Rapport d'information n° 334 (2022-2023) de MM. Cédric PERRIN et Jean-Marc TODESCHINI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 8 février 2023
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L'ESSENTIEL
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I. IL EST TEMPS DE « CHANGER DE
LOGICIEL » : L'ÉPOQUE DES « DIVIDENDES DE LA
PAIX » EST DÉFINITIVEMENT RÉVOLUE
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II. LA DISSUASION NUCLÉAIRE, GARANTIE ULTIME
DE SÉCURITÉ, N'A RIEN PERDU DE SON ACTUALITÉ MAIS NE
JUSTIFIE PAS DE BAISSER LA GARDE DANS LE DOMAINE CONVENTIONNEL
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III. SOIT LA FRANCE SERA UN ALLIÉ EXEMPLAIRE
AU SEIN DE L'OTAN, SOIT ELLE SERA MARGINALISÉE
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IV. CONDUIRE UNE GUERRE À L'ÈRE
NUMÉRIQUE NÉCESSITE SOUPLESSE, RÉACTIVITÉ ET
CAPACITÉ À FÉDÉRER LES INITIATIVES
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V. LE RETOUR DE LA HAUTE INTENSITÉ NOUS
OBLIGE À REVENIR AUX FONDAMENTAUX DES CONFLITS ARMÉS
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VI. IL FAUT GÉNÉRALISER LA
PRÉSENCE DE DRONES DANS LES UNITÉS EN TANT QU'OUTIL DE
RECONNAISSANCE MAIS AUSSI DE FRAPPE
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VII. LA FORCE MORALE ET LA COHÉSION DE LA
NATION SE PRÉPARENT EN AMONT
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VIII. L'« ÉCONOMIE DE
GUERRE » : PASSER DES MOTS AUX ACTES
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IX. LA PROCHAINE LPM DOIT CONSOLIDER UN CERTAIN
NOMBRE DE CAPACITÉS CLEFS
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X. L'HYPOTHÈSE D'ENGAGEMENT MAJEUR
NÉCESSITE DE REPENSER LES SYSTÈMES DE COMMANDEMENT ET LA
PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE
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I. IL EST TEMPS DE « CHANGER DE
LOGICIEL » : L'ÉPOQUE DES « DIVIDENDES DE LA
PAIX » EST DÉFINITIVEMENT RÉVOLUE
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AVANT-PROPOS
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I. LA GUERRE D'UKRAINE, UN TOURNANT HISTORIQUE POUR
L'EUROPE
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II. ... MAIS AUSSI UN RETOUR AUX FONDAMENTAUX DE
LA GUERRE
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III. UNE GUERRE QUI APPELLE DES MESURES
CONCRÈTES DANS LA PROCHAINE LPM
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I. LA GUERRE D'UKRAINE, UN TOURNANT HISTORIQUE POUR
L'EUROPE
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
SOMMAIRE
Pages
N° 334
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ? »,
Par MM. Cédric PERRIN et Jean-Marc TODESCHINI,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .
L'ESSENTIEL
La guerre d'Ukraine aura bientôt un an. Après l'onde de choc du 24 février 2022, plusieurs pays européens ont rapidement entrepris de renforcer leur effort de défense. En France, la trajectoire financière suivie reste celle prévue par la loi de programmation militaire adoptée en 2018.
N'a-t-on pas déjà trop attendu pour tirer les enseignements de la guerre d'Ukraine ?
Le rapport tire dix enseignements de cette guerre, autour de trois axes : des enseignements nouveaux, un retour aux fondamentaux des conflits armés, et des pistes concrètes pour la prochaine LPM.
Cette prochaine LPM devra proposer un cadre stratégique clair, articulant les enjeux géostratégiques, les missions des armées et les besoins capacitaires. La récente Revue nationale stratégique n'a fait qu'ébaucher cette réflexion. Le Sénat sera particulièrement attentif à cette cohérence lors de l'examen du texte. Les défis à relever sont d'ampleur. Ils méritent un débat pleinement démocratique.
I. IL EST TEMPS DE « CHANGER DE LOGICIEL » : L'ÉPOQUE DES « DIVIDENDES DE LA PAIX » EST DÉFINITIVEMENT RÉVOLUE
La guerre d'Ukraine souligne, de plusieurs façons, l'importance de la fonction connaissance-compréhension-anticipation, garante d'une autonomie de jugement et de décision. Les pays occidentaux ont été surpris tant par l'attaque russe que par la résistance ukrainienne. Or, a posteriori, on peut juger que cette guerre ne constitue pas une vraie surprise stratégique. Toute l'information nécessaire était disponible. Le renseignement a péché par l'interprétation. Nos biais cognitifs nous ont conduits à surévaluer la probabilité des hypothèses relevant de notre propre rationalité et à négliger les autres.
Un effort important est donc nécessaire dans le domaine des capteurs et moyens d'analyse du renseignement. Un changement de logique est nécessaire : l'époque des « dividendes de la paix » est révolue. Les démocraties et les régimes autoritaires n'ont pas la même évaluation du bilan coût/avantages d'une guerre. Cet enseignement vaut vis-à-vis du comportement futur de la Russie mais aussi vis-à-vis de la Chine, de la Turquie, ou de tout État contestant les principes de l'ordre international.
Si l'agression russe se révélait payante pour l'agresseur, ce serait une sorte de « feu vert » à toutes les tentatives de déstabilisation de l'ordre international.
II. LA DISSUASION NUCLÉAIRE, GARANTIE ULTIME DE SÉCURITÉ, N'A RIEN PERDU DE SON ACTUALITÉ MAIS NE JUSTIFIE PAS DE BAISSER LA GARDE DANS LE DOMAINE CONVENTIONNEL
La guerre actuelle démontre, aux dépens de l'Ukraine, que la dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de sécurité et d'indépendance d'une nation.
Ce constat appelle à poursuivre plus que jamais l'effort de modernisation des deux composantes de notre dissuasion.
Mais il s'agit aussi, plus généralement, de repenser l'articulation entre le conventionnel et le nucléaire . La consolidation de la dissuasion nucléaire ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel. La dissuasion ne répond pas à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot.
Il faut transmettre la « culture » de la dissuasion , sujet peu connu des générations nées après la guerre froide. Si la dissuasion relève institutionnellement du Président de la République, elle ne saurait échapper totalement au débat démocratique .
III. SOIT LA FRANCE SERA UN ALLIÉ EXEMPLAIRE AU SEIN DE L'OTAN, SOIT ELLE SERA MARGINALISÉE
Source : ministère des armées
La Revue nationale stratégique reconnaît le rôle incontournable de l'OTAN pour la sécurité européenne. La guerre d'Ukraine a confirmé ce rôle et relancé une Alliance plus que jamais attractive, depuis que la Suède et la Finlande ont demandé à y adhérer, ce qui constitue un tournant historique pour l'Europe.
La France s'est particulièrement impliquée dans l'OTAN en 2022 mais elle aurait intérêt à s'y investir encore davantage, au niveau de la conception, de l'élaboration des doctrines et des normes , sans pour autant renoncer à disposer de ses propres capacités d'appréciation.
Être un allié exemplaire au sein de l'Alliance, c'est aussi disposer de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir le cas échéant en coalition dans un contexte de haute intensité et pouvoir fournir si nécessaire de l'armement conventionnel à nos partenaires, comme nous le faisons aujourd'hui pour l'Ukraine. La France est reconnue pour sa compétence, sa maîtrise de la technologie et la qualité de ses équipements. Mais les quantités disponibles doivent être accrues afin de ne pas contraindre nos capacités d'action et de décision.
Soutien des États à l'Ukraine : aide militaire, Md€
Engagements pris entre le 24 janvier et le 20 novembre 2022
Source des données : Antezza et al. (2022) « The Ukraine Support Tracker » Kiel WP
IV. CONDUIRE UNE GUERRE À L'ÈRE NUMÉRIQUE NÉCESSITE SOUPLESSE, RÉACTIVITÉ ET CAPACITÉ À FÉDÉRER LES INITIATIVES
La guerre de haute intensité est aujourd'hui une guerre intégrale dans laquelle aucun champ immatériel - champ informationnel, cyberespace, guerre électronique - ne doit être négligé.
La conduite de la guerre est profondément transformée par le numérique. Une des grandes forces des Ukrainiens est leur capacité à intégrer des capacités militaires et des capacités civiles. Sont ainsi exploitées conjointement : des technologies de masse (le smartphone ) et des technologies de niche (l'intelligence artificielle), des technologies civiles et des technologies militaires, des données à 80 % de source ouverte , mais aussi des données fermées, du renseignement d'origine national, international, public, privé, commercial etc.
L'agilité est le maître mot. Le modèle fermé, centralisé, vertical, est dépassé. Les bonnes idées peuvent venir du sommet ou de la base, du monde militaire ou du monde civil : l'important est de savoir les repérer, les mettre à l'épreuve puis les intégrer aux opérations.
Disposer d'une masse considérable d'informations, être capable d'exploiter des flux d'origine diverses, d'assurer des redondances et des dispositifs de contrôle, tout en maîtrisant la communication ne s'improvise pas. Il s'agit également de disposer d'un socle de capacités souveraines , complété par des partenariats internationaux.
La protection des réseaux informationnels nécessite des actions défensives, des pré-positionnements en amont et des vérifications incessantes. Disposer de compétences souveraines dans ce domaine est crucial. Cela implique de former et de fidéliser des personnels compétents , de disposer de réserves rapidement mobilisables, mais aussi de pouvoir compter sur la contribution de chacun à l'émergence d'une culture de la sécurité numérique .
V. LE RETOUR DE LA HAUTE INTENSITÉ NOUS OBLIGE À REVENIR AUX FONDAMENTAUX DES CONFLITS ARMÉS
Guerre symétrique, de haute intensité, sans supériorité aérienne, la guerre d'Ukraine nous oblige à revenir aux fondamentaux des conflits armés, menés pour conquérir un territoire et soumettre des populations. C'est une guerre d'attrition, dont la létalité est considérable et dans laquelle le rapport de force numérique et la capacité à durer grâce à des stocks et flux suffisants sont primordiaux. À force d'utiliser le mot « guerre » à tout propos, pour parler de guerre hybride ou même de guerre sanitaire, de guerre économique, ou d'économie de guerre... nous en sommes venus à oublier ce que signifiait le mot « guerre ». On parle donc maintenant de « guerre de haute intensité ».
La haute intensité nécessite de disposer de stocks suffisants - et / ou de la capacité à produire rapidement des équipements et munitions afin de pouvoir mettre en oeuvre des feux tant au contact qu'à courte, moyenne ou longue portée.
En haute intensité, la défense de proximité du combattant est un impératif de survie . Cette guerre souligne l'importance des défenses aériennes : capacités de défense sol-air, lutte anti-drones. Vulnérables aux attaques par les airs, les unités terrestres doivent bénéficier de bulles d'auto-protection mobiles, incluant des capacités de détection et de défense autonomes, ne dépendant pas seulement de la manoeuvre interarmées. Cette capacité de défense doit être résiliente aux tentatives de suppression adverses.
VI. IL FAUT GÉNÉRALISER LA PRÉSENCE DE DRONES DANS LES UNITÉS EN TANT QU'OUTIL DE RECONNAISSANCE MAIS AUSSI DE FRAPPE
L'innovation de masse, duale, de rupture, en cycle court doit être mieux valorisée. La guerre d'Ukraine confirme le rôle devenu prééminent des drones, en particulier l'importance de disposer de munitions télé-opérées, de coût modéré, considérées dans une certaine mesure comme des équipements consommables au même titre que les autres munitions. L'expérience ukrainienne montre que 90 % des drones de ce type sont perdus, avec des durées de vie de l'ordre de trois à six vols en moyenne.
La France dispose de drones MALE Reaper, armés, très utiles dans des guerres asymétriques, mais qui, compte tenu de leur vulnérabilité et de leur coût, se révèleraient difficilement exploitables dans un contexte symétrique.
Dans ce type de conflit, pour survivre, toutes les unités terrestres doivent être équipés d'engins non pilotés, tant pour le renseignement que pour le ciblage et la frappe. Des moyens de lutte anti-drones sont, de la même façon, indispensables.
VII. LA FORCE MORALE ET LA COHÉSION DE LA NATION SE PRÉPARENT EN AMONT
La force morale ne se décrète pas mais elle se prépare, en créant les conditions d'une porosité entre les mondes civil et militaire .
La fidélisation est une question qui préoccupe légitimement les armées, un turnover élevé étant coûteux en termes de formation et en raison des pertes de compétence induites. Mais ce turnover peut aussi avoir pour effet de favoriser la porosité entre mondes civil et militaire , en augmentant le nombre réservistes de premier et de second niveau (RO1 et RO2), contribuant ainsi à la résilience de la nation. Donner ainsi une expérience militaire, même de courte durée, à un jeune, a un retour d'investissement dans le temps, pour lui-même et pour l'ensemble de la société. C'est tout l'intérêt aussi de dispositifs tels que le Service militaire adapté (SMA) ou le Service militaire volontaire (SMV).
Plus généralement, surtout, l'objectif de doubler la réserve pour parvenir à 100 000 réservistes en 2030, est un bon objectif à condition que ces réservistes soit suffisamment équipés et entraînés . Or les freins sont nombreux , à commencer par la nécessité d'obtenir l'accord de l'employeur pour les activités accomplies pendant le temps de travail au-delà de 5 jours par an (8 dans les entreprises de plus de 250 salariés). Les entreprises restent réticentes à employer des réservistes. Du côté des armées, les missions des réservistes doivent être clarifiées et plus adaptées aux besoins.
Se pose, au-delà, la question d'un dispositif citoyen qui toucherait tous les jeunes. C'est l'ambition du Service national universel (SNU), dispositif éducatif qui comporte une initiation aux problématiques de défense et de sécurité. Ce dispositif, tel qu'actuellement conçu, risque toutefois de passer à côté de l'objectif poursuivi. Son coût exorbitant ne doit en tout état de cause pas obérer les moyens consacrés à la remontée en puissance de nos armées.
VIII. L'« ÉCONOMIE DE GUERRE » : PASSER DES MOTS AUX ACTES
Si l'expression d' « économie de guerre » a le mérite d'impulser une dynamique, elle est excessive, voire trompeuse, au regard des objectifs poursuivis et, surtout, des résultats obtenus à ce jour.
Sans engagements fermes de l'État, sans contrats-cadres pluriannuels, les industriels continuent à dépendre de l'exportation et ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer le cas échéant à monter en puissance . Un engagement sur des volumes permet d'obtenir, en outre, des économies d'échelle, ce que ne permettent pas des commandes fragmentées. En reportant l'effort à la prochaine LPM, nous avons déjà perdu au moins un an. Or la remobilisation de l'industrie, la relance de la production sont cruciales pour répondre à une demande croissante. C'est d'autant plus nécessaire que certaines industries concurrentes sont, quant à elles, bien présentes et prêtes à assurer un recomplètement rapide des stocks d'équipements livrés à l'Ukraine (États-Unis, Corée du sud...). Le risque, à défaut, est celui de la marginalisation de l'industrie française .
En outre, plusieurs verrous doivent être levés :
- La simplification des procédures et des normes , la réduction des exigences documentaires sont des priorités : il est possible de qualifier beaucoup plus rapidement des produits néanmoins sûrs et fiables, et d'accélérer ainsi considérablement les programmes.
- Des relocalisations sont nécessaires. C'est le cas pour les poudres propulsives.
- L'État doit s'impliquer avec les industriels dans la constitution de stocks stratégiques , mutualisés, autant que possible, entre secteurs industriels.
- En cas de crise, un dispositif doit permettre à l'industrie de défense d'être approvisionnée en priorité .
- Les entreprises de la BITD sont confrontées à une pénurie de main d'oeuvre . En 2022, 86% des entreprises du secteur de la défense terrestre anticipaient des difficultés pour recruter. Un grand plan interministériel de revalorisation des métiers industriels est nécessaire. L'industrie, et en particulier l'industrie de défense, est partie prenante de la souveraineté. La mise en place d'une réserve industrielle de défense pourrait être l'un des fers de lance de cette stratégie.
