C. EXIGER UNE CLARIFICATION DE LA SITUATION JURIDIQUE DE TIKTOK VIS-A-VIS DE LA CHINE
Constat : la structure de l'entreprise ByteDance ne permet pas d'écarter le risque d'opérations (collecte de données, désinformation) au profit des autorités chinoises. Les mesures de restrictions déjà prises par les autorités françaises et celles de nombreux autres pays sont donc justifiées. Faut-il cependant aller plus loin ?
1. De précédentes tentatives de séparer TikTok du groupe ByteDance
Dans la continuité du débat engagé pendant la présidence de M. Donald Trump, l'administration démocrate de M. Joe Biden accorde désormais une importance renouvelée à la protection de la sécurité nationale, ce qui pourrait conduire à une vente de TikTok aux États-Unis, sous peine d'interdiction. Plus précisément, le Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CIFUS) viserait les 20 % (et beaucoup plus en termes de droits de vote) du capital du groupe ByteDance immatriculé aux îles Caïmans qui sont toujours détenus par des fondateurs chinois de TikTok.
Les réactions suscitées par ce nouveau durcissement de l'administration américaine vis-à-vis de TikTok confirment les craintes exprimées, à de nombreuses reprises, par cette commission d'enquête. Comme le résume le député européen M. Raphaël Glucksmann : « Quand le gouvernement chinois prévient qu'il ne laissera pas TikTok être vendu, cela veut bien dire que la structure officielle de propriété de TikTok ne reflète en rien le processus réel de décision. C'est tout le problème de ces régimes opaques. Si sur le papier la structure de propriété peut être majoritairement à l'extérieur de la Chine, il n'en demeure pas moins que c'est bien le parti communiste chinois qui décide des orientations prises »233(*).
De nouveau menacé d'interdiction aux États-Unis, le groupe ByteDance avait déjà refusé, en 2020, une offre de rachat de la part de Microsoft, et a finalement pu continuer d'opérer sur le territoire américain. D'autres grandes sociétés américaines, telles qu'Oracle et Walmart, avaient également engagé des négociations avec le groupe ByteDance, sans succès.
2. Un contexte de rivalité sino-américaine mais des risques avérés
Cette offre de rachat n'est pas anodine, car elle s'inscrit dans un contexte de rivalités économiques, géopolitiques, commerciales, technologiques et numériques exacerbées entre la Chine et les États-Unis. Pour le chercheur M. Julien Nocetti, les déclarations de l'administration américaine viennent éclairer la politique chinoise des États-Unis : « Il s'agit de renforcer la sécurité, mais aussi de ralentir la conquête technologique de Pékin »234(*).
Hier avec la 5G, dont Huawei a été le révélateur et le catalyseur, aujourd'hui avec l'intelligence artificielle ou avec TikTok, la guerre économique à l'oeuvre entre la Chine et les États-Unis alimente indéniablement les débats et les tensions entre les deux pays. Avec TikTok, comme avec d'autres entreprises, la Chine conteste directement l'hégémonie numérique américaine, tout en renvoyant l'image d'une puissance qui réussit sur la scène internationale. Avec plus d'un milliard d'utilisateurs mensuels actifs, TikTok est aujourd'hui le premier réseau social au monde et l'application la plus téléchargée depuis 2020, ce qui n'est pas sans intérêt pour l'administration américaine, car la « force de frappe » par TikTok est relativement inédite.
Si ce contexte permet de mieux comprendre la pression actuellement exercée par les autorités américaines pour vendre TikTok, il n'en demeure pas moins que les craintes de l'administration américaine sont légitimes, en particulier concernant la gouvernance, la structure et la propriété du capital du groupe ByteDance. Ainsi, une séparation juridique nette entre le groupe ByteDance et TikTok serait de nature à bénéficier à l'ensemble des utilisateurs de TikTok dans le monde.
Recommandation n° 10 : Exiger de
Bytedance Ltd, maison mère de TikTok et société
immatriculée au sein du paradis fiscal des Iles Caïmans, la
transparence sur ses statuts et sur les droits de
vote à son conseil d'administration.
S'il
s'avère que la société est contrôlée par les
fondateurs chinois, demander à la Commission européenne d'exiger
de Bytedance, soit que les statuts de la société soient
modifiés pour mettre fin à ce contrôle des fondateurs, soit
que les parts de ceux-ci soient vendues.
* 233 Audition du 13 avril 2023.
* 234 Audition du 27 mars 2023.