B. UNE DIVERSITÉ D'INTERLOCUTEURS POTENTIELS POUR LES COLLECTIVITÉS 

1. « Qui fait quoi ? »
a) De nombreux acteurs susceptibles de soutenir les projets des collectivités

Ainsi que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales l'a récemment relevé, l'ingénierie est désormais « portée par une pluralité d'acteurs locaux »130(*) : les départements, les intercommunalités, les régions, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d'urbanisme, les agences techniques départementales, les parcs naturels régionaux ainsi que des acteurs privés (selon la fédération professionnelle Syntec-Ingénierie, ce secteur concentre quelque 70 000 établissements employant près de 312 000 collaborateurs).

Parallèlement au recours aux services de l'État, dont Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, a souligné la disponibilité et l'implication, et au soutien apporté par les autres collectivités territoriales (régions, départements, EPCI), les élus locaux peuvent ainsi s'adresser à des acteurs très divers.

- Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) peut accompagner les acteurs locaux dans leurs projets en termes d'ingénierie et d'expertise technique dans un certain nombre de domaines liés à la transition climatique. Ce dispositif d'accompagnement est proposé aux collectivités adhérentes. Il joue à leur égard un rôle comparable à celui de leurs agences d'urbanisme. Le CEREMA compte aujourd'hui 634 adhérents - 80% des régions, 70% des départements et environ 250 à 350 intercommunalités et collectivités.

- L'Agence de la transition énergétique (ADEME) peut participer au financement d'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) qui réalise ensuite les études et missions nécessaires à la mise en oeuvre d'un contrat de performance énergétique. Elle finance aussi à hauteur de 50% la réalisation du schéma directeur immobilier énergétique (SDIE), sur la base d'un cahier des charges rédigé conjointement avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Elle est l'initiatrice du dispositif des conseillers en énergie partagés (CEP) et aide au financement de ces postes pendant les trois premières années avec un objectif de pérennisation.

- Les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) proposent une information aux collectivités territoriales et un partage des bonnes pratiques ainsi que des actions de sensibilisation et de formation à l'attention des décideurs, des usagers et des professionnels. Son réseau est impliqué depuis longtemps, à l'échelle départementale, dans la problématique du bâti scolaire.

Les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)

Créés par la loi sur l'architecture du 3 janvier 1977, ils ont pour missions : la qualité du cadre de vie, l'information, la sensibilisation, la formation et le conseil sur les questions d'architecture, d'urbanisme, d'environnement et de paysage. Ces missions sont exercées gratuitement et financées par une partie de la taxe d'aménagement.

Les publics visés sont larges : des élus et des collectivités aux particuliers, en passant par les professionnels et le public scolaire.

Le réseau des CAUE est impliqué de longue date, à l'échelle départementale, sur le sujet du bâti scolaire. C'est en effet une problématique transversale qui concerne à la fois les territoires urbains et ruraux, avec cependant d'importantes différences selon les territoires où le besoin en bâti scolaire varie selon des dynamiques démographiques différentes. Plus précisément, les actions des CAUE portent d'abord sur le bâti existant, avec l'accompagnement à la rénovation et à la réhabilitation, y compris des cours d'école, la question de l'intégration des usages ou encore la préservation de la qualité architecturale à travers la rénovation. Les CAUE interviennent également sur les projets futurs en encourageant des pratiques vertueuses d'architecture bioclimatique, de sobriété énergétique ou de mutualisation.

- L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) intervient essentiellement en matière d'ingénierie amont, plus particulièrement auprès des petites collectivités (communes de moins de 3 500 habitants et EPCI de moins de 15 000 habitants). Comme l'a indiqué le directeur général de l'ANCT lors de son audition par la rapporteure, l'intervention de l'ANCT permet aux collectivités de décliner un plan d'action qui sécurise la conduite de leur projet. Par la suite, les agences techniques départementales peuvent prendre le relais de son expertise.

