II. « NOUS SOMMES PRÊTS À CE QUE LE SÉNAT SOIT LE CHEF DE FILE DE LA SIMPLIFICATION », GÉRARD LARCHER, PRÉSIDENT DU SÉNAT

Monsieur le ministre, cher Christophe Béchu, Madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, chère Françoise Gatel, Monsieur le président de la Commission des lois du Sénat, cher François-Noël Buffet, Monsieur le premier vice-président chargé de la simplification de la délégation aux collectivités territoriales, cher Rémy Pointereau. Je voudrais également saluer le travail et la présence du représentant du Conseil national d'évaluation des normes, Arnaud Bazin. Mes chers collègues sénateurs, Monsieur le président de l'association des maires de France, Mesdames et Messieurs les représentants des associations d'élus, Madame la secrétaire générale du Gouvernement, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'État, Mesdames et Messieurs les professeurs et étudiants que je vois nombreux et que nous accueillons avec beaucoup de plaisir.

Je suis heureux de me retrouver parmi vous aujourd'hui pour une thématique aussi importante pour les élus locaux. Je vois que l'empreinte du Sénat est forte, car nous sommes bien, constitutionnellement, cette chambre représentante des collectivités territoriales, mais aussi un lieu où nous nous posons des questions avec pragmatisme.

C'est ce pragmatisme et l'intérêt national qui m'ont empêché d'être avec vous ce matin, l'actualité parlementaire m'ayant en effet obligé à présider une séance à l'issue d'une commission mixte paritaire conclusive.

Je sais que le Sénat était très bien représenté par Françoise Gatel, à l'origine de ces États généraux avec son premier vice-président, Rémy Pointereau. Une rencontre qui s'inscrit dans un long travail mené par le Sénat, et tout particulièrement par notre délégation aux collectivités territoriales, en lien avec l'association des maires de France, mais aussi avec le CNEN, ce qui me permet de saluer Alain Lambert que vous avez vu en vidéo.

Le rapport sur les normes applicables aux collectivités territoriales propose, selon son intitulé, « d'oser une thérapie de choc face à l'addiction ». C'était le 26 janvier dernier et vous en avez largement débattu ce matin. C'est aussi le fruit d'un important travail de concertation, une manière de travailler de la délégation.

L'objectif est simple : proposer des mesures concrètes, et j'insiste sur cet adjectif, en vue de limiter cette inflation normative effrénée. Nous en parlons depuis longtemps, et j'ai moi-même appartenu à deux gouvernements qui s'étaient engagés à un moratoire, mais la définition de ce mot était sans doute différente de celle donnée par l'Académie.

Il n'y a pas un déplacement où les élus locaux ne nous parlent pas de ce carcan normatif. Je pense ainsi au droit de l'urbanisme. Christophe Béchu l'a cité : le seul Code de l'urbanisme a vu son nombre de mots augmenter de 40 % en vingt ans. Aujourd'hui, la complexité du droit est telle que la plupart des maires sont obligés de faire appel à des cabinets extérieurs pour rédiger leurs documents d'urbanisme, et ce sur les injonctions des services de l'État. Ils ont perdu le pouvoir d'agir, ce qui est pour moi une vraie préoccupation. Je le dis devant un membre éminent du Conseil d'État : cette complexité rend quasiment impossible un pouvoir pourtant fondamental qui nous a été donné par les textes portant décentralisation, c'est-à-dire le pouvoir d'agir, de rédiger, bien sûr dans un dialogue avec les services de l'État et les autres collectivités territoriales.

Nous avons mis en place un groupe de travail sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation. Au-delà du premier sujet, il y a bien sûr le sujet de l'autonomie fiscale et financière, mais il faut retrouver une capacité à prendre un certain nombre de décisions, une capacité à agir.

Je ne doute pas, avec les interventions des représentants d'associations des maires de France et des différents participants à cette réunion, que nous puissions aboutir à quelque chose de concret, et passer du colloque, de la réunion, du rapport, à la mise en oeuvre concrète.

