B. S'ATTAQUER AUX « RETRAITES MISÉRABLES » POUR PASSER
LA MAIN

1. Des retraites insuffisantes pour vivre, frein au départ
a) Les effets pervers de pensions faibles

De manière unanime, l'ensemble des personnes auditionnées ont jugé que la faiblesse des retraites agricoles était un frein majeur à la transmission des exploitations à de jeunes agriculteurs.

M. Arnaud Martrenchar fait de cette question des retraites le principal verrou à la transmission outre-mer, de nombreux exploitants ayant peu ou pas cotisé : « malgré les systèmes de bonification qui permettent de cotiser moins longtemps en outre-mer que dans l'Hexagone pour un niveau de retraite équivalent, les personnes qui n'ont pas cotisé ne bénéficient pas de retraites. De nombreux exploitants disposent de pensions de retraite qui atteignent 300 à 400 euros par mois ».

Le faible niveau des pensions contraint les exploitants à demeurer en activité, même réduite, quitte à baisser les rendements et les surfaces cultivées.

En outre, comme l'a évoqué M. Frantz Gustave Fonrose, premier secrétaire adjoint de la chambre d'agriculture de la Martinique, « les terres subissent une pression financière très forte. Un agriculteur qui arrive à la retraite dispose d'une pension très faible, y compris après quarante ans d'activité, et sa tentation est de « spéculer » sur ses terres plutôt que de les transmettre ».

Il en résulte partout, comme dans l'Hexagone, un vieillissement des exploitants.

Selon les données issues du recensement agricole de 2020, les chefs d'exploitation ont près de 53 ans dans les départements d'outre-mer en 2020 contre 49 ans dix années plus tôt. Cette tendance au vieillissement est plus marquée qu'en métropole où la moyenne d'âge n'a progressé que d'une année pour s'établir à 52 ans en 2020.

Mayotte est le territoire où les chefs d'exploitation sont les plus âgés, avec une moyenne de 57 ans, à rebours de la population générale qui est la plus jeune de France. M. Soumaila Moeva, président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs, a rappelé que 43 % des agriculteurs mahorais ont plus de 60 ans et 10 % ont moins de 40 ans. Selon la MSA Armorique, au 1er janvier 2023, Mayotte comptait 1 338 chefs d'exploitation mahorais affiliés, dont 52 % de plus de 60 ans et 7 % moins de 40 ans. Si le vieillissement de la population agricole est une problématique nationale, celle-ci est accentuée à Mayotte par le maintien d'une agriculture non professionnelle qui freine l'installation et le développement des filières.

En Guadeloupe, plus de la moitié des exploitations sont dirigées par au moins un exploitant de 55 ans ou plus, contre 51 ans en 2010. Un tiers le sont par un exploitant de plus de 60 ans. Surtout, la moitié des exploitants de plus de 60 ans n'envisage pas de départ prochainement.

b) Des retraites incomplètes faute de cotisations, voire d'affiliation aux régimes de retraite agricole

La faiblesse des pensions agricoles des salariés et non-salariés agricoles n'est pas un constat propre aux outre-mer. Toutefois, elle est encore plus marquée dans ces derniers.

Montants mensuels moyens des retraites des non-salariés agricoles
en euros (données 2021)

 

France entière

Guadeloupe

Guyane

Martinique

La Réunion

Carrières complètes

81370(*)

710

732

744

716

Toutes carrières confondues

439

387

278

353

325

Source : MSA Armorique, CGSS

Il convient néanmoins de préciser que ces données ne portent que sur les pensions agricoles. Les assurés non-salariés agricoles concernés peuvent bénéficier éventuellement de pensions de retraite au titre d'un autre régime de retraite, en particulier ceux qui n'ont pas une carrière complète d'exploitant agricole.

Les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne inférieure de 700 euros par mois à celle de l'ensemble des retraités.

La plupart des affiliés ne dispose pas de carrières complètes.

À Mayotte, les données relatives aux retraites des non-salariés agricoles sont anecdotiques : 5 bénéficiaires pour des montants oscillant entre 64,81 euros et 292,40 euros. La raison en est simple : avant 2015, le statut d'agriculteur n'existait pas à Mayotte. Les agriculteurs et leur famille relevaient de la caisse de Sécurité sociale de Mayotte, sans appel de cotisations. Par conséquent, les agriculteurs professionnels n'ont ouvert aucun droit à retraite avant 201571(*).

c) De récentes revalorisations notables

Plusieurs lois récentes ont sensiblement rehaussé le niveau des pensions des non-salariés agricoles pour rattraper une partie du retard par rapport aux pensions versées par le régime général. Ces dispositions ne sont pas propres aux outre-mer, mais ces derniers ont bénéficié de coups de pouce supplémentaires.

