B. LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER, QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

La grossesse puis la maternité correspondent à un moment charnière de la vie professionnelle d'une femme au cours duquel sa carrière et sa trajectoire professionnelles peuvent basculer, être freinées ou rencontrer des obstacles importants.

La grossesse bénéfice certes de dispositions législatives, règlementaires et conventionnelles protectrices, qui ne suffisent néanmoins pas à empêcher les discriminations dans l'emploi toujours fréquentes, en partie parce que les travailleuses enceintes ignorent leurs droits et ne les font donc pas appliquer par leur employeur.

1. Malgré l'existence de mesures de protection des femmes enceintes, une insuffisante prise en compte de la grossesse en milieu professionnel

Si la grossesse n'est pas, en soi, une pathologie, elle correspond malgré tout à un état de santé particulier entraînant des bouleversements physiologiques et hormonaux qui ont un impact sur la condition physique et psychologique des femmes enceintes : prise de poids, augmentation de la fréquence respiratoire et cardiaque, changement du centre de gravité, fragilisation des articulations et des tendons, essoufflement, fatigue, etc.

Sans chercher à pathologiser la grossesse en tant que telle, il est donc nécessaire de tenir compte des possibles conséquences de ces bouleversements et de cette « symptomatologie » sur l'activité professionnelle et les conditions de travail des femmes enceintes, et inversement.

a) Des mesures de protection légales, règlementaires et conventionnelles

Aujourd'hui, on estime à 70 % la proportion de femmes en emploi au moment de leur grossesse. Des mesures spécifiques en matière de santé et de sécurité des femmes enceintes au travail existent dans le code du travail et les conventions collectives des entreprises, et permettent, en théorie, de leur donner un cadre juridique protecteur (cf. encadré infra).

Ces mesures concernent notamment :

- des autorisations d'absence dans le cadre du suivi médical de la grossesse et une surveillance médicale adaptée qui peut notamment être assurée par le médecin du travail ;

- un aménagement des conditions de travail : périodes d'interdiction de travail avant et après l'accouchement (congé maternité), travaux interdits ou réglementés, possibilité de se reposer en position allongée, aménagement du poste de travail, changement temporaire d'affectation en cas d'exposition à des risques particuliers ;

- une analyse des risques professionnels auxquels les femmes enceintes peuvent être exposées ;

- une protection contre le licenciement. Toutefois, ainsi que le précisait lors de son audition par la délégation, Elsa Boulet, docteure en sociologie à l'Université de Nantes, auteure d'un travail de recherche sur la grossesse au travail, « cette protection est limitée par la loi aux congés prénataux et postnataux », ce qui ne « signifie pas que les femmes ne pourront pas contester un licenciement intervenant plus tôt ».

Si la déclaration de grossesse par la femme enceinte auprès de son employeur n'est pas règlementairement obligatoire avant le départ en congé maternité, elle est toutefois nécessaire pour bénéficier de ces diverses mesures de protection.

La France se caractérise également par un parcours de soins standardisé, financé par l'assurance maladie, très largement suivi par les femmes.

S'agissant plus spécifiquement de la grossesse des professionnelles libérales, les travailleuses indépendantes bénéficient d'un congé maternité aligné sur celui des salariées depuis 2019, mais en pratique, elles peinent à s'arrêter de travailler pendant seize semaines. Par ailleurs, le montant des indemnités versées n'est souvent pas à la hauteur de la perte de revenus engendrée par l'arrêt de travail. L'harmonisation des congés des indépendantes avec ceux des salariées, si elle a été intéressante, n'a pas résolu la problématique de maintien de l'outil de travail pendant la période particulière de la grossesse et de la maternité.

