C. ...RENDENT NÉCESSAIRES DES INVESTISSEMENTS SUR LE PATRIMOINE IMMOBILIER DES COLLECTIVITÉS QUI SONT CEPENDANT SUSCEPTIBLES D'ÊTRE COMPROMIS EN RAISON DE LA CONJONCTURE DES FINANCES LOCALES
1. De nombreux investissements à réaliser par les collectivités...
a) Un cout estimé à 12 milliards d'euros par an
Face à l'inflation énergétique, à un parc immobilier énergivore et à des obligations encadrées de baisse de consommation dans un objectif de décarbonation, les collectivités territoriales doivent accélérer leurs investissements en faveur de la transition écologique.
Aussi, au regard du niveau de consommation énergétique des collectivités territoriales, leur rôle est essentiel dans la transition écologique engagée au niveau national.
Selon l'analyse effectuée par l'Institut I4CE6(*), si l'on s'en tient aux seuls investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), le besoin d'intervention des collectivités territoriales peut être évalué à 12 milliards d'euros par an, ce qui représente environ un cinquième de leur budget d'investissement global.
Dans cet ensemble, les trois principaux postes de dépenses identifiés par l'Institut sont la mise en place d'aménagements cyclables (3,3 milliards d'euros), les transports en commun et la mobilité ferroviaire (3 milliards d'euros) ainsi que la rénovation énergétique des bâtiments publics (2,7 milliards d'euros).
Au plan méthodologique, il convient cependant de noter que ces estimations ont été réalisées sous hypothèse de modèle de financement des investissements. En d'autres termes, la part des collectivités territoriales dans le financement de tel ou tel équipement resterait inchangée par rapport à la situation actuelle. Cela explique la relativement faible part des transports en commun dans ces priorités, alors même qu'il s'agit d'un enjeu déterminant de la transition écologique, dans la mesure où bien que ceux-ci soient gérés par des intercommunalités en leur qualité d'autorités organisatrices de la mobilité, les subventions des collectivités territoriales représentent une part minoritaire de leur financement assuré, par ailleurs, par des ressources fiscales (versement mobilité) et tarifaires.
Besoins d'investissement des collectivités
locales pour le climat par secteur
(par an pour la période
2021-2030)
(en milliards d'euros)
Source : institut I4CE
L'institut estime qu'environ 5,5 milliards d'euros d'investissements « climat » sont réalisés aujourd'hui par les collectivités. Ainsi, les collectivités devraient, chaque année, dès aujourd'hui et jusqu'en 2030, réaliser environ 6,5 milliards d'euros d'investissements « climat » additionnels. Le besoin d'accélération des investissements est particulièrement fort dans les aménagements cyclables (2,3 milliards d'euros par an) et dans la rénovation énergétique des bâtiments publics (1,4 milliard d'euros par an), mais aussi dans le ferroviaire et dans l'efficacité énergétique de l'éclairage public (800 millions d'euros par an chacun).
Écart entre les investissements actuels et les besoins d'investissement des collectivités pour atteindre les objectifs de la SNBC d'ici 2030
(en milliards d'euros)
Source : institut I4CE
Dans une acception plus large de la transition écologique, au-delà de la seule lutte contre le réchauffement climatique, c'est-à-dire en incluant l'ensemble de la taxonomie verte européenne7(*), les collectivités territoriales restent au coeur du processus de « verdissement » de l'économie en raison des compétences qu'elles exercent.
Ainsi, les montants d'investissement, en tenant compte de l'ensemble des actions des collectivités ayant un impact sur l'environnement, pourraient s'établir bien au-delà des 12 milliards d'euros susmentionnés.
Taxonomie européenne des dépenses
favorables à l'environnement
et comparaison avec les domaines de
compétences des collectivités
Axe de la taxonomie européenne |
Domaines d'intervention des collectivités territoriales (exemples) |
Atténuation du changement climatique |
Électrification des transports publics et mobilité du quotidien |
Adaptation au changement climatique |
Rénovation thermique des bâtiments scolaires |
Protection des ressources en eau |
Gestion des réseaux de distribution d'eau et d'énergie |
Économie circulaire |
Traitement des déchets ménagers et industriels |
Réduction et prévention de la pollution |
Mise en oeuvre de plans de protection de l'atmosphère |
Protection de la biodiversité |
Gestion des parcs naturels régionaux |
Source : commission des finances du Sénat
b) Un « mur » d'investissement face aux collectivités
Les investissements à venir, même si de nombreuses actions ont déjà été entreprises, devront donc porter :
- sur le bâti scolaire ;
- sur les bâtiments administratifs ;
- sur les locaux à usage de service public (gymnases, bibliothèques, piscines...) ;
- sur l'éclairage public et les systèmes de réseaux (eaux, chauffages, traitements des déchets...) ;
- sur les transports publics (développement des voies de mobilités douces, électrification des transports en commun...) ;
- sur la renaturalisation des zones urbaines.
