B. UNE DÉGRADATION PRÉOCCUPANTE DU BUDGET DE L'INSTITUT

Les dépenses de l'IRSN ont plus rapidement augmenté que les recettes au cours des dernières années (à l'exception de 2020, dont le recul est lié à la pandémie), d'où un effet ciseau sur le budget de l'Institut.

1. Des dépenses croissantes, essentiellement liées à la masse salariale
a) Un poids déterminant des dépenses de personnel

Les dépenses de l'IRSN s'élevaient à 283,9 millions d'euros en 2022. Plus de la moitié est consacrée à la rémunération des personnels de l'IRSN, les dépenses de fonctionnement de l'Institut s'élevant à près de 40 % contre une part très minoritaire des dépenses d'investissement.

Répartition des dépenses de l'IRSN par nature en 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique

S'agissant de l'évolution des recettes de l'IRSN, la dernière décennie a été marquée par la baisse importante en 2014 des moyens en provenance du programme 190, de l'ordre de 20 millions d'euros. En conséquence, les dépenses exécutées sur la période ont été progressivement réduites de 295 millions d'euros en 2014 à 266 millions d'euros en 2019 et 2020.

Le niveau d'activité de l'Institut ayant été en parallèle maintenu, la contraction des dépenses s'est concentrée sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement, qui ont diminué respectivement de 10,5 millions d'euros et de 6,6 millions d'euros entre 2015 et 2022.

Le corolaire de cette évolution est que la part des dépenses de personnel a continué de croître en volume, comme l'indique le graphique ci-dessous.

Évolution des dépenses de l'IRSN par titre

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique

b) L'impact des évolutions salariales accentué au cours des dernières années

Au-delà des effets de structure, les dépenses liées à la masse salariale de l'IRSN ont augmenté de 14 millions d'euros entre 2013 et 2022, pour atteindre 152,8 millions d'euros. Cette évolution correspond à une hausse de 10 % des dépenses de personnel en 10 ans.

Cette croissance découle de l'évolution des rémunérations, dans la mesure où le nombre de salariés a diminué de 83 ETPT entre 2015 et 2022. Au cours des dix dernières années, le nombre de salariés a diminué de 2,6 % et, au 31 décembre 2022, 1 744 personnes étaient employées par l'IRSN.

Évolution des dépenses de personnel de l'IRSN

(en ETPT et en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique

Les salaires des personnels ont en effet augmenté du fait des revalorisations de la rémunération moyenne des personnels en place (RMPP), notamment liées à l'inflation. Comme l'indique le graphique ci-dessous, la croissance de la RMPP qui s'est ralentie, est proche de 2 % en début de période et de 1,7 % les dernières années. La forte inflation constatée en 2022 a entraîné un rehaussement de la RMPP à + 3,7 %.

Hausse moyenne annuelle de la rémunération des personnels de l'IRSN
depuis 2013

(en %)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

Le contrat d'objectifs et de performance 2019-2023 de l'IRSN prévoyait un objectif portant sur le renforcement de la maitrise de la masse salariale. L'indicateur n°30 prévoyait que l'écart entre la variation annuelle des dépenses de personnel et de fonctionnement et la variation des recettes, hors financements spécifiques, soit systématiquement inférieur à 0. Cet objectif n'a pas été atteint en 2019 (1,9) et en 2021 (0,07) et a uniquement été atteint en 2020 (-3,9).

S'agissant du plafond d'emplois de l'IRSN, après un léger sureffectif de 20,7 ETP (à 1 607,5 ETP) constaté début 2021, l'écart constaté en 2022, a été résiduel entre le montant d'ETPT réalisé (1 661 ETPT) et la prévision effectuée en budget rectificatif (1 684 ETPT) ce qui est donc satisfaisant. Le plafond d'emplois de l'IRSN a augmenté de 12 ETPT en LFI 2023, et devrait atteindre 24 ETPT supplémentaires en 2025 par rapport à 2022.