Selon des témoignages d'élus adressés à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation131(*), le retour d'expérience est favorable :

- « Il apparait que l'opportunité ouverte par l'agence a permis la réalisation de projets qui étaient alors peu formalisés, mal définis, ou bloqués. Ces éléments sont d'autant plus appréciés que la collectivité ne disposait pas de solution locale pour l'ingénierie, notamment lorsque le projet était d'intérêt communal et n'avait pas vocation à être traité au niveau intercommunal » ;

- l'agence prend en charge à des niveaux très élevés le recours à une expertise privée (80 ou 100%), ce qui « permet à la collectivité d'accéder à une prestation qu'elle n'aurait jamais eu les moyens de s'offrir » ;

- la plupart des collectivités estiment que « les procédures ANCT sont assez rapides en comparaison avec d'autres circuits d'aides » : entre le moment de la demande et le résultat de son traitement, il se passe entre 10 et 30 jours » ; « le déclenchement de l'aide intervient dans les semaines qui suivent » ;

- il est exceptionnel qu'un avis soit négatif : « sur l'année 2022, il y a eu 5% d'avis défavorables ».

- La Banque des territoires, dont l'action sera évoquée dans la troisième partie, intervient également, parallèlement aux prêts qu'elle propose aux collectivités, pour apporter soutien à l'ingénierie territoriale et financière.

- Outre ces acteurs, FIN INFRA, mission d'appui au financement des infrastructures, qui dépend de la direction générale du Trésor du ministère de l'économie, a pour mission de conseiller les personnes publiques sur les aspects juridiques et financiers d'un projet d'investissement132(*).

Toutes les personnes publiques, l'État, les collectivités territoriales ainsi que les groupements de collectivités et établissements publics associés, peuvent saisir cette structure, laquelle a développé un partenariat avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

Les collectivités territoriales représentant une part très importante des dossiers traités par la mission. Ainsi, en 2022, 75 projets d'investissement ont été traités par FIN INFRA dont 48 étaient portés par des collectivités territoriales, soit près de 65% des interventions.

Toutefois, seuls les projets de plus de 5 millions d'euros y sont éligibles, ce qui est de nature à limiter la faculté de pouvoir recourir à cet appui.

FIN INFRA n'intervient en effet que sur des projets d'envergure. On peut citer, par exemple :

- la rénovation de 5 écoles pour la ville de Brest en 2018 ;

- le projet de rénovation de 21 lycées en Ile-de-France en 2019 ;

- le plan de rénovation des écoles de Marseille en 2023, qui représente un investissement à hauteur de 845 millions d'euros sur 8 ans, et qui doit permettre de rénover 188 écoles, avec une forte composante de rénovation énergétique. L'État apporte un soutien à hauteur de 400 millions d'euros.

- Le programme « Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique » (ACTÉE) a été mis en place pour appuyer les collectivités, notamment les plus petites, dans la réalisation de leurs projets de rénovation énergétique. Porté par le réseau des syndicats d'énergie et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), il met à disposition et finance des outils d'aide à la décision pour soutenir les collectivités dans leurs projets de rénovation énergétique des bâtiments, notamment les bâtiments scolaires. Il anime le réseau des économes de flux qui ont un rôle d'accompagnement des élus locaux dans leurs opérations de rénovation.

ACTÉE - Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique

Programme porté par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ACTÉE a pour objectif de mettre à disposition des collectivités des outils d'aide à la décision pour les aider à développer des projets de rénovation des bâtiments publics.

Il propose aux collectivités territoriales de :

- financer les projets de rénovation avec des outils concrets et opérationnels pour piloter et optimiser la rénovation énergétique de leurs bâtiments publics : aide aux diagnostics de votre patrimoine immobilier, plan d'actions et stratégies patrimoniales pluriannuelles, création de postes d'économe de flux pour assurer le suivi des travaux... ;

- identifier d'autres territoires porteurs de projets pour les regrouper et inscrire la rénovation énergétique dans le cadre d'une dynamique commune ;

- réduire les coûts en tirant parti de la mutualisation de moyens créée par le regroupement de syndicats d'énergie, de communautés d'agglomération ou de métropoles.

