B. CONSACRER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN TANT QUE RELAIS DE L'INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE

1. Associer plus étroitement les collectivités à la mise en oeuvre de la politique publique d'intelligence économique

La déclinaison d'une stratégie nationale d'intelligence économique (SNIE) au niveau territorial repose sur la diffusion effective d'une culture de l'intelligence économique grâce à une coopération entre services de l'État et collectivités, et en particulier les régions, chefs de file en matière économique.

Associer plus étroitement les collectivités à la politique d'intelligence économique permettrait en effet de réconcilier la politique de sécurité économique actuellement mise en oeuvre sous l'autorité du préfet de région et le développement économique relevant de la compétence du conseil régional, pour développer une véritable démarche d'intelligence économique aux volets défensif et offensif.

Ce besoin d'association des collectivités a déjà été exprimé dans le cadre de la mise en oeuvre de l'actuelle PSE : en 2019, une circulaire du Premier ministre47(*) rappelait aux préfets de région la nécessité d'associer les conseils régionaux aux travaux visant à renforcer la sécurité économique dans les territoires. En pratique, cette association s'est matérialisée par la charte partenariale État-Région sur l'intelligence économique territoriale et la sécurité économique signée le 18 décembre 2019 qui préconisait, au titre de ses modalités de mise en oeuvre, la tenue « au moins une fois par an d'un comité stratégique régional rassemblant les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises ». Dans certaines régions, ce comité a pu prendre la forme d'un comité stratégique d'intelligence économique territoriale (CRIET) coprésidé par le préfet de région et le président du conseil régional rassemblant tous les acteurs régionaux de l'intelligence économique : services de renseignement, DISSE, délégués régionaux de l'ANSSI, conseil régional, chambres de commerce et d'industrie, pôles de compétitivités, universités, etc.

Or, lors de leurs auditions, les rapporteurs ont pu constater que ces comités ne sont pas mis en place dans toutes les collectivités et ne se réunissent pas annuellement. En région Normandie par exemple, pourtant une région dont la démarche d'intelligence économique est très avancée, ce CRIET créé en 2017 ne s'est pas réuni depuis 2020. Les CRIET annuels ne remplacent pas non plus la coopération au quotidien : aujourd'hui, les collectivités ne participent pas aux comités départementaux de sécurité économique animés par le DISSE et le référent départemental à la sécurité économique. Elles sont donc limitées dans le suivi opérationnel des entités sensibles de leur territoire. Pour y remédier, certains territoires ont mis en place des instances ad hoc où la région et les services de l'État coopèrent : en Bourgogne-Franche-Comté, l'Agence économique régionale (AER) et les services de l'État ont des échanges réguliers au sein d'une Cellule de veille et d'alerte qui se réunit tous les 2 mois pour partager l'actualité des entreprises stratégiques de la région et les risques liés à certains investisseurs étrangers.

D'autres avancées témoignent de la prise de conscience croissante de la nécessaire coopération de l'État et des régions en matière de sécurité économique. La charte partenariale conclue en mars 2021 entre l'État et Régions de France prévoit ainsi :

- la circulation de l'information entre l'État et les régions via l'élaboration conjointe d'un dispositif actif d'alerte et de veille permettant la circulation de l'information entre préfets de région et collectivités ;

- la formation et le développement d'une culture commune via des actions conjointes de sensibilisation et de formation à destination des agents territoriaux concernés, l'organisation conjointe de rencontres pour les acteurs économiques et la conduite de « toute réflexion permettant l'émergence et la consolidation d'une culture commune de l'intelligence économique territoriale et en particulier de la sécurité économique et le développement d'outils partagés » - par exemple, des dispositifs d'échanges sécurisés d'information, des grilles d'analyse ou un référentiel commun en matière de confidentialité ;

- l'analyse et la prospective via la diffusion des notes, synthèses, analyses et diagnostics ;

- l'organisation et la mise en oeuvre d'un dialogue permanent. D'une part, au niveau central, il est prévu la tenue d'une rencontre annuelle entre représentants des Ministères concernés et des Régions. D'autre part, au niveau territorial, les préfets de région et les présidents de conseils régionaux coprésideront au moins une fois par an un comité stratégique régional rassemblant les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises - comme déjà préconisé en 2019.