Ainsi, la loi du 3 juillet 2020 dite « loi Chassaigne 1 » a modifié le dispositif de complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (RCO), instauré en 2014.

Depuis le 1er novembre 2021, le montant minimal des pensions de retraite est passé de 75 % à 85 % du Smic net agricole pour les anciens chefs d'exploitation ayant une carrière complète, soit une garantie de retraite minimale portée à 1 035,57 euros par mois (en moyenne, 105 euros de retraite de plus chaque mois pour les bénéficiaires) lors de l'entrée en vigueur de la loi, puis à 1 067,91 euros au 1er janvier 202272(*). Cette revalorisation des pensions de retraite agricoles a été rendue applicable dans l'Hexagone et dans les outre-mer.

Les adaptations outre-mer de la « loi Chassaigne 1 »

Pour les exploitants agricoles ultramarins, la condition de durée d'assurance minimale en tant que chef d'exploitation ou d'entreprise agricole et la condition de justifier du taux plein par la seule durée d'assurance ont été supprimées, afin qu'ils puissent bénéficier plus aisément de la garantie de pension à 85 % du Smic. En effet, les carrières complètes sont très rares outre-mer et ces conditions excluaient la plupart des exploitants du bénéfice du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire. La condition de justifier d'une durée complète d'assurance a été remplacée par une condition de liquidation à taux plein d'office, laquelle est satisfaite notamment lorsque le demandeur a 65 ans, est reconnu inapte au travail ou a un handicap entraînant une incapacité permanente.

En outre, pour le calcul des périodes d'assurance, les périodes d'assurance accomplies en qualité de chef d'exploitation sont majorées de 50% pour compenser la faible durée d'assurance souvent constatée dans les carrières des chefs d'exploitation de ces territoires.

La loi du 17 décembre 2021 dite « loi Chassaigne 2 » a aussi revalorisé les retraites de base des non-salariés agricoles en révisant la majoration des petites retraites instaurée en 2009 (la PMR ou pension majorée de référence). Cette loi a bénéficié principalement aux conjoints et aides familiaux. Elle a permis d'augmenter en moyenne de 65 euros le montant de la retraite de base (75 euros pour les femmes).

Plus récemment encore la loi du 13 février 2023 prévoit que : « la Nation se fixe pour objectif de déterminer, à partir du 1er janvier 2026, la retraite des non-salariés agricoles (NSA) sur la base des 25 meilleures années de revenu » et non plus l'intégralité de la carrière. Les conditions d'application doivent être précisées par décret.

Enfin, la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023 a aussi apporté quelques améliorations pour les petites pensions agricoles. Le minimum des pensions de base agricoles seront désormais indexées sur le Smic. Une majoration de 100 euros de la pension majorée de référence (PMR) des non-salariés agricoles (conditionnée au bénéfice du taux plein), réduite, le cas échéant, au prorata de la durée d'assurance validée par rapport à la durée requise pour le taux plein, est également prévue. Pour Mayotte, l'Aspa et les petites pensions sont revalorisées de 150 euros pour une carrière complète (voir infra).

On rappellera également que les exploitants agricoles des départements d'outre-mer sont exonérés du paiement des cotisations d'assurance maladie, d'assurance vieillesse et de prestations familiales lorsqu'ils exploitent moins de quarante hectares pondérés (article L.781-6 du code rural et de la pêche maritime).

2. Débloquer la transmission générationnelle
a) Revaloriser les retraites : une piste compliquée, à l'exception de Mayotte

Plusieurs textes très récents - le dernier étant la loi du 14 avril 2013 précitée - ont modifié et réévalué les retraites des non-salariés agricoles hexagonaux et ultramarins. Dans ce contexte, de nouvelles revalorisations paraissent difficilement envisageables à court terme.

Les retraites agricoles dans l'Hexagone ne sont pas beaucoup plus élevées que celles de la majorité des DOM. Des dispositifs plus favorables existent déjà pour les outre-mer. Aller plus loin encore, hormis pour Mayotte, pourrait poser un problème d'égalité de traitement.