Deux types de projets de rénovation sont ciblés par ce programme : l'efficacité énergétique des bâtiments publics et les systèmes énergétiques efficaces et bas carbone.

- Les Agences locales de l'énergie et du climat (ALEC) sont des associations créées par les collectivités territoriales et leurs groupements pour conduire des activités d'intérêt général favorisant, au niveau local, la mise en oeuvre de la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elles sont reconnues dans le code de l'énergie, à l'article L. 211-5-1, pour accompagner les collectivités territoriales dans leur politique énergie-climat, dans une démarche neutre et indépendante. Elles jouent essentiellement un rôle d'« agences d'ingénierie mutualisées ».

Les Agences locales de l'énergie et du climat

Les ALEC sont fédérées dans un réseau (FLAME) qui mutualise l'action des agences et couvre ainsi 23 millions d'habitants. Plus de 600 salariés sont au service de 14 métropoles, 50 communautés d'agglomération et 200 communautés de communes.

Elles mettent leur expertise au service de l'intérêt général et possèdent une vision territoriale très étendue, qui leur permet de conjuguer de façon pertinente tous les enjeux de sobriété, d'efficacité énergétique et de développement d'énergies renouvelables, au bénéfice des collectivités territoriales.

Ce sont des agences d'ingénierie territoriale mutualisées qui permettent, selon l'ADEME, d'optimiser au maximum les effectifs de conseillers d'énergie partagés : « Nos agences sont portées par plusieurs niveaux de collectivités : ce sont des outils de proximité qui sont vraiment au service des élus locaux et favorisent l'émergence de projets en réunissant autour de la table tous les acteurs concernés par la rénovation thermique des bâtiments, qui est bien évidemment un élément clé de la transition énergétique que nous appelons de nos voeux.

Les ALEC ont accompagné plus de mille rénovations de bâtiments scolaires, ce qui leur permet d'avoir un retour d'expérience très concret et précis en la matière »133(*).

- Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), établissement public à caractère industriel et commercial fondé en 1947 pour accompagner la reconstruction d'après-guerre et garantir la qualité et la sécurité des bâtiments, contribue aussi à l'accompagnement des collectivités territoriales dans une démarche globale. Il mobilise son expertise en appui aux politiques publiques et en soutien aux acteurs et usagers du bâtiment et de l'environnement urbain. Par exemple, une expérience a été conduite dans le département du Var, avec la réalisation de diagnostics multicritères, de simulations de constructions et de scénarios de rénovation de collèges.

b) Des « écosystèmes » spécifiques à certains territoires

La pluralité des acteurs susceptibles d'accompagner les collectivités dans leur projet de rénovation ou de construction conduit ainsi à une organisation structurellement différente selon les territoires. En fonction des niveaux de collectivité, mais aussi d'un point de vue géographique, les schémas et l'articulation entre les acteurs sont parfois très éloignés les uns des autres, tout en permettant de répondre de manière satisfaisante aux besoins locaux.

Dans certains territoires, les élus font essentiellement appel aux agences locales de l'énergie et du climat (ALEC) ; ailleurs l'ADEME, la région ou un EPCI domine le paysage. Parfois aussi la collectivité choisit de s'engager dans des travaux d'amélioration de la performance énergétique en n'étant accompagnée que par un architecte et un bureau d'étude privé. Ce maillage très spécifique à chaque territoire est souvent identifié par les acteurs locaux et satisfait ceux-ci, comme le montrent certains témoignages recueillis par la mission d'information.