Une tentative de limitation de la croissance des dépenses de personnel :
le plan Noria

Dans un contexte d'accroissement de la dépense de masse salariale, l'IRSN a mis en oeuvre à partir de 2020 un accord salarial dont l'objectif était d'engager une politique de recrutement amplifiant l'effet de noria.

Cet accord prévoyait d'inciter aux départs en haut de la grille salariale et de remplacer ces salariés par des recrutements de jeunes ingénieurs qui bénéficieront du développement du tutorat, de la montée en puissance de l'université interne et des dispositions mises en oeuvre depuis 2012 pour le management des connaissances.

D'après la DGPR, le plan Noria a été introduit comme un « dispositif visant à réguler la dynamique de la masse salariale de l'IRSN, liée aux caractéristiques et à la démographie de la population de l'IRSN, de tout en évitant la perte excessive de compétences liée au départ des salariés les plus expérimentés ».

Le plan Noria, clos en juin 2021, devrait permettre de dégager des économies sur les dépenses salariales à hauteur de 3 millions d'euros en 2024, sur les 8 millions initialement attendus.

La majeure partie des salariés de l'IRSN est employée en contrat à durée indéterminée (CDI), les contrats à durée déterminée (CDD) ne représentant que 9 % des emplois, en très grande majorité des ingénieurs-chercheurs. Les cadres représentent les trois quart de l'effectif total de l'Institut, eux-mêmes étant essentiellement des ingénieurs-chercheurs, ce qui explique la rémunération moyenne élevée de l'Institut (4 419 euros en 2019 d'après la Cour des comptes).

Répartition par statut du personnel de l'IRSN

Source : commission des finances d'après l'IRSN

c) Des dépenses de fonctionnement stables

Les dépenses de fonctionnement de l'Institut représentent en 2022 110 millions d'euros. Elles se sont stabilisées depuis 201731(*), ce qui témoigne d'une maîtrise de la dépense dont le rapporteur spécial se félicite.

Une part de ces dépenses est consacrée au versement de crédits à d'autres opérateurs, en particulier au CEA. L'IRSN a versé en 2022 à ce dernier 12,1 millions d'euros pour le réacteur de recherche Cabri, exploité par le CEA et 10,5 millions d'euros concernant les sites que l'IRSN partage avec le CEA (à Fontenay-aux-Roses et à Cadarache). Plus largement, les dépenses liées à des sous-traitances représentent 58,8 millions d'euros.

Les autres dépenses de fonctionnement pour 36,3 millions d'euros comprennent en particulier les achats de petits matériels, l'entretien/réparation et les coûts énergétiques. Les missions et déplacements représentent enfin 5 millions d'euros.

2. Des capacités d'investissement très limitées qui interrogent sur la soutenabilité budgétaire de l'Institut
a) Des investissements structurants qui ont durablement dégradé le solde de l'Institut et entraîné une chute des dépenses d'investissement
(1) Une forte contraction des dépenses d'investissement

Les dépenses d'investissement ont été les premières à subir l'impact de la diminution des recettes de l'Institut au cours de la dernière décennie. Elles sont passées de 23,3 millions d'euros en 2013 à 14,4 millions d'euros en 2021.

Cette situation a alerté dès 2021 la Cour des comptes, qui s'inquiétait d'une situation financière « déséquilibrée et fragile », non soutenable sur la durée. La Cour a notamment souligné le poids, dans les comptes de l'IRSN, que représente l'actif immobilisé, en lien notamment avec les investissements dans les plateformes techniques. Les immobilisations pour Cabri représentent ainsi 106 millions d'euros.

Cette diminution de l'investissement s'est traduite par une baisse constante des immobilisations nettes de 85 millions d'euros en cinq ans depuis 2017.

Évolution des investissements de l'IRSN depuis 2013

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses du ministère de la transition énergétique

La mission flash de juillet 2022 précédemment mentionnée a comparé le ratio investissement/budget total de différents établissements publics. Là où ce ratio atteint 20 % pour le CEA et 13 % pour l'Ifremer, il ne s'élève qu'à 4 % pour l'IRSN.