Lors de son audition par la délégation le 13 avril 2023, maître avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Parité Égalité de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL) a ainsi rapporté que « les professionnelles libérales qui prennent leur congé maternité s'exposent à un risque de perte d'une partie de leur clientèle, et donc de chiffre d'affaires (20 à 30 %), parfois durable. On constate un effet cicatrice sur l'activité de l'entreprise. Parfois, elles s'exposent même à la perte de leur entreprise en raison du choc des maternités sur la trésorerie. À cette période, les loyers et autres charges ne disparaissent pas. Des suspensions sont possibles, mais elles ne sont pas automatiques. Les femmes ne sont pas assez informées de l'existence de ces mécanismes ».

Dès lors, dans la perspective d'une maternité, de nombreuses professionnelles indépendantes se réorientent vers le statut de salarié et s'éloignent de la profession. Ces carrières hachées ne sont pas sans conséquence sur leur retraite.

La question du remplacement pendant le congé maternité est également cruciale pour les indépendantes. Or, comme le soulignait Aminata Niakaté, « lorsqu'une professionnelle libérale doit s'arrêter pour cause de maternité, son remplacement permet de maintenir le service au public. Certaines professions l'encadrent juridiquement, notamment dans le secteur de la santé. Ce n'est pas le cas de tous les métiers. »

D'après l'UNAPL, une étude menée sur les femmes médecins exerçant en libéral a montré que la période de la grossesse et du congé maternité occasionnait une perte de revenus de 30 % pour leur cabinet, avec un « effet cicatrice ». En effet, au cours de la période de six ans sur laquelle portait l'étude, aucun rattrapage de revenu n'a été observé.

Protection de la santé de la salariée enceinte et aménagements du travail :
Dispositions légales, règlementaires et conventionnelles

Les conditions d'emploi, d'exécution du contrat de travail et de protection de la santé de la femme enceinte sont régies par les articles L.1225-1 et suivants du code du travail.

1) Autorisation d'absence dans le cadre du suivi médical de la grossesse :

La salariée enceinte a droit à une surveillance médicale renforcée et particulière. Elle bénéficie à ce titre d'une autorisation d'absence pour se rendre aux examens médicaux obligatoires dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement.

Ces absences n'entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à du temps de travail effectif (C. trav.,  art. L. 1225-16)44(*).

2) Des aménagements d'horaires de travail uniquement conventionnels :

En dehors de ces autorisations d'absence, la loi ne prévoit pas d'aménagement de principe des horaires de travail des femmes enceintes. Seul l'article R. 4152-2 du code du travail envisage la faculté pour les femmes enceintes de se reposer en position allongée, dans des conditions appropriées (C. trav., art. R. 4152-2), ce qui suppose pour l'employeur d'accorder un allègement ponctuel des horaires de travail. Le code du travail prévoit également que l'accord collectif ou la charte de l'employeur doit préciser les modalités d'accès au télétravail des salariées enceintes (C. trav., Article L1222-945(*)). En plus des mesures visant à faciliter le télétravail, l'accord collectif peut prévoir une réduction de l'amplitude de la journée de travail, notamment dans les branches où le télétravail n'est pas toujours possible.

Ainsi, de nombreuses conventions collectives accordent des avantages complémentaires aux femmes enceintes et aux jeunes mères : réduction du temps de travail journalier sans perte de salaire pendant la grossesse qui peut aller jusqu'à une heure par jour46(*), une ou deux semaines de congés supplémentaires, octroi d'une majoration de salaire égale à la moyenne des augmentations individuelles perçues par la salariée les trois années précédant le départ en congé...

Ex : l'article 86 de la convention collective nationale des sociétés d'assurance énonce que, « à partir de leur déclaration de grossesse auprès de l'entreprise et de la caisse d'allocations familiales, les salariées peuvent réduire d'une demi-heure la durée quotidienne du travail suivant des modalités préalablement convenues avec l'employeur, jusqu'à la date de leur départ en congé de maternité. Cette réduction est portée à une heure pendant les quatre semaines qui précèdent le congé de maternité ».