- Les entreprises de la BITD sont confrontées à une pénurie de financements : le soutien des acteurs financiers privés est indispensable, pour passer à l'échelle de l' « économie de guerre », ce qui implique une vigilance particulière vis-à-vis des initiatives réglementaires européennes (de type écolabel, taxonomie). Le risque à l'image doit s'inverser , en valorisant les activités de souveraineté et de défense. La guerre d'Ukraine souligne toute la légitimité d'une telle démarche.
IX. LA PROCHAINE LPM DOIT CONSOLIDER UN CERTAIN NOMBRE DE CAPACITÉS CLEFS
Évolution de la « masse » dans les armées françaises
Source des données : Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant et Michel Pesqueur, « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Focus stratégique, n° 105, Ifri, juin 2021.
La commission sera particulièrement attentive aux objectifs et aux réalisations de la future programmation dans les domaines suivants :
- La prochaine LPM doit consolider nos défenses sol-air et nos moyens de lutte anti-drones. La succession du système Crotale pour la basse-couche doit être lancée. Les armes à énergie dirigée (laser, micro-ondes) ont un potentiel important dans ce domaine, exploré notamment aux États-Unis où de nombreux développements sont en cours.
- S'agissant des petits drones et des munitions télé-opérées , les programmes doivent pouvoir se dérouler rapidement , de la conception à l'industrialisation, en quelques années, sans contraintes réglementaires excessives. Au-delà, les produits risquent d'être déjà obsolètes lors de leur mise en service. Ces drones et MTO doivent par ailleurs être conçus pour fonctionner en système avec d'autres moyens.
- Les programmes concernant le futur du combat terrestre et de l'artillerie (MGCS, CIFS) doivent être lancés. Moins spectaculaires qu'un porte-avions ou un un système de combat aérien, ces programmes n'en sont pas moins aussi déterminants pour notre autonomie stratégique et pour la crédibilité de nos forces. Dans l'attente, il est urgent de préparer le remplacement du LRU , dans les cinq ans à venir, si nécessaire par un achat « sur étagère ».
- La politique des stocks doit être revue : s'agissant des équipements anciens , remplacés par de nouvelles capacités, qui pourraient être conservés, et s'agissant des munitions dont les volumes doivent être significativement accrus, pour l'entraînement et, si nécessaire, le soutien à nos partenaires et alliés.
- Outre les munitions, la question des volumes se pose aussi pour d'autres équipements accompagnant les missions , en nombre insuffisant (par exemple les pods Talios et radars AESA du Rafale).
- Enfin, les moyens d'évacuation sanitaire, le maintien en condition opérationnelle, la logistique sont des points majeurs en haute intensité, potentiellement bloquants et nécessitant là aussi une remontée en puissance des moyens, une réflexion sur des modes dégradés de fonctionnement, ainsi que des exercices pour tester la validité des modèles.
X. L'HYPOTHÈSE D'ENGAGEMENT MAJEUR NÉCESSITE DE REPENSER LES SYSTÈMES DE COMMANDEMENT ET LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE
La guerre de haute intensité requiert une agilité particulière, une dose de subsidiarité et une action intégrée multi-milieux et multi-champs, ce qui nécessite des adaptations tant des dispositifs de commandement et de contrôle (C2) que de la préparation opérationnelle.
La préparation opérationnelle doit monter en puissance et en gamme , à l'image de ce que propose l'exercice Orion 2023 qui doit démarrer prochainement et dont les enseignements seront particulièrement intéressants.
Enfin, des marges de manoeuvre existent : si l'opération Sentinelle répond à une menace qui n'a pas diminué, elle ne paraît plus être le dispositif le plus adéquat pour traiter cette menace , comme l'a récemment établi la Cour des comptes. Il convient d'envisager un passage de relais progressif aux forces de sécurité intérieure , afin que de permettre une remontée en puissance de la préparation opérationnelle des militaires et de redéployer les armées sur les missions pour lesquelles elles ont la plus grande valeur ajoutée.
AVANT-PROPOS
« Tout à coup, entre le soleil et la vie, passe je ne sais quelle nue d'une froideur mortelle. L'angoisse générale naît. Toute chose change de couleur et de valeur. Il y a de l'impossible et de l'incroyable dans l'air. Nul ne peut fixement et solitairement considérer ce qui existe, et l'avenir immédiat s'est altéré comme par magie. Le règne de la mort violente est partout décrété. Les vivants se précipitent, se séparent, se reclassent ; l'Europe, en quelques heures, désorganisée, aussitôt réorganisée ; transfigurée, équipée, ordonnée à la guerre, entre tout armée dans l'imprévu. »
Paul Valéry (1935)
Un an après le début de l'agression russe en Ukraine, l'Europe n'est certes pas en guerre, mais la guerre est en Europe. Cette guerre, particulièrement meurtrière, se déroule aux portes de l'Union européenne et de l'OTAN. Elle semble aujourd'hui devoir durer : le front s'est en effet stabilisé, faute pour l'une des Parties de parvenir à obtenir un avantage décisif.
Suite au déclenchement du conflit, plusieurs pays européens ont rapidement entrepris de renforcer leur effort de défense . Le gouvernement allemand a annoncé, dès le 27 février 2022, la création d'un fonds spécial de 100 milliards d'euros d'investissements, approuvé par le Bundestag en juin. Plusieurs autres pays ont annoncé, au cours de l'année qui vient de s'écouler, qu'ils porteraient leur effort de défense au-delà de 2 % de leur produit intérieur brut (PIB), voire jusqu'à 4 % (pour la Pologne).
En France, le gouvernement poursuit la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 , moyennant des ajustements, dans l'attente de la présentation prochaine au Parlement d'un nouveau projet de LPM.
N'a-t-on pas déjà trop attendu pour tirer les enseignements de la guerre d'Ukraine ?
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Quelques précautions s'imposent pour commencer :
- En premier lieu, la France n'est pas l'Ukraine, ni dans son environnement géostratégique, ni dans les moyens dont elle dispose. C'est une évidence qu'il faut rappeler. Construire l'avenir uniquement à partir de ce conflit n'aurait pas de sens.
o La France n'est pas l'Ukraine, par son environnement géostratégique. Elle appartient à l'Union européenne et à l'OTAN. Elle n'est plus menacée par ses voisins européens. Les problématiques de l'espace post-soviétique sont nécessairement différentes des nôtres.
o La France n'est pas l'Ukraine non plus du point de vue des moyens dont elle dispose. Avec la dissuasion nucléaire, abandonnée par les Ukrainiens après la chute de l'URSS, nous disposons d'une garantie ultime de nos intérêts vitaux.
- En second lieu, la guerre d'Ukraine ne concentre pas tous les enjeux qui s'imposent à la politique étrangère et de défense de la France.
Cette guerre ne doit pas devenir l'alpha et l'oméga de la réflexion stratégique. La guerre qu'il nous faut préparer, c'est la prochaine, qui ne ressemblera probablement à aucune des précédentes. Clausewitz comparait la guerre à un « caméléon ». Préparer les guerres du passé est une stratégie perdante.
La commission consacre d'autres travaux à des thématiques d'importance tels que l'Indopacifique , la Méditerranée ou encore les enseignements qu'il faut tirer de l'opération Barkhane .
C'est à l'ensemble de ces problématiques complémentaires que des réponses doivent être apportées dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. La Méditerranée, l'Afrique, l'Indopacifique constituent d'autres espaces où nos intérêts sont susceptibles d'être menacés.
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Ces préalables étant admis, la tentation pourrait toutefois exister de s'en servir pour éluder la réflexion indispensable sur les enseignements de la guerre en Ukraine.
Avec cette guerre, nous entrons peut-être dans une ère de guerres « subies », plutôt que « choisies » . La différence est fondamentale car elle implique, d'une part, un effort particulier d'anticipation et, d'autre part, la construction de facteurs de résilience. Il s'agit de pouvoir affronter tant des situations envisagées à l'avance que des surprises stratégiques.
La guerre d'Ukraine est, en outre, intégrale , car elle se déroule dans tous les milieux (air, terre, mer) et tous les champs (cyber, électronique, informationnel). C'est aussi une guerre symétrique, interétatique et de haute intensité , avec une forte attrition, ce qui implique de disposer de volumes d'équipements et de munitions suffisants.
La haute intensité est une hypothèse qui n'est évidemment pas ignorée des cadres de réflexion actuels. La LPM 2019-2025 formule une hypothèse d'engagement majeur en coalition : « Les armées devront être capables de mener, en coalition, sur un théâtre d'engagement unique, une opération à dominante de coercition, dans un contexte de combats de haute intensité. Elles pourront assumer tout ou partie du commandement de l'opération et auront la capacité, dans les trois milieux, de participer à une opération d'entrée en premier sur un théâtre de guerre. Cette hypothèse d'intervention se caractérise par un engagement majeur aux côtés de nos alliés . » . Cette hypothèse est déclinée par armées. Elle implique par exemple, dans le domaine terrestre, 15 000 hommes et un millier de véhicules de combat ; dans le domaine aérien, jusqu'à 45 avions de chasse (hors groupe aérien embarqué) etc.
Cette hypothèse d'engagement majeur, et l'ensemble des conséquences qui en découlent en termes de capacités, de logistique et de soutien devront être réexaminées dans la prochaine programmation, qui constituera le fondement de notre politique de défense jusqu'à la fin de la décennie.
Si la France n'est pas menacée de façon immédiate, en effet, trois hypothèses d'engagement majeur sont néanmoins généralement considérées comme crédibles :
- En premier lieu - et c'est un enseignement de la guerre d'Ukraine - la possibilité d'un conflit ouvert entre l'OTAN et la Russie ne peut plus être exclue . La dissuasion nucléaire jouerait nécessairement un rôle dans un tel conflit, étant donné la nature nucléaire de l'alliance, mais elle ne saurait constituer la réponse unique.
- En deuxième lieu, la zone méditerranéenne demeure une zone de tensions fortes où les intérêts de la France sont en jeu. S'y affirment tant des puissances régionales (Turquie) que d'autres puissances (Russie, Chine), tandis que les États-Unis ont tendance à s'en désengager.
- En troisième lieu, nos outre-mer et leurs environnements maritimes pourraient être l'objet de convoitises croissantes. Des actions de type hybride (sous le seuil des conflits armés) sont possibles, mais aussi, à long terme, un conflit plus ouvert.
Affronter ces défis nécessite une montée en puissance conventionnelle. Bien que fondamentale, la dissuasion nucléaire ne fournit pas de solution à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot.
Enfin, la France doit pouvoir venir en aide à ses partenaires ou alliés, grâce à des dons tels que ceux effectués depuis un an en faveur de l'Ukraine. Or il est clair que nos moyens en la matière sont aujourd'hui limités. Coûteux dans leur gestion, les stocks d'équipements militaires ont été sacrifiés depuis la fin de la guerre froide. Donner implique donc de prélever directement sur nos propres stocks opérationnels. C'est toute cette logique de gestion en flux tendus et de juste suffisance qui doit être revue.
La prochaine loi de programmation militaire doit être l'occasion de procéder au « changement de logiciel » désormais nécessaire.
I. LA GUERRE D'UKRAINE, UN TOURNANT HISTORIQUE POUR L'EUROPE
La guerre d'Ukraine constitue un tournant historique : inattendue de la plupart des observateurs, car jugée irrationnelle d'un point de vue occidental, elle replace l'Europe au coeur d'une confrontation « est-ouest » très différente de celle de la guerre froide. Ses enseignements d'ordre stratégiques et tactiques sont nombreux et se déclinent dans tous les milieux : terre, air - y compris l'espace - mer, y compris les fonds marins, et dans tous les champs : cyberespace, environnement électromagnétique et sphère informationnelle.
Ces enseignements sont pour certains très nouveaux : la guerre d'Ukraine est notamment la première guerre de l'ère numérique, hyper-documentée sur les chaînes d'information et les réseaux sociaux. Mais c'est aussi une guerre très classique, un retour aux fondamentaux des conflits armés, où le rapport de force numérique et l'affrontement des volontés jouent des rôles primordiaux.
A. SURPRISE STRATÉGIQUE OU PRISE DE CONSCIENCE BRUTALE ?
1. Une surprise relative
« Nous n'avons point trouvé d'autres moyens de garantir nos frontières (...) que de les étendre », écrivait l'Impératrice Catherine II à Voltaire.
« Les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple, un tout » affirmait Vladimir Poutine en juillet 2021 dans un essai intitulé « Sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens » dans lequel il décrivait l'Ukraine comme une nation artificielle, après avoir déclaré dès 2005 que l'effondrement de l'URSS avait été « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle ».
La doctrine de Vladimir Poutine vis-à-vis de l'Occident s'est durcie au cours des années. A posteriori, de multiples fils conducteurs peuvent être identifiés, précurseurs du tournant de 2022 : dans le discours diplomatique, les dirigeants Russes ont accentué progressivement leur critique d'un monde unipolaire et de l'élargissement de l'OTAN. Le discours de Vladimir Poutine à l'occasion de la Conférence sur la sécurité de Munich de 2007 a marqué un tournant. Après avoir revendiqué une zone d'intérêts privilégiés, la Russie a mené une guerre en Géorgie (2008), qui fut la première entrée des troupes russes en territoire étranger depuis la dissolution de l'URSS (la Transnistrie exceptée).
La Russie a ensuite annexé sans heurts la Crimée (mars 2014), et entamé la guerre du Donbass. Certains éléments de la rhétorique poutinienne ont alors paru si excessifs qu'ils n'ont pas été entendus de nous : ainsi, dans son discours devant le Parlement russe du 18 mars 2014, Vladimir Poutine désignait déjà les autorités ukrainiennes comme « néo-nazies », se livrant à une réinterprétation de l'histoire dans un contexte où la « grande guerre patriotique » de 1941-1945 était devenue plus que jamais un point de référence de l'identité nationale russe.
Forte du renoncement des États-Unis à faire respecter leurs « lignes rouges », la Russie est intervenue à partir de septembre 2015 en Syrie, où elle est accusée de multiples crimes de guerre par les ONG et par l'ONU. Les modalités de l'action militaire russe étaient bien connues, depuis les guerres de Tchétchénie, au cours desquelles les Russes ont « compensé leur faiblesse tactique avec l'écrasement par le feu, en revenant à des doctrines qui ressemblent à celle de la Deuxième Guerre mondiale » (Michel Goya).
Enfin, depuis 2017, la Russie a accru sa présence en Afrique notamment au travers du groupe paramilitaire Wagner : en Libye, au Soudan, au Mozambique, en République centrafricaine puis au Mali et au Burkina Faso, obligeant la France à réarticuler son dispositif au Sahel. La Russie a fait reculer l'influence française en utilisant des méthodes de propagande outrancières - mais semble-t-il efficaces - allant jusqu'à simuler l'existence d'un charnier sur la base militaire de Gossi après le départ des soldats français (avril 2022).
2. Des interprétations erronées ?
Il est donc légitime de s'interroger, en premier lieu, sur notre propre aveuglement vis-à-vis des projets de la Russie et de son Président Vladimir Poutine. Cet aveuglement a persisté y compris alors que l'armée russe amassait jusqu'à 120 000 hommes et des matériels à la frontière de l'Ukraine au long de l'année 2021. La plupart des acteurs et experts alors interrogés ne croyaient pas à un conflit armé, mais plutôt à un « bluff » de la part du chef de l'État russe, tant cette guerre paraissait un projet irrationnel, coûteux et voué à l'échec.
Vladimir Poutine semblait en effet en position de pouvoir renégocier une architecture de sécurité européenne, après avoir accumulé un certain nombre de gains stratégiques en avançant ses pions lentement mais sûrement, année après année, sans déclencher de réaction réellement dissuasive des Occidentaux. La Russie était également parvenue à instiller des ferments de division dans les sociétés démocratiques, fragilisant les systèmes électoraux, et menant une guerre de l'information moins destinée à convaincre qu'à semer le doute et la confusion. Pourquoi, pensait-on, la Russie remettrait-elle en cause sur un « coup de dés » l'ensemble de ces gains acquis dans la longue durée ?