En revanche, une meilleure affiliation et des cotisations mieux acquittées doivent préparer des retraites plus solides pour les exploitants en activité, en particulier les plus jeunes, afin de ne pas reproduire dans les prochaines décennies les mêmes difficultés. C'est aussi immédiatement un meilleur accès à tous les dispositifs de protection sociale qui ne se limitent pas à la retraite : maladie, accident du travail, indemnité journalière, droit à la formation, remplacement... qui sont des éléments clefs pour améliorer les conditions de vie et de travail des professions agricoles et par voie de conséquence l'attractivité de ces métiers.

Cette préconisation est particulièrement pertinente pour Mayotte où la protection sociale des agriculteurs ne se met en place progressivement que depuis 2015. Une convergence accélérée des droits est encore plus nécessaire que dans les autres secteurs d'activité, compte tenu du vieillissement exceptionnel des exploitants agricoles sur ce territoire (voir supra).

Ainsi, à Mayotte, selon Karine Nouvel, directrice générale de la Mutualité sociale agricole (MSA) d'Armorique, la notion d'obligation d'affiliation - en vigueur depuis 2015 - n'est toujours pas intégrée par la population agricole, d'autant que l'attribution des aides de la PAC n'est pas soumise à une obligation d'affiliation à la MSA, contrairement aux règles applicables dans l'Hexagone. De plus, cette situation génère une distorsion de concurrence entre les exploitants affiliés à la MSA vis à vis des exploitants non affiliés, qui n'ont pas de charges sociales mais qui bénéficient, malgré tout, de la PAC.

Parmi les affiliés, malgré de nombreuses exonérations pour les outre-mer, les taux de recouvrement des cotisations doivent eux aussi être améliorés.

À Mayotte, le taux de recouvrement des cotisations reste faible, autour de 20 %, bien qu'il ait augmenté depuis 2015, notamment grâce à la mise en place du prélèvement bancaire en 2019 et à des opérations de communication locales.

La retraite agricole de base a été mise en place en 2015. Les exploitants agricoles n'ont donc pu acquérir de points et de validation d'années d'activité que depuis 8 ans. Pour la retraite complémentaire obligatoire, l'obtention de points est encore plus récente, puisqu'elle a été mise en place en 2019. Or, à ce jour, selon la MSA, aucun texte ne prévoit une validation gratuite de points pour les années antérieures à 2015.

Pourtant, les autres régimes plus anciens ont déjà bénéficié de validation gratuite des points. Ainsi, une ordonnance de décembre 2021 a mis en place un dispositif exceptionnel de validation gratuite de périodes d'assurance vieillesse pour les personnes affiliées à la caisse de Sécurité sociale de Mayotte et ayant exercé une activité salariée pendant une durée minimale entre 1987 et 2002. Cette même ordonnance a permis d'attribuer des trimestres supplémentaires de retraite aux assurés sous réserve qu'ils aient validé une durée minimale d'assurance entre 2003 et la liquidation de leur pension, et ainsi de faciliter le départ à la retraite à taux plein.

Pour le régime des non-salariés agricoles, l'absence de validation de trimestres et de points gratuits pour les périodes antérieures à 2015 constituerait un des principaux freins au départ à la retraite et par conséquent à la cession du foncier à Mayotte.

La MSA plaide aussi pour d'autres ajustements notamment celui des coefficients de pondération appliqués aux productions déclarées. En effet, les cotisations des exploitants agricoles de Mayotte ne sont pas déterminées en fonction des revenus professionnels, mais, à l'instar des autres DOM, selon la superficie pondérée des exploitations, par tranche de superficie pondérée selon les types de culture. C'est un arrêté annuel qui fixe la pondération et les montants des cotisations associées à ces surfaces pondérées73(*). Toutefois, la MSA juge ces coefficients de pondération inadaptés, ce qui se traduit par des cotisations appelées trop importantes au regard des revenus réellement générés par l'activité des exploitants. Les cotisations n'étant pas payées, les assurés ne bénéficient pas de droits tels que les indemnités journalières, la retraite complémentaire obligatoire ou l'Atexa74(*).

Par ailleurs, certaines cultures ne sont pas bien identifiées, notamment les cultures maraîchères, pourtant très répandues à Mayotte, qui ne bénéficient pas de coefficient de pondération.