L'article 11 de la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 prévoit qu'« une réduction horaire de 1 heure par jour travaillé est accordée sans perte de salaire à l'issue du 3ème mois de grossesse médicalement constaté (...) ».

3) Des aménagements de poste ou changements temporaires d'affectation régis par le code du travail :

La femme enceinte ne bénéficie pas de plein droit d'un changement de poste : elle peut demander à rencontrer le médecin du travail qui propose, si elles sont nécessaires, des adaptations du poste ou l'affectation temporaire à un autre emploi (C. trav., art. R. 4624-19).

L'employeur devra alors placer la salariée à un poste compatible avec son état de grossesse. À défaut, l'employeur encourt une amende pénale prévue pour les contraventions de 5ème classe (C. trav., art. R. 1227-5).

Ces changements d'affectation ou aménagements de poste sont temporaires : ils prennent fin dès que la salariée est en état de reprendre l'emploi qu'elle occupait antérieurement. (C. trav., art. L. 1225-7, al. 4).

Ces aménagements sont justifiés par l'état de santé de la salariée enceinte (C. trav.,  art. L. 1225-7), par le travail de nuit (C. trav.,  art. L. 1225-9) ou l'exposition à certains risques (C. trav.,  art. L. 1225-12 et  R. 1225-4).

* En raison d'une nécessité médicale :

Il faut que l'état de santé médicalement constaté l'exige (C. trav., art. L. 1225-7, al. 1er). Ce changement d'affectation peut être demandé par la salariée ou l'employeur. En cas de désaccord ou lorsque le changement intervient à l'initiative de l'employeur, c'est le médecin du travail qui est juge de la nécessité médicale du changement d'emploi (art. L. 1225-7, al. 2).

Seul le changement de lieu de travail ne peut être imposé à la salariée. A contrario, tout autre changement (à l'exception de la rémunération qui doit être maintenue), peut être imposé à la travailleuse enceinte afin de la protéger d'une situation dangereuse pour sa santé ou celle de l'enfant à naître. La salariée enceinte ne peut refuser un changement d'affectation dicté par des raisons de nécessité médicale, attestée par le médecin du travail.

* En raison de la nature du poste de travail et de l'exposition à certains risques :

Ces interdictions visent toutes les femmes enceintes, quel que soit leur état de santé.

L'interdiction du travail de nuit. : la salariée enceinte occupée à un travail de nuit est titulaire d'un droit à un poste de jour si elle en fait la demande. L'employeur ne peut le refuser. L'incompatibilité du travail de nuit avec la grossesse peut également être constatée par écrit par le médecin du travail.

Cette affectation à un poste de jour est temporaire : elle dure toute la grossesse et toute la période du congé postnatal. Elle peut être prolongée pour une durée n'excédant pas un mois, à la demande du médecin du travail, si l'état de santé de la salariée l'exige (art. L. 1225-9).

La salariée enceinte ne peut s'opposer à une affectation temporaire sur un emploi de jour, sauf si celle-ci s'accompagne d'un changement d'établissement (art. L. 1225-9, al. 3).

L'exposition à des risques particuliers : certains produits, certaines substances ou encore certaines conditions de travail difficiles sont reconnus nocifs pour la santé et la sécurité de la femme enceinte (C. trav., art. L. 1225-12 et L. 4152-1).

Ces risques particuliers sont énumérés par voie réglementaire, aux articles D. 4152-3 et suivants du code du travail : interdiction de l'exposition à un agent biologique pathogène comme le virus de la rubéole ou au toxoplasme (sauf si la preuve existe qu'elle est suffisamment protégée contre ces agents par son état d'immunité), à des agents chimiques dangereux, recensés à l'article D. 4152-10 du code du travail (agents classés toxiques pour la reproduction, benzène, dérivé des hydrocarbures aromatiques) et réduction de l'exposition à des rayonnements ionisants.