À partir d'octobre 2021, le renseignement américain a publiquement dénoncé un projet d'invasion. Le souvenir du déclenchement de la guerre en Irak, en 2003, précédé de déclarations sur l'existence supposée d'armes de destruction massive dans ce pays, a conduit à une certaine prudence, y compris de la part des alliés des États-Unis, et même de l'Ukraine, vis-à-vis des mises en garde américaines.
Le 11 février 2022, le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, évoquait la possibilité d'un assaut rapide sur la ville de Kiev. Appelé à fournir des preuves, il affirmait : « c'est partout sur les réseaux sociaux, sur vos sites d'information. Vous pouvez donc croire vos propres yeux, les Russes ont mis en place les moyens de conduire une opération militaire massive contre l'Ukraine, s'ils la souhaitent ».
Au même moment, toutefois, en France, l'Élysée relayait auprès de l'opinion les propos rassurants tenus par Vladimir Poutine au cours de ses conversations téléphoniques avec Emmanuel Macron : « Le président Poutine n'a exprimé aucune intention offensive (...) » 1 ( * ) . Puis, le 16 février 2022, à propos d'une possible reconnaissance des républiques de Donetsk et Louhansk (effective quelques jours plus tard) : « Le président russe a dit qu'il s'agissait d'une initiative parlementaire qu'il n'approuvait pas », a rappelé (...) l'Élysée » 2 ( * ) .
Le 15 février, la ministre des armées, Florence Parly, affirmait encore, à l'Assemblée nationale : « Nous devons avancer sur les questions de fond, c'est-à-dire sur les garanties qui permettront d'aboutir à un nouvel ordre de sécurité en Europe. » 3 ( * ) .
Malgré l'accumulation de troupes et de matériels à la frontière russo-ukrainienne, nous avons tous ou presque pensé que la décision d'envahir l'Ukraine n'était probablement pas prise et qu'une voie diplomatique restait possible.
Une étude britannique récente 4 ( * ) affirme que la Russie avait pourtant prévu de mener à bien l'invasion de l'Ukraine en dix jours et de saisir rapidement sa capitale, afin de permettre son annexion à l'été 2022 . D'après ce rapport, ce plan aurait été élaboré par les services secrets russes, et quelques hauts-responsables au sein de l'administration présidentielle et du Ministère de la défense, sur la base d'analyses du Service fédéral de sécurité (FSB) qui se sont révélées par la suite erronées. Comptant sur un certain discrédit des élites politiques ukrainiennes, sur un accueil supposé favorable des forces russes par la population ukrainienne, et sur un rapport de force déséquilibré, la Russie a également cru pouvoir compter sur l'inertie occidentale. Le retrait américain d'Afghanistan à l'été 2021 a constitué à ses yeux un nouveau recul des États-Unis, désormais obnubilés par le « pivot asiatique ».
La Russie a elle aussi été victime de son propre aveuglement. Les troupes russes se sont rapidement retrouvées piégées par une mobilisation ukrainienne d'une ampleur inattendue, et par une armée dont la modernisation avait été sous-estimée. La Russie a échoué à réaliser son plan initial en raison d'erreurs majeures d'analyse de ses services de renseignement.
1. Il est temps de « changer de logiciel » : l'époque des « dividendes de la paix » est définitivement révolue
La guerre d'Ukraine souligne, de plusieurs façons, l'importance de la fonction connaissance-compréhension-anticipation, garante d'une autonomie de jugement et de décision. Les pays occidentaux ont été surpris tant par l'attaque russe que par la résistance ukrainienne. Or, a posteriori, on peut juger que cette guerre ne constitue pas une vraie surprise stratégique . Toute l'information nécessaire était disponible. Le renseignement a péché par l'interprétation. Nos biais cognitifs nous ont conduits à surévaluer la probabilité des hypothèses relevant de notre propre rationalité et à négliger les autres.
Un effort important est donc nécessaire dans le domaine des capteurs et moyens d'analyse du renseignement. Un changement de logique est nécessaire : l'époque des « dividendes de la paix » est révolue. Les démocraties et les régimes autoritaires n'ont pas la même évaluation du bilan coût/avantages d'une guerre. Cet enseignement vaut vis-à-vis du comportement futur de la Russie mais aussi vis-à-vis de la Chine, de la Turquie, ou de tout État contestant les principes de l'ordre international.
Si l'agression russe se révélait payante pour l'agresseur, ce serait une sorte de « feu vert » à toutes les tentatives de déstabilisation de l'ordre international.
B. NUCLÉAIRE : LE RETOUR DE L'ÉPÉE DE DAMOCLÈS
1. Une dangereuse instrumentalisation du nucléaire civil
Dans cette guerre, le risque nucléaire est, en premier lieu, celui de l'instrumentalisation du risque d'accident d'une centrale nucléaire, du fait des combats autour de la centrale de Zaporijia, plus grande centrale nucléaire d'Europe (six réacteurs), bombardée en mars puis en août, ce qui a donné lieu à une mission alarmiste de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA).
La situation de cette centrale demeure à ce jour précaire, au coeur de l'Europe, dans un pays déjà traumatisé par l'accident de Tchernobyl.
2. La dissuasion, arrière-plan constant du conflit
Le risque nucléaire et aussi celui de l'usage d'une arme atomique. Ce risque, que l'on pensait révolu depuis la fin de la guerre froide, est sous-jacent à l'ensemble du conflit : « La forme que prend la guerre d'invasion russe contre l'Ukraine est essentiellement dictée par la dissuasion nucléaire » 5 ( * ) .
La menace nucléaire a été directement ou indirectement évoquée par le Président russe, dès lors que les forces armées conventionnelles russes ont été confrontées aux premières difficultés. Dès le 27 février 2022, soit trois jours après le début de l'offensive, Vladimir Poutine a indiqué avoir placé les forces de dissuasion russe en « régime d'alerte ». Ce discours est resté conforme à une « grammaire nucléaire » classique ; en revanche, l'entourage du pouvoir et les médias russes se sont livrés à des menaces outrancières, et récurrentes, vis-à-vis de l'Occident.
Pendant la guerre froide, et en particulier après la crise de Cuba (1962), la dissuasion nucléaire fut garante d'un certain statu quo entre puissances « dotées », dans le cadre d'un rapport de force jugé équilibré sur le plan conventionnel. Aujourd'hui, la question nucléaire est sous-jacente à l'ensemble des décisions prises par les partenaires de l'Ukraine dans cette guerre.
Plusieurs faits sont particulièrement notables :
- En premier lieu, force est de reconnaître que cette guerre aurait probablement été évitée si l'Ukraine avait conservé une capacité de dissuasion nucléaire à la suite de la dissolution de l'URSS. Dans le cadre du mémorandum de Budapest, signé en 1994, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie se sont engagés à respecter l'indépendance de l'Ukraine en échange du retrait de l'arme atomique du territoire ukrainien et de la ratification par l'Ukraine du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). La dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de sécurité et d'indépendance d'une nation.
- En deuxième lieu, la dissuasion nucléaire n'est pas utilisée par la Russie dans un but défensif mais dans un but offensif, au service d'ambitions révisionnistes , pour sanctuariser des territoires conquis.
La rhétorique employée demeure toutefois « défensive » - conformément à la doctrine - puisque Moscou estime qu'il s'agit de protéger des populations majoritairement russes, ayant choisi la Russie (lors de soi-disant « référendums »).
Cette rhétorique était déjà employée pour défendre la Crimée, que Vladimir Poutine a placée explicitement sous la protection de la dissuasion nucléaire russe après son annexion en 2014. Le rattachement proclamé des quatre régions de Zaporijia, Kherson, Louhansk et Donetsk à la Fédération de Russie en septembre 2022 a fait craindre un élargissement de cette conception offensive de la dissuasion nucléaire. Les succès obtenus par l'Ukraine sur le champ de bataille à l'automne 2022 n'ont toutefois pas entraîné d'escalade sur ce plan. L'asymétrie des intérêts entre la Russie et les partenaires dotés de l'Ukraine, au sein de l'OTAN, donne toutefois un avantage indéniable à la Russie dans l'usage du signalement nucléaire.
- En troisième lieu, le discours nucléaire russe s'inscrit dans un contexte de faiblesse conventionnelle , accréditant l'idée que la détention d'armes nucléaires pourrait compenser une infériorité conventionnelle. Celle-ci entraînerait dès lors un possible abaissement du seuil nucléaire. Il s'agirait « d'escalader pour désescalader » grâce à l'emploi d'armes nucléaires dites « tactiques », de nature à donner un avantage décisif sur le champ de bataille. La notion d'arme nucléaire « tactique » est toutefois controversée car elle a pour effet de minimiser l'impact d'une telle arme, alors même que son emploi aurait pour effet de modifier profondément la nature d'un conflit.
La doctrine nucléaire russe n'a néanmoins pas fondamentalement changé depuis un an , comme le montre la chercheuse norvégienne Kristin Ven Bruusgaard :
« L'importance accordée à l'utilisation très précoce du nucléaire dans la doctrine militaire russe est également dépassée, puisqu'elle date de la fin des années 1990 et du début des années 2000, époque à laquelle la doctrine indiquait officiellement que le seuil nucléaire avait été abaissé. Depuis au moins 2010, cependant, la doctrine nucléaire russe a évolué pour tenir compte des améliorations apportées à ses capacités militaires conventionnelles. Cette doctrine pourrait à nouveau évoluer à la suite des lacunes des forces polyvalentes russes révélées en Ukraine. Mais la doctrine nucléaire russe ne s'est apparemment pas adaptée à cette évolution depuis le début de l'attaque à grande échelle contre l'Ukraine en février 2022 : les responsables russes continuent d'insister sur le fait que la Russie n'envisagerait d'utiliser des armes nucléaires que lorsque l'existence de l'État est menacée, c'est-à-dire lorsque le territoire russe est attaqué » 6 ( * ) .
2. La dissuasion nucléaire, garantie ultime de sécurité, n'a rien perdu de son actualité mais ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel
La guerre actuelle démontre, aux dépens de l'Ukraine, que la dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de sécurité et d'indépendance d'une nation.
Ce constat appelle à poursuivre plus que jamais l'effort de modernisation des deux composantes de notre dissuasion.
Mais il s'agit aussi, plus généralement, de repenser l'articulation entre le conventionnel et le nucléaire . La consolidation de la dissuasion nucléaire ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel. La dissuasion ne répond pas à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot.
Enfin, il faut transmettre la « culture » de la dissuasion , sujet peu connu des générations nées après la guerre froide. Si la dissuasion relève institutionnellement du Président de la République, elle ne saurait échapper totalement au débat démocratique .
C. AUTONOMIE STRATÉGIQUE : L'IDÉAL ET LE RÉEL
La guerre d'Ukraine montre d'abord l'importance de disposer de partenaires , pour mobiliser tant la masse d'équipements que la technologie requises pour faire la différence sur le champ de bataille. De fait, la haute intensité s'envisage pour la France en coalition.
1. L'OTAN ressuscitée
Après une période de doutes (« Ce qu'on est en train de vivre, c'est la mort cérébrale de l'OTAN » 7 ( * ) ), cette guerre confirme la place de l'OTAN, au coeur de la défense européenne.
L'Alliance, dont les activités s'étaient diversifiées après la fin de la guerre froide (avec la gestion de crises, la coopération dans le domaine de la sécurité) se recentre aujourd'hui sur la défense collective. Le Concept stratégique entériné au Sommet de Madrid en juin 2022 réaffirme que la raison d'être et la responsabilité première de l'Organisation consistent à assurer la défense collective des alliés « suivant une approche à 360 degrés », insistant sur « la nécessité de renforcer sensiblement notre capacité de dissuasion et de défense, qui est la clé de voûte de notre engagement pour la défense mutuelle, inscrit dans l'article 5 ».
Dans le contexte de la guerre d'Ukraine, ce nouveau Concept stratégique comporte des affirmations fortes : « Nul ne doit douter de notre force ni de notre détermination à défendre chaque centimètre carré du territoire des Alliés ». Il réaffirme la garantie ultime que constitue la capacité nucléaire de l'Organisation : « Les forces nucléaires stratégiques de l'Alliance, et en particulier celles des États-Unis, sont la garantie ultime de la sécurité des Alliés. Les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France ont un rôle de dissuasion propre et contribuent de manière significative à la sécurité globale de l'Alliance. Le fait que ces Alliés aient chacun un centre de décision distinct concourt à la dissuasion en compliquant les calculs d'adversaires potentiels. La posture de dissuasion nucléaire de l'OTAN repose également sur les armes nucléaires des États-Unis déployées à l'avant en Europe, ainsi que sur les moyens mis à disposition par les Alliés concernés ». 8 ( * )
Pour nos partenaires européens, la garantie de l'OTAN, et son « parapluie nucléaire » sont les seuls garants de leur sécurité à long terme . Les progrès de l'Union européenne en matière de défense sont significatifs. L'adoption en 2022 d'une « Boussole stratégique » a confirmé le mouvement de construction d'une défense européenne. Mais la notion d'autonomie stratégique européenne ne saurait être conçue par nos partenaires que comme un processus de long terme.
En tant qu'unique puissance nucléaire de l'UE, la place de la France est singulière. Nos partenaires européens ont une vision nécessairement différente de la nôtre.
2. La France, alliée exemplaire ?
Comme l'indiquait la Revue stratégique de 2017, « En organisant en 2009 son retour dans le commandement militaire intégré de l'Alliance atlantique, tout en préservant son statut spécifique dans le domaine nucléaire, la France a pleinement reconnu la place que l'OTAN joue dans la défense de l'Europe ». La récente Revue nationale stratégique (2022) poursuit cette logique, en affirmant le rôle de la France comme « allié exemplaire dans l'espace euro-atlantique ».
La France a montré sa capacité à contribuer aux missions de l'Alliance atlantique, dans le contexte de la guerre en Ukraine, en participant avec une grande réactivité au renforcement de la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc oriental de l'Europe :
- en Estonie, dans le cadre de la mission Lynx ( enhanced Forward Presence) , les militaires français sont déployés au sein d'un bataillon multinational commandé par les Britanniques. Quatre Mirage 2000 de l'armée de l'air et de l'espace ont par ailleurs été projetés dans le cadre de l' enhanced Air Policing .
- Du 25 novembre 2022 à fin mars 2023, la France déploie un détachement de 4 Rafale de la Base aérienne 118 de Mont-de-Marsan en Lituanie.
- En Pologne, les Rafale de l'armée de l'air et de l'espace mènent des missions de police du ciel.
- En Roumanie, les militaires français sont déployés dans le cadre de la mission Aigle, en coopération avec les Belges puis plus récemment avec les Néerlandais. Renforcé par un système sol-air moyenne portée Mamba au printemps, ce bataillon multinational a également été doté d'un escadron de chars Leclerc à l'automne.
- Déployé en Méditerranée, le Groupe aéronaval (GAN) a été repositionné le 3 mars en Méditerranée centrale pour renforcer la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc est de l'Europe. Un ATL2 a par ailleurs été déployé à la Sude (Crète).
La France contribue à l'effort d'armement de l'Ukraine, dans le cadre du groupe de coordination de Ramstein, qui réunit des pays membres et non membres de l'OTAN.
L'effort fourni par la France est important mais il met aussi en évidence le caractère échantillonnaire de certaines de nos capacités . En donnant 18 systèmes CAESAR , nous avons donné près d'un quart de nos stocks, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre pour aller plus loin. La France donne également 12 CAESAR supplémentaire s par le biais du fonds de soutien à l'Ukraine avec un possible prélèvement anticipé sur son propre stock. Quant aux chars Leclerc , leur nombre insuffisant est aujourd'hui l'un des obstacles à une livraison à l'Ukraine, l'hypothèse d'une éventuelle cobelligérance « escalatoire » étant a priori levée par l'annonce de la fourniture à l'Ukraine de chars lourds allemands (Leopard), américains (Abrams) et britanniques (Challenger 2).