Ces investissements présentent des besoins différents qui peuvent être classifiés ainsi :
- des rénovations légères à faible investissement financier mais permettant une meilleure maitrise des consommations d'énergie (comme la mise en place de régulateur de température, des détecteurs de présence pour l'éclairage des bureaux...) ;
- des rénovations intermédiaires avec un investissement significatif centré sur l'énergie avec un objectif de 30 à 40 % d'économie. Pour ces rénovations intermédiaires, le cout estimé par le Gouvernement est de 150 à 300 euros par mètre carré avec un retour sur investissement de 5 à 10 ans ;
- des rénovations globales avec des investissements patrimoniaux et des travaux de rénovation lourds avec un objectif de 60 % d'économie d'énergie. À titre d'exemple, sur la base d'un panel de 18 projets de rénovation globale au label BBC8(*) Rénovation, Effinergie9(*) estime à 540 euros par mètre carré SRT (surface thermique au sens de la règlementation thermique 2012), le montant relatif à la part rénovation énergétique, soit 41 % du coût total de la rénovation.
2. ...mais des incertitudes fortes pour 2023 sur les finances locales qui pourraient contraindre l'investissement des collectivités
a) Une situation relativement saine à fin 2022 mais contrastée selon les collectivités
À l'instar de l'exercice 2021, les marges de manoeuvre financières des collectivités territoriales ont continué à augmenter en 2022. Pour l'ensemble des niveaux de collectivités, épargne brute et épargne nette sont supérieures à leur niveau de 2021 :
- l'épargne brute en 2022 (38,7 milliards d'euros) est en progression par rapport à 2021 de 5,9 %. Elle est supérieure de 4,5 milliards d'euros à son niveau de 2019, dépassant ainsi largement son niveau d'avant-crise ;
- l'épargne nette (soit l'épargne brute après déduction des remboursements de dette) est également en augmentation, de +8,8 % par rapport à 2021 et supérieure de 4 milliards d'euros à son niveau de 2019.
Enfin, la trésorerie des collectivités (solde positif du compte du Trésor) est toujours en progression, à 57,2 milliards d'euros contre 56,6 milliards d'euros en 2021, pour les trois niveaux de collectivités.
Évolution des principaux ratios financiers
des collectivités
entre 2021 et 2022
|
2021 |
2022 |
Évolution 2021/2022 |
Recettes réelles de fonctionnement |
214,3 |
224,5 |
4,76 % |
Dépenses réelles de fonctionnement |
177,7 |
185,7 |
4,50 % |
Capacité d'autofinancement brute |
36,6 |
38,7 |
5,74 % |
Épargne nette |
22,5 |
24,5 |
8,89 % |
Dépenses réelles d'investissement |
71,7 |
75,7 |
5,58 % |
Trésorerie |
56,6 |
57,2 |
1,06 % |
Source : commission des finances du Sénat à partir des données DGFIP
Cette situation globalement positive ne doit cependant pas masquer des disparités territoriales importantes. Ainsi, environ 6 000 communes ont une épargne nette négative. De même, certains départements sont dans une situation financière très tendue. À titre d'exemple, le département des Ardennes présente des DMTO faibles (95 euros par habitant soit quatre fois moins que les départements les mieux pourvus après mise en oeuvre du dispositif de solidarité). Parallèlement, les aides à la personne représentent, dans ce département, 424 euros par habitant contre 345 euros pour la moyenne de la strate.
b) Des incertitudes importantes pour l'année 2023
Si l'évolution des finances des collectivités territoriales est globalement positive en 2022, l'exercice 2023 reste incertain en raison d'un environnement économique et géopolitique à risque.
