B. ...DANS UN CONTEXTE D'INFLATION DES PRIX DE L'ÉNERGIE QUI PÈSE SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DES COLLECTIVITÉS...
1. Un niveau global historique d'inflation
L'inflation a atteint un niveau historique en 2022. En augmentation notable depuis janvier 2021 (principalement en raison des pénuries générées par les confinements de 2020 dans un contexte de crise sanitaire), elle s'est accentuée à partir de février 2022 à la suite du début de la guerre en Ukraine et se situe désormais à 5,9 % en glissement annuel en avril 2023 après un pic à 6,3 % en février 2023 et 5,7 % en mars 2023.
Évolution de l'inflation entre janvier 2019 et avril 2023
Source : Insee, le tableau indique l'IPC définitif de février, publié le 15 mars 2023, mais les prévisions des mois suivants ont été réalisées à partir de son estimation provisoire
Les produits sont différemment touchés par cette inflation. En premier lieu, les prix de l'énergie ont augmenté de 14,1 % entre février 2022 et février 2023.
L'inflation s'est ensuite diffusée à d'autres produits dont l'approvisionnement est sous tension (céréales, métaux...) générant une hausse du prix des produits alimentaires de 14,8 % sur cette même période.
À fin février 2023, l'inflation de 6,3 % se décomposait comme suit :
- les prix de l'énergie ont augmenté de 14,1 % ;
- les prix de l'alimentation de 14,8 % ;
- les prix des services de 3 % ;
- les prix des produits manufacturés de 4,7 %.
2. Une hausse spécifique des prix de l'énergie qui pèse lourdement sur les charges des collectivités
Au sein de la catégorie « énergie », des variations importantes sont mesurées entre les différents produits. Ainsi, les prix des combustibles liquides ou « fiouls domestiques livrés au domicile pour remplissage d'une cuve » ont augmenté de 70 % en un an, le gaz a augmenté de 30 %, le bois de 25 %.
Concernant spécifiquement l'électricité, d'une moyenne inférieure à 100 euros le mégawattheure (MWh) entre janvier 2020 et septembre 2021, les prix sont passés, en moyenne, à 230 euros le MWh entre octobre 2021 et avril 2023 atteignant un pic à plus de 740 euros le MWh en aout 2022.
Évolution du prix de l'énergie sur le marché de gros
(en euros par MWh)
Source : EPEX SPOT France
Or, les collectivités territoriales ne sont pas épargnées par cette inflation énergétique qui a des répercussions tant sur leurs charges de fonctionnement que sur leurs dépenses d'investissement, certains travaux voyant leurs coûts définitifs augmenter en raison de la hausse des prix de matériaux et des transports.
À l'intérieur d'une même catégorie de collectivités, l'impact de l'inflation énergétique peut varier dans des proportions importantes dans la mesure où il est multi factoriel. En effet, la hausse des charges et notamment des charges énergétiques pèse de manière différenciée en fonction des critères suivants :
- du niveau des services publics et modalités de gestion de ces services ;
- de la taille de la collectivité qui détermine la possibilité d'avoir accès au tarif réglementé de vente (pour les collectivités disposant de moins de dix salariés et de recettes de fonctionnement inférieures à 2 millions d'euros) ;
- de la date de renouvellement des contrats. Les collectivités dont les contrats de fourniture arrivent à échéance dans un contexte de forte volatilité du marché, sont les plus touchées. L'association Amorce indique, dans ce contexte, que la part consacrée à l'énergie dans le budget total des collectivités pourrait atteindre 10 à 15 % ;
- et, bien entendu, de l'état du parc immobilier des collectivités.
À cet égard, l'Association des petites villes de France (APVF) considère que dans certaines de ses communes membres les dépenses énergétiques ont bondi de 50 %. Pour l'Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ces hausses oscilleraient entre 30 % et 300 %. Dans une étude réalisée auprès des intercommunalités en janvier 2023, Intercommunalités de France a mis en lumière un doublement ou plus du montant de la facture énergétique pour les trois quarts des intercommunalités. Une intercommunalité sur deux rapporte un impact supérieur à 5 % sur ses charges de fonctionnement.
De surcroit, comme l'indique le rapport d'information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat sur « la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales »3(*), cette augmentation des prix de l'énergie devrait se poursuivre dans un contexte d'installation dans le temps de la guerre russo-ukrainienne et de renouvellement du parc nucléaire français.