De la même façon, nos lacunes dans la défense sol-air ne nous ont pas permis de répondre pour le moment favorablement à la demande des Ukrainiens s'agissant du Système de moyenne portée Mamba, dont la France dispose de huit exemplaires . Les marges de manoeuvre sont également réduites concernant le système Crotale NG (12 exemplaires théoriques, dont 2 déjà donnés à l'Ukraine). Les ordres de grandeur sont à peu près les mêmes pour le lance-roquettes unitaire (13 exemplaires théoriques, dont seulement 8 seraient opérationnels, dont 2 cédés à l'Ukraine).
3. Soit la France sera un allié exemplaire au sein de l'OTAN, soit elle sera marginalisée.
La Revue nationale stratégique reconnaît le rôle incontournable de l'OTAN pour la sécurité européenne. La guerre d'Ukraine a confirmé ce rôle et relancé une Alliance plus que jamais attractive, depuis que la Suède et la Finlande ont demandé à y adhérer, ce qui constitue un tournant historique pour l'Europe.
La France s'est particulièrement impliquée dans l'OTAN en 2022 mais elle aurait intérêt à s'y investir encore davantage, au niveau de la conception, de l'élaboration des doctrines et des normes , sans pour autant renoncer à disposer de ses propres capacités d'appréciation.
Être un allié exemplaire au sein de l'Alliance, c'est aussi disposer de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir le cas échéant en coalition dans un contexte de haute intensité et pouvoir fournir si nécessaire de l'armement conventionnel à nos partenaires, comme nous le faisons aujourd'hui pour l'Ukraine. La France est reconnue pour sa compétence, sa maîtrise de la technologie et la qualité de ses équipements. Mais les quantités disponibles doivent être accrues afin de ne pas contraindre nos capacités d'action et de décision.
D. LA PREMIÈRE GUERRE DE L'ÈRE NUMÉRIQUE
« Être inerte, c'est être battu » : ces mots du général de Gaulle trouvent une résonance nouvelle à l'ère numérique.
La guerre d'Ukraine peut être qualifiée de première guerre de l'ère numérique , même si d'autres conflits d'ampleur plus limitée ont joué un rôle précurseur, notamment la guerre du Haut-Karabagh à l'automne 2020.
1. Une lutte informationnelle à l'échelle mondiale
La lutte informationnelle est un enjeu majeur pour les deux camps, quoique plutôt en interne, en Russie, mais plutôt à l'international, s'agissant de l'Ukraine.
Le Président ukrainien et ses proches, familiers de la sphère médiatique, sont particulièrement bien placés pour mener cette guerre de l'information dans laquelle l'Ukraine a été extrêmement performante, en interne pour mobiliser sa population et vis-à-vis de l'Europe et des États-Unis, mettant les dirigeants occidentaux sous la pression de leurs opinions publiques.
Ce conflit est le premier que l'on peut suivre quasiment en direct sur les chaînes d'information et les réseaux sociaux - avec même la possibilité pour chacun de contribuer à l'effort de guerre ukrainien dans le cadre de collectes de fonds.
Mais ce conflit a aussi renforcé le cloisonnement de l'information et la fragmentation d'internet, le régime russe ayant limité l'accès de sa population aux réseaux mondiaux. Dans ce conflit, la censure réciproque a créé des bulles informationnelles presque étanches , chacun s'adressant à sa propre population ou à ses soutiens.
Des initiatives sont néanmoins prises par les Ukrainiens à l'intention de l'opinion russe, pour tenter de décourager l'adversaire : communications du président Volodymyr Zelensky en langue russe, application destinée à aider les familles russes à identifier les victimes, ou encore, ligne téléphonique « je veux vivre » ouverte aux potentiels déserteurs russes....
Dans ce contexte, bien qu'instrumentalisé par les deux Parties, internet est une source très abondante de renseignement de source ouverte (OSINT). Des sites d'investigation se sont spécialisés dans l'analyse de ce renseignement : le site néerlandais Oryx, par exemple, est devenu la source de référence pour le recensement des pertes matérielles des deux Parties au conflit ; L'IFW ( Institute for the world economy ) de Kiel recense les dons de toute nature des États à l'Ukraine.
La publication de ces données est elle-même un enjeu de la lutte informationnelle.
Il serait toutefois erroné de surévaluer le succès de la guerre informationnelle ukrainienne. D'une part, même dans les pays occidentaux, des études montrent qu'une part importante de l'opinion ne fait plus confiance aux médias . D'autre part, à l'Assemblée générale des Nations unies, les pays qui ont refusé de condamner les annexions illégales de territoires ukrainiens par la Russie représentent plus de la moitié des habitants de la planète. Nos biais cognitifs pourraient nous faire croire à une condamnation massive de la Russie au niveau mondial, ce qui n'est peut-être pas le cas.
2. Une guerre de la donnée
L'Ukraine a développé, dans les années qui ont précédé le conflit, des compétences particulières dans le domaine informatique (logiciels et applications) qui ont permis la création de centaines de start-ups dont de nombreuses sont connues au niveau mondial (MacPaw, Grammarly, Preply...). La forte présence ukrainienne dans la communauté numérique mondiale n'est probablement pas étrangère au soutien dont l'Ukraine a pu bénéficier par la suite de la part de plusieurs géants mondiaux du numérique (GAFAM).
Cette compétence particulière a permis, en outre, la mise en place très rapide d'une IT (Information technology) army qui rassemble, à l'initiative du gouvernement ukrainien, des combattants volontaires de la cyberguerre. L' IT Army n'a pas bouleversé le cours des événements mais elle a mené quelques actions significatives témoignant de l'imbrication du civil et du militaire dans cette guerre.
Les forces armées ukrainiennes mettent en effet plus généralement à profit des capacités à la fois civiles et militaires . Dès les premiers jours du conflit, SpaceX a livré des antennes Starlink permettant l'accès à l'internet par satellite, après une cyberattaque qui a coupé l'accès au service fourni aux forces armées ukrainiennes par le satellite KA-SAT. 22 000 antennes Starlink ont été livrées à l'Ukraine en 2022 - partiellement financées par Space X - et 10 000 supplémentaires ont été promises en décembre 2022.
L'utilisation d'une combinaison de capteurs civils et militaires mis en réseau, et l'exploitation rapide de la masse de données ainsi fournies, constituent un levier décisif de supériorité tactique pour les Ukrainiens. On estime qu'environ 80 % du renseignement ainsi exploité est de source ouverte . Chaque citoyen équipé d'un smartphone peut contribuer à l'effort de guerre : grâce à une application destinée à la défense aérienne (ePPO) chacun peut par exemple signaler le passage d'un aéronef, missile ou drone, afin de faciliter son interception.
L'intelligence artificielle est l'outil indispensable pour retirer de la masse d'informations en circulation un renseignement directement exploitable.
Dans cet environnement, la cohérence de l'action nécessite une grande souplesse du système de commandement et de contrôle (C2). La boucle observer-orienter-décider-agir (OODA) - évaluer et expliquer (OODA2E) doit être précise, fiable et réactive. Les procédures sont nécessairement décentralisées et accélérées : il s'agit de cibler avant d'être ciblé dans un environnement où l'information est quasi-instantanée. Une grande préparation est nécessaire en amont, pour ne perdre ni en efficacité ni en précision. La capacité à expliquer, à diffuser immédiatement des vidéos sur les réseaux sociaux participe aussi à la guerre de l'information.
A l'inverse, les Russes sont restés sur une conception très verticale du C2 qui a été source de dysfonctionnements.
3. Une cyberguerre permanente
Le cyberespace est un champ de confrontation permanent, où la guerre a commencé bien avant le 24 février 2022. Si les attaques se sont accélérées après le 24 février, dont celle sur le satellite KA-SAT précédemment mentionnée, les attaques sophistiquées ont toutefois été vite épuisées . Il n'y a pas eu de « Pearl Harbour » cyber, comme on aurait pu le craindre étant donné l'habileté russe en la matière.
L'Ukraine s'est révélée particulièrement résiliente. Comme l'a montré le général Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense, les Ukrainiens étaient prêts à affronter la cyberguerre russe : « Grâce à une défense en profondeur, assurée par les capacités ukrainiennes renforcées par les capacités américaines et avec l'apport significatif des GAFAM, notamment de Microsoft s'agissant des analyses, l'offensive a été bien moins percutante et efficace que prévu » 9 ( * ) . Les Ukrainiens ont bénéficié de la pratique américaine des opérations de « hunt forward » (« chasse en avant ») consistant pour le commandement de la cyberdéfense américain à se déployer de manière préventive et défensive dans des pays partenaires pour observer et détecter les cyberactivités malveillantes menées sur les réseaux du pays hôte.
La guerre électronique est également une dimension incontournable de ce type de guerre, affectant la précision des munitions, des drones, avec la possibilité de paralyser la chaîne de ciblage ennemie : la capacité russe dans de domaine pénalise par exemple fortement les drones ukrainiens.
4. Conduire une guerre à l'ère numérique nécessite souplesse, réactivité et capacité à fédérer les initiatives
La guerre de haute intensité est aujourd'hui une guerre intégrale dans laquelle aucun champ immatériel - champ informationnel, cyberespace, guerre électronique - ne doit être négligé.
La conduite de la guerre est profondément transformée par le numérique. Une des grandes forces des Ukrainiens est leur capacité à intégrer des capacités militaires et des capacités civiles. Sont ainsi exploitées conjointement : des technologies de masse (le smartphone ) et des technologies de niche (l'intelligence artificielle), des technologies civiles et des technologies militaires, des données à 80 % de source ouverte, mais aussi des données fermées, du renseignement d'origine national, international, public, privé, commercial etc.
L'agilité est le maître mot. Le modèle fermé, centralisé, vertical, est dépassé. Les bonnes idées peuvent venir du sommet ou de la base, du monde militaire ou du monde civil : l'important est de savoir les repérer, les mettre à l'épreuve puis les intégrer aux opérations.
Disposer d'une masse considérable d'informations, être capable d'exploiter des flux d'origine diverses, d'assurer des redondances et des dispositifs de contrôle, tout en maîtrisant la communication ne s'improvise pas. Il s'agit également de disposer d'un socle de capacités souveraines , complété par des partenariats internationaux.
La protection des réseaux informationnels nécessite des actions défensives, des pré-positionnements en amont et des vérifications incessantes. Disposer de compétences souveraines dans ce domaine est crucial. Cela implique de former et de fidéliser des personnels compétents , de disposer de réserves rapidement mobilisables, mais aussi de pouvoir compter sur la contribution de chacun à l'émergence d'une culture de la sécurité numérique .
II. ... MAIS AUSSI UN RETOUR AUX FONDAMENTAUX DE LA GUERRE
Se déroulant aux portes d'une Union européenne créée pour assurer la paix et la prospérité, la guerre d'Ukraine est un choc. Ce n'est pas sans précédent depuis la seconde guerre mondiale puisqu'il y a eu les guerres en ex-Yougoslavie, mais c'est nouveau pour la génération des « dividendes de la paix », alors que l'absence de menace immédiate et la suppression de la conscription avait éloigné les problématiques militaires du quotidien des Français.
Cette guerre invite à repenser l'arbitrage classique entre « masse » et « technologie », donc à interroger le format des armées après trois décennies de réduction des volumes, à peine tempérée par la remontée en puissance engagée depuis 2015.
A. LA « MASSE » AU CoeUR DU RAPPORT DE FORCE
1. Un conflit où l'aviation est peu présente
Comme dans la guerre du Haut-Karabagh, les avions sont peu impliqués dans le conflit, pour une première raison simple : « Le ciel est devenu trop dangereux » 10 ( * ) . Les systèmes de défense anti-aérienne créent un danger permanent pour des engins, relativement rares et coûteux, et pour leurs pilotes. Même en étant prudents sur ce plan, les Russes ont perdu au moins 69 avions. Ce chiffre serait sans doute bien supérieur s'ils avaient mené des campagnes de frappes aériennes d'ampleur.
Mais la dangerosité du ciel est aussi le résultat de l'incapacité des Russes à obtenir, au début du conflit, la supériorité aérienne :
« Le principal échec de l'armée russe tient à son mauvais emploi de sa puissante aviation. Les Russes se sont montrés incapables de conduire une campagne aérienne comme l'OTAN l'aurait fait, sous leadership américain. Cette campagne aurait consisté à détruire l'essentiel des radars, des systèmes de défense aérienne, ainsi que l'aviation adverse, afin d'obtenir la supériorité aérienne, condition indispensable à la liberté d'action des forces terrestres » 11 ( * ) .
Ce fut la première grande réussite des Ukrainiens dans le conflit : empêcher les Russes d'obtenir la supériorité aérienne, grâce à une combinaison de moyens :
- des systèmes de défense antiaérienne mobiles et efficaces (grâce notamment aux systèmes portatifs - manpads - fournis par les Occidentaux), qui ont permis de contester en permanence la présence russe dans l'espace aérien ;
- un emploi intensif de drones, notamment des drones armés turcs Bayraktar TB2, mais aussi des drones civils ;
- une capacité à faire évoluer de façon dynamique leurs capacités , en intégrant des moyens fournis par leurs partenaires (par exemple le missile antiradars américain AGM-88 intégré sur Mig-29).
S'ils sont parvenus à empêcher les Russes d'acquérir la supériorité aérienne, les Ukrainiens ne sont toutefois pas parvenus pour autant à conserver la maîtrise de leur ciel. Avions et hélicoptères sont donc peu présents dans ce conflit.
De fait, il n'y a pas eu de vraie campagne aérienne russe au début de la guerre, de nature à préparer l'engagement des forces terrestres. Les Russes ont envoyé en Ukraine une armée d'occupation dont ils pensaient qu'elle serait accueillie favorablement par la population et qu'elle suffirait à provoquer l'effondrement du régime, à partir du moment où quelques points névralgiques seraient atteints. Par ailleurs, le ciblage des défenses aériennes ukrainiennes a été médiocre et la boucle de décision russe, relativement lente et inefficace.
Les Russes ont échoué à mener à bien leur plan initial, en raison d'une doctrine très centrée sur le milieu terrestre, d'une aviation hétérogène, et d'une intégration insuffisante de la manoeuvre interarmes . Le nombre d'heures d'entraînement des pilotes russes est très inférieur au standard OTAN et leurs exercices semblent relever parfois davantage de la démonstration que de la préparation opérationnelle.
Depuis l'automne 2022, les forces armées russes ont entrepris de cibler méthodiquement les infrastructures économiques et énergétiques ukrainiennes, sans toutefois impliquer davantage leur aviation.
2. Le retour du combat naval
Si la guerre d'Ukraine n'est pas essentiellement maritime, son déclenchement par la bataille de l'île des Serpents le 24 février 2022, puis la destruction du croiseur russe Moskva le 22 avril 2022, ont remis au-devant de la scène, de façon spectaculaire, la dimension navale des conflits armés.
En amont de la guerre, les Russes ont basculé un certain nombre de moyens vers la mer Noire, tout en maintenant leur présence en Atlantique nord. La destruction du Moskva pose toutefois quelques questions quant à leur capacité à maîtriser l'environnement aéromaritime, à mettre en oeuvre des moyens de défense et à gérer une crise.
La marine russe demeure toutefois puissante. L'essentiel de ses moyens est préservé. En particulier, la flotte sous-marine russe est très performante ; plus généralement, les Russes disposent d'une capacité d'intervention dans les fonds marins qui constitue une menace potentielle (en-deçà ou au-delà du seuil du conflit armé).
La destruction des gazoducs Nordstream en mer Baltique, lors d'un acte de sabotage en septembre 2022, très probablement en lien avec le conflit même si cette action n'a pas été formellement attribuée, confirme que les fonds marins sont aussi un théâtre potentiel d'opérations (potentiellement de nature hybride).
Or 98 % des données numériques transitent par ces fonds marins , qui abritent également des infrastructures énergétiques vitales.