En premier lieu, même si l'inflation devrait ralentir au second semestre et si les cours du gaz et de l'électricité sont baissiers, les dépenses de fonctionnement devraient continuer à croître significativement en 2023 (effet année pleine et renouvellement de contrats).
Par ailleurs, après neuf années de hausses ininterrompues, une année 2021 exceptionnelle et une légère hausse en 2022, l'année 2023 pourrait marquer une baisse des recettes de DMTO en raison de la hausse des taux d'intérêt, de la baisse des prix de l'immobilier en ce début d'année 2023 et de la baisse du nombre d'emprunts immobiliers observée au 4ème trimestre 2022 qui pèsent sur le marché immobilier.
De surcroit, les collectivités seront confrontées, en 2023, à une hausse de leurs dépenses de personnel en raison de la revalorisation du point d'indice de 3,5 % intervenue par décret du 7 juillet 2022 et de 1,5 % à compter du 1er juillet 2023 et de leurs dépenses d'intervention (pour les départements) en raison de la revalorisation anticipée du RSA de 4 % prévue à l'article 9 de la loi n°2022-1158 du 16 aout 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat suivie par la revalorisation annuelle de 1,6 % au 1er avril 2023.
Enfin, la charge de la dette devrait augmenter en raison de la hausse prévisible des taux variables généralement indexés sur les indices du Livret A ou de l'Euribor 3 mois. Or, le taux d'intérêt du Livret A, est passé de 1 à 3 % entre février 2022 et février 2023 et celui de l'Euribor de 0,712 % et 2,783 % entre septembre 2022 et mars 2023.
Les nouveaux emprunts devraient également coûter plus cher aux communes en particuliers et aux collectivités en général, les taux d'usure leur étant applicables étant fixés ainsi pour mars 2023 :
- 4,91 % à partir du 1er mars 2023 pour les prêts à taux fixe d'une durée initiale supérieure à 2 ans et inférieure à 10 ans (contre 4,57 % le mois précédent) ;
- 4,85 % pour les prêts à taux fixe d'une durée initiale supérieure à 10 ans et inférieure à 20 ans (contre 4,51 % le mois précédent) ;
- 4,95 % pour les prêts à taux fixe d'une durée initiale supérieure à 20 ans (contre 4,60 % le mois précédent) ;
- 5,20 % pour les prêts d'une durée initiale supérieure à deux ans, à taux variable (contre 4,75 % le mois précédent).
c) Les possibles conséquences de la conjoncture sur le niveau d'investissement des collectivités
La hausse des prix de l'énergie couplée à celle des taux d'intérêt qui renchérit donc le recours à l'emprunt risque d'engendrer un renoncement des collectivités à certains projets d'investissement liés à la transition énergétique.
En effet, l'agence de notation américaine S&P (Standard & Poor's) prévoit un désendettement des collectivités après un pic en 2021 en raison des conditions de refinancement moins attractives et des incertitudes budgétaires et économiques. D'après les estimations de l'agence, l'encours de dette des collectivités a baissé de 3,6 % en 2022 et « anticipe la poursuite de cette tendance » en 2023 et 2024.
Dans ce contexte, « les collectivités locales vont faire face à une pression budgétaire » qui risque de générer une maîtrise des dépenses d'investissement. Alors qu'il y a eu une forte hausse de l'ordre de 5 % des investissements en 2022, S&P s'attend à un très léger recul des investissements d'environ 0,80 % en 2023 et encore davantage en 2024 avec une baisse de 3 %, à contre-courant des incitations à investir de la part des pouvoirs publics notamment dans le cadre de la rénovation énergétique.
Le développement des dotations de l'État en faveur de la transition écologique prend, dès lors, une importance primordiale afin de contribuer au financement des investissements des collectivités.
* 6 L'institut de l'économie pour le climat I4CE - Institute for Climate Economics - est un institut de recherche à but non lucratif qui contribue par ses analyses au débat sur les politiques publiques d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. Il a été fondé en 20152 par la Caisse des dépôts et l'Agence française de développement.
* 7 Classification des activités économiques au regard de six critères de durabilité définis par le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
* 8 Bâtiments basse consommation.
* 9 Le collectif Effinergie est une association créée en 2006 et reconnue d'intérêt général, qui a pour objectif de promouvoir les constructions et rénovations sobres en énergie et bas carbone.