Les élus consultés en ligne par la mission d'information en avril 2023 ont cité les structures suivantes (pour ceux qui ont recouru à un accompagnement), tant publiques que privées : ALEC, ADEME, bureaux d'études, entreprises locales, CAUE, cabinets privés, syndicats départementaux de l'énergie, parcs naturels, agences de l'eau, agences techniques départementales, agences d'ingénierie départementales. L'État n'est pas absent (mention des sous-préfectures). Sont également régulièrement mentionnées les autres collectivités (départements, régions, EPCI, communautés de communes, pays)134(*). Certaines réponses font état du recours à différents partenaires pour le même projet (cabinet d'ingénierie et syndicat départemental de l'énergie ; syndicat départemental de l'énergie et ADEME ; cabinets d'études et ADEME ; CAUE et agence technique départementale ; cabinets d'études, architectes et ALEC, ALEC et conseil départemental...).

c) Une source de perplexité pour certains élus

Selon les témoignages reçus en ligne par la mission d'information, des élus se déclarent décontenancés par la dispersion de ces guichets ; ils témoignent de « difficultés à trouver le bon interlocuteur technique pour être bien conseillé et prioriser les actions » et appellent à une clarification de leurs rôles respectifs.

Si certains élus consultés en ligne par la mission d'information ont un jugement positif sur l'accompagnement dont ils ont bénéficié, cette diversité d'acteurs et la multiplicité des interlocuteurs susceptibles de soutenir leur projet ne sont cependant pas un gage d'efficacité universellement reconnu.

Des témoignages expriment ainsi des doutes sur l'efficacité opérationnelle de ces divers guichets : « Des conseils à foison, des préconisations, des aides pas vraiment » ; « Nous n'aurions pas pu faire ces travaux en faisant intervenir tout ce beau monde qui en général conseille, mais n'assume pas le coût de leurs préconisations ».

Signe de la complexité de la rénovation écologique des bâtiments scolaires, certains acteurs sont diversement appréciés : ainsi l'ADEME est parfois jugée « inaccessible », régie par des « conditions (...) trop contraignantes, (qui) changent tout le temps » ; les ALEC bénéficient de retours positifs, mais font aussi l'objet de critiques, de même que les acteurs privés comme les bureaux d'études, tantôt jugés « efficaces et performants », tantôt considérés comme responsables de dérives des coûts et dénués de « compétence opérationnelle », « dont les propositions ne sont pas applicables dans la réalité ».

d) Un risque de confusion : l'exemple des économes de flux et des conseillers en énergie partagés

La distinction entre les conseillers en énergie partagés et les économes de flux peut sembler déroutante au premier abord.

Le dispositif des CEP a été créé pour soutenir les collectivités territoriales qui ne disposent pas de suffisamment de moyens en ingénierie. Pour reprendre la définition proposée lors de la table ronde sur l'accompagnement des collectivités dans leurs projets de rénovation du bâti scolaire, le 13 avril 2023 à la préfecture de Meurthe-et-Moselle, le CEP est un « facilitateur d'économies d'énergie au sein d'une commune »135(*).

Les missions des conseillers en énergie partagés (CEP)136(*)

« Un CEP est avant tout un thermicien dont le poste est mutualisé pour intervenir dans une vingtaine de petites communes, généralement d'une taille moyenne de 1 000 à 1 500 habitants. Tout d'abord, ils réalisent un bilan-diagnostic pour évaluer l'état de l'ensemble du patrimoine - en particulier des bâtiments communaux, qui sont au nombre d'environ quinze par commune - et les flux en termes de consommation d'énergie, ce qui permet de détecter les erreurs de facturation et de formaliser des préconisations hiérarchisées. Ensuite, ils accompagnent les élus qui prennent l'initiative de réaliser un projet de rénovation : ceux-ci bénéficient alors d'une aide pour la rédaction de cahiers des charges, le choix de la maîtrise d'oeuvre et la recherche des aides mobilisables. Ce n'est pas de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), mais c'est tout de même un accompagnement de projet. Enfin, ils assurent le suivi des travaux en cours et évaluent leur impact sur la réduction de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre.