Par ailleurs, le blocage des ports ukrainiens par la Russie, avant l'accord trouvé en juillet 2022 avec la Turquie, sous l'égide de l'ONU, a mis en évidence l'enjeu que constituent les flux commerciaux , notamment alimentaires et énergétiques. Le transport maritime achemine 90 % de l'ensemble du commerce international des matières premières et des produits manufacturés, et plus de la moitié du pétrole mondial. En France, la quasi-totalité des importations de pétrole brut et de produits finis pétroliers est acheminée par voie maritime.
La sécurisation du trafic maritime est un enjeu crucial pour l'Union européenne , pris en compte notamment au travers :
- de l'opération Atalanta (dans une partie de l'océan Indien et de la mer Rouge : détroit de Bab el Mandeb) ;
- et de l'opération Agenor, initiée par la France (dans le golfe arabo-persique : détroit d'Ormuz).
Ces deux opérations sont en cours de rapprochement, Atalanta ayant désormais pour mission de mener à bien un processus de coordination avec Agenor pour s'ouvrir à progressivement à l'ensemble de l'océan Indien.
La sécurisation des flux en provenance du Proche et Moyen-Orient est d'autant plus stratégique que l'Europe se détourne de ses approvisionnements en provenance de la Russie.
Dès le début du conflit, la Turquie a bloqué le passage des détroits d'accès à la mer Noire aux navires de guerre, en application d'une interprétation contestable de la Convention de Montreux de 1936, dont les articles 20 et 21 disposent que « le passage des bâtiments de guerre sera entièrement laissé à la discrétion du Gouvernement turc » si la Turquie fait partie des belligérants ou « au cas où la Turquie s'estimerait menacée d'un danger de guerre imminent ». À défaut, « les bâtiments de guerre jouiront d'une complète liberté de passage et de navigation dans les Détroits (...) Toutefois il sera interdit aux bâtiments de guerre de toute Puissance belligérante de passer (...) » (sauf pour rallier un port d'attache).
Suite à la décision turque, même s'ils l'avaient voulu, les navires de l'OTAN auraient dont été dans l'impossibilité de mettre en place des corridors pour l'exportation des céréales ukrainiennes (à l'exception des navires turcs). Mais la marine russe est également très pénalisée, compte tenu de l'impossibilité pour les navires n'ayant pas leur port d'attache en mer Noire de rejoindre Sébastopol.
Cette interprétation de la Convention de Montreux est une illustration de ce que peut être la « guerre du droit » ( lawfare ).
L'usage de drones navals dans ce conflit est également particulièrement remarquable.
Dans ce contexte, de façon générale, les marines occidentales ne sont pas à l'abri d'un incident qui dégénèrerait . On se souvient de de la manoeuvre de la marine turque à l'encontre de la frégate Courbet en 2020. En 2021, un incident naval a opposé Britanniques et Russes, lors du passage du HMS Defender au large de la Crimée. En mer de Chine méridionale, la marine chinoise a un comportement de plus en plus agressif.
Un basculement soudain avec ouverture du feu en mer ne peut être totalement exclu.
3. La centralité du combat terrestre
Très classiquement, « la guerre est un acte de violence dont l'objectif est de contraindre l'adversaire à exécuter notre volonté » (Clausewitz). Dans cette confrontation des volontés, le rapport de force quantitatif joue un rôle clef et l'affrontement terrestre, pour la conquête du territoire et des populations, est au centre des enjeux.
En l'absence de supériorité aérienne, le combat terrestre est au coeur du conflit d'Ukraine. Contrairement à une guerre asymétrique, dans laquelle des frappes aériennes ciblées sont privilégiées, la guerre de haute intensité est une guerre des feux de tout type et dans tous les milieux, notamment les feux indirects : obus, roquettes, missiles, munitions télé-opérées, l'objectif étant de créer un effet de saturation et de sidération de l'adversaire. Toute une trame de feu est employée, à courte ou longue portée, nécessitant des stocks importants de munitions.
Cette guerre des feux est aussi une guerre des stocks, des réserves, une guerre économique, qui implique une économie de guerre.
Le bilan humain de cette guerre est considérable mais difficile à établir avec précision. Les pertes ont été estimées par le chef d'état-major américain Mark Milley à 100 000 victimes (morts et blessés) dans chaque camp, auxquels il faut ajouter au moins 40 000 civils tués dans des bombardements d'une extrême violence. Nous redécouvrons la létalité de la guerre.
Le chef d'état-major de l'armée norvégienne a récemment estimé les pertes russes à 180.000 soldats morts ou blessés, les pertes ukrainiennes au-delà des 100.000 morts ou blessés, auxquels il faut ajouter 30 000 civils tués .
En moins d'un an, les pertes matérielles recensées par les deux Parties sont très élevées : d'après les données fournies par le site internet Oryx, qui recense les pertes visuellement confirmées, les Russes auraient perdu au moins 1640 chars, 169 lance-roquettes multiples (LRM), 317 canons automoteurs, 88 systèmes de défense sol-air, 69 avions, 75 hélicoptères, 169 drones et 12 navires.
Tandis que la guerre « choisie » permet de planifier et de doser l'effort, la guerre de haute intensité complexifie les intégrations interarmées de capacités.
Chaque armée est en effet confrontée à sa guerre de haute intensité, avec ses contraintes propres : notamment en France, pour la marine et l'armée de l'air, la sanctuarisation des moyens de la dissuasion nucléaire. Dans ce contexte, et compte tenu de l'accélération de la boucle de décision, l'armée de terre doit pouvoir bénéficier de capacités suffisantes pour assurer sa propre protection .
5. Le retour de la haute intensité nous oblige à revenir aux fondamentaux des conflits armés
Guerre symétrique, de haute intensité, sans supériorité aérienne, la guerre d'Ukraine nous oblige à revenir aux fondamentaux des conflits armés, menés pour conquérir un territoire et soumettre des populations. C'est une guerre d'attrition, dont la létalité est considérable et dans laquelle le rapport de force numérique et la capacité à durer grâce à des stocks et flux suffisants sont primordiaux. À force d'utiliser le mot « guerre » à tout propos, pour parler de guerre hybride ou même de guerre sanitaire, de guerre économique, ou d'économie de guerre... nous en sommes venus à oublier ce que signifiait le mot « guerre ». On parle donc maintenant de « guerre de haute intensité ».
La haute intensité nécessite de disposer de stocks suffisants - et / ou de la capacité à produire rapidement des équipements et munitions afin de pouvoir mettre en oeuvre des feux tant au contact qu'à courte, moyenne ou longue portée.
En haute intensité, la défense de proximité du combattant est un impératif de survie . Cette guerre souligne l'importance des défenses aériennes : capacités de défense sol-air, lutte anti-drones. Vulnérables aux attaques par les airs, les unités terrestres doivent bénéficier de bulles d'auto-protection mobiles, incluant des capacités de détection et de défense autonomes, ne dépendant pas seulement de la manoeuvre interarmées. Cette capacité de défense doit être résiliente aux tentatives de suppression adverses.
B. LA TECHNOLOGIE, UN FACTEUR QUI DEMEURE DÉCISIF
1. La haute technologie reste un facteur de différenciation
La technologie reste un facteur clef sur le champ de bataille d'un conflit symétrique :
- Elle est garante de la crédibilité de la dissuasion nucléaire , dont on a déjà évoqué l'importance ;
- Elle fait la différence dans les premières phases d'un conflit ( entrée en premier ) : missiles de croisière, missiles balistiques et, à l'avenir, missiles hypersoniques (domaine dans lequel les Russes ont particulièrement investi), moyens de suppression des défenses aériennes ennemies ;
- Elle détermine la précision des frappes , donc la maîtrise des dommages. Si la Russie fait peu de cas des conséquences de ses frappes sur la population et les infrastructures civiles, ce ne serait pas le choix d'armées telles que la nôtre. C'est l'une des raisons pour lesquelles il n'est pas question de faire l'impasse sur des technologies de précision.
- La rapidité et la précision des armes peuvent dans certains cas compenser l'absence de quantité disponible (un tir suffit pour atteindre la cible) tout en réduisant les besoins logistiques, mais à condition d'être accompagnés de moyens de guerre électronique ;
- L'utilisation efficace d'une masse d'équipements nécessite des moyens d'information et de communication sophistiqués ainsi que le développement du combat collaboratif.
L'enjeu n'est donc pas de développer la masse au détriment de la technologie mais de répondre au juste besoin dans chaque phase du conflit et de ne pas utiliser des armements surspécifiés pour atteindre un objectif qui pourrait l'être avec un rapport coût/efficacité bien moindre.
La haute technologie est le carburant des industries de souveraineté (par exemple, l'industrie spatiale) ; c'est en outre un moteur pour l'économie.
2. L'agilité technologique : le rôle des drones
L'agilité technologique est essentielle à la résilience.
À l'ère numérique, la quantité n'est pas exclusive de la technologie : des technologies sophistiquées sont disponibles (le smartphone ) au plus grand nombre à un coût limité. La technologie grand public rend aujourd'hui de grands services aux soldats ukrainiens. Il faut continuer évidemment à utiliser des technologies militaires de pointe sécurisées mais sans se priver des technologies du monde civil, ni entrer dans des cycles d'innovation si longs que la technologie risque d'être obsolète quand elle sera déployée. Tous les moyens à disposition doivent pouvoir être utilisés, à condition de maîtriser les risques associés.
Sur un autre plan, les guerres récentes ont confirmé l'usage à grande échelle de drones et munitions télé-opérées (MTO) , en complément d'autres moyens.
Après avoir été utilisés à titre principal pour des missions ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), les drones servent aujourd'hui aussi d'effecteurs, en étant intégrés aux dispositifs offensifs, en coordination avec l'artillerie et l'usage de MTO, avec un gain en termes de précision des frappes et un raccourcissement de la boucle décisionnelle.
Dans le conflit d'Ukraine, le rôle des drones est d'autant plus déterminant que l'usage de l'aviation et des hélicoptères est restreint par l'absence de supériorité aérienne acquise. Le risque de pertes de vies humaines et le rapport coût/efficacité défavorable des avions/hélicoptères milite pour l'usage de drones. Leur coût, relativement modéré, en font des équipements dans une certaine mesure consommables, comme le sont des munitions, du moins s'agissant des petits drones et MTO.
En 2020, au début de la guerre du Haut-Karabagh, l'Azerbaïdjan possédait ainsi une vingtaine de drones israéliens (Heron, Hermès 900...) et une dizaine de drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) turcs Bayraktar TB2, auxquels il faut ajouter environ 250 munitions télé-opérées (MTO), d'origine israélienne, qui ont joué un rôle décisif dans le conflit du Haut-Karabagh. La commission a publié à l'époque deux rapports tirant les enseignements de l'usage déterminant des drones dans ce conflit 12 ( * ) . Mais les évolutions sur ce sujet en France ne sont que très récentes (voir ci-après III).
À partir de la deuxième phase de la guerre d'Ukraine, lorsque l'armée russe a redéployé son effort vers le Donbass, la concentration d'artillerie sur des fronts peu étendus a incité les deux Parties à une utilisation intensive de drones peut coûteux pour la reconnaissance et l'acquisition de cible.
Parmi la gamme de drones employés, on trouve :
- de petits drones quadricoptères commerciaux adaptés ;
- des drones à voilure fixe low cost (par exemple le drone Orlan-10 russe) ;
- des drones MALE : le TB2 côté ukrainien et le drone Orion côté russe.
90 % des drones utilisés par les forces armées ukrainiennes depuis le début du conflit ont été perdus 13 ( * ) :
- La durée de vie moyenne d'un petit drone quadricoptère est de trois vols ;
- Celle d'un petit drone à voilure fixe de six vols.
Qui plus est, une part importante des missions réalisées par ces drones aboutit à un échec, notamment dans le cas de drones volant sur des trajectoires préprogrammés (sans transmettre de données pour plus de sécurité) ou en raison des manoeuvres défensives adverses (brouillage, destruction physique...). Un tiers environ seulement des missions réalisées par des drones dans cette guerre auraient été couronnées de succès.
La réglementation doit s'adapter à cet usage nouveau des drones pour permettre l'entraînement car, comme l'établit l'étude du RUSI pour le Royaume-Uni, « aujourd'hui, il y a moins de restrictions administratives pour tirer un obus de 155 mm au-dessus de routes civiles que pour y faire voler un système de drones afin de surveiller ce qui est frappé ».
De façon générale, le secteur des petits drones civils a été particulièrement dynamique en France au cours de la dernière décennie, grâce à une réglementation de 2012 sur les usages. Il faudra veiller à ce que les nouvelles règles qui seront édictées au niveau européen préservent ce dynamisme dans un secteur par essence dual.
6. Généraliser la présence de drones dans les unités en tant qu'outil de reconnaissance mais aussi de frappe est une nécessité
L'innovation de masse, duale, de rupture, en cycle court doit être mieux valorisée. La guerre d'Ukraine confirme le rôle devenu prééminent des drones, en particulier l'importance de disposer de munitions télé-opérées, de coût modéré, considérées dans une certaine mesure comme des équipements consommables au même titre que les autres munitions. L'expérience ukrainienne montre que 90 % des drones de ce type sont perdus, avec des durées de vie de l'ordre de trois à six vols en moyenne.
La France dispose de drones MALE Reaper, armés, très utiles dans des guerres asymétriques, mais qui, compte tenu de leur vulnérabilité et de leur coût, se révèleraient difficilement exploitables dans un contexte symétrique.
Dans ce type de conflit, pour survivre, toutes les unités terrestres doivent être équipés d'engins non pilotés, tant pour le renseignement que pour le ciblage et la frappe. Des moyens de lutte anti-drones sont, de la même façon, indispensables.
C. LES FORCES MORALES AU CoeUR DU CONFLIT
Rien n'est très nouveau dans ce constat : la guerre est d'abord un affrontement des volontés et des forces morales.
La résistance ukrainienne doit beaucoup à ce facteur. Incarnée au premier jour de la guerre par son Président Volodymyr Zelensky, refusant d'être exfiltré de Kiev (« J'ai besoin de munitions, pas d'un taxi »), la nation ukrainienne s'est tout entière soulevée contre l'agresseur, le 24 février 2022, ce qui a probablement été la dimension la plus mal anticipée par Moscou.
La force morale des Ukrainiens perdure dans le temps, malgré les morts, civils et militaires, les crimes de guerre, les destructions urbaines, les coupures d'eau, d'électricité. Chaque Partie tente de décourager les soldats et la population adverse : les forces morales sont en soi un enjeu, un terrain d'affrontement.
Du côté russe, la mobilisation et l'exil de nombreux opposants à la guerre ont aussi renforcé, in fine , le soutien de la population au pouvoir. Un fort nationalisme entretenu par un récit mémoriel omniprésent, véhiculé par le président, le gouvernement et les médias, constitue un terreau favorable. La faible préparation psychologique des soldats, la surreprésentation des minorités au sein de la population mobilisée, l'enrôlement de criminels et de délinquants ont pu susciter des doutes : les Russes seraient-il capables de susciter un vrai élan de la part de leur armée et de leur population dans ce contexte ? Les Ukrainiens ne se sont pas privés de souligner les lacunes dans la préparation et l'équipement des soldats mobilisés dans le camp adverse. Mais il est probable que, plus la guerre dure, plus la nation russe se rassemble, notamment dans l'hypothèse d'un élargissement de la mobilisation.
L'interpénétration des mondes civil est militaire est l'un des facteurs d'explication de l'état d'esprit combatif des Ukrainiens.
Depuis 2014, l'armée ukrainienne est en guerre. Elle a fait face, pendant 8 ans, à l'armée russe, le long de la ligne de contact avec les « républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk. Le turnover des soldats sur cette ligne de contact a été très important, ce qui fut un handicap pendant longtemps, mais s'est révélé une grande force à partir du 24 février 2022, car une grande partie des forces vives de l'Ukraine avaient reçu une formation militaire. L'Ukraine a dès lors pu mobiliser de nombreux réservistes. L'unification, en janvier 2022, des forces de défense territoriale ukrainiennes , a permis de faire fructifier cet avantage, malgré un équipement insuffisant et des mécanismes de commandement et de contrôle (C2) peu adaptés à l'utilisation optimale de ces forces. Les réservistes ont néanmoins joué un rôle croissant, protégeant d'abord l'arrière avant de tenir le terrain voire de contribuer à des opérations offensives 14 ( * ) .