Proposition n° 13 : À Mayotte, accélérer la convergence des droits des affiliés à la caisse des non-salariés agricoles, notamment par des validations gratuites de période d'assurance vieillesse.

b) Réformer l'Aspa, une solution plébiscitée

De nombreuses personnes interrogées sur cette problématique des pensions ont plaidé pour une réforme, voire une revalorisation de l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), pour inciter les exploitants en âge de prendre leur retraite et ne pouvant prétendre qu'à de très faibles pensions à le faire.

Cette solution présente plusieurs avantages : technique (mise en oeuvre aisée), lisibilité (une réforme de l'Aspa est plus compréhensible qu'une réforme des régimes de retraite) et équitable vis-à-vis des retraités exploitants de l'Hexagone.

Pour rappel, l'Aspa est une prestation mensuelle accordée aux retraités ayant de faibles ressources et vivant en France. Elle est versée par les caisses de retraite aux personnes âgées de 65 ans et plus. Elle garantit un revenu minimum de 961,08 euros brut par mois pour une personne vivant seule et 1 492,08 euros pour un couple.

L'Aspa à Mayotte

Lors de son audition, M. Yohan Auffret, directeur adjoint de la Mutualité sociale agricole (MSA) d'Armorique qui gère la MSA de Mayotte, a rappelé certaines particularités de l'Aspa à Mayotte.

Son montant est fixé à 50 % du montant national : 480 euros par mois contre 961 euros pour une personne seule et 740 euros pour un couple contre 1 492 euros.

Bien que supérieur à la retraite moyenne à Mayotte (environ 280 euros par mois), l'Aspa n'est pas incitatif à la cessation d'activité et donc à la libération de terres agricoles. 246 agriculteurs en bénéficient.

Toutefois, l'article 20 de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2013 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a toutefois nettement revalorisé l'Aspa à compter du 1er septembre 2023. Cette revalorisation forfaitaire devrait être fixée par décret à 150 euros par mois pour une personne seule, selon les engagements du Gouvernement, soit une hausse de 30 % environ.

L'article 19 de la même loi revalorise l'ensemble des pensions à taux plein servies à Mayotte d'un montant identique de 150 euros.

Cette réforme amorce l'accélération de la convergence des retraites à Mayotte.

Toutefois, l'Aspa souffre d'un inconvénient majeur pour convaincre les exploitants de la solliciter. Au décès du bénéficiaire, les sommes versées au titre de l'Aspa sont récupérées sur l'actif net de la succession, ce qui peut dissuader les personnes éligibles par crainte que leurs ayants droit voient leur héritage fondre.

Plusieurs limites ont néanmoins déjà été posées à ce droit de récupération sur succession par l'article L.815-13 du code de la sécurité sociale.

En premier lieu, l'Aspa n'est récupérée que si l'actif net de la succession dépasse 39 000 euros dans l'Hexagone. Dans les départements d'outre-mer75(*), ce seuil a été porté à 100 000 euros depuis 2017. Mieux, ces seuils devraient être encore relevés à compter du 1er septembre 2023. En effet, conformément à la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 précitée, les seuils seront fixés à cette date à 100 000 euros dans l'Hexagone et 150 000 euros dans les DOM (jusqu'au 31 décembre 2029).

En deuxième lieu, seule une partie des sommes allouées est récupérée, à hauteur de 7 732,41 euros pour une personne seule, et 10 344,80 euros pour un couple de bénéficiaires (plafonds pour 2023) pour chaque année de bénéfice de l'Aspa.

En dernier lieu, lorsque la succession du bénéficiaire, en tout ou en partie, comprend un capital d'exploitation agricole, ce dernier ainsi que les bâtiments qui en sont indissociables ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'actif net. La liste des éléments constitutifs de ce capital et de ces bâtiments est précisée à l'article D.815-5 du code de la sécurité sociale.

Néanmoins, malgré ces limitations importantes à la récupération sur succession dans le cas des agriculteurs, de nombreux exploitants ultramarins demeureraient réfractaires au bénéfice de l'Aspa en raison de la non-protection de la résidence principale.

