B. DES MISSIONS RÉGALIENNES DE L'ETAT QUI DOIVENT ÊTRE PLEINEMENT EXERCÉES AVEC LES MOYENS JUSTIFIÉS PAR LA SITUATION
Plus que dans d'autres collectivités de la République, la présence de l'État déconcentré dans les départements et collectivités de la Caraïbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens, qui s'explique dans une certaine mesure par l'existence de territoires insulaires distincts, éloignés de plusieurs dizaines de milles les uns des autres, et parfois avec une « double insularité », selon l'expression souvent utilisée en Guadeloupe pour évoquer, outre la Basse-Terre et la Grande-Terre, les îles de Marie-Galante ou des Saintes.
Compte tenu des champs de compétences de la commission des lois, et conformément à l'objet de la mission, les rapporteurs ont, au cours de leur déplacement, concentré leurs travaux sur la situation des services publics de la sécurité ainsi que de la justice.
1. Une situation sécuritaire dégradée
a) Une délinquance spécifique
(1) Des territoires très poreux aux influences criminelles extérieures
La situation insulaire des collectivités rend leur territoire particulièrement poreux aux influences extérieures, d'autant que certaines îles voisines sont connues pour abriter des organisations criminelles qui projettent leurs actions dans les îles françaises des Antilles.
Ainsi, le général commandant la gendarmerie de Guadeloupe a évoqué au cours des entretiens avec les rapporteurs l'existence de plusieurs débarquements quotidiens, de jour comme de nuit, en provenance de La Dominique, pour apporter des armes, de la drogue ou de l'argent. De même, il est établi que de nombreux vols privés, qui atterrissent sur des aéroports secondaires non surveillés par la police aux frontières ou la gendarmerie, participent également à des trafics, notamment de stupéfiants, avec les autres îles.
À Saint-Martin, le principe de libre passage de la frontière terrestre avec la partie néerlandaise favorise les trafics, notamment du fait d'une certaine impunité laissée aux trafiquants. Le port de Saint-Martin apparaît quant à lui insuffisamment contrôlé, et de nombreuses embarcations en partent avec des cargaisons douteuses à travers la Caraïbe, notamment à destination des collectivités françaises.
La Martinique, de par sa situation géographique - elle est à la hauteur du Venezuela et à quelques kilomètres de Sainte-Lucie -, est devenue un nouveau hub du trafic de cocaïne et de rebond des mules guyanaises transitant par Fort-de-France avant de rejoindre l'Europe. Les agents de l'OFAST rencontrés par la mission ont également insisté sur l'importance du trafic d'armes et sur la particulière dangerosité des armes en circulation sur l'île. Les frontières côtières de l'île apparaissent comme particulièrement poreuses au débarquement de navires de toutes tailles en provenance de Sainte-Lucie et de conteneurs transitant depuis des États particulièrement faillis comme le Venezuela qui ne peuvent être réellement contrôlés faute de radars au sein du port maritime de Fort-de-France et de moyens de surveillance périmétrique de l'ensemble de l'île.
Si elle est très préservée, Saint-Barthélemy n'est pas pour autant à l'abri de telles influences extérieures, d'autant que les conditions du contrôle aux frontières apparaissent défaillantes. Lors du déplacement, a notamment été évoquée l'impossibilité technique des forces de gendarmerie nationale, chargées à Saint-Barthélemy des missions de police aux frontières, d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) lors de leurs contrôles.
Cette situation est d'autant plus problématique que l'article 5 du décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité indique que, « pour les besoins exclusifs de l'accomplissement de leurs missions, les personnels chargés des missions de recherche et de contrôle de l'identité des personnes, de vérification de la validité et de l'authenticité des passeports et des cartes nationales d'identité au sein des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes peuvent accéder aux données enregistrées » dans ce fichier.
Les rapporteurs estiment que l'efficacité de l'action de la gendarmerie nationale appelle une évolution rapide pour que cesse ce dysfonctionnement, qui résulte simplement du fait que seule la police aux frontières est aujourd'hui habilitée à consulter le fichier TES...
Proposition n° 8 : Donner aux personnels de la gendarmerie nationale, chargés du contrôle aux frontières à Saint-Barthélemy, accès dans les meilleurs délais au fichier des titres électroniques sécurisés.
(2) Le poids du trafic de stupéfiants
Les territoires français des Antilles se situent dans une zone particulièrement concernée par le trafic de drogue international, en provenance d'Amérique du sud. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin, via notamment l'aéroport de Juliana, a été plusieurs fois présentée au cours des auditions comme le « hub logistique » de la cocaïne dans la région.