Au sein de l'armée elle-même, un tournant important fut la réorganisation impulsée par l'OTAN en 2014, avec notamment la création d'un corps de sous-officiers et l'abandon de la logique hiérarchique rigide issue de l'époque soviétique. La conduite centralisée des opérations laisse la place à une forme de subsidiarité, laissant une grande part d'initiative aux échelons les plus proches du terrain . Entre 2014 et 2022, le modèle a changé. L'intégration des forces de défense territoriale et de nombreux volontaires après le 24 février ont parachevé ce changement de modèle.
7. La force morale et la cohésion de la nation se préparent en amont
La force morale ne se décrète pas mais elle se prépare, en créant les conditions d'une porosité entre les mondes civil et militaire .
La fidélisation est une question qui préoccupe légitimement les armées, un turnover élevé étant coûteux en termes de formation et en raison des pertes de compétence induites. Mais ce turnover peut aussi avoir pour effet de favoriser la porosité entre mondes civil et militaire , en augmentant le nombre réservistes de premier et de second niveau (RO1 et RO2), contribuant ainsi à la résilience de la nation. Donner ainsi une expérience militaire, même de courte durée, à un jeune, a un retour d'investissement dans le temps, pour lui-même et pour l'ensemble de la société. C'est tout l'intérêt aussi de dispositifs tels que le Service militaire adapté (SMA) ou le Service militaire volontaire (SMV).
Plus généralement, surtout, l'objectif de doubler la réserve pour parvenir à 100 000 réservistes en 2030, est un bon objectif à condition que ces réservistes soit suffisamment équipés et entraînés . Or les freins sont nombreux , à commencer par la nécessité d'obtenir l'accord de l'employeur pour les activités accomplies pendant le temps de travail au-delà de 5 jours par an (8 dans les entreprises de plus de 250 salariés). Les entreprises restent réticentes à employer des réservistes. Du côté des armées, les missions des réservistes doivent être clarifiées et plus adaptées aux besoins.
Se pose, au-delà, la question d'un dispositif citoyen qui toucherait tous les jeunes. C'est l'ambition du Service national universel (SNU), dispositif éducatif qui comporte une initiation aux problématiques de défense et de sécurité. Ce dispositif, tel qu'actuellement conçu, risque toutefois de passer à côté de l'objectif poursuivi. Son coût exorbitant ne doit en tout état de cause pas obérer les moyens consacrés à la remontée en puissance de nos armées.
III. UNE GUERRE QUI APPELLE DES MESURES CONCRÈTES DANS LA PROCHAINE LPM
Un an après le déclenchement de la guerre, les groupes de travail, colloques et rapports sur les enseignements du conflit se multiplient.
Mais, alors que certains de nos alliés - certes, les plus concernés par la menace russe - ont déjà relancé leurs acquisitions et augmenté substantiellement leurs efforts de défense, la France poursuit la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire de 2018, dans un contexte géostratégique pourtant bouleversé.
A. UN AN APRÈS, QUELLES LEÇONS ONT ÉTÉ TIRÉES ?
1. Une nouvelle Revue nationale stratégique qui manque d'ambition
Élaborée en vue de la prochaine loi de programmation militaire, la Revue nationale stratégique présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 a pour objet de présenter l'environnement de défense et de sécurité de la France et d'identifier les principaux enjeux dans ce domaine à l'horizon 2030.
Par rapport à la précédente Revue stratégique, en date de 2017, actualisée en 2021, sa principale innovation est d'élargir la liste des fonctions stratégiques, désormais au nombre de six, en y introduisant l'influence , ce qui est une évolution positive, au regard de la guerre d'influence qui se joue au niveau mondial, dont l'Afrique est l'un des terrains, et dont la guerre d'Ukraine est l'une des illustrations (voir aussi I. D.).
Pour le reste, la RNS réaffirme les postulats précédents , sans que les chocs de la pandémie de covid-19, de la guerre en Ukraine ou du recul de la France en Afrique ne semblent réellement pris en compte à hauteur de leur importance.
La RNS a été conçue dans l'urgence et, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, la commission n'a pas été réellement associée à son élaboration . Elle a été consultée, en fin de parcours, dans des délais très restreints, sur un texte déjà rédigé.
Si l'exercice a abouti à des constats largement partagés, on y perçoit peu l'ambition et les choix stratégiques qui doivent en découler. La RNS manque d'objectifs concrets , au-delà des grands principes qui sont réaffirmés tels que l'autonomie stratégique, l'inscription dans le cadre des coopérations atlantique et européenne etc.
Certains sujets pourtant majeurs ne sont qu'effleurés : notamment l'autonomie d'accès à l'espace, sujet critique aujourd'hui pour l'Europe, ou les sujets capacitaires (hors dissuasion nucléaire). Le retour de la menace dite symétrique, et le risque d'un conflit de haute intensité en Europe, implique pourtant de repenser notre modèle d'armée pour gagner en épaisseur , ce qui constitue un tournant majeur par rapport au format et à l'ambition actuelle, principalement axés sur un modèle expéditionnaire qui est celui des conflits asymétriques contre les groupes armés terroristes.
Dès lors, la RNS n'apporte qu'un éclairage très partiel, peu prescriptif, en vue de la future loi de programmation militaire . Toutes les implications concrètes des constats faits dans ce document restent à formuler.
L'évolution du contexte géostratégique n'aurait-il pas nécessité un exercice de type « Livre blanc » ? Entre la RNS et la LPM, il manque en effet un cadrage global de nos ambitions opérationnelles et capacitaires , sur la base de différents scénarios d'engagement des armées à l'horizon de la fin de la décennie. Une telle réflexion doit servir de socle à la définition de nouveaux contrats opérationnels des armées qui feront la jonction entre la réflexion géostratégique et la définition d'un nouveau format renforcé.
2. Peu d'avancées concrètes sur « l'économie de guerre »
La base industrielle et technologique de défense (BITD) française est constituée d'une dizaine de grandes entreprises qui structurent autour d'elles un tissu de 4 000 entreprises de toute taille, majoritairement des PME, souvent duales. Ces entreprises, qui irriguent les territoires, représentent au minimum 200 000 emplois . La BITD repose, selon des estimations plus complètes, sur un vivier de 500 000 à 600 000 personnes hautement qualifiées dans l'industrie et les services associés 15 ( * ) . Suite à la crise engendrée par la pandémie de covid-19, un soutien spécifique a été apporté à ce tissu industriel. La loi de programmation militaire a toutefois été considérée comme constituant en elle-même un « plan de relance » suffisant.
La crise ukrainienne a entraîné des difficultés supplémentaires, en raison de l'augmentation des coûts de l'énergie et de la hausse des prix et la raréfaction des matières premières et composants .
C'est dans ce contexte qu'a démarré un travail d'ensemble, entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels, pour donner suite au discours du Président de la République à Eurosatory (juin 2022), annonçant « l'entrée dans une économie de guerre » pour tirer les enseignements du conflit ukrainien.
Des séminaires ministériels ont eu lieu et des groupes de travail ont été mis en place, avec plusieurs grands objectifs :
- Du côté de l'État : une réduction de 20 % des exigences documentaires demandées dans les programmes d'armement est recherchée, ainsi qu'une simplification de l'expression des besoins. Il s'agit de trouver la juste performance nécessaire au regard du coût des programmes.
- Du côté des industriels : l'accent doit être mis sur l'optimisation des cycles de production dans l'hypothèse où un engagement majeur imposerait une accélération.
Il s'agit de produire plus vite et de produire plus pour répondre à une demande croissante : cela implique d'anticiper les approvisionnements en pièces ou composants, et d'accroître la capacité de production, ce qui a un coût pour l'industriel. Celui-ci a besoin d'un minimum de visibilité, par exemple au travers de contrats cadres pluriannuels (pour la livraison de munitions par exemple).
Ce besoin de visibilité est particulièrement avéré pour les PME . Suite au déclenchement du conflit ukrainien, il a été demandé à de petites entreprises de se tenir prête, disponible pour répondre à d'éventuelles commandes de l'État, quitte à repousser d'autres ventes... sans que cela ne se concrétise par des engagements fermes.
Dans le cadre de ce travail avec les industriels, l'accent est mis sur douze gros objets ( « top 12 » ), qui doivent faire l'objet d'un effort particulier dans la prochaine LPM. Pour ces objets, les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps si cela se révélait nécessaire, ce qui nécessite donc de produire des pièces en amont.
Un effet concret a été la commande, selon une procédure accélérée, de 18 systèmes Caesar en 2022, pour recompléter la dotation de l'armée de terre avant la fin 2024, après le don de 18 systèmes, soit un quart des stocks, à l'Ukraine. Mais un recomplètement serait beaucoup plus complexe pour le char Leclerc, par exemple, car il nécessiterait la remise en place d'une ligne de production aujourd'hui supprimée.
Les dons de matériels à l'Ukraine ont montré non seulement la faiblesse de nos stocks, pour certains équipements, mais aussi la nécessité de relancer l'outil industriel pour répondre à l'accroissement de la demande .
La haute intensité nécessite une résilience industrielle : ainsi, de mars à novembre 2022, les forces ukrainiennes ont consommé l'équivalent de 13 ans de production américaine de missiles sol-air courte portée Stinger et de 5 ans de missiles anti-chars Javelin 16 ( * ) . La résilience n'est pas seulement celle d'une entreprise mais celle de tout un tissu industriel puisqu'un missile, par exemple, suppose l'assemblage de milliers de composants. Cette résilience ne peut être générée que par des commandes nationales ou à l'export.
La situation est hétérogène de ce point de vue. Ainsi l'export a alimenté les chaînes de production du Caesar depuis la dernière commande française qui remontait à 2004 et la dernière livraison à l'armée de terre en 2011. Mais ce n'est pas le cas pour le char Leclerc, dont la chaîne de production a fermé en 2008. La cession éventuelle d'une partie des chars de combat français à l'Ukraine soulèverait donc des difficultés importantes.
On voit, avec cette guerre d'Ukraine, tout l'intérêt de s'inscrire dans un « club » (chars Leopard 2, Abrams américain...) qui génèrent des volumes de commandes importants et facilitent la mise en oeuvre de coopérations. C'est le cas pour le canon Caesar, acquis par plusieurs pays en 2022, dont au moins 49 systèmes ont été ou seront livrés à l'Ukraine (18 cédés par la France, 19 par le Danemark et 12 financés par le fonds français de soutien à l'Ukraine de 200 M€). Un accord a en outre été passé avec l'Australie pour produire des munitions de 155 mm.
Pour cette remontée en puissance de l'industrie, l'enjeu des ressources humaines est particulièrement sensible : les compétences sont rares, des temps de formation sont nécessaires. Afin d'anticiper une éventuelle montée en puissance de la production, donc des besoins en personnel, la constitution d'une réserve industrielle de défense pourrait être utile. Au même titre que les réserves militaires, elle aurait aussi le mérite de contribuer à la diffusion d'un esprit de défense, comme évoqué précédemment (II. C).
La notion d'économie de guerre pose aussi la question de la souveraineté : pour quels approvisionnements acceptons-nous de dépendre de nos compétiteurs, et même de nos alliés et partenaires ? Alors que la plupart des États européens renforcent leur effort de défense, certains délais d'approvisionnements peuvent être particulièrement longs. Dans un tel contexte de file d'attente, les États producteurs de tel ou tel matériau ou composant particulier se serviront naturellement en premier. Il est nécessaire d'analyser, au cas par cas, s'il convient plutôt de faire des stocks ou de relocaliser la production .
C'est notamment le cas en ce qui concerne les poudres propulsives, aujourd'hui importées, pour lesquelles une relocalisation est nécessaire.
La mise en place de stocks stratégiques , pour les composants et matières premières les plus critiques, se révèle nécessaire afin d'assurer la continuité des activités industrielles en cas de crise. L'État doit s'impliquer pour que les industriels bénéficient d'un minimum de visibilité dans la constitution de ces stocks.
Un dispositif de priorisation de l'industrie de défense , vis-à-vis d'autres activités, en cas de crise, serait par ailleurs souhaitable, d'autant que les volumes d'approvisionnement nécessaires ne sont pas toujours à l'avantage de l'industrie de défense (concurrencée dans ses approvisionnements par des industries grand public).
Des relocalisations sont nécessaires, sur des activités de souveraineté. C'est en particulier le cas s'agissant de la production de poudre pour les obus de gros calibre.
8. L' « économie de guerre » : passer des mots aux actes
Si l'expression d' « économie de guerre » a le mérite d'impulser une dynamique, elle est excessive au regard des objectifs poursuivis et, surtout, des résultats obtenus à ce jour.
Sans engagements fermes de l'État, sans contrats-cadres pluriannuels , les industriels continuent à dépendre de l'exportation et ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer le cas échéant à monter en puissance. Un engagement sur des volumes permet d'obtenir, en outre, des économies d'échelle, ce que ne permettent pas des commandes fragmentées. En reportant l'effort à la prochaine LPM, nous avons déjà perdu au moins un an . Or la remobilisation de l'industrie, la relance de la production sont cruciales pour répondre à une demande croissante. C'est d'autant plus nécessaire que certaines industries concurrentes sont, quant à elles, bien présentes et prêtes à assurer un recomplètement rapide des stocks d'équipements livrés à l'Ukraine (États-Unis, Corée du sud...). Le risque, à défaut, est celui de la marginalisation de l'industrie française.
En outre, plusieurs verrous doivent être levés :
- La simplification des procédures et des normes, la réduction des exigences documentaires sont des priorités : il est possible de qualifier beaucoup plus rapidement des produits néanmoins sûrs et fiables , et d'accélérer ainsi considérablement les programmes.
- Des relocalisations sont nécessaires. C'est le cas pour les poudres propulsives.
- L'État doit s'impliquer avec les industriels dans la constitution de stocks stratégiques , mutualisés, autant que possible, entre secteurs industriels.
- En cas de crise , un dispositif doit permettre à l'industrie de défense d'être approvisionnée en priorité .
- Les entreprises de la BITD sont confrontées à une pénurie de main d'oeuvre . En 2022, 86% des entreprises du secteur de la défense terrestre anticipaient des difficultés pour recruter. Un grand plan interministériel de revalorisation des métiers industriels est nécessaire. L'industrie, et en particulier l'industrie de défense, est partie prenante de la souveraineté. La mise en place d'une réserve industrielle de défense pourrait être l'un des fers de lance de cette stratégie.
- Les entreprises de la BITD sont confrontées à une pénurie de financements : le soutien des acteurs financiers privés est indispensable , pour passer à l'échelle de l' « économie de guerre », ce qui implique une vigilance particulière vis-à-vis des initiatives réglementaires européennes (de type écolabel, taxonomie). Le risque à l'image doit s'inverser , en valorisant les activités de souveraineté et de défense. La guerre d'Ukraine souligne toute la légitimité d'une telle démarche.
B. UN RETOUR D'EXPÉRIENCE À CONCRÉTISER DANS LA NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE
La LPM en cours a été considérée par le gouvernement comme suffisante, moyennant des actualisations non législatives, pour répondre tant à la crise du covid qu'à celle de l'Ukraine.
Un an s'est maintenant écoulé depuis le début du conflit, sans que le Parlement puisse réellement débattre des enseignements qu'il faut tirer de ce tournant géostratégique majeur pour nos propres forces.
L'examen de la prochaine LPM sera l'occasion de ce débat, dont on peut regretter qu'il soit si tardif, au regard de l'effort déjà entrepris par nombre de nos partenaires.
1. Des formats à reconsidérer ?
Les volumes d'équipements et les effectifs des armées françaises ont considérablement décru en trente ans, comme le montre le tableau ci-dessous. La « masse » n'est pas le seul facteur décisif sur le champ de bataille, comme cela a déjà été rappelé, mais il est néanmoins légitime de s'interroger sur la pertinence des niveaux atteints dans le contexte actuel .