Au-delà de cet accompagnement que je qualifierai de bilatéral, une animation est également amorcée au niveau du territoire - qui peut être un bassin d'emploi, un département ou une communauté de communes - avec des actions groupées comme des achats en commun, la mise en réseau des acteurs, l'information, la sensibilisation et le retour d'expérience. »

Les économes de flux, qui relèvent du programme ACTÉE, porté par la FNCCR, ont pour mission de compléter le maillage territorial des conseillers en énergie partagés et d'apporter « une expertise complémentaire sur le plan du financement, élément essentiel pour favoriser le passage à l'action. D'où l'importance de ce conseil local en flux financiers, qui connait également le mécanisme des certificats d'économie d'énergie, les différentes aides mobilisables sur le terrain, les outils juridiques et financiers, y compris le contrat de performance énergétique (CPE) qui permet d'alimenter la réflexion des élus »137(*).

Le financement des économes de flux - le programme ACTÉE

Doté d'un budget de 220 millions d'euros, le troisième volet du programme ACTÉE comprend un volet financement des postes d'économes de flux avec notamment l'objectif de recruter 500 postes supplémentaires. Il est destiné à des secteurs plus spécifiques, notamment la sobriété dans les écoles. Le bâti scolaire devrait bénéficier de la création de postes dédiés, en partenariat avec la Banque des territoires.

Le programme ACTÉE a connu une montée en charge importante, puisqu'il n'était doté au départ, en 2019, que de 12 millions d'euros. Cependant, il devrait s'achever en décembre 2026. Lors de la première période du programme (2019-2021), 3,8 millions d'euros ont permis de financer (à hauteur de 50%) 56 postes d'économes de flux dans les territoires. Les résultats d'ACTÉE 2 seront connus au début de l'année 2024.

En principe, les missions des CEP sur un territoire ne doivent pas se trouver en concurrence avec les économes de flux et ces deux dispositifs sont supposés agir en complémentarité. Ainsi, en cas de demande d'effectifs supplémentaires d'économes de flux par une collectivité territoriale, la FNCCR s'assure de l'absence de CEP sur le territoire concerné.

En réalité, il ressort des auditions réalisées par la mission d'information que cette complémentarité est théorique :

- les conseillers en énergie partagés et les économes de flux sont des « cousins très proches »138(*), qui disposent d'une formation similaire, dispensée dans les mêmes écoles. À ce titre, ils peuvent alternativement exercer l'une ou l'autre profession et sont en quelque sorte interchangeables ;

- leurs activités varient aussi selon le type de territoire sur lequel elles s'exercent, rural ou urbain. « Par exemple, en territoire urbanisé, le besoin d'ingénierie est majoré et l'économe de flux intervient alors plus en amont et moins sur la maîtrise d'ouvrage. Il en va différemment dans la ruralité, comme en Bretagne, où le réseau des ALEC est plus développé : d'autres types d'acteurs vont alors se mettre en place avec une forme spécifique d'ingénierie. Nous fournissons donc des personnels qui sont, en quelque sorte, le carburant de l'action et il revient aux acteurs locaux de s'approprier ces outils nationaux »139(*).

2. Des inégalités entre les territoires
a) La situation des petites communes

Comme le relevait la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales dans un rapport de 2020 sur l'ingénierie dans les territoires, l'État s'est désengagé de l'ingénierie locale depuis le début des années 2000 pour deux raisons : « le changement de régime juridique des prestations d'assistance technique a fait entrer l'ingénierie traditionnellement fournie par l'État dans le champ concurrentiel et les règles des marchés publics » ; les réformes territoriales successives « ont conduit l'État à abandonner (...) les prestations de maîtrise d'oeuvre ». Pourtant, « le retrait des services de l'État ne s'est pas compensé symétriquement du côté des collectivités locales »140(*), qui ne disposent pas nécessairement de moyens autonomes, adaptés et dimensionnés aux enjeux actuels de l'action des collectivités territoriales.