(2) Un déficit comptable structurel de l'IRSN qui devrait être amené à s'accroître

La baisse brutale des ressources en 2014 a pu, selon la mission de juillet 2022, être palliée « par l'absence de dotations aux amortissements dans les dépenses du budget, engendrant une dégradation profonde et durable du résultat patrimonial », rendue possible par l'application à partir de 2016 du décret sur la gestion budgétaire et comptable publique de l'État (GBCP) à l'IRSN. En d'autres termes, l'IRSN n'a pas reconstitué ses réserves après les investissements très importants consentis entre 2013 et 2015, en particulier le financement du réacteur Cabri.

En conséquence, l'IRSN cumule un grand nombre de déficits comptables depuis 2016. Il atteint ainsi -12,7 millions d'euros en 2022. Ce solde structurellement négatif s'inscrit dans le contexte des fortes provisions de démantèlement de l'IRSN, de l'ordre de 35 millions pour Cabri.

Cette situation devrait, sans modification du niveau de recettes, se prolonger au cours des prochaines années. Les prévisions pour 2024 et 2025 anticipent des soldes budgétaires dégradés d'une part du fait du maintien du niveau d'activité dans un contexte d'inflation sans augmentation de ressource pour 3 à 4 millions d'euros annuels, d'autre part par la mobilisation des moyens liés au plan de relance.

Déficit prévisionnel jusqu'en 2025

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'IRSN

Le fonds de roulement de l'Institut sera négatif à partir de 2023 pour financer le maintien du niveau d'activité. En l'absence de financement complémentaire, le fonds de roulement disponible, retraité des provisions, devrait se dégrader jusqu'en 2025.

Évolution du fonds de roulement de l'IRSN

(en millions d'euros)

 

2022

2023

2024

2025

Solde budgétaire

- 0,2

- 2,8

- 6,4

- 5,6

Niveau du fonds de roulement

20,5

14,8

8,4

2,8

Niveau du fonds de roulement disponible

 

- 3,8

- 7,6

- 11,4

Source : commission des finances d'après l'IRSN

La capacité d'autofinancement (13,2 millions d'euros en 2022) et la trésorerie de l'établissement (32,2 millions d'euros) restent néanmoins positives. Toutefois, selon l'IRSN, la trésorerie devrait être négative dès l'année prochaine.

La situation de l'IRSN a ceci de paradoxal que les dépenses liées à la masse salariale sont croissantes au cours des dernières années, mais que les budgets des dernières années de l'Institut n'ont pu être équilibrés que grâce à la sous-réalisation des dépenses de personnel. Dans un contexte d'accroissement à venir de l'activité, cette sous-consommation ne pourrait qu'entraîner une tension dommageable sur les ressources humaines.

b) Une faible capacité d'investissement qui pourrait rendre difficilement soutenable la poursuite à moyen terme de certaines activités de l'IRSN

La principale conséquence de cette situation budgétaire est la fragilisation de la capacité de l'Institut de faire face à des investissements importants au cours des prochaines années.

Or, le patrimoine immobilier vieillissant requiert encore d'importants travaux, qui seront présentés infra. À l'heure actuelle, ceux-ci ne peuvent être budgétés. En outre, la situation est d'autant plus problématique que les interlocuteurs entendus par le rapporteur spécial soulignent la dégradation et le vieillissement de certains équipements scientifiques.

Cette situation inquiétante ne peut qu'interroger. Plusieurs des rapports de contrôle s'en sont d'ailleurs émus au cours des dernières années. Le HCERES souligne que « l'IRSN est d'ores et déjà face à une équation complexe à résoudre pour garantir la soutenabilité des activités de recherche et d'expertise ». La mission flash de 2022 que « l'IRSN est désormais incapable de financer la réalisation d'investissements significatifs ou de faire face à la défaillance d'un équipement scientifique lourd ». La DGPR indique également que, au-delà des tensions sur leur financement, certains investissements subissent déjà des reports, à l'instar du LATAC au Vésinet, nouveau laboratoire destiné à l'analyse des échantillons en cas de crise.


Les thèmes associés à ce dossier