N° 780

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la santé des femmes au travail,

Par Mmes Laurence COHEN, Annick JACQUEMET, Marie-Pierre RICHER
et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices

Tome I - Le rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

L'ESSENTIEL

Usure physique et psychique, troubles musculo-squelettiques, cancers : les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement méconnues et minimisées. De même, les difficultés associées à la santé sexuelle et reproductive des femmes sont encore sous-estimées voire ignorées dans le monde du travail. Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est ainsi à l'origine d'impensés féminins dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de santé au travail.

Les rapporteures ont mené pendant plus de six mois des auditions et déplacements sur le terrain afin de mettre des mots sur ces maux et de rendre visible « l'invisible qui fait mal ». Elles formulent vingt-trois recommandations autour de trois grands axes : chausser systématiquement les lunettes du genre ; développer et adapter la prévention à destination des femmes ; mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.

I. UN DÉFAUT DURABLE ET PRÉJUDICIABLE D'APPROCHE GENRÉE EN MATIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

A. DES DONNÉES SEXUÉES INCOMPLÈTES ET ENCORE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES

Si la santé des femmes au travail a fait l'objet de recherches en sciences sociales, elle a peu été étudiée sous l'angle de l'épidémiologie et des politiques de santé publique. Les statistiques sexuées demeurent parcellaires. À titre d'exemple, la Direction générale du travail (DGT) n'a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail. La Cnam quant à elle n'exploite pas les statistiques sexuées dont elle dispose pourtant. En outre, les recherches épidémiologiques manquent encore sur les secteurs à prédominance féminine, en particulier du care ou du nettoyage. Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ?

Au-delà des données sexuées, les maladies à caractère professionnel sont imparfaitement connues, en raison d'un double phénomène :

B. UN AVEUGLEMENT AU GENRE À L'ORIGINE D'UNE FOCALISATION SUR « L'HOMME MOYEN »

 

Les postes de travail et les équipements - y compris les équipements de protection individuels (EPI) - sont basés sur les références anthropométriques d'un « homme moyen ».

 

Des craintes de discrimination freinent la mise en oeuvre de l'évaluation sexuée des risques professionnels prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Les politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels ont d'abord été pensées pour des travailleurs masculins et les risques liés aux métiers masculins.

seulement de femmes concernées par le compte professionnel de prévention (C2P)

Les pathologies non-professionnelles ayant des conséquences sur l'activité professionnelle ne sont pas prises en compte sous le prisme du genre. Or, la question du maintien et du retour dans l'emploi après un cancer se pose, par exemple, davantage pour les femmes, atteintes en moyenne à un âge plus précoce.

II. DES RISQUES PROFESSIONNELS SOUS-ESTIMÉS, MÉCONNUS ET DIFFÉRENCIÉS CHEZ LES FEMMES

 

Une double ségrégation professionnelle persiste :

· une ségrégation horizontale par secteur : seuls 20 % des métiers sont mixtes, avec des pénibilités et risques différenciés par métiers ;

· une ségrégation sexuée des tâches : les femmes sont davantage affectées à des tâches dites plus fines mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes professionnelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes.

Les femmes sont majoritairement exposées à des risques invisibles et silencieux, liés à une usure physique et psychique, alors que les hommes sont davantage exposés à des dangers visibles et engageant le pronostic vital (accidents, amiante...).

 
 
 

des personnes
atteintes de TMS
sont des femmes

plus de signalements
de souffrance psychique
chez les femmes

des femmes ont subi au moins un fait de violence (agression, harcèlement, VSS) dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée

 

Professions du soin

80 % de femmes : infirmières, aides-soignantes, aides à domicile...

 
 

un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg

 
 
 

des horaires atypiques et du travail de nuit

 
 

des exigences émotionnelles et organisationnelles fortes

   

AGENTS CANCÉROGÈNES

 
 

Professions du nettoyage

 

au sein des produits d'entretien couramment utilisés

 

80 % de femmes, majoritairement des femmes de plus de 50 ans, en situation précaire

Souvent, l'inégalité de genre se double d'une inégalité sociale, avec un cercle vicieux entre précarité du travail et des conditions de vie et mauvaise santé.

III. PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

A. CHAUSSER SYSTÉMATIQUEMENT LES LUNETTES DU GENRE : DIFFÉRENCIER N'EST PAS DISCRIMINER

Parmi les recommandations :

- Développer l'élaboration et surtout l'exploitation de données sexuées croisées

- Faire de l'approche genrée un axe stratégique du prochain plan de santé au travail (PST 5)

- Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré

- Former tous les acteurs de la prévention à une approche genrée

B. DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

Parmi les recommandations :

- Élaborer une stratégie nationale pour la santé des femmes, incluant un volet « santé au travail » reconnaissant le rôle pivot de la médecine du travail

- Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux conditions de travail des femmes (ex. : postes et équipements adaptés, produits de nettoyage de substitution, interdiction des mono-brosses sur les sols amiantés, nombre minimum de soignants par patient...)

- Généraliser le développement de maisons de soignants sur tout le territoire

- Renforcer les moyens humains dédiés à la prévention et au contrôle (médecine et inspection du travail)

- Renforcer les sanctions à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée

- Faciliter la reconnaissance des cancers du sein et des ovaires en maladie professionnelle

- Revoir la liste des critères de pénibilité

IV. SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL : NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

A. LA PRISE EN CHARGE DE L'ENDOMÉTRIOSE ET DES PATHOLOGIES MENSTRUELLES INCAPACITANTES AU TRAVAIL : UN ENJEU D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

 

de la population féminine

en âge de procréer,
soit 1,5 à 2,5 millions de femmes

 

douleurs (chroniques) pelvi-périnéales mais aussi digestives, urinaires et lombaires

diminution de la capacité de travail et de la productivité

Parmi les recommandations :

Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés

B. LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER, QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

 
 

Non-recours
à certains droits

concernant l'aménagement

du temps et du poste

de travail

des femmes occupant des emplois ouvriers et de service perdent ou quittent leur emploi en cours de grossesse

de discriminations au travail à l'encontre des femmes enceintes ou mères d'un enfant en bas âge

Recommandation :

Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse

C. LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP)

 
 
 

des couples en âge de procréer touchés par l'infertilité

conçu dans le cadre d'une AMP

des femmes en parcours AMP estiment que celui-ci a des répercussions sur leur vie professionnelle

Recommandations :

- Adapter le régime des absences au travail, notamment pour les conjoints

- Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail »

- Inciter les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle des femmes

D. LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

 
 
 

femmes entrent en ménopause chaque année

de femmes concernées

des femmes de 55  ans ou plus

 

Conséquences, généralement transitoires : carence oestrogénique, bouffées de chaleur, troubles du sommeil, maux de tête, troubles urinaires, troubles de la mémoire, risque osseux...

Recommandations :

- Mieux informer les employeurs, employés et professionnels de santé sur les symptômes de la ménopause

- Réfléchir à une adaptation des conditions de travail à la symptomatologie de la ménopause

- Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause

LISTE DES RECOMMANDATIONS

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

CHAUSSER SYSTÉMATIQUEMENT LES LUNETTES DU GENRE :
DIFFÉRENCIER N'EST PAS DISCRIMINER

Recommandation n° 1 : Développer l'élaboration et l'exploitation, par les organismes producteurs de statistiques publiques, de données sexuées et croisées sur la sinistralité au travail.

Recommandation n° 2 : Faire de l'approche genrée de la santé au travail et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques principaux du prochain PST (2026-2030).

Recommandation n° 3 : Sur le modèle du plan régional de santé au travail (PRST) de Bretagne, encourager l'ensemble des régions à intégrer, au sein de leur PRST, une analyse différenciée de l'évaluation des risques en fonction du sexe et des actions spécifiques dédiées à la prise en compte de la santé des femmes au travail dans toutes ses dimensions.

Recommandation n° 4 : Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré et les inciter à intégrer dans ce document des risques auxquels les femmes sont plus particulièrement exposées, tels que les violences sexuelles et sexistes au travail, les risques psychosociaux ou les TMS.

Recommandation n° 5 : Inscrire dans le code du travail l'obligation d'une approche sexuée des risques professionnels au sein des fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, par parallélisme avec le DUERP.

Recommandation n° 6 : Former les professionnels de santé, et en premier lieu les médecins du travail, l'Inspection du travail, l'ensemble des préventeurs et les DRH à une approche genrée de la santé au travail.

DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

Recommandation n° 7 : Élaborer une Stratégie nationale globale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et renforcer le rôle pivot de la médecine du travail dans le suivi de la santé des femmes au travail.

Recommandation n° 8 : Généraliser le développement de maisons des soignants sur tout le territoire.

Recommandation n° 9 : Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine.

Recommandation n° 10 : Renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

Recommandation n° 11 : Renforcer les moyens humains, notamment ceux de la médecine et de l'inspection du travail, dédiés au contrôle de l'application par les employeurs des mesures de prévention et de santé au travail.

Recommandation n° 12 : Encourager l'accès de toutes les femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel.

Recommandation n° 13 : Faciliter la reconnaissance en maladie professionnelle, d'une part, du cancer du sein en lien avec le travail de nuit, d'autre part, du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante.

Recommandation n° 14 : Revoir la liste des critères de pénibilité en l'adaptant à la réalité des risques professionnels féminins.

SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL : NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

LA PRISE EN CHARGE DE L'ENDOMÉTRIOSE ET DES PATHOLOGIES MENSTRUELLES INCAPACITANTES AU TRAVAIL : UN ENJEU D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Recommandation n° 15 : Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés.

Recommandation n° 16: Généraliser la mise en oeuvre du programme ENDOpro, développé par la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, aux employeurs privés et publics.

Recommandation n° 17 : Inciter les branches à négocier des mesures d'aménagement des conditions de travail des femmes atteintes de pathologies menstruelles incapacitantes (poste de travail, temps et horaires de travail, évolution de carrière).

LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER,
QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

Recommandation n° 18 : Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP) POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT

Recommandation n° 19 : Étendre le régime des absences autorisées par la loi, dans le cadre d'un parcours d'AMP, afin notamment de permettre un accompagnement dans la durée des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans ce parcours.

Recommandation n° 20 : Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail », renforçant notamment le rôle de la médecine du travail dans la diffusion d'information sur la prévention de l'infertilité.

Recommandation n° 21 : Rendre les parcours d'AMP plus efficaces en incitant les professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.

LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

Recommandation n° 22 : Mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence.

Recommandation n° 23 : Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

AVANT-PROPOS

Minimisation de la pénibilité, sous-estimation des risques, maux à bas bruits, invisibilisation des cancers professionnels, facteurs de risques secondaires, angle mort, tabou autour des pathologies menstruelles et de la ménopause... Les rapporteures ont été frappées par la récurrence, chez les expertes et experts auditionnés, des termes témoignant d'une méconnaissance voire d'un déni face aux atteintes à la santé des femmes dans le monde du travail.

Pendant plus de six mois, elles ont auditionné plus d'une cinquantaine de professionnels de santé, épidémiologistes, sociologues, chercheuses et chercheurs, responsables institutionnels, représentantes et représentants des partenaires sociaux, associations, expertes et experts dans le domaine de la prévention et de la santé des femmes au travail. Elles ont également effectué des déplacements de terrain, notamment en Bretagne, où le plan régional de santé au travail fait de la santé des femmes un axe central, au-delà de ce que prévoit le 4e plan gouvernemental de santé au travail (2021-2025), dont on ne peut que déplorer le manque d'ambition en la matière.

Elles se sont intéressées à la santé des femmes dans une approche globale et transversale, retenant la définition de la santé par l'OMS comme un état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. S'intéressant tant à la santé physique que psychique, elles ont tenu à avoir, sur toutes les thématiques examinées, une triple lecture à la fois épidémiologique, sociologique et politique.

Elles se sont également penchées sur le rôle assigné aux femmes dans l'emploi et sur l'impact de leurs conditions de travail sur leur santé.

Force est aujourd'hui de constater le déficit persistant d'approche genrée en matière de santé au travail qui a pour conséquence l'insuffisance de la prévention en faveur de la santé des femmes au travail. Le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes, cet « invisible qui fait mal »1(*), est en effet à l'origine d'impensés féminins dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de santé au travail.

C'est pourquoi, les rapporteures tiennent à affirmer avec force cette conviction : différencier n'est pas discriminer. Parce que protéger la santé des femmes au travail ne doit pas se faire au détriment de leur accès à l'égalité professionnelle, il est également important de rappeler que, comme dans de nombreux domaines, oeuvrer en faveur des femmes et de l'égalité en matière de santé au travail revient à améliorer la situation de toutes et tous.

Les rapporteures formulent vingt-trois recommandations qui s'articulent autour de trois grands axes :

- chausser systématiquement les lunettes du genre ;

- développer et adapter la prévention à destination des femmes ;

- mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.

I. UN DÉFAUT DURABLE ET PRÉJUDICIABLE D'APPROCHE GENRÉE EN MATIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

Alors que certains pays - au premier rang desquels l'Angleterre - ont récemment adopté des stratégies nationales dédiées à la santé des femmes, les rapporteures déplorent que la France n'ait pas fait le choix d'une telle démarche volontariste. Hors de la sphère gynécologique, avec les parcours spécifiques que constituent la maternité, les dépistages des cancers du sein et du col de l'utérus et la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, les spécificités féminines demeurent encore trop méconnues et insuffisamment prises en compte dans leur globalité.

Ce défaut d'approche genrée se retrouve dans le champ de la santé au travail, qui demeure encore trop souvent cloisonné alors même que la France s'est engagée dans le développement de la transversalité entre les différentes politiques publiques de santé - santé publique, santé au travail et santé environnementale.

Les rapporteures relèvent, comme principal facteur explicatif, un manque de volonté d'investiguer les connaissances scientifiques. Si la santé des femmes au travail a fait l'objet de recherches en sciences sociales, elle a peu été étudiée sous l'angle des politiques de santé publique. Les données sexuées sont certes de plus en plus nombreuses aujourd'hui mais elles sont encore peu exploitées, par les chercheuses et les chercheurs comme par les acteurs institutionnels en charge de la prévention et de la santé au travail.

Les rapporteures constatent en outre un souhait délibéré, de la part des employeurs, des institutions et des professionnels de la prévention et de la santé au travail, d'adopter une approche indifférenciée, aveugle au genre. Une telle approche conduit en réalité à se focaliser sur les mesures anthropométriques d'un « homme moyen » et à nier toute spécificité féminine. La supposée neutralité renforce donc les inégalités.

A. DES DONNÉES SEXUÉES INCOMPLÈTES ET ENCORE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉES

1. Des points aveugles et des biais de genre dans les connaissances scientifiques
a) Des connaissances encore parcellaires des statistiques sexuées et des spécificités féminines
(1) Un manque de connaissances épidémiologiques

Comme l'a relevé devant la délégation Muriel Salle, historienne spécialiste de l'histoire des femmes et auteure en 2017, avec Catherine Vidal, d'un ouvrage intitulé Femmes et santé : encore une affaire d'hommes ?, il y a longtemps eu un manque de connaissances ou des connaissances erronées s'agissant de la santé des femmes en général et de la santé des femmes au travail en particulier.

Des chercheuses se sont intéressées aux questions de santé au travail des femmes à partir des années 1980. Cependant, ces recherches se sont surtout faites sous l'angle des sciences sociales, moins sous l'angle de la santé publique et des sciences biomédicales, comme l'a souligné, lors de son audition, Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined), chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), auteure de travaux de recherche sur les inégalités sociales de santé.

Cette chercheuse, elle-même épidémiologiste, a témoigné des prises de conscience qu'elle a pu connaître au sein du Giscop 93 (Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle), où se côtoient des médecins en santé publique et des chercheurs en sciences sociales. Elle estime que des biais de genre, dont les chercheurs n'ont pas conscience, peuvent générer des points aveugles dans les connaissances en épidémiologie des risques professionnels et ainsi contribuer à renforcer les inégalités sociales en matière de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail.

Persiste encore aujourd'hui un manque de connaissance, d'un point de vue épidémiologique, des spécificités féminines liées à l'exposition aux risques professionnels. Ainsi, Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, directrice honoraire de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et membre du Giscop 84, a déploré, devant la délégation, une extrapolation de l'épidémiologie des hommes vers les femmes s'agissant des risques chimiques et de leurs conséquences en matière de cancer.

(2) Des statistiques plus nombreuses mais encore incomplètes

Depuis une dizaine d'années, les statistiques sexuées se sont développées et permettent de mieux appréhender les spécificités féminines, tant sous l'angle de leurs conditions de travail que sous celui des atteintes à leur santé.

La loi pour l'égalité réelle de 20142(*) a exigé des entreprises des indicateurs sexués de santé et sécurité au travail tandis que la loi de modernisation du système de santé de 20163(*) a imposé à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et aux services de santé au travail de produire des données sexuées.

Les principales études portant sur les risques professionnels que sont les enquêtes Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), « Conditions de travail » et « Conditions de travail - risques psychosociaux » recueillent les informations sociodémographiques des personnes interrogées, dont leur sexe.

Cependant, de nombreuses statistiques sexuées manquent encore pour dresser un diagnostic exact de la santé des femmes au travail. Ainsi, la Cnam n'a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données sur la répartition des arrêts maladie par sexe, alors même qu'elle fournit de telles données par âge. La Direction générale du travail (DGT) a répondu aux rapporteures qu' « il est simplement possible de dire que le secteur de la santé humaine et de l'action sociale est un secteur professionnel plus féminisé et en même temps le plus consommateur d'indemnités journalières ». De même, la DGT ne dispose pas, à l'heure actuelle, de statistiques par sexe relatives au suivi individuel en santé au travail effectué par les services de prévention et de santé au travail (SPST).

b) Un manque de recherches sur les secteurs à prédominance féminine

Les types d'emplois occupés par les femmes font l'objet de moins de recherches en santé au travail. Des biais de genre dans la construction des connaissances scientifiques se traduisent par une moindre inclusion des types d'emplois occupés par les femmes, et des femmes en général, dans les enquêtes épidémiologiques et toxicologiques notamment.

Ainsi, alors que de nombreuses études sont menées dans le secteur du BTP, très masculin, très peu d'études sont menées dans les secteurs à prédominance féminine, comme le secteur du nettoyage ou celui du care.

Selon la sociologue Annie Thébaud-Mony, elle-même auteure d'un rapport sur l'identification et la prévention des expositions aux cancérogènes dans les produits de nettoyage, jusqu'à présent aucune étude épidémiologique ne lie les métiers du nettoyage et le cancer. Les femmes sont pourtant exposées à au moins sept agents cancérogènes sur leur chariot de ménage.

De même, Robin Mor, directeur des affaires publiques de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), a noté devant la délégation qu'il n'existe presque aucune étude portant sur la population féminine des professionnels de santé et que si quelques études scientifiques traitent du sujet de la santé des médecins, la santé des aides-soignantes est totalement inexplorée par la recherche scientifique.

Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ?

c) Au-delà des données sexuées, une connaissance incomplète des atteintes à la santé liées au travail
(1) Une connaissance incomplète des maladies à caractère professionnel

Il importe de relever tout d'abord que les statistiques de la Cnam ne couvrent que les salariés du régime général de l'assurance maladie. Elles ne couvrent ni les agricultrices, ni les fonctionnaires.

Ensuite, les statistiques de sinistralité de la Cnam et du régime agricole ne concernent que les accidents du travail et les maladies professionnelles indemnisés, ouvrant droit à réparation.

Les données relatives aux maladies professionnelles (MP) concernent les maladies professionnelles indemnisées qui ouvrent droit à une réparation par les régimes de Sécurité sociale (régimes général et agricole). Il s'agit de maladies identifiées comme résultant directement de l'exposition d'un travailleur ou d'une travailleuse à un risque ou à des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle. Ces maladies font l'objet de tableaux de maladie réunissant les conditions indispensables pour la reconnaissance avec présomption d'imputabilité de leur origine professionnelle (description de la maladie, exposition, délai de prise en charge, etc.), permettant leur réparation.

Un système complémentaire de reconnaissance, les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), permet, sous certaines conditions et sous réserve d'apporter la preuve de l'origine professionnelle, d'étudier les cas litigieux ou rejetés par le système basé sur les tableaux.

Cependant, le simple dénombrement des maladies professionnelles indemnisées ne reflète pas l'ensemble des atteintes à la santé résultant du travail. Comme l'a mis en avant l'épidémiologiste Émilie Counil devant la délégation, ces statistiques ne permettent que de rendre compte des écarts entre hommes et femmes dans l'accès au droit à réparation et non de poser un diagnostic complet sur la nature et l'étendue des atteintes à la santé liées au travail.

Deux phénomènes doivent être pris en compte :

Pour reprendre les mots de Guillaume Boulanger, responsable de l'Unité « Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations » chez Santé publique France, les maladies professionnelles sont « souvent la face émergée de l'iceberg ».

Source : Santé Publique France

La notion de maladie à caractère professionnel (MCP) a été introduite par le législateur dès 1919 afin de contribuer à l'évolution des tableaux de maladies professionnelles et au repérage de nouvelles pathologies d'origine professionnelle

Si le code de la sécurité sociale4(*) prévoit que tout médecin - notamment du travail - doit déclarer une maladie qui présente « à son avis » un caractère professionnel, aucun décret ni aucune modalité n'organisent ce signalement. Depuis 20045(*), le code de la santé publique confie donc à Santé publique France, en partenariat avec l'Inspection médicale du travail et les observatoires régionaux de santé, la mission de surveiller et rendre plus visibles les maladies à caractère professionnel.

Le programme de surveillance des MCP de Santé Publique France permet d'estimer les prévalences des maladies à caractère professionnel chez les salariés et la sous-déclaration des maladies professionnelles indemnisables. Ce programme contribue à orienter les politiques de prévention en milieu professionnel et à faire évoluer les tableaux de maladie professionnelle.

Alors que le taux de MP n'est pas significativement différent chez les femmes et chez les hommes dans les données de la Cnam, le rapport de Santé publique France sur les MCP, publié en avril 2023, fait apparaître un taux de signalement des MCP significativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes, et ce tous les ans entre 2012 et 2018 (respectivement 11,4 % et 7,1 % en 2018).

(a) Une sous-estimation des troubles musculo-squelettiques

Le rapport de Santé Publique France relatif aux MCP précité fournit des données sur la sous-estimation des troubles musculo-squelettiques (TMS), première maladie professionnelle en France. Si la prévalence de cette sous-estimation ne fait pas apparaître de différence notable entre femmes et hommes, les femmes sont cependant davantage concernées par les TMS au niveau global, ce qui rend ces données significatives.

Près de 70 % des TMS signalées comme maladies à caractère professionnel correspondaient à un tableau de MP. Or, plus des trois quarts de ces TMS n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration en MP.

 
 
 

des TMS à caractère professionnel ne correspondent pas à un tableau de maladie professionnelle

 

des TMS qui correspondent à un tableau de maladie professionnelle existant ne font pas l'objet d'une déclaration

Le taux de sous-déclaration est évalué à 90 % pour le rachis cervical, 82 % pour le rachis lombaire, 77 % pour les syndromes canalaires et 75 % pour les TMS du coude et de l'épaule.

Trois raisons principales peuvent expliquer la sous-déclaration de TMS correspondant pourtant à un tableau de MP :

méconnaissance du dispositif par le salarié et par les médecins de soin, notamment généralistes ;

bilan diagnostique insuffisant pour remplir les conditions requises par le tableau de maladie professionnelle ;

refus du ou de la salariée de recourir à ce dispositif. Dans le cadre de ses travaux au sein du Giscop 84, Annie Thébaud-Mony a ainsi relevé une hésitation plus grande des femmes à s'engager dans un processus de déclaration de maladie professionnelle, qui peut s'expliquer par une crainte de perdre leur emploi.

(b) Des tableaux de maladies professionnelles incomplets au regard des cancers professionnels

L'origine professionnelle des cancers est aujourd'hui sous-estimée au sein des tableaux de maladies professionnelles.

Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, met en avant une triple invisibilité des cancers d'origine professionnelle, qui résulte de :

En outre, comme le relève Santé publique France, du fait du temps de latence généralement important entre l'exposition professionnelle et la survenue de cancers - entre 10 et 40 ans selon la Ligue contre le cancer -, le programme MCP, fondé sur des données fournies par les services de prévention et de santé au travail, n'est pas adapté au repérage des cancers professionnels qui surviennent généralement après la cessation de l'activité.

(c) Peu de reconnaissance de la souffrance psychique comme maladie professionnelle

Il n'existe, à ce jour, aucun tableau de maladie professionnelle relatif à la souffrance psychique en lien avec le travail.

Celle-ci peut néanmoins faire l'objet, sous réserve d'un niveau de gravité suffisant (responsable du décès ou d'une incapacité prévisible d'au moins 25 %), d'une reconnaissance en MP au moyen des CRRMP. Ainsi, selon le rapport de Santé publique France sur les maladies à caractère professionnel, en 2016, 596 affections psychiques ont été reconnues comme maladies professionnelles, soit sept fois plus que cinq ans auparavant.

(2) Une connaissance amputée de l'exposition aux risques professionnels

Dix facteurs de risques sont prévus par le code du travail.

Cependant, la traçabilité des expositions aux facteurs de risques professionnels a été mise à mal par plusieurs réformes successives :

- la création en 2012 de la « fiche pénibilité » a eu pour conséquence la suppression de la fiche d'exposition aux agents chimiques dangereux (ACD) et de l'attestation d'exposition aux ACD ;

- puis la suppression de cette même « fiche pénibilité » en 2015.

Subsistent deux fiches de traçabilité des expositions :

- la fiche d'exposition à l'amiante ;

- la fiche de sécurité pour les activités exercées en milieu hyperbare.

Les expositions aux autres risques ne font plus l'objet que d'une déclaration qui détermine l'attribution de points au « compte pénibilité », devenu compte professionnel de prévention (C2P). Depuis 2018, cette déclaration ne concerne que six facteurs : activités exercées en milieu hyperbare ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail en équipes successives alternantes ; travail répétitif.

En outre, pour l'évaluation du travail de nuit, l'employeur ne prend pas en compte les nuits effectuées dans les conditions du travail en équipes successives alternantes.

Enfin, les travailleuses ou les travailleurs en contrat à durée déterminée (CDD) de moins d'un mois et les salariés du particulier employeur ne sont pas éligibles au C2P et ne sont donc pas concernés par la déclaration des expositions.

Plusieurs contributions de syndicats de salariés aux travaux de la délégation estiment que cette sous-estimation des risques et de la pénibilité s'explique, entre autres, par le souhait des employeurs de ne pas supporter les coûts de leur prévention.

2. Un manque d'intérêt pour l'exploitation et l'analyse sexuées des données

La Cnam dispose de statistiques sexuées mais les rapporteures ont pu constater qu'elle ne les publie que partiellement et qu'elle ne manifeste pas d'intérêt particulier pour leur exploitation.

Elle communique généralement sur ses statistiques de façon globale et non sexuée. Ainsi, la baisse des accidents du travail est souvent mise en avant, en occultant le fait que les accidents du travail augmentent chez les femmes.

Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), a témoigné devant la délégation du fait que lorsque le Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) et le Comité national de prévention et santé au travail (CNPST) avaient interrogé la Cnam pour comprendre les taux différenciés d'accidents du travail entre hommes et femmes, il leur avait été affirmé que les statistiques genrées par branche, métier ou exposition n'existaient pas.

L'Observatoire régional de santé de Bretagne6(*) a néanmoins pu accéder à des statistiques fournies par la Cnam et a effectué un travail important d'exploitation des données afin de dégager des analyses sexuées, preuve étant donc faite que de telles analyses sont possibles.

B. UN AVEUGLEMENT AU GENRE À L'ORIGINE D'UNE FOCALISATION SUR « L'HOMME MOYEN »

1. Un souhait d'indifférenciation de la part des employeurs
a) Des postes de travail et équipements basés sur les mesures d'un « homme moyen »

Selon l'historienne Muriel Salle, « l'androcentrisme des savoirs médicaux, pensés par et pour les hommes, fait que le corps de l'homme a longtemps été considéré comme le standard de la médecine ».

Ce constat se retrouve au niveau de la conception des postes et des équipements de travail. Les postes de travail et l'organisation spatiale sont souvent pensés pour un homme de taille moyenne et s'avèrent inadaptés à la morphologie et aux caractéristiques anthropométriques et physiologiques des femmes. Parmi ces spécificités, les femmes se caractérisent en moyenne par une taille plus petite, une force musculaire plus faible, un centre de gravité plus bas, un moindre poids et un débit cardiaque inférieur.

C'est le cas par exemple de la conception des lignes de montage ou de production dans l'industrie, où les postes de travail, souvent non réglables ne sont pas adaptés au gabarit en moyenne inférieur des femmes.

Les spécificités liées au fait qu'un poste est occupé par une femme ne sont pas suffisamment perçues, sauf dans le cas précis de l'état de grossesse et de l'allaitement.

La seule norme différente pour les femmes et les hommes est la norme NF X 35-109 relative au port de charge.

Les références anthropométriques pour les équipements de protection individuels (EPI) sont elles aussi basées sur un « homme moyen ».

Le Docteur Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et de la recherche de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), a mentionné deux exemples marquants devant la délégation.

Tout d'abord celui des gants de protection : « lorsqu'on porte des gants surdimensionnés par rapport à la taille de nos mains, et que l'on doit saisir des objets ou faire de la manutention, on réalise des efforts de serrage plus importants pour maintenir le gant sur la main et pour maintenir le colis ou les objets que l'on est censé transporter. Ainsi, ces gants trop grands accroissent les facteurs de risques biomécaniques délétères s'agissant des risques de troubles musculo-squelettiques. » Ensuite, celui des appareils individuels de protection respiratoire, qui doivent être ajustés au visage pour éviter toute fuite. Le visage des femmes est souvent plus petit et différent de celui des hommes, et le masque n'est pas nécessairement adapté à leur morphologie.

b) Une organisation du travail qui ne tient pas compte de la double journée des femmes

Force est de constater que l'organisation du travail n'est pas pensée pour les femmes et leur « double journée ».

De ce point de vue, le développement du télétravail peut être à double tranchant. Il est parfois plébiscité par des femmes en ce qu'il permet une meilleure conciliation des temps de vie et des économies de fatigue liée au transport. Cependant, il peut également accentuer des inégalités dans le partage des tâches domestiques et invisibiliser davantage les femmes, les déconnecter du collectif de travail et freiner leurs possibilités d'avancement.

c) Des craintes de discrimination qui freinent une évaluation sexuée des risques professionnels

Les employeurs apparaissent réticents à adopter une approche genrée en matière de santé au travail, alors même que cette approche est prévue, depuis la loi du 4 août 2014, au sein du Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP).

Tout d'abord, cette obligation est largement méconnue. De nombreux interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, y compris des médecins du travail, n'en avaient pas connaissance et évoquaient des craintes de discrimination pouvant résulter d'une telle approche.

Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), s'est exprimée ainsi devant la délégation : « Il est très compliqué de discuter du genre dans les conditions de travail des entreprises, au risque de tomber immédiatement dans un caractère discriminant. Nous avons pour rôle de maintenir au travail des femmes sans parler d'une spécificité qui pourrait les discriminer. »

Cette crainte de discrimination a été relayée par Diane Deperrois, présidente de la commission Protection sociale du Medef : « le chef d'entreprise craint toujours d'appliquer un traitement différencié entre les hommes et les femmes. Celui-ci, s'il était avéré, pourrait être considéré comme discriminant. »

Elle s'est également retrouvée dans les propos tenus par Pierre Thillaud, représentant titulaire de la Confédération des petites et moyennes entreprises au Comité national de prévention et de santé au travail du Coct, qui a formulé devant la délégation sa crainte d'un « communautarisme sanitaire » et a déclaré : « L'approche genrée est utile pour la connaissance. Elle ne nous paraît cependant pas souhaitable pour les actions de prévention. L'INRS répugne depuis toujours à produire, au nom de l'universalité de la prévention, des études genrées. »

En outre, aborder les questions d'égalité et d'évaluation sexuée des risques professionnels peut se révéler plus complexe pour les PME et TPE. Les grandes entreprises sont davantage sensibilisées et ont les moyens de se doter de consultants extérieurs pour élaborer des plans égalité. C'est aujourd'hui pour elles un enjeu d'attractivité dans la mesure où les jeunes générations sont davantage attentives aux sujets de qualité de vie au travail et d'égalité professionnelle.

La crainte de discrimination et de stigmatisation peut aussi exister chez certaines salariées. Comme l'a expliqué Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de Santé, devant la délégation, inciter les employeurs à tenir compte de la singularité féminine dans la santé est complexe et, selon elle, « celles qui prônent l'égalité ne veulent parfois pas en entendre parler ».

2. Des politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels d'abord pensées pour les hommes

Comme le relevait la sociologue Caroline de Pauw, l'imaginaire collectif considère qu'un travail pénible est masculin et lié à des efforts physiques importants, à des ports de charges lourds, au bruit, etc., tandis que la pénibilité féminine est considérée comme moins dangereuse.

Surtout, comme l'a expliqué Émilie Counil, chargée de recherche à l'Ined, chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), devant la délégation, la référence implicite suivie en santé au travail, mais aussi dans les connaissances scientifiques produites par l'épidémiologie, a longtemps été celle d'un travailleur masculin, dont le genre était réputé neutre.

Par conséquent, les politiques publiques de prévention et réparation, et en particulier la définition de critères de pénibilité et de qualification des maladies professionnelles, suivent cette logique et sont moins efficaces pour les femmes.

Les données communiquées par la DGT montrent que 23 % seulement des personnes concernées par le compte personnel de prévention sont des femmes : en 2021, 180 000 femmes ont été déclarées exposées dans le cadre de ce dispositif, sur environ 772 000 personnes intégrées au dispositif.

23%

 

seulement des personnes concernées
par le compte personnel de prévention (C2P)
sont des femmes

Les tableaux de maladies professionnelles, et notamment ceux relatifs aux cancers professionnels, ont également été pensés à l'origine au masculin, pour les secteurs des mines, de la chimie ou du BTP, et non pour les secteurs du soin ou du nettoyage. Ils sont également moins appropriés aux parcours professionnels plus hachés et mouvants des femmes. Il est souvent difficile d'attribuer une maladie à une seule exposition, devant être massive pour être prise en compte, alors que la réalité du travail de nombreuses femmes atteintes de maladies professionnelles a été de cumuler des expositions diverses, de faible durée ou intensité, au sein de parcours mouvants.

1 800

96%

 

cancers professionnels reconnus
en moyenne chaque année

d'hommes, majoritairement des ouvriers retraités, en lien avec l'amiante

Source : Assurance maladie, Rapport « Cancers reconnus d'origine professionnelle (« Santé travail : enjeux & actions »), avril 2019.

3. Un manque de considération sous le prisme du genre des pathologies non professionnelles ayant des conséquences sur l'activité professionnelle

Les pathologies non professionnelles sont peu prises en compte par les entreprises et par les services de prévention et de santé au travail. Les différents champs de la santé restent segmentés entre santé publique, santé des patients et santé au travail du salarié ou de l'agent public. L'approche genrée pêche dans ces différents champs.

Or, certaines questions de santé publique se posent pour les femmes au cours de leur période d'activité professionnelle, davantage que pour les hommes, touchés par des pathologies à des âges plus tardifs. Comme le relevait Florence Chappert, responsable de la mission Égalité Intégrée et du projet Genre, santé et conditions de travail à l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), devant la délégation, « les questions de santé publique comme l'endométriose, le cancer du sein et la fibromyalgie ne s'articulent pas facilement avec les dispositifs de santé au travail, qui reposent sur des paradigmes de prévention des expositions professionnelles, de compensation et de réparation ». Ces pathologies réclament, selon elle, « non pas une protection des expositions mais davantage de souplesse dans l'emploi du temps et les horaires, des marges de manoeuvre et du soutien managérial ». Or les conditions de travail des femmes sont globalement marquées par une moindre autonomie.

En outre, des biais de genre dans les diagnostics des professionnels de santé, généralistes comme spécialistes de la santé au travail, persistent.

a) Le maintien et le retour à l'emploi après un diagnostic de cancer : une question qui se pose davantage pour les femmes

Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE)7(*), d'ici à 2025, un quart de la population active pourrait être concerné par une maladie chronique, comme le cancer ou le diabète.

Lors d'une table ronde réunissant des professionnelles de santé, le Docteur Laëtitia Rollin, praticien hospitalier au sein du Service santé au travail et pathologie professionnelle du CHU de Rouen, a expliqué devant la délégation que la question du maintien et du retour dans l'emploi après un diagnostic de cancer se pose davantage pour les femmes.

En effet, sur les quelque 380 000 nouveaux cas de cancer diagnostiqués chaque année, les quatre cancers les plus fréquents sont les cancers du sein, du poumon, de la prostate et du colon-rectum.

Or, une proportion élevée de cancers du sein sont diagnostiqués chez des femmes en âge de travailler, voire en pleine vie active :

50%

20%

 

des cancers du sein sont diagnostiqués chez des femmes de moins de 63 ans

 

le sont chez des femmes de moins de 50 ans, soit 10 000 personnes chaque année

En revanche, les autres cancers les plus fréquents sont soit diagnostiqués chez des personnes plus âgées - l'âge médian au diagnostic étant de 68 ans pour le cancer de la prostate et de 78 ans pour le cancer colorectal -, soit ont une espérance de vie plus faible qui ne permet pas d'envisager un retour dans l'emploi - la survie à cinq ans étant de 17 % pour le cancer du poumon, contre 87 % pour le cancer du sein.

Les cancers les plus fréquents en France

Localisation

Nombre de nouveaux cas par an
(2018)

Répartition

Âge médian
au diagnostic

Taux de survie à cinq ans*

H

F

H

F

H

F

Tous cancers

382 000

54 %

46 %

68 ans

67 ans

/

Sein

58 500

1 %

99 %

/

63 ans

/

87%

Prostate

50 400

100 %

0 %

68 ans

/

93 %

/

Poumon

46 300

67 %

33 %

67 ans

65 ans

18%

24 %

Colorectal

43 300

54 %

46 %

71 ans

73 ans

62 %

65 %

Pancréas

14 100

52%

48 %

70 ans

74 ans

11 %

Foie

10 500

77 %

23 %

69 ans

73 ans

18%

19%

Ovaire

5 200

0 %

100 %

/

68 ans

/

43%

Col de l'utérus

2 900

0 %

100 %

/

53 ans

/

63%

Peau

15 500

51 %

49 %

66 ans

60 ans

91%

94%

*des personnes diagnostiquées entre 2010 et 2015

Source : Institut national du cancer, Panorama des cancers en France, édition 2022

Caroline Alleaume, docteure en santé publique, auteure d'une thèse sur Le retour au travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer, basée sur les résultats de l'étude Vican 5, a mis en lumière certaines différences entre femmes et hommes dans le processus de maintien et de retour au travail. Les femmes se maintiennent plus souvent en emploi mais connaissent paradoxalement plus souvent des difficultés financières. Parmi les personnes qui se sont arrêtées, les hommes reprennent plus vite le travail : 53 % ont repris le travail six mois après un diagnostic de cancer, contre 38 % des femmes. Les hommes sont également plus nombreux que les femmes à avoir changé d'emploi. Enfin, parmi celles et ceux qui ne sont plus en emploi cinq ans après le diagnostic, les hommes sont plus souvent en invalidité et les femmes sont plus souvent au chômage.

Pour le Docteur Laëtitia Rollin, cela s'explique par des différences dans les cancers et leurs traitements mais également par des différences dans les emplois occupés ainsi que par des questions de représentation.