L'accès à l'ingénierie est inégal en fonction de l'échelon territorial.

Les régions et les départements, comme l'ont souligné les représentants du réseau AMORCE141(*), sont les collectivités les plus en capacité de suivre les dossiers et les projets de rénovation des bâtiments scolaires. Ce constat a été confirmé par les représentants des associations d'élus lors de leurs auditions. Ainsi les régions disposent-elles, selon Régions de France, de services compétents et outillés pour piloter leurs projets de rénovation/construction de lycées142(*).

Dans cette logique, les demandes de soutien en ingénierie émanent essentiellement des communes et des départements ruraux.

Lors de la table ronde organisée à la préfecture de Meurthe-et-Moselle le 13 avril 2023, la représentante de l'Association des maires ruraux du département a témoigné des « réalités de la ruralité » dans sa mairie, faisant valoir que la présence d'une secrétaire de mairie à raison d'une journée par semaine lui permettait difficilement de faire face à toutes les missions qu'implique l'exercice de son mandat, citant notamment les demandes de devis et de subventions qu'impliquent la plupart des projets.

Cette difficulté spécifique aux petites communes a été relevée à plusieurs reprises lors de l'audition de Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Comme l'a rappelé notre collègue Jocelyne Guidez : « N'oubliez pas que les petites municipalités n'ont plus de secrétaire de mairie. Les maires se retrouvent tout seuls ! »143(*).

À ce titre, l'intercommunalité peut apporter son soutien aux communes dans le cadre d'une mutualisation de l'ingénierie technique et financière. Les EPCI disposent généralement de ressources techniques et humaines, ce qui n'est pas toujours le cas des communes. Ils sont donc, en fonction de leurs dimensions, en mesure de recruter des personnels dédiés à l'étude et à la réalisation de projets de rénovation qui peuvent soutenir d'autres collectivités.

Les départements et les régions mettent également à la disposition des communes des moyens humains.

Lors de son déplacement en Meurthe-et-Moselle, le 13 avril 2023, les initiatives de la région Grand Est pour soutenir les collectivités dans la rénovation énergétique de leur patrimoine ont été présentées à la mission d'information. Ainsi, la région finance les phases de diagnostic ou études de faisabilité à travers le dispositif Climaxion. Pour accompagner ces collectivités dans leurs démarches de rénovation énergétique, la région déploie sur son territoire 12 chargés de mission Transition énergétique basés dans les Maisons de région. Ce dispositif a pour but d'inciter les maîtres d'ouvrage à réaliser des rénovations performantes visant le niveau de performance BBC, au-delà des réglementations thermiques en vigueur144(*).

Toutefois, même le levier régional peut être difficile à solliciter pour des communes isolées et dépourvues d'équipes techniques, comme l'a indiqué le 13 avril à Nancy la présidente de l'Association des maires ruraux de Meurthe-et-Moselle : « Pour nous, la région, c'est déjà très loin ».

b) L'intérêt de dispositifs mutualisés pour les collectivités dépourvues de moyens propres en ingénierie : l'exemple des conseillers en énergie partagés (CEP)
(1) Un réseau de « facilitateurs d'énergie »

Au-delà des questionnements ci-dessus relatifs à la distinction entre CEP et économes de flux, l'attention de la mission d'information a été attirée sur le fait que les CEP145(*) sont souvent, en particulier dans les petites communes, la seule ingénierie présente sur le territoire146(*).

Un poste de conseiller en énergie partagé permet d'accompagner, en général, une vingtaine de petites communes, souvent de 1 000 à 1 500 habitants, dans leurs projets de rénovation thermique et le suivi de leurs consommations d'énergie.