La drogue est en effet très présente dans les territoires, transitant par avion, par bateaux18(*) ou par voie postale (avec un « pic » en fin d'année !). En revanche, contrairement à d'autres territoires, comme la Guyane, le phénomène des mules reste encore peu développé, malgré l'essor depuis quelque temps de mules originaires du Nigéria, la Martinique ou la Guadeloupe n'étant aujourd'hui concernées qu'en tant que trajectoires de « rebond » pour déjouer les contrôles systématiques entre Cayenne et Paris ou Amsterdam.
Le trafic de stupéfiants est le fait d'organisations criminelles non seulement internationales mais aussi issues de l'hexagone, qui trouvent dans la population des soutiens logistiques. De l'aveu des forces de sécurité intérieure, l'importance des gains générés par ce trafic donne une capacité de corruption de plus en plus importante, et permet un recrutement de soutiens sur place.
Les agents de l'OFAST rencontrés en Martinique ont ainsi fait état d'une internationalisation des réseaux de trafics de stupéfiants sur l'île, accroissant leurs capacités organisationnelles et financières et leur permettant de recruter nombre d'informateurs et de complices au sein des installations aéroportuaires, mais également à proximité des sites de débarquement des marchandises illicites (sur les plages reculées ou au sein des quartiers surplombant le port de Fort-de-France, par exemple) ou de transformation des produits illégalement importés.
En Martinique, en 2022, les saisies de cocaïne sur terre et dans les eaux territoriales se sont élevées à 3,3 tonnes, tandis qu'en mer, les forces armées aux Antilles ont saisi plus de 5 tonnes de produits stupéfiants. En Guadeloupe, la douane avait saisi plus d'une tonne de cocaïne et 1,2 tonne de tabacs.
(3) Une violence de plus en plus marquée
À l'exception notable de Saint-Barthélemy, les territoires des Antilles sont touchés par une violence de plus en plus marquée au quotidien, qui est présente dans l'ensemble de la zone Caraïbe. Celle-ci s'explique par une circulation d'armes particulièrement importante, les représentants de la DTPN de Guadeloupe évoquant ainsi la prise de 140 armes en 2022 lors de simples contrôles routiers et un « usage débridé » des armes. Selon les informations recueillies, ces armes seraient en provenance d'Amérique du Sud, mais aussi des États-Unis, transitant depuis Miami via Sainte-Lucie.
En Guadeloupe, selon la préfecture, 80 % des fermetures d'établissements recevant du public (ERP) seraient liées à l'usage des armes. Face à cette situation, le préfet de la Guadeloupe a ainsi interdit en mai 2023 la vente et la détention ainsi que le port et le transport des armes de catégorie C3 (armes de poing non létales) et D (armes historiques ou de collection). Dans cette collectivité, en zone gendarmerie, qui représente 75 % de la population, le taux de criminalité s'élevait à 47 %o, tandis qu'en zone police - qui concentre 25 % de la population en zone urbaine -, ce taux s'élevait à 69 %o. Le taux de criminalité de sang varie, selon les années, de 4,5 à 8 %o, contre 1 %o dans l'hexagone.
Selon les représentants de la police et de la gendarmerie nationales, on assiste en Guadeloupe à une « professionnalisation » des gangs présents notamment dans les parties les plus urbanisées (Pointe-à-Pitre, Les Abymes), qui prospèrent sur des jeunes en déshérence. Cette professionnalisation apparaît directement liée au trafic de stupéfiants.
La délinquance violente apparaît majoritairement le fait d'auteurs provenant de La Dominique, la République dominicaine ainsi que d'Haïti.
Une situation quasi-insurrectionnelle en
Guadeloupe
en novembre et décembre 2021
Lors des entretiens, ont été rapportés les détails de la situation quasi-insurrectionnelle qu'a connue la Guadeloupe en novembre et décembre 2021.
Pendant plusieurs jours, les zones urbanisées ont fait l'objet d'attaques contre les forces de l'ordre, à balles réelles, avec la mise en place de barrages pour les empêcher d'intervenir pendant que des pillages systématiques de commerce étaient pratiqués.
Les violences ont atteint leur paroxysme le 15 novembre 2021, avec la présence de six escadrons de gendarmerie mobile en plus des unités présentes de la police nationale et de la gendarmerie départementale. 63 gendarmes ont été blessés dans cette seule journée, dont 7 en état grave et deux par armes à feu.