Des associations, telles que Cancer at work et La Niaque dont les rapporteures ont rencontré des représentants, s'impliquent dans l'accompagnement des personnes dans leur réinsertion professionnelle. Sans qu'elles soient ciblées sur les femmes, ces dernières représentent généralement 90 % des personnes accompagnées.

b) Une minimisation des affections féminines et des biais de genre dans les diagnostics des professionnels de santé

Dans la lignée de la stratégie nationale de santé adoptée en 2018, la loi du 2 août 2021 visant à renforcer la prévention en santé au travail8(*) encourage le développement d'une approche partagée de la santé au travail, intégrant les questions de santé publique et de santé environnementale. Elle assigne aux services de prévention et de santé au travail (SPST) des objectifs de santé publique afin de préserver, au cours de la vie professionnelle, un état de santé du travailleur compatible avec son maintien en emploi et ajoute la participation à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail aux missions des SPST prévues par le code du travail.

Ceci suppose une formation des professionnels de santé intervenant au sein des SPST aux risques et pathologies multifactoriels auxquels les travailleuses et les travailleurs sont exposés, ainsi qu'aux spécificités féminines en matière de santé. Encore aujourd'hui, les femmes font trop souvent face à une banalisation des manifestations cliniques les affectant, à des biais genrés dans les prises en charge et à des errances de diagnostic.

Les pathologies en matière de santé sexuelle et reproductive feront l'objet d'un développement spécifique dans la quatrième partie du présent rapport.

Un nombre important d'autres affections et symptômes féminins, autres que ceux de la sphère gynécologique, sont laissés de côté et ignorés.

Les maladies cardiovasculaires sont ainsi la première cause de mortalité chez les femmes. Or si les signes d'un infarctus chez l'homme sont connus (douleur thoracique aiguë et perte de connaissance), ce n'est pas le cas des signes se manifestant chez la femme (gêne respiratoire, maux de ventre, maux de dos, fatigue...). De même pour les symptômes d'un AVC, alors que l'on observe fréquemment chez les femmes des hoquets, des essoufflements, des nausées....

Par ailleurs, les femmes sont affectées par des variations et un vieillissement hormonaux, qui ont des conséquences assez larges sur leur état de santé (migraines, fatigue, ostéoporose, troubles digestifs...) et, par répercussion, sur leur activité professionnelle. Ainsi, la fragilité osseuse associée à l'ostéoporose peut accroître les conséquences des TMS par exemple.

Enfin, les femmes sont également davantage exposées au risque de dépression, en raison notamment de facteurs psychosociaux.

c) Les femmes en situation de handicap : un taux d'emploi similaire aux hommes mais des phénomènes de discrimination

L'enquête emploi réalisée par l'Insee fait état de six millions de personnes âgées de 15 à 64 ans reconnues handicapées ou déclarant un problème de santé durable et une limitation d'activité quotidienne, parmi lesquelles 55 % de femmes. Le taux d'emploi de ces femmes est de 55 % en 2021, contre 56 % pour les hommes. S'agissant des femmes ayant la qualité de travailleur handicapé (RQTH), leur taux d'emploi est de 39 % contre 37 % pour les hommes.

Ces statistiques plutôt favorables peuvent néanmoins dissimuler des phénomènes de discrimination.

Selon Mélody Béaur-Guérin, ergothérapeute ergonome, qui intervient également comme experte en dommage corporel dans le cadre de procédures judiciaires, les femmes handicapées souffrent d'une double discrimination : en raison de leur genre et en raison de leur handicap.

II. DES RISQUES PROFESSIONNELS SOUS-ESTIMÉS, MÉCONNUS ET DIFFÉRENCIÉS CHEZ LES FEMMES

Les femmes et les risques auxquels elles sont exposées au cours de leur parcours professionnel sont encore bien trop souvent invisibles. Elles pâtissent d'un double phénomène :

- d'une part, une minimisation de leur charge de travail, de la pénibilité de leurs tâches, des risques plus silencieux auxquels elles font face, ainsi que des difficultés et de la précarité de leurs conditions de travail ;

- d'autre part, d'une méconnaissance des risques auxquels elles sont exposées, différents de ceux de leurs homologues masculins, en raison principalement d'une ségrégation professionnelle persistante.

A. UNE MINIMISATION DE LA CHARGE RÉELLE DE TRAVAIL DES FEMMES ET DES RISQUES AUXQUELS ELLES SONT EXPOSÉES

1. Une sous-estimation de la pénibilité et des risques des activités exercées majoritairement par des femmes

Comme l'a exposé l'historienne Muriel Salle devant la délégation, la participation des femmes au monde du travail a été historiquement sous-estimée : « les femmes n'ont pas commencé à travailler lors de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, elles ont toujours travaillé mais la société prend trop peu la mesure de leur participation au monde du travail. »

Depuis les années 2000, le taux d'activité des femmes est d'environ 85 % chez les 25-45 ans, équivalent à celui des hommes.

a) Des métiers féminins perçus à tort comme moins dangereux

Les secteurs professionnels largement féminisés font l'objet d'une sous-évaluation de la pénibilité et des risques, alors même que de nombreux métiers dits féminins sont exposés à des risques élevés.

Ce phénomène a été pointé dans une étude de l'Anact9(*) publiée en juin 2022 qui estime que dans les secteurs de la santé et du social, du nettoyage et de l'intérim, du commerce et des industries de l'alimentation, les femmes exercent des métiers et occupent des postes de travail où les risques professionnels sont vraisemblablement sous-évalués et où les politiques de prévention sont encore insuffisamment développées.

Ainsi, selon cette étude, les accidents du travail ont augmenté de 42 % chez les femmes entre 2001 et 2019 et le nombre d'accidents du travail est plus élevé dans les activités de services (santé, action sociale, nettoyage, travail temporaire) à prédominance féminine (106 039 accidents du travail chez les femmes et 72 444 chez les hommes en 2019) que dans le secteur du BTP (86 784 accidents du travail chez les hommes et 1 576 chez les femmes en 2019). Le taux de fréquence des accidents du travail, en nombre d'heures travaillées, reste néanmoins plus élevé chez les hommes. Par ailleurs, si les accidents de travail mortels concernent à 90 % des hommes dans tous les secteurs, l'analyse de la gravité des accidents de travail non mortels indique qu'en moyenne les femmes sont arrêtées plus longtemps que les hommes.

En outre, de nombreux métiers dits féminins sont exposés à un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg prévue à l'article R4541-9 du code du travail. C'est le cas des ouvrières mais aussi des infirmières, des aides-soignantes et des aides à domicile.

La pénibilité est tout particulièrement minimisée dans les métiers considérés comme « typiquement féminins ». Les rapporteures font leurs les réflexions suivantes formulées au cours d'auditions :

- « Un certain déni existe quant aux conditions de travail de nombreux métiers dès lors qu'on les qualifie de féminins » Caroline de Pauw, sociologue ;

- « la pénibilité est une question de convention sociale et une question sociopolitique, au-delà d'une stricte observation » François-Xavier Devetter, professeur des universités au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) ;

- « Les facteurs de risques des femmes peuvent être sous considérés ou sous évalués. Ils paraissent secondaires dans l'inconscient collectif, au regard du port de charges lourdes pour les hommes, par exemple. » Dr Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et de la recherche de INRS

- « Considérer qu'un travail requiert des qualités plutôt que des compétences revient à se référer à l'inné plutôt qu'à l'acquis. Surtout, cela empêche de prendre la mesure du niveau de qualification requis et du niveau de pénibilité associé au travail. » Muriel Salle, historienne.

Ce dernier constat est particulièrement marquant dans l'activité d'hôtesse d'accueil : les qualités supposément typiquement féminines sont mises en avant par les campagnes de recrutement, occultant la difficulté des missions qui leur sont confiées.

b) Des maux à bas bruit

Les risques professionnels auxquels les femmes sont majoritairement exposées sont davantage invisibles et silencieux, liés à une usure physique et psychique, que ceux des hommes, davantage exposés à des dangers visibles.

Les accidents du travail, qui touchent majoritairement des hommes - à 90 % s'agissant des accidents mortels -, ont des conséquences immédiates et visibles.

A l'inverse, les TMS, qui affectent davantage les femmes, se manifestent en différé et sont moins immédiatement visibles. Ils font également l'objet d'une forte sous-déclaration.

De même, les risques psychosociaux sont peu visibles.

Le risque accidentogène et de maladie professionnelle grave engageant le pronostic vital, comme l'amiante ou la silice, dans des activités très masculines, a attiré le regard de toutes les autorités de contrôle et poussé les entreprises de ces secteurs à s'engager dans la prévention et la maîtrise des risques professionnels.

En comparaison, les risques professionnels des secteurs du care ou du nettoyage ont pu être banalisés dans leur appréciation par les employeurs et les salariés eux-mêmes.

Enfin, les rapporteures notent une sous-évaluation des risques liés à la charge mentale et à des inégalités persistantes dans la répartition des tâches domestiques, qui apparaissent souvent à l'arrivée du premier enfant. Or, par définition, la notion de charge mentale est difficile à objectiver et à quantifier.

2. Une invisibilisation des risques de cancers professionnels affectant les femmes
a) Une augmentation méconnue du risque de cancer du sein en cas de travail de nuit

Le Centre international de recherche sur le cancer, agence de l'OMS, a classé, en 2007, le travail posté avec nuit parmi les agents probablement cancérogènes pour le cancer du sein. En 2019, il a conclu, sur la base d'indications limitées, que le travail de nuit posté est un facteur de risque de cancer du sein, mais aussi probablement de la prostate et colorectal.

Une étude publiée en 2018, menée par Pascal Guenel, directeur de recherche à l'Inserm, a compilé cinq études réalisées en Australie, au Canada, en Allemagne, en Espagne et en France, retraçant l'exposition au travail de nuit de 13 000 femmes, dont la moitié a souffert d'un cancer du sein, et l'autre est en bonne santé. Les analyses menées à travers cette grande base de données montrent que le risque de cancer du sein augmente de 26 % en cas de travail de nuit chez les femmes non ménopausées. Par ailleurs, ce risque augmente chez les femmes ayant travaillé plus de deux nuits par semaine pendant plus de dix ans : il est deux à trois fois plus élevé.

En février 2023, une infirmière vivant en Moselle ayant travaillé vingt-huit ans de nuit à l'hôpital a obtenu la reconnaissance de son cancer du sein comme maladie professionnelle par le CRRMP de la région Grand-Est. Il s'agit d'une première en France. Jusqu'à cette date, aucune maladie professionnelle n'avait jamais été reconnue en France comme associée au travail de nuit. Seul le Danemark avait accordé en 2008 une indemnisation à trente-sept femmes atteintes d'un cancer du sein lié à ces contraintes de travail.

Le cas de cette infirmière pourrait faire jurisprudence auprès d'autres CRRMP et permettre d'indemniser d'autres femmes atteintes de cancer du sein.

b) Des agents cancérogènes associés aux activités de soin et de nettoyage, pourtant ignorés

Le Giscop 93 a étudié les inégalités sociales de cancers liés au travail, à partir de données collectées au cours des dix premières années d'une enquête de santé publique, conduite en Seine-Saint-Denis, sur plus d'un millier de patientes et de patients atteints de cancers des voies respiratoires.

Cette recherche a fait ressortir plusieurs éléments saillants différenciant les situations des femmes et des hommes. Tout d'abord, les femmes ont globalement été moins exposées que les hommes à des cancérogènes professionnels. Cependant, de nombreuses patientes ont bel et bien été exposées, et même multi-exposées au cours de leur parcours, y compris sur certains postes de travail multi-exposés également.

Ainsi, le Giscop 93 a mis en évidence une combinaison d'expositions à des agents biologiques et à des polluants organiques liés à des activités de soin ou de nettoyage, dans lesquelles les femmes sont beaucoup plus représentées que les hommes.

Les profils de ces femmes s'inscrivent, en outre, dans des parcours ou des carrières plus hachés ne leur permettant pas de cumuler les durées ou les intensités requises par le système de réparation des maladies professionnelles, fondé sur les tableaux de maladies professionnelles.

S'en suit, d'une part, une moindre proportion de femmes éligibles à une déclaration en maladie professionnelle parmi les patientes exposées et, d'autre part, une moindre reconnaissance en maladie professionnelle parmi celles ayant voulu recourir à ce droit, et donc un défaut d'indemnisation de ces atteintes à la santé liées au travail.

La sociologue Annie Thébaud-Mony a déploré devant la délégation une invisibilisation des risques cancérogènes dans le travail des femmes et une invisibilité de leurs cancers professionnels. Cette invisibilité est particulièrement notable dans le secteur du nettoyage, motivant la création d'un groupe de travail nettoyage au Giscop 84 (Vaucluse).

Ce groupe de travail a mis en évidence l'utilisation de sept agents cancérogènes dans les produits de nettoyage ainsi qu'une exposition à l'amiante soulevée par les brosses de nettoyage.

c) Une lente reconnaissance du cancer de l'ovaire comme maladie professionnelle associée à l'amiante

Les cancers broncho-pulmonaires et de la plèvre sont actuellement les seuls cancers faisant l'objet d'un tableau de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'amiante. Pourtant, depuis 2012, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) considère que le lien causal entre les cancers des ovaires et du larynx et l'exposition à l'amiante est avéré.

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a été saisie pour apporter aux pouvoirs publics les éléments scientifiques permettant d'envisager la création de tableaux de maladies professionnelles pour ces deux cancers.

D'après l'analyse des données recueillies dans le cadre de cette expertise, ces cancers liés à une exposition professionnelle à l'amiante sont sous-déclarés et sous-reconnus. Entre 2010 et 2020, seules six demandes de reconnaissance de cancers des ovaires ont été déposées.

Les deux professions les plus exposantes, avec plus de 50 % des femmes exposées, sont celles des conductrices de machines textiles (6 271), y compris le textile amiante, et des ouvrières non qualifiées de l'électricité et de l'électronique (6 711).

En outre, de nombreuses activités professionnelles sont effectuées dans un environnement contaminé par l'amiante, par exemple dans les secteurs de l'administration, de l'enseignement ou de la santé. Ainsi, 17,5 % de femmes exerçant dans le secondaire et 10 % dans le primaire sont exposées à l'amiante.

Selon l'Anses, la création d'un tableau de maladie professionnelle faciliterait la reconnaissance de ces cancers, et donc l'indemnisation des malades, en permettant de reconnaître automatiquement le lien avec une exposition professionnelle à partir du moment où le demandeur remplit les conditions définies par le tableau.

Sur la base de l'expertise de l'Anses, un tableau de maladie professionnelle pour le cancer de l'ovaire associé à une exposition à l'amiante devrait être prochainement créé.

3. Un manque de réflexion autour des conditions de travail et des situations de précarité professionnelle et sociale des femmes
a) Des conditions de travail souvent difficiles, dans la durée

Les conditions de travail sont déterminantes en matière de santé.

Or les femmes sont particulièrement affectées par des conditions de travail difficiles. Il est également important de noter, comme l'a fait la sociologue Caroline de Pauw lors de son audition, que les professions qui se féminisent voient leurs conditions de travail se dégrader et se précariser.

Comme l'a rappelé Guillaume Boulanger devant la délégation, souvent l'inégalité de genre se double d'une inégalité sociale de santé. Les professionnelles du care, du nettoyage et de la grande distribution sont des ouvrières ou employées, plus affectées par les risques professionnels que les professions intellectuelles ou les cadres. L'étude précitée de Santé publique France sur les maladies à caractère professionnel met en évidence un gradient social dans les prévalences de TMS.

En revanche, un gradient social inversé est observé pour la souffrance psychique, la prévalence de la souffrance psychique étant maximale pour les cadres et professions intermédiaires. Les auteurs de l'étude alertent néanmoins sur une sous-estimation de la souffrance psychique chez les ouvriers et les employés, les médecins du travail se concentrant davantage sur la recherche de pathologies somatiques et les ouvriers pouvant avoir plus de mal à exprimer leur mal-être au travail.

Des travaux de l'Ined, conduits par Anne Lambert, ont mis en évidence l'exposition croissante des femmes aux horaires atypiques de travail (journée de travail morcelée, horaires de nuit, tôt le matin, tard le soir ou le week-end), occasionnant des conséquences néfastes sur leur qualité de vie et leur santé.

Dans le secteur du nettoyage et dans celui de l'aide à domicile, secteurs à prédominance féminine, la journée de travail est fréquemment morcelée avec une amplitude horaire importante qui conduit à réaliser des vacations aux deux extrémités de la journée et à multiplier les déplacements effectués entre plusieurs vacations, avec des conséquences néfastes en matière de conditions de travail et d'usure professionnelle.

En outre, des travaux sur les horaires de nuits menés par Béatrice Barthe, maître de conférences HDR en Ergonomie, experte et rapporteure de l'Anses, mettent en évidence les répercussions du travail de nuit sur la santé des femmes, fréquent dans le secteur du care mais aussi dans celui du nettoyage. Le travail de nuit perturbe en effet l'alternance entre veille et sommeil et désynchronise les rythmes biologiques.

Une expertise collective menée par l'Anses entre 2012 et 2016 a permis de mettre en évidence plusieurs effets avec différents niveaux de preuve :

des effets avérés sur la somnolence, les troubles du sommeil et les troubles métaboliques ;

des effets probables sur la santé psychologique, l'anxiété, la dépression, le burn out, les performances cognitives, l'obésité, la prise de poids, le diabète, les maladies coronariennes, ainsi que le cancer du sein ;

des effets possibles sur l'augmentation du taux de lipides dans le sang, l'hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux.

Pour autant, Béatrice Barthe a souligné devant la délégation le fait que travailler la nuit peut également être une opportunité et un choix de vie pour des femmes : c'est un gain financier et cette organisation peut leur permettre de passer davantage de temps avec leurs enfants. Ce choix peut toutefois être lié à des contraintes financières et à une pression sociétale.

Enfin, les femmes connaissent des évolutions de carrière globalement moins rapides que celles des hommes et restent plus longtemps dans des emplois exposés. Alors que les facteurs de risques diminuent pour les hommes au cours de leur carrière, les femmes sont tout autant exposées aux facteurs de risques en fin de carrière qu'en début de carrière et même davantage exposées aux risques psychosociaux. Ce phénomène qui conduit à une usure professionnelle a été documenté par un rapport du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP)10(*) ainsi que par une thèse réalisée par Marion Gaboriau11(*).

b) Un cercle vicieux entre précarité du travail et mauvaise santé

Schéma des enchaînements causaux de la mauvaise santé

en situation de précarité

Mauvaise santé physique et mentale

Vulnérabilité accrue

Souffrance psychologique

Événements de vie péjoratifs (licenciement, déménagement, divorce, etc.)

Dégradation des conditions de vie

Chômage et précarité du travail

Source : Haut Comité de la Santé Publique, La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé, Rennes, ENSP, 1998

c) Des trappes à inactivité associées à des problèmes de santé survenant chez les femmes plus âgées

Les travaux de Constance Beaufils, auteure d'une thèse sur L'inactivité professionnelle au cours du parcours de vie : un déterminant social de la santé des femmes aux âges élevés, réalisée à l'Université Paris-Saclay et à l'Ined, ont mis en évidence le fait que des conditions de travail délétères, des emplois précaires ou instables et des difficultés à articuler les rôles familiaux et professionnels sont associés à des problèmes de santé aux âges élevés.

Sa thèse montre également que les interruptions d'emploi des femmes au cours de leur carrière constituent des enjeux de santé publique car elles ont des conséquences néfastes pour la santé des femmes aux âges élevés. En effet, l'inactivité professionnelle se traduit par une baisse de revenus, à un instant t ainsi qu'à la retraite. Or les inégalités économiques entraînent des inégalités sociales de santé. En outre, l'inactivité professionnelle a des conséquences sur la santé mentale des femmes.

Les mères ayant toujours été en emploi entre 18 et 50 ans, que ce soit à temps partiel ou à temps plein, déclarent plus tard une meilleure santé perçue, mentale et fonctionnelle, que celles ayant interrompu leur emploi. Ces bénéfices en termes de santé concernent également les femmes séparées ou sans conjoint.

Par ailleurs, les femmes ayant eu à affronter durablement des conflits famille-travail, à des moments où se joue l'avancement professionnel, présentent des risques accrus d'anxiété à un âge élevé.

Enfin, des obstacles anticipés ou effectivement rencontrés lors du retour à l'emploi peuvent enfermer les femmes ayant interrompu leur carrière dans des trappes à inactivité qui s'accompagnent plus tard de symptômes dépressifs. Ces trappes à inactivité concernent l'ensemble des femmes, quel que soit leur niveau de diplômes ou de qualifications.

B. DES EXPOSITIONS DIFFÉRENCIÉES AUX RISQUES PROFESSIONNELS

1. Une différenciation des risques qui s'explique par une ségrégation professionnelle persistante

Une récente étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)12(*), basée sur les données de l'enquête nationale « Conditions de travail » conduite en 2019, met en avant une exposition différenciée des femmes et des hommes aux pénibilités et risques dans leur travail : les hommes sont davantage exposés aux sollicitations physiques « lourdes » que les femmes, qui le sont davantage aux troubles musculo-squelettiques (TMS) et aux sollicitations psychosociales.

La ségrégation horizontale du travail entre hommes et femmes, qui se distribuent dans des secteurs et métiers différents, explique une bonne part des différences d'exposition professionnelle.

L'étude de la Dares croisant degré de mixité des métiers et conditions de travail amène à répartir 88 professions en cinq grandes catégories :

Les hommes sont davantage présents dans les métiers les plus soumis à la pénibilité physique, comme porter des charges lourdes ou travailler dans un environnement agressif, dans le bruit ou la poussière. C'est le cas en particulier dans les secteurs de la construction et l'industrie manufacturière.

Les femmes sont quant à elles davantage présentes dans des métiers où elles doivent se dépêcher ou répéter continuellement une même série de gestes ou d'opérations, ce qui est facteur de TMS. Les métiers féminisés les plus importants numériquement, comme celui d'agent d'entretien, d'aide-soignant, d'aide à domicile et d'aide ménager, qui rassemblent, à eux trois, près d'une salariée sur cinq, exposent à des conditions de travail relativement dégradées, conjuguant horaires peu flexibles, physiquement pénibles et/ou exposant à une charge mentale et des comportements hostiles.

L'étude de la Dares met en exergue, au sein même des professions, des différences de conditions de travail entre femmes et hommes. Femmes et hommes exerçant une même profession peuvent en effet être affectés à des tâches différentes, avec des modalités d'exercice différentes, dans des milieux différents.

La ségrégation sexuée du travail et des tâches, au sein de mêmes postes, a eu tendance à affecter les femmes à des tâches dites plus fines, peut-être considérées comme plus légères, mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes temporelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes. L'ergonome Karen Messing a ainsi montré que, dans les métiers du nettoyage, les femmes sont plus souvent affectées aux tâches qualifiées de « légères », mais répétitives, comme passer le chiffon ou nettoyer les toilettes, alors que les hommes le sont aux tâches « lourdes », comme s'occuper des sols, conduire les machines, porter des sacs de déchets. Les hommes ont sans doute, dans certains secteurs, davantage bénéficié d'une automatisation les rendant chefs opérateurs d'une machine au lieu de les exposer à des pénibilités physiques.

Par ailleurs, les femmes et les hommes sont confrontés à des contraintes d'organisation différentes. Les hommes effectuent plus souvent des heures supplémentaires et sont plus souvent joints en dehors de leur temps de travail. Ils travaillent plus souvent en horaires décalés, connaissent moins souvent leurs horaires à l'avance. Les femmes, quant à elles, travaillent plus souvent le week-end, ont des horaires rigides non concertés, et peinent à s'absenter en cas d'imprévu.

Les femmes sont également généralement plus exposées aux risques psychosociaux de toute nature, ont moins d'autonomie et souffrent davantage d'un manque de soutien et de reconnaissance de leur travail.

Enfin, les arrêts de travail apparaissent plus fréquents chez les femmes, en lien avec un cumul de contraintes de travail. Selon des données communiquées à la délégation par Florence Chappert, responsable de la mission Égalité Intégrée et du projet Genre, santé et conditions de travail à l'Anact, les femmes seraient 30 à 40 % plus absentes que les hommes, soit quatre à cinq jours de plus par an, hors maternité et paternité. Le Baromètre annuel Absentéisme 2022 de Malakoff Humanis montre que 48 % des femmes se sont vues prescrire un arrêt de travail au cours de l'année écoulée, contre 37 % des hommes.

2. Des femmes davantage touchées par les troubles musculo-squelettiques, miroir grossissant du monde du travail
a) Des TMS affectant des femmes à 60 % et avec des répercussions plus graves

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) recouvrent un large ensemble d'affections de l'appareil locomoteur, pouvant être provoquées ou aggravées par l'activité professionnelle. Ils se traduisent principalement par des douleurs et une gêne fonctionnelle plus ou moins importantes mais souvent quotidiennes.

Les TMS sont la première maladie professionnelle en France depuis vingt ans. Ils représentent 86 % des maladies professionnelles reconnues par le régime général, soit 40 852 cas en 2021. Leur coût s'élèverait à environ 2 milliards d'euros mais pourrait être deux à sept fois plus élevé selon l'historienne Muriel Salle en tenant compte des coûts d'absentéisme, des répercussions sur les autres employés, de ralentissement de la production, etc.

Les TMS touchent plus les femmes que les hommes, à la fois en fréquence et en gravité, et ce à un âge plus précoce.

60%

 

des personnes atteintes de TMS

sont des femmes

Selon un rapport de l'Anact13(*) :

- le taux de fréquence14(*) des TMS est supérieur pour les femmes (17,8) à celui des hommes (11,5). Pour un million d'heures salariées on constate la reconnaissance de 74 cas de TMS pour les ouvrières et de 24 cas de TMS pour les ouvriers ;

- l'indice de gravité15(*) des TMS touchant les femmes est supérieur à celui des hommes dans toutes les catégories socioprofessionnelles. L'indice de gravité des TMS des ouvrières est trois fois plus important que celui des ouvriers.

Le rapport de Santé publique France sur les maladies à caractère professionnel, qui fournit des indicateurs précieux sur les TMS au-delà des maladies professionnelles reconnues et indemnisées, montre une prévalence des TMS plus élevée chez les femmes que les hommes. Il estime qu'en 2018, 4,4 % des salariées sont atteintes de TMS, contre 3,2 % des hommes.

Les données de l'observatoire Evrest (Évolutions et relations en santé au travail) présentées aux rapporteures par Laëtitia Rollin confirment, à l'échelle d'un territoire, la prévalence des TMS chez les femmes. Ces analyses s'appuient sur des statistiques collectées par les médecins du travail et les infirmiers de santé au travail auprès de 3 000 salariés en Normandie entre 2017 et 2019. Le jour de la consultation de ces professionnels ou dans les sept jours précédant cette consultation, les femmes déclarent plus de plaintes ou signes cliniques de TMS des membres inférieurs, supérieurs ou du rachis : respectivement 16, 30 et 36 % de troubles chez les femmes, contre 13, 20 et 26 % chez les hommes.

b) Des facteurs de risques tant physiques que psychosociaux

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette prévalence des TMS chez les femmes. Selon l'historienne Muriel Salle, « les TMS font office de miroir grossissant du monde du travail ». Pour reprendre les mots de l'ergonome Karen Messing, « l'invisible fait mal » et « le travail léger pèse lourd ».

Deux grandes familles de risques de TMS peuvent être distinguées :

· des facteurs physiques, tels que des contraintes biomécaniques, des efforts excessifs, des répétitions de gestes à des cadences rapides, des gestes précis et fins, des postures inconfortables ou en position statique soutenue, des postes ou outils de travail inadaptés à la morphologie féminine ;

· des facteurs psychosociaux comme la pression temporelle, le manque d'autonomie, des exigences psychologiques et émotionnelles, des conditions d'emploi précaires et de faibles perspectives d'évolution professionnelle.

Le Docteur Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et de la recherche de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), auteure d'un article intitulé Les TMS ont-ils un sexe ?, a également mis en avant des spécificités liées à la double journée des femmes. D'une part, les femmes accomplissent une plus grande part des tâches domestiques et sont, dans ce cadre, exposées à des facteurs de risques biomécaniques et psychosociaux. D'autre part, elles bénéficient de temps de récupération moindres, alors même que ces temps de récupération sont précieux pour réparer les microlésions tissulaires qui font le lit des tendinopathies et des lésions péri-articulaires. Ces temps manquants entraîneront des retards de cicatrisation ou pourront générer des phénomènes pro-inflammatoires accentuant et déréglant les phénomènes de cicatrisation, contribuant également à la chronicisation de certaines lésions.

3. Une surexposition féminine aux risques psychosociaux
a) Des risques psychosociaux plus fréquents dans les secteurs féminisés et dans les parcours professionnels comme personnels des femmes

Six grandes familles de risques psychosociaux (RPS) sont distinguées par l'INRS et exposent particulièrement les femmes et secteurs à prédominance féminine.

Selon Anne-Marie Chartier, présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC), « il existe, dans le travail des femmes, une maltraitance organisationnelle qu'il convient d'étudier plus en profondeur pour ne pas s'arrêter à des cas individuels et à la responsabilité individuelle du manager ».

Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs d'activité avec des relations humaines, qui les confrontent à des risques qui sont souvent minimisés, y compris par les femmes elles-mêmes. Tel est tout particulièrement le cas des professionnelles du secteur du care, mais aussi des caissières, des mannequins ou des hôtesses d'accueil.

La charge mentale des professionnelles indépendantes apparaît comme encore plus forte que celle des salariées, selon une étude menée par la sociologue Julie Landour, mentionnée lors de son audition par Élise N'Guyen, chargée de mission affaires économiques à l'Union nationale des professions libérales (UNAPL).

Enfin, des facteurs de risques professionnels et des facteurs de vie extra-professionnels se conjuguent, engendrant stress et charge mentale, d'autant plus dans des situations de monoparentalité. À double journée, double charge mentale.

b) Une prévalence élevée de souffrance psychique et d'épuisement nerveux

Le rapport de Santé publique France sur les maladies professionnelles, publié en avril 2023, met en évidence une prévalence deux à trois forte plus forte des signalements de souffrance psychique en lien avec le travail chez les femmes. Les pathologies les plus fréquemment signalées sont la dépression (près de 4 % des femmes contre 1,5 % des hommes), puis l'anxiété, le burn out, le syndrome post-traumatique et les troubles du sommeil.

La prévalence de la souffrance psychique a fortement augmenté entre 2007 et 2018, passant de 2,4 % à 6,2 % chez les femmes, contre respectivement 1,3 % et 2,7 % chez les hommes.

Évolution de la prévalence de la souffrance psychique

en lien avec le travail selon le sexe entre 2007 et 2018

Source : Santé publique France, avril 2023

Une enquête de l'Assurance maladie sur les affections psychiques liées au travail16(*) relève que 66 % des cas de pathologies psychiques en lien avec le travail enregistrées entre 2001 et 2016 par le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) concernent des femmes, avec un âge moyen de 44 ans. Elle identifie deux types d'événement déclencheurs, à parts égales : soit un événement brutal, comme une situation de violence, soit un événement révélateur de conditions de travail intrinsèquement difficiles.

c) Des conséquences sur leur santé physique

Les RPS, et l'usure mentale qu'ils entraînent, ont des conséquences majeures sur toute la santé des femmes, et en particulier dans le déclenchement et l'aggravation de troubles musculo-squelettiques.

Certains facteurs de RPS - en particulier le travail de nuit et le stress amenant à des troubles du sommeil et de l'alimentation - sont également à l'origine de perturbations hormonales, qui peuvent entraîner des troubles du cycle et de l'ovulation, et donc des problèmes d'infertilité, ainsi que des maladies cardio-vasculaires, de l'obésité et du diabète. Une étude, citée par Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du Centre d'assistance médicale à la procréation au centre hospitalier intercommunal de Créteil, montre qu'en fécondation in vitro, les chances de conception sont diminuées de 5 % pour les femmes présentant des troubles du sommeil.

A également été évoqué devant la délégation le sujet de la fibromyalgie, qui correspond à une pathologisation de la charge mentale, qui touche principalement les métiers du care. Selon Caroline de Pauw, 2 à 4 % des adultes sont concernés, avec huit femmes pour un homme, le profil type des malades étant celui d'une femme travaillant dans le secteur social ou dans la relation d'aide, âgée d'une quarantaine d'années lors de l'apparition des symptômes.

4. Des violences sexuelles et sexistes largement répandues
a) Des violences sexuelles et sexistes sur le lieu de travail ou dans les relations de travail qui atteignent la santé physique et mentale des femmes
(1) Des violences au travail de mieux en mieux documentées

Au cours des trente dernières années, les enquêtes documentant les violences sexuelles et sexistes (VSS) se sont multipliées, comme l'a salué Pauline Delage, sociologue du genre, chargée de recherche au CNRS, rattachée au CRESPPA-CSU, lors de son audition. En particulier, l'enquête Virage réalisée par l'Ined en 2015 consacre un chapitre aux violences au travail. Pauline Delage note pour autant, au sein des enquêtes Sumer 2003, Conditions de travail 2013 et Conditions de travail - risques psychosociaux 2016, une certaine retenue à parler de violences et une exploitation insuffisante de la dimension possiblement sexuelle des actes subis au travail.

Comme l'a relevé devant la délégation Catherine Cavalin, sociologue de la santé, chargée de recherche CNRS à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Université Paris Dauphine-PSL), le phénomène #MeToo a fait émerger de multiples dénonciations de violences sexistes et sexuelles commises dans les relations nouées au travail ou par le travail, dans de multiples contextes professionnels, présentant chacun leurs spécificités. Elle estime que le fait que des univers professionnels très différents se reconnaissent dans une même étiquette #MeToo alerte sur la transversalité du phénomène social de l'inégalité entre les sexes dans le travail.

(2) Des violences qui touchent davantage les femmes, tout particulièrement les plus vulnérables

Dans le cadre de l'enquête Conditions de travail de 2013, 35 % des actifs occupés signalent avoir subi au moins un comportement hostile dans le cadre de leur travail au cours des douze derniers mois. 22 % des femmes concernées par ces comportements les déclarent liés à leur sexe, contre 4 % des hommes. Au total, 8 % des femmes et 1 % des hommes déclarent avoir subi un comportement sexiste au travail. Les femmes sont particulièrement touchées dans les secteurs d'activité à prédominance masculine. Parmi les victimes de comportements hostiles, les femmes qui exercent des fonctions de supervision, qui travaillent dans l'industrie, sur des chantiers, en déplacement, ou qui sont exposées à de multiples nuisances physiques associent donc plus souvent ces comportements hostiles à leur sexe. De fait, lorsque l'emploi est typiquement féminin, seulement 6 % des femmes et 3 % des hommes se disent victimes de comportements hostiles à dimension sexiste. À l'inverse, lorsque l'emploi est plutôt masculin, 15 % des femmes et seulement 1 % des hommes se déclarent concernés par de tels comportements.

En 2015, le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a réalisé une enquête17(*) mettant en évidence une forte prévalence d'un sentiment de sexisme au travail : 80 % des femmes salariées considèrent que, dans le monde du travail, elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes.

Ce sexisme se manifeste notamment lorsqu'est abordé le sujet de la grossesse des femmes. Selon Aminata Niakaté, avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Parité Égalité de l'UNAPL, une enquête du Conseil national des barreaux menée en 2022 a montré que 62 % des avocates sondées ont été victimes de harcèlement ou discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l'ensemble des discriminations.

L'enquête Violences et rapports de genre (Virage) réalisée en 2015 par l'Ined fait apparaître une grande prévalence des actes de violence sur le lieu d'exercice du travail et dans les relations de travail. Ces violences peuvent être commises par des supérieurs, des collègues, des usagers ou d'autres intervenants.

18 % des personnes interrogées - 20 % des femmes et 16 % des hommes - déclarent avoir subi au moins un fait de violence au moins une fois dans les douze derniers mois dans le cadre du travail.

Les violences qui sont de loin les plus fréquentes dans la sphère professionnelle sont de nature verbale et psychologique. Les actes physiques ou à caractère sexuel sont beaucoup moins fréquents.

 

des femmes ont subi au moins un fait de violence dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée

Proportion de femmes et d'hommes ayant déclaré des faits de violence au travail au cours des douze mois précédent l'enquête Virage

Source : Enquête Virage 2015

(3) Des violences qui ne peuvent être réduites à des situations ou conflits interpersonnels

10 % des femmes interrogées et 7 % des hommes déclarent avoir subi plusieurs faits de violence au cours de l'année écoulée.

20 % des victimes indiquent avoir subi un même type d'actes de la part de plusieurs agresseurs à plusieurs moments différents.

Par conséquent, les auteurs de l'enquête Virage estiment que les violences constituent « un véritable risque systémique dans la sphère professionnelle ».

Ce terme est également celui de Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes Mixité de la CGT, pour qui les VSS au travail ne peuvent être réduites à une vision de conflit interpersonnel et revêtent un caractère systémique.

En outre, l'enquête Virage dresse un portrait des victimes : plutôt des femmes jeunes, célibataires ou en charge de famille monoparentale, en difficultés financières et de santé. Les contrats précaires mais également les fonctionnaires sont surreprésentés.

Se fondant sur ces éléments, la sociologue Catherine Cavalin déclarait devant la délégation que « les violences qui surviennent au travail ne découlent pas simplement de relations interpersonnelles, entre deux personnes prises isolément, mais engagent des rapports sociaux, des rapports de genre ». Elle ajoutait que « le travail est un espace où les violences sexistes se déploient, en particulier à l'encontre de celles qui se trouvent dans une position subordonnée, du fait de leur âge, de leur situation familiale ou d'une certaine précarité de leurs conditions de vie, de travail et d'emploi ». Elle estime dans le même temps, sur la base de l'enquête Conditions de travail 2013, que favoriser la mixité au travail contribue à limiter les comportements sexistes hostiles.

Dans le même esprit, Florence Chappert estimait que les entreprises gardent trop souvent comme grille de lecture l'idée selon laquelle les violences relèvent de comportements interpersonnels inappropriés, alors que les VSS sont aussi la conséquence de certains environnements de travail peu mixtes, d'une répartition sexuée des tâches, de certains fonctionnements collectifs et d'autres conditions de travail concernant davantage les femmes, comme des relations avec le public, des tenues sexuées ou des horaires atypiques le soir. Or, selon elle, les entreprises, si elles peuvent déployer des mesures de prévention tertiaire ou secondaire, mettent peu en place de mesures de prévention primaire visant à limiter les facteurs de risque au niveau des conditions de travail ou des situations inégalitaires entre les femmes et les hommes.

(4) Des conséquences sur la santé, le travail et la vie personnelle

Les conséquences des violences sexuelles et sexistes sont multiples :

- sur la santé, en particulier psychique, des victimes : culpabilité, anxiété, dépression, insomnies, migraines, stress, addictions, tentatives de suicide ;

- sur leur travail : perte de confiance dans leurs compétences, isolement, absentéisme, retard, déconcentration, désinsertion professionnelle ;

- sur leur vie personnelle : pertes financières en cas d'arrêt maladie de plus de trois mois signant la fin des indemnités journalières, difficultés avec l'entourage, rupture de vie sociale ;

- sur le collectif de travail : malaise des témoins, ambiance de travail dégradée, tensions, clivage entre les salariés ;

- sur les entreprises : risques de contentieux, atteinte à l'image, perte de talents, manque d'attractivité.

De façon significative, l'enquête Virage montre que les victimes de violence au travail présentent plus de maladies ou problèmes de santé chronique (30 % contre 17 % pour les non-victimes) et 42,5 % d'entre elles ont eu un arrêt maladie au cours des douze derniers mois, contre 22 % pour les non-victimes. Elles se sentent aussi plus « déprimées, tristes et cafardeuses » la plupart du temps (21 % contre 7 %) et sont plus nombreuses à prendre régulièrement des somnifères ou anxiolytiques (7 % contre 2,5 %). Les auteurs de l'étude notent ainsi l'existence d'un cercle vicieux. Ce phénomène est plus manifeste chez les femmes : 6 à 12 % des femmes victimes se déclarent en mauvais ou très mauvais état de santé - selon le type de violence déclaré, contre 1 à 5 % des hommes.