En outre, certaines tâches pénibles ne peuvent être confiées à une femme enceinte : travaux à l'aide d'engins du type marteau-piqueur mus à l'air comprimé (art. D. 4152-8), utilisation d'un diable pour le transport de charges (art. D. 4152-12).

Conformément à l'article 4 de la directive n° 92/85/CEE, pour toute activité susceptible de présenter des risques spécifiques, ceux-ci doivent être évalués par l'employeur, directement ou par l'intermédiaire des services de protection et d'exposition à ces agents, procédés ou conditions de travail (médecin du travail, comité social et économique, ex CHSCT). L'employeur a ainsi :

- l'obligation d'informer les femmes sur les effets potentiellement néfastes de l'exposition à certains risques et sur les possibilités de changement temporaire d'affectation, à laquelle cette exposition peut conduire (art. D. 4152-4, al. 2) ;

l'interdiction d'exposer la salariée enceinte aux risques révélés par l'évaluation (C. trav., art. L. 4152-1).

En cas de danger, il est tenu de lui proposer un emploi compatible avec sa santé (art. L. 1225-12).

4) Dispense de travail et droit au maintien de la rémunération :

Si l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi à la salariée travaillant de nuit ou exposée à certains risques, le contrat de  travail est suspendu  jusqu'à la date du début du congé de maternité (C. trav.,  art. L. 1225-10 et  L. 1225-14).

La salariée enceinte est alors dispensée de travailler afin de sauvegarder sa santé et celle de son enfant. Mais l'affectation ou l'aménagement ne doit emporter aucune baisse de rémunération47(*) et cesse, au plus tard, à la fin de la grossesse ou du congé.

La salariée est dès lors réintégrée dans l'emploi précédemment occupé ou retrouve ses anciennes conditions de travail.

b) Une stigmatisation persistante de la grossesse en milieu professionnel

Malgré ce contexte a priori favorable aux travailleuses enceintes, plusieurs difficultés et obstacles auxquels elles sont confrontées sont à déplorer.

(1) Des difficultés manifestes

D'abord, comme l'indiquait devant la délégation Elsa Boulet, le 8 décembre 2022, « le taux d'emploi est plus faible au moment de la naissance (65 %) que pendant la grossesse (70 %), ce qui signifie qu'elles ont perdu ou quitté leur emploi en cours de grossesse ». En outre, « le taux de chômage est (...) beaucoup plus élevé au moment de la naissance que pour [les autres] femmes de la classe d'âge de 24 à 49 ans. En effet, 18 % des premières sont au chômage, contre 9 % des secondes ».

Ensuite, la fréquence des discriminations déclarées en lien avec la grossesse ou la maternité est encore très importante ainsi que l'a relevé, à plusieurs reprises ces dernières années, le Défenseur des droits dans ses rapports sur les discriminations dans l'emploi, comme le rappelait Elsa Boulet devant la délégation, puisque dans son rapport de 2017, « la grossesse et la maternité arrivent au troisième rang des motifs de discriminations dans l'emploi les plus fréquemment déclarés par les femmes. Les femmes ayant été enceintes ou les mères d'un enfant en bas âge ont été deux fois plus la cible de discriminations au travail que les autres femmes ».

De même, dans le rapport annuel d'activité pour 2022 du Défenseur des droits, il est indiqué que « de trop nombreuses réclamations parviennent encore au Défenseur des droits de la part de femmes dont les contrats ont été interrompus (fin de période d'essai, non renouvellement d'un contrat à durée déterminée) parce qu'elles étaient enceintes et auxquelles on reproche régulièrement un "manque de loyauté" lorsqu'elles ne signalent pas, de façon très anticipée, leur grossesse, alors que rien ne les y oblige ». Ce rapport note également que « malgré un cadre législatif protecteur et une jurisprudence bien établie, ces discriminations dans l'emploi fondées sur la grossesse restent fréquentes et se trouvent à l'origine de nombreuses saisines du Défenseur des droits ».