Selon la préfecture de Guadeloupe, ces violences ont occasionné plus de 15 millions d'euros de préjudice.
Pour autant, l'accroissement des violences au quotidien ne semble pas faire l'objet d'une réelle prise en considération politique localement. Par exemple, les exactions commises en novembre et décembre 2021 semblent avoir été peu condamnées lors des prises de parole politique locales. La situation apparaît néanmoins préoccupante, même si, selon les représentants de l'autorité judiciaire rencontrés lors du déplacement, cette violence est essentiellement le fait d'une minorité agissante, visible et médiatisée.
En Martinique, selon les chiffres donnés par la préfecture pour 2022, 28 homicides ont été perpétrés, dont 18 en zone gendarmerie (en augmentation de + 125 % par rapport à 2021), ce qui en fait l'année la plus criminogène.
La situation, marquée par une hausse de + 4,08 % de la délinquance par rapport à 2021, se caractérise notamment par son important degré de violence. C'est notamment le cas en zone gendarmerie, où la délinquance générale progresse significativement (+ 7,42 %), avec une augmentation considérable des atteintes aux biens - cambriolages (+ 17,26 %) - et à l'intégrité physique - les vols violents à main armée croissant de 45,95 % - progressent fortement. Les violences intrafamiliales (VIF) sont également en augmentation : + 8,35 % en zone gendarmerie, et + 7,52 % en zone police.
À Saint-Martin, les représentants des forces de sécurité intérieure rencontrés ont fait état de violences avec arme supérieures à quatre fois la moyenne nationale et des vols à mains armées représentant plus de 18 fois la moyenne nationale. Les refus d'obtempérer sont quotidiens.
b) Des services de sécurité intérieure à la peine
(1) Des forces en place insuffisantes
Si les forces de gendarmerie en Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'élèvent à 700 personnels militaires et 50 civils, il faut souligner que trois escadrons de gendarmerie mobile sont en permanence stationnés dans ces territoires et renouvelés tous les trois mois (deux en Guadeloupe « continentale » et une dans les « îles du nord »).
En Martinique, outre 600 militaires et administratifs affectés sur le territoire, un escadron de gendarmerie mobile est en renfort permanent. Depuis la fin novembre 2022, un groupe tactique de gendarmerie et un second escadron de gendarmerie mobile ont été déployés pour mieux faire face à des phénomènes de violences graves qui s'accentuent.
La Guadeloupe et la Martinique ont été pionnières dans la réorganisation des services de la police nationale, l'organisation en direction territoriale de la police nationale (DTPN) y ayant été mise en place dès le 1er janvier 2022.
La réforme de la DTPN : une préfiguration outre-mer avant une généralisation du dispositif à l'hexagone
Dans le prolongement des recommandations du livre blanc de la sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a engagé à partir de la fin 2019 un projet d'unification des différentes entités de la police nationale à l'échelle départementale, jusqu'alors bâties en silos, autour d'une logique de filières métiers.
En substance, il s'agissait de rassembler dans de nouvelles « directions départementales de la police nationale » (DDPN) la plupart des services opérationnels de la police nationale, à savoir les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement.
À l'échelle de la police nationale, cette réforme vise à mettre fin au cloisonnement entre les filières et à assurer une meilleure circulation de l'information au niveau local entre les différents métiers de la police nationale. À l'échelle de la police judiciaire, cette réforme vise à créer une nouvelle filière investigation unifiée, rassemblant au sein d'une même direction l'ensemble des services exerçant des missions de police judiciaire.
La préparation du projet de réorganisation de la police nationale s'est constituée autour de quatre vagues successives d'expérimentation dans sept territoires d'outre-mer et huit départements hexagonaux.
Si les premières DTPN ont été créées il y a trois ans en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, celles des Antilles ont vu leur déploiement anticipé à la fin de l'année 2021 du fait du conflit social en cours.
En Guadeloupe, la DTPN représente environ 1 000 fonctionnaires, répartis, pour la sécurité publique, en trois circonscriptions sur les zones les plus urbanisées du territoire : Pointe-à-Pitre sur 3 communes, Basse-Terre, Capesterre-Belle-Eau. Les effectifs de la police aux frontières sont présents au Grand port maritime de Jarry, à l'aéroport de Guadeloupe Pôle Caraïbes et au centre de rétention administrative (CRA) situé aux Abymes.
En Martinique, la DTPN est présente dans les communes de Fort-de-France et du Lamentin. Elle compte un effectif global de 800 agents.