Pour la chercheuse Émilie Counil, les VSS ne sont pas seulement un facteur de mal-être au travail. Elles peuvent également empêcher la prise en compte des conditions de travail des femmes, leur prise de parole et la recherche de solutions. Cela rejoint des constats empiriques mis en avant par l'ergonome Karen Messing.

b) Des violences conjugales qui ont des répercussions sur la sphère professionnelle

Les violences conjugales, outre leurs conséquences dramatiques directes sur la santé physique et mentale des femmes, ont des répercussions sur leur activité professionnelle et leur trajectoire d'emploi.

Elles peuvent s'immiscer dans la vie professionnelle des victimes, en particulier si le conjoint ou ex-conjoint violent est un collègue, ou s'il se rend sur le lieu de travail.

En outre, les femmes victimes de violences sont davantage susceptibles de faire l'objet d'arrêts de travail répétés. Une étude18(*) a estimé le coût des arrêts de travail liés aux violences conjugales à environ 108 millions d'euros pour les femmes et 3,4 millions d'euros pour les hommes.

La question de la prise en compte des violences conjugales dans le cadre professionnel se pose depuis la ratification par la France en 2021 de la convention 190 de l'OIT relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, qui instaure une responsabilité de l'employeur vis-à-vis de ses employées victimes de violences conjugales. Cependant, le Gouvernement a annoncé que cette ratification se ferait à droit constant, ce qui est regrettable car insuffisant.

Certains pays, comme le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les Philippines, octroient cinq à dix jours de congé rémunérés aux femmes victimes de violences conjugales, leur permettant d'effectuer leurs démarches auprès du juge, de la police, de l'assistante sociale sans crainte de perdre leur emploi.

Raphaëlle Manière, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle de la CGT et membre du collectif Femmes Mixité de la CGT, a estimé devant la délégation que les violences conjugales constituent aujourd'hui un angle mort des politiques d'égalité professionnelle et que des droits nouveaux sont à conquérir en France afin que le lieu de travail devienne un lieu de ressources pour les femmes victimes.

C. FOCUS SUR QUATRE SECTEURS FÉMINISÉS EMBLÉMATIQUES DES ATTEINTES À LA SANTÉ DES FEMMES

1. Secteur du care : qui prend soin de celles qui prennent soin de nous ?
a) Un secteur féminisé à 80 %

Le secteur dit du care regroupe toutes les professions médicales et paramédicales, les aides à domicile, les auxiliaires de vie et les divers métiers du soin, du service à la personne et du lien. Selon Catherine Cornibert, directrice générale de l'association Soins aux professionnels de santé, entre cinquante et deux cents métiers sont centrés autour du patient.

Les femmes représentent 70 à 90 % des travailleurs du secteur du care.

b) Un état de santé global moins bon que celui du reste de la population

Selon une étude de l'institut Odoxa, réalisée pour la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) et Le Figaro Santé, publiée le 8 mars dernier, les femmes professionnelles de santé - et tout particulièrement les infirmières et les aides-soignantes - sont plus sujettes aux problèmes de santé que la population générale. Un quart des répondants se déclare en mauvaise santé, soit deux fois plus que la population active en général.

La santé des professionnelles de santé est insuffisamment prise en charge et trop souvent oubliée ou délaissée par les professionnelles elles-mêmes. Une conjonction de facteurs peut expliquer ce non recours aux soins et aux dispositifs de prévention : une charge mentale trop élevée, des horaires irréguliers qui rendent complexe la prise de rendez-vous médicaux, des conditions socio-économiques en moyenne plus défavorables - facteur clé dans le non-recours à la prévention dans la population générale - ou encore le souhait de ne pas être examinée par des collègues.

c) Une pénibilité physique importante, du travail de nuit fréquent, et des exigences émotionnelles et organisationnelles fortes

Le travail des professionnels du care a des conséquences directes sur leur santé physique comme mentale.

Ces professionnels ont désormais davantage conscience du port de charges lourdes auxquelles ils et elles sont exposés. Ainsi, alors que dans l'enquête « Conditions de travail » en 2005 les assistantes maternelles déclaraient majoritairement ne pas porter de charges lourdes, tandis que les auxiliaires de puériculture déclaraient en porter, l'écart s'est considérablement réduit dans les enquêtes suivantes en 2013 et 2019. Selon François-Xavier Devetter, l'accompagnement par la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), des salariés, des syndicats et des particuliers employeurs a permis de prendre conscience d'une pénibilité qui n'était pas vécue auparavant. Pour autant, bien souvent les soignantes n'utilisent pas les équipements mis à leur disposition, tels que les lève-personnes, car elles n'en ont pas le temps.

Dans le cadre de l'étude précitée, les trois quarts des hospitalières interrogées déclarent que leur travail implique une pénibilité physique importante, soit sept points de plus que leurs collègues masculins et trente points de plus que pour l'ensemble des actifs.

Une étude de Santé publique France19(*) montre que les professionnelles de la santé humaine et de l'action sociale sont exposées à des contraintes physiques ou biomécaniques très fortes, notamment de port de charge, occasionnant des TMS. Elles sont également soumises à une exposition à des produits chimiques, en particulier des agents nettoyants, et à des agents biologiques, à l'origine d'allergies cutanées ou respiratoires. Souvent, elles aident des personnes malades et sont ainsi potentiellement exposées à des agents infectieux. Enfin, elles supportent plus fréquemment de la souffrance psychique.

Les professionnelles du care sont en outre exposées à des horaires atypiques - en particulier du travail de nuit. Selon une étude de la Dares publiée en 2014, les métiers du care - et notamment les infirmières et aides-soignantes - font partie des cinq familles professionnelles comptant le plus de travailleurs de nuit, derrière les conducteurs de véhicules, les policiers et les militaires. Une étude de la Dares publiée en 2022 relève en outre que 22 % des infirmières et 15 % des aides-soignantes - des femmes à 90 % - travaillent de nuit et le week-end.

Or l'expertise de l'Anses précédemment citée a mis en évidence les conséquences néfastes du travail de nuit sur le sommeil, l'alimentation, le métabolisme, la santé psychique ou encore le risque de cancer du sein.

Outre des risques physiques, les professionnels du secteur du care sont confrontés à des exigences émotionnelles fortes du fait de leur contact avec le public, à des contraintes organisationnelles importantes, de fortes amplitudes horaires, des horaires morcelés, des week-ends d'astreinte, du travail de nuit, ainsi qu'un manque de reconnaissance et des conflits de valeur qui peuvent affecter leur santé mentale. 80 % des hospitalières interrogées dans le cadre du sondage précité déclarent que leur travail génère un stress très important, soit trente points de plus que le reste des actifs en emploi.

L'enquête Virage de 2015 montre que les personnes appartenant aux professions intermédiaires de la santé et du travail social envisagent la violence physique comme intrinsèquement liée à leur métier.

Le rapport du Docteur Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, et Mme Nathalie Nion, cadre supérieure de Santé AP-HP, sur les violences à l'égard des professionnels de santé, note que les soignants sont deux fois plus nombreux que l'ensemble de la population active à subir des incivilités et des violences physiques ou verbales au travail. Selon le baromètre MNH-Odoxa 2022, 29 % des professionnels de santé hospitaliers disent subir régulièrement des agressions physiques.

2. Secteur du nettoyage : à métier invisible, risques invisibles
a) Un secteur féminisé à 80 %

Les professionnels de l'entretien seraient entre 300 et 800 000 selon la comptabilisation utilisée. Selon une étude de la Dares20(*) consacrée aux conditions de travail dans ces métiers, les femmes représentent 80 % des emplois du nettoyage et la quasi-intégralité des employés auprès de particuliers. Ces travailleuses sont majoritairement des femmes âgées de plus de 50 ans, sans diplôme et d'origine étrangère.

b) Des risques physiques, chimiques et organisationnels
(1) Des postures pénibles et des cadences accélérées

Selon l'étude précitée de la Dares, 90 % des salariés du nettoyage sont exposés à au moins un risque physique, en particulier 71 % au travail répétitif et 52 % aux postures pénibles.

Selon François-Xavier Devetter, professeur des universités au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), co-auteur de l'ouvrage Deux millions de travailleurs et des poussières. L'avenir des emplois du nettoyage dans une société juste, entre 60 et 62 ans, 50 % des salariés ou anciens salariés des métiers du nettoyage déclarent des limitations pour effectuer les gestes de la vie quotidienne, contre un peu moins de 30 % pour l'ensemble de la population active. Les licenciements pour inaptitude sont fréquents : les entreprises de nettoyage représentent à eux seuls environ 7 % des licenciements pour inaptitude, alors qu'ils ne représentent que 1,8 % des CDI.

Il estime que le caractère « spécialisé » de l'activité implique également une absence de diversité des métiers et des tâches, et une impossibilité de reclassement lorsque l'on a des TMS. Souvent, le licenciement pour inaptitude s'impose. Dans ce contexte, les salariés craignent la médecine du travail, qui est perçue comme une autorisation à travailler plutôt que comme un soutien, comme un outil de contrôle plutôt que d'accompagnement.

(2) Un risque chimique très présent

Le risque chimique est très présent et mal mesuré, à l'origine de problèmes respiratoires et dermatologiques ainsi que de cancers. Selon l'étude précitée de la Dares, 61 % des travailleurs du nettoyage sont exposés au risque chimique.

Le groupe nettoyage du Giscop 84 a travaillé à l'identification des produits cancérogènes au sein des produits utilisés par les travailleuses du nettoyage, tout en peinant à trouver ces informations pour les produits utilisés au cours des années 1980 à 2000.

Sept cancérogènes sont actuellement présents dans les produits couramment utilisés pour le nettoyage, dont le formaldéhyde qui a certes été interdit en 2018 mais est remplacé par des « libérateurs de formaldéhyde », la silice, présente dans l'Ajax ou le Cif, ou encore l'oxyde d'éthylène, utilisé dans la stérilisation des dispositifs médicaux. Or, un cancérogène est une substance avec absence de seuil de toxicité.

Pourtant, Marie-Christine Limame, ancienne infirmière, membre du Giscop 84, a expliqué devant la délégation que la mention d'un produit cancérogène n'est pas obligatoire sur l'étiquette d'un produit s'il est présent à moins de 5 % : « Ce taux, qui ne repose sur aucune donnée scientifique, laisse entendre qu'une présence de la substance à 6 % serait dangereuse, alors qu'elle ne le serait pas à 4 %. On invisibilise ici une donnée importante pour un produit potentiellement cancérogène. »

Souvent, les femmes cumulent ces expositions chimiques dans leur activité professionnelle et dans les tâches domestiques.

Outre ces produits d'entretien, les travailleuses du nettoyage sont exposées à l'amiante à travers les sols amiantés appelés dalami, présents dans de nombreux locaux publics, notamment les écoles et hôpitaux. L'usage des mono brosses remet en suspension, dans l'air, des fibres d'amiante invisibles mais extrêmement nocives car fraichement émises et très réactives.

(3) Des conditions de travail précaires et contraintes

Le travail de nettoyage est fréquemment sous-traité. Selon François-Xavier Devetter, le fonctionnement de cette branche via l'article 7 de la Convention collective des entreprises de propreté, qui organise les transferts conventionnels, fait disparaître la notion d'employeur et sa responsabilité, y compris en matière de santé.

Les travailleuses du secteur du nettoyage subissent une organisation contrainte du temps de travail.

Plus de la moitié des postes sont occupés à temps partiel, souvent subi. Les cumuls de contrats sont également fréquents. Or, ils rendent complexe la prise en charge des accidents du travail par l'Assurance maladie.

Les salariées travaillent en horaires décalés, pénibles pour la vie familiale et la santé, mais pas entre minuit et 5 heures du matin. Elles ne perçoivent donc pas les compensations adéquates qui correspondent au travail de nuit.

Leurs journées sont hachées. Selon François-Xavier Devetter, si on rapporte le temps de travail payé à l'amplitude de la journée de travail, on avoisine 60 % de travail payé.

Les difficultés psychosociales sont également nombreuses : isolement, management strict, faible autonomie.

Enfin, les salariées du nettoyage sont exposées au risque de pauvreté. Les rémunérations horaires sont faibles - plus ou moins au niveau du Smic - pour des temps partiels.

3. Secteur de la grande distribution : des caissières et employées particulièrement touchées par des TMS
a) Un secteur féminisé à 60 %

En France, 44 000 points de vente alimentaires existent sur l'ensemble du territoire. Ce secteur emploie environ 660 000 à 750 000 salariés.

Les femmes représentent 60 % des employés de la grande distribution. Elles occupent plus des trois quarts des postes de caissiers et 40 % d'entre elles sont à temps partiel.

Les effectifs sont plutôt jeunes, 40 % de salariés ayant moins de 35 ans.

b) Des TMS nombreux, de mieux en mieux pris en compte

Le secteur de la grande distribution se caractérise par une sinistralité assez forte, à la fois en accident du travail et en matière de maladies professionnelles.

Une étude de Santé publique France21(*), publiée en 2021, a permis de mettre en évidence les risques auxquels ces salariés, et notamment les caissières et employées de libre-service, sont exposés : des contraintes biomécaniques et physiques - répétition de mouvement, manutention -, organisationnelles - fragmentation des horaires de travail -, et psychosociales, en termes de management, mais aussi de contact avec le public, générant parfois de violentes tensions.

Risques professionnels dans la grande distribution

Les femmes salariées présentent des TMS de manière plus importante que les autres secteurs, et ce pour toutes les localisations : cou, épaule, rachis, mains, poignets... Les caissières et employées de libre-service sont particulièrement exposées aux risques de TMS, par rapport aux autres métiers de la grande distribution.

Grâce à des données collectées entre 2009 et 2016, Santé publique France observe une tendance à la baisse de la prévalence des TMS chez les salariées de la grande distribution alimentaire.

Trois facteurs peuvent expliquer cette baisse :

- depuis une recommandation de la Cnam de 2008, les produits ayant un poids supérieur à 8 kg ne doivent pas être manipulés par les personnes aux postes d'encaissement ;

- les caisses automatiques se sont multipliées ;

- des actions de prévention ont été menées dans ce secteur.

Les rapporteures ont ainsi pu, au cours d'un déplacement à l'hypermarché Carrefour de la Porte d'Auteuil, le 1er juin 2023, prendre connaissance de certaines des mesures mises en place par le groupe Carrefour afin de réduire les risques de TMS : chariots adaptés, monte-charges, etc.

Cependant, certaines études montrent un report de pression psychosociale : alors que par le passé, la caissière était en relation avec le client, elle se positionne désormais plutôt en surveillance. Santé publique France relève ainsi une hausse notable de leur souffrance psychique à partir de 2010.

4. Secteur du mannequinat et de l'accueil : sois belle et tais-toi
a) Des métiers « par essence féminins » ?

Les mannequins et plus encore les hôtesses d'accueil sont souvent perçus et présentés par les recruteurs comme des métiers « par essence féminins ».

Selon les données de Thalie Santé, centre médical assurant le suivi de la santé des mannequins, les mannequins de 16 à 30 ans - les plus nombreux - sont majoritairement des femmes.

Ces femmes sont recrutées pour leur physique et leur âge. Après 35 ans, il leur est plus difficile de trouver du travail.

Les hôtesses d'accueil sont elles aussi une profession à majorité de jeunes femmes. La majorité des hôtesses a moins de 25 ans. Cependant, 20 % d'entre elles ont plus de 30 ans en accueil en entreprise, 15 % en accueil événementiel.

Selon Gabrielle Schütz, sociologue du travail, auteure d'un ouvrage intitulé : Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d'accueil, l'activité d'hôtesse d'accueil repose sur un double imaginaire de la femme, celui de la vamp et celui de la maîtresse de maison :

- elles fournissent un travail du corps, qu'elle qualifie de « travail décoratif ». Elles sont en partie recrutées sur des critères physiques de poids, de taille, de morphologie, de jeunesse, de beauté ou de couleur de peau. Elles sont affectées sur les différentes missions en fonction de ces mêmes critères. Elles portent également uniformes ou costumes « décoratifs » ;

- elles effectuent des tâches de type domestique, telles que le service de boissons, parfois un menu ménage, l'arrosage de plantes lorsqu'elles sont en entreprise... Au-delà de ces tâches domestiques, clients et prestataires attendent d'elles un « état d'esprit de maîtresse de maison », apte à parer à toute éventualité.

Gabrielle Schütz met en avant une invisibilisation de l'activité d'hôtesse et une naturalisation des compétences - les hôtesses ne feraient que déployer leurs qualités féminines - qui aboutissent à une dévalorisation professionnelle des hôtesses d'accueil.

b) Des conditions de travail dégradées, des risques sous-estimés

Dans le cas des mannequins comme des hôtesses, le phénomène de sous-traitance joue un rôle important dans la difficulté des conditions de travail, la précarité de l'emploi et la méconnaissance des risques auxquelles ces travailleuses sont exposées. Il rend plus difficile l'accès des services de santé au travail et des inspecteurs du travail à ces travailleuses. Thalie Santé a ainsi témoigné avoir peu de contacts avec les agences de mannequinat et ne pas parvenir à accéder aux lieux de défilés.

Ce phénomène de sous-traitance est également peu propice à l'émergence de mobilisations collectives.

S'agissant des mannequins, Thalie Santé identifie six groupes de risques professionnels :

- contraintes de travail : multiplicité des lieux de travail, horaires atypiques, travail de nuit, postures multiples, déplacements professionnels et internationaux pouvant générer un risque chronobiologique, risque routier lors de déplacements en Uber, taxi ou trottinette, manutention de charges ;

- risques physiques : lumière artificielle, bruit et musique amplifiée, ambiances thermiques et climatiques, nuisances olfactives, poussières de la vie urbaine ;

- risques biologiques : infectieux du fait la contamination interhumaine - confirmé par l'épisode du Covid, parasitaire par l'échange de vêtements, par exemple ;

- risques chimiques par les produits allergisants, sensibilisants, irritants tels que les parfums, produits capillaires et cosmétiques ;

- accidents : chutes, agressions physiques et verbales, risques routiers ;

- risques psychosociaux : précarité de l'emploi, employeurs multiples, contraintes organisationnelles (rythmes de travail irréguliers, travail intermittent), relationnelles (mise en concurrence des mannequins, relation tripartite entre l'agence, l'entreprise cliente et le mannequin, relations avec les médias et les réseaux sociaux) et contraintes liées à l'emploi.

S'agissant des hôtesses d'accueil, Gabrielle Schütz a mis en avant devant la délégation des conditions de travail difficiles, des horaires imprévisibles et atypiques et une dévalorisation de leurs compétences.

Elles sont considérées, dans les conventions collectives, comme des employées non qualifiées. Elles sont payées au Smic horaire. Pourtant, ses statistiques montrent qu'elles sont aussi diplômées que les femmes de leur génération. Elle estime donc que : « Dans la mesure où les femmes sont globalement plus diplômées que les hommes, et que les jeunes générations sont plus diplômées que les générations plus âgées, les hôtesses d'accueil sont en réalité bien plus diplômées que la plupart des personnes avec lesquelles elles entrent en interaction. »

Selon elle, cette dévalorisation professionnelle contribue à des interactions à risque avec les visiteurs puisqu'elles endossent deux rôles : la  réassurance des identités hétérosexuées - en acceptant une « drague » qui peut conduire à du harcèlement, et celle des hiérarchies sociales - le nombre et l'inactivité ostensible des hôtesses étant bien souvent proportionnels à l'importance accordée aux clients.

Gabrielle Schütz a également évoqué des similarités avec les hôtesses de l'air. D'une part, la plupart des agences événementielles ont été fondées par d'anciennes hôtesses de l'air. Les chartes qu'elles mettent en place, que doivent signer les salariées, décrivent de manière extrêmement précise leurs tenues, le type de bijoux qu'elles peuvent porter, le type de maquillage qu'elles doivent mettre, le grammage de leurs collants chair... Ces documents sont directement inspirés des normes de l'aviation commerciale qui avaient cours chez Air France, dont beaucoup de fondatrices de sociétés prestataires d'événementiel sont issues.

D'autre part, l'activité d'hôtesse d'accueil n'est pas exercée que par des étudiantes, mais est parfois exercée en complément d'une autre activité, comme celle d'hôtesse de l'air dans des compagnies low cost.

Enfin, mannequins comme hôtesses d'accueil sont exposées aux violences sexuelles et sexistes, comme l'ont mis en lumière le mouvement #MeToo et la campagne #PasTaPotiche.

c) Des troubles alimentaires fréquents

Selon Ekaterina Ozhiganova, mannequin, fondatrice de Model law, association française de défense et de protection des droits des mannequins, les problèmes de santé physique comme mentale sont une part quasi inévitable de la carrière de mannequin.

Elles subissent dans leur quotidien une forte pression pour maintenir un corps mince et atteindre la taille zéro ou un tour de hanches ne dépassant pas les 90 centimètres. Cette pression conduit à des comportements malsains de contrôle du poids tels que des régimes, du sport à outrance, l'utilisation de laxatifs, des vomissements auto-induits, etc. Elles sont ainsi davantage à risque de présenter des symptômes subcliniques de l'anorexie mentale et d'autres troubles psychologiques et alimentaires comme la boulimie, l'orthorexie ou la dysmorphophobie.

Depuis 2016, la loi22(*) encadre l'activité des mannequins, afin de lutter contre leur maigreur excessive :

- d'une part, en imposant la mention « photographie retouchée » pour les photos commerciales qui affinent ou épaississent la silhouette des mannequins ;

- d'autre part, en rendant obligatoire un certificat médical pour l'exercice de l'activité de mannequin, délivré par un centre médical et de prévention qui assure le suivi exclusif de la santé de toutes ces professionnelles en France, CMB, aujourd'hui Thalie Santé. Depuis 2017, ce centre a suivi plus de 6 000 mannequins.

Cependant, ce suivi ne concerne pas les mannequins étrangers ne résidant pas en France, pourtant très nombreux.

Selon Thierry Boulanger, médecin du travail chez Thalie Santé, la loi semble avoir eu un effet positif sur l'augmentation de l'IMC moyen des mannequins. Pour autant, l'IMC n'est pas un indicateur suffisant, il doit être complété par un interrogatoire affiné pour distinguer la maigreur constitutionnelle de l'anorexie mentale, qui est une pathologie psychiatrique.

Classification de l'IMC

Classification

IMC (kg/m2)

Poids normal

18,5 à 24,9

Maigreur grade 1

17 à 18,49

Maigreur grade 2

16 à 16,99

Maigreur grade 3

< 16

Évolution de l'IMC moyen des femmes mannequins entre 2017 et 2023

Source : Thalie Santé

IMC moyen des femmes suivies par Thalie Santé

Source : Thalie Santé

Selon Gabrielle Schütz, la surveillance du poids et de la morphologie est également vraie dans les métiers d'accueil, comme dans le mannequinat, dans des proportions bien moindres. Ainsi, les agences d'hôtesse procurent des uniformes en taille 36, 38 et 40, mais pas 42, ni 34 ou 32.

III. PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

Une meilleure prise en compte de la santé des femmes au travail suppose, on l'a vu, de pouvoir disposer de multiples données sexuées, dans un format exploitable, et d'utiliser ces données pour la définition et la mise en oeuvre, à la fois par les pouvoirs publics et par les employeurs, de politiques genrées de santé au travail.

Pour penser la santé au travail au féminin et mieux protéger les femmes au travail, un changement de paradigme est nécessaire de même qu'une nouvelle approche, notamment en matière de prévention, dans toutes les formes qu'elle recouvre.

Parce qu'adopter une approche différenciée de l'évaluation des risques professionnels pour tenir compte de la spécificité des conditions de travail des femmes et de leur évolution dans le milieu professionnel ne revient pas à les discriminer, la délégation recommande de chausser systématiquement les « lunettes du genre » en matière de santé au travail.

A. CHAUSSER SYSTÉMATIQUEMENT LES LUNETTES DU GENRE : DIFFÉRENCIER N'EST PAS DISCRIMINER

1. Recueillir et exploiter davantage de données sexuées

Ainsi que le rappelait devant la délégation, le 17 novembre 2022, Catherine Vidal, membre de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), « la prise en compte de la dimension du genre, alliée à celle du sexe, a des retombées majeures en termes de connaissance scientifique, de prise en charge médicale et de traitement, et aussi de prévention et d'optimisation des coûts de santé. Autant de conditions nécessaires pour construire des politiques de recherches et de santé plus égalitaires au bénéfice de la santé des femmes et des hommes ».

La première étape, avant toute chose, est celle de la nécessaire production et exploitation des données genrées.

Dans le domaine de la santé au travail, plusieurs pistes peuvent être envisagées.

Certains nouveaux outils statistiques pourraient être mis en place en vue d'une exploitation, par les pouvoirs publics notamment, dans le cadre de la définition des politiques de santé au travail.

Lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, le Dr Carole Donnay, secrétaire générale de l'Association des médecins responsables de services nationaux de médecine du travail d'entreprise (Acomede), proposait ainsi, pour mieux documenter et mieux prendre en compte les risques professionnels chez les femmes au regard de leurs spécificités, une « étude statistique de cohorte nationale [qui] permettrait ensuite de réaliser des analyses statistiques par secteur d'activité professionnelle et par exposition au risque, pour sensibiliser et mettre en place des actions qui pourraient faire l'objet d'une priorité d'action dans le cadre des Plans de Santé au Travail ou en termes de politique de santé publique ».

En outre, il est primordial d'inciter l'ensemble des organismes publics producteurs de statistiques dans le domaine de la santé au travail, au premier rang desquels la Caisse nationale d'assurance maladie, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) ou encore l'Agence nationale de santé publique (Santé publique France), d'une part à croiser les données brutes disponibles, d'autre part à les exploiter en réalisant des croisements par sexe et par secteur, des analyses de leur évolution dans le temps, en présentant, par exemple, des calculs des indices (par personne) et des taux de fréquence (par heure travaillée) de la sinistralité au travail, ou encore des statistiques genrées d'absentéisme au travail en distinguant les différents facteurs explicatifs de cet absentéisme.

Cette présentation permettrait une plus ample profondeur de champ de l'analyse genrée de la sinistralité au travail. Elle constituerait également une base crédible à partir de laquelle convaincre les employeurs de mettre en place des mesures de prévention au travail spécifiquement dédiées aux femmes sans craindre d'être accusés de discrimination.

Enfin, la délégation ne peut que saluer et encourager le développement, sur l'ensemble du territoire, d'initiatives indépendantes telles celles des groupements d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle (Giscop) existants - le Giscop 93 en Seine-Saint-Denis et le Giscop 84 dans le Vaucluse - qui, partant d'un constat de faible visibilité sociale des cancers d'origine professionnelle, se sont donné pour objectif d'étudier les inégalités sociales de cancers liés au travail, à partir d'enquêtes de santé publique conduites dans leur département respectif.

Ces groupements d'intérêt scientifique ont également pour but de lutter contre les biais de genre qui, comme le rappelait Émilie Counil, chargée de recherche à l'Ined, devant la délégation le 12 janvier 2023, « peuvent générer des points aveugles dans les connaissances en épidémiologie des risques professionnels et ainsi contribuer à renforcer les inégalités sociales en matière de prévention et de reconnaissance des atteintes à la santé liées au travail ».

Recommandation n° 1 : Développer l'élaboration et l'exploitation, par les organismes producteurs de statistiques publiques, de données sexuées et croisées sur la sinistralité au travail.

2. Intégrer systématiquement le genre dans la définition des politiques publiques de santé au travail

Si la production et l'exploitation de données sexuées est un pré-requis en matière de définition d'une politique genrée de santé au travail, encore faut-il que cette dimension genrée soit réellement intégrée aux politiques publiques de santé au travail.

Parmi les leviers à actionner pour améliorer la santé des femmes au travail, Muriel Salle, historienne, auditionnée par la délégation le 8 décembre 2022, avait déclaré qu'« introduire de manière systématique le concept de genre pour analyser les politiques publiques déployées en matière de santé ou d'incitation à l'emploi et au retour à l'emploi pourrait être intéressant ».

a) 4e plan santé au travail (PST 4) : des espoirs déçus

L'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 puis la loi23(*) du 2 août 2021 renforçant la prévention en santé au travail ont posé les bases de l'actuel plan santé au travail, le PST 4, qui couvre la période 2021-2025. Ce plan national fixe un cadre stratégique en matière de santé au travail, avec des priorités et, en face, des moyens de mise en oeuvre. Il est également doté d'indicateurs censés permettre d'évaluer son impact.

Au cours de son audition par la délégation le 30 mars 2023, la Direction générale du travail (DGT), représentée par Amel Hafid, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, a ainsi déclaré que ce plan « accorde une place très importante, bien plus que le précédent, à la question de la santé des femmes. Il est décliné dans les régions (...). Il nous permet de mobiliser les différents acteurs, ce qui est important, car l'univers de la santé au travail est relativement fragmenté. (...) il faut accorder une attention particulière au pilotage et à la mobilisation des acteurs. Le code du travail peut paraître très progressiste, mais la véritable question est celle de la mise en oeuvre concrète des dispositions sur le terrain ».

Le 4e plan santé au travail s'articule autour d'un axe transversal - Lutter contre les accidents du travail graves et mortels - et de quatre axes stratégiques :

- renforcer la prévention primaire au travail et la culture de la prévention ;

- structurer, développer la prévention de la désinsertion professionnelle, la prévention de l'usure, le maintien dans l'emploi et accompagner les salariés et les entreprises concernées ;

- adapter la politique de santé au travail aux défis d'aujourd'hui et de demain ;

- consolider le pilotage et la gouvernance de la prévention des risques professionnels et de la santé au travail.

Ces axes stratégiques se déclinent en objectifs eux-mêmes déclinés en actions : au total dix objectifs dont aucun ne mentionne explicitement la nécessité d'une approche genrée, et 34 actions dont une seule - l'action 3.3 - prévoit de « faire des démarches de QVCT24(*) de véritables leviers d'égalité femme-homme ».

Le plan précise que cette action spécifique vise, d'une part, à concevoir des outils dédiés à la santé au travail des femmes, en lien avec les services de prévention et de santé au travail (SPST), d'autre part, à accompagner les entreprises dans la prévention des violences sexistes et sexuelles au travail (VSST) ainsi que dans la prise en compte des violences conjugales.

Malgré l'affirmation par la DGT, lors de son audition devant la délégation, que « la santé au travail des femmes est un enjeu important qui nous mobilise dans un contexte interministériel », qu'il soit aujourd'hui permis à la délégation de douter de la réelle visibilité de cette problématique au niveau national et de sa prise en considération par les pouvoirs publics.

Le PST 4 aurait dû constituer l'occasion d'ériger cette question au centre de la définition de la politique de santé au travail, suivant notamment en cela les recommandations de la déclaration25(*) du 4 septembre 2020 du groupe permanent d'orientation (GPO) du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct). Force est malheureusement de constater que ce sujet crucial a été relégué aux confins du PST qui n'en a prévu qu'un traitement a minima aux détours d'une unique action, parmi les 34 que compte le plan, au sein d'un des dix objectifs du plan.

Si tout n'est bien sûr pas qu'une question d'affichage, la matérialisation d'une approche réellement genrée de la santé au travail comme un des axes stratégiques du Plan santé au travail aurait permis, à tout le moins, d'affirmer à quel point ce sujet était primordial du point de vue des politiques publiques de santé au travail.

La délégation ne peut dès lors que recommander que, lors de l'élaboration du prochain Plan santé au travail, le PST 5 qui s'étalera sur la période 2026-2030, l'intégration d'une approche genrée de la santé au travail et la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes, soient érigées au rang d'axes stratégiques du plan.

Recommandation n° 2 : Faire de l'approche genrée de la santé au travail et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques principaux du prochain PST (2026-2030).

b) Des déclinaisons régionales du PST 4 souvent plus « genrées » que « l'original »

Si la question de la santé des femmes au travail ne semble pas avoir été suffisamment mise en avant et traitée dans le PST 4, certaines régions ont en revanche fait de ce sujet un axe central de leur déclinaison régionale du Plan santé au travail, les plans régionaux de santé au travail (PRST).

Ainsi que l'indiquait d'ailleurs Amel Hafid, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, à la DGT, lors de son audition par la délégation le 30 mars 2023, « les avancées tiennent d'abord à une prise de conscience accentuée, par exemple au sein des conseils régionaux d'orientation des conditions de travail (Croct) » et « ce qui se passe dans les régions est très intéressant. Par exemple, six plans régionaux ont prévu des actions pour avancer sur la santé des femmes au travail. Certains Croct, comme en Bretagne, ont élaboré une méthodologie pour aider les entreprises à établir un DUERP sexué. Ils ont également effectué un travail de formation des élus et de sensibilisation des entreprises ».

Des initiatives régionales ont ainsi vu le jour afin d'intégrer au sein des PRST des actions relevant d'une approche sexuée de la santé au travail et de traiter spécifiquement de la santé des femmes au travail. La DGT a déclaré avoir « adressé une instruction aux directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) afin que le sujet de la santé des femmes soit pris à bras-le-corps au sein des plans régionaux de santé au travail (PRST) ».

Aujourd'hui huit régions sur treize incluent ainsi une dimension « santé des femmes » dans leur PRST de façon plus ou moins approfondie. Ainsi, d'après la DGT, « de nombreux PRST ont intégré des mesures sur l'endométriose ou les violences sexistes et sexuelles. C'est le cas du PRST Réunion. Le PRST Ile-de-France a prévu la création d'un observatoire pour mieux appréhender les risques auxquels sont exposées les femmes. En outre, certaines actions concernent les femmes indirectement même si l'approche première n'est pas celle de la santé des femmes. Ainsi, le PRST des Hauts-de-France comprend une action importante sur les TMS dans le secteur médico-social, ce qui de fait concerne pour une immense majorité des salariées femmes ».

À cet égard, Florence Chappert, responsable du projet Genre, santé et conditions de travail à l'Anact, soulignait devant la délégation le 23 mars 2023, « nous ne pouvons que saluer a minima les huit plans régionaux de santé au travail ayant développé des actions concernant la santé des femmes et ayant produit un diagnostic à cet effet ».

Toutefois, rares sont les régions qui ont institué l'approche genrée de la santé au travail au coeur de leur plan régional et érigé la santé des femmes au travail, dans toutes ses dimensions spécifiques, comme un axe central de leur réflexion.

C'est notamment le cas de la région Bretagne, où les rapporteures de la délégation se sont rendues jeudi 1er juin 2023, qui, après avoir contribué à construire collectivement une culture de la santé des femmes au travail lors du PRST précédent (PRST 3 : 2016-2020), a rendu opérationnelle, au sein du PRST 4, une analyse différenciée du risque en fonction du sexe et développé, au sein des entreprises de la région, des outils et des actions de nature à prendre en compte cette différenciation des risques professionnels.

Le PRST 4 de Bretagne : un « modèle du genre » à beaucoup d'égards

Le 4e plan régional santé au travail en Bretagne (PRST 4)26(*), intitulé Agir pour la santé au travail en Bretagne, est une déclinaison régionale du plan national de santé au travail. Il est toutefois plus innovant s'agissant du chantier de la santé au travail des femmes et s'appuie sur un « focus »27(*) dédié à cette question.

Ce focus vise à identifier les spécificités de la population féminine en lien avec les expositions professionnelles et la sinistralité à laquelle elle est confrontée. Les analyses fines développées dans ce document concernent, d'une part, la situation précise de l'emploi des femmes en Bretagne, d'autre part, les accidents de travail et les maladies professionnelles chez les femmes. Il constitue une base statistique incontournable pour la construction d'une politique régionale de santé au travail plus spécifiquement tournée vers la population féminine, au coeur des préoccupations des acteurs de la santé au travail en Bretagne comme le précise le Comité régional d'orientation des conditions de travail (Croct) de Bretagne. Ce type de document est indispensable pour objectiver les inégalités et les réduire.

En outre, l'approche sexuée en évaluation et prévention des risques professionnels fait l'objet d'une « fiche action » spécifique décrivant avec précision les objectifs de la politique régionale de santé au travail des femmes, les actions à mener ainsi que les points d'appuis, leviers et partenaires pour les mener à bien.

Lors de leur déplacement en Bretagne le 1er juin 2023, les rapporteures de la délégation ont pu constater l'implication de l'ensemble des acteurs régionaux de Bretagne - au premier rang desquels la direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité, la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités et le Croct - pour convaincre les entreprises de la région d'avoir recours à une analyse différenciée du risque en fonction du sexe et à une évaluation sexuée des risques professionnels

Des expérimentations en entreprise ont été initiées par la région, en partenariat avec l'Aract de Bretagne, pour mettre en place une méthodologie d'évaluation sexuée des risques (entreprise Linevia de transport de voyageurs et entreprise Primel dans le secteur de l'agroalimentaire). La construction de modèles de fiches d'entreprise sexuées par les préventeurs de la région est également prévue.

Recommandation n° 3 : Sur le modèle du plan régional de santé au travail (PRST) de Bretagne, encourager l'ensemble des régions à intégrer, au sein de leur PRST, une analyse différenciée de l'évaluation des risques en fonction du sexe et des actions spécifiques dédiées à la prise en compte de la santé des femmes au travail dans toutes ses dimensions.

3. Mettre en oeuvre l'évaluation genrée des risques professionnels au sein des entreprises

La loi28(*) du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit, à l'article L. 4121-329(*) du code du travail, le principe d'une évaluation des risques professionnels en tenant compte de « l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe ». Ainsi, la loi existe et introduit l'obligation de réaliser une évaluation genrée des conditions de travail et des risques professionnels. Elle n'est, toutefois, tout simplement pas suffisamment appliquée.

En effet, comme l'indiquait le groupe permanent d'orientation (GPO) du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) dans une déclaration30(*) du 4 septembre 2020, la mise en oeuvre de cette obligation d'évaluation genrée des risques professionnels dans les entreprises « fait souvent défaut et rencontre de réelles difficultés ».

Parmi les difficultés identifiées par le GPO du Coct dans cette déclaration de septembre 2020, figurent notamment :

« - la crainte de l'employeur, par manque d'information, de se rendre coupable de discrimination au regard des injonctions multiples qui visent à éviter tout traitement différencié ou de s'immiscer dans la sphère personnelle et privée de la salariée ;

- la crainte du préventeur d'accroître ce risque de discrimination ;

- la difficulté à moduler l'évaluation des risques professionnels selon le sexe (ou tout autre critère d'ordre personnel) alors que la rédaction du DUERP est perçue comme un exercice complexe par grand nombre d'entreprises ;

- l'absence de solution adaptée susceptible de répondre aux risques professionnels dont les effets sont différenciés selon le sexe ;

- la sous-estimation dans les politiques publiques de l'enjeu que représente la prise en compte de la singularité homme-femme dans l'évaluation des risques professionnels ».

Une fois identifiées ces difficultés, il est donc nécessaire de les neutraliser pour appliquer enfin le droit. Comme l'indiquait devant la délégation la chercheuse Émilie Counil, « il existe déjà une obligation de prise en compte des différences entre hommes et femmes dans l'évaluation des risques professionnels. Il suffit d'insister sur ce fait et de mieux former et informer à ce sujet ».

a) Modifier l'approche culturelle des employeurs sur le sujet du genre en santé au travail : différencier n'est pas discriminer

Le sujet de la santé des femmes au travail est avant tout un sujet « culturel », un sujet de culture d'entreprise notamment, et d'acculturation des employeurs à la pertinence d'une approche genrée de la santé au travail et de l'évaluation des risques professionnels. Certains employeurs sont en effet réfractaires à une telle approche en raison de la peur du risque de discrimination au travail.