M. Arnaud Martrenchar l'explique par le fait que « les maisons d'habitations attenantes aux exploitations agricoles sont moins nombreuses en outre-mer, alors même qu'elles sont exclues du champ de recouvrement de l'Aspa. Cette spécificité tient à l'histoire métropolitaine du foncier agricole, marquée par le développement de corps de ferme séculaires. De cette façon, les agriculteurs métropolitains sont plus nombreux à pouvoir léguer leurs maisons et leurs exploitations, tout en bénéficiant de l'Aspa ». Il ajoute : « même s'il a existé des plantations en outre-mer, les maisons attenantes aux exploitations y sont moins fréquentes. On peut également citer l'exemple de l'application de la loi Littoral à Mayotte qui a contribué à séparer les maisons d'habitations et les exploitations agricoles. Les personnes dont la maison n'est pas attenante à leur exploitation agricole ne choisissent donc pas de bénéficier de l'Aspa, pour permettre à leurs ayants droit de la récupérer ».

De fait, la plupart des agriculteurs vivent à plusieurs kilomètres de leur exploitation.

L'article D.815-5 du code de la sécurité sociale dispose en effet que sont considérés comme des bâtiments indissociables du capital d'exploitation :

« 1° Les bâtiments d'habitation occupés à titre de résidence principale par le bénéficiaire de l'allocation et les membres de sa famille vivant à son foyer qui comprennent un mur mitoyen à un bâtiment d'exploitation agricole inclus dans ce capital agricole ;

2° Les autres bâtiments d'habitation affectés à l'usage exclusif de l'exploitation et qui sont soit implantés sur des terres incluses dans ce capital, soit situés à une distance ne pouvant excéder cinquante mètres des bâtiments agricoles ou des terres qui constituent ce capital, soit nécessaires à l'activité de l'exploitation. »

Les bâtiments d'habitation situés à plus de 50 mètres des terres exploitées sont donc inclus dans le périmètre de la succession récupérable au titre de l'Aspa.

Face à cette difficulté, qui peut aussi se présenter dans l'Hexagone mais dans des proportions infiniment moindres pour les raisons historiques précitées, Arnaud Martrenchar suggère de faire évoluer la loi, afin que pour les outre-mer, la maison d'habitation à usage de résidence principale du chef d'exploitation soit réputée attenante à l'exploitation. Une autre solution moins ambitieuse serait de fixer une autre distance que celle des 50 mètres.

Cette spécificité ultramarine permettrait de déroger aux alinéas 3 et 4 de l'article D.815-5 précité. Cette adaptation se justifierait « par les caractéristiques et contraintes particulières » des DOM en ce domaine.

Une telle disposition pourrait être entourée au choix de quelques garanties : durée minimale de conservation de l'habitation par les ayants droits, obligation pour le chef d'exploitation d'y résider effectivement, obligation pour le bénéficiaire de l'Aspa de transmettre son exploitation dès la cessation de son activité agricole... L'objectif est bien de lever une barrière à la transmission grâce à un recours plus fréquent à l'Aspa au motif que la résidence demeure indissociable de l'exploitation quand bien même elle en est géographiquement dissociée.

Lors de son audition, Marc Fesneau, ministre de l'agriculture, s'est montré favorable à un tel aménagement de l'Aspa.

L'obligation de cesser son activité professionnelle agricole pour bénéficier de l'Aspa devrait être renforcée, sous réserve du droit à conserver une parcelle dite de subsistance.

Proposition n° 14 : Dans les outre-mer, exclure du périmètre des actifs récupérables sur succession la résidence principale des exploitants agricoles demandant le bénéfice de l'Aspa, y compris lorsque la résidence est éloignée de l'exploitation.

En revanche, une revalorisation de l'Aspa pour les outre-mer ne paraît pas envisageable à moyen terme, à l'exception de Mayotte qui est dans une dynamique de convergence des droits. La loi du 14 avril 2023 précitée a déjà procédé à plusieurs aménagements et les spécificités ultramarines ne paraissent pas pouvoir justifier une réelle différenciation sur cet aspect.

c) Réinstaurer une préretraite couplée à un tutorat

Les exploitants agricoles ont bénéficié à partir de 199276(*) de la possibilité de solliciter une préretraite, selon des modalités qui ont été réorientées, en 1998, sur les agriculteurs confrontés à des difficultés économiques ou de santé.

Dans le cadre de la modernisation des politiques publiques, il a été décidé en 2008 que les aides à la cessation d'activité seraient rationalisées en supprimant, notamment, le dispositif de préretraite des agriculteurs. Il s'agissait d'aligner les exploitants agricoles sur les autres catégories socio-professionnelles, pour lesquelles les dispositifs de préretraite avaient été progressivement supprimés. Le décret n° 2008-1111 du 30 octobre 2008 a donc abrogé le décret du 22 octobre 2007 régissant le dispositif de préretraite agricole dans l'Hexagone. Les dernières demandes de préretraite devaient être déposées le 15 novembre 2008 au plus tard.