À titre d'exemple, la région Grand Est finance des postes de CEP dans le cadre de son partenariat avec l'ADEME. Ces postes sont mutualisés et proposés aux petites et moyennes collectivités (moins de 10 000 habitants) ne disposant pas de compétences en interne. L'ADEME aide au financement de la création de postes de CEP par les collectivités territoriales pendant les trois premières années, avec un objectif de pérennisation. L'ADEME Grand Est et la région Grand Est animent ainsi un réseau comptant environ trente conseillers pour neuf départements.

L'ALEC du Pays de Brest, Énerg'ence, accompagne quant à elle quelque 70 communes par le dispositif de CEP : d'après les informations recueillies lors de la table ronde à la sous-préfecture de Brest, le 11 mai 2023, son développement va « crescendo »147(*).

Le rôle d'Énerg'ence, ALEC du Pays de Brest :
70 communes accompagnées par le dispositif du CEP

Depuis 25 ans, Éner'gence porte un service dédié aux communes de moins de 15 000 habitants : le conseiller en énergie partagé (CEP).

Cette ALEC accompagne ainsi quelque 70 communes (sur les 103 communes que compte le Pays de Brest) et apporte dans ce cadre une expertise sur les projets (rénovation énergétique, bâtiments neufs performants, énergies renouvelables), contribue à l'identification des opportunités de financements (aides spécifiques, dispositifs nationaux et régionaux, CEE, appels à projets), aide les collectivités à assurer le suivi dans le temps des consommations et des contrats d'énergies et propose un accompagnement au long cours des communes vers la transition énergétique, dans la « jungle » des dispositifs financiers et réglementaires.

Éner'gence intervient également pour accompagner le changement de comportements, à travers par exemple des actions pédagogiques à destination des élus et des agents des collectivités.

(2) Un apport favorable en termes d'économie d'énergie

Le bilan de l'action des CEP met en évidence une réduction de la facture énergétique de l'ordre de 3% par an pour les communes concernées. Selon les données recueillies par l'ADEME, cette baisse a atteint environ 15% sur la période 2012/20217, ce qui équivaut à 4 euros par an et par habitant148(*).

Ainsi, dans les territoires d'intervention de l'ALEC Nancy-Grands territoires, « un euro investi dans le CEP a contribué à générer 2,9 euros d'économies d'énergie, 1,7 euro d'aides financières et 9,5 euros d'investissement » depuis 2012. Le cumul des économies qu'il génère est estimé à 2,67 millions d'euros. D'après des données établies en 2020, chaque CEP permettrait de réaliser annuellement 520 000 euros d'économies.

Le coût d'un CEP pour une collectivité est estimé à 100 000 euros par an, dont le tiers peut être pris en charge sur trois ans par l'ADEME, soit une aide totale à hauteur de 100 000 euros. Selon les informations communiquées à la mission d'information, une enveloppe de trois millions d'euros permet de créer trente nouveaux postes de conseillers par an.

L'enjeu est ensuite, à l'issue des trois ans, de pérenniser le poste. Ce dernier doit cependant pouvoir s'autofinancer par les économies d'énergie réalisées par la collectivité qui l'emploie. C'est en partie le cas dans la région Grand Est, où la moitié des postes CEP sont actuellement autofinancés par les économies qu'ils génèrent.

(3) Un maillage territorial à densifier 

Malgré le potentiel que présentent les CEP en termes de maillage territorial, le nombre de conseillers en énergie partagés a peu progressé, selon l'ADEME, depuis la publication du rapport Demarcq en 2020. À cette date, on en comptait 321, qui se déployaient dans 8 019 communes. En prenant en compte les communes ayant accès au service, mais qui n'étaient pas adhérentes, 20 000 communes étaient effectivement couvertes par ce dispositif.