Recommandation n 13 : afin de renforcer la coopération État-régions au service de la SNIE, systématiser la création dans chaque région d'un comité régional à l'intelligence économique (CRIE) qui pourrait avoir deux formations :

- une formation « plénière », qui serait coprésidée par les préfets de région et les présidents de conseils régionaux. Elle serait réunie au moins une fois par an et accueillerait tous les acteurs de l'intelligence économique ;

- une formation « restreinte », dédiée à la sécurité économique, qui associerait le conseil régional et se réunirait plus fréquemment sur des sujets opérationnels, notamment les menaces pesant sur les entreprises du territoire.

Ce CRIE assurerait le pilotage de la déclinaison territoriale de la politique publique d'intelligence économique (PPIE) et rassemblerait les représentants des services de l'État, des collectivités, des opérateurs économiques, de la recherche et des entreprises.

2. Renforcer la mobilisation et la sensibilisation, aujourd'hui contrastées, des collectivités territoriales en matière d'intelligence économique

Si la prise en compte des enjeux d'intelligence économique par les régions est croissante, en lien avec la consécration par la loi dite « NOTRe » de 201548(*) du rôle de la région comme chef de file en matière de développement économique, cette prise en compte demeure fortement contrastée selon les régions considérées.

Certaines régions, à l'instar de l'Île-de-France, de la Bourgogne-Franche-Comté ou de la région Normandie sont, compte tenu de leur tissu économique et de leur géographie, historiquement très mobilisées sur les enjeux d'intelligence économique. Au sein de ces collectivités ont donc été mises en oeuvre un certain nombre de bonnes pratiques qui gagneraient à être partagées avec d'autres collectivités.

La Bourgogne-France-Comté dispose d'une industrie très implantée. En sus de ses comités régionaux et départementaux à la sécurité économique, elle réunit annuellement son CRIET associant le conseil régional et a mis en place un réseau d'experts de la veille depuis 2018 : une vingtaine d'acteurs (pôles de compétitivité, représentants des filières et des entreprises, etc.) échangent des bonnes pratiques en matière de veille, et éventuellement mutualisent des outils. L'Agence Économique Régionale dispose par ailleurs d'un service « Intelligence économique et territoriale » qui produit régulièrement des enquêtes et peut réaliser des études au service de ses actionnaires, à savoir la Région et ses intercommunalités.

La région Normandie se distingue quant à elle par une forte concentration en sites industriels de grands groupes comme Renault, Stellantis, Orano, Thalès, Safran, Danone, Naval ou encore Sanofi. Le secteur industriel représente ainsi 20 % de la valeur ajoutée régionale tandis que 36 % du PIB régional est consacré à l'exportation et que 86 sites sont classés SEVESO.

En 2016, la Normandie a été retenue en tant que «  région pilote de l'Intelligence Économique Territoriale » aux côtés des régions Grand Est, Nouvelle-Aquitaine et PACA. C'est aussi en 2016 qu'a été créée une mission Stratégie et prospective en intelligence économique (SPIE) rattachée au directeur général adjoint « Économie » dont l'objectif est d'intégrer de manière opérationnelle et transversale l'intelligence économique dans tous les sujets traités. Cette mission réalise des notes d'alerte sur des sujets émergents, des notes d'analyse et un bulletin de veille hebdomadaire. Le dispositif d'intelligence économique de la région Normandie repose aussi sur une dimension plus proactive de développement économique portée par l'Agence de développement pour la Normandie qui soutient l'implantation d'entreprises nouvelles en accompagnant les programmes investissements et la création emploi. Une « team France export » a aussi été mise en place suite à une convention de partenariat avec Business France. En 2019 et 2020, la Région a organisé les « rencontres régionales de l'intelligence économique » pour les entreprises normandes.