3. Des boucliers tarifaires qui ne couvriront que partiellement les hausses de prix de l'énergie subies par les collectivités
Pour aider les collectivités face à ces hausses de prix, l'État a mis en place plusieurs outils.
En effet, en 2022, un bouclier tarifaire se composant de trois mesures a été instauré pour permettre de limiter la hausse des Tarifs réglementés de vente (TRV) à 4 % TTC :
- une baisse de l'accise sur l'électricité (ancienne taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ou TICFE) à la limite des minima fixés par la directive sur la taxation de l'énergie, soit 0,5 euro MWh pour les professionnels et 1 euro le MWh pour les particuliers, contre 22,5 euros le MWh en 2021 ;
- une hausse exceptionnelle du plafond de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH). Le plafond réglementaire de l'ARENH vendu par EDF aux fournisseurs alternatifs est de 100 térawatt-heures (TWh) au prix de 42 euros le MWh. Pour l'année 2022, le Gouvernement a décidé d'ajouter 20 TWh à ce plafond au prix de 46,5 euros le MWh. Cela limite la part d'électricité que les fournisseurs alternatifs doivent acheter sur les marchés de gros à un prix alors beaucoup plus élevé ;
- le plafonnement par voie réglementaire à 4 % de la hausse du niveau des TRV calculé par la CRE.
Pour 2023, la hausse des TRV a été limitée à 15 %. La réduction de la TICFE a, par ailleurs, été prolongée jusqu'au 31 janvier 2024. En revanche, la hausse du plafond réglementaire de l'ARENH n'a pas renouvelée.
De surcroit, à partir du 1er janvier 2023, la loi de finances initiale (LFI) pour 20234(*) a prévu la mise en place de « l'amortisseur électricité ». Il est destiné aux très petites entreprises, aux petites et moyennes entreprises (TPE/PME) et aux collectivités territoriales qui ne sont pas éligibles aux Tarifs réglementés de vente (TRV).
Pour la moitié des volumes consommés, le prix de l'électricité hors coût d'acheminement et hors taxes est ramené à 180 euros le MWh s'il est supérieur, dans la limite d'une réduction de 320 euros le MWh et d'un plafond de prise en charge annuelle de 2 millions d'euros.
Un dispositif complémentaire dit de « sur-amortisseur » ou « garantie 280 » a également été instauré par voie réglementaire pour les TPE et petites communes non éligibles aux TRV qui ont renouvelé leur contrat de fourniture d'électricité en 2022. Il leur garantit un prix de l'électricité de 280 euros par mégawattheure (ou 230 euros hors TURPE) sur l'année 2023.
Enfin, pour les collectivités les plus en difficulté, le législateur a mis en place deux filets de sécurité successifs pour 2022 et 2023.
Un premier filet de sécurité a été adopté dans la loi de finances rectificative (LFR) de juillet 20225(*) dont l'article 14 prévoit d'instituer un nouveau prélèvement sur recettes visant à compenser partiellement au bloc communal les hausses générées par la revalorisation du point d'indice ainsi que la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation. Cette compensation est égale à une fraction de 70 % des hausses de dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain et d'achats de produits alimentaires.
Un deuxième filet de sécurité a été adopté lors de la LFI 2023 (article 113). Il prévoit qu'au titre de l'année 2023 est institué, par prélèvement sur les recettes consistant, pour chaque collectivité territoriale ou groupement bénéficiaire, une dotation égale à 50 % de la différence entre l'augmentation des dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain entre 2023 et 2022 et 50 % de celle des recettes réelles de fonctionnement entre 2023 et 2022.
Le versement de ces aides est cependant conditionné par le respect de plusieurs critères (baisse de l'épargne brute, potentiel financier inférieur à un certain seuil). Ces dispositifs sont donc très ciblés et visent à ne soutenir que les collectivités les plus en difficulté et seulement partiellement. À cet égard les rapporteurs spéciaux ne peuvent que déplorer que la position du Sénat, issue des travaux de la commission des finances, tendant à élargir le filet de sécurité 2023 au plus grand nombre de collectivités en supprimant les conditions d'accès au dispositif extrêmement restrictives fondées sur l'épargne brute, n'ait pas été retenue dans le texte définitif.
* 3 « Les collectivités territoriales face à la hausse du coût des énergies » Rapport d'information n° 836 (2021-2022) de Mme Françoise GATEL, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 27 juillet 2022.
* 4 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 5 Loi n° 2022-1257 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022