Lors de la table ronde organisée par la délégation avec des représentants des partenaires sociaux le 11 mai 2023, le Dr Pierre Thillaud, représentant de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) au Comité national de prévention et de santé au travail du Coct, a résumé de cette manière la position de la CPME sur la pertinence d'une approche genrée de la santé au travail : « un patron de PME ne procède qu'à l'embauchage d'un salarié. Qu'il soit homme ou femme, sa responsabilité en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels reste égale. C'est tout le sens de l'ANI signé en décembre 2020, imparfaitement repris dans la loi du 2 août 2021, de s'affranchir de tout « communautarisme sanitaire » pour établir durablement et pour tous le concept de prévention primaire, de s'assurer d'un soutien de proximité intentionné et performant des entreprises adhérentes du SPSTI (Service de prévention et de santé au travail interentreprises), les PME tout particulièrement. Il s'agit enfin de veiller au développement adapté de la prévention de la désinsertion professionnelle ».

La délégation ne partage pas les craintes de la CPME quant au supposé risque d'instaurer un « communautarisme sanitaire » en cas d'évaluation sexuée des risques professionnels et donc de définition d'une approche genrée de la prévention et de la santé au travail.

Au contraire, elle estime aujourd'hui nécessaire de faire comprendre aux employeurs tout l'intérêt d'une évaluation différenciée de la connaissance et de la maîtrise des risques professionnels selon le genre, notamment au regard de l'évolution récente des statistiques de maladies professionnelles et accidents du travail chez les femmes dans certains secteurs d'activité, comme l'indiquait notamment à la délégation, le Dr Carole Donnay, secrétaire de l'Acomede lors de son audition devant la délégation le 16 février 2023.

De même, lors de son audition par la délégation, la représentante de la DGT, Amel Hafid, reconnaissait que « le code du travail interdit certes de discriminer les femmes, mais les avancées passeront moins par la réglementation que par un vrai changement culturel ».

Car, en matière de santé au travail, différencier n'est pas discriminer. De ce point de vue, le rôle de pédagogie des principaux préventeurs et prescripteurs de la politique de santé au travail est primordial.

Ainsi, lors de leur déplacement en Bretagne, à Rennes et à Chartres-de-Bretagne, le 1er juin 2023, les rapporteures de la délégation ont pu constater que les dirigeants des entreprises ayant pris part à l'expérimentation mise en place par l'Agence régionale d'amélioration des conditions de travail (Aract), dans le cadre de l'application du PRST, sur la mise en place d'une méthodologie d'évaluation sexuée des risques en entreprises, avaient, dans un premier temps, exprimé des craintes quant à un risque potentiel de discrimination au travail. Ces craintes ont toutefois pu être rapidement dissipées dans le cadre des échanges avec les préventeurs.

b) Rappeler les termes de la loi aux employeurs et le caractère essentiel d'un « DUERP » sexué

Comme évoqué précédemment, la loi précitée du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a exigé des entreprises des indicateurs sexués de santé et de sécurité au travail, et imposé la prise en compte, dans l'évaluation des risques professionnels, de l'impact différentiel des expositions aux risques en fonction du sexe, au travers du Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP).

Force est toutefois de constater que les entreprises ne se sont majoritairement pas emparé de ces dispositions législatives.

D'une part, comme l'indiquait à la délégation Florence Chappert de l'Anact, « les indicateurs sexués de santé et de sécurité au travail ne sont désormais plus obligatoires dans le cadre de la Base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), dont la mise en place a laissé aux entreprises la possibilité de choisir les indicateurs dont [elles] s'emparent pour réaliser leurs diagnostics et négociations ».

D'autre part, le DUERP n'a pas pleinement été exploité par les entreprises comme un outil à part entière d'approche genrée de l'évaluation des risques professionnels. En effet, comme le rappelait devant la délégation, le 30 mars 2023, Amel Hafid, sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail de la DGT, « aujourd'hui, moins de 50 % des entreprises de moins de 150 salariés ont un DUERP à jour. Nous n'avons pas de statistiques concernant le nombre d'entreprises ayant mis en oeuvre la disposition sur la santé des femmes mais on peut supposer qu'elles sont assez peu nombreuses ».

Alors qu'il s'agit aujourd'hui d'une obligation légale, de nombreuses entreprises n'ont pas élaboré de DUERP et, même lorsque ce document existe au sein de l'entreprise, il fait rarement l'objet d'une approche différenciée selon le sexe des employés.

Comment passer de la fixation d'un cadre stratégique au niveau national ou régional à des avancées concrètes au sein du milieu professionnel, notamment dans les entreprises, plus particulièrement celles de taille intermédiaire (ETI) et les PME ? C'est là tout l'enjeu d'une véritable politique genrée de santé au travail.

Le DUERP reste un document incontournable en matière de santé au travail mais il n'est pas encore suffisamment outillé pour intégrer une approche différenciée de l'exposition aux risques professionnels en fonction du sexe et, dès lors, inclure les risques spécifiques auxquels les femmes peuvent être exposées au travail, tels que les violences sexuelles et sexistes au travail par exemple, les risques psychosociaux ou les troubles musculo-squelettiques (TMS). Comme le soulignait Florence Chappert de l'Anact devant la délégation le 23 mars 2023, « en entreprise, l'évaluation des risques n'est pas réalisée à partir des conditions de réalisation réelle du travail, selon le métier, le statut, le sexe, l'expérience, l'âge. C'est ce qui conduit à des Documents uniques d'évaluation des risques professionnels (DUERP) qui consignent des dangers, risques et cotations, mais ne disent rien des populations exposées ».

L'élaboration par les employeurs d'un document unique d'évaluation des risques qui réponde à des critères de différenciation selon le sexe doit nécessairement faire l'objet d'un accompagnement des entreprises, notamment au niveau régional, non seulement par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités et les directions régionales aux droits des femmes et à l'égalité, mais aussi par les organismes préventeurs habituels, au niveau national et régional, tels que les services de prévention et de santé au travail (SPST), les agences régionales d'amélioration des conditions de travail (Aract), la Cnam ou encore l'INRS. (INRS).

Comme les rapporteures ont pu le constater lors de leur déplacement en Bretagne le 1er juin 2023, la définition d'une approche genrée au sein du DUERP peut ainsi l'objet d'une expérimentation régionale. Dans ce cadre, l'Aract de Bretagne a en effet mené, avec deux entreprises de la région, une entreprise de transports de voyageurs et une entreprise de l'agroalimentaire, une expérimentation visant à prendre en compte le genre dans les diagnostics et actions de prévention des entreprises concernées et en intégrant le risque « sexisme au travail » dans leur document unique d'évaluation.

Cette expérimentation avait vocation, non seulement à aider les entreprises à mettre en place une « méthode » d'évaluation sexuée des risques, mais aussi, par la suite, à obtenir un « effet de ruissellement » auprès d'autres entreprises régionales des mêmes secteurs par une diffusion de la méthode ainsi enrichie.

La délégation ne peut qu'encourager ce type d'accompagnement des employeurs et d'enrichissement des documents d'évaluation des risques professionnels par l'intégration de risques touchant spécifiquement les femmes au travail, tels que les violences sexuelles et sexistes ou encore les risques psychosociaux et la charge mentale qui relèvent de risques organisationnels.

Recommandation n° 4 : Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré et les inciter à intégrer dans ce document des risques auxquels les femmes sont plus particulièrement exposées, tels que les violences sexuelles et sexistes au travail, les risques psychosociaux ou les TMS.

c) Prévoir un volet sexué des fiches d'entreprise établies par la médecine du travail

Le code du travail prévoit, dans sa partie réglementaire aux articles R. 4624-26 à R. 4624-50, que « pour chaque entreprise ou établissement, le médecin du travail ou, dans les services de prévention et de santé au travail interentreprises, l'équipe pluridisciplinaire établit et met à jour une fiche d'entreprise ou d'établissement sur laquelle figurent, notamment, les risques professionnels et les effectifs des salariés qui y sont exposés ».

Cette fiche d'entreprise est donc un document obligatoire qui permet de consigner tous les risques professionnels de l'entreprise et les effectifs de l'entreprise exposés à ces risques. Elle s'adresse notamment aux acteurs concernés par la gestion et la prévention de ces risques.

La fiche d'entreprise est établie par le médecin du travail ou, dans les SPSTI, par l'équipe pluridisciplinaire. Elle est ensuite communiquée à l'employeur. Pour l'élaborer, le médecin du travail peut s'appuyer sur le DUERP de l'entreprise. Elle doit comporter des renseignements sur l'entreprise, l'appréciation des risques professionnels identifiés au sein de l'entreprise ainsi que les actions à prendre pour prévenir et réduire ces risques.

Or, contrairement à ce qui est prévu dans la loi pour le DUERP, les fiches d'entreprise ne font pas l'objet d'une prescription concernant la nécessité d'une approche genrée de l'identification des risques professionnels.

La délégation considère qu'il s'agit là d'un vide juridique qu'il est nécessaire de combler et propose de prévoir, dans les articles du code du travail qui lui sont relatifs, que la fiche d'entreprise ou d'établissement tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe.

Recommandation n° 5 : Inscrire dans le code du travail l'obligation d'une approche sexuée des risques professionnels au sein des fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, par parallélisme avec le DUERP.

4. Former les professionnels aux enjeux de la santé des femmes au travail

Tous les acteurs intervenant dans le champ de la santé au travail doivent être sensibilisés à une approche genrée de la santé au travail : les pouvoirs publics et les employeurs, mais également les professionnels de santé intervenant dans le champ de la santé au travail, de même que l'Inspection du travail et l'ensemble des préventeurs.

Comme souvent, l'enjeu est donc aussi celui de la formation des professionnels qui accompagnent la mise en oeuvre des politiques publiques. Il est donc essentiel de former à la fois les professionnels de santé dont les médecins du travail, les inspecteurs du travail et les préventeurs à une approche genrée de la santé au travail.

Lors de son audition par la délégation le 8 décembre 2022, l'historienne Muriel Salle a ainsi estimé primordiale la formation des professionnels de santé sur les questions de santé des femmes en général et de santé au travail en particulier. Elle a précisé : « je forme moi-même des étudiants en médecine et je sais que cet aspect est anecdotique dans notre pays en général, dans les cursus médicaux en particulier. Il est absent de la formation des médecins du travail. Les travaux des ergonomes [sur ces enjeux] mériteraient de faire partie de leur bagage de base ».

Dans cette perspective, Muriel Salle suggère notamment :

- la création d'une chaire en « genre et santé » ;

- l'intégration dans les questions de l'examen classant national (ECN), lors de de l'internat, d'une thématique « genre et santé », dans la mesure où « l'enjeu de l'internat est tel que si vous y inscrivez un sujet, les étudiants travailleront nécessairement dessus et se verront offrir une formation préalable. C'est (...) notre seul levier pour faire évoluer les curriculums en santé ».

- l'intégration de la thématique « genre et santé » dans la formation des médecins du travail, incluant notamment une formation au dépistage des violences sexistes et sexuelles au travail (VSST) et des violences intrafamiliales (VIF).

De même, il est nécessaire d'accompagner la formation des inspecteurs et inspectrices du travail afin de les sensibiliser à une approche genrée de l'application par les employeurs des politiques de prévention en matière de santé au travail.

Les préventeurs eux-mêmes, que ce soit les SPST, au sein des entreprises ou interentreprises, et les organismes publics intervenant dans le champ de l'amélioration des conditions de travail et de la santé au travail doivent pouvoir disposer des moyens humains et matériels nécessaires pour former, sensibiliser et outiller les différents acteurs de la santé au travail en matière d'approche genrée.

Enfin, il convient, comme le rappelait le Dr Agnès Aublet-Cuvelier de l'INRS, de ne pas méconnaître la question de la formation initiale des futurs professionnels et décideurs, managers et concepteurs qui est également essentielle pour les rendre sensibles à ces questions de déterminisme social, en termes de prévention de la santé des hommes et des femmes en milieu de travail.

À cet égard, elle précisait notamment qu'« il existe un certain nombre d'initiatives de formation vers ces publics cibles depuis plusieurs années sur la question de la prévention des risques professionnels, très insuffisamment enseignée. De nombreux futurs professionnels n'y sont pas suffisamment sensibilisés, y compris parmi les personnes qui s'engageront ensuite dans des voies de ressources humaines ou de management ».

Recommandation n° 6 : Former les professionnels de santé, et en premier lieu les médecins du travail, l'Inspection du travail, l'ensemble des préventeurs et les DRH à une approche genrée de la santé au travail.

B. DÉVELOPPER ET ADAPTER LA PRÉVENTION

1. Développer une approche intégrée de la santé des femmes dans sa globalité

Pour mieux prendre en compte la santé des femmes au travail, il est nécessaire de mieux prendre en compte la santé des femmes en général et dans toute sa globalité.

a) Mettre en oeuvre une stratégie nationale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail »

La délégation recommande la mise en oeuvre d'une stratégie nationale pour la santé des femmes, sur le modèle, par exemple, du plan national pour la santé des femmes en Angleterre adopté par le Royaume-Uni en juillet 202231(*), stratégie décennale fondée sur le parcours de vie des adolescentes aux femmes âgées. Partant du constat que si les femmes vivent plus longtemps que les hommes, elles passent une proportion nettement plus importante de leur vie en mauvaise santé et en situation de handicap que les hommes, ce plan fixe les grands objectifs de la prochaine décennie pour une dizaine de sujets parmi lesquels la santé au travail, l'éducation à la santé et aux soins, la santé menstruelle, la grossesse, la ménopause, la santé mentale et le bien-être, le cancer, l'impact de la violence contre les femmes et les filles, le vieillissement en bonne santé.

Une stratégie nationale pour la santé des femmes en France devra nécessairement inclure un volet « santé au travail » et permettre ainsi une approche « intégrée » de cette question car, si la santé des femmes au travail dépend des conditions dans lesquelles elles exercent leur emploi, le milieu professionnel lui-même pourrait également devenir un vecteur d'amélioration de la santé des femmes en général.

La définition d'une telle stratégie nationale suppose un portage politique fort de ces sujets par le Gouvernement : si le Président de la République a déclaré, au début de son premier mandat, « grande cause nationale » la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, des pans entiers de cette politique d'égalité n'ont pas encore été investis par le pouvoir exécutif dont celui de la santé des femmes et de ses spécificités.

Au-delà des moyens budgétaires qui seraient inévitablement nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle stratégie, ce sont également les moyens humains disponibles et leur implication dans une approche genrée de la santé au travail qui font parfois défaut.

b) Créer des ponts entre santé des femmes au travail et santé des femmes en général
(1) Le rôle encore prépondérant des médecins du travail malgré la baisse inquiétante de leurs effectifs

Le lancement d'une stratégie nationale pour la santé des femmes comprenant un volet « santé au travail » permettrait également, sous réserve d'une augmentation de ses effectifs, de faire de la médecine du travail un levier d'amélioration de la santé des femmes en général, en particulier pour les femmes précaires, qui ont moins accès aux soins et aux dispositifs de prévention.

Les médecins du travail ont, par exemple, un rôle à jouer comme relais de campagnes de santé publique nationale, en particulier s'agissant du dépistage des cancers féminins. Ils sont également des référents s'agissant de la santé sexuelle et reproductive des femmes au travail, comme on le verra infra dans le chapitre dédié à cette question.

Pourtant, cette spécialité est malheureusement, depuis plusieurs années, en perte de vitesse : sa démographie connaît en effet une diminution sensible. Ainsi, dans une réponse du ministère des solidarités et de la santé publique, en date du 25 novembre 2021, à une question écrite32(*) du 24 juin 2021 de notre collègue Didier Mandelli sur le manque de médecins du travail en France, il est mentionné que « le recensement effectué par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) met (...) en lumière une baisse ces dernières années du nombre de médecins du travail (passage de 4 908 à 4 650 médecins entre 2015 et 2020) », soit une baisse des effectifs de plus de 5 % en quatre ans.

Une publication du réseau Présanse (prévention et santé au travail) de novembre 2021 évaluait, quant à elle, le nombre de médecins du travail, en personnes physiques, au 1er janvier 2021, à 4 275 (médecins du travail et collaborateurs de médecins) et à 3 521 en équivalents temps plein (ETP), contre 5 131 praticiens en 2015 pour plus de 4 000 ETP. Elle soulignait également que la démographie des enseignants en médecine du travail et l'implantation des chaires étaient tout aussi préoccupantes. Pourtant, comme le précise ce réseau de professionnels de la prévention et de la santé au travail, « au contraire des autres spécialités médicales, l'exercice de ces professionnels de santé ne pèse pas sur les comptes sociaux et les services de santé au travail assument les salaires et contribuent largement à la formation initiale et continue de leurs salariés ».

En outre, la densité moyenne nationale relevée en 2022 était de 7,2 médecins du travail pour 100 000 habitants tandis que l'évolution moyenne des effectifs de médecins du travail en France à l'horizon 2030 devrait être de - 7 %.

Les médecins du travail exercent aujourd'hui principalement en service autonome ou en services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) dont les missions ont été élargies par la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail et au sein desquels la compétence des médecins du travail est devenue incontournable.

Cette baisse des effectifs de la médecine du travail et des moyens dédiés au suivi médical des salariés a entraîné, mécaniquement, une moindre attention portée à la santé des femmes au travail.

Comme le soulignait notamment Carole Donnay, secrétaire de l'Acomede lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, « malheureusement, l'espacement des visites médicales et le fait que certaines d'entre elles soient réalisées par les médecins traitants dans des secteurs très féminisés, comme le service à la personne ou le mannequinat, ne permettent plus d'avoir, en médecine du travail, une vision globale de la situation des femmes au travail ».

(2) Renforcer le lien entre médecine de ville et médecine du travail pour améliorer le suivi médical des femmes de façon générale

Pour pallier le manque de médecins du travail, plusieurs réformes ont été adoptées au cours des dernières années, notamment en développant la pluridisciplinarité au sein des services de santé au travail et en privilégiant le recours à des professionnels en dehors de la sphère de la médecine du travail et qui auront vocation à intervenir au sein des SPSTI.

La loi33(*) précitée du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a institué une nouvelle organisation du suivi de l'état de santé qui permet d'adapter le type et la fréquence des visites médicales aux risques effectivement encourus par les travailleurs. Ainsi, la visite d'embauche des salariés peut désormais être déléguée par le médecin du travail à un infirmier spécialisé en santé au travail. La part des salariés vus en visite par un infirmier est ainsi passée de 3 % à 14 % entre 2012 et 2019 et le nombre d'infirmiers a augmenté régulièrement pour passer de 1 778 à 2 240 entre 2018 et 2020.

En outre, la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, qui transpose l'accord national interprofessionnel de décembre 2020, prévoit plusieurs dispositifs destinés à pallier le manque de professionnels dans le domaine de la médecine du travail :

- les services de santé au travail pourront recourir à des médecins praticiens correspondants (MPC) pour contribuer au suivi autre que le suivi médical renforcé des travailleurs. Ces médecins, issus d'une autre spécialité, disposeront d'une formation en médecine du travail et auront vocation à renforcer les effectifs des services de prévention et de santé au travail, en particulier en cas de difficultés à assurer l'ensemble des examens médicaux prévus par le code du travail ;

- la loi ouvre également la possibilité pour les infirmiers en pratique avancée (IPA) d'exercer en service de prévention et de santé au travail, et ainsi de se voir déléguer des missions avancées.

Sur le papier, ces dispositions peuvent sembler de nature à améliorer le suivi de la santé des femmes au travail notamment.

Toutefois, il faut noter :

- d'une part, que les décrets permettant la mise en oeuvre de ces dispositifs n'ont pas encore été publiés comme l'a évoqué, lors de la table ronde avec les partenaires sociaux, Diane Deperrois, présidente de la commission Protection sociale du Medef : « nous souhaitons que les décrets issus de la loi santé au travail du 2 août 2021, notamment sur les infirmiers et infirmières en pratique avancée (IPA), et les médecins praticiens correspondants, puissent voir le jour. Je sais qu'ils sont en cours d'élaboration. Ils sont très importants. C'est aussi par ce personnel présent sur le terrain que les salariés sont accompagnés. Aujourd'hui, la démographie médicale occasionne souvent des manques de professionnels. Nous sommes vigilants, et particulièrement en attente de la publication de ces décrets. Ce sont aussi ces acteurs que les femmes peuvent consulter pour évoquer les pathologies dont elles pourraient souffrir, avec un respect du secret médical » ;

- d'autre part, que le recours aux MPC ne fait pas l'unanimité au sein des partenaires sociaux puisque la CGT a déclaré à la délégation au cours de la table ronde du 11 mai 2023 ne pas avoir signé l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, notamment en raison de la possibilité du recours aux MPC. La CGT juge ainsi préférable que « les pouvoirs publics développent la médecine du travail, qu'ils fassent en sorte que cette filière soit étendue. Le concept de MPC suppose que des médecins généralistes se chargent de la médecine du travail. Pourtant, (...) la médecine de ville est aussi sinistrée que celle du travail. (...) Par ailleurs, les généralistes sont trop éloignés des conditions de travail vécues par les femmes en particulier ».

Ainsi que le rapportait également Anne-Michèle Chartier, présidente du Syndicat fédéral des médecins et des professionnels des services de santé au travail, « le manque de médecins du travail est à lier à un manque de médecin en général, partout. Les services de santé au travail ont été élargis avec des psychologues, des infirmiers et des assistants de santé au travail. Ainsi, les actions de prévention primaire au travail peuvent être prises en charge par un professionnel autre qu'un médecin. Les campagnes de prévention au sein des entreprises sont assurées par les infirmières ».

Si la préoccupation première de la délégation est avant tout de pouvoir renforcer le nombre de médecins du travail et leur disponibilité dans les services de prévention et de santé au travail, elle est également favorable à toute mesure qui pourrait faciliter le suivi de la santé des femmes au travail.

Ainsi, pour éviter la charge mentale dite « médicale » qui pèse sur les femmes qui travaillent, à savoir la charge mentale liée à leur propre parcours de soins et qui obère leur accès aux soins et à la prévention, il pourrait s'avérer utile, comme le suggérait devant la délégation le 16 février 2023, Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de santé, que « les préventions soient mises en place sur le temps de travail, voire organisées par les employeurs. (...) Certains ont déjà dédié une journée de congé à la prévention. En d'autres termes, il est essentiel d'accorder du temps de santé prévention dans les accords des salariés et de faire venir les préventions aux femmes. Ainsi, on peut soit accorder une journée, soit prendre les rendez-vous, soit faire venir les professionnels sur les lieux de travail pour organiser des campagnes de vaccination, par exemple ».

Recommandation n° 7 : Élaborer une Stratégie nationale globale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et affirmer le rôle pivot de la médecine du travail dans le suivi de la santé des femmes au travail.

2. Développer la prévention primaire et secondaire en direction des femmes
a) Trois types de prévention en santé au travail et une quasi-obligation de résultats pour l'employeur

L'INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) définit la prévention des risques professionnels comme « l'ensemble des dispositions à mettre en oeuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés, améliorer les conditions de travail et tendre au bien-être au travail ».

Le code du travail organise trois types de prévention :

- la prévention primaire est celle qui intervient le plus tôt, en amont de l'apparition des risques professionnels, et agit sur les causes des risques en diminuant leurs facteurs de développement. La prévention primaire permet donc d'intervenir au plus tôt et d'agir sur les facteurs de risques dans le but de les supprimer ou les diminuer. Ce type de prévention consiste alors, en matière de santé au travail, à développer les procédures de sécurité, les protocoles d'utilisation de matériels, à agir sur les leviers de substitution aux produits dangereux et toxiques existants, ou encore à modifier l'organisation et les conditions de travail ;

- la prévention secondaire consiste à dire que, si l'on ne peut écarter le risque, alors on doit s'adapter : ce type de prévention vise donc à améliorer les stratégies d'adaptation des organisations en milieu professionnel et peut recouvrir, par exemple, l'utilisation d'équipements de protection individuelle (EPI) pour certaines activités ;

- la prévention tertiaire vise à accompagner la réparation et consiste donc à limiter les conséquences pour les travailleurs une fois le risque survenu, ceux-ci devant être sensibilisés à cette possibilité afin d'éviter une forte sous-déclaration des risques et, par conséquent, une faible reconnaissance et indemnisation.

En outre, le code du travail précise que la prévention des risques pour ses salariés, dans l'exercice de leurs missions professionnelles, est une obligation légale de l'employeur.

Dispositions du code du travail relatives à l'obligation de moyens renforcés de l'employeur en matière de prévention des risques professionnels

* Article L. 4121-1 : « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

* Article L. 4121-2 et L. 4121-3 : « l'employeur évalue les risques et met en oeuvre les mesures prévues sur le fondement des neuf principes généraux de prévention suivants (méthode d'analyse et d'action sur les risques professionnels que doit suivre obligatoirement le responsable d'entreprise). »

* Les neuf principes généraux prévus par le code du Travail (article L. 4121-2) sont :

- éviter les risques ;

- évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

- combattre les risques à la source ;

- adapter le travail à l'homme ;

- tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

- remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

- planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ainsi que ceux liés aux agissements sexistes ;

- prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

- donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Un développement de la prévention primaire et secondaire plus spécifiquement à destination des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine, est aujourd'hui incontournable.

En effet, comme le rappelait Carole Donnay, secrétaire générale de l'Acomede, lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, « l'organisation de la prévention des risques professionnels dans des secteurs professionnels plutôt féminins n'est pas à la hauteur des actions engagées dans des secteurs d'activité plutôt masculins perçus comme plus pénibles, comme le BTP par exemple. En effet le risque accidentogène et de maladie professionnelle grave engageant le pronostic vital, comme l'amiante ou la silice dans des activités très masculines, a attiré le regard de toutes les autorités de contrôle et a poussé ces entreprises à s'engager dans la prévention et dans la maîtrise des risques professionnels. En comparaison, les risques professionnels du secteur du care ou du nettoyage ont pu être banalisés dans leur appréciation par les employeurs et les salariés eux-mêmes. Particulièrement dans ces secteurs, l'organisation préventive - c'est-à-dire le repérage et l'analyse des risques et leur prévention - a eu du mal à se mettre en place faute de moyens ».

Dans la définition des principes généraux de prévention, prévus à l'article L. 4121-2 du code du travail, sur le fondement desquels l'employeur doit mettre en oeuvre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, la délégation propose ainsi d'ajouter, après les mots « adapter le travail à l'homme », les mots « et à la femme ».

b) Des actions de prévention concrètes à mener en faveur des femmes, qui profitent aussi aux hommes

Comme dans beaucoup de domaines, oeuvrer en faveur des femmes et de l'égalité en matière de santé au travail revient à améliorer la situation de toutes et tous.

Le déploiement de solutions concrètes à destination des femmes, notamment dans les secteurs professionnels où elles sont le plus représentées, l'adaptation des postes et des conditions de travail aux morphologies diverses, les progrès réalisés sur le plan ergonomique sont autant d'avancées en faveur des femmes mais qui peuvent aussi concerner les hommes.

Comme le soulignait très justement Muriel Salle, historienne, devant la délégation le 8 décembre 2022, « prendre en considération la santé des femmes au travail leur serait bénéfique au premier chef, mais elle le serait également, de manière générale, dans un objectif d'amélioration des conditions de travail et d'emploi pour les femmes comme pour les hommes ».

(1) Le déploiement de solutions concrètes et l'adaptation des postes de travail aux morphologies diverses profitent à toutes et tous

Au cours de ses travaux sur la santé des femmes au travail, la délégation a pu prendre connaissance de plusieurs exemples de déploiement de solutions concrètes à destination des femmes qui se sont par la suite révélées bénéfiques pour les hommes.

L'exemple le plus signifiant est sans doute celui de la « besace du facteur » : lorsque la profession de facteur a commencé à se féminiser, une solution alternative de portage du courrier a été spécialement conçue pour les femmes pour lesquelles le poids de la traditionnelle besace permettant de transporter les plis postaux n'était pas adapté à leur morphologie. Il a donc été proposé aux femmes d'utiliser un chariot à roulettes qu'elles pouvaient pousser plutôt qu'un sac lourd qu'elles devaient porter sur l'épaule. La solution du chariot s'est peu à peu imposée auprès de l'ensemble des facteurs et factrices et a remplacé la lourde besace, ce qui a considérablement amélioré la santé physique de toutes et tous.

Malgré cette innovation, il a été rapporté à la délégation par Florence Chappert de l'Anact que, dans le secteur postal, l'adaptation des conditions de travail des femmes était encore insuffisante, notamment parce que « le port de charges amène à porter des colis au-delà des normes du code du travail, en raison d'une règle organisationnelle liée à l'ancienneté. Les femmes se retrouvent donc avec plus de colis à livrer, dans des quartiers plus difficiles. Sur le plan physique, du dire même des médecins du travail, les cadences sont conçues pour des hommes jeunes et en bonne santé. Le matériel (vélos, voitures et étagères de tri) ne prend pas en compte la différence entre la taille moyenne des femmes et celle des hommes ».

La réflexion autour du port de charges lourdes devrait d'ailleurs, de ce point de vue, être menée dans une démarche plus large de prévention intégrée visant à une amélioration générale des conditions de travail pour toutes et tous. L'Anact propose par exemple de supprimer du code du travail la disposition visant à limiter le port de charges à 25 kg pour les femmes et 55 kg pour les hommes, en appliquant la norme européenne de 15 kg pour toutes et tous.

Lors de son audition par la délégation le 16 février 2023, Carole Donnay, de l'Acomede, a par ailleurs rappelé que « des études ergonomiques centrées sur l'analyse de l'activité de travail des femmes mettraient également en évidence la nécessité de réviser certains référentiels de conception de poste de travail afin qu'ils soient aussi bien adaptés aux hommes qu'aux femmes ».

Un autre exemple d'amélioration des conditions de travail spécifiquement conçue pour les femmes et qui a pu également profiter aux hommes a été présenté aux rapporteures de la délégation lors de leur déplacement en Bretagne le 1er juin 2023.

Ainsi, les conductrices de bus de l'entreprise de transport de voyageurs Linevia ont fait remonter à leur employeur, au cours d'entretiens individuels sur leurs conditions de travail et les facteurs d'amélioration, l'impossibilité pour elles de se rendre aux toilettes en fin de parcours avant de repartir au dépôt. Les conducteurs, eux, n'avaient jamais fait remonter cette information à l'employeur affirmant ensuite, une fois interrogés sur le sujet, « se débrouiller » sans accès possible à des toilettes. La direction de l'entreprise a alors décidé de prendre cette question au sérieux et de trouver une solution pour que les conductrices et les conducteurs de bus puissent se rendre aux toilettes au moment du terminus de leur ligne avant de repartir.

Une fois de plus, on constate qu'une difficulté soulevée par les femmes salariées de l'entreprise et qui concernait également potentiellement les hommes a pu être levée. La solution a donc profité non seulement aux femmes, premières concernées, mais aussi aux hommes.

Ces exemples démontrent, s'il en était besoin, tout l'intérêt de concevoir des améliorations des conditions de travail des femmes, ces améliorations étant facteurs de progrès pour l'ensemble des travailleurs.

(2) Des démarches volontaristes doivent être menées en matière de prévention primaire et secondaire des risques professionnels plus spécifiquement féminins

En matière de santé des femmes au travail et de prévention, on constate globalement une insuffisante adaptation des organisations du travail et l'absence de réflexion sur les conditions de travail dans les secteurs à forte prédominance féminine qui freinent le développement d'actions de prévention, primaire et secondaire, réellement efficaces.

C'est pourquoi la délégation recommande, dans les secteurs les plus féminisés où les risques professionnels sont, on l'a vu, souvent minimisés voire ignorés, de mener une réflexion sur les mesures de prévention primaire qui pourraient améliorer les conditions de travail des femmes et les solutions concrètes qui pourraient être proposées.

Ainsi par exemple, dans le secteur du nettoyage, il est recommandé, dans la mesure du possible :

- pour éviter les risques liés à l'utilisation de produits toxiques et de polluants chimiques qui ont un impact sur la santé de celles et ceux qui les utilisent, d'encourager l'utilisation de produits de substitution, tels que le savon noir, le vinaigre blanc ou le bicarbonate de soude ;

- pour éviter les risques liés aux conditions de travail et à son organisation, d'imposer aux employeurs des normes de surface maximale de nettoyage dans un temps imparti, par exemple pas plus de 300m2 à l'heure, ainsi que de limiter les horaires atypiques des activités de nettoyage. Par exemple l'activité de nettoyage des bureaux des entreprises ou des administrations pourrait se dérouler sur les plages horaires habituelles d'ouverture des bureaux sans qu'il soit besoin de faire venir les salariées et salariés de ce secteur très tôt le matin ou très tard le soir. Une cohabitation des différents types de population professionnelle est en effet possible et souhaitable pour préserver la santé des employés de ce secteur ;

- pour éviter le risque spécifique d'exposition professionnelle à l'amiante lors du nettoyage de sols amiantés appelés dalami, que l'on retrouve encore dans de nombreux locaux publics, dont des écoles ou des hôpitaux, d'interdire l'usage des mono-brosses nettoyantes sur ces sols car elles remettent en suspension, dans l'air, des fibres d'amiante, comme l'a recommandé à la délégation Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé et membre du Giscop 84.

Dans le secteur du care, outre les actions de prévention visant à limiter l'apparition des TMS, le port de charges lourdes et les risques psychosociaux, on peut noter l'adoption par le Sénat, le 1er février 2023 d'une proposition de loi34(*) de notre collègue Bernard Jomier relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé qui prévoit d'instaurer un nombre minimal de soignants par lit ouvert à l'hôpital, établi par la Haute autorité de santé (HAS) pour chaque spécialité ou activité. Cette proposition de loi vise ainsi à améliorer la qualité des soins et des conditions d'exercice de l'activité de soignant hospitalier.

Dans ce secteur, les rapporteures saluent également et souhaitent encourager les initiatives telles que les Maisons des soignants qui visent à « prendre soin des soignants » et dont la délégation a pris connaissance au cours de ses auditions.

Ainsi, Catherine Cornibert, directrice générale de l'association Soins aux professionnels de santé (SPS), auditionnée par la délégation le 6 avril 2023 dans le cadre d'une table ronde consacrée aux métiers du care, a fait part de la création par son association de la première maison des soignants à Paris, qui « n'accueille quasiment que des femmes. (...) On y propose des entretiens avec des psychologues. On se forme, on s'informe. Y sont également accessibles des ateliers de ressources ou de reconversion, ainsi que des groupes de parole. Sur plus de 1 000 visites depuis 18 mois, nous n'avons compté que très peu d'hommes. Ce sont surtout des femmes qui viennent y chercher un échange et des ressources. »

De même, Nora Viviani, ancienne infirmière à l'hôpital de Bourges, rencontrée par la délégation le 16 mai 2023, a présenté la Maison des soignants installée au sein du Centre hospitalier George Sand de Bourges dans le Cher et qui s'attache à développer un vrai projet de qualité de vie au travail pour les professionnels de la santé. Une salle de détente, accessible 24h/24, est notamment disponible pour se reposer et échanger. Cette maison des soignants accueille aujourd'hui une cinquantaine de personnes par jour, dont environ 40 femmes, sur un effectif total de 700 personnes à l'hôpital de Bourges.

Recommandation n° 8 : Généraliser le développement de maisons des soignants sur tout le territoire.

Dans les secteurs où la prévalence des TMS est importante, tels que celui de la grande distribution par exemple, certaines mesures, inspirées directement par l'activité professionnelle des salariés, en lien avec les équipes dirigeantes des entreprises et des médecins ergonomes ou des ergothérapeutes, doivent être conçues par l'employeur dans une démarche volontariste.

C'est le cas, par exemple, du groupe Carrefour qui a mis au point, dans le cadre d'un programme spécifique sur la prévention des TMS dans ses hypermarchés, des machines spécifiques facilitant la manutention des employés affectés au rayonnage et qui doivent manipuler des palettes très lourdes.

Plus généralement, l'Assurance maladie a mis en place, depuis 2014, un programme intitulé TMS Pro pour aider les entreprises à réduire l'impact des TMS et du mal de dos qui propose à plus de 8 000 établissements une démarche de prévention structurée qui vise à identifier, connaître et maîtriser le risque TMS de façon durable et ainsi améliorer les conditions de travail des salariés et la performance globale des entreprises. Cette démarche de prévention des TMS s'articule en quatre étapes successives.

Bien entendu, toutes ces solutions doivent être adaptées aux conditions concrètes d'exercice de l'activité professionnelle, aux cadences de travail et à la possibilité d'appliquer de façon effective sur le long terme les gestes recommandés.

S'agissant de la prévention spécifique des violences sexistes et sexuelles au travail (VSST), la délégation recommande également de construire une politique de prévention primaire autour de ces violences pour minimiser et réduire les facteurs de risque, et augmenter les ressources disponibles sur ces sujets dans l'entreprise.

De ce point de vue, l'expérimentation menée par l'Aract de Bretagne au sein de l'entreprise de transport de voyageurs Linevia à Chartres-de-Bretagne est exemplaire en proposant de privilégier la prévention primaire en matière de sexisme au travail et de VSS après avoir dressé un état des lieux et proposé une formation aux dirigeants et salariés de l'entreprise sur le sujet. Le but de cette démarche est donc d'éviter dans la mesure du possible d'avoir besoin de mettre en oeuvre une prévention secondaire (adaptation des conditions de travail) voire tertiaire (action après signalement) sur le sujet.

S'agissant de la prévention secondaire, il est nécessaire de prévoir des équipements de protection et des dispositifs d'aide technique adaptés à la morphologie et aux caractéristiques anthropométriques des femmes.

Comme le précisait Florence Chappert de l'Anact devant la délégation le 23 mars 2023, au niveau des entreprises, il convient de « développer de nouvelles normes pour les matériels, outils et équipements de protection individuelle afin de prendre en compte les différences physiologiques entre les femmes et les hommes ».

De même, le Dr Agnès Aublet-Cuvelier de l'INRS rappelait à la délégation l'importance de « veiller à ce que les concepteurs des équipements de travail soient également sensibilisés à ces questions. Nous avons encore vu récemment l'importance d'un ajustement au visage des appareils individuels de protection respiratoire, toute fuite constituant évidemment un facteur délétère pour la protection de ces personnes ». S'agissant des équipements de protection individuelle (EPI), elle indiquait à la délégation qu'ils pouvaient être parfois inadaptés pour les femmes : « on voit souvent dans les entreprises des boîtes de gants en taille M, censée convenir à la moyenne des personnes. Les femmes ont souvent des plus petites mains que les hommes. Ce constat peut paraître anecdotique, mais lorsqu'on porte des gants surdimensionnés par rapport à la taille de nos mains, et que l'on doit saisir des objets ou faire de la manutention, on réalise des efforts de serrage plus importants pour maintenir le gant sur la main et pour maintenir le colis ou les objets que l'on est censé transporter. Ainsi, ces gants trop grands accroissent les facteurs de risques biomécaniques délétères s'agissant des risques de troubles musculo-squelettiques ».

La délégation recommande donc l'adaptation des équipements de protection, des matériels, outils et dispositifs d'aide technique aux caractéristiques anthropométriques des femmes, ainsi qu'une formation à leur utilisation.

Recommandation n° 9 : Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine.

Par ailleurs, la délégation estime nécessaire de mieux accompagner les salariées dans la reprise de leur activité professionnelle après un arrêt de travail de longue durée.

Une visite médicale de pré-reprise est, en principe, obligatoire après un arrêt de travail de plus de trois mois, qui permet au médecin du travail de formuler des recommandations pour des aménagements de poste et de temps de travail. L'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation du poste de travail. Il peut cependant s'en affranchir en faisant connaître les motifs de son opposition.

Les rapporteures estiment nécessaire de renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

Recommandation n° 10 : Renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée.

(3) Les moyens dédiés à la prévention doivent être renforcés

L'adaptation des mesures de prévention et de santé au travail destinées plus spécifiquement aux femmes, et notamment à celles qui occupent des postes dans les secteurs à forte prédominance féminine, suppose bien sûr le renforcement des moyens dédiés à la prévention par les employeurs mais aussi de ceux des organismes prescripteurs qui impulsent cette politique, assistent les employeurs dans son application et la contrôlent.