Le coût pour les collectivités est de plus de 2,5 milliards d'euros en 2022, chiffre recoupé entre le CNEN et la DGCL. Je sens parfois les maires las, comme nous le constatons avec le nombre important de démissions.

La délégation aux collectivités territoriales a proposé de revoir la manière d'aborder le sujet. Au lieu de ne s'intéresser qu'aux conséquences de l'inflation normative, vous avez décidé de vous positionner en amont sur la fabrique de la norme.

Je ne vais pas revenir sur les propositions détaillées à l'occasion de la deuxième table ronde. Je sais que le professeur Olivier Renaudie a suggéré que le Sénat soit le chef de file de cette simplification, et nous sommes prêts à assumer cette tâche, avec un état d'esprit totalement trans-groupe, et pas pour un objectif qui pourrait être vu comme politique. Il s'agit d'un objectif d'intérêt général du pays.

Je vous ai entendu dire, Monsieur le ministre, qu'il fallait faire attention à ne pas compliquer les choses. Voilà pourquoi je suis dans la joie après vous avoir écouté, après la Convention citoyenne sur le climat, où nous avions marqué quelques interrogations sur l'introduction rapide dans la Constitution. Cela ne veut pas dire qu'il ne s'agit pas de sujets majeurs, mais il faut nous méfier de faire de la Constitution le catalogue des droits sociaux et sociétaux. Je ne suis pas un constitutionnaliste aussi brillant que certains d'entre vous, mais le pragmatisme d'expérience du vétérinaire que je suis, converti au Sénat depuis un certain temps, m'amène à penser que, sur ce sujet, le principe de précaution médicale n'est pas inutile.

Je rejoindrai les propos d'Alain Lambert, qui a rappelé que chacun contribue à son niveau à cette inflation normative. Dans une vision théologique catholique qui n'est pas la mienne, je vous dirai : attention, le péché vient de partout. D'où la nécessité de s'auto-discipliner, comme le rappelait Françoise Gatel. Pour cela, la présence de différentes associations d'élus est importante. Elle traduit une volonté collective de trouver une issue à cette addiction collective, comme le soulignait Alain Lambert. Votre présence à nos côtés, Monsieur le ministre, est également symbolique. Elle témoigne que le Gouvernement tente de travailler différemment. La charte d'engagements qui va être signée dans quelques instants va montrer cette volonté commune d'avancer. Cette charte ne constitue pas une fin en soi, et d'autres ont déjà été signées qui sont restées parfois à l'état de charte. Celle-ci se veut comme le commencement d'une nouvelle ère où la réalité du terrain doit primer sur la tentation permanente de légiférer, trop légiférer, sur-légiférer.

En tant que parlementaires, nous devons aussi nous freiner. Désormais, le Gouvernement et les parlementaires que nous sommes se demanderont, en fonction des études d'options proposées, s'il est vraiment utile d'adopter tel ou tel texte de loi, qui ne doit pas être la réponse impulsive à un événement récent arrivé dans le pays, même dramatique. Je me méfie des lois de pulsion. Le Conseil des anciens, qui préfigurait le Sénat moderne, voulait bien donner cette mission d'éviter les pulsions pour être un balancier stabilisateur des institutions. Nous n'avons toujours pas de véritables études d'impact préalables à la loi, ce qui pourtant nous aurait évité quelques difficultés sur un débat que vous reprendrez ce soir à propos de la loi Climat et Résilience.

Cette nécessité de mettre la simplification au coeur de nos réflexions me paraît être l'un des fils rouges que nous nous sommes donnés dans le travail que nous menons sur la décentralisation. Nous devrions publier un rapport à la fin du printemps, à l'occasion du feu de Saint-Jean, qui doit être un feu de bonheur, d'espérance et de renouvellement.

Notre objectif est simple : redonner aux maires le pouvoir d'agir. Je vous propose maintenant de passer à la signature, et je vous annonce publiquement que nous allons faire vivre cette charte ensemble, avec les élus locaux et avec vous, Monsieur le ministre. Nous avons la volonté que cette signature commune ne soit pas la conclusion, mais au contraire le préambule, d'un futur où nous sortons de cette hyper-normalisation de notre vie.

Merci beaucoup de votre attention.

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