Trois ans plus tard, en février 2023, 8 000 communes adhérentes au total - soit le quart des communes de moins de 10 000 habitants - sont aujourd'hui accompagnées par un CEP, selon l'ADEME. 12 000 autres communes ont aussi accès au service, mais ne sont pas adhérentes.

L'effectif des CEP s'élève, au début de l'année 2023, à 363, dont 351 en métropole. Il convient de préciser que lorsque le CEP est porté par un EPCI, les communes ont accès à ses services - ainsi que les communes adhérentes dans le cas d'un syndicat d'énergie.

En dépit d'une meilleure prise en compte des enjeux climatiques et énergétiques par les acteurs territoriaux, ces chiffres sont relativement stables. Le nombre de CEP n'a progressé que de 13% alors que les besoins en matière d'accompagnement sur les questions d'efficacité, de sobriété et de rénovation énergétique sont devenus particulièrement prégnants.

La répartition des CEP sur le territoire national montre en outre de fortes disparités géographiques. Certaines régions (voir la carte ci-dessous) sont ainsi mieux dotées. C'est le cas de la Bretagne et de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui comptent respectivement 57 et 55 conseillers en énergie partagés. Plusieurs régions comptent moins de vingt CEP, comme la région Normandie (17), la région Centre-Val de Loire (14) et la région PACA (13). On peut également relever que l'Ile-de-France, région fortement peuplée, ne dispose que de 23 postes.

Dans une dizaine de départements, comme le Cantal, la Haute-Vienne, l'Oise ou la Saône-et-Loire, matérialisés en rouge ci-dessous, il existe un réel déficit de CEP. Certains territoires métropolitains en sont même totalement dépourvus, à l'exemple de la Corse et du département de l'Oise. Douze CEP sont implantés dans les outre-mer, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie149(*).

Répartition des conseillers en énergie partagés (régions et départements)

 
 

* 130 Se mettre au diapason des élus locaux !, rapport d'information n° 313 (2022-2023) fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales par Mme  Céline Brulin et M. Charles Guené (février 2023).

* 131 Se mettre au diapason des élus locaux !, rapport d'information n° 313 (2022-2023) fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales par Mme  Céline Brulin et M. Charles Guené (février 2023).

* 132 Source : communication écrite de FIN INFRA à la rapporteure.

* 133 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 134 Voir en annexe la synthèse de ces témoignages.

* 135 Voir en annexe le compte rendu du déplacement de la mission d'information en Meurthe-et-Moselle, le 13 avril 2023.

* 136 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 137 Présentation de la FNCCR lors de la table ronde du 6 avril 2023.

* 138 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 139 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 140 Les collectivités et l'ANCT au défi de l'ingénierie dans les territoires, rapport d'information n° 591 (juillet 2020) fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation par Mme Josiane Costes et M. Charles Guéné. On note, parmi les conclusions de ce rapport, une recommandation invitant à favoriser l'émergence d'une offre d'ingénierie publique locale.

* 141 Audition par la rapporteure - 16 février 2023.

* 142 Réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.

* 143 Compte rendu du 7 juin 2023.

* 144 Voir en annexe le compte rendu du déplacement de la mission d'information en Meurthe-et-Moselle.

* 145 « Le CEP est né d'une initiative territoriale en Bretagne visant à accompagner les petites communes qui ne pouvaient pas se permettre de recruter des conseillers énergétiques à temps plein. Dans le prolongement d'une évaluation nationale, ces initiatives ont été étendues au territoire national, donnant ainsi naissance au CEP il y a une dizaine d'années » (source : compte rendu du 6 avril 2023).

* 146 Voir en annexe le compte rendu du déplacement en Meurthe-et-Moselle.

* 147 Voir en annexe le compte rendu du déplacement dans le Finistère.

* 148 Enquête conduite en 2005/2019 par l'ADEME dans 42 communes du Pays de Fougères.

* 149 Source : réponses écrites de l'ADEME au questionnaire de la rapporteure.