Partant de ce constat, l'institution a diffusé, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022, un guide pratique48(*) destiné à promouvoir le droit applicable à toutes les étapes de la grossesse.

De même, les résultats 2023 de l'Index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui permet de mesurer sur 100 points les inégalités salariales dans les entreprises d'au moins 50 salariés et qui comprend cinq indicateurs dont celui des augmentations de rémunération au retour de congé maternité qui correspond à 15 points sur les 10049(*), révèlent que plus de 140 entreprises ont une note de 0/15 pour cet indicateur et n'enregistrent aucun progrès depuis 2020.

Pour ce qui concerne les professions libérales, maître Aminata Niakaté, présidente de la commission parité-égalité de l'UNAPL, a rapporté à la délégation que « la maternité est l'une des premières causes de discrimination dans la profession [d'avocate], notamment lorsqu'on travaille pour un confrère. (...) L'an dernier, le Conseil national des barreaux a mené une enquête. Dans son volet relatif au harcèlement et aux discriminations, il a relevé que les femmes étaient les plus touchées, plus particulièrement du fait de leur grossesse, et surtout lorsqu'elles exercent dans de plus gros cabinets. 61,5 % des collaboratrices sondées ont été victimes de harcèlement ou de discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l'ensemble des discriminations. »

Enfin, dernier constat concernant les difficultés rencontrées par les travailleuses enceintes, comme le relève Elsa Boulet, « les arrêts de travail de longue durée sont nombreux pendant la grossesse. (...) plus d'un quart des femmes enceintes cessent leur activité rémunérée avant la fin du second trimestre de grossesse, bien avant le congé dit de maternité ».

(2) Des formes diverses de stigmatisation avec des conséquences délétères sur la santé des travailleuses enceintes

L'étude, présentée par Elsa Boulet devant la délégation le 8 décembre 2022 sur la grossesse au travail, met en évidence une persistance de la stigmatisation de la grossesse en milieu professionnel.

Cette stigmatisation « prend des formes très diverses, subtiles, ou au contraire très frontales, et parfois très graves. Elle peut être matérialisée par des propos désobligeants ou des attitudes hostiles de la part des collègues directs ou de la hiérarchie. (...) toutes les salariées, même lorsqu'elles ne sont pas confrontées à des attitudes hostiles, ont intériorisé la suspicion et l'hostilité potentielle de leur milieu professionnel vis-à-vis de leur grossesse ».

Cette stigmatisation a des conséquences pour les travailleuses et un impact potentiel sur leur santé physique et psychique :

- la recherche d'une minimisation de la visibilité et des conséquences de leur grossesse sur leur lieu de travail : renoncement à certains droits concernant l'aménagement du temps de travail, anticipation de la charge de travail répartie sur leurs collègues durant le congé maternité ;

- le non-recours aux aménagements possibles du poste de travail en raison essentiellement d'une méconnaissance de leurs droits par les travailleuses enceintes. Cette méconnaissance est, par ailleurs, rarement compensée par l'intervention du supérieur hiérarchique ou du service des ressources humaines ;

- les effets sur la santé des salariées enceintes sont de plusieurs ordres : une dégradation de l'état de santé général, de la fatigue, des malaises, une aggravation de pathologies préexistantes ou encore des menaces d'accouchement prématuré.

S'agissant de ces effets, il est important de souligner que « les inégalités socio-économiques sont à prendre en compte. Elles sont imbriquées au genre lorsqu'on parle de santé au travail. Les femmes occupant des postes de cadre ou des professions intermédiaires ont en effet plus de marge de manoeuvre que les employées pour adapter leur poste de travail ou leurs horaires et ainsi préserver leur santé. Les employées en situation de subordination hiérarchique ont bien moins de possibilités d'adaptation ».

