaluation. Le partage d'expertise et l'échange entre l'ensemble des acteurs ne peuvent qu'en être renforcés si un nombre plus important de personnels des collectivités territoriales intervenant quotidiennement dans les écoles, notamment les Atsem et les personnels du périscolaire, deviennent des évaluateurs externes. Les récentes annonces du Président de la République sur une ouverture des collèges d'éducation prioritaire de 8 heures à 18 heures appellent également à intégrer les acteurs du périscolaire dans l'évaluation des établissements du second degré.
Recommandation n° 7 : Intégrer davantage enseignants et acteurs du périscolaire dans les équipes externes évaluant les écoles et les établissements.
Enfin, la mise en oeuvre du projet d'établissement sera d'autant plus efficace, qu'il y a une stabilité des équipes. Or, force est de constater que les concours d'enseignants n'attirent plus. Si toutes les académies sont concernées, certaines sont plus touchées que d'autres, obligeant le rectorat à recourir à un nombre croissant de contractuels avec un « turn-over » important.
Les résultats du concours de recrutement
des professeurs des écoles (CRPE) 2023 :
de nombreux postes
vacants à la rentrée
Selon les derniers résultats du CRPE, 1 264 postes n'ont pas été pourvus sur les 8 174 postes ouverts, soit un peu plus de 15 % de postes vacants. Trois académies concentrent le plus grand nombre de vacances de postes : Créteil, Versailles et la Guyane, avec respectivement 49 %, 45 % et 70 % des postes vacants.
Les académies de Versailles et de Créteil bénéficient d'un concours supplémentaire dont les épreuves écrites ont eu lieu en avril. Enfin, depuis cette année et possiblement jusqu'en 2026, un concours interne réservé aux contractuels a été créé à Créteil, Versailles et en Guyane, avec respectivement 200, 120 et 50 postes offerts en 2023.
En ce qui concerne le CAPES 2023, près de 20 % des postes ne sont pas pourvus, soit 861 postes.
Il y a urgence à revaloriser le métier d'enseignant et renforcer son attractivité. Les rapporteurs renvoient aux nombreux travaux de la commission sur cette question.
* 15 Bilan national de la campagne d'évaluation des écoles et des établissements 2021-2022, Conseil d'évaluation de l'école.