Les effectifs de police municipale, peu développés et disposant de peu de moyens, ne sont pas suffisamment à même d'épauler suffisamment les forces de sécurité de l'État dans leurs missions quotidiennes de sécurité publique. Des actions en vue de développer leur complémentarité avec les forces de sécurité étatique sont toutefois initiées.
Un exemple d'action contractuelle à valoriser : le contrat territorial de sécurité
Un contrat territorial de sécurité (CTS) est en cours d'élaboration en Martinique. Il a vocation à associer l'ensemble des services de l'État, les communes, les EPCI et la Collectivité territoriale de Martinique. Selon la préfecture, le contrat devrait se décliner en 5 axes opérationnels :
- un volet « sécurité périmétrique » de la Martinique visant à associer activement les communes littorales au dispositif de lutte contre les trafics inter-îles (et notamment les trafics de stupéfiants et d'armes) ;
- un volet « prévention » ;
- un volet « formation » des polices municipales, visant à favoriser l'interopérabilité, le continuum de sécurité et la formation ;
- un volet « professionnalisation » visant la sécurité privée, en lien avec le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) ;
- un volet « judiciaire », en lien avec le parquet.
Compte tenu du niveau de violence, une coopération de l'ensemble des acteurs de la sécurité apparaît essentielle. Aussi les rapporteurs recommandent-ils le renforcement des contrats de sécurité, pour coordonner les actions de lutte contre la délinquance.
Proposition n° 7 : Développer les contrats locaux en matière de sécurité afin de mieux coordonner les actions des différents acteurs de la lutte contre la délinquance.
En matière judiciaire, les services d'enquête apparaissent sous-dimensionnés, conduisant à l'accumulation d'un stock massif d'affaires. Ainsi, les représentants du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre ont fait état d'un stock de 19 000 procédures en cours en police judiciaire19(*), et d'une difficulté de priorisation des dossiers par les enquêteurs. Comme constaté dans d'autres travaux de la commission des lois, la qualité technique des enquêtes a été évoquée, en partie due à un manque d'encadrement intermédiaire dans les services de police judiciaire20(*). *
Le manque d'effectifs handicape également fortement la possibilité de mener des enquêtes d'initiative.
(2) Des équipements inadaptés aux enjeux
Les rapporteurs ont pu constater la faiblesse des équipements mis à disposition des forces de sécurité, alors que le flux de personnes, d'armes et de stupéfiants entre les îles de la Caraïbe est parfaitement connu et documenté.
Lors de sa visite des locaux de l'OFAST en Martinique, la mission a pu constater la faiblesse des moyens nautiques et aériens alloués à la lutte contre les trafics de stupéfiants. En effet, les forces de l'ordre entendues ont déclaré ne pas disposer des moyens d'assurer la pleine et totale surveillance périmétrique de l'île et n'avoir toujours pas pu installer de radars au sein du port maritime de Fort-de-France pour contrôler les cargaisons des navires entrants et sortants du port.
Lors du déplacement de la délégation à Saint-Martin, au coeur de la route des stupéfiants vers l'Europe - par voiliers21(*) - ou vers les États-Unis, via les îles Vierges ou Porto-Rico - par go-fast -, la seule vedette de la douane était immobilisée pour panne depuis plusieurs semaines et la perspective d'une réparation estimée à plusieurs mois, tandis que la brigade nautique de la gendarmerie nationale comporte un seul bateau, embarquant quatre personnels, pour sécuriser les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Chargée par les textes d'assurer l'action de l'État en mer, la Marine nationale ne déploie quant à elle, au bénéfice de la gendarmerie maritime, qu'un patrouilleur côtier pour les quatre collectivités.
En moyens héliportés, la gendarmerie nationale ne dispose en Guadeloupe que d'un engin pour faire des rotations entre les îles, immobilisé au moins 20 % du temps et qui, au surplus, ne peuvent voler de nuit.
Les rapporteurs considèrent que l'indigence de ces moyens obère toute capacité de réaction efficace des forces de sécurité intérieure face aux mouvements criminels entre les îles. Ils appellent à une mobilisation forte pour que la douane et la gendarmerie nationale soient dotées de moyens d'intervention à la hauteur des enjeux.
Proposition n° 4 : Renforcer urgemment les moyens nautiques et héliportés des forces de sécurité intérieure pour lutter efficacement contre la criminalité inter-îles, en particulier au sein de l'antenne de l'OFAST de Fort-de-France.