Ainsi, les arrêts de travail dit précoces - au cours du second trimestre de grossesse - sont plus fréquents parmi les femmes peu qualifiées ou en situation de précarité, même en l'absence de problème de santé préexistant50(*). L'arrêt maladie de longue durée (jusqu'au congé prénatal) fait ainsi bien souvent office de palliatif à des conditions de travail inadaptées mettant en danger la santé des femmes et la bonne issue de la grossesse.

La grossesse va également de pair avec des sorties d'emploi. L'enquête périnatale de 2016 montre qu'une femme sur dix perdait ou quittait son emploi en cours de grossesse. En outre, ces sorties de l'emploi pendant la grossesse concernent 20 % des femmes occupant des emplois ouvriers et de service, contre 5 % des cadres et indépendantes. Elles concernent également 16 % des femmes à temps partiel contre 9 % des travailleuses à plein temps.

Ainsi, comme le soulignait Elsa Boulet devant la délégation, « la grossesse exacerbe les inégalités préexistantes en termes d'emploi et de santé. Elle joue le rôle de miroir grossissant de ces différents phénomènes ».

2. Les recommandations de la délégation pour une meilleure diffusion des « bonnes pratiques » en milieu professionnel
a) Privilégier une meilleure information des travailleuses enceintes sur leurs droits

Au-delà de la lutte contre les discriminations dans l'emploi liées à la grossesse qui relève d'abord de la justice, il est important, dans un premier temps, de faire en sorte que les travailleuses soient parfaitement informées de leurs droits pendant la grossesse.

Cette meilleure information relève notamment de la responsabilité des employeurs, des services des ressources humaines mais aussi, en partie, de la médecine du travail lorsqu'elle est correctement formée et outillée pour le faire.

Interrogée par la délégation sur la proportion de femmes enceintes concernées par un arrêt de travail précoce faute de mesures organisationnelles adaptées, la direction générale du travail a indiqué ne pas disposer de cette donnée mais souligné les leviers connus permettant d'éviter ce retrait du travail précoce :

- organiser un entretien systématique avec le manager dans un délai suffisant, avant le départ en congé maternité, pour évoquer notamment le déroulement de la période de grossesse (autorisation d'absence pour examens médicaux/aménagement du poste, etc.) ;

- encourager les visites à la demande afin de renforcer la communication sur les outils du maintien en emploi disponibles dont l'aménagement du poste de travail ou des horaires.

S'il existe des dispositions conventionnelles favorables à l'aménagement de poste ou aux changements d'horaire ou d'affectation, il appartient à l'employeur et aux partenaires sociaux de communiquer sur ces possibilités pour que les femmes enceintes comme les managers aient davantage connaissance de ces dispositions et puissent les mobiliser en temps utile.

L'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail (Anact) a publié en 2019 un livret de dix questions sur la conciliation entre grossesse et travail qui se présente notamment comme un guide de bonnes pratiques à destination des employeurs et des salariés. En matière d'information notamment, l'Anact révèle les résultats d'une enquête menée en 2015 qui montre que 97 % des femmes ayant été enceintes n'ont pas disposé d'informations sur les risques liés à leur activité professionnelle en général ni d'informations en amont de leur grossesse.

Pour être efficace, l'information sur les risques et les droits en cas de grossesse doit s'adresser à toutes et tous, à l'ensemble des salariés, des managers et des instances représentatives du personnel. Elle doit porter sur les mesures applicables en matière de conciliation grossesse/travail, le rôle du médecin du travail, l'intérêt d'une déclaration précoce à l'employeur (réduction horaire, autorisation d'absences pour examens médicaux, etc.) mais aussi sur les risques potentiels pour la grossesse de certaines activités professionnelles.

Outre cette meilleure information, le besoin d'une application réelle des mesures destinées aux travailleuses enceintes est primordial. Il existe en effet un hiatus important entre ce qui est prévu par le droit et ce qui s'applique réellement.

L'application de ces mesures permettrait notamment, en renforçant les actions de prévention et en associant plus étroitement le médecin du travail, de limiter les nombreux retraits anticipés du travail des femmes enceintes, en mettant en place des mesures adéquates d'aménagement de poste ou d'horaires, de modifications dans l'organisation du travail voire de changement temporaire d'affectation.

