C. DES MESURES ANNONCÉES PAR TIKTOK POUR RÉPONDRE AUX CRITIQUES SUR L'OPACITÉ DE L'ALGORITHME
La nouvelle législation européenne, le Règlement sur les services numériques159(*) (RSN), comprend des dispositions qui vont obliger les plateformes à mettre en place des mécanismes de partage de données avec les chercheurs et la société civile. Il sera possible de réaliser des audits en coopération avec les plateformes, notamment via les coordinateurs pour les services numériques qui seront désignés dans chaque État membre160(*). L'article 40 du règlement prévoit ainsi que les fournisseurs de très grandes plateformes expliquent, à la demande du coordinateur pour les services numériques, la conception, la logique, le fonctionnement et la procédure de test de leurs systèmes algorithmiques, y compris leurs systèmes de recommandation. Ces fournisseurs doivent également faciliter et fournir l'accès aux données par l'intermédiaire d'interfaces appropriées spécifiées dans la demande, y compris des bases de données en ligne ou des interfaces de programmation d'application.
TikTok ayant été désignée comme fournisseur de très grande plateforme par la Commission européenne le 25 avril 2023 et les obligations du RSN lui devenant applicable le 25 août 2023, elle ne peut faire autre chose qu'annoncer la mise en place d'un programme d'accès des chercheurs aux données avant la fin de l'année.
Ainsi Mme Marlène Masure auditionnée par la commission d'enquête a-t-elle déclaré : « les interfaces de programmation d'application (API) sont en cours de développement à destination de chercheurs, d'universitaires, de scientifiques, d'experts. Elles doivent permettre de mieux comprendre, à la fois, la plateforme et nos pratiques en termes de modération. Celle qui permettra de mieux comprendre la plateforme est en test aux États-Unis et arrivera en Europe dès la fin de l'année. Cet outil a été bêta-testé par le MédiaLab de Science Po ».
Selon Mme Marlène Masure, ces API « arrivent à une étape assez logique de maturité et de développement de la plateforme ». M. Eric Garandeau semble tout aussi « allant » : « nous souhaitons aussi employer cette logique de tiers de confiance, qu'on utilise pour la sécurisation des centres de données, afin d'auditer nos algorithmes de recommandation, nos algorithmes de modération ou même ce que nous faisons en matière commerciale ».
Ce discours de TikTok tend à habiller l'obligation imposée par le RSN en démarche volontaire et presque altruiste de la plateforme. Il paraît pourtant difficile de croire que TikTok aurait lancé une API sans l'aiguillon de la Commission européenne.
TikTok semble avoir compris l'intérêt de ces API qu'elle entend utiliser afin :
- d'améliorer ses revenus publicitaires : Marlène Masure espère que les API permettront d'apporter un éclairage supplémentaire sur l'impact des campagnes publicitaires. Le MédiaLab de Sciences Po a d'ailleurs travaillé en bêta test sur une API qui concernait les bibliothèques de vidéos commerciales ;
- de prouver qu'il n'y a pas de propagande ou de censure chinoise : M. Eric Garandeau a cité un rapport de la Georgia Tech University, indépendante et qui travaille pour le Pentagone, assurant « qu'il n'y a pas de censure ou de propagande de la Chine ou d'autres pays sur TikTok ».
L'ARCOM, la Commission européenne et la communauté scientifique devront veiller à ce que la promesse d'accès aux données soit bien tenue dans les délais et que TikTok ne cherche pas à susciter les sujets de recherche uniquement sur les thèmes qui l'intéressent.
* 159 Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).
* 160 Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique prévoit de nommer l'ARCOM coordinateur pour les services numériques en France.