La vidéoprotection reste peu développée dans les collectivités visitées et est aujourd'hui inexistante à Saint-Martin. Les rapporteurs relèvent néanmoins que le contrat de sécurité intégrée (CSI) concernant Fort-de-France, signé le 17 mars 2022, prévoit la mise en place de 35 caméras supplémentaires de vidéoprotection dans la commune.
2. Une justice qui doit être mise à niveau
a) Le fonctionnement de la justice
(1) Une justice judiciaire en phase de rattrapage
La cour d'appel de Fort-de-France regroupe dans son ressort, outre la cour d'appel, le tribunal judiciaire de Fort-de-France.
L'effectif total de magistrats localisés est de 72 dont 52 au siège et 20 au parquet. Au 1er septembre 2022, l'effectif réel était de 67 dont 48 au siège et 19 au parquet.
Juridictions |
Siège |
Parquet |
Total |
Postes vacants/Surnombres* |
||||
Effectifs localisés |
Effectifs Réels |
Effectifs localisés |
Effectifs réels |
Effectifs localisés |
Effectifs réels |
Siège |
Parquet |
|
CA Fort-de-France |
13 |
13 |
6 |
6 |
19 |
19 |
0 |
0 |
TJ de Fort-de-France |
39 |
35 |
14 |
13 |
53 |
48 |
4 |
1 |
Total |
52 |
48 |
20 |
19 |
72 |
67 |
4 |
1 |
*Au 1er septembre 2022. Sources : ministère de la justice.
L'effectif de fonctionnaires localisé dans les juridictions de Martinique s'élève à 179, avec un surnombre de 10 agents au 1er septembre 2022.
Le ressort de la cour d'appel de Basse-Terre comprend, outre la cour, le tribunal judiciaire de Basse-Terre et celui de Pointe-à-Pitre ainsi que le tribunal de proximité de Saint-Martin. L'effectif total de magistrats localisés s'élève à 83, dont 62 au siège et 21 au parquet. Au 1er septembre 2022, l'effectif réel est de 81, dont 60 au siège et 21 au parquet.
Juridictions |
Siège |
Parquet |
Total |
Postes vacants/Surnombres* |
||||
Effectifs localisés |
Effectifs réels |
Effectifs localisés |
Effectifs réels |
Effectifs localisés |
Effectifs réels |
Siège |
Parquet |
|
CA Basse-Terre |
16 |
17 |
6 |
5 |
22 |
22 |
-1 |
1 |
TJ Basse-Terre |
16 |
16 |
5 |
6 |
21 |
22 |
0 |
-1 |
TJ Pointe-à-Pitre |
30 |
27 |
10 |
10 |
40 |
37 |
3 |
0 |
Total |
62 |
60 |
21 |
21 |
83 |
81 |
2 |
0 |
*Au 1er septembre 2022. Sources : ministère de la justice.
Les fonctionnaires localisés dans les juridictions étaient, au 1er septembre 2022, au nombre de 206. Lors des entretiens, les représentants des juridictions ont souligné que le nombre de greffiers était trop réduit pour permettre un traitement efficace du volume contentieux.
Les juridictions devraient bénéficier, dans des proportions qui ne sont néanmoins pas encore annoncées officiellement, des recrutements rendus possibles par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2024-2027, actuellement en cours de navette.
L'importance des faits de violence en Guadeloupe induit une forte activité pénale des juridictions. Ainsi, au regard des 34 homicides et des 132 tentatives d'homicides commis en 2022, la cour criminelle départementale et la cour d'assises de Basse-Terre siègent de façon permanente.
La lutte contre les violences intrafamiliales : l'exemple de la Guadeloupe
La lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) fait l'objet d'une priorité des parquets de Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, une chargée de mission spécialisée dans ce type de violences ayant été recrutée.
Les VIF présentent une particularité car la proportion des femmes victimes est sensiblement inférieure à l'hexagone (70 % des VIF contre 90 % en France métropolitaine) et sont présentes dans la famille élargie, au-delà du couple, notamment à l'égard des ascendants. En revanche, le taux de féminicides est inférieur au taux national.
Les déferrements sont importants. En 2022, 300 déferrements ont été ordonnés à Pointe-à-Pitre et 112 à Basse-Terre. Lors du déplacement de la délégation, 45 « téléphones grave danger » étaient actifs dans le ressort de la cour d'appel. En revanche, le recours au bracelet anti-rapprochement (BAR) est inefficace dans le ressort du tribunal de Basse-Terre car, compte tenu de la géographie des lieux, il n'est pas matériellement possible d'éviter que la personne sous BAR passe à proximité de la victime22(*).