Si l'application des mesures de prévention et de santé au travail relève avant tout de la responsabilité de l'employeur, il est important que les entreprises, et notamment les très petites entreprises (TPE) ou les petites et moyennes entreprises (PME), qui rencontrent plus de difficultés pour mettre en oeuvre des mesures de prévention adaptées, qui plus est spécifiquement à destination des femmes, soient accompagnées par les organismes chargés de la mise en oeuvre des politiques institutionnelles en matière de prévention des risques professionnels et de santé au travail.

Pour accomplir cette mission, et renforcer la fréquence et l'efficacité des contrôles effectués par ces organismes sur la mise en oeuvre de la politique de prévention et de santé au travail, il est nécessaire d'accroître leurs moyens humains notamment, et en premier lieu ceux des organismes régionaux plus particulièrement en charge de la santé au travail, à savoir les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), services déconcentrés régionaux en charge notamment de la politique du travail, et les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) qui mettent en oeuvre les politiques institutionnelles dans les domaines de la retraite, de l'accompagnement social et de la prévention des risques professionnels, sous la double tutelle de la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).

Parmi les acteurs de la prévention, on l'a vu, le rôle des préventeurs est primordial pour aider les employeurs à mettre en place des mesures et actions genrées en matière de prévention primaire notamment. Afin d'aider les plus petites entreprises à se saisir de ces outils, le recours à des préventeurs des risques partagés peut s'envisager, de même que le partage d'expériences afin que l'approche sexuée du risque mise en oeuvre par certains employeurs profite à toutes et tous.

Enfin, les partenaires sociaux sont évidemment en première ligne s'agissant de la conception et de la mise en oeuvre de la politique de prévention et de santé au travail. C'est en effet l'accord national interprofessionnel35(*) (ANI) du 9 décembre 2020 relatif à la prévention renforcée et à une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail qui avait servi de travaux préparatoires à la loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

Il faut toutefois noter que certains interlocuteurs de la délégation ont regretté la disparition, au 1er janvier 2020, des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dont les missions sont désormais exercées par le comité social et économique (CSE) qui constitue désormais l'instance unique de représentation du personnel dans l'entreprise. Le CSE doit être mis en place dans les entreprises de plus de 11 salariés36(*). Les membres du CSE sont élus par les salariés de l'entreprise pour une durée maximale de quatre ans. Les compétences, la composition et le fonctionnement du CSE varient selon la taille de l'entreprise.

Ainsi que l'expliquait Émilie Counil, chercheuse de l'Ined, devant la délégation le 12 janvier 2023, « la fusion des instances représentatives du personnel dans le CSE a complexifié le travail des représentants du personnel. La question de la santé au travail ne disparaît pas, mais elle fusionne avec de nombreuses autres questions. Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur le temps qui pourra être consacré à la formation des représentants du personnel et au traitement de ces questions dans le cadre des travaux de ces comités ».

En outre, Maître Rachel Saada, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit du travail, avait expliqué à la délégation, le 2 mars 2023, que « le regroupement des délégués du personnel, du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et du comité d'entreprise a fait perdre 200 000 postes d'élus du personnel dans toute la France ».

Certaines des rapporteures de la délégation considèrent que la suppression des CHSCT a eu des répercussions négatives sur l'ensemble des salariés, et plus particulièrement sur les femmes, en fragilisant le poids des représentants du personnel au sein de l'entreprise.

Recommandation n° 11 : Renforcer les moyens humains, notamment ceux de la médecine et de l'inspection du travail, dédiés au contrôle de l'application par les employeurs des mesures de prévention et de santé au travail.

3. Faciliter l'accès aux services de prévention et de santé au travail

La loi précitée du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, sans remettre en cause l'organisation institutionnelle existante de la santé au travail, a renforcé le rôle des services de santé au travail en matière de prévention en formulant de nouvelles exigences sur le contenu de leur action, comme le rappelait la Cour des comptes dans son rapport public thématique de décembre 2022 sur les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises, « en particulier (...) mettre en place une offre minimale incluant des actions de prévention, dite offre socle ».

La loi du 2 août 2021 consacre donc le rôle incontournable des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) et des services de prévention et de santé au travail autonome (SPSTA).

Afin de faciliter l'accès des femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel, il est important :

- d'étendre cet accès à un public féminin qui ne s'adresse ni habituellement ni spontanément à ce type de service.

C'est le cas grâce, notamment, au décret37(*) du 26 avril 2022 relatif aux modalités de prévention des risques professionnels et de suivi en santé au travail des travailleurs indépendants, des salariés des entreprises extérieures et des travailleurs d'entreprises de travail temporaire, qui concerne le public suivant : travailleurs indépendants, chefs d'entreprise, travailleurs d'entreprises de travail temporaire, travailleurs des entreprises extérieures et sous-traitantes. Ce décret ne concerne bien sûr pas que les femmes. Il est pourtant essentiel de mieux le faire connaître et de le populariser auprès du public concerné et notamment auprès des femmes de ces catégories professionnelles ;

- de développer la vigilance des employeurs et des préventeurs face aux « signaux faibles » émis par les travailleuses tels que des arrêts de travail fréquents occasionnant un absentéisme inquiétant et anormalement répétitif, ou la sollicitation de restrictions d'aptitude, autant de signaux qui doivent pouvoir alerter l'employeur et les services de prévention et de santé au travail, et aboutir à la proposition d'un échange avec la médecine du travail plutôt que d'attendre qu'une pathologie plus lourde ne s'installe ou qu'une déclaration d'inaptitude ne soit établie. Des campagnes de sensibilisation ciblées auprès des femmes permettraient également de mieux les informer des risques spécifiques encourus dans leur profession et de les inviter à repérer et consulter dès l'apparition des premiers symptômes évoquant des pathologies professionnelles ;

- enfin de faciliter et d'encourager les évolutions de parcours professionnel, souvent moins fréquentes et moins variées chez les femmes notamment les moins qualifiées, afin d'éviter les phénomènes d'usure et à terme de désinsertion professionnelles.

Recommandation n° 12 : Encourager l'accès de toutes les femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel.

4. Améliorer la reconnaissance des maladies à caractère professionnel et de la pénibilité

La reconnaissance des maladies à caractère professionnel (MCP) et plus particulièrement de celles qui touchent aujourd'hui les femmes en priorité doit être améliorée.

a) Faire évoluer les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles en y incluant de nouveaux types de cancers féminins

En l'état actuel des connaissances épidémiologiques, la délégation estime nécessaire de faire évoluer la nomenclature des tableaux de reconnaissance de maladies professionnelles pour y inclure les pathologies féminines lourdes dont la survenance présente un lien de causalité avérée avec l'activité professionnelle.

C'est le cas du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante puisqu'une expertise menée par l'Anses en 2022 a conclu à une relation causale avérée entre le risque de survenue du cancer des ovaires et l'exposition professionnelle à l'amiante. Ce lien causal avéré est, par ailleurs, décrit depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Dès lors, l'Anses estime que « l'ensemble des éléments scientifiques de cette expertise apportent des éléments en faveur de la création de tableaux de maladie professionnelle dans les régimes agricole et général. Ceux-ci faciliteraient la reconnaissance et la prise en charge de ces deux maladies38(*). Cette reconnaissance apparaît d'autant plus importante que les patients, comme les médecins, ne font souvent pas le lien entre la survenue de ces cancers et l'exposition à l'amiante ».

L'Anses considère également indispensable d'améliorer la traçabilité de l'exposition professionnelle des femmes à l'amiante dans un contexte de moindres données pour documenter cette exposition : « les femmes étant peu nombreuses dans le BTP, les études épidémiologiques sont de fait principalement réalisées chez les hommes, mais cela ne signifie pas que les femmes n'ont pas de risques de santé liés à l'amiante. L'exposition professionnelle des femmes à l'amiante concerne en particulier la fabrication de textiles non inflammables. Certains secteurs les exposent aussi à l'amiante de façon indirecte, tels que le secteur de la santé, dans lequel les femmes sont surreprésentées ».

S'agissant du cancer du sein chez les femmes travaillant la nuit, depuis de nombreuses années, l'Anses conclut actuellement à un effet « probable » et non « avéré » comme l'exige la création d'un tableau de maladie professionnelle. Alors que les diverses études mettent en évidence un risque significatif associé au travail de nuit, la délégation ne peut que recommander le déploiement d'une expertise d'ampleur par l'Anses, de nature à confirmer le lien de causalité entre cancer du sein et travail de nuit.

Dans l'intervalle, la délégation recommande de communiquer sur les résultats des études mentionnées auprès des Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, afin que la reconnaissance de maladies professionnelles puisse être accordée au cas par cas aux travailleuses concernées, comme elle l'a été en février 2023 pour une infirmière de Moselle.

De façon générale, la création d'un tableau de maladie professionnelle permet de faciliter la reconnaissance de ces cancers, et donc l'indemnisation des malades, en permettant de reconnaitre automatiquement le lien avec une exposition professionnelle, à l'amiante ou au travail de nuit répété et dans la durée, à partir du moment où le demandeur remplit les conditions définies par le tableau.

Comme le soulignait Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, lors de la table ronde de la délégation le 11 mai 2023 avec les représentants des partenaires sociaux, « la création d'un tableau de maladie professionnelle est (...) indispensable pour que les victimes bénéficient de la présomption d'origine. Le conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) et sa commission spéciale n° 4, où sont représentées les organisations syndicales, rencontre une opposition patronale forte à l'encontre de la création de ce tableau facilitateur de la reconnaissance en maladie professionnelle [du cancer de l'ovaire] ».

Elle a, par ailleurs, précisé que la même problématique était observée « concernant de nombreux risques psychosociaux auxquels sont exposées les femmes : traumatismes des violences sexistes et sexuelles, pressions hiérarchiques, non-reconnaissance des emplois à prédominance féminine, risques organisationnels. L'absence de tableau de maladie professionnelle conduit à des difficultés pour les faire reconnaître ».

b) Même en l'absence de tableaux, faire reconnaître plus facilement comme maladies professionnelles des affections plus largement répandues chez les femmes

Même en l'absence d'une évolution des tableaux de maladie professionnelle, il est souhaitable de permettre aux femmes de faire reconnaître plus facilement comme maladies professionnelles des affections directement en lien avec leur activité professionnelle et qui les touchent plus particulièrement et plus fréquemment, telles que, par exemple, la souffrance psychique, le burn out ou les TMS.

Faciliter cette reconnaissance et mieux informer les femmes de cette possibilité de reconnaissance qui ouvre droit à une indemnisation même si, en l'absence de tableau, les conditions d'application sont plus restrictives, permettraient sans doute de limiter le risque de sous-déclaration de pathologies professionnelles que l'on peut légitimement subodorer.

Ainsi que le soulignait devant la délégation lors de son audition le 12 janvier 2023 Émilie Counil, chercheuse à l'Ined, « le système de réparation, bien qu'il soit relativement plus ouvert en France que dans d'autres pays d'Europe, reste encore très limité en termes d'accessibilité. Les problèmes de santé psychique ne sont notamment pas pris en compte. Nous avons pourtant vu qu'ils peuvent principalement toucher les femmes, bien que nous n'éludions pas ceux qui peuvent affecter les hommes, pour lesquels l'accès à la réparation en cas de maladie professionnelle est également difficile. Ces dimensions de genre doivent vraiment être intégrées, tout comme celles, plus larges, d'invisibilisation, de non-recours au droit et d'accès aux droits dans les dispositifs de réparation ».

Recommandation n° 13 : Faciliter la reconnaissance en maladie professionnelle, d'une part, du cancer du sein en lien avec le travail de nuit, d'autre part, du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante.

c) Mieux reconnaître et compenser la pénibilité au sein du C2P

Un rapport du HCE publié en 201739(*), avant la réforme du C2P, formulait plusieurs préconisations afin de mieux prendre en compte et compenser la pénibilité des emplois majoritairement occupés par des femmes en situation de précarité. Il proposait en particulier de :

- modifier par décret les seuils des critères de pénibilité, notamment pour reconnaître que la manutention de charges peu importantes mais répétées constitue un niveau de pénibilité élevé ;

- compléter les critères déjà existants pour prendre en compte les conditions de travail des femmes : considérer la station debout parmi les « postures pénibles », considérer les produits ménagers parmi des « agents chimiques dangereux » et intégrer les horaires atypiques dans le « travail en équipe en horaires alternants » ;

- suite à des enquêtes épidémiologiques approfondies sur leur impact sur la santé, prendre en compte de nouveaux facteurs de pénibilité propres aux emplois occupés majoritairement par des femmes : multiplication des trajets pour des interventions à domicile, exposition aux risques biologiques, etc.

Comme évoqué précédemment, la déclaration d'exposition aux risques au sein du C2P ne concerne désormais que six facteurs : activités exercées en milieu hyperbare ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail en équipes successives alternantes ; travail répétitif.

La délégation ne peut que déplorer cette baisse d'exigence et préconiser une meilleure reconnaissance des facteurs de pénibilité.

Recommandation n° 14 : Revoir la liste des critères de pénibilité en l'adaptant à la réalité des risques professionnels féminins.

IV. SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL : NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

Le champ de la santé sexuelle et reproductive reste, à ce jour, celui qui a été le plus largement investi par les politiques de santé au travail dédiées aux femmes. Toutefois, même dans ce domaine de santé spécifiquement « féminine », l'absence durable de prise en compte des enjeux d'égalité professionnelle plaide pour une plus grande intégration de ces sujets dans la définition des politiques de santé au travail.

Hormis la prise en considération ancienne de la grossesse au travail et celle plus récente des parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) par le droit du travail, il a fallu attendre le début des années 2020 pour que les pathologies entrant dans le champ de la santé sexuelle et reproductive émergent réellement dans le débat public et deviennent un vecteur potentiel de visibilité des femmes au travail, d'égalité professionnelle et de nouvelles conquêtes sociales.

A. LA PRISE EN CHARGE DE L'ENDOMÉTRIOSE ET DES PATHOLOGIES MENSTRUELLES INCAPACITANTES AU TRAVAIL : UN ENJEU D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

1. Endométriose et règles douloureuses incapacitantes : une réalité statistique et clinique indéniable

L'endométriose est une pathologie chronique féminine qui se caractérise par le développement de cellules endométriales - semblables à celles de l'endomètre - en dehors de l'utérus, provoquant des lésions et des kystes sur d'autres organes ou des « adhérences » entre organes, particulièrement douloureuses.

 
 

de femmes diagnostiquées

de la population féminine
en âge de procréer

Source : ministère de la santé et des solidarités, 2022

Elle touche, d'après les statistiques médicales officielles, au moins 10 % de la population féminine en âge de procréer, soit entre 1,5 et 2,5 millions de femmes, d'après les chiffres publiés par le ministère de la santé et des solidarités en février 2022. Le délai de diagnostic, estimé par l'Inserm en avril 2019, se situe entre 7 et 10 ans après l'apparition des premiers symptômes.

Source : Inserm

Cette maladie apparaît souvent dès l'âge des premières règles. Ses symptômes peuvent être très divers et s'étendre bien au-delà de la région pelvi-périnéale.

Comme le précisait Valérie Lorbat-Desplanches, co-fondatrice et présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, lors de son audition par la délégation le 2 mars 2023, « on évoque souvent les douleurs des règles, mais les symptômes peuvent se manifester en dehors de cette période. Elles peuvent être quotidiennes. On parle aussi de dyspareunie, des douleurs lors des rapports sexuels, mais aussi de troubles de la fertilité. En effet, l'endométriose reste la première cause d'infertilité féminine. On en parle moins, mais s'y ajoutent également des douleurs digestives, urinaires, lombaires, dans les jambes... ».

Ces douleurs peuvent s'installer et devenir chroniques. L'étude40(*) de la sociologue Alice Romerio sur les conséquences de l'endométriose sur la vie professionnelle, publiée en novembre 2020, seule véritable étude sociologique sur ce thème à ce jour, montre que la douleur « peut être très intense au niveau pelvi-périnéal pour 86 % des femmes. Les problèmes urinaires peuvent toucher 32 % des femmes ; les problèmes digestifs, 70 % ; les douleurs lombaires, 66 % ; et dans les jambes, chez 45 % des femmes atteintes ». En outre, l'endométriose est souvent associée à d'autres maladies, telles que la fibromyalgie ou certaines maladies auto-immunes.

Les formes d'endométriose profonde, qui correspondent aux formes les plus sévères sur le plan médical, correspondent à 15 à 20 % des cas d'endométriose et nécessitent souvent des actes chirurgicaux. Toutefois, comme le soulignait Valérie Lorbat-Desplanches lors de son audition devant la délégation, « en réalité, on devrait associer les formes sévères aux symptômes et à la qualité de vie des femmes ainsi qu'à l'intensité des douleurs qu'elles provoquent. Une sociologue, Alice Romerio, a (...) évalué à près de 30 % la part de celles présentant une forme sévère de la maladie, du moins dans leur vécu ».

 

de formes sévères
(endométriose profonde)

La prise en charge de cette maladie chronique consiste d'abord dans le traitement de la douleur.

La première intention est souvent un traitement hormonal qui vise à une aménorrhée pour arrêter les règles et ainsi stopper l'évolution de la maladie, dans la plupart des cas, ainsi que les douleurs. S'y ajoutent les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. De façon générale, une prise en charge multidisciplinaire doit être adaptée à chaque cas. Ainsi que le précisait Valérie Lorbat-Desplanches devant la délégation, « il y a autant d'endométrioses qu'il y a de femmes atteintes de cette maladie ».

La chirurgie, quant à elle, est réservée à un petit nombre de cas. Elle est de moins en moins indiquée et uniquement dans des cas où il n'existe pas d'alternative.

Comme le rappelait Valérie Lorbat-Desplanches lors de son audition par la délégation, « la recherche (...) n'a pas encore trouvé de traitement curatif. Si la maladie a été identifiée dès 1860, nous n'en connaissons pas encore bien les mécanismes. Aucune cible thérapeutique n'a été identifiée. On manque cruellement de recherche fondamentale sur la maladie ».

Toutefois, la mise au point d'un test salivaire de diagnostic de la maladie, expérimenté depuis novembre 2021 auprès de 200 femmes symptomatiques, suivies dans cinq services hospitaliers et centres spécialisés en France, dont les résultats publiés le 9 juin 2023 dans le New England Journal of Medicine confirment l'efficacité, est prometteuse et pourrait éviter les errances de diagnostic qui s'étalent parfois sur plusieurs années. Le test identifie en effet correctement 96 % des cas d'endométriose avec moins de 5 % de faux négatifs. Il ne donne toutefois pas d'indication sur la localisation et le type de lésions mais ouvre des perspectives s'agissant de la prise en charge de la maladie et de la recherche sur son profil génétique.

2. Des conséquences fortes et dommageables sur le travail des femmes

L'endométriose est une maladie féminine invalidante mais invisible qui est, heureusement, de mieux en mieux reconnue et identifiée par le corps médical mais dont les conséquences restent encore insuffisamment prises en compte dans la sphère professionnelle, par les employeurs, les médecins du travail, les services de prévention et de santé au travail, et l'environnement professionnel dans son ensemble.

Le sujet de l'endométriose au travail est, d'après Valérie Lorbat-Desplanches, présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, « encore trop peu abordé ».

Les conséquences de l'endométriose sur la vie professionnelle des femmes qui en souffrent sont pourtant majeures, multiples et souvent discriminantes. Ainsi que le souligne Alice Romerio dans son étude précitée, « l'endométriose affecte sensiblement le quotidien au travail et la carrière professionnelle des femmes qui en sont atteintes ».

a) Des symptômes très handicapants dans le cadre du travail occasionnant une diminution avérée de la productivité au travail

Ainsi que le rappelait la présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose devant la délégation, les douleurs des femmes atteintes d'endométriose ont des conséquences très concrètes dans le cadre de leur travail : sur leur capacité à rester debout, assises ou à garder une certaine position. Elles peuvent également être amenées à se rendre fréquemment aux toilettes. Outre des douleurs, la maladie occasionne également une fatigue chronique importante.

Très peu de données sont disponibles en France concernant les arrêts de travail liés à l'endométriose. Des chiffres communiqués à la délégation par la start-up Nintihealth, qui propose aux entreprises des services numériques en matière de santé reproductive des femmes au travail et l'accès à des spécialistes via une plateforme en ligne, révèlent qu'au cours des douze derniers mois, 46 % des salariées atteintes d'endométriose ont fait l'objet d'un arrêt de travail ou ont dû poser des congés en raison de cette maladie.

 

des salariées atteintes d'endométriose ont eu un arrêt de travail ou ont dû poser des congés en raison de cette maladie au cours des 12 derniers mois

Source : Nintilhealth

Lors de son audition par la délégation, le 17 novembre 2022, Catherine Vidal, membre de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), a par ailleurs indiqué que « l'endométriose est une des premières causes d'arrêt de travail en France ».

En outre, certaines études réalisées à l'étranger, évoquées par Valérie Lorbat-Desplanches lors de son audition devant la délégation, permettent de prendre la mesure des répercussions de cette maladie sur les capacités de travail des femmes qui en sont atteintes :

- une récente étude publiée au Canada montre que les femmes se déclarant atteintes d'endométriose disent s'absenter pendant 17 % de leur temps de travail. Elles rapportent une diminution de leur capacité de travail de 41 % et une baisse de productivité au travail de plus de 46 %. Ce chiffre monte à 63 % chez les femmes entre 30 et 40 ans, tranche d'âge où elles sont le plus productives et en pleine évolution de carrière ;

Source : Fondation pour la recherche sur l'endométriose d'après une étude réalisée au Canada

- d'autres études internationales révèlent que la perte de temps de travail liée à l'endométriose est estimée à onze heures par femme et par semaine. Cette perte de travail englobe l'absentéisme mais aussi le présentéisme. En effet, comme le rappelle la présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, « les femmes viennent travailler lorsqu'elles ont épuisé leurs jours d'arrêt maladie, leurs congés et RTT. Elles sont sous médicaments, elles souffrent, elles sont très fatiguées et reconnaissent elles-mêmes qu'elles ne sont pas productives » ;

- enfin, selon une étude publiée en Australie, le coût général pour la société de l'endométriose et de ses conséquences, incluant les traitements, s'établit à 20 000 dollars par femme et par an, et 84 % de ce coût est dû à la perte de productivité au travail.

Lors du lancement de la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose début 2022, le Gouvernement français estimait à près de 10 milliards d'euros l'ensemble des coûts directs de prise en charge de l'endométriose, ainsi que les coûts indirects liés aux répercussions de la douleur chronique sur les personnes atteintes.

Source : Gouvernement

b) Des conséquences financières et professionnelles pour les femmes atteintes

Outre des conséquences directes sur les capacités de travail des femmes atteintes, l'endométriose entraîne également des conséquences financières et, à plus long terme, des conséquences sur leur trajectoire et leur carrière professionnelles.

S'agissant des conséquences financières, la présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose rappelait devant la délégation que « l'absentéisme lié à l'endométriose est fréquent mais pas très long, ce qui entraîne évidemment des pertes financières pour les femmes en raison des jours de carence ». Les femmes souffrant de cette pathologie sont également confrontées à des coûts non pris en charge par la Sécurité sociale, en plus de l'absentéisme. La charge financière pour les malades est donc, d'après Valérie Lorbat-Desplanches « extrêmement importante ».

S'agissant des conséquences sur la carrière professionnelle des femmes atteintes d'endométriose, l'étude précitée d'Alice Romerio montre que 25 % des femmes atteintes d'endométriose ont renoncé à leur statut ou à leur métier pour s'adapter à leur maladie. Très souvent, elles quittent l'entreprise et s'installent comme auto-entrepreneure. Dès lors, comme l'expliquait devant la délégation Valérie Lorbat-Desplanches, il existe « un réel risque de précarisation qui n'est pas évalué aujourd'hui, bien qu'il soit extrêmement important. Une étude réalisée en Australie montre que 14 % des femmes licenciées disent l'avoir été à cause de leur maladie ».

La présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose a, par ailleurs, fait état devant la délégation du témoignage reçu d'une « femme licenciée pendant son arrêt maladie, alors qu'elle avait annoncé à son entreprise qu'elle souffrait d'endométriose. Son parcours était épouvantable. Au moment où elle s'apprêtait à reprendre le travail, on lui a annoncé sèchement qu'elle était licenciée ». En outre, au-delà de la précarisation, ces femmes se retrouvent souvent isolées.

L'endométriose peut donc être considérée comme une source majeure d'inégalité professionnelle pour celles qui en souffrent. Devant la délégation, Valérie Lorbat-Desplanches rappelait ainsi que « près d'une femme sur deux indique avoir été entravée dans sa carrière par les conséquences de l'endométriose ».

3. Malgré un début de reconnaissance par certains employeurs précurseurs, un angle mort persistant de la santé des femmes au travail

Lors de son audition par la délégation, Valérie Lorbat-Desplanches, co-fondatrice et présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, s'est ainsi exprimée : « la problématique de l'endométriose est-elle aujourd'hui reconnue par les employeurs ? Selon moi, pas du tout. C'est un véritable angle mort. »

Si certains employeurs ont publiquement décidé de faire de la question de la santé menstruelle de leurs salariées un enjeu d'égalité professionnelle en mettant en place ce qu'il est aujourd'hui communément convenu d'appeler un « congé menstruel », bien que ce terme soit souvent abusif, nombreuses sont les femmes souffrant d'endométriose et de douleurs de règles incapacitantes qui estiment que les symptômes de leur maladie sont insuffisamment reconnus et pris en compte par leur employeur.

L'étude précitée de la sociologue Alice Romiero a ainsi révélé que 66 % des femmes interrogées ont annoncé leur maladie dans leur entreprise, et que pourtant seul un quart d'entre elles a bénéficié d'aménagements de postes.

Comme le soulignait la présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, Valérie Lorbat-Desplanches, devant la délégation, « il ne suffit pas de le dire pour que des mesures soient prises ».

Cette absence de prise en compte par l'employeur est le fruit de plusieurs facteurs concomitants, parmi lesquels la non-formation des professionnels de santé, au premier rang desquels les médecins du travail, l'absence de culture bienveillante dans l'entreprise ou la collectivité publique à l'égard des femmes atteintes, les faibles sensibilisation et information des employeurs quant à cette question de santé publique majeure, qui constituent pourtant la première étape d'une reconnaissance à grande échelle de la réalité de cette maladie chronique, par ailleurs source de perte de productivité et donc de ressources pour l'employeur.

a) Un début de reconnaissance par quelques employeurs, publics ou privés, précurseurs

Lors de son audition par la délégation le 30 mars 2023, la Direction générale du travail (DGT) a rappelé la position de l'administration s'agissant de la création d'un congé dit menstruel : « la DGT n'est pas favorable à la création par la loi d'un congé spécifique, en particulier pour l'endométriose. D'abord, nous considérons que cela relève du dialogue social. Surtout, l'endométriose étant une pathologie, nous estimons qu'elle doit être prise en charge par la Sécurité sociale, d'autant que le régime des arrêts de travail pour maladie permet de préserver la confidentialité ».

Certains employeurs ont d'ores et déjà décidé de mettre en place un régime d'absence spécifique pour les femmes souffrant d'endométriose ou, plus généralement, de règles douloureuses. Des annonces récentes, particulièrement médiatisées, en attestent.

(1) Une expérimentation initiée par une collectivité territoriale : la mairie de Saint-Ouen-sur-Seine

Le maire de Saint-Ouen-sur-Seine dans le département de la Seine-Saint-Denis, Karim Bouamrane, que la délégation a auditionné le 6 juin 2023, a ainsi annoncé le 8 mars 2023 la mise en oeuvre d'une expérimentation de « congé menstruel » pour les agentes de la municipalité qui souffrent d'endométriose et de règles douloureuses.

Expérimentation de la mairie de Saint-Ouen-sur-Seine en 2023 :
mise en place d'un « congé menstruel »

D'après les informations fournies à la délégation par M. Bouamrane et par le directeur général adjoint (DGA) des services de la mairie de Saint-Ouen-sur-Seine, en charge des relations humaines et de l'éducation, Antoine Raisseguier, sur les 1 400 agents « fixes » de la municipalité, 60 % sont des femmes soit environ 850 agentes dont environ 250 pourraient être potentiellement concernées par le dispositif de « congé menstruel » mis en place par la mairie. Début juin 2023, 22 agentes, soit environ 10 % des femmes potentiellement concernées, dont un tiers présente une pathologie associée, avaient entamé une démarche auprès de leur hiérarchie pour en bénéficier.

Auditionné par la délégation, le maire de Saint-Ouen-sur-Seine a justifié la mise en place de cette mesure, d'une part, en évoquant le principe d'égalité et de prise en compte de la souffrance au travail des femmes atteintes d'endométriose ou de douleurs de règles incapacitantes, d'autre part, en faisant valoir un argument économique lié à l'application du jour de carence pour les femmes qui sollicitent un arrêt maladie les jours où elles souffrent de règles particulièrement douloureuses. Il a indiqué que, par exemple pour une agente de catégorie C, la perte financière résultant de l'application du jour de carence pouvait représenter un mois de salaire entier sur une année.

S'agissant de la mise en oeuvre concrète de ce congé par l'employeur territorial qu'est la municipalité de Saint-Ouen-sur-Seine, le DGA de la mairie, Antoine Raisseguier, a indiqué à la délégation que cette expérimentation poursuivait deux objectifs :

- d'une part, l'information et la sensibilisation de l'ensemble des agents sur les enjeux de la menstruation au travail ;

- d'autre part, la possibilité pour les agentes souffrant de douleurs de règles incapacitantes de bénéficier de dispositifs leur permettant de poursuivre leur activité professionnelle.

Le principal maillon identifié par la mairie pour mettre en place ces dispositifs et préconiser des aménagements des conditions de travail des agentes concernées est le service de santé au travail et, en premier lieu, la médecine du travail. En effet, les agentes potentiellement concernées par ce congé devront se voir délivrer un certificat médical qui attestera de leur pathologie. Ce certificat permettra de bénéficier d'adaptation de leurs conditions de travail.

Les principaux aménagements des conditions de travail proposés devraient être les suivants : aménagement « physique » du poste de travail, aménagement des horaires (variabilité du cycle de travail), recours au télétravail (20 % des postes étant télétravaillables au sein de la mairie), des autorisations spéciales d'absence de deux jours pour les femmes souffrant de règles douloureuses associées à une pathologie, sans qu'aucun jour de carence ne leur soit décompté.

Interrogé sur le coût et les modalités de financement de cette expérimentation, le maire de Saint-Ouen n'a pas fourni d'éléments à la délégation.

Parallèlement, le groupe écologiste de la Mairie de Paris a formulé, également le 8 mars 2023, un voeu « relatif à l'expérimentation d'un congé menstruel pour les agent.es de la Ville de Paris », adopté en Conseil de Paris afin que la Ville de Paris :

« - interpelle le Gouvernement quant à la mise en place d'un congé menstruel pour l'ensemble des salarié.es du secteur privé et l'ensemble des agent.es des fonctions publiques territoriale, d'État et hospitalière ne pouvant effectuer leur travail ;

- expérimente la mise en place d'un congé menstruel pour les agent.es de la Ville de Paris ne pouvant effectuer leur travail ».

(2) Des initiatives médiatisées et éparses dans le secteur privé

Certains employeurs du secteur privé ont également annoncé la mise en place de mesures spécifiques visant à prendre en compte les conséquences, au travail, des pathologies menstruelles invalidantes dont souffrent certaines femmes. Dans ce cas, les décisions relèvent donc du dialogue social et de l'accord d'entreprise.

Ainsi, dans le cadre son initiative Santé au féminin, présentée au mois d'avril 2023, le groupe Carrefour a annoncé, pour les femmes souffrant d'endométriose, diagnostiquées et reconnues en tant que travailleur handicapé, un jour rémunéré d'absence autorisée par mois, soit un total de douze jours possibles par an.

Dans ce cadre, la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH) est nécessaire et suppose l'examen du dossier de la salariée par la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) qui peut occasionner des délais de traitement assez importants pour les femmes qui souhaitent en bénéficier, selon la MDPH dont elles dépendent. La RQTH est délivrée pour une période de trois ans et ne nécessite donc pas la délivrance d'un arrêt de travail par un médecin. Par ailleurs, la RQTH évite la perte financière due à l'application du jour de carence en cas d'arrêt maladie soumis à la délivrance d'un certificat médical.

Cette initiative destinée à couvrir la perte de rémunération pour les femmes dans l'obligation de s'absenter pour raisons de santé s'accompagne, de façon annexe, d'actions internes de sensibilisation et d'information à destination de l'ensemble des salariés du groupe, à tous les niveaux hiérarchiques, dans le but d'éviter la stigmatisation des femmes atteintes d'endométriose. Ces actions recouvrent par exemple : la diffusion d'un guide de la santé au féminin pour mieux connaître ces situations et encourager le diagnostic médical, de vidéos internes destinés à « déconstruire les stéréotypes » notamment sur le sujet de l'endométriose, ou encore la mise en place d'une plateforme numérique interne de soutien psychologique anonyme et gratuite pour toutes les collaboratrices du groupe.

Au cours d'un déplacement effectué, le 6 juin 2023, par la délégation sur le site de l'hypermarché Carrefour de la Porte d'Auteuil à Paris, à la rencontre d'une partie de l'équipe dirigeante du groupe et de salariées venues témoigner des conséquences de leurs pathologies sur leur vie professionnelle, les membres de la délégation ont notamment été informés que les mesures annoncées au mois d'avril 2023 par le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, avaient vocation à devenir pérennes et étaient en voie de formalisation dans le cadre de la négociation collective en cours.

Outre cette annonce très médiatisée du groupe Carrefour en avril 2023, d'autres initiatives dans le secteur privé méritent également d'être mentionnées :

- un accord d'entreprise, signé en janvier 2023, par le groupe L'Oréal, accorde trois jours d'absences médicales autorisées par an aux salariées médicalement diagnostiquées, sur présentation d'un justificatif médical. Le groupe L'Oréal n'a donc pas choisi la même voie que le groupe Carrefour, qui a privilégié le recours à la RQTH, puisque chez L'Oréal, l'arrêt de travail doit être délivré par un médecin avec mention explicite de l'endométriose ;

- ainsi que le précisait Valérie Lorbat-Deschamps, présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose lors de son audition par la délégation le 2 mars 2023, le groupe M6 informe ses salariées atteintes d'endométriose, généralement au mois de mars, qu'elles peuvent bénéficier d'une RQTH. En outre, le groupe « met en place un supplément de soutien de la mutuelle, des remboursements de frais de taxi en cas de forte douleur et des jours de congé supplémentaires. Ainsi, des mesures sont prises, mais uniquement si la personne est reconnue travailleur handicapé », sur un modèle proche de celui mis en place par le groupe Carrefour.

*

Au total, ces initiatives diverses restent isolées et recouvrent des modalités d'application hétérogènes : congé menstruel à proprement parler, autorisations d'absence après avis médical ou RQTH, aménagement de poste et de conditions de travail, flexibilité horaire, recours au télétravail, etc.

Au-delà de l'opération « marketing » ou de communication, les actions des employeurs dans ce domaine, au croisement de la santé au travail et de la santé publique, mériteraient d'être coordonnées et de répondre à une feuille de route ambitieuse et clairement établie au niveau national.

b) La Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose de 2022 : un volet « travail » a minima

Annoncée début 2022 par le Gouvernement, la Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose comporte un volet relatif aux conséquences de l'endométriose au travail et précise notamment que « l'endométriose pèse sur la vie professionnelle des femmes concernées, en rendant difficile au quotidien l'exercice de leur métier et en freinant leur carrière dans certains cas. Il est urgent d'informer et de sensibiliser les acteurs de l'entreprise des conséquences de cette maladie sur le travail. Des solutions existent, à travers notamment des aménagements de poste, pour permettre à ces femmes de concilier leur état de santé et leur travail et ainsi de mener la carrière professionnelle qu'elles souhaitent ».

Sans aller jusqu'à préconiser des solutions d'application globale et nationale telles que la création d'un congé spécifique ou d'un régime d'absences autorisées, la Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose fixe comme objectif, en matière de santé au travail, de « communiquer et former les différents acteurs sur les conséquences de l'endométriose au travail ».

Pour ce faire, deux principales mesures sont énoncées :

faire de l'endométriose un enjeu de santé au travail national, notamment en l'intégrant au 4e plan national « santé au travail » et en le déclinant dans les différents plans régionaux de santé au travail (PRST). À cet égard, il est indiqué que « l'action [prévention de la désinsertion professionnelle] pourrait être portée sous l'angle du maintien en emploi des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives, dans une logique de transversalité entre santé publique et santé au travail » ;

communiquer et former les différents acteurs sur les conséquences de l'endométriose au travail, en sensibilisant l'ensemble de la chaîne managériale aux causes, réalités et conséquences de l'endométriose par le biais d'un kit de sensibilisation ; en améliorant les conditions de travail des femmes qui souffrent d'endométriose par des aménagements horaires et/ou de poste de travail ; en créant un « Label » des entreprises engagées proposant un plan d'adaptation à la vie au travail ; enfin en promouvant la formation des médecins du travail à l'endométriose.

Si les intentions du Gouvernement au moment du lancement de cette stratégie nationale étaient louables, force est de constater que les initiatives des employeurs en matière de prise en compte des conséquences de l'endométriose sur le travail des femmes restent minoritaires et manquent, pour la plupart, d'envergure.

Comme l'indiquait à la délégation Valérie Lorbat-Desplanches lors de son audition le 2 mars 2023, « un sondage Ipsos, récemment réalisé pour la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, rapporte les résultats suivants : 20 % des répondants considèrent que la maladie n'est pas prise en compte dans leur entreprise, 61 % n'en savent rien car ils n'ont pas reçu d'information à ce sujet. Ainsi, je pense que l'on peut dire qu'environ 80 % des gens ne voient rien se passer dans leur entreprise. Ce sujet est aujourd'hui quasiment inexistant, d'autant plus que les femmes ne prennent pas la parole. Plus d'un tiers d'entre elles déclarent se rendre au travail malgré les douleurs handicapantes. Elles subissent une pression très forte ».

Elle ajoutait que les demandes de « sensibilisation » par les entreprises ne constituent qu'une première étape mais ne sont pas suffisantes : « elles ouvrent des attentes de la part des femmes atteintes de la maladie, sans leur apporter de solutions ».

La délégation considère donc que la prise en charge de l'endométriose et des autres pathologies menstruelles invalidantes au travail doit aujourd'hui constituer une priorité des politiques publiques de santé au travail. Elle représente, par ailleurs, un facteur d'égalité professionnelle et de visibilisation des femmes au travail.

c) Plusieurs initiatives législatives récentes
(1) Les précédents internationaux

Certains pays ont, de longue date, instauré un congé dit « menstruel » pour les femmes souffrant de règles douloureuses. C'est le cas notamment de plusieurs pays d'Asie, dont le Japon qui a mis en place dès 1947 un droit au congé menstruel censé bénéficier aux employées dont les règles sont extrêmement douloureuses mais dont la prise en charge financière dépend des entreprises ; la Corée du Sud où le congé existe depuis 2001 mais n'est pas rémunéré ; l'Indonésie qui l'a instauré en 2003 ou encore Taïwan depuis 2013.

Toutefois, d'après les statistiques du ministère japonais du travail et de la santé publiées en 2020, 0,9 % des femmes seulement ont eu recours à ce congé en 2017, contre 26 % en 1965.