Évolution de la « masse » dans les armées françaises
1991 |
2021 |
Ambition 2030 |
|
Chars de combat |
1349 |
222 |
200 |
Avions de combat |
686 |
254 |
225 |
Grands bâtiments de surface |
41 |
19 |
19 |
Effectif militaire (et réservistes) |
453 000 (420 000) |
203 000 (41 000) |
Source : Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant et Michel Pesqueur, « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Focus stratégique, n° 105, Ifri, juin 2021.
Ces formats pour les équipements majeurs doivent être réexaminés au regard tant des circonstances nouvelles que des ambitions de la France.
L'Ambition 2030, telle que fixée par l'actuelle LPM est-elle encore suffisante ? Cette Ambition portera par exemple le nombre de Rafale de l'armée de l'air et de l'espace à 185 17 ( * ) . La pertinence de ce format pose question au regard du contexte actuel, d'autant que le parc de Rafale sera inférieur en 2025 à ce qui est prévu par la LPM (117 au lieu de 125). L'armée de l'air et de l'espace vient en outre de fermer un escadron de Mirage 2000C.
« Lorsque je me suis engagé dans l'armée de l'air, il y a 36 ans, nous disposions de 750 avions de chasse mais ils étaient « mono-mission ». Un Rafale, en revanche, permet de remplir les missions de plusieurs appareils, quoiqu'il ne soit pas doué d'ubiquité : un plancher de 185 appareils est probablement trop bas ; sans doute faudrait-il tendre vers un plancher de 225 avions afin de pouvoir remplir sereinement nos missions. » 18 ( * )
Pour l'avenir, les incertitudes sur les programmes MGCS (système principal de combat terrestre) et SCAF (système de combat aérien du futur) sont très préjudiciables. Elles doivent inciter à laisser une place, dans la réflexion et dans l'allocation des moyens, à d'éventuelles solutions alternatives (« plans B »), au plan national ou selon d'autres formats de coopération, pour combler le retard probable, voire l'échec toujours possible de ces programmes.
2. Des capacités terrestres à renforcer
L'attrition matérielle considérable dans ce conflit a déjà été évoquée (II. A.) : 1640 chars, 169 LRM, 317 canons automoteurs, 88 systèmes de défense sol-air, 69 avions, 75 hélicoptères, 169 drones et 12 navires ... telles sont les pertes (confirmées visuellement) que les forces armées russes ont subies en moins d'un an.
Ces ordres de grandeur signifient que dans l'hypothèse - purement théorique - où la France serait confrontée à un conflit du même type, on peut dire approximativement que l'ensemble des chars français auraient été perdus à la fin du mois de mars, l'ensemble des VBCI au début du mois d'avril, l'ensemble de l'artillerie (Caesar + AUF1 + LRU) avant la fin avril et l'ensemble des 1800 Griffon en août 19 ( * ) .
L'hypothèse est théorique : il ne s'agit évidemment pas de laisser penser que la France pourrait être envahie demain mais plutôt d'évaluer l'ampleur des pertes subies dans une guerre de haute intensité et notre capacité à contribuer à un effort commun dans ce type de conflit.
Nos armées doivent désormais monter en puissance pour un certain nombre de capacités terrestres indispensables dans un contexte d'environnement aérien contesté :
- Les feux dans la profondeur , essentiels en l'absence de supériorité aérienne.
La France dispose théoriquement, en 2021, de 119 canons de 155 mm (dont 18 cédés depuis lors à l'Ukraine) et de 13 lance-roquettes unitaires (LRU) (dont 2 cédés).
La réalité serait plutôt de l'ordre d'une centaine de tubes, dont une cinquantaine disponibles à un instant t.
Pour mémoire dans l'offensive sur le Donbass, les forces armées russes auraient déployé plus de 1 100 pièces d'artillerie à tubes, dans un rapport de force de 12 contre 1 face aux Ukrainiens.
Le LRU (M270) est remplacé, aux États-Unis, par le HIMARS 20 ( * ) (M142), plus léger (à roues). L' US Army a lancé, en 2022, l'acquisition de 500 HIMARS supplémentaires d'ici à 2028 (soit cent par ans pendant cinq ans) 21 ( * ) .
En France, il ne reste que 8 LRU fonctionnels, après la cession de deux unités à l'Ukraine. Il est urgent de préparer le remplacement du LRU, dans les cinq ans à venir, si nécessaire par un achat « sur étagère » .
De nouveaux CAESAR ont été commandés en 2022 pour l'armée de terre : 18 pour compenser la cession à l'Ukraine, et 33 systèmes CAESAR NG (précédemment commandés), l'objectif étant à terme de disposer de 109 CAESAR NG.
Le remplacement de ces capacités essentielles est prévu, à terme, dans un cadre européen. Le programme franco-allemand Common Indirect fire system (CIFS) doit notamment pourvoir à la succession du système CAESAR.
Mais l'aboutissement de ce programme a été reporté de 2040 à 2045 ce qui, dans le contexte actuel, est regrettable. La guerre d'Ukraine milite pour relancer rapidement les coopérations sur l'artillerie du futur .
- Les drones et les munitions téléopérées (voir aussi II. B.) : pour ce qui est des drones armés, la France ne possède pour le moment que ses 12 drones MALE Reaper, qui se sont révélés très utiles en OPEX, mais qui sont coûteux et vulnérables donc peu adaptés en situation de guerre symétrique haute intensité.
La France évolue lentement sur le sujet des drones armés. Le gouvernement n'a autorisé l'armement des drones MALE Reaper qu'en 2017, à la suite d'un rapport de la commission 22 ( * ) .
Le débat est obscurci par la question des systèmes d'armes létaux autonomes (SALA), actionnés non par l'humain mais par une intelligence artificielle, ce qui pose des questions légitimes mais constitue un autre débat.
Le rapport précité de la commission a rappelé, notamment, que la France appliquait les mêmes règles d'engagement du feu pour un avion de chasse et pour un drone ; à aucun moment la décision n'est prise par la machine (le drone étant du reste un engin piloté).
Une partie de notre retard dans le domaine des drones de contact (nano-drones, micro-drones, mini-drones de renseignement) est en cours de rattrapage, avec l'objectif d'avoir à terme 3500 petits drones.
L'entrée en service des systèmes de drone tactique (SDT) Patroller est toujours attendue, après l'accident de 2019. Le Ministre des armées vient de confirmer que ces drones seraient armés , comme le demande la commission depuis déjà plusieurs années.
Se pose toujours la question des munitions télé-opérées, qui devra être traitée en LPM, comme le demande là encore la commission depuis la guerre du Haut-Karabagh (2020).
Un « socle » de 1800 MTO serait proposé dans le cadre de la LPM.
Le ministre des armées, a indiqué en juillet 2022 à la commission que le drone américain Switchblade était en cours d'évaluation. Quelques semaines auparavant, la Direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence de l'innovation de défense (AID) ont lancé deux appels à projets pour développer des munitions téléopérées (MTO) françaises, selon une méthode innovante laissant aux industriels un degré accru de liberté quant aux moyens proposés pour réaliser les objectifs qui sont les suivants :
- Larinae porte sur la recherche d'un système bas coût de neutralisation et à « longue élongation », soit au-delà de 50 km à partir de son point de mise en oeuvre ;
- Colibri porte sur la recherche d'un système bas coût de neutralisation de cibles, dans la zone de contact, soit au-delà de 5 km à partir de son point de mise en oeuvre.
Les marchés ont récemment été attribués à des consortiums formés autour des industriels Nexter, MBDA, Delair et EOS Technologie.
Si la dronisation est un enjeu majeur dans le milieu aérien, c'est également le cas dans les milieux terrestre et maritime. La dronisation est en particulier un démultiplicateur de forces dans le domaine naval , avec le développement d'engins autonomes évoluant tant en surface que dans l'espace aéromaritime et dans les fonds marins.
C'est un enjeu d'avenir sur lequel de nombreuses marines étrangères montent en puissance et pour lequel il est encore temps de ne pas prendre un retard tel que celui accumulé dans le domaine des drones aériens .
- Les défenses sol-air et moyens de lutte anti-drones : L'armée de l'air dispose aujourd'hui de de 18 systèmes de défense sol-air (8 SAMP/T et 10 Crotale), ce qui est très peu. Des contrats opérationnels fortement mutualisés ont réduit fortement les volumes.
Or dans l'hypothèse d'un engagement majeur, il faudrait protéger à la fois le territoire national dans son ensemble, les moyens de la dissuasion, et le déploiement de forces sur la zone de conflit, ce qui nécessite une augmentation significative des volumes.
La lutte anti-drones représente également un enjeu de sécurité crucial , à moyen terme dans l'hypothèse d'un engagement majeur mais aussi à court terme dans la perspective des grands événements sportifs attendus dans les dix-huit prochains mois (Coupe du monde de rugby 2023 et Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024). Le dispositif anti-drones développé dans le cadre de l'appel d'offres Parade doit être rapidement opérationnel pour être testé lors de la Coupe du monde de rugby. Il subsiste d'importantes interrogations sur le fonctionnement de ce matériel et sa capacité à être mise oeuvre d'ici à ces grands évènements sportifs.
- Les moyens de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD) doivent être, en toute logique, renforcés, dans la perspective de conflits dans lesquels notre supériorité aérienne serait remise en cause, de même que la résilience contre les moyens de SEAD adverses.
C'est d'autant plus important que nos moyens de frappe en profondeur restent aujourd'hui principalement aériens. Les moyens de SEAD en garantissent donc la crédibilité. La SEAD suppose le développement de moyens de frappe (de précision hypervéloces ou saturants) et des moyens de guerre électronique 23 ( * ) (voir aussi II.B).
3. Une politique des stocks à revoir
« Ce qui a sauvé l'Ukraine, c'est qu'elle disposait de réserves : des réserves matérielles, avec des stocks hérités de l'armée soviétique, mais aussi des réserves humaines » 24 ( * ) . L'Ukraine a pu en outre bénéficier de dons d'anciens pays du pacte de Varsovie. La Russie déploie elle aussi sur le champ de bataille des équipements très anciens.
Depuis la fin de la guerre froide, tandis que les Américains ont conservé une partie de leur arsenal de la guerre froide, d'autres pays comme la France sont passés pour leur part à une logique plus qualitative que quantitative, sacrifiant les stocks pour réduire les coûts d'entretien et « privilégier la préservation des moyens nécessaires à la réalisation des contrats opérationnels contre le maintien de ceux adaptés à une conflictualité considérée comme improbable » 25 ( * ) .
La modernisation des armées doit être l'occasion de combiner dans une certaine mesure les anciens et nouveaux équipements , plutôt que d'éliminer systématiquement les anciennes capacités au profit des nouvelles.
Des stocks de munition renforcés sont également nécessaires, qu'il s'agisse des munitions simples ou des munitions complexes, pour les trois armées. La baisse du nombre de dépôts de munitions donne une idée de la décrue des volumes de munitions : en 2011, le service interarmées des munitions (SIMu) comptait 20 dépôts en métropole et 10 dans les outre-mer ; en 2022, il en compte 14 en métropole (dont 4 établissements publics) et 9 dans les outre-mer et à l'étranger. La décrue des munitions est, du reste, cohérente avec celle des moyens de l'artillerie.
Comme pour les équipements en général, un travail sur les normes est nécessaire , pour vérifier que ces normes de qualification ou de durée de vie sont en adéquation avec la réalité du cycle de vie des munitions et, le cas échant, des contraintes de la haute intensité. Cela nécessite un travail au cas par cas pour chaque type de munitions, avec les industriels, notamment pour les munitions les plus coûteuses pour lesquelles un allongement de la durée de vie représenterait un gain important.
Pendant la deuxième phase du conflit l'artillerie russe a tiré environ 20 000 coups par jour et jusqu'à plus de 30 000. Côté ukrainien, c'est en moyenne 5 000 à 6 000 obus par jour et jusqu'à 20 000.
Pour mémoire, et même si la comparaison n'a pas grand sens car la France dispose d'autres moyens (missiles...), ce sont 5 000 obus de 155 millimètres et 8 000 charges modulaires propulsives qui ont été commandés en 2022 par le ministère des armées.
9. La prochaine LPM doit consolider un certain nombre de capacités clefs
La commission sera particulièrement attentive aux objectifs et aux réalisations de la future programmation dans les domaines suivants :
- La prochaine LPM doit consolider nos défenses sol-air et nos moyens de lutte anti-drones. La succession du système Crotale pour la basse-couche doit être lancée. Les armes à énergie dirigée (laser, micro-ondes) ont un potentiel important dans ce domaine, exploré notamment aux États-Unis où de nombreux développements sont en cours.
- S'agissant des petits drones et des munitions télé-opérées , les programmes doivent pouvoir se dérouler rapidement , de la conception à l'industrialisation, en quelques années, sans contraintes réglementaires excessives. Au-delà, les produits risquent d'être déjà obsolètes lors de leur mise en service. Ces drones et MTO doivent par ailleurs être conçus pour fonctionner en système avec d'autres moyens.
- Les programmes concernant le futur du combat terrestre et de l'artillerie (MGCS, CIFS) doivent être lancés. Moins spectaculaires qu'un porte-avions ou un un système de combat aérien, ces programmes n'en sont pas moins déterminants pour notre autonomie stratégique et pour la crédibilité de nos forces. Dans l'attente, il est urgent de préparer le remplacement du LRU , dans les cinq ans à venir, si nécessaire par un achat « sur étagère ».
- La politique des stocks doit être revue : s'agissant des équipements anciens , remplacés par de nouvelles capacités, qui pourraient être conservés, et s'agissant des munitions dont les volumes doivent être significativement accrus, pour l'entraînement et, si nécessaire, le soutien à nos partenaires et alliés.
- Outre les munitions, la question des volumes se pose aussi pour d'autres équipements accompagnant les missions , en nombre insuffisant (par exemple les pods Talios et radars AESA du Rafale).
- Enfin, les moyens d'évacuation sanitaire , le maintien en condition opérationnelle , la logistique sont des points majeurs en haute intensité, potentiellement bloquants et nécessitant là aussi une remontée en puissance des moyens, une réflexion sur des modes dégradés de fonctionnement, ainsi que des exercices pour tester la validité des modèles.
4. C2 et préparation opérationnelle : des adaptations nécessaires
Dans cette guerre, la doctrine et la formation des Russes se sont révélées particulièrement inadaptées, tout au moins au début du conflit, notamment en termes d'intégration des effets entre les différents milieux. Les Ukrainiens se sont en revanche illustrés, pour leur part, par leur réactivité et notamment leur capacité à reconfigurer leurs forces pour les disperser et tromper l'adversaire.
La guerre subie plutôt que choisie requiert une telle agilité : dispersion des moyens, protection des unités de combat et de soutien capacité à relocaliser rapidement les postes de commandement. Tout ce qui est statique est menacé : dans les 48 premières heures du conflit les Russes ont ainsi frappé 75 % des sites statiques de la défense ukrainienne.
Le conflit démontre aussi l'intérêt d'une dose de subsidiarité accordé aux différents échelons par rapport à une conduite centralisée des opérations. La subsidiarité permet de réagir rapidement. C'est un système de « management », laissant une plus grande part à l'initiative, sans doute plus en phase avec le monde civil, mais qui comporte aussi des risques à maîtriser et implique donc une préparation préalable.
L'intégration multi-milieux multi-champs (M2MC) est un défi. Elle nécessite de refondre les systèmes de commandement et de contrôle (C2), non seulement au niveau interarmées mais aussi à des niveaux inférieurs. La combinaison des moyens dans tous les domaines de conflictualité permet de faire la différence.
La préparation opérationnelle doit remonter en puissance et s'adapter au nouveau contexte :
- Elle doit remonter en puissance : en effet, comme l'indique régulièrement les rapports de la commission, la préparation opérationnelle n'est pas aux niveaux requis.