S'agissant des professionnelles libérales, l'UNAPL a cité comme mesures potentielles permettant de faire face à la perte d'activité et de revenus générée par le congé maternité : la suspension automatique et le report des charges ainsi que le versement d'indemnités journalières un peu plus élevées, la possibilité de bénéficier du chômage partiel pour leurs salariés ou la suspension des échéances de leurs prêts.

Recommandation n° 18 : Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

b) Quand survient la « fausse couche »

Dans les cas où la grossesse est interrompue de façon spontanée en raison d'une fausse couche, la délégation estime nécessaire un accompagnement des travailleuses qui la subissent.

Si des employeurs ont d'ores et déjà mis en place des dispositifs d'accompagnement tels que celui annoncé par le groupe Carrefour au mois d'avril 2023 dans le cadre de son initiative précitée Santé au féminin et qui prévoit trois jours d'absence autorisée en cas de fausse couche, le législateur s'est également emparé de cette question avec l'examen de la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une fausse couche51(*) qui devrait être définitivement adoptée par le Parlement le 29 juin 2023.

Ce texte, qui entend renforcer la prise en charge médicale et psychologique des femmes et de leur partenaire après une fausse couche, supprime le délai de carence applicable aux arrêts maladie consécutifs à une interruption spontanée de grossesse.

D'autres initiatives législatives récentes déjà évoquées s'agissant de la prise en charge de la santé menstruelle au travail prévoient également des dispositions relatives aux interruptions spontanées de grossesse.

C'est le cas notamment de la proposition de loi précitée de notre collègue Hélène Conway-Mouret qui prévoit l'instauration d'un « congé payé pour les femmes affectées par une interruption spontanée de grossesse sur la base d'une prescription médicale fournie par un médecin généraliste, d'un gynécologue-obstétricien ou d'une sage-femme ». Le texte précise que la durée de ce congé peut s'étendre sur une période maximale de cinq jours ouvrables et qu'un congé similaire est également ouvert au conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

En outre, la proposition de loi précitée de nos collègues députés Michaël Bouloux et Fatiha Keloua Hachi, relative à la prise en compte de la santé menstruelle, prévoit d'octroyer « aux salariés et aux agents de la fonction publique des jours de congé en cas d'interruption spontanée de grossesse, autrement dit de « fausse couche », sans jour de carence ».


* 44 La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu cette autorisation d'absence aux actes médicaux nécessaires à une assistance médicale à la procréation (AMP). En outre, le conjoint salarié de la femme enceinte ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation bénéficie également d'une autorisation d'absence pour se rendre à trois de ces examens médicaux obligatoires ou de ces actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d'assistance médicale.

* 45 Modifié par la loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle.

* 46 Certains accords n'offrent cette réduction qu'à partir du troisième ou quatrième mois de grossesse, voire encore plus près du terme. D'autres l'accordent dès le début de la grossesse. L'intéressée est libre d'en bénéficier ou pas.

* 47 Elles bénéficient pendant cette suspension d'une garantie de rémunération composée d'une allocation journalière d'incapacité au travail (CSS, art. L. 333-1) et d'un complément à la charge de l'employeur ( C. trav., art. L. 1225-10).

* 48  https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21229

* 49 Les quatre autres indicateurs correspondent à : l'écart de rémunération femmes-hommes (40 points), l'écart dans les augmentations annuelles (20 points), l'écart dans les promotions (15 points) et la part des femmes dans les dix plus hautes rémunérations de l'entreprise (10 points).

* 50 Thèse de Solène Vigoureux, sous la direction de Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, publiée en 2018 - Évolution de l'activité professionnelle des femmes pendant la grossesse en France : Enquêtes nationales périnatales de 1972 à 2016.

* 51  https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-417.html

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