Plus récemment, l'Espagne a été le premier pays d'Europe à voter, en février 2023, une loi créant un congé menstruel pour toutes les femmes, sous forme d'arrêt maladie accordé par un médecin, intégralement financé par l'État. La ministre espagnole de l'égalité, Irene Montero, s'est ainsi exprimée en décembre 2022, après le vote de ce texte par le Congrès des députés : « Finis le tabou, la stigmatisation, la souffrance en silence. Aujourd'hui, nous sommes le premier pays d'Europe à reconnaître les droits à la santé menstruelle ».

(2) Des initiatives parlementaires nationales

En France, certains de nos collègues parlementaires sont à l'origine d'initiatives allant dans le sens d'une meilleure prise en compte de la santé menstruelle au travail.

Ainsi, notre collègue Hélène Conway-Mouret a déposé au Sénat, le 18 avril 2023, une proposition de loi41(*) visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail qui prévoit plusieurs dispositions :

- l'instauration d'un arrêt maladie pour douleurs menstruelles à destination des femmes souffrant de dysménorrhée, dont l'endométriose, sans jour de carence et pour lequel l'indemnité journalière serait à hauteur de 100 % du salaire journalier de base. Cet arrêt serait d'un à deux jours par mois sur la base d'une prescription médicale fournie par un médecin généraliste ou une sage-femme en qualité d'éléments de premier recours pour orienter ensuite, le cas échéant, vers des médecins spécialistes. Cette prescription médicale serait valable un an et renouvelable à chaque échéance ;

- le caractère flexible de l'arrêt menstruel en donnant la possibilité aux femmes souffrant de dysménorrhée de télétravailler depuis leur domicile, pour celles dont l'activité professionnelle est compatible avec l'exercice du télétravail, à défaut d'opter pour un arrêt pour douleurs menstruelles. La durée mensuelle de cette période de télétravail peut s'étendre d'un à deux jours par mois, sans qu'une prescription médicale ne soit nécessaire mais sous réserve d'un accord collectif d'entreprise ;

- un congé payé pour les femmes affectées par une interruption spontanée de grossesse sur la base d'une prescription médicale.

D'autres initiatives parlementaires ont également vu le jour à l'Assemblée nationale :

- une proposition de loi42(*) déposée, le 10 mai 2023, par deux députés socialistes, nos collègues Michaël Bouloux et Fatiha Keloua Hachi, relative à la prise en compte de la santé menstruelle et qui vise à « faire entrer le congé menstruel dans notre code du travail et à lever le tabou autour des cycles menstruels et de leurs conséquences physiques et mentales » ;

- l'annonce, le vendredi 26 mai 2023, du dépôt d'une proposition de loi par nos trois collègues députés écologistes, Sébastien Peytavie, Sandrine Rousseau et Marie-Charlotte Garin, instaurant un arrêt maladie pour menstruations incapacitantes d'une durée maximum de treize jours par an, intégralement pris en charge par la Sécurité sociale et soumis à la délivrance d'un certificat médical valable un an.

4. Les recommandations de la délégation pour une meilleure prise en charge des pathologies menstruelles invalidantes au travail

S'agissant de l'opportunité d'instaurer un « congé menstruel » au sens large, sur le modèle espagnol par exemple, les rapporteures de la délégation ne sont pas parvenues à un consensus.

En effet, la majorité des rapporteures n'est pas favorable à la mise en place d'un dispositif de « congé menstruel ».

Trois des quatre rapporteures (Laurence Cohen, Annick Jacquemet et Marie-Pierre Richer) considèrent que l'instauration d'un dispositif large pour « règles douloureuses » ne se justifie pas si une pathologie invalidante n'y est pas associée. En tout état de cause, pour ce type de pathologies, la réponse relève, selon elles, d'une réelle prise en charge thérapeutique plutôt que de la mise en place d'un « congé ».

La rapporteure Laurence Rossignol estime, pour sa part, que ce congé, dans des limites qui seraient définies par la loi, répond à un enjeu global de visibilisation des femmes au travail et d'égalité professionnelle.

La présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, Valérie Lorbat-Desplanches, auditionnée par la délégation le 2 mars 2023, a ainsi résumé les arguments en présence s'agissant de la création, en France, d'un tel congé : « le congé menstruel a été approuvé en Espagne. La question de savoir s'il faut l'adopter en France est extrêmement compliquée. Personnellement, je pense qu'elle ouvre un débat assez vaste. Elle a l'avantage de lever ce tabou et de libérer la parole autour des menstruations dans l'entreprise, ce qui est à mes yeux extrêmement positif. En revanche, j'ai toujours peur d'annonces marketing. L'endométriose est une vraie pathologie. Il nous faut aller bien au-delà d'un congé menstruel. Par ailleurs, (...) il est essentiel d'instaurer une culture de la bienveillance dans l'entreprise. Sans celle-ci, le congé menstruel risque d'être contre-productif. Ainsi, il ne peut pas être la seule mesure, même si nous devons l'envisager ».

a) Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée exonérantes (ALD 30)

Si les rapporteures ne se sont pas accordées sur la notion de « congé » pour règles douloureuses, elles sont en revanche favorables à une meilleure prise en charge, dans le cadre professionnel, des pathologies menstruelles incapacitantes, de type endométriose ou règles extrêmement douloureuses causées par une pathologie telle que les ovaires polykystiques par exemple.

Plutôt qu'un « congé », la délégation recommande un régime d'autorisation d'absences, qui peut s'inscrire dans divers cadres juridiques. De ce point de vue, plusieurs pistes ont été évoquées devant la délégation, parmi lesquelles notamment :

- l'intégration de l'endométriose dans la liste des affections de longue durée (ALD) exonérantes, dite ALD 30 ;

- le bénéfice de la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH) ;

- la suppression du jour de carence qui a été présentée par maître Rachel Saada comme permettant « aux femmes d'être plus facilement en arrêt de travail sans perte financière et sans effet sur l'employeur » et de préserver le secret médical.

La délégation recommande d'intégrer l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30) et donc de la faire reconnaître comme maladie chronique avec une prise en charge particulière par l'assurance maladie.

L'affection de longue durée est un dispositif de prise en charge dérogatoire des frais de santé liés à une affection qui nécessite un traitement prolongé et une thérapeutique coûteuse. Ce dispositif permet notamment le remboursement aux patientes de l'ensemble des frais de santé occasionné par cette affection et évite les pertes financières régulières liées à l'application du jour de carence en cas d'arrêts de travail répétés.

Ajouter l'endométriose à la liste ALD 30 présenterait, en outre, plusieurs avantages par rapport à la procédure de RQTH :

- la procédure de reconnaissance est moins longue et moins fastidieuse qu'une RQTH, elle relève du médecin traitant et non des MDPH ;

- la reconnaissance en ALD ouvre le droit à une prise en charge à 100 %, sans avance des frais, ce qui constituerait un soulagement financier pour les femmes ne disposant pas de mutuelle ;

- en cas d'arrêts de travail successifs liés à une même ALD, le délai de carence ne s'applique qu'une seule fois au cours d'une même période de trois ans débutant à partir du premier arrêt de travail lié à cette ALD.

Actuellement certaines formes d'endométriose peuvent, dans certains cas, entrer dans le cadre d'une affection longue durée hors liste (ALD 31). Toutefois, seules 4 500 femmes seraient concernées.

En outre, il a été rapporté à la délégation que certaines femmes souffrant d'endométriose sont réfractaires à l'idée d'entamer une procédure de RQTH. Ainsi, Valérie Lorbat-Desplanches a indiqué à la délégation au cours de son audition que « des femmes (...) n'ont pas envie de demander à bénéficier de ce dispositif parce que cette notion de travailleur handicapé est stigmatisante. Elles ont le sentiment que cela va se voir, se savoir. Ce sujet reste très tabou ». De même, lors du déplacement à l'hypermarché Carrefour de la Porte d'Auteuil, le 6 juin 2023, une femme souffrant d'endométriose témoignant devant la délégation a indiqué que beaucoup de ses collègues avaient peur de « finir en inaptitude » si elles entamaient une procédure de RQTH pour endométriose. La direction de Carrefour a toutefois tenu à préciser que la RQTH et l'inaptitude étaient deux dispositifs très différents et étanches.

Pour l'ensemble de ces raisons, la délégation estime donc préférable de recommander l'ajout de l'endométriose à la liste ALD 30 afin de permettre une meilleure prise en charge des conséquences de cette pathologie au travail.

Recommandation n° 15 : Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés.

b) Faire de la prise en compte de l'endométriose et des pathologies menstruelles incapacitantes au travail un critère d'égalité professionnelle

Outre l'adjonction de l'endométriose à la liste des ALD exonérantes, qui suppose une saisine à la fois de la Haute autorité de santé (HAS) et de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM), la délégation recommande également un approfondissement des mesures contenues dans le volet « travail » de la Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose lancée début 2022.

(1) Élargir la définition des critères de l'Index de l'égalité professionnelle ?

Afin d'encourager les employeurs à mettre en place des mesures efficaces d'aménagement des conditions de travail des femmes souffrant de cette pathologie, une réflexion pourrait être menée s'agissant de l'élargissement des critères de l'Index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, créé par la loi43(*) du 5 septembre 2018, à des critères autres que ceux faisant état des seuls écarts de rémunération entre femmes et hommes, notamment des critères plus qualitatifs sur les actions entreprises par les employeurs pour créer un environnement de travail « bienveillant » à l'égard des femmes qui souffrent de pathologies menstruelles invalidantes, dont l'endométriose.

Cet élargissement ne pourrait bien sûr pas se faire au détriment de l'efficacité opérationnelle de l'Index de l'égalité professionnelle tel que défini par la loi aujourd'hui.

(2) Généraliser le programme ENDOpro aux employeurs privés et publics

La Fondation pour la recherche sur l'endométriose, dont la présidente Valérie Lorbat-Desplanches a été auditionnée par la délégation, a lancé, en partenariat avec GE Healthcare le programme ENDOpro qui prévoit un accompagnement des entreprises se déclinant en trois étapes :

- une sensibilisation interne, au sein des entreprises ;

- une enquête anonyme permettant aux entreprises de prendre la mesure, quantitative et qualitative, de la pathologie (quel type de symptômes ? Quel impact sur le travail ? Quelles solutions et « stratégies » développées par les femmes atteintes ?) ;

- un accompagnement des entreprises, grâce au recours à des experts, pour la mise en oeuvre de solutions pouvant constituer la base d'une labellisation « endo-responsable ».

Ce programme, conçu à l'origine pour les entreprises, pourrait avoir vocation à s'appliquer également dans les administrations publiques, notamment au sein des assemblées parlementaires.

Recommandation n° 16 : Généraliser la mise en oeuvre du programme ENDOpro, développé par la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, aux employeurs privés et publics.

(3) Explorer les différentes voies possibles d'aménagement des conditions de travail

Parmi les différentes voies possibles d'aménagement des conditions de travail des femmes souffrant d'endométriose, la délégation recommande notamment :

- une flexibilité du temps et des horaires de travail : possibilité d'arriver plus tard le matin ou de partir plus tôt les jours où les douleurs sont particulièrement handicapantes ; recours flexible au télétravail avec des jours choisis et non imposés par l'employeur, correspondant aux épisodes de douleurs des femmes ; heures d'absence rémunérées pour se rendre à des rendez-vous médicaux ;

- un accompagnement managérial plus poussé des femmes souffrant d'endométriose : comme le rappelait la présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose devant la délégation, il est plus difficile pour ces femmes d'évoluer au sein de l'entreprise. De manière plus globale, la mise en place d`entretiens réguliers et de mentorat est une préconisation récurrente de la délégation pour accompagner les femmes dans leur parcours de carrière ;

- une formation des médecins du travail à la connaissance de cette maladie et de ses conséquences sur le travail, afin qu'ils soient mesure de préconiser des aménagements de poste les plus adéquats possibles.

Globalement, il est nécessaire d'encourager les employeurs à développer une « culture bienveillante » au sein de l'entreprise ou des administrations publiques afin de sensibiliser l'ensemble des acteurs et actrices internes à l'environnement de travail aussi bien qu'à permettre aux femmes qui souffrent de ces pathologies d'en parler librement et sans appréhension.

Recommandation n° 17 : Inciter les branches à négocier des mesures d'aménagement des conditions de travail des femmes atteintes de pathologies menstruelles incapacitantes (poste de travail, temps et horaires de travail, évolution de carrière).

B. LA GROSSESSE, UN ÉTAT DE SANTÉ PARTICULIER, QUI FAIT L'OBJET D'UNE STIGMATISATION PERSISTANTE AU TRAVAIL

La grossesse puis la maternité correspondent à un moment charnière de la vie professionnelle d'une femme au cours duquel sa carrière et sa trajectoire professionnelles peuvent basculer, être freinées ou rencontrer des obstacles importants.

La grossesse bénéfice certes de dispositions législatives, règlementaires et conventionnelles protectrices, qui ne suffisent néanmoins pas à empêcher les discriminations dans l'emploi toujours fréquentes, en partie parce que les travailleuses enceintes ignorent leurs droits et ne les font donc pas appliquer par leur employeur.

1. Malgré l'existence de mesures de protection des femmes enceintes, une insuffisante prise en compte de la grossesse en milieu professionnel

Si la grossesse n'est pas, en soi, une pathologie, elle correspond malgré tout à un état de santé particulier entraînant des bouleversements physiologiques et hormonaux qui ont un impact sur la condition physique et psychologique des femmes enceintes : prise de poids, augmentation de la fréquence respiratoire et cardiaque, changement du centre de gravité, fragilisation des articulations et des tendons, essoufflement, fatigue, etc.

Sans chercher à pathologiser la grossesse en tant que telle, il est donc nécessaire de tenir compte des possibles conséquences de ces bouleversements et de cette « symptomatologie » sur l'activité professionnelle et les conditions de travail des femmes enceintes, et inversement.

a) Des mesures de protection légales, règlementaires et conventionnelles

Aujourd'hui, on estime à 70 % la proportion de femmes en emploi au moment de leur grossesse. Des mesures spécifiques en matière de santé et de sécurité des femmes enceintes au travail existent dans le code du travail et les conventions collectives des entreprises, et permettent, en théorie, de leur donner un cadre juridique protecteur (cf. encadré infra).

Ces mesures concernent notamment :

- des autorisations d'absence dans le cadre du suivi médical de la grossesse et une surveillance médicale adaptée qui peut notamment être assurée par le médecin du travail ;

- un aménagement des conditions de travail : périodes d'interdiction de travail avant et après l'accouchement (congé maternité), travaux interdits ou réglementés, possibilité de se reposer en position allongée, aménagement du poste de travail, changement temporaire d'affectation en cas d'exposition à des risques particuliers ;

- une analyse des risques professionnels auxquels les femmes enceintes peuvent être exposées ;

- une protection contre le licenciement. Toutefois, ainsi que le précisait lors de son audition par la délégation, Elsa Boulet, docteure en sociologie à l'Université de Nantes, auteure d'un travail de recherche sur la grossesse au travail, « cette protection est limitée par la loi aux congés prénataux et postnataux », ce qui ne « signifie pas que les femmes ne pourront pas contester un licenciement intervenant plus tôt ».

Si la déclaration de grossesse par la femme enceinte auprès de son employeur n'est pas règlementairement obligatoire avant le départ en congé maternité, elle est toutefois nécessaire pour bénéficier de ces diverses mesures de protection.

La France se caractérise également par un parcours de soins standardisé, financé par l'assurance maladie, très largement suivi par les femmes.

S'agissant plus spécifiquement de la grossesse des professionnelles libérales, les travailleuses indépendantes bénéficient d'un congé maternité aligné sur celui des salariées depuis 2019, mais en pratique, elles peinent à s'arrêter de travailler pendant seize semaines. Par ailleurs, le montant des indemnités versées n'est souvent pas à la hauteur de la perte de revenus engendrée par l'arrêt de travail. L'harmonisation des congés des indépendantes avec ceux des salariées, si elle a été intéressante, n'a pas résolu la problématique de maintien de l'outil de travail pendant la période particulière de la grossesse et de la maternité.

Lors de son audition par la délégation le 13 avril 2023, maître avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Parité Égalité de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL) a ainsi rapporté que « les professionnelles libérales qui prennent leur congé maternité s'exposent à un risque de perte d'une partie de leur clientèle, et donc de chiffre d'affaires (20 à 30 %), parfois durable. On constate un effet cicatrice sur l'activité de l'entreprise. Parfois, elles s'exposent même à la perte de leur entreprise en raison du choc des maternités sur la trésorerie. À cette période, les loyers et autres charges ne disparaissent pas. Des suspensions sont possibles, mais elles ne sont pas automatiques. Les femmes ne sont pas assez informées de l'existence de ces mécanismes ».

Dès lors, dans la perspective d'une maternité, de nombreuses professionnelles indépendantes se réorientent vers le statut de salarié et s'éloignent de la profession. Ces carrières hachées ne sont pas sans conséquence sur leur retraite.

La question du remplacement pendant le congé maternité est également cruciale pour les indépendantes. Or, comme le soulignait Aminata Niakaté, « lorsqu'une professionnelle libérale doit s'arrêter pour cause de maternité, son remplacement permet de maintenir le service au public. Certaines professions l'encadrent juridiquement, notamment dans le secteur de la santé. Ce n'est pas le cas de tous les métiers. »

D'après l'UNAPL, une étude menée sur les femmes médecins exerçant en libéral a montré que la période de la grossesse et du congé maternité occasionnait une perte de revenus de 30 % pour leur cabinet, avec un « effet cicatrice ». En effet, au cours de la période de six ans sur laquelle portait l'étude, aucun rattrapage de revenu n'a été observé.

Protection de la santé de la salariée enceinte et aménagements du travail :
Dispositions légales, règlementaires et conventionnelles

Les conditions d'emploi, d'exécution du contrat de travail et de protection de la santé de la femme enceinte sont régies par les articles L.1225-1 et suivants du code du travail.

1) Autorisation d'absence dans le cadre du suivi médical de la grossesse :

La salariée enceinte a droit à une surveillance médicale renforcée et particulière. Elle bénéficie à ce titre d'une autorisation d'absence pour se rendre aux examens médicaux obligatoires dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement.

Ces absences n'entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à du temps de travail effectif (C. trav.,  art. L. 1225-16)44(*).

2) Des aménagements d'horaires de travail uniquement conventionnels :

En dehors de ces autorisations d'absence, la loi ne prévoit pas d'aménagement de principe des horaires de travail des femmes enceintes. Seul l'article R. 4152-2 du code du travail envisage la faculté pour les femmes enceintes de se reposer en position allongée, dans des conditions appropriées (C. trav., art. R. 4152-2), ce qui suppose pour l'employeur d'accorder un allègement ponctuel des horaires de travail. Le code du travail prévoit également que l'accord collectif ou la charte de l'employeur doit préciser les modalités d'accès au télétravail des salariées enceintes (C. trav., Article L1222-945(*)). En plus des mesures visant à faciliter le télétravail, l'accord collectif peut prévoir une réduction de l'amplitude de la journée de travail, notamment dans les branches où le télétravail n'est pas toujours possible.

Ainsi, de nombreuses conventions collectives accordent des avantages complémentaires aux femmes enceintes et aux jeunes mères : réduction du temps de travail journalier sans perte de salaire pendant la grossesse qui peut aller jusqu'à une heure par jour46(*), une ou deux semaines de congés supplémentaires, octroi d'une majoration de salaire égale à la moyenne des augmentations individuelles perçues par la salariée les trois années précédant le départ en congé...

Ex : l'article 86 de la convention collective nationale des sociétés d'assurance énonce que, « à partir de leur déclaration de grossesse auprès de l'entreprise et de la caisse d'allocations familiales, les salariées peuvent réduire d'une demi-heure la durée quotidienne du travail suivant des modalités préalablement convenues avec l'employeur, jusqu'à la date de leur départ en congé de maternité. Cette réduction est portée à une heure pendant les quatre semaines qui précèdent le congé de maternité ».

L'article 11 de la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 prévoit qu'« une réduction horaire de 1 heure par jour travaillé est accordée sans perte de salaire à l'issue du 3ème mois de grossesse médicalement constaté (...) ».

3) Des aménagements de poste ou changements temporaires d'affectation régis par le code du travail :

La femme enceinte ne bénéficie pas de plein droit d'un changement de poste : elle peut demander à rencontrer le médecin du travail qui propose, si elles sont nécessaires, des adaptations du poste ou l'affectation temporaire à un autre emploi (C. trav., art. R. 4624-19).

L'employeur devra alors placer la salariée à un poste compatible avec son état de grossesse. À défaut, l'employeur encourt une amende pénale prévue pour les contraventions de 5ème classe (C. trav., art. R. 1227-5).

Ces changements d'affectation ou aménagements de poste sont temporaires : ils prennent fin dès que la salariée est en état de reprendre l'emploi qu'elle occupait antérieurement. (C. trav., art. L. 1225-7, al. 4).

Ces aménagements sont justifiés par l'état de santé de la salariée enceinte (C. trav.,  art. L. 1225-7), par le travail de nuit (C. trav.,  art. L. 1225-9) ou l'exposition à certains risques (C. trav.,  art. L. 1225-12 et  R. 1225-4).

* En raison d'une nécessité médicale :

Il faut que l'état de santé médicalement constaté l'exige (C. trav., art. L. 1225-7, al. 1er). Ce changement d'affectation peut être demandé par la salariée ou l'employeur. En cas de désaccord ou lorsque le changement intervient à l'initiative de l'employeur, c'est le médecin du travail qui est juge de la nécessité médicale du changement d'emploi (art. L. 1225-7, al. 2).

Seul le changement de lieu de travail ne peut être imposé à la salariée. A contrario, tout autre changement (à l'exception de la rémunération qui doit être maintenue), peut être imposé à la travailleuse enceinte afin de la protéger d'une situation dangereuse pour sa santé ou celle de l'enfant à naître. La salariée enceinte ne peut refuser un changement d'affectation dicté par des raisons de nécessité médicale, attestée par le médecin du travail.

* En raison de la nature du poste de travail et de l'exposition à certains risques :

Ces interdictions visent toutes les femmes enceintes, quel que soit leur état de santé.

L'interdiction du travail de nuit. : la salariée enceinte occupée à un travail de nuit est titulaire d'un droit à un poste de jour si elle en fait la demande. L'employeur ne peut le refuser. L'incompatibilité du travail de nuit avec la grossesse peut également être constatée par écrit par le médecin du travail.

Cette affectation à un poste de jour est temporaire : elle dure toute la grossesse et toute la période du congé postnatal. Elle peut être prolongée pour une durée n'excédant pas un mois, à la demande du médecin du travail, si l'état de santé de la salariée l'exige (art. L. 1225-9).

La salariée enceinte ne peut s'opposer à une affectation temporaire sur un emploi de jour, sauf si celle-ci s'accompagne d'un changement d'établissement (art. L. 1225-9, al. 3).

L'exposition à des risques particuliers : certains produits, certaines substances ou encore certaines conditions de travail difficiles sont reconnus nocifs pour la santé et la sécurité de la femme enceinte (C. trav., art. L. 1225-12 et L. 4152-1).

Ces risques particuliers sont énumérés par voie réglementaire, aux articles D. 4152-3 et suivants du code du travail : interdiction de l'exposition à un agent biologique pathogène comme le virus de la rubéole ou au toxoplasme (sauf si la preuve existe qu'elle est suffisamment protégée contre ces agents par son état d'immunité), à des agents chimiques dangereux, recensés à l'article D. 4152-10 du code du travail (agents classés toxiques pour la reproduction, benzène, dérivé des hydrocarbures aromatiques) et réduction de l'exposition à des rayonnements ionisants.

En outre, certaines tâches pénibles ne peuvent être confiées à une femme enceinte : travaux à l'aide d'engins du type marteau-piqueur mus à l'air comprimé (art. D. 4152-8), utilisation d'un diable pour le transport de charges (art. D. 4152-12).

Conformément à l'article 4 de la directive n° 92/85/CEE, pour toute activité susceptible de présenter des risques spécifiques, ceux-ci doivent être évalués par l'employeur, directement ou par l'intermédiaire des services de protection et d'exposition à ces agents, procédés ou conditions de travail (médecin du travail, comité social et économique, ex CHSCT). L'employeur a ainsi :

- l'obligation d'informer les femmes sur les effets potentiellement néfastes de l'exposition à certains risques et sur les possibilités de changement temporaire d'affectation, à laquelle cette exposition peut conduire (art. D. 4152-4, al. 2) ;

l'interdiction d'exposer la salariée enceinte aux risques révélés par l'évaluation (C. trav., art. L. 4152-1).

En cas de danger, il est tenu de lui proposer un emploi compatible avec sa santé (art. L. 1225-12).

4) Dispense de travail et droit au maintien de la rémunération :

Si l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi à la salariée travaillant de nuit ou exposée à certains risques, le contrat de  travail est suspendu  jusqu'à la date du début du congé de maternité (C. trav.,  art. L. 1225-10 et  L. 1225-14).

La salariée enceinte est alors dispensée de travailler afin de sauvegarder sa santé et celle de son enfant. Mais l'affectation ou l'aménagement ne doit emporter aucune baisse de rémunération47(*) et cesse, au plus tard, à la fin de la grossesse ou du congé.

La salariée est dès lors réintégrée dans l'emploi précédemment occupé ou retrouve ses anciennes conditions de travail.

b) Une stigmatisation persistante de la grossesse en milieu professionnel

Malgré ce contexte a priori favorable aux travailleuses enceintes, plusieurs difficultés et obstacles auxquels elles sont confrontées sont à déplorer.

(1) Des difficultés manifestes

D'abord, comme l'indiquait devant la délégation Elsa Boulet, le 8 décembre 2022, « le taux d'emploi est plus faible au moment de la naissance (65 %) que pendant la grossesse (70 %), ce qui signifie qu'elles ont perdu ou quitté leur emploi en cours de grossesse ». En outre, « le taux de chômage est (...) beaucoup plus élevé au moment de la naissance que pour [les autres] femmes de la classe d'âge de 24 à 49 ans. En effet, 18 % des premières sont au chômage, contre 9 % des secondes ».

Ensuite, la fréquence des discriminations déclarées en lien avec la grossesse ou la maternité est encore très importante ainsi que l'a relevé, à plusieurs reprises ces dernières années, le Défenseur des droits dans ses rapports sur les discriminations dans l'emploi, comme le rappelait Elsa Boulet devant la délégation, puisque dans son rapport de 2017, « la grossesse et la maternité arrivent au troisième rang des motifs de discriminations dans l'emploi les plus fréquemment déclarés par les femmes. Les femmes ayant été enceintes ou les mères d'un enfant en bas âge ont été deux fois plus la cible de discriminations au travail que les autres femmes ».

De même, dans le rapport annuel d'activité pour 2022 du Défenseur des droits, il est indiqué que « de trop nombreuses réclamations parviennent encore au Défenseur des droits de la part de femmes dont les contrats ont été interrompus (fin de période d'essai, non renouvellement d'un contrat à durée déterminée) parce qu'elles étaient enceintes et auxquelles on reproche régulièrement un "manque de loyauté" lorsqu'elles ne signalent pas, de façon très anticipée, leur grossesse, alors que rien ne les y oblige ». Ce rapport note également que « malgré un cadre législatif protecteur et une jurisprudence bien établie, ces discriminations dans l'emploi fondées sur la grossesse restent fréquentes et se trouvent à l'origine de nombreuses saisines du Défenseur des droits ».

Partant de ce constat, l'institution a diffusé, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022, un guide pratique48(*) destiné à promouvoir le droit applicable à toutes les étapes de la grossesse.

De même, les résultats 2023 de l'Index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui permet de mesurer sur 100 points les inégalités salariales dans les entreprises d'au moins 50 salariés et qui comprend cinq indicateurs dont celui des augmentations de rémunération au retour de congé maternité qui correspond à 15 points sur les 10049(*), révèlent que plus de 140 entreprises ont une note de 0/15 pour cet indicateur et n'enregistrent aucun progrès depuis 2020.

Pour ce qui concerne les professions libérales, maître Aminata Niakaté, présidente de la commission parité-égalité de l'UNAPL, a rapporté à la délégation que « la maternité est l'une des premières causes de discrimination dans la profession [d'avocate], notamment lorsqu'on travaille pour un confrère. (...) L'an dernier, le Conseil national des barreaux a mené une enquête. Dans son volet relatif au harcèlement et aux discriminations, il a relevé que les femmes étaient les plus touchées, plus particulièrement du fait de leur grossesse, et surtout lorsqu'elles exercent dans de plus gros cabinets. 61,5 % des collaboratrices sondées ont été victimes de harcèlement ou de discrimination en lien avec la grossesse, laquelle représente 30 % de l'ensemble des discriminations. »

Enfin, dernier constat concernant les difficultés rencontrées par les travailleuses enceintes, comme le relève Elsa Boulet, « les arrêts de travail de longue durée sont nombreux pendant la grossesse. (...) plus d'un quart des femmes enceintes cessent leur activité rémunérée avant la fin du second trimestre de grossesse, bien avant le congé dit de maternité ».

(2) Des formes diverses de stigmatisation avec des conséquences délétères sur la santé des travailleuses enceintes

L'étude, présentée par Elsa Boulet devant la délégation le 8 décembre 2022 sur la grossesse au travail, met en évidence une persistance de la stigmatisation de la grossesse en milieu professionnel.

Cette stigmatisation « prend des formes très diverses, subtiles, ou au contraire très frontales, et parfois très graves. Elle peut être matérialisée par des propos désobligeants ou des attitudes hostiles de la part des collègues directs ou de la hiérarchie. (...) toutes les salariées, même lorsqu'elles ne sont pas confrontées à des attitudes hostiles, ont intériorisé la suspicion et l'hostilité potentielle de leur milieu professionnel vis-à-vis de leur grossesse ».

Cette stigmatisation a des conséquences pour les travailleuses et un impact potentiel sur leur santé physique et psychique :

- la recherche d'une minimisation de la visibilité et des conséquences de leur grossesse sur leur lieu de travail : renoncement à certains droits concernant l'aménagement du temps de travail, anticipation de la charge de travail répartie sur leurs collègues durant le congé maternité ;

- le non-recours aux aménagements possibles du poste de travail en raison essentiellement d'une méconnaissance de leurs droits par les travailleuses enceintes. Cette méconnaissance est, par ailleurs, rarement compensée par l'intervention du supérieur hiérarchique ou du service des ressources humaines ;

- les effets sur la santé des salariées enceintes sont de plusieurs ordres : une dégradation de l'état de santé général, de la fatigue, des malaises, une aggravation de pathologies préexistantes ou encore des menaces d'accouchement prématuré.

S'agissant de ces effets, il est important de souligner que « les inégalités socio-économiques sont à prendre en compte. Elles sont imbriquées au genre lorsqu'on parle de santé au travail. Les femmes occupant des postes de cadre ou des professions intermédiaires ont en effet plus de marge de manoeuvre que les employées pour adapter leur poste de travail ou leurs horaires et ainsi préserver leur santé. Les employées en situation de subordination hiérarchique ont bien moins de possibilités d'adaptation ».

Ainsi, les arrêts de travail dit précoces - au cours du second trimestre de grossesse - sont plus fréquents parmi les femmes peu qualifiées ou en situation de précarité, même en l'absence de problème de santé préexistant50(*). L'arrêt maladie de longue durée (jusqu'au congé prénatal) fait ainsi bien souvent office de palliatif à des conditions de travail inadaptées mettant en danger la santé des femmes et la bonne issue de la grossesse.

La grossesse va également de pair avec des sorties d'emploi. L'enquête périnatale de 2016 montre qu'une femme sur dix perdait ou quittait son emploi en cours de grossesse. En outre, ces sorties de l'emploi pendant la grossesse concernent 20 % des femmes occupant des emplois ouvriers et de service, contre 5 % des cadres et indépendantes. Elles concernent également 16 % des femmes à temps partiel contre 9 % des travailleuses à plein temps.

Ainsi, comme le soulignait Elsa Boulet devant la délégation, « la grossesse exacerbe les inégalités préexistantes en termes d'emploi et de santé. Elle joue le rôle de miroir grossissant de ces différents phénomènes ».

2. Les recommandations de la délégation pour une meilleure diffusion des « bonnes pratiques » en milieu professionnel
a) Privilégier une meilleure information des travailleuses enceintes sur leurs droits

Au-delà de la lutte contre les discriminations dans l'emploi liées à la grossesse qui relève d'abord de la justice, il est important, dans un premier temps, de faire en sorte que les travailleuses soient parfaitement informées de leurs droits pendant la grossesse.

Cette meilleure information relève notamment de la responsabilité des employeurs, des services des ressources humaines mais aussi, en partie, de la médecine du travail lorsqu'elle est correctement formée et outillée pour le faire.

Interrogée par la délégation sur la proportion de femmes enceintes concernées par un arrêt de travail précoce faute de mesures organisationnelles adaptées, la direction générale du travail a indiqué ne pas disposer de cette donnée mais souligné les leviers connus permettant d'éviter ce retrait du travail précoce :

- organiser un entretien systématique avec le manager dans un délai suffisant, avant le départ en congé maternité, pour évoquer notamment le déroulement de la période de grossesse (autorisation d'absence pour examens médicaux/aménagement du poste, etc.) ;

- encourager les visites à la demande afin de renforcer la communication sur les outils du maintien en emploi disponibles dont l'aménagement du poste de travail ou des horaires.

S'il existe des dispositions conventionnelles favorables à l'aménagement de poste ou aux changements d'horaire ou d'affectation, il appartient à l'employeur et aux partenaires sociaux de communiquer sur ces possibilités pour que les femmes enceintes comme les managers aient davantage connaissance de ces dispositions et puissent les mobiliser en temps utile.

L'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail (Anact) a publié en 2019 un livret de dix questions sur la conciliation entre grossesse et travail qui se présente notamment comme un guide de bonnes pratiques à destination des employeurs et des salariés. En matière d'information notamment, l'Anact révèle les résultats d'une enquête menée en 2015 qui montre que 97 % des femmes ayant été enceintes n'ont pas disposé d'informations sur les risques liés à leur activité professionnelle en général ni d'informations en amont de leur grossesse.

Pour être efficace, l'information sur les risques et les droits en cas de grossesse doit s'adresser à toutes et tous, à l'ensemble des salariés, des managers et des instances représentatives du personnel. Elle doit porter sur les mesures applicables en matière de conciliation grossesse/travail, le rôle du médecin du travail, l'intérêt d'une déclaration précoce à l'employeur (réduction horaire, autorisation d'absences pour examens médicaux, etc.) mais aussi sur les risques potentiels pour la grossesse de certaines activités professionnelles.

Outre cette meilleure information, le besoin d'une application réelle des mesures destinées aux travailleuses enceintes est primordial. Il existe en effet un hiatus important entre ce qui est prévu par le droit et ce qui s'applique réellement.

L'application de ces mesures permettrait notamment, en renforçant les actions de prévention et en associant plus étroitement le médecin du travail, de limiter les nombreux retraits anticipés du travail des femmes enceintes, en mettant en place des mesures adéquates d'aménagement de poste ou d'horaires, de modifications dans l'organisation du travail voire de changement temporaire d'affectation.

S'agissant des professionnelles libérales, l'UNAPL a cité comme mesures potentielles permettant de faire face à la perte d'activité et de revenus générée par le congé maternité : la suspension automatique et le report des charges ainsi que le versement d'indemnités journalières un peu plus élevées, la possibilité de bénéficier du chômage partiel pour leurs salariés ou la suspension des échéances de leurs prêts.

Recommandation n° 18 : Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

b) Quand survient la « fausse couche »

Dans les cas où la grossesse est interrompue de façon spontanée en raison d'une fausse couche, la délégation estime nécessaire un accompagnement des travailleuses qui la subissent.

Si des employeurs ont d'ores et déjà mis en place des dispositifs d'accompagnement tels que celui annoncé par le groupe Carrefour au mois d'avril 2023 dans le cadre de son initiative précitée Santé au féminin et qui prévoit trois jours d'absence autorisée en cas de fausse couche, le législateur s'est également emparé de cette question avec l'examen de la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une fausse couche51(*) qui devrait être définitivement adoptée par le Parlement le 29 juin 2023.

Ce texte, qui entend renforcer la prise en charge médicale et psychologique des femmes et de leur partenaire après une fausse couche, supprime le délai de carence applicable aux arrêts maladie consécutifs à une interruption spontanée de grossesse.

D'autres initiatives législatives récentes déjà évoquées s'agissant de la prise en charge de la santé menstruelle au travail prévoient également des dispositions relatives aux interruptions spontanées de grossesse.

C'est le cas notamment de la proposition de loi précitée de notre collègue Hélène Conway-Mouret qui prévoit l'instauration d'un « congé payé pour les femmes affectées par une interruption spontanée de grossesse sur la base d'une prescription médicale fournie par un médecin généraliste, d'un gynécologue-obstétricien ou d'une sage-femme ». Le texte précise que la durée de ce congé peut s'étendre sur une période maximale de cinq jours ouvrables et qu'un congé similaire est également ouvert au conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

En outre, la proposition de loi précitée de nos collègues députés Michaël Bouloux et Fatiha Keloua Hachi, relative à la prise en compte de la santé menstruelle, prévoit d'octroyer « aux salariés et aux agents de la fonction publique des jours de congé en cas d'interruption spontanée de grossesse, autrement dit de « fausse couche », sans jour de carence ».

C. LE PARCOURS, TOUJOURS SEMÉ D'EMBÛCHES, DE L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP) POUR LES FEMMES QUI TRAVAILLENT

 
 

des couples en âge de procréer touchés par l'infertilité

conçu dans le cadre d'une AMP

Source : Ined

Comme le rappelait devant la délégation, lors de la table ronde du 2 mars 2023 sur la santé sexuelle et reproductive des femmes au travail, le Dr Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du centre d'assistance médicale à la procréation (AMP) au centre hospitalier intercommunal de Créteil, « l'infertilité concerne 15 % des couples en âge de procréer, en vie active et professionnelle. Cette proportion ne cesse de progresser, en lien avec le recul de l'âge de la maternité (...). Bien que la moitié des causes de l'infertilité soit liée à une origine masculine, le poids du traitement d'AMP repose toujours sur les femmes ». D'après une étude de l'Ined publiée en 2018, en France on estime à 1 sur 30 le nombre d'enfants conçus dans le cadre d'une AMP.

1. Les contraintes liées aux traitements et au parcours d'AMP pour les femmes qui travaillent
a) Une durée moyenne du parcours en France de 7,7 ans

Pour mémoire, en France, d'après les résultats d'une étude52(*) réalisée à l'échelle internationale en 2019, la durée moyenne du parcours d'AMP s'étale sur 7,7 ans et est divisée en trois étapes :

- 3,5 ans passés en essais de conception naturelle avant le diagnostic d'infertilité. Ces échecs ne sont pas sans impact sur la santé de la femme ;

- 2 ans d'exploration et d'analyse avant le début d'un traitement AMP ;

- 2,2 ans de durée de traitement avant d'obtenir une conception, et donc avant le temps de la maternité.

Source : Étude 1 000 dreams

Les trois principaux freins identifiés par l'étude précitée à la réalisation d'un parcours d'AMP sont le coût, le temps investi et la charge émotionnelle. Même en France, où la prise en charge des frais médicaux engagés est totale, la notion de coût peut être présente car il ne s'agit pas uniquement du coût financier direct.

b) Des absences nombreuses qui ont des répercussions sur la vie professionnelle des femmes en parcours d'AMP

S'agissant des effets directs du parcours d'AMP sur la vie professionnelle, il faut noter les nécessaires et nombreuses absences générées par ce parcours. Il convient, en effet, d'additionner les rendez-vous indispensables pour réaliser le bilan de l'infertilité - une dizaine de rendez-vous au total - et ceux essentiels au traitement d'AMP.