Rencontrées par la mission, la présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France, Clarisse Taron, et la procureure de la République, Karine Gonnet, ont signalé l'importance de l'activité pénale de leur juridiction et le niveau de gravité particulièrement élevé des infractions commises par des majeurs comme des mineurs. À titre d'exemple, le tribunal pour enfants de Fort-de-France se réunit une fois par semaine.
De la même manière, elles ont fait valoir trois indicateurs permettant de mesurer l'importance de l'activité judiciaire sur les magistrats affectés au tribunal judiciaire de Fort-de-France. Si ces magistrats ne sont que 35 au siège, elles ont estimé, en appliquant la méthodologie développée par la Conférence des procureurs généraux, à 47 le nombre d'ETP nécessaires pour faire face au stock, ce chiffre s'établissant à 65 ETP en application des critères fixés par la commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe, qui tient compte de la qualité de la justice et des délais de traitement des affaires. Enfin, selon les chiffres communiqués aux rapporteurs, le ratio service/magistrats s'établit à 1,39 ETPT sur le tribunal, illustrant le nombre d'heures supplémentaires effectuées par le personnel de la juridiction.
Au surplus, le tribunal judiciaire de Fort-de-France dispose de la compétence JIRS couvrant les territoires des Antilles-Guyane, dont l'activité est particulièrement soutenue puisqu'elle mobilise trois juges judiciaires à temps plein une semaine par mois tant les affaires sont longues et difficiles à poursuivre du fait des difficultés de coopération avec les pays tiers.
Le bâtonnier de la Guadeloupe a fait état des difficultés liées à la double insularité de ce territoire, qui impliquait notamment que, compte tenu du montant de l'aide juridictionnelle (AJ), les avocats rétribués à ce titre n'étaient pas en mesure de se déplacer à Saint-Martin, ni même dans les commissariats des Saintes ou de Marie-Galante en cas de garde à vue. Il a, de ce fait, souligné la demande du Conseil national des barreaux de revaloriser spécifiquement le montant de l'AJ en Guadeloupe pour prendre en considération la géographie locale, sur le modèle de ce qui est pratiqué en Polynésie française. Les rapporteurs ont été sensibles à cette demande, compte tenu des difficultés d'accès à certaines parties de ces territoires.
Proposition n° 12 : Moduler le montant de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle pour prendre en considération la double insularité de la Guadeloupe.
Au regard de cette même problématique géographique, la question de la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin doit être posée. Actuellement, le territoire abrite un tribunal de proximité, doté de quatre magistrats du siège et deux magistrats du parquet affectés, accompagnés de dix fonctionnaires.
Il résulte des entretiens menés que près de 40 % du contentieux du tribunal judiciaire de Basse-Terre proviennent de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec un contentieux pénal important pour la première et un contentieux civil lourd pour la seconde, notamment sur les questions foncières et familiales. Or, le coût des liaisons aériennes pour acheminer les membres du tribunal à Marigot ainsi que les temps et effectifs consacrés aux escortes grèvent fortement l'organisation de la juridiction.
Les rapporteurs invitent donc le ministère de la justice à conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice dans cette collectivité.
Proposition n° 10 : Conduire une réflexion sur la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin.
(2) Un immobilier judiciaire en souffrance
L'attention des rapporteurs a été attirée sur la vétusté des locaux abritant la cour d'appel et le tribunal judiciaire de Basse-Terre, au sein du palais de justice de Basse-Terre, édifié en 1934 et classé aux monuments historiques. Selon le ministère de la justice, un vaste projet d'extension du tribunal et de réhabilitation des locaux historiques a été décidé, pour un montant global est de 77,2 M€ avec une livraison échelonnée entre 2027 pour l'extension et 2029 pour la réhabilitation du palais historique.
Les locaux actuels apparaissent en effet inadaptés à une justice moderne et les rapporteurs insistent pour que les projets soient bien menés à leur terme dans les délais prévus, tant pour assurer un accueil adapté des justiciables que pour offrir un cadre de travail décent aux personnels, magistrats comme fonctionnaires, des juridictions.
Proposition n° 9 : Mener à leur terme dans les délais prévus la restructuration et la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre.
Quant à eux, les locaux du tribunal judiciaire de Fort-de-France s'avèrent être particulièrement inadaptés aux conditions climatiques auxquelles ils doivent faire face : importantes chaleurs au sein des salles et des bureaux, moisissures affectant les murs, sols et plafonds en raison de la porosité des matériaux aux pluies tropicales. En outre, les magistrates auditionnées ont alerté les membres de la mission sur les difficultés rencontrées dans la sécurisation des locaux du tribunal judiciaire qui le rendent poreux aux intrusions et aux dégradations volontaires, menaçant la sécurité des personnels judiciaires ainsi que des victimes, mis en cause, détenus et forces de sécurité intérieure.
