B. LES DISPOSITIONS DE L'ORDONNANCE NE SEMBLENT PAS DE NATURE À RÉSOUDRE LES INSUFFISANCES CONSTATÉES ET POURRAIENT REMETTRE EN CAUSE LA LOGIQUE ASSURANTIELLE DU RÉGIME
Alors que l'évolution des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle s'agissant du phénomène de RGA est encore incertaine puisque renvoyée à des textes réglementaires, l'ordonnance comporte plusieurs aspects de nature à limiter significativement l'éligibilité des sinistrés au régime d'indemnisation et à remettre en cause sa logique assurantielle.
Ainsi, l'ordonnance entend-elle réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves , c'est-à-dire, « aux dommages susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment » . Les dommages qui ne seraient pas de nature à remettre en cause la solidité et l'utilisation normale du bâtiment, qualifiés « d'esthétiques », ne feraient plus l'objet d'indemnisations.
Le rapporteur note que cette option pose plusieurs difficultés . La définition des critères objectivables des sinistres qui seraient éligibles aux indemnisations ne serait pas sans poser des risques juridiques et fera sans aucun doute l'objet de contentieux.
Par ailleurs, le fait d'exclure potentiellement une partie aussi significative des sinistrés et des dommages tend à remettre en cause la logique assurantielle du régime selon laquelle le versement de la surprime ouvre le droit à une indemnisation en cas de dommage lié à un phénomène qualifié de catastrophe naturelle. Le rapporteur craint qu'un profond sentiment d'inégalité n'anime les sinistrés qui, pensant qu'ils étaient couverts par un dispositif de nature assurantielle et malgré qu'ils aient acquitté la surprime, se verront refuser l'éligibilité à l'indemnisation. Cette solidarité nationale à deux vitesses ne manquera pas de susciter incompréhensions et contentieux.
Enfin, d'un point de vue de l'efficacité même et de l'équilibre financier du régime, exclure les dommages non structurels de l'indemnisation est contestable . En effet, nombre de ces dommages pourront , s'ils ne font pas l'objet d'une prise en charge rapide, dégénérer , au cours d'épisodes de sécheresses ultérieurs, en des sinistres beaucoup plus graves et onéreux pour le régime CatNat. Si le rapporteur prend note que la formulation adoptée par l'ordonnance , qui retient les « dommages « susceptibles » d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment », pourrait permettre d'inclure les petits sinistres qui pourraient être amenés à prendre de l'ampleur, cette rédaction ne lui paraît pas être une garantie suffisante dans la mesure où son interprétation et son opérationnalité lui apparaissent particulièrement incertaines. Plutôt que de les exclure du dispositif, le rapporteur considère qu'il serait plus pertinent de rendre éligibles ces dommages aux nouvelles méthodes de réparation dites « horizontales », moins coûteuses que les reprises de fondation actuellement mises en oeuvre.
Si l'ordonnance ne le prévoit pas, le rapporteur craint par ailleurs que le Gouvernement ne prévoie d'augmenter le niveau de franchise pour consolider l'équilibre financier de court-terme du régime. Cette option, que l'exécutif reconnaît comme étant l'un des leviers de financement susceptibles d'être mobilisés, ne doit être activée qu'avec la plus grande prudence afin d'éviter que certains sinistrés ne procèdent pas aux réparations nécessaires de leurs logements. En cas d'augmentation du seuil de franchise, et pour se prémunir du risque d'éviction des foyers modestes, un fonds public pourrait être envisagé pour prendre en charge une partie de son montant sur la base de critères socio-économiques .
De façon générale, le rapporteur considère qu' il n'apparaît pas raisonnable de chercher à résoudre le problème de financement du régime de couverture du risque RGA en raisonnant de façon court-termiste et en remettant profondément en cause la philosophie ainsi que le principe assurantiel de cette prise en charge.
Les limites de l'ordonnance conduisent à ne pas suffisamment prendre en considération la problématique, certes plus difficile à appréhender, profondément humaine, voire affective, posée par le traitement du risque RGA. Des individus et des familles, parfois modestes, ont bien souvent le sentiment d'avoir perdu le fruit d'une vie de travail, leur unique patrimoine matériel. Le désespoir qui peut être généré par ce phénomène est saisissant et ne peut être ignoré par des considérations purement budgétaires.
Une réforme de la prise en charge du risque RGA ne devrait pas, dans une logique d'équilibre financier de court-terme, remettre en cause la logique et le caractère assurantiel du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.
Une autre disposition prévue par l'ordonnance inquiète le rapporteur . Il s'agit de l'obligation, pour les sinistrés, d'utiliser le montant de l'indemnisation pour réparer les dommages occasionnés sur leur habitation. L'ordonnance prévoit ainsi que, pour les sinistres consécutifs au risque RGA, « l'indemnité due par l'assureur doit être utilisée par l'assuré pour réparer les dommages consécutifs aux mouvements de terrain différentiels » . Cette disposition rendrait inéligible à indemnisation un particulier sinistré qui préférerait changer de lieu de résidence , notamment pour ne plus être exposé au risque RGA. Le rapporteur considère qu'une telle disposition serait inéquitable dans la mesure où, parfois, la décision de démolir une habitation sinistrée serait plus pertinente que d'engager de lourds travaux de réparation, notamment si cette dernière présente un mauvais diagnostic thermique.
Recommandation n° 1 : maintenir l'éligibilité au dispositif d'indemnisation des particuliers qui décident d'abandonner leur habitation sinistrée.
L'obligation faite aux sinistrés d'utiliser l'indemnisation pour réparer les dommages au bâti pourrait même conduire à encourager un phénomène inopportun qui pèse particulièrement lourd sur l'équilibre financier du régime CatNat, à savoir des réparations pour des coûts extrêmement élevés, parfois très supérieurs au coût moyen d'une reconstruction complète . Ainsi, d'après la CCR, sur la période 2011-2020, 1,4 % des sinistres , soit environ 170 dossiers par an, dépassent les 183 000 euros , c'est-à-dire le coût moyen de construction d'une maison individuelle. Toujours selon les données de la CCR, à eux seuls, ces quelques dossiers pèsent 11 % du coût de la sinistralité du risque RGA.
Il semble nécessaire d'expertiser de façon plus fine ces dossiers et de conduire des contrôles a priori et a posteriori dans un objectif de bonne gestion financière du régime CatNat.
Recommandation n° 2 : conduire une expertise et mettre en oeuvre des contrôles renforcés et systématiques sur les dossiers d'indemnisation dont le montant dépasse le coût moyen de construction d'une maison individuelle.