Ainsi que le rappelait Nathalie Massin devant la délégation, « les premiers [rendez-vous] dépendent des dates du cycle et laissent donc peu de contrôle dans l'organisation de la vie personnelle et professionnelle. Ils sont souvent peu prévisibles. (...) D'autre part, ils se déroulent souvent dans des lieux différents et sont parfois difficiles d'accès, notamment en zone rurale. 12 % des femmes mettent plus de deux heures pour accéder à leur centre d'AMP. Au total, 30 % des femmes travaillent ou vivent à plus d'une heure de celui-ci ».

En outre, pour chaque nouvelle tentative de traitement, de nouveaux rendez-vous doivent être pris :

- pour une insémination intra-utérine, première ligne de traitement en AMP, en cas d'infertilité peu sévère, trois rendez-vous sont au minimum nécessaires sur une période de sept à dix jours, déterminée au dernier moment, à l'arrivée des règles ;

- pour une tentative de fécondation in vitro (FIV), qui constitue l'étape suivante, une dizaine de rendez-vous sont répartis sur une quinzaine de jours, avec une intervention chirurgicale.

Cette organisation est donc extrêmement lourde pour les femmes, en plus des possibles difficultés d'accès évoquées précédemment.

Nathalie Massin en concluait devant la délégation que « les traitements d'AMP nécessitent (...) des absences très fréquentes, peu programmables, dont la durée dépend de l'accessibilité des centres, et ce pendant une longue période de temps d'une durée imprévisible. (...) Les conséquences sont doubles : d'une part, du travail sur les traitements, d'autre part des traitements sur le travail. À ces contraintes sont associés des troubles physiques et psychologiques liés à l'infertilité, essentiellement portés par les femmes ».

Une enquête réalisée par le Collectif BAMP !, association de patients de l'AMP et de personnes infertiles, en 2018, sur le vécu et la perception du parcours d'AMP pour les personnes engagées dans celui-ci, avait ainsi révélé que pour 63 % des répondants, ce parcours avait une incidence très importante sur leur temps de travail ; 59 % se disaient stressés dans le cadre de leur travail ; 54 % disaient avoir retardé un changement de travail ou une demande d'augmentation, ou y avoir renoncé. En octobre 2022, un sondage lancé par ce collectif avec Ipsos, destiné aux seules femmes en parcours AMP, indiquait également que le parcours d'AMP avait des répercussions sur la vie professionnelle des sondées pour 84 % d'entre elles.

 

des femmes en parcours AMP estiment que celui-ci a des répercussions sur leur vie professionnelle

Source : Ipsos et Collectif BAMP !

Si les autorisations d'absences pour AMP (cf. encadré infra) sont autorisées par la loi précitée du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, elles ne sont toutefois pas systématiquement utilisées par les femmes qui entament ce parcours, comme le révélait Nathalie Massin lors de son audition, « d'abord parce qu'elles obligent les femmes à déclarer à leur employeur le motif de leur absence, et donc, d'une part, leur infertilité, et, d'autre part, leur projet de conception. Nous savons que ces raisons peuvent être stigmatisantes dans l'entreprise. De plus, quand la prise en charge dure longtemps, le constat d'échec est exposé sur la place publique. C'est une double peine pour ces femmes ».

Elle a ainsi estimé que moins de 50 % des femmes déclarent aujourd'hui à leur employeur être en parcours « infertilité » et bénéficient des absences rémunérées autorisées pour AMP.

En outre, au cours de son audition par la délégation le 2 mars 2023, la co-fondatrice du Collectif BAMP !, Virginie Rio, avait indiqué que, malgré l'existence de dispositions législatives claires sur les autorisations d'absences notamment celles des conjoints des femmes en parcours d'AMP, « des employeurs refusent encore de les appliquer, assurant qu'ils n'ont « pas à gérer les problèmes de procréation » de leurs employés (...). Ils affirment que le droit du travail et les autorisations d'absence ne s'appliquent pas à leur situation ».

Enfin, il apparaît que certaines femmes doivent souvent faire un choix par défaut, celui de réduire leur temps de travail pour suivre les parcours AMP, voire de cesser leur activité professionnelle. Cette réduction ou cessation occasionne de fait une perte de rémunération. D'autres choix sont par ailleurs imposés par le contexte professionnel. Au cours de son audition par la délégation, Virginie Rio a ainsi indiqué que « certaines [femmes] sont mises à l'écart, ne se voient pas proposer d'augmentations ou de changement de poste, sont licenciées sans pouvoir prouver que ce licenciement est lié au parcours d'AMP ».

On le comprend, les incidences d'un recours à l'AMP sur l'activité professionnelle sont donc fortes et parfois de nature à renforcer les inégalités professionnelles.

Dispositions légales relatives aux aménagements du travail
dans le cadre d'un parcours de PMA

L'article 87 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit la protection de la salariée inscrite en parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) dans le code du travail.

Les droits reconnus à la salariée en parcours AMP sont de deux sortes :

Droit à la non-discrimination

Selon l'article L. 1225-3-1 du  Code du travail, introduit par la loi du 26 janvier 2016 précitée, les salariées engagées dans un parcours d'AMP bénéficient d'une protection contre les discriminations identique à celle accordée aux femmes « en état de grossesse médicalement constatée ». Cette protection s'applique dans le cadre de l'embauche, de la rupture du contrat ou de la mutation notamment.

Autorisations d'absence pour actes médicaux nécessaires

Cette loi a également étendu l'autorisation d'absence dont bénéficient la salariée enceinte et son conjoint53(*) pour se rendre aux examens médicaux obligatoires dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement aux actes médicaux nécessaires à une assistance médicale à la procréation. La salariée en parcours AMP et son conjoint bénéficient donc, à ce titre, des mêmes autorisations d'absence (C. trav.,  art. L. 1225-16).

Ces absences n'entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à du temps de travail effectif pour déterminer la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par la salariée au titre de son ancienneté dans l'entreprise.

Si les absences autorisées du conjoint sont plafonnées à trois, pour la salariée en parcours AMP, leur nombre est illimité puisqu'il n'existe pas de liste prédéfinie et exhaustive des actes médicaux obligatoires liés à la PMA (principalement en raison des spécificités de chaque parcours). Seul le code de la Santé Publique dans ses articles L2141-1 et suivants définit le processus de PMA : on déduit donc que la salariée qui a recours à la PMA a le droit de s'absenter pour tous les examens médicaux en lien avec ce processus (rendez-vous chez le gynécologue, prise de sang, ponction, spermogramme, actes de FIV, échographie, etc.).

La salariée doit néanmoins justifier, pour chaque rendez-vous médical, d'un certificat médical mentionnant l'heure du rendez-vous. En outre, le temps d'absence doit être proportionné à l'acte médical (mais il inclut le temps de trajet).

Lors des ponctions, le médecin prescrit habituellement un arrêt de travail de 2 ou 3 jours.

2. Les recommandations de la délégation pour faciliter la vie professionnelle des femmes dans le cadre de la prise en charge en AMP

Plusieurs pistes d'amélioration visant à faciliter la vie professionnelle des femmes dans le cadre de la prise en charge en AMP ont été évoquées devant la délégation.

a) Adapter le régime des absences au travail liées à l'AMP

La première piste d'amélioration évoquée, notamment par le Dr Nathalie Massin, devant la délégation consiste à adapter le régime des absences au travail liées à l'AMP dans le cadre de la prise en charge à 100 % de l'infertilité par la Sécurité sociale. Il est ainsi proposé de supprimer le motif de l'« infertilité » pour les absences. Le motif déclaré pourrait être une simple absence liée à une pathologie chronique à 100 %, qui peut viser d'autres pathologies chroniques. En outre, Nathalie Massin estimait que « le délai de carence devrait être supprimé pour les arrêts de travail d'une journée dans ce même cadre, puisque plusieurs rendez-vous sont parfois regroupés sur une même journée ».

L'accès au télétravail flexible devrait également être facilité, toujours dans le cadre d'une pathologie prise en charge à 100 %.

Concernant le régime d'absences autorisées des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans un parcours d'AMP, la loi est aujourd'hui inégale puisque les conjoints ont droit à trois absences autorisées pour les accompagner. Un alignement du régime d'absences autorisées des conjoints sur celui des femmes engagées dans un parcours d'AMP pourrait être étudié, pour leur apporter le soutien psychologique mais aussi « logistique » nécessaire.

Enfin, Nathalie Massin, lors de son audition devant la délégation, avait suggéré d'envisager la création de congés rémunérés dits « infertilité » ou « FIV », permettant de prévoir des absences programmées prolongées, sans retentissement sur la carrière professionnelle des femmes concernées.

Le groupe Carrefour, que la délégation a rencontré au cours de son déplacement à l'hypermarché de la Porte d'Auteuil le 6 juin 2023, a annoncé, dans le cadre de son initiative Santé au féminin, un jour d'absence autorisée, pour toutes les femmes inscrites dans un parcours d'AMP, lors du transfert d'embryon.

Recommandation n° 19 : Étendre le régime des absences autorisées par la loi, dans le cadre d'un parcours d'AMP, afin notamment de permettre un accompagnement dans la durée des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans ce parcours.

b) Encourager la prévention de l'infertilité via la médecine du travail

Dans un but de prévention de l'infertilité et donc pour, à terme, éviter le recours à l'AMP, il est recommandé d'investir les médecins du travail d'une mission de prévention et, notamment, de les former à la physiologie de la reproduction et à l'exposition aux toxiques et aux rythmes de travail contraignants.

Comme l'indiquait Nathalie Massin lors de son audition, « ces médecins peuvent être un support d'information, au cours des visites, sur le temps qui passe et la diminution des chances de grossesse. Ils peuvent également rappeler qu'en cas de projet de fertilité n'aboutissant pas au bout de six mois, il est nécessaire de consulter rapidement. En effet, le temps perdu avant de consulter et de faire un bilan occasionne un retard dans la prise en charge, et donc une augmentation du délai des parcours, puisque la fertilité diminue avec l'âge ».

De façon plus générale, il est apparaît primordial de réfléchir à une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité à visée pédagogique et qui aborderait la question du travail. Un rapport sur les causes de l'infertilité54(*) avait été remis à Olivier Véran, à l'époque ministre de la santé et des solidarités, le 21 février 2022, mais n'a pas encore débouché sur la conception d'une stratégie nationale.

Recommandation n° 20 : Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail », renforçant notamment le rôle de la médecine du travail dans la diffusion d'information sur la prévention de l'infertilité.

c) Inciter les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle des femmes

Enfin, dans le but de diminuer les obstacles rencontrés par les femmes en parcours d'AMP dans le cadre de leur travail, il est souhaitable d'encourager les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle de ces femmes.

Ils pourraient, par exemple, proposer des organisations de soins limitant les déplacements en regroupant les rendez-vous pour l'exploration et les bilans avant traitement AMP sur des périodes restreintes, ou favoriser la téléconsultation lorsqu'aucun examen physique n'est nécessaire. Enfin, ils pourraient, dans la mesure du possible, programmer les traitements pour que les femmes organisent leurs absences de la façon la plus rationnalisée possible. Ainsi que le précisait Nathalie Massin devant la délégation, « aujourd'hui, lorsque deux actes sont réalisés sur un même rendez-vous, le second est coté à 50 %, ce qui n'est pas incitatif pour les médecins qui rechignent donc à les regrouper. Un travail est nécessaire à ce sujet ».

Dans la même logique, Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP !, estimait, devant la délégation, nécessaire de rendre ces parcours médicaux plus efficaces, en réfléchissant notamment à la question du trajet. Elle précisait que « 101 centres d'AMP sont répartis sur notre territoire, mais leur accès est difficile dans certaines zones. Cette question est renforcée dans les zones rurales. Beaucoup de gens vivent à plus de deux heures d'un centre d'AMP. Là où les autorisations d'absence étaient prévues pour quelques heures, pour permettre de revenir au travail après le rendez-vous, certains ont besoin d'une journée entière, voire de plusieurs jours. C'est un motif de conflit avec les employeurs ».

Recommandation n° 21 : Rendre les parcours d'AMP plus efficaces en incitant les professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.

D. LA MÉNOPAUSE : DERNIER DES TABOUS FÉMININS ?

Auditionnée le 2 mars 2023 par la délégation dans le cadre de la table ronde sur la santé sexuelle et reproductive au travail, Brigitte Letombe, gynécologue, membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (Gemvi), s'est ainsi exprimé : « on parle aujourd'hui plus facilement d'endométriose, de règles ou d'infertilité, mais le dernier des tabous féminins, c'est la ménopause. Il faut bien avouer que celle-ci, tout à fait physiologique, qui survient vers 51 ans, s'avère être une inégalité majeure entre les femmes et les hommes ».

 
 
 

femmes entrent en ménopause chaque année en France

de femmes concernées

des femmes de 55  ans ou plus

Aujourd'hui, 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total en France, dont 100 % des femmes de 55 ans ou plus. Alors que plus de la moitié de la population française sera donc concernée à un moment de sa vie par cette étape physiologique naturelle, la ménopause reste un sujet largement absent des politiques de santé publique, et notamment des politiques de santé au travail, quand bien même la majorité des femmes ménopausées ou souffrant de symptômes péri-ménopausiques exercent une activité professionnelle. En outre, compte tenu de l'espérance de vie actuelle des femmes françaises, on peut estimer qu'une femme vivra en moyenne un tiers de sa vie en période ménopausique.

1. Une symptomatologie ménopausique qui touche essentiellement les femmes en âge de travailler

La ménopause correspond non seulement à un arrêt de la fertilité mais aussi à un arrêt total de la sécrétion des hormones féminines que sont l'estradiol et la progestérone par les ovaires. C'est cette carence hormonale qui peut, dès la péri-ménopause, et donc avant même l'arrêt définitif des règles, avoir des répercussions.

a) Des symptômes nombreux et insuffisamment pris en charge

La carence hormonale provoquée par la ménopause, voire la péri-ménopause, est responsable de symptômes climatériques très variés, dont on connaît essentiellement le signe majeur que sont les bouffées de chaleur. Toutefois, ainsi que le rappelait Brigitte Letombe, gynécologue et membre du Gemvi, lors de son audition par la délégation, ces symptômes peuvent également aggraver la « santé cardiovasculaire et le risque osseux, donc le risque métabolique, de diabète, d'hypertension, d'hypercholestérolémie ou de fracture ostéoporotique ».

Une étude du Gemvi, menée en 2013, a notamment souligné le grand nombre de symptômes ressentis et le pourcentage de femmes touchées :

94 % des femmes de 45 à 50 ans sont touchées par au moins un symptôme de la ménopause ;

73 % d'entre elles le sont encore entre 61 et 65 ans.

Les symptômes les plus fréquents sont les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes, une prise de poids, les troubles du sommeil, les changements de l'humeur, les maux de tête et migraines, les troubles de la mémoire et les troubles urinaires.

En outre, cette symptomatologie climatérique est aujourd'hui très insuffisamment prise en charge.

Une nouvelle étude du Gemvi, réalisée au cours de l'année 2020 sur 5 000 femmes, et publiée en 2022 dans le Maturitas, journal de la société européenne de ménopause, montre que 87 % des femmes sont affectées par au moins un symptôme de la ménopause et que les symptômes génito-urinaires en touchent 67 %. Or seuls 6 % des 5 000 femmes de 50 à 65 ans étudiées, sont traités pour une symptomatologie par un traitement hormonal de ménopause.

Avant la publication en 2002 d'une étude américaine, dans le cadre de la WHI (Women's Health Initiative), ayant déstabilisé les professionnels et les femmes par une balance bénéfices-risques négative vis-à-vis du traitement hormonal, environ 35 % des femmes recevaient, en France, un traitement hormonal de ménopause. Aujourd'hui, seuls 6 % des femmes sont traitées alors que la symptomatologie majeure touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post-ménopause immédiate. Au moins une femme sur quatre devrait donc avoir accès à une thérapeutique efficace, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas. Tandis que trois femmes sur quatre présenteront des symptômes, plus ou moins lourds.

 

des femmes en péri et post-ménopause immédiate touchées par une symptomatologie grave

En outre, ces symptômes peuvent également se poursuivre dans la durée puisqu'une étude multiethnique débutée en 1997 rapporte une moyenne du temps des « bouffées de chaleur » de sept ans et demi. Pour certaines femmes, cette période est beaucoup plus longue. Certaines souffrent encore d'une symptomatologie vasomotrice après quinze ou vingt ans.

Outre les troubles du climatère, la symptomatologie génito-urinaire et les difficultés urinaires, la pollakiurie, les cystites à urines claires, les petits problèmes de continence peuvent également toucher les femmes assez tôt.

Plus tardivement, si la carence oestrogénique due à la ménopause n'a pas été prise en charge, certaines femmes à risques pourraient être exposées à un risque d'ostéoporose avec des fractures graves ou un risque d'athérosclérose avec des accidents cardiovasculaires. Enfin, il est vraisemblable que cette carence oestrogénique soit liée à des troubles cognitifs et des problèmes de démence ultérieure.

b) Une symptomatologie qui peut avoir des conséquences sur la qualité de vie des femmes au travail

Dans la mesure où les symptômes péri-ménopausiques et ménopausiques touchent une très large majorité de femmes en âge de travailler, ils peuvent avoir des conséquences négatives sur la qualité de vie des femmes au travail.

D'une part, comme l'expliquait Brigitte Letombe devant la délégation, « les modalités de travail ne sont pas sans répercussions sur les symptômes de la ménopause ». Par exemple, parmi les symptômes fréquents figurent des douleurs articulaires marquées du fait de la carence oestrogénique. Ces symptômes peuvent être source de difficultés pour exercer un travail physique notamment et peuvent accentuer le risque de TMS.

D'autre part, « la ménopause peut également altérer le travail effectué » et la performance des travaux intellectuels. En effet, pour les femmes assurant des travaux essentiellement intellectuels, la fatigabilité, les troubles de la concentration et de mémorisation peuvent bien avoir des conséquences sur leur travail.

C'est pourquoi il apparaît essentiel de préparer les femmes, leur environnement et les employeurs à cette transition physiologique qui est parfois source d'angoisse. Comme l'a fait observer Brigitte Letombe à la délégation, la ménopause « survient souvent chez les femmes alors qu'elles sont au sommet de leur carrière. (...) Se sentant moins performantes, manquant de confiance en elles à cet âge, certaines femmes angoissées refusent les promotions et se tournent vers une retraite prématurée ou une reconversion ».

2. Les recommandations de la délégation pour une meilleure prise en charge de la ménopause dans l'environnement professionnel

La délégation estime que la ménopause constitue aujourd'hui un véritable enjeu d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qu'elle ne devrait plus constituer ni un tabou ni un « non-sujet » au sein de la sphère professionnelle. Se saisir de cette question doit aussi permettre aux employeurs de visibiliser les femmes de plus de 50 ans, dans l'entreprise notamment, sans qu'évoquer le sujet de la ménopause ou du vieillissement hormonal et de ses conséquences ne soit considéré comme un « repoussoir ».

Pour y parvenir, c'est, comme le soulignait Brigitte Letombe devant la délégation, une « véritable culture ouverte, inclusive et solidaire » à l'égard des symptômes de ménopause ressentis par les femmes, d'ailleurs la plupart du temps transitoires, que les employeurs doivent favoriser au sein de la sphère professionnelle, sans tabou et en ne tolérant aucune forme de discrimination, de rabaissement ou de harcèlement à l'égard des femmes en phase péri-ménopausique ou ménopausique.

a) Informer

Cette culture ouverte, inclusive et solidaire nécessite, dans un premier temps, de mettre des mots sur la réalité de la ménopause, d'identifier les possibles conséquences de ces symptômes sur le travail mais aussi l'éventuel impact du travail sur l'intensification des symptômes ressentis.

À cet égard, les femmes comme les hommes devraient, dans la sphère professionnelle, recevoir le même niveau d'information sur ces sujets, par le biais d'une communication interne de l'employeur qui pourrait se matérialiser par de courts modules de formation au sein de l'entreprise par exemple ou par une journée dédiée chaque année à cette thématique, qui pourrait avoir lieu le 18 octobre qui correspond à la Journée mondiale de la ménopause. En outre, l'ensemble de la hiérarchie professionnelle devrait être informé de la même façon : employeurs, cadres, employés.

Par ailleurs, les femmes doivent, toutes, avoir accès à un professionnel de la santé formé à cette problématique.

Les femmes, elles-mêmes, ignorent parfois les symptômes de la ménopause et mésinterprètent certaines manifestations de ce changement hormonal. Elles peuvent ainsi assimiler certains des symptômes ressentis et parfaitement habituels en période ménopausique à un épisode dépressif alors même que mieux informées, elles pourraient surmonter ces symptômes, grâce à un traitement adéquat.

Comme le soulignait Brigitte Letombe devant la délégation, « il est important que tout professionnel de santé quel qu'il soit, médecin généraliste, dermatologue, gynécologue, cardiologue, puisse parler à une femme de son éventuelle symptomatologie ménopausique. Il faut pouvoir créer un dialogue serein à l'issue de chaque consultation, pour que chaque femme de plus de 45 ans sache à peu près ce qu'elle peut ressentir et comment le gérer. Il est essentiel de pouvoir identifier toute cette symptomatologie ».

Les médecins du travail ou les psychologues du travail pourraient également être formés à cette problématique afin de pouvoir aborder, avec les femmes qui les consultent, cette symptomatologie et ses conséquences sur le travail.

Tout professionnel de santé devrait donc avoir suivi une formation requise sur la ménopause et savoir que ces symptômes climatériques peuvent affecter le bien-être et les capacités au travail avec, en conséquence, parfois la nécessité d'une adaptation transitoire des conditions de travail.

b) Adapter

Lorsque les symptômes de la ménopause sont ressentis, l'environnement professionnel doit pouvoir être adapté pour permettre une forme de soulagement de la symptomatologie la plus handicapante au travail.

Une réflexion quant à l'adaptation des conditions de travail doit être menée qui peut prendre diverses formes en fonction du type d'activité professionnelle exercée, telles que :

- la flexibilité des codes vestimentaires et des uniformes en utilisant des tissues thermiquement confortables ;

- la flexibilité horaire et le possible recours au télétravail ;

- un contrôle de la température et une ventilation adaptée sur le lieu de travail ;

- un accès facilité à de l'eau fraîche en toutes circonstances ;

-  un accès à des vestiaires et sanitaires privatifs ;

- un accès facilité et permanent à des toilettes en cas de symptômes génito-urinaires ;

- pour les activités axés sur le client ou orienté vers le public, la possibilité de pauses pour gérer des symptômes vasomoteurs intenses.

Recommandation n° 22 : Mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence.

c) Faciliter l'accès au traitement hormonal des symptômes ménopausiques

Il est aujourd'hui nécessaire d'actualiser le niveau d'information publique disponible sur la ménopause et le traitement de ses symptômes.

Sur le sujet du temps de traitement hormonal des symptômes ménopausiques, en France, les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) remontent à 2014 et n'ont pas évolué depuis, alors que beaucoup de choses ont changé. Ces recommandations mentionnent ainsi toujours la nécessité de « doses minimales » et d'une « durée limitée ». Or les recommandations pour la pratique clinique (RPC) sur la ménopause et le traitement hormonal de la ménopause ont elles-mêmes évolué en 2021 et ne mentionnent plus de durée maximale de traitement.

Il apparaît donc nécessaire aujourd'hui d'actualiser les recommandations de la HAS d'autant plus que toutes les recommandations internationales et notamment celles du 18e congrès mondial sur la ménopause qui s'est tenu à Lisbonne en octobre 2022 rappellent que le traitement hormonal de substitution de la ménopause présente une balance bénéfices-risques positive, entre 50 et 60 ans, dans les dix premières années.

Recommandation n° 23 : Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 27 juin 2023, sous la présidence de Mme Annick Billon, présidente, la délégation a examiné le présent rapport d'information.

Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport consacré à la santé des femmes au travail.

Nos quatre collègues co-rapporteures, Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol ont travaillé pendant plus de six mois sur ce sujet.

Notre travail portait initialement sur la santé des femmes de façon générale mais nous avons rapidement décidé de nous concentrer sur la santé des femmes au travail. Ce vaste sujet recouvre des problématiques très variées, bien au-delà de la seule santé sexuelle et reproductive qui a fait, ces derniers mois, l'objet d'une forte exposition médiatique avec les multiples propositions de mise en place d'un « congé menstruel ».

Avec plus de trente heures d'auditions, nous avons entendu une soixantaine de personnes sur ce sujet - chercheurs et chercheuses, experts et expertes, professionnelles de santé, représentants de l'administration, etc. -, sans compter celles et ceux que nous avons rencontrées au cours de nos déplacements.

Nous nous sommes en effet rendues en Bretagne, région pionnière en matière de prise en compte de la santé des femmes au travail et qui a élaboré un plan régional de santé au travail particulièrement ambitieux de ce point de vue. Nous sommes également allées à la rencontre de salariées du groupe Carrefour et avons visité l'hypermarché de la Porte d'Auteuil afin de prendre connaissance des mesures mises en place par l'entreprise dans le cadre de son initiative Santé au féminin.

Chers collègues, vous avez sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse. Vous avez reçu ce document dès hier ainsi que la liste des recommandations.

Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, à commencer par notre collègue Annick Jacquemet.

Annick Jacquemet, co-rapporteure. - La première partie de notre rapport est consacrée au défaut d'approche genrée en matière de santé au travail, qui nous a marquées tout au long de nos travaux.

Nous faisons un double constat.

Premièrement, s'agissant des données sexuées, si les statistiques sexuées sont de plus en plus nombreuses, elles demeurent encore incomplètes. À titre d'exemple, la Direction générale du travail n'a pas été en mesure de nous fournir des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou bien sur le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail.

En outre, en dehors du champ des sciences sociales, il y a encore très peu de recherches portant sur les risques professionnels et la santé dans les secteurs d'activité à prédominance féminine. Avant les travaux actuels du Giscop 84 (le Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle du Vaucluse), dont nous avons auditionné des représentants, il n'y avait jamais eu aucune recherche épidémiologique et toxicologique sur les agents cancérogènes auxquels sont exposées les travailleuses du secteur du nettoyage - des emplois occupés à 80 % par des femmes.

Surtout, même lorsqu'elles existent, les données sexuées sont insuffisamment exploitées. L'Assurance maladie dispose bien de statistiques par sexe sur les accidents de travail et les maladies professionnelles mais elle n'en fait aucune communication et ne montre aucun intérêt pour des analyses sexuées et croisées.

Pourtant, les enseignements de telles analyses seraient précieux. L'Observatoire régional de la santé de Bretagne s'est livré à des analyses de ce type, en croisant les données par sexe, par âge et par secteur, qui ont permis de mettre en évidence les contraintes spécifiques auxquelles les femmes sont majoritairement exposées du fait des métiers qu'elles exercent.

Sans connaître - et sans objectiver par des statistiques - les risques spécifiques auxquels les femmes sont davantage exposées que les hommes, il est évidemment impossible de concevoir et mettre en oeuvre des politiques publiques de santé au travail adaptées.

Deuxièmement, nous constatons un souhait, de la part des employeurs, mais aussi historiquement de la part des pouvoirs publics et de l'ensemble des acteurs de la prévention, de s'intéresser aux travailleurs de façon indifférenciée et donc « aveugle au genre ». Or nous avons remarqué que cette supposée neutralité et absence de discrimination conduit en réalité à se focaliser sur « l'homme moyen », le travailleur masculin.

Ainsi, les postes de travail et les équipements - y compris les équipements de protection individuels (EPI) - sont basés sur les références anthropométriques d'un « homme moyen ». Et ce même dans des secteurs à prédominance féminine. Je pense par exemple aux gants de protection utilisés par les soignantes ou femmes de ménage, qui sont souvent trop grands et laissent passer les produits utilisés.

De même, les politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels ont d'abord été pensées pour des travailleurs masculins et pour les risques professionnels liés aux métiers masculins, à savoir principalement le port de charges lourdes et le bruit. Signe de l'absence de prise en compte des risques pourtant réels associés aux secteurs d'activité à prédominance féminine : seules 23 % des personnes bénéficiant du compte professionnel de prévention (le C2P) sont des femmes.

Les employeurs et même parfois les acteurs de la prévention expliquent leurs réticences à adopter une approche genrée par la crainte de discriminer les femmes. Ceci explique l'absence quasi totale de mise en oeuvre de l'évaluation sexuée des risques professionnels pourtant prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Enfin, dernier point que nous avons souhaité aborder dans cette partie : celui du maintien et du retour à l'emploi après un cancer. En effet, cette question n'est jamais prise en compte sous le prisme du genre. Et pourtant elle se pose davantage pour les femmes puisqu'elles sont en moyenne atteintes par des cancers à un âge plus précoce, lorsqu'elles sont encore en activité professionnelle.

Je laisse la parole à notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer concernant notre chapitre dédié à la sous-estimation et la méconnaissance des risques professionnels féminins.

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Dans la deuxième partie de notre rapport, nous dressons un panorama des risques professionnels auxquels les femmes sont majoritairement et spécifiquement exposées.

Ces risques sont encore bien trop souvent invisibilisés. C'est pourquoi nous avons souhaité rendre visible « l'invisible qui fait mal » pour reprendre une expression de l'ergonome québécoise Karen Messing, dont les travaux ont été régulièrement mentionnés par les personnes que nous avons auditionnées.

En effet, les hommes sont davantage exposés à des dangers visibles et engageant le pronostic vital, tels que des accidents mortels ou le contact avec l'amiante.

À l'inverse, les femmes sont majoritairement exposées à des risques invisibles et silencieux, liés à une usure physique et psychique. C'est particulièrement le cas des troubles musculo-squelettiques (les TMS), des risques psychosociaux, de certains cancers professionnels mais aussi des violences sexistes et sexuelles au travail.

Trois chiffres me semblent particulièrement marquants :

- 60 % des personnes atteintes de TMS sont des femmes ;

- les signalements de souffrance psychique au travail sont trois fois plus nombreux chez les femmes ;

- 20 % des femmes ont subi au moins un fait de violence dans le cadre du travail au cours de l'année écoulée.

Les différences d'exposition aux risques entre femmes et hommes s'expliquent par la persistance d'une ségrégation professionnelle, qui est double :

- existe d'une part une ségrégation horizontale par secteur. Un métier est considéré comme mixte lorsque la proportion de femmes (ou d'hommes) est comprise entre 35 % et 65 %. Ce n'est le cas que de 20 % des métiers en France aujourd'hui ;

- en outre, au sein de mêmes métiers, les tâches sont sexuées : les femmes sont davantage affectées à des tâches dites plus fines mais qui, par leur répétition, leur rythme ou les contraintes professionnelles dans lesquelles elles sont effectuées, peuvent être très usantes et avoir un effet délétère sur leur santé physique et psychique.

Nous avons souhaité effectuer un focus sur quatre secteurs à prédominance féminine qui sont particulièrement emblématiques des risques spécifiques auxquels les femmes sont exposées.

Premièrement, le secteur du care, qui est composé à 80 % de femmes. Ce sont majoritairement des infirmières, des aides-soignantes et des aides à domicile. Ces femmes sont soumises à un port répétitif de charges dépassant la norme autorisée de 25 kg, qui les rend particulièrement vulnérables aux TMS. Elles sont en outre soumises à des horaires atypiques et à du travail de nuit. Or les effets du travail de nuit sur la santé des femmes sont majeurs et pourtant encore largement ignorés. Ainsi une étude de l'Inserm montre que le risque de cancer du sein augmente de 26 % en cas de travail de nuit. Qui le sait ? Qui en parle ? Même si on commence à en parler.

Le deuxième secteur auquel nous nous sommes intéressées est celui du nettoyage, également composé à 80 % de femmes. Ces femmes sont bien sûr exposées à une pénibilité physique importante. Mais ce que l'on sait moins c'est qu'elles sont en moyenne exposées à sept agents cancérogènes présents au sein de produits d'entretien courants ! La mention d'un produit cancérogène n'est obligatoire sur l'étiquette d'un produit que s'il est présent à plus de 5 %. Mais ce seuil ne repose sur aucune donnée scientifique. Un cancérogène est une substance toxique par nature, sans aucun seuil de toxicité minimal. Là encore, qui le sait ? Qui en parle ?

Notre troisième focus est consacré aux métiers dits de représentation, à savoir les mannequins et hôtesses d'accueil. Ce focus nous a permis de nous intéresser plus spécifiquement aux risques psychosociaux, à la souffrance psychique et aux troubles de l'alimentation.

Dernier focus : le secteur de la grande distribution. Caissières et employées de libre-service sont particulièrement concernées par les TMS. Cependant, ce secteur connaît des évolutions positives : une étude de Santé publique France montre que le développement d'actions de prévention dans ce secteur - conjugué à la mise en place de caisses automatiques - a conduit à une baisse de la prévalence des TMS au cours des dernières années. Cela montre bien que des actions sont possibles et que l'adoption de mesures de prévention adaptées est suivie d'effet.

Je laisse sans plus tarder la parole à notre collègue rapporteure Laurence Cohen pour la présentation de notre troisième partie, consacrée aux politiques de santé au travail et à nos recommandations pour améliorer et développer la prévention.

Laurence Cohen, co-rapporteure. - Nous l'avons vu, en matière de santé au travail, si l'on veut réellement prendre en compte la situation des femmes, il est dans un premier temps nécessaire de récolter et exploiter des statistiques sexuées et de s'en servir pour construire des politiques de prévention basées sur le genre.

Parce qu'adopter une approche différenciée des risques professionnels pour tenir compte de la spécificité des conditions de travail des femmes ne revient pas à les discriminer, nous recommandons de chausser systématiquement les « lunettes du genre » en matière de santé au travail.

De ce point de vue, le 4e plan de santé au travail (PST4), défini pour la période 2021-2025, n'est pas à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement en la matière. Au sein des quatre axes stratégiques, dix objectifs et 34 actions que contient ce plan national, une seule de ces actions est spécifiquement dédiée à l'égalité femmes-hommes.

Nous recommandons donc, dans la perspective de l'élaboration du prochain PST pour la période 2026-2030, de faire de l'approche genrée de la santé au travail et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques majeurs du plan national.

Nous avons par ailleurs constaté que certaines directions régionales ont décliné ce plan de manière plus ambitieuse. C'est le cas notamment en Bretagne où nous nous sommes rendues début juin.

De l'impulsion donnée par les politiques publiques dépend bien sûr la façon dont l'évaluation genrée des risques professionnels est mise en oeuvre par les employeurs.

Si la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit le principe d'une évaluation des risques professionnels en tenant compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe, elle n'est aujourd'hui pas suffisamment appliquée.

En effet, sa mise en oeuvre par les entreprises fait souvent défaut et rencontre de réelles difficultés.

Le Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), prévu par la loi de 2014 dans le code du travail, n'a pas été pleinement exploité par les entreprises comme un outil à part entière d'approche genrée de l'évaluation des risques professionnels. Alors qu'il s'agit d'une obligation légale, de nombreuses entreprises n'ont pas élaboré de DUERP (moins de la moitié des entreprises de moins de 150 salariés en disposent) et, même lorsque ce document existe au sein de l'entreprise, il fait rarement l'objet d'une approche différenciée selon le sexe. De même les fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, qui permettent de consigner tous les risques professionnels de l'entreprise et les effectifs qui y sont exposés, ne font l'objet d'aucune obligation légale d'approche sexuée, ce que nous regrettons fortement.

Au-delà des employeurs, ce sont tous les professionnels intervenant dans le champ de la santé au travail qui doivent être formés à ses enjeux féminins : professionnels de santé, médecins et inspecteurs du travail, préventeurs, DRH...

Penser la santé au travail au féminin c'est aussi développer et adapter la prévention des risques et maladies professionnels en tenant compte des conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs professionnels où elles sont le plus nombreuses. Les conditions de travail ont des répercussions sur la santé des femmes. Or ces conditions de travail se sont durcies au cours des dernières années.

Dès lors nous recommandons :

- d'adopter une approche intégrée et globale de la santé des femmes en élaborant une stratégie nationale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et en affirmant le rôle pivot de la médecine du travail, dont les moyens doivent être renforcés, tout comme ceux de l'inspection du travail - médecine et inspection du travail étant particulièrement sinistrées ;

- de développer les mesures de prévention primaire et secondaire en direction des femmes notamment dans les secteurs à prédominance féminine. Nous estimons par ailleurs que ces mesures profiteront tout autant aux femmes qu'aux hommes. L'organisation de la prévention des risques professionnels dans les secteurs professionnels féminisés n'est pas à la hauteur des actions engagées dans des secteurs d'activité plutôt masculins perçus comme plus pénibles. Dans les secteurs du nettoyage, du care, de la grande distribution ou dans les métiers de représentation que nous avons plus particulièrement étudiés, nous recommandons d'adapter les mesures de prévention aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail particulières des femmes (recours aux produits de substitution pour éviter les risques chimiques, généralisation de maisons des soignants, réduction de l'impact des TMS, adaptation des EPI, etc.) ;

- enfin un volet de nos politiques publiques doit être dédié à l'amélioration de la reconnaissance des maladies professionnelles et de la pénibilité.

Je vais désormais laisser la parole à notre collègue rapporteure Laurence Rossignol sur notre quatrième et dernière partie consacrée à la prise en compte de la santé sexuelle et reproductive au travail.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Dans le champ de la santé sexuelle et reproductive, hormis la prise en considération ancienne de la grossesse au travail et celle, plus récente, des parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) par le droit du travail, il a fallu attendre le début des années 2020, ce qui est très récent, pour que les pathologies entrant dans le champ de la santé sexuelle et reproductive émergent réellement dans le débat public, qu'il leur soit donné de la visibilité et que le lien soit établi avec la santé au travail.

Notre rapport traite de quatre items distincts en la matière, assortis de recommandations.

Premièrement, la prise en charge de l'endométriose et des pathologies menstruelles incapacitantes au travail qui nous a menées à un débat interne sur la notion plus large, et aujourd'hui très médiatisée, de « congé menstruel ».

L'endométriose est une pathologie qui touche 10 % de la population féminine en âge de procréer, soit entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France. Elle est la première cause d'infertilité féminine et ses conséquences sur la vie quotidienne des femmes et sur leur vie professionnelle par voie de conséquence sont lourdes en raison des douleurs incapacitantes qu'elle provoque : arrêts de travail fréquents, diminution de la capacité de travail, baisse de la productivité au travail (de plus de 60 % chez les femmes âgées de 30 à 40 ans), etc.

L'endométriose, en raison de ses conséquences financières et professionnelles sur les femmes qui en souffrent, peut être considérée aujourd'hui comme une source importante d'inégalité professionnelle.

Pourtant, malgré un début de reconnaissance par certains employeurs, cette pathologie demeure un angle mort persistant de la santé des femmes au travail. Ainsi, la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose lancée en 2022 ne comporte qu'un volet « travail » très restreint.

Nous formulons dans notre rapport plusieurs recommandations de nature à mieux prendre en charge les pathologies menstruelles invalidantes au travail, dont, en premier lieu, l'endométriose, qui devrait, selon nous, être ajoutée à la liste des affections de longue durée exonérantes (ALD30).

Plus largement, s'agissant de l'opportunité d'instaurer un « congé menstruel » au sens large en cas de règles douloureuses, sur le modèle espagnol par exemple, nous ne sommes pas parvenues à un consensus. La majorité de mes collègues y est opposée estimant que seule une pathologie menstruelle reconnue comme invalidante doit ouvrir droit à une absence autorisée.

Je ne partage pas ce point de vue. Pour ma part, j'estime que la mise en place d'un tel congé constituerait une avancée sociale pour toutes les femmes qui travaillent, et répondrait à un enjeu global de visibilisation et d'égalité professionnelle. Par ailleurs, dans les systèmes actuellement envisagés, les femmes seraient destinataires d'une attestation médicale d'endométriose, d'ovaires polykystiques ou d'une autre pathologie de ce type. Ces femmes auraient un droit à arrêt de travail ouvert mensuellement, pour un ou deux ans maximum, à renouveler. Il ne s'agit pas d'un droit pour toutes les femmes à prendre tous les mois trois jours d'arrêt de travail.