En tout état de cause, au regard de la faiblesse des infrastructures judiciaires actuelles, les rapporteurs se félicitent de l'annonce faite par le garde des Sceaux, en mai dernier, de l'affectation dès septembre 2023 d'un coordinateur pour la zone Antilles, rattaché au secrétaire général du ministère de la justice, en matière de ressources humaines, de gestion des moyens techniques, logistiques et numériques ainsi que de l'immobilier judiciaire.
(3) Une justice administrative embolie
Si, en Guadeloupe, la juridiction administrative bénéficie de locaux neufs et, de ce fait, fonctionnels, l'attention de la délégation a été attirée sur les difficultés de recrutement pour pourvoir les postes au tribunal administratif de Basse-Terre.
Il est fait état d'une croissance, dans les dernières années, de 10 % par an des référés libertés en matière de contentieux des étrangers, qui constitue près du tiers de l'activité du tribunal23(*), du fait de l'immigration essentiellement haïtienne. Le président du tribunal s'est à cet égard interrogé, en termes d'impact sur l'immigration irrégulière, sur la pertinence des dispositions spécifiques à la Guadeloupe24(*) qui prévoient que le recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) n'est pas suspensif d'exécution et rendent ainsi nécessaire l'introduction d'une demande tendant à obtenir le sursis à l'exécution de la mesure d'OQTF.
b) La question carcérale
(1) Sur-occupation et indignité chroniques des établissements
La situation pénitentiaire dans les territoires des Antilles se caractérise de longue date par une sur-occupation chronique des établissements et, jusqu'à récemment, par des structures de détentions indignes.
Lors de son déplacement en Guadeloupe, la délégation s'est rendue au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. L'établissement, livré en 1996, connaissait alors un taux d'occupation de 140 %, avec 684 détenus pour une capacité théorique de 491 places. En revanche, ce taux était, pour le quartier maison d'arrêt, de 149 % avec 173 détenus pour 116 places25(*). Pour autant, un seul recours pour indignité des conditions de détention a été introduit sur le fondement de la loi n° 2021-403 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.
Comme dans d'autres centres pénitentiaires, la violence est présente, liée au racket, à la présence de stupéfiants, et à la cohabitation de représentants de bandes rivales. Selon la direction, l'équipe locale de sécurité pénitentiaire est ainsi amenée à intervenir au moins une fois par mois. Malgré les équipements déployés et le glacis autour de l'établissement, les projections sont nombreuses et des livraisons de drogue par drones ont été recensées, conduisant à la mise en place d'un système antidrone pour 140 000 euros.
Si l'établissement essaie de développer l'offre de formation aux détenus, en lien avec le conseil départemental, il ne propose pas l'exercice d'activités en ateliers, aucune entreprise n'étant présente sur le site. Le bâtonnier de la Guadeloupe a, de son côté, fait valoir l'indigence des services pénitentiaires d'insertion et de probation dans ce territoire, qui privait d'accompagnement les détenus en fin de peine.
Lors de son déplacement en Martinique, la mission s'est rendue au centre pénitentiaire de Ducos dont la construction des différents sites n'a pas été linéaire, multipliant les difficultés de sécurisation et d'aménagement des locaux pénitentiaires. L'établissement connaissait alors un taux d'occupation de 120 % avec 975 détenus pour une capacité théorique de 736 places. Malgré ce taux d'occupation carcéral élevé, aucun contentieux lié aux conditions de détention n'a été introduit à l'exception d'un référé contestant les premières mesures appliquées pour faire face à la pandémie de la covid-19 en avril 2020 imposant à l'ensemble des détenus - comme des personnels pénitentiaires - le port du masque.
Auditionné par la mission, le directeur de l'établissement pénitentiaire s'est fait l'écho des difficultés à installer durablement des activités et des formations au sein de ce centre pénitentiaire. En effet, en raison de l'éloignement du centre des installations industrielles, il est très difficile de trouver des concessionnaires pour permettre l'emploi des détenus : lors de la visite, seuls huit détenus étaient ainsi employés au sein du centre pénitentiaire, soit moins d'1 % de la population carcérale. Celui-ci a également alerté les rapporteurs sur le nombre croissant de détenus particulièrement signalés et dangereux, qui s'établit autour d'une quarantaine de profils, généralement des étrangers issus de gangs particulièrement dangereux issus du Venezuela, de Colombie et de Sainte-Lucie. Il a, à titre d'exemple, signalé que la seule évasion réussie depuis l'établissement a été commanditée par un gang particulièrement violent du Venezuela qui a fait usage d'armes lourdes pour contraindre les forces de sécurité à libérer le prisonnier.