La Normandie, un territoire pionnier de l'intelligence économique

À partir de la publication du rapport Martre en 1994, l'intelligence économique s'est rapidement déclinée à l'échelle de la région Normandie, notamment sous l'impulsion du préfet du Calvados Rémy Pautrat entre 1996 et 1998. La région Normandie a accueilli les premières assises de l'intelligence économique en 1997, donnant lieu au premier schéma d'intelligence économique État-région.

L'ex-région Basse-Normandie a ainsi mis en place ses premiers Schémas régionaux d'intelligence économique à partir de 2000.

À l'échelle de la région Normandie, le premier comité stratégique d'intelligence économique territoriale, copiloté par l'État et la région a eu lieu en 2017. Il a été suivi de comités opérationnels en 2017 et en 2018, aboutissant à une cartographie des formations, des ressources et des moyens en intelligence économique mobilisables dans la région.

Outre l'association aux travaux des préfectures en matière d'intelligence économique (cf. ci-dessus), l'élaboration d'une stratégie propre d'intelligence économique au niveau des régions est la clé pour favoriser l'appropriation de ces sujets. À cette fin, les « schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) », introduits par la loi NOTRe et qui fixent les grandes orientations de la région en matière économique, sont un support pertinent : ils doivent en effet inclure des informations sur la politique d'aide aux entreprises, de soutien à l'innovation et d'internationalisation. Un volet « intelligence économique » peut ainsi aisément s'insérer au sein de ces SRDEII en soutien à ces trois sujets.

Or, les travaux de la mission d'information ont mis en évidence que parmi les régions métropolitaines ayant publié leur SRDEII 2022-2028, seules 5 régions présentent une démarche d'intelligence économique au sein de leur SRDEII. 3 régions mentionnent l'intelligence économique sans pour autant l'intégrer dans une démarche ou stratégie dédiée. Une région mentionne la sécurité économique comme enjeu clé pour accompagner le développement économique territorial.

Quelques exemples d'intégration de l'intelligence économique
au sein des SRDEII

Le SRDEII 2022-2028 de la région Normandie se structure autour de 8 piliers de développement économique, dont le 7ème est l'intelligence économique. Un volet du SRDEII entend donc « intensifier la dynamique régionale d'Intelligence économique et de Maîtrise des risques » en créant le comité régional à l'information stratégique et à la sécurité économiques copiloté par la Région et par l'État (annoncé par la charte partenariat entre Régions de France et l'État en 2021), en élaborant une feuille de route de l'intelligence économique territoriale, en massifiant les actions de veille, de benchmark et d'influence, en mettant en place une offre de services d'intelligence économique stratégique pour accompagner les prises de décisions des acteurs de la gouvernance économique régionale et enfin, en intégrant la brique intelligence économique dans les programmes d'actions des pôles de compétitivité et filières ainsi que dans les parcours des accélérateurs.

En Île-de-France, le SRDEII 2022-2028, dénommé « Impact 2022-2028 » mentionne lui aussi au sein de son Axe 1 « Défendre notre souveraineté industrielle, numérique et alimentaire » la création d'un comité régional à l'information stratégique et à la sécurité économiques copiloté par l'État et la région pour permettre des échanges sur l'intelligence économique et la sécurité économique. Ce comité permettra de « centraliser l'information sur les entreprises menacées par les prises de contrôle opportunistes et informer et sensibiliser ces dernières aux risques d'ouverture de leur capital ». Il serait coprésidé par le préfet de région et la Présidente du conseil régional. Le plan prévoit aussi la mise en place d'un suivi des entreprises stratégiques pour protéger les savoir-faire et le patrimoine immatériel de la région.

Recommandation n° 14 : introduire un volet « intelligence économique » dans tous les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII).


* 47 Circulaire du Premier ministre du 16 juillet 2019, relative au dispositif rénové de sécurité économique de l'État en date du 16 juillet 2019 relative au dispositif rénové de sécurité économique de l'État.

* 48  Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.