J'entends et je comprends les craintes relatives à l'éventuelle discrimination à l'embauche et les craintes de stigmatisation que pourrait engendrer l'existence de ce congé menstruel. Ces craintes sont légitimes. Je pense, pour ma part, que depuis qu'elles sont entrées massivement dans le monde du travail, les femmes ont « serré les dents » et essayé de neutraliser le plus possible le fait d'être une femme, d'avoir des règles, des fausses couches, des grossesses. Elles se sont insérées dans un modèle d'organisation du travail fait pour les hommes. Cela n'a pas empêché les discriminations ni les interruptions ou freins de carrière pour les femmes ayant eu des enfants. Par ailleurs, nous avons aujourd'hui une génération de jeunes femmes qui entrent sur le marché du travail et qui ont décidé de cesser de cacher le fait qu'elles sont des femmes, qu'elles ont des règles et que celles-ci peuvent être douloureuses. Elles ont décidé de partager ce constat et de le faire admettre par la collectivité. Je pense qu'elles ont raison. Ce sont aujourd'hui les premières concernées par ces sujets. L'argument de la discrimination est donc une préoccupation légitime mais, pour autant, il ne me paraît pas devoir nous limiter.

Deuxième item traité dans ce chapitre, la grossesse qui, nous l'avons constaté au cours de nos travaux, fait l'objet d'une stigmatisation persistante au travail malgré les multiples protections légales et conventionnelles dont elle bénéficie.

Sans chercher à pathologiser la grossesse, il est nécessaire de tenir compte des bouleversements physiologiques et hormonaux qu'elle induit et de leurs conséquences sur l'activité professionnelle des femmes enceintes.

En outre, la fréquence des discriminations déclarées en lien avec la grossesse ou la maternité est encore très importante, ainsi que l'a relevé, à plusieurs reprises ces dernières années, le Défenseur des droits. La grossesse exacerbe donc les inégalités préexistantes en matière d'emploi et de santé.

Nous estimons nécessaire d'assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

Troisième sujet, le parcours de l'assistance médicale à la procréation (AMP), toujours semé d'embûches pour les femmes qui travaillent. Les absences nombreuses que ce parcours implique ont de fortes répercussions sur la vie professionnelle des femmes qui s'y engagent. C'est pourquoi nous proposons une adaptation du régime d'absences autorisées par la loi notamment pour une meilleure inclusion du conjoint ou de la conjointe ainsi qu'une incitation des professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qu'ils suivent.

Enfin, quatrième et dernier item, la ménopause que nous n'hésitons pas à qualifier de « dernier des tabous féminins ».

500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total en France, dont 100 % des femmes de 55 ans ou plus.

Malgré ces statistiques, la ménopause reste un sujet largement absent des politiques de santé publique, et notamment des politiques de santé au travail, quand bien même la majorité des femmes souffrant de symptômes ménopausiques ou péri-ménopausiques exercent une activité professionnelle.

Aujourd'hui, seules 6 % des femmes bénéficient d'un traitement hormonal de substitution alors que la symptomatologie majeure touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post-ménopause immédiate.

Nous considérons donc que la ménopause constitue un enjeu de santé et de bien-être pour les femmes, ainsi qu'un enjeu d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. C'est pourquoi, nous proposons de :

- mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence. Un employeur doit savoir que, quand il embauche une femme, elle aura des règles, des grossesses, des fausses couches et une ménopause. Il est nécessaire de lever le tabou et le silence qui règnent sur cette réalité de la vie des femmes ;

- actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Annick Billon, présidente. - Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses vingt-trois recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier.

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je souhaiterais reprendre la parole pour m'exprimer « hors rapport » sur mes positions personnelles. Je voudrais vous faire part d'un certain nombre d'hésitations que j'ai eues en conclusion de ce rapport, sur notre analyse globale des conditions de travail des femmes et, en particulier, s'agissant de la cohérence avec mes positions exprimées au cours des six derniers mois concernant l'impact sur la santé des femmes de la réforme des retraites et de l'allongement de la durée de travail de deux ans.

Allonger de deux ans la durée de vie professionnelle de femmes, en particulier de celles exposées aux TMS, dans les professions de santé, aura forcément des répercussions sur leur santé. De mon point de vue, il n'est pas possible de faire comme si l'environnement social des conditions de travail des femmes, et sa dégradation, n'avaient pas d'impact sur leur santé. J'ai proposé à mes collègues d'ajouter dans le rapport une phrase que je vous lis : « on ne peut cependant extraire l'étude de la santé des femmes au travail de l'analyse globale des conditions de travail et des institutions qui en sont chargées. L'impact de la dégradation des conditions de travail, de l'obsession de la baisse de son coût et de la disparition des CHSCT dans la fusion des instances des représentants du personnel (IRP) inclut et concerne aussi les femmes. Dans ce contexte, la réforme des retraites et l'allongement de la durée d'activité, sont à inscrire parmi les facteurs négatifs, déterminant l'état de santé des femmes en activité professionnelle ». Cette formule n'a pas été consensuelle et pour moi c'est un problème car cela relève d'une question de cohérence.

Annick Billon, présidente. - Merci pour l'expression de cette prise de position. Le débat autour de la réforme des retraites nous a effectivement beaucoup occupés. Le projet de loi a été adopté sans disposer de réelle étude d'impact. Mais nous ne sommes pas là pour « rejouer le match » des retraites. Ayant assisté à toutes les auditions de la délégation pour ce rapport sur la santé des femmes au travail, je note que le sujet des retraites n'a quasiment jamais été abordé. Seul un syndicat avait évoqué les conséquences de la réforme des retraites. Or le rapport que nous produisons est en lien avec les auditions menées. La réforme des retraites n'a pas constitué le coeur de nos travaux.

Trois des quatre rapporteures se sont mis d'accord sur une formule consensuelle proposée par Laurence Cohen qui est la suivante : « le rapport interroge le rôle assigné aux femmes dans l'emploi ainsi que l'impact de leurs conditions de travail sur leur santé ».

Laurence Cohen, co-rapporteure. - Notre rapport aurait pu apparaître en apesanteur dans le contexte de tensions exprimées au moment de l'examen de la réforme des retraites. De façon générale, il est important d'évoquer le durcissement des conditions de travail, et pas seulement l'allongement de deux ans de la durée du travail, notamment pour les métiers à forte prédominance féminine que nous avons pointés. Ce durcissement est le fruit de différentes lois votées au cours des dernières années. C'est pourquoi j'ai tenu à trouver une formule consensuelle qui puisse nous rassembler et qui mentionne la difficulté des conditions de travail qui a des répercussions sur la santé des femmes. Je partage les remarques de Laurence Rossignol mais, dans le but de pouvoir faire adopter ce rapport, j'ai proposé d'y ajouter cette mention plus consensuelle.

Il y a aujourd'hui une grosse souffrance des soignantes et des soignants, qui est aussi la conséquence de lois adoptées ces dernières années, qui réduisent les moyens attribués au domaine de la santé. On « replâtre » les conséquences de choix politiques qui ne relèvent pas nécessairement de la délégation aux droits des femmes.

Annick Jacquemet, co-rapporteure. - Le rapport doit refléter le compte rendu des auditions menées depuis six mois. Or le sujet des retraites n'a pas été abordé. Je remercie Laurence Cohen pour sa formulation de consensus.

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Je n'étais pas favorable à la mention du débat sur les retraites dans le rapport, qui ne doit pas servir à relancer le débat sur une réforme adoptée mais doit refléter de manière fidèle les auditions organisées. Le but de ce rapport est non seulement de poser un diagnostic mais aussi d'émettre des propositions pour permettre à toutes les femmes de travailler dans de meilleures conditions. Notre rapport doit également refléter l'ensemble de la délégation aux droits des femmes.

Marie-Pierre Monier. - Le sujet des retraites était le sujet du moment lorsque les travaux de la délégation étaient en cours. Moi aussi j'ai porté la conviction selon laquelle travailler deux ans de plus serait particulièrement difficile pour les femmes.

Avoir engagé ce rapport sur la santé des femmes au travail était une bonne idée. Toutes les auditions étaient très intéressantes. C'est un sujet d'ampleur, qui a été souvent négligé. Il y a eu beaucoup d'invisibilisation des problématiques propres à la santé des femmes et notamment dans la vie professionnelle.

Je sais que vous n'avez pas trouvé un consensus sur tous les sujets. J'aurais aimé que le congé menstruel figure par les recommandations mais je pense que mettre ce sujet sur la table est intéressant.

Développer une approche genrée de la santé et les statistiques sexuées est essentiel car tant qu'on ne chiffre pas on ne sait pas. Cela permet de rendre visible ce qui est invisible.

L'audition avec les organisations patronales avait mis en lumière l'ampleur du chemin restant à parcourir.

La prévention est bien sûr est une politique publique indispensable à développer. Elle passe par une médecine du travail à la hauteur des enjeux. Or celle-ci est aujourd'hui considérablement fragilisée notamment en raison de la pénurie de médecins du travail.

Le développement de maisons de soignants sur l'ensemble du territoire me paraît également être une recommandation à mettre en avant, d'autant plus au regard des inégalités territoriales d'accès aux soins que nous connaissons bien.

J'appuie aussi la demande de renforcement de moyens humains pour la médecine et l'inspection du travail.

J'avais été frappée, au fil des auditions, par l'augmentation des cancers du sein et des ovaires en raison de différents facteurs professionnels. De même que la proportion de femmes parmi les personnes atteintes de TMS : 60 %.

La question des critères de pénibilité trop longtemps négligée, notamment dans les secteurs à prédominance féminine, est également essentielle.

Je salue, à cet égard, l'attention portée par les rapporteures aux métiers où les femmes sont surreprésentées et qui sont essentiels au bon fonctionnement de notre société. Ils sont exercés souvent dans des conditions très précaires, le peu d'attention qui leur est portée est aussi lié au poids prépondérant que les femmes y occupent. Il ressort ainsi de ce rapport un cumul entre les inégalités sociales, les inégalités de genre et les inégalités domestiques et professionnelles.

Je me félicite que le rapport préconise d'ajouter l'endométriose à la liste des ALD. J'aurais toutefois aimé que le congé menstruel figure parmi les recommandations du rapport.

Ce rapport met aussi en lumière les problématiques que les femmes rencontrent dans leur carrière professionnelle lorsqu'elles sont enceintes. Il serait bon que les employeurs respectent les obligations qui sont les leurs. Je trouve inacceptable et inquiétant le fait que les femmes enceintes ou mères d'un enfant en bas âge subissent deux fois plus discriminations au travail. Un autre chiffre inquiétant : 20 % des femmes occupant un emploi ouvrier ou de service perdent ou quittent leur emploi en cours de grossesse. Dans ce domaine, il pourrait être pertinent de renforcer les sanctions en cas de non-application des dispositions prévues par la loi.

J'en termine avec le sujet de la prise en compte de la ménopause qui reste un tabou féminin alors que 100 % des femmes de plus de 55 ans sont ménopausées. Le milieu professionnel doit prendre conscience de ce sujet qui est intimement lié à celui de la reconnaissance des femmes dites seniors, qui sont aujourd'hui doublement discriminées dans l'accès à l'emploi.

Dominique Vérien. - Merci aux rapporteures pour ce travail tout à fait nécessaire. La situation de l'embauche des femmes s'améliore et se régule, y compris dans des secteurs peu féminins. Pour autant, les conditions de travail ne s'adaptent pas forcément. Pourtant, comme vous l'avez souligné, lorsque des conditions de travail s'améliorent pour les femmes, les hommes savent aussi en profiter. Ainsi, chez les médecins libéraux où les femmes sont désormais majoritaires, les femmes mais aussi les hommes ont diminué leur temps de travail.

Se dire que la grossesse est toujours un problème en entreprise est problématique, d'autant que l'absence d'une femme enceinte est prévisible.

On se rend compte qu'on discrimine en ne voulant pas « genrer » l'approche de la santé et les études de santé. Il est important d'avoir une approche genrée au cours des études de médecine, certaines maladies étant plus spécifiquement féminines ou ayant des symptômes spécifiques chez les femmes.

Il est important de développer des analyses genrées pour adapter les conditions de travail.

Laure Darcos. - Je m'associe aux félicitations adressées aux rapporteures. Il est important de montrer la spécificité de la santé des femmes. J'aurais aimé qu'avant le projet de loi sur les retraites nous ayons un projet de loi sur le travail, qui aurait permis de parler des conditions de travail, de la pénibilité et des carrières hachées des femmes.

Je souhaite que vos recommandations deviennent le vademecum des DRH de toutes les entreprises et fournissent des armes aux femmes qui souhaitent aller devant les prud'hommes. Je souhaite que ce rapport puisse également alimenter les discussions entre organisations patronales, syndicats et salariés et mette un « coup de projecteur » sur un sujet aussi important.

Marc Laménie. - Je félicite également nos quatre rapporteures pour ce travail de l'ombre. Vous avez mis en évidence les métiers que l'on a trop tendance à banaliser et qui peuvent pourtant être dangereux. Vous avez notamment mis en avant le risque « amiante » dans les écoles et hôpitaux pour les professions du nettoyage. Il faut que vos recommandations soient suivies de traductions législatives.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Avant qu'on ne passe au vote sur ce rapport, je souhaite à nouveau m'exprimer pour dire que je conçois parfaitement que mes collègues qui ont voté la réforme des retraites aient le même souci de cohérence que moi. En l'occurrence, j'ai voté contre la réforme des retraites en particulier pour ce qu'elle inflige aux femmes et je n'arrive pas à dissocier le sujet de la santé des femmes au travail de celui des conditions de travail dans lesquelles leur santé s'épanouit ou au contraire se dégrade. Or la durée du travail fait partie des conditions de travail.

Je considère que je fais deux concessions dans ce rapport : la question de l'environnement global de travail, avec la question de la réforme des retraites ; et celle du congé menstruel. Nous n'avons pas abordé le sujet de la réforme des retraites au cours des auditions, mais nous aurions pu le faire. Notre rapport d'information doit permettre de transformer en recommandations les informations qui nous ont été données.

Comme la délégation aux droits des femmes travaille dans le consensus, je vais voter le rapport et j'invite tous mes collègues à le voter.

Annick Billon, présidente. - Merci Madame la rapporteure.

S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : « Santé des femmes au travail : des maux invisibles ». Cette proposition vous convient-elle ?

Jean-Pierre Corbisez. - Le titre me convient. Il évoque des maux physiques invisibles. Avez-vous également abordé les maux psychiques et notamment la question du harcèlement au travail ?

Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Nous avons pris un spectre complet et traité également le sujet des risques psychosociaux.

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous avons aussi travaillé sur le harcèlement au travail.

Annick Billon, présidente. - Êtes-vous favorables à l'adoption des recommandations et à la publication du rapport ?

[Adoption des recommandations].

Le rapport et ses conclusions sont donc adoptés.

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Merci à tous !

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Audition du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE)
17 novembre 2022

Gilles LAZIMI

Co-président de la Commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE

Catherine VIDAL

Membre de la Commission « Santé, droits sexuels et reproductifs » du HCE, auteure du rapport « Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique » (HCE, décembre 2020)

Table ronde
« Santé des femmes et travail : une approche historique et sociologique »
8 décembre 2022

Elsa BOULET

Docteure en sociologie à l'université de Nantes, spécialiste des enjeux liés à la grossesse en milieu professionnel

Caroline DE PAUW

Docteure en sociologie, directrice de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) Médecins Hauts-de-France, chercheuse associée au Clerse (Université de Lille)

Muriel SALLE

Historienne, spécialiste de l'histoire des femmes

Audition de chercheuses de l'Institut national d'études démographiques (Ined)
12 janvier 2023

Constance BEAUFILS

Auteure d'une thèse sur L'inactivité professionnelle au cours du parcours de vie : un déterminant social de la santé des femmes aux âges élevés, réalisée à l'Université de Paris-Saclay et à l'Institut national d'études démographiques (Ined)

Émilie COUNIL

Chargée de recherche à l'Ined, chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), auteure de travaux de recherche sur les inégalités sociales de santé

Table ronde
« Prévention et santé au travail : l'expertise des professionnels de santé »
16 février 2023

Anne-Michèle CHARTIER

Présidente du Syndicat général des médecins et des professionnels des services de santé au travail (CFE-CGC)

Magali CHEVASSU

Psychologue du travail à l'AISMT 13 (Association interprofessionnelle de santé et de médecine du travail) Réseau Présanse

Carole DONNAY

Secrétaire générale de l'Association des médecins responsables de services nationaux de médecine du travail d'entreprise (Acomede)

Alice de MAXIMY

Fondatrice du collectif Femmes de Santé

Laëtitia ROLLIN

Maître de conférences universitaire, praticien hospitalier au sein du service santé au travail et pathologie professionnelle du CHU de Rouen

Table ronde
« Santé sexuelle et travail : quels aménagements possibles pour les femmes ? »
2 mars 2023

Brigitte LETOMBE

Gynécologue médicale, praticien hospitalier au CHRU de Lille et membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI)

Valérie LORBAT-DESPLANCHES

Co-fondatrice et présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose

Nathalie MASSIN

Endocrinologue, responsable du centre d'assistance médicale à la procréation au centre hospitalier intercommunal de Créteil

Virginie RIO

Co-fondatrice du Collectif BAMP !, association de patients de l'assistance médicale à la procréation et de personnes infertiles

Rachel SAADA

Avocate au barreau de Paris

Audition des rapporteures
« Cancer : maintien en emploi et retour au travail »
13 mars 2023

Caroline ALLEAUME

Docteure en Santé publique, auteure d'une thèse sur « Le retour au travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer »

Nathalie PRESSON

Directrice générale de l'association Cancer at work

Table ronde
« Santé des femmes au travail : des risques professionnels sous-estimés ? »
23 mars 2023

Agnès AUBLET-CUVELIER

Adjointe au directeur Études et recherche de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS)

Mélody BÉAUR-GUÉRIN

Ergothérapeute, ergonome, membre de l'Association nationale française des ergothérapeutes (ANFE), enseignante en ergothérapie à l'Université Paris-Est Créteil

Karine BRIARD

Économiste statisticienne à la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), auteure de l'étude « Conditions de travail et mixité : quelles différences entre professions, et entre femmes et hommes ? » (Dares, janvier 2023)

Florence CHAPPERT

Responsable du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)

Audition de représentants de la Direction générale du travail
du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion
30 mars 2023

Amel HAFID

Sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail

Heidi BORREL

Adjointe à la cheffe de la mission du pilotage de la politique et des opérateurs de la santé au travail

Moustapha AOUAR

Chargé de mission au sein du bureau de la durée et des rémunérations du travail

Sylvie THÉROUANNE

Chargée de mission au sein du bureau des relations individuelles du travail

Axelle HOUDIER

Chargée de mission

6 avril 2023

Table ronde sur les métiers du care

Béatrice BARTHE

Maître de conférences HDR en Ergonomie, experte et rapporteure de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

Catherine CORNIBERT

Directrice générale de l'association Soins aux Professionnels de Santé

Robin MOR

Directeur des affaires publiques de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH)

Table ronde sur les métiers de la grande distribution et de la propreté

Guillaume BOULANGER

Responsable de l'Unité Qualité des milieux de vie et du travail et santé des populations chez Santé publique France

François-Xavier DEVETTER

Professeur des universités au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), co-auteur de l'ouvrage Deux millions de travailleurs et des poussières. L'avenir des emplois du nettoyage dans une société juste

Annie THÉBAUD-MONY

Sociologue de la santé, directrice honoraire de recherches à l'Inserm, membre du Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle du Vaucluse (GISCOP 84, Université d'Avignon)

Marie-Christine LIMAME

Ancienne infirmière du travail, membre du Groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle du Vaucluse (GISCOP 84, Université d'Avignon)

13 avril 2023

Audition de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL)

Aminata NIAKATÉ

Avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Parité Égalité de l'UNAPL

Élise N'GUYEN

Chargée de mission affaires économiques à l'UNAPL

Table ronde sur les métiers de la représentation

-Thierry BOULANGER

Médecin du travail chez Thalie Santé, service de prévention et de santé au travail

Yann HILAIRE

Responsable des projets de prévention chez Thalie Santé

Ekaterina OZHIGANOVA

Ancienne mannequin, fondatrice de Model law, association française de défense et de protection des droits des mannequins

Gabrielle SCHüTZ

Sociologue du travail, auteure d'un livre intitulé Jeunes, jolies et sous-traitées : les hôtesses d'accueil

2 mai 2023

Audition des rapporteures

Agnès SETTON

Médecin du travail à l'AP-HP
(Hôpital de La Pitié-Salpêtrière)

Audition de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam)

Catherine GRENIER

Directrice des assurés

Anne THIEBEAULD

Directrice des risques professionnels

Pascal JAQUETIN

Directeur adjoint des risques professionnels

Table ronde sur les conséquences sur la santé des femmes
des violences sexistes et sexuelles au travail
4 mai 2023

Catherine CAVALIN

Sociologue de la santé, chargée de recherche CNRS à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso)

Florence CHAPPERT

Coordinatrice du projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)

Pauline DELAGE

Sociologue du genre, chargée de recherche au CNRS

Raphaëlle MANIÈRE

Membre du collectif Femmes-Mixité de la CGT, pilote de la cellule contre la violence sexiste et sexuelle au travail

Audition des partenaires sociaux
11 mai 2023

Diane DEPERROIS

Présidente de la commission Protection sociale du Medef

Olivier PERROT

Conseiller confédéral, représentant suppléant de la CGT au Comité national de prévention et de santé au travail (CNSPT) du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct)

- Pierre THILLAUD

Représentant titulaire de la CPME au Comité national de prévention et de santé au travail (CNSPT) du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct)

Céline VERZELETTI

Secrétaire confédérale de la CGT

Audition des rapporteures

16 mai 2023

Nora VIVIANI

Ancienne infirmière au Centre hospitalier Jacques Coeur de Bourges, chargée de mission « Qualité de vie au travail » au centre hospitalier George Sand de Bourges

6 juin 2023

Audition de l'association La Niaque L'asso

Sophie CARUSO

Fondatrice

Caroline GILLES

Bénévole

Audition des rapporteures

Karim BOUAMRANE

Maire de Saint-Ouen, sur la mise en place d'un congé menstruel pour les employées de la municipalité

Antoine RAISSEGUIER

Directeur général adjoint des services, Relations humaines - Éducation

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Syndicat CFTC

- Syndicat CGT

- Syndicat FO

- Fédération des entreprises de propreté

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Déplacement des rapporteures en Bretagne

Jeudi 1er juin 2023

Table ronde « Santé au travail des femmes en Bretagne : quelle stratégie face
à ces enjeux, quelles actions concrètes ? »

Emmanuel BERTHIER

Préfet de la région Bretagne, Préfet d'Ille-et-Vilaine

Véronique DESCACQ

Directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets)

Hélène AVIGNON

Responsable du pôle « Politiques du travail » à la Dreets

Véronique THOMAS

Responsable « Pilotage et relations de travail » à la Dreets

Françoise SOITEUR

Responsable de la politique de santé au travail à la Dreets

Thomas BONNET

Médecin inspecteur régional du travail à la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets)

Ahez LE MEUR

Directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE)

Sonia MAGALHAES

Directrice régionale adjointe aux droits des femmes et à l'égalité

Michel PETITOT

Vice-président du Conseil régional d'orientation des conditions de travail (Croct)

Laurence MARESCAUX

Médecin, personnalité qualifiée du Croct

Véronique BOUYAUX

Directrice de l'Agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract)

Florent ARNAUD

Chargé de mission à l'Aract

Nathalie BARISONI

Directrice des opérations à l'association CO-RÉSO

Thomas RICHE

Assistant social du travail à l'association CO-RÉSO

Anne POTEREL MAISONNEUVE

Chargée de mission « Démarches de progrès » à la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire (Cress)

Marie-Édith MACE

Présidente de l'association Agriculture durable par l'autonomie, la gestion et l'environnement (ADAGE 35), membre des Elles de l'ADAJ

Anaïs FOUREST

Coordinatrice de l'ADAGE 35

Présentation et échanges autour des deux expérimentations « Prise en compte du genre dans les diagnostics et actions de prévention », menées dans le secteur du transport de voyageurs et de l'agroalimentaire en Bretagne

Représentants de l'entreprise Linévia

François HERVIAUX

Président Directeur général

Nadège LE MORLEC

Directrice des ressources humaines

Pierre LEROY-BINARD

Conducteur, référent CSE Harcèlement sexuel

Géraldine DEVAL

Administration des ventes et suivi des achats, membre du CSE

Représentant de l'entreprise Primel

Régis LECOEUCHE

Directeur du site de Primel Gastronomie Plabennec (groupe Sill)

Déplacement des rapporteures à l'hypermarché Carrefour Paris Porte d'Auteuil
Mardi 6 juin 2023

Carine KRAUS

Directrice Exécutive de l'Engagement, membre du Comex du groupe Carrefour

Stephen BOMPAIS

Directeur Diversité et Inclusion et directeur de la communication interne et clients

Éloïse CHÉREAU

Responsable Diversité et Inclusion

Mathilde DÉNOUËL

Directrice de l'hypermarché Carrefour Paris Auteuil

Nathalie NAMADE

Directrice des affaires publiques

Nina STIEF

Attachée de direction et cheffe de projet RSE

Magali AUDIBERT

Cheffe de projet Communication interne

Francesca VICENTE

Pilote non alimentaire et Expérience clients Market - Direction concept et expérience clients

Anne-Sophie CHABAULT

Hôtesse de caisse

Katia ATTAL

Manager métier non alimentaire

Nadine ANES

Manager métier charcuterie/fromage/traiteur et boucherie

Sounia MOHAMED AZIZ

Conseillère de caisses

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

Chausser systématiquement les lunettes du genre : différencier n'est pas discriminer

1

Développer l'élaboration et l'exploitation, par les organismes producteurs de statistiques publiques, de données sexuées et croisées sur la sinistralité au travail

Dares, Cnam, MSA, Carsat, Santé Publique France

Statistiques publiques

2024

2

Faire de l'approche genrée
de la santé au travail
et de la conception de politiques de prévention spécifiquement dédiées aux femmes un des axes stratégiques principaux du prochain PST (2026-2030)

Ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion

5e plan santé au travail

2026

3

Sur le modèle du plan régional de santé au travail (PRST) de Bretagne, encourager l'ensemble des régions à intégrer, au sein de leur PRST, une analyse différenciée de l'évaluation des risques en fonction du sexe et des actions spécifiques dédiées à la prise en compte de la santé des femmes au travail dans toutes ses dimensions

Directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets)

Plans régionaux de santé au travail

2026

4

Faire appliquer par les employeurs l'obligation légale d'un Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) genré et les inciter à intégrer dans ce document des risques auxquels les femmes sont plus particulièrement exposées, tels que les violences sexuelles et sexistes au travail, les risques psychosociaux ou les TMS

Employeurs, partenaires sociaux

Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP)

2023

5

Inscrire dans le code du travail l'obligation d'une approche sexuée des risques professionnels au sein des fiches d'entreprise établies par la médecine du travail, par parallélisme avec le DUERP

Gouvernement (ministre chargé du travail)

Article D4624-37 du code du travail et arrêté du ministre chargé du travail

2024

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

Chausser systématiquement les lunettes du genre : différencier n'est pas discriminer

6

Former les professionnels de santé, et en premier lieu les médecins du travail, l'Inspection du travail, les préventeurs institutionnels et les DRH à une approche genrée de la santé au travail

Universités, ministère du travail, Carsat, Anact et Aract, services de prévention et de santé au travail, entreprises

Actions de formation

2024

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

Développer et adapter la prévention

7

Élaborer une Stratégie nationale globale pour la santé des femmes incluant un volet « santé au travail » et affirmer le rôle pivot de la médecine du travail dans le suivi de la santé des femmes au travail

Gouvernement

Stratégie nationale

2024

8

Généraliser le développement de maisons des soignants sur tout le territoire

Ministre chargé de la santé, hôpitaux, établissements de santé, associations

Construction de lieux dédiés

2024

9

Adapter les mesures de prévention primaire et secondaire aux caractéristiques anthropométriques et aux conditions de travail des femmes, notamment dans les secteurs à prédominance féminine

Préventeurs institutionnels, services de prévention et de santé au travail, entreprises, partenaires sociaux

Mesures de prévention

2024

10

Renforcer les sanctions légales à l'encontre des employeurs ne respectant pas les obligations d'aménagement de poste après un arrêt de travail de longue durée

Gouvernement, Parlement

Article L1225-1 à L1225-34 du code du travail et plus particulièrement article L1225-14

2024

11

Renforcer les moyens humains, notamment ceux de la médecine et de l'inspection du travail, dédiés au contrôle de l'application par les employeurs des mesures de prévention et de santé au travail

Gouvernement

PLFSS

PLFSS 2024

12

Encourager l'accès de toutes les femmes aux services de prévention et de santé au travail dans le cadre de leur parcours professionnel

Préventeurs institutionnels, services de prévention et de santé au travail, entreprises

Campagnes de communication

2024

PENSER LA SANTÉ AU TRAVAIL AU FÉMININ

Développer et adapter la prévention

13

Faciliter la reconnaissance en maladie professionnelle, d'une part, du cancer du sein en lien avec le travail de nuit, d'autre part, du cancer des ovaires en lien avec une exposition à l'amiante

Partenaires sociaux au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), Comités Régionaux de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP), Anses

Tableaux de maladies professionnelles, décisions de reconnaissance en maladie professionnelle

2024

14

Revoir la liste des critères de pénibilité en l'adaptant à la réalité des risques professionnels féminins

Gouvernement, Parlement

Articles L4161-1, D4161-1 à D4163-48, R4411-1 à R4544-11 du code du travail

2024

SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL :
NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

La prise en charge de l'endométriose et des pathologies menstruelles incapacitantes au travail :
un enjeu d'égalité professionnelle

15

Ajouter l'endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD 30), permettant de supprimer le délai de carence et donc les pertes financières en cas d'arrêts de travail répétés

Gouvernement

Décret modifiant l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale et son annexe

2024

16

Généraliser la mise en oeuvre du programme ENDOpro, développé par la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, aux employeurs privés et publics

Gouvernement, entreprises

Campagnes de communication, programme ENDOpro

2023

17

Inciter les branches à négocier des mesures d'aménagement des conditions de travail des femmes atteintes de pathologies menstruelles incapacitantes (poste de travail, temps et horaires de travail, évolution de carrière)

Gouvernement, partenaires sociaux

Négociations au sein des branches

2024

La grossesse, un état de santé particulier,
qui fait l'objet d'une stigmatisation persistante au travail

18

Assurer une meilleure communication des employeurs auprès des femmes enceintes sur l'ensemble de leurs droits pendant la grossesse

Gouvernement, entreprises

Campagnes de communication

2024

SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL :
NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

Le parcours, toujours semé d'embûches, de l'assistance médicale à la procréation (AMP)
pour les femmes qui travaillent

19

Étendre le régime des absences autorisées par la loi, dans le cadre d'un parcours d'AMP, afin notamment de permettre un accompagnement dans la durée des conjoints ou conjointes de femmes engagées dans ce parcours

Gouvernement

Article L1225-16 du code du travail

2024

20

Mettre en place une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité avec un volet « travail », renforçant notamment le rôle de la médecine du travail dans la diffusion d'information sur la prévention de l'infertilité

Gouvernement

Stratégie nationale

2024

21

Rendre les parcours d'AMP plus efficaces en incitant les professionnels de santé à s'adapter à la vie professionnelle des femmes qui les suivent

Gouvernement, professionnels de santé

Campagnes de sensibilisation des professionnels de santé

2024

SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE AU TRAVAIL :
NOUVEAU CHAMP DE CONQUÊTES SOCIALES POUR LES FEMMES ?

La ménopause : dernier des tabous féminins ?

22

Mieux informer, dans le milieu professionnel, les employeurs, les employés et les professionnels de santé sur la symptomatologie de la ménopause, et réfléchir à une adaptation des conditions de travail en conséquence

Gouvernement, préventeurs institutionnels, service de prévention et de santé au travail, Haute Autorité de Santé

Campagnes de sensibilisation

2024

23

Actualiser les recommandations de la Haute Autorité de Santé relatives aux traitements hormonaux de la ménopause

Haute Autorité de Santé

Recommandations de la Haute Autorité de Santé

2024

CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE (RAPPORT ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS)

Le lien vers le dossier « Santé des femmes »

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/sante-des-femmes-au-travail.html


* 1 Référence aux travaux canadiens de Karen Messing et Katherine Lippel dans le cadre du Partenariat pour le droit à la santé des travailleuses intitulé « L'invisible qui fait mal », qui associe des chercheuses en ergonomie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) aux structures syndicales québécoises responsables de la condition des femmes ou de la santé et sécurité du travail.

* 2 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 3 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 4 Article L461-6 du code de la sécurité sociale.

* 5 Loi relative à la politique de Santé publique du 9 août 2004.

* 6 https://orsbretagne.typepad.fr/tbsantetravailbretagne/20190516-FOCUS-TRAVAIL-FEMMES.pdf

* 7 CESE, Rapport sur les maladies chroniques, juin 2019.

* 8 Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

* 9 Anact, Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, juin 2022.

* 10 Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Les femmes seniors dans l'emploi, juin 2019.

* 11 Marion Gaboriau, Thèse de doctorat en sociologie intitulée « L'inaptitude au travail comme dispositif : De la production institutionnelle aux jugements en situation : le cas de la ville de Paris », décembre 2021.

* 12 Dares, Conditions de travail et mixité : quelles différences entre professions, et entre femmes et hommes ?, janvier 2023.

* 13 Anact, Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe entre 2001 et 2019, juin 2022.

* 14 Taux de fréquence des maladies professionnelles = nombre de maladies sur le nombre d'heures travaillées x 1 000 000.

* 15 Indice de gravité des maladies professionnelles = somme des taux d'incapacité permanente partielle sur la somme des heures de travail x 1 000 000.

* 16 Assurance Maladie, Les affections psychiques liées au travail : éclairage sur la prise en charge actuelle par l'Assurance Maladie - Risques professionnels, Rapport Santé travail : enjeux & actions, janvier 2018.

* 17 Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Le Sexisme dans le monde du travail entre déni et réalité, mars 2015.

* 18 Catherine Cavalin, Maïté Albagly, Claude Mugnier, Marc Nectoux, avec la collaboration de Claire Bauduin, 2016, « Le coût des violences au sein du couple et de leur incidence sur les enfants en France en 2012 : synthèse de la troisième étude française de chiffrage (2014) », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, numéro spécial « Violences dans le couple », 19 juillet, p. 390-398. https:invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/22-23/2016_22-23_2.html

* 19 Lloyd Anna, Dugas Julien, Fouquet Natacha, Geoffroy Clara, Robert Maëlle, Roquelaure Yves, Chazelle Émilie, Mieux connaître les facteurs de risque de troubles musculo-squelettiques chez les salariés de la santé humaine et de l'action sociale, pour mieux lutter contre. Étude Sumer 2016-2017, février 2022.

* 20 Dares, Les métiers du nettoyage : quels types d'emploi, quelles conditions de travail ?, 2019.

* 21 Fouquet Aurélie, Robert Maëlle, Wendling Jean-Michel, Léonard Martine, Boiselet Émilie, Garras Loïc, Smaïli Sabira, Homère Julie, Sambany Emercia, Chatelot Juliette, Les maladies à caractère professionnel chez les salariés de la grande distribution alimentaire en France. Résultats 2009-2016, septembre 2021.

* 22 Article 20 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 23 Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

* 24 Qualité de vie et des conditions de travail.

* 25 Déclaration en vue de favoriser le caractère opérationnel d'une approche différenciée selon le sexe dans l'évaluation et la prévention des risques professionnels.

* 26 https://bretagne.dreets.gouv.fr/sites/bretagne.dreets.gouv.fr/IMG/pdf/prst4-web-def.pdf

* 27 https://orsbretagne.typepad.fr/tbsantetravailbretagne/20190516-FOCUS-TRAVAIL-FEMMES.pdf

* 28 Loi n° 2014-873.

* 29 « L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l'organisation du travail et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe ».

* 30 Déclaration en vue de favoriser le caractère opérationnel d'une approche différenciée selon le sexe dans l'évaluation et la prévention des risques professionnels.

* 31 « Women Health Strategy for England » présenté au Parlement britannique le 20 juillet 2022.

* 32 Question écrite n°23410.

* 33 Loi n° 2016-1088.

* 34 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-105.html

* 35 Cet accord n'a pas été signé unanimement par les partenaires sociaux puisque la CGT n'en est pas signataire.

* 36 Les CHSCT concernaient les entreprises d'au moins 50 salariés.

* 37 Le décret n° 2022-681 du 26 avril 2022 précise les modalités de la mise en oeuvre de l'affiliation des travailleurs indépendants au service de prévention et de santé au travail interentreprises de leur choix et fixe les conditions d'organisation de la prévention des risques professionnels auprès des salariés d'entreprises extérieures. Il précise également les modalités de la réalisation d'une expérimentation relative à la prévention des risques pour les travailleurs des entreprises de travail temporaire, prévue à l'article 24 de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, ainsi que celles relatives à son évaluation.

* 38 Le cancer du larynx est également cité dans cette étude.

* 39 HCE, La santé et l'accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité, 2017.

* 40 « L'endométriose au travail : les conséquences d'une maladie chronique féminine mal reconnue sur la vie professionnelle » - étude d'Alice Romerio pour le Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) - Novembre 2020.

* 41  https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-537.html

* 42  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1219_proposition-loi#

* 43 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel

* 44 La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu cette autorisation d'absence aux actes médicaux nécessaires à une assistance médicale à la procréation (AMP). En outre, le conjoint salarié de la femme enceinte ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation bénéficie également d'une autorisation d'absence pour se rendre à trois de ces examens médicaux obligatoires ou de ces actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d'assistance médicale.

* 45 Modifié par la loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle.

* 46 Certains accords n'offrent cette réduction qu'à partir du troisième ou quatrième mois de grossesse, voire encore plus près du terme. D'autres l'accordent dès le début de la grossesse. L'intéressée est libre d'en bénéficier ou pas.

* 47 Elles bénéficient pendant cette suspension d'une garantie de rémunération composée d'une allocation journalière d'incapacité au travail (CSS, art. L. 333-1) et d'un complément à la charge de l'employeur ( C. trav., art. L. 1225-10).

* 48  https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21229

* 49 Les quatre autres indicateurs correspondent à : l'écart de rémunération femmes-hommes (40 points), l'écart dans les augmentations annuelles (20 points), l'écart dans les promotions (15 points) et la part des femmes dans les dix plus hautes rémunérations de l'entreprise (10 points).

* 50 Thèse de Solène Vigoureux, sous la direction de Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, publiée en 2018 - Évolution de l'activité professionnelle des femmes pendant la grossesse en France : Enquêtes nationales périnatales de 1972 à 2016.

* 51  https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-417.html

* 52 Étude 1 000 dreams publiée par Alice D. Domar, se rapportant à une enquête quantitative internationale réalisée en ligne en début d'année 2019 sur 2 000 femmes et leurs partenaires, dont 200 couples français.

* 53 Le conjoint salarié de la femme enceinte ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation bénéficie d'une autorisation d'absence pour se rendre à trois de ces examens médicaux obligatoires ou de ces actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d'assistance médicale. Cela signifie donc que si le parcours échoue et que le couple doit entrer dans un nouveau protocole, le salarié peut à nouveau s'absenter pour trois de ces actes médicaux. Le Collectif BAMP !, auditionné par la délégation le 2 mars 2023, avait activement milité pour la mise en place de ce dispositif par le législateur.

* 54 Rapport sur les causes de l'infertilité - Vers une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité, du professeur Samir Hamamah et Mme Salomé Berlioux - février 2022.

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