B. MIEUX RESPONSABILISER CHAQUE ACTEUR DE LA CHAÎNE DANS LA LUTTE CONTRE LES PÉNURIES

1. Placer le critère de la sécurité d'approvisionnement au coeur des pratiques d'achat hospitalier

Le marché hospitalier régulé représentait, en 2021, près de 30 % du marché administré du médicament ; le levier de la commande publique hospitalière est donc loin d'être négligeable.

Il est crucial, à cet égard, de détourner la mise en oeuvre du programme Phare (Performance hospitalière pour des achats responsables) du seul critère de l'efficience économique pour placer au premier rang la promotion d'un achat sécurisé et souverain. Il faut donc faire des acheteurs hospitaliers, du côté de la demande, le bras armé de la réindustrialisation et de la souveraineté sanitaire.

Cela suppose de consacrer de nouveaux standards reposant sur des critères non strictement financiers (sécurité des approvisionnements, mais aussi qualité environnementale et sociale) pour sélectionner les attributaires des marchés et donner toute sa portée à la clause d'implantation européenne déjà inscrite dans le code de la commande publique.

2. Mieux adapter les modalités d'usage et de dispensation aux enjeux d'approvisionnement

La question des volumes de consommation et de l'encadrement des prescriptions est apparue centrale dans la réflexion du Gouvernement sur la régulation des produits de santé.

Certes, la France reste, par exemple, parmi les cinq principaux marchés européens, le plus important consommateur de paracétamol et d'amoxicilline, mais la consommation de médicaments y diminue depuis 2004 - seul pays européen dans ce cas -, en dépit de l'augmentation et du vieillissement de la population.

La promotion du bon usage doit notamment passer par la généralisation, attendue de longue date, du recours aux tests rapides d'orientation diagnostique (Trod), qui a en particulier toute sa place dans le combat contre l'antibiorésistance, récemment érigé en priorité de santé publique.

Quant à la « maîtrise médicalisée », elle est avant tout un vecteur budgétaire de réduction des dépenses de santé. En matière d'éducation à la santé, il faut préférer la qualité du temps médical disponible et la lutte contre les déserts sanitaires à la culpabilisation des professionnels.

3. Renforcer les obligations des industriels et contrôler davantage leur respect

Les dernières semaines ont vu la publication ou l'annonce de listes moins extensives que celle des MITM : « médicaments essentiels », « médicaments stratégiques sur les plans industriel et sanitaire ».

La question se pose de savoir de quelles obligations spécifiques ces listes s'assortiront, le ministre de la santé ayant promis une « vigilance accrue » et des « attentes plus importantes », ce qui sonne rétrospectivement comme l'aveu que la surveillance offerte par les outils attachés aux MITM - les plans de gestion des pénuries, en particulier - était insuffisante.

Sitôt publiée la liste des médicaments essentiels, sa méthode d'élaboration a suscité les plus vives critiques de la part de certaines sociétés savantes. La HAS, qui n'a pas été sollicitée, doit y être à l'avenir étroitement associée, ainsi que les sociétés savantes.

Les déclarations contradictoires du ministre de la santé

Le 13 juin au Parisien :
« Les industriels devront avoir quatre mois de stocks pour ces médicaments essentiels. Peut-être même plus pour certains. »

Le 15 juin devant la commission d'enquête :
« Il n'y a ni décision, ni choix, ni volonté de ma part de rapporter cette obligation de stocks de quatre mois à l'ensemble de la liste. »

L'effectivité d'un système d'obligations tient à la réalité des inspections et des sanctions dont il s'assortit. C'est donc sur l'efficacité du pouvoir de contrôle de l'ANSM, agence chargée de « mettre en musique » les politiques de prévention et de gestion des pénuries, que doit porter prioritairement l'effort.

Celle-ci est en effet altérée, sinon compromise, par un défaut de moyens humains et matériels que reflète la rareté des sanctions prononcées et la modestie des montants recouvrés, en dépit d'une situation de plus en plus préoccupante sur le front des pénuries. Il faut donc combler d'urgence la totale disproportion qui a cours actuellement entre les ressources allouées à l'Agence et les pouvoirs de contrôle et de sanction qu'elle est censée exercer.

L'inquiétant retard des autorités sanitaires sur la réalité des risques

À l'examen des PGP, il s'avère que certains médicaments figurant sur la liste des 422 produits - mais qui ne représentent que 151 molécules - dont le stock de sécurité doit être de quatre mois ne satisfont pas à cette obligation, mais qu'aucune sanction n'est pour autant prononcée. Inversement, les trois dernières sanctions financières prononcées par l'ANSM pour non-déclaration d'une rupture ou d'un risque de rupture concernent toutes des présentations qui ne figurent pas parmi ces 422 spécialités : c'est que la liste n'est pas établie au fil de l'eau, mais à l'occasion de campagnes générales renouvelées seulement tous les deux ans. La liste actuelle, publiée à l'automne 2021, s'appuie sur les ruptures observées en 2019 et en 2020. Elle ne prend donc pas en compte l'augmentation de plus de 50 % du nombre des ruptures entre 2020 et 2022.

Une autre instance publique de régulation doit être davantage mobilisée dans cette politique de responsabilisation des industriels : le CEPS. Mais il a pour le moment été impossible de faire prospérer les modestes tentatives faites, en PLFSS, pour contraindre les exploitants d'autorisations de mise sur le marché à maintenir l'accès aux médicaments matures qu'ils exploitent lorsqu'ils demandent l'admission au remboursement d'un nouveau médicament. On mesure ainsi toute la difficulté, dans le modèle actuel de négociation entre le CEPS et les laboratoires, à peser réellement sur les choix stratégiques des entreprises pharmaceutiques.

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