Dans les départements d'outre-mer, l'extinction du dispositif a été décalée de quelques années. Le décret n° 2008-138 du 13 février 2008 modifiant le décret n° 98-312 du 23 avril 1998 modifié relatif à la mise en oeuvre d'une mesure de préretraite dans les départements d'outre-mer prévoyait en effet que, pour bénéficier de l'allocation de préretraite, l'agriculteur devait déposer sa demande au plus tard le 31 décembre 2012 et cesser son activité agricole au plus tard le 31 décembre 2013.

Le mécanisme de préretraite agricole outre-mer en vigueur
avant sa suppression au 31 décembre 2012

Le décret n° 98-312 du 23 avril 1998 modifié par le décret n° 2008-138 du 13 février 2008 disposait que les chefs d'exploitation agricole cessant leur activité pouvaient, sur leur demande, bénéficier d'une allocation de préretraite pendant une durée maximum de cinq ans et jusqu'à soixante-cinq ans au plus. En 2008, l'âge légal de départ à la retraite était de 60 ans.

Pour en bénéficier, ils devaient notamment :

- être âgés à la date de la cessation de l'activité agricole de 57 ans au moins (et, dans le cas où il pourrait prétendre à une retraite à taux plein, ne pas avoir plus de 60 ans) ;

- s'engager à transférer les terres et les bâtiments d'exploitation ;

- avoir été chef d'exploitation à titre principal pendant au moins les dix années précédant la cessation d'activité ;

- ne pas avoir réduit la superficie exploitée de plus de 15 % au cours de l'année précédant la cessation ou bien procéder à une scission du fonds.

La superficie de l'exploitation devait, au moment de la demande, représenter au moins 2 hectares de superficie agricole utile pondérée en faire-valoir direct ou en fermage, ou en concession.

L'allocation annuelle de préretraite comportait un forfait et une part variable dans une limite totale de 18 000 euros.

Les terres exploitées en faire valoir direct (hors fermage) et libérées par l'exploitant demandant la préretraite devaient être destinées, soit à des agriculteurs de moins de 50 ans et ayant au moins 5 ans d'expériences, soit à l'installation de jeunes agriculteurs bénéficiant d'aides, soit à un GFA, soit à une Safer.

En février 2018, devant des jeunes agriculteurs, le président de la République proposait de rétablir un système de préretraites agricoles avec une sortie progressive de l'activité, en vue de favoriser le renouvellement des générations.

Au cours de son audition, M. Bruno Robert, premier vice-président de la chambre d'agriculture de La Réunion, a plaidé pour le rétablissement d'un mécanisme de préretraite. De la même façon pour M. Ariste Lauret, directeur général délégué de la Safer Réunion.

Un dispositif revu pourrait en effet être un accélérateur pour renouveler les générations d'exploitants. Afin de favoriser des transitions douces, la préretraite pourrait être couplée obligatoirement ou au choix avec un accompagnement des repreneurs lorsqu'il s'agit de jeunes agriculteurs en première installation. La préretraite serait bonifiée en fonction de l'intensité de l'accompagnement.

Proposition n° 15 : Rétablir un mécanisme de préretraite pour les exploitants agricoles ultramarins, qui pourrait être accompagné d'un dispositif de tutorat rémunéré, en cas de reprise de l'exploitation par un jeune agriculteur.


* 70 Contre 1 510 euros bruts pour l'ensemble des retraités tous régimes confondus.

* 71 En 2015, l'assurance maladie et la retraite de base ont été ouverts aux agriculteurs mahorais. En 2019, l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles a été mise en place, comme la retraite complémentaire obligatoire.

* 72 1 150 euros au 1er janvier 2023.

* 73 À titre d'exemple, à Mayotte, un hectare de bananes aura un coefficient de 2, tandis qu'un hectare d'ananas aura un coefficient de 5.

* 74 L'Atexa est l'assurance accident du travail et maladies professionnelles de base pour les non-salariés agricoles.

* 75 Collectivités de l'article 73 exclusivement.

* 76 Outre-mer, les préretraites agricoles ont débuté en 1993.