Lors de son audition, le bâtonnier de Fort-de-France a estimé que l'une des raisons de cette surpopulation carcérale provenait d'une tendance des magistrats en Martinique à prononcer des peines aggravées par rapport à l'hexagone, alors même que cette île ne comporte ni centre de semi-liberté, ni centre éducatif fermé, ni mesures d'accompagnement à la sortie de prison. Selon lui, cette politique pénale serait en outre de nature à favoriser la récidive. Sans aller jusqu'à partager cette conclusion, le directeur du centre pénitentiaire de Ducos a fait part des mêmes difficultés dans le déploiement de peines alternatives et de mesures d'accompagnement à la sortie de détention. Il a, par exemple, signalé aux rapporteurs l'absence de desserte du centre pénitentiaire par des transports publics collectifs empêchant nombre de détenus de bénéficier de formations ou d'emplois situés en dehors des locaux pénitentiaires auxquels ils sont pourtant éligibles.
(2) Des réalisations en cours ou en projet
Face à la surpopulation chronique et à la vétusté du parc pénitentiaire, le ministère de la justice a engagé depuis plusieurs années des moyens importants pour une remise à niveau des établissements présents en Martinique et Guadeloupe.
En Martinique, l'établissement de Ducos a récemment fait l'objet d'une double extension : 160 places ont été livrées en 2016, suivies de 80 places en 2017. Le réaménagement de l'unité sanitaire et du service médico-psychologique régional a donné lieu à une étude de faisabilité. En outre, la construction d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places - dont 30 places de semi-liberté - est lancée : le marché a été notifié pour une livraison prévue en 2024.
La Guadeloupe devrait connaître deux réalisations majeures dans les prochaines années :
- la démolition de la très vétuste maison d'arrêt de Basse-Terre et sa reconstruction sur le même site - contigu à la cour d'appel - devraient intervenir, selon la direction de l'administration pénitentiaire, à l'horizon 2025. La nouvelle maison d'arrêt devrait être dotée d'une capacité de 200 places, accueillant seulement des détenus hommes majeurs. 178 de ces places seraient affectées au régime maison d'arrêt, 12 places en quartier arrivants et 10 places en semi-liberté ;
- le centre pénitentiaire de Baie-Mahault devrait faire l'objet d'une extension majeure, avec la création de 300 nouvelles places réparties en deux quartiers maison d'arrêt, un quartier d'accueil et d'évaluation et un quartier de semi-liberté ainsi que la reconstruction du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement. Le garde des Sceaux a posé la première pierre de cette extension le 17 mai dernier. Dans un second temps, une réhabilitation des bâtiments abritant les fonctions supports existantes devrait être réalisée pour répondre aux besoins liés à l'accroissement de capacité du centre.
La collectivité de Saint-Martin réclame la présence sur l'île d'une prison, au regard du nombre de Saint-Martinois sous écrous à Baie-Mahault, qui ne peuvent recevoir la visite de leur famille compte tenu des frais de déplacement vers la Guadeloupe.
* 18 Selon les destinations, il s'agit de voiliers, de go-fast ou de navires de marchandises (via des containers).
* 19 Après un effort à saluer de « déstockage » des procédures en 2020, qui avaient alors atteint le chiffre de 20 000.
* 20 Rapport d'information n° 387 (2022-2023), La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite, de Nadine Bellurot et Jérôme Durain , fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023 p. 38. Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-387/r22-3871.pdf
* 21 Selon les informations communiquées aux rapporteurs, les navires naviguent vers des points de transbordement en pleine mer, au large des côtes sud-américaines, où la cocaïne est chargée sur le voilier, qui repartent directement pour effectuer une traversée transatlantique à destination de l'Europe.
* 22 Situations documentées dans le ressort d'autres juridictions à travers la France.
* 23 30 % de l'activité du tribunal administratif étant relatifs aux contentieux sociaux et 20 % de l'activité concernant les litiges de fonction publique.
* 24 Article L. 651-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Des dispositions similaires s'appliquent en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
* 25 Contre 98 % de taux d'occupation pour le centre de détention.