« Pour l'armée de terre , depuis le déploiement de Sentinelle, la cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire par an n'a plus été atteinte . Réduite à 72 en 2016, elle est remontée à 81 jours en 2017 mais aucun progrès n'a été constaté jusqu'en 2020. Une amélioration est attendue en 2022 et devrait se consolider en 2023 en raison d'un moindre engagement Sentinelle. Toutefois, l'engagement de l'armée de Terre dans la réassurance du flanc est de l'OTAN en Roumanie et les potentiels techniques des équipements alloués pourraient remettre en cause l'amélioration de la préparation opérationnelle . Le taux d'entraînement par équipage sur matériel terrestre en lente remontée depuis 2020 vers un objectif fixé à 70 % en 2023 devrait de nouveau diminuer en 2024 (63 %). Pour les cinq parcs majeurs de l'armée de terre (chars Leclerc et AMX 10 RC, VBCI, VAB, CAESAR), le taux d'entraînement des équipages dépend de la disponibilité globale des flottes, réduite pour trois d'entre eux . L'armée de terre démontre une capacité à réaliser son contrat opérationnel à 90%. » 26 ( * )
La Cour des comptes a récemment proposé de transférer la mission Sentinelle aux forces de sécurité intérieure. Ce rapport établit, d'une part, que les forces militaires ne sont pas les mieux placées pour assurer cette mission ; d'autre part, « alors que les armées se concentrent sur l'hypothèse d'un engagement majeur en coalition dans une opération de coercition de haute intensité, la Cour estime qu'il n'est plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un « affichage de militaires dans les rues » 27 ( * ) . Sentinelle engage encore environ 10 % de la force opérationnelle terrestre (FOT), dont une partie effectivement déployée et une partie en alerte.
- D'autre part, la préparation opérationnelle doit pouvoir être adaptée à l'intégration M2MC , précédemment évoquée, et à des conditions dégradées dans lesquelles il est nécessaire d'agir très rapidement, de façon décentralisée, sur la base d'une combinaison d'informations diverses. C'est un mode d'action qui nécessite une préparation préalable, un réexamen des normes applicables, car un conflit subi ne s'aborde pas de la même façon qu'un conflit choisi.
Dans cette perspective, l'exercice interarmées Orion 2023 qui doit démarrer prochainement, sera particulièrement intéressant , notamment pour ce qui est de l'intégration M2MC (et de l'inclusion d'acteurs civils etc.)
10. L'hypothèse d'engagement majeur nécessite de repenser les systèmes de commandement et la préparation opérationnelle.
La guerre de haute intensité requiert une agilité particulière, une dose de subsidiarité et une action intégrée multi-milieux et multi-champs, ce qui nécessite des adaptations tant des dispositifs de commandement et de contrôle (C2) que de la préparation opérationnelle.
La préparation opérationnelle doit monter en puissance et en gamme , à l'image de ce que propose l'exercice Orion 2023 qui doit démarrer prochainement et dont les enseignements seront particulièrement intéressants.
Enfin, des marges de manoeuvre existent : si l'opération Sentinelle répond à une menace qui n'a pas diminué, elle ne paraît plus être le dispositif le plus adéquat pour traiter cette menace, comme l'a récemment établi la Cour des comptes. Il convient d'envisager un passage de relais progressif aux forces de sécurité intérieure , afin que de permettre une remontée en puissance de la préparation opérationnelle des militaires et de redéployer les armées sur les missions pour lesquelles elles ont la plus grande valeur ajoutée.
CONCLUSION
Les enseignements de la guerre d'Ukraine couvrent de nombreux domaines doctrinaux, capacitaires et même sociétaux. Ce retour d'expérience évolue avec le conflit lui-même : celui-ci entrera bientôt dans sa deuxième année et n'a probablement pas encore livré tous ses enseignements.
L'expression « guerre de haute intensité » est devenue d'usage courant, au cours des derniers mois, y compris dans les médias et l'opinion, sans que les limites entre haute, moyenne et basse intensité soient d'ailleurs très précisément définies. Cette expression est pour partie un pléonasme rendu nécessaire par l'apparition de notions telles que la « guerre hybride », et par un emploi de plus en plus répandu et inapproprié du mot « guerre », à tout propos : « guerre sanitaire », « guerre économique », « économie de guerre »... Mais les mots ont un sens : la ministre allemande des affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock, s'en est récemment rendu compte à ses dépens, après avoir affirmé à tort que l'Europe « menait une guerre contre la Russie ».
La guerre d'Ukraine nous oblige à revenir à certaines réalités fondamentales , que nous avons eu la chance de pouvoir oublier pendant quelques décennies.
La prochaine loi de programmation militaire constituera une étape importante de ce retour au réel . Elle doit consolider des capacités militaires clefs, pour redonner des marges de manoeuvre au politique, faire de la France un allié ou un partenaire qui reste crédible, et, fondamentalement, assurer la sécurité des Français, dans l'Hexagone comme outre-mer.
Pour être à la hauteur des enjeux, la LPM doit proposer un cadre stratégique clair, articulant les enjeux géostratégiques, les missions et les besoins capacitaires . La récente Revue nationale stratégique n'a fait qu'ébaucher cette réflexion. Ces différentes dimensions devront être cohérentes entre elles : les missions doivent être adaptées au contexte, et les moyens doivent être proportionnés aux missions.
Le Sénat sera particulièrement attentif à cette cohérence lors de l'examen du texte. Les défis à relever sont d'ampleur. Ils méritent un débat pleinement démocratique.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 février 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini sur : « Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ? »
M. Christian Cambon, président . - Nous examinons le rapport de nos collègues sur les enseignements de la guerre en Ukraine. Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Monsieur le président, mes chers collègues, il y a un an, en février 2022, nous auditionnions des diplomates et des chercheurs sur ce que l'on appelait alors la « crise ukrainienne ». La Russie avait déployé plus de 100 000 soldats. Tout était prêt pour une intervention. Le renseignement américain nous alertait depuis plusieurs semaines. Pourtant, la plupart d'entre nous ne croyaient pas, alors, à la possibilité d'un assaut sur Kiev.
C'est le premier enseignement de la guerre d'Ukraine : il nous faut désormais changer de logiciel, sortir définitivement de l'illusion des dividendes de la paix. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où le rapport de force a malheureusement retrouvé toute sa place dans les relations internationales.
Pour commencer, je rappellerai deux évidences :
- en premier lieu, la France n'est pas l'Ukraine, ni dans son environnement géostratégique, ni dans les moyens dont elle dispose. Je pense notamment à la dissuasion nucléaire. Construire l'avenir uniquement à partir de ce conflit n'aurait pas de sens ;
- en second lieu, la guerre d'Ukraine ne concentre pas tous les enjeux qui s'imposent à la politique étrangère et de défense de la France. C'est à un ensemble de problématiques complémentaires que la loi de programmation militaire (LPM) devra répondre.
Ces préalables étant posés, il n'en reste pas moins que la guerre d'Ukraine marque peut-être l'entrée dans une ère de guerres subies, plutôt que choisies. La différence est fondamentale.
Le rapport tire dix enseignements de la guerre d'Ukraine, répartis en trois thématiques : des enseignements nouveaux, un retour à certains fondamentaux et des enseignements concrets pour la LPM.
En premier lieu, la guerre d'Ukraine est un tournant.
Je l'ai dit en commençant, elle nécessite de changer de logiciel dans notre analyse des relations internationales. Plutôt qu'une surprise stratégique, c'est une prise de conscience brutale qui nous a été imposée.
Une étude britannique explique que la Russie avait prévu de mener à bien l'invasion de l'Ukraine en 10 jours, en saisissant rapidement Kiev, pour annexer le pays à l'été. Le renseignement français a péché par l'interprétation : toutes les informations étaient là, mais nos biais cognitifs nous ont trompés.
Cette expérience doit nous servir pour l'analyse du comportement futur de la Russie, de la Chine ou de tout État contestataire, surtout si l'agression russe se révèle payante, ce qui donnerait une sorte de « feu vert » à toutes les tentatives de déstabilisation de l'ordre international.
Cette guerre est ensuite un tournant pour la dissuasion nucléaire. Les Russes utilisent leur dissuasion dans un but offensif, pour sanctuariser des territoires conquis. Ils l'ont fait dès 2014 après l'annexion de la Crimée. Le signalement nucléaire russe s'est révélé d'autant plus virulent, au cours de cette guerre d'Ukraine, que les Russes étaient en difficulté sur le plan conventionnel.
C'est un enseignement que nous devons méditer : la dissuasion nucléaire n'a rien perdu de son actualité comme garantie ultime de sécurité mais elle ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel. C'est toute l'articulation entre le conventionnel et le nucléaire qui doit être repensée. La dissuasion ne répond pas à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot.
Le troisième enseignement, c'est la résurrection de l'OTAN. En matière d'autonomie stratégique aussi, il faut revenir au réel. En tant qu'unique puissance nucléaire de l'Union européenne, nous avons une vision nécessairement différente de celle de nos partenaires, pour qui la garantie de l'OTAN est fondamentale.
La France s'est pleinement investie dans les missions de l'alliance cette année : dans les pays baltes, en Pologne, en Roumanie, nos armées ont fait preuve d'une grande réactivité pour renforcer la posture dissuasive et défensive de l'OTAN sur le flanc oriental. Nous devons poursuivre cet effort d'investissement dans l'OTAN, notamment sur le plan des doctrines et des normes. Mais être un allié exemplaire, c'est aussi disposer de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir en coalition. J'y reviendrai.
Enfin, le quatrième enseignement nouveau de cette guerre concerne le numérique. C'est une guerre de la donnée.
La grande force des Ukrainiens est d'avoir intégré des capacités à la fois militaires et civiles, publiques et privées, nationales et internationales. On estime qu'environ 80 % du renseignement exploité par les Ukrainiens est de source ouverte. Chaque citoyen, équipé d'un smartphone, peut ainsi signaler le passage d'un aéronef, d'un missile ou d'un drone à la défense antiaérienne pour faciliter son interception.
Exploiter toutes ces sources nécessite une grande souplesse des procédures. Le modèle fermé, centralisé, vertical est dépassé. Il s'agit d'exploiter des flux divers, d'assurer des redondances et des contrôles, tout en maîtrisant la communication car le terrain informationnel est aussi majeur. Tout cela ne s'improvise pas.
J'en viens maintenant aux enseignements qui traduisent un retour aux fondamentaux de la guerre
À force d'utiliser le mot « guerre » à tout propos, pour parler de guerre hybride ou même de guerre sanitaire, de guerre économique, ou d'économie de guerre, nous en sommes venus à oublier ce que signifiait le mot « guerre ». On parle donc maintenant de « guerre de haute intensité ».
Il s'agit en fait d'un retour à l'essence de la guerre, affrontement de volontés pour la conquête d'un territoire et la soumission de populations. Le combat terrestre y est central. En l'absence de supériorité aérienne, les feux de longue portée jouent un rôle majeur.
Les pertes humaines sont considérables, de même que l'attrition matérielle. Les Russes ont par exemple perdu au moins 1 600 chars de combat, 70 avions, 170 drones, etc.
Dans ce contexte, la défense de proximité du combattant est un impératif de survie. Toutes les unités terrestres doivent bénéficier de bulles de protection mobiles, incluant des capacités de détection et de défense autonomes, ne dépendant pas seulement de la manoeuvre interarmées.
Ce constat sur la masse ne disqualifie en rien la haute technologie. Celle-ci reste déterminante pour l'entrée en premier, et pour garantir la précision des frappes, donc maîtriser les dommages. La rapidité et la précision peuvent compenser au moins partiellement l'absence de volumes lorsqu'un seul tir suffit pour atteindre la cible.
Mais c'est aussi notre agilité technologique qu'il faut développer. L'innovation de masse, duale, de rupture, en cycle court doit être mieux valorisée. Je pense ici bien sûr aux drones, dont la guerre d'Ukraine confirme le rôle prééminent, notamment les munitions télé-opérés que j'ai déjà souvent évoquées ici.
L'expérience ukrainienne montre que 90 % des petits drones utilisés sont perdus, avec des durées de vie de l'ordre de trois à six vols en moyenne. Il s'agit donc d'équipements consommables, s'apparentant davantage à une munition ou à un missile qu'à un aéronef.
Le ministre des armées a annoncé récemment l'armement des Patroller, que notre commission demande depuis 2017, ainsi qu'un socle de 1 800 munitions télé-opérées en LPM. Deux appels à projet ont été lancés par la direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence de l'innovation de défense (AID), Larinae et Colibri.
C'est un sujet sur lequel nous devons rester vigilants : les programmes doivent être conduits rapidement, pour aboutir à des produits qui ne soient pas déjà obsolètes à leur entrée en service. Les munitions télé-opérées doivent par ailleurs pouvoir fonctionner en système avec d'autres moyens tels que des drones de renseignement ou de l'artillerie.
Après la masse et la technologie, il faut évoquer les forces morales. Avant la guerre, les Ukrainiens ont créé les conditions d'une grande porosité entre les mondes civil et militaire. Une grande partie de leurs forces vives étaient passées par le front du Donbass, grâce à un fort turnover dans les armées.
Un tel turnover va à l'encontre de l'idée de fidélisation : c'est sans doute un handicap à court terme, pour une armée, mais cela peut devenir une force. Un fort turnover accroît en effet le nombre de réservistes et permet d'acculturer globalement le monde civil aux problématiques militaires.
Pour la France, la problématique des forces morales pose la question des réserves, et celle du Service national universel, dont nous aurons probablement l'occasion de débattre lors de l'examen de la LPM.
Je terminerai en évoquant justement quelques autres enseignements concrets de la guerre d'Ukraine pour la LPM
Je ne reviens pas ici sur la Revue nationale stratégique, qui n'a fait qu'effleurer les sujets ni sur le travail lancé par le Gouvernement sur l'économie de guerre, expression excessive au regard des objectifs poursuivis et surtout des résultats obtenus pour le moment.
Sans engagements fermes de l'État, sans contrats-cadres pluriannuels, les industriels dépendent de l'exportation. Ils ont peu de visibilité, notamment les PME. Suite au déclenchement du conflit ukrainien, il a été demandé à de petites entreprises de se tenir prêtes à répondre à d'éventuelles commandes, quitte à repousser d'autres ventes, sans que cela ne se concrétise par des engagements fermes de l'État.
La remobilisation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) est donc cruciale, sans quoi notre industrie risque d'être marginalisée, car la concurrence - notamment américaine et coréenne - est bien présente et prête à compléter rapidement les stocks des pays ayant livré des armements à l'Ukraine.
L'allègement des procédures et des normes doit se poursuivre. Des relocalisations sont nécessaires, par exemple pour les poudres propulsives. Des stocks stratégiques doivent être constitués.
Un grand plan interministériel doit en outre promouvoir les métiers industriels pour répondre à la pénurie de main-d'oeuvre. La constitution d'une réserve industrielle de défense pourrait être l'un des fers-de-lance de cette stratégie. Je rappelle qu'en 2022, le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) a annoncé que 86 % de ses entreprises adhérentes pensaient être en peine pour trouver suffisamment de main-d'oeuvre.
Par ailleurs, les questions de financement restent posées. La guerre d'Ukraine légitime pourtant pleinement de revaloriser l'image des activités de souveraineté et de défense. On sait combien la compliance bancaire est un sujet qui, malgré la guerre en Ukraine, continue à être une préoccupation majeure des entreprises de la BITD.
Cette guerre interroge ensuite les formats de nos armées. Entre 1991 et 2021, nous sommes passés de 1 350 à 220 chars, de 700 à 250 avions de combat, etc.
L'armée de l'air disposera, en 2030, de 185 Rafale. Est-ce suffisant, compte tenu de la sanctuarisation de la dissuasion ? Les incertitudes sur les programmes MGCS ou SCAF doivent inciter à laisser une place à d'éventuelles solutions alternatives, le « plan B », pour combler le retard probable et l'échec toujours possibles de ces programmes majeurs.
Nos capacités terrestres doivent être renforcées. Dans l'hypothèse, purement théorique, où la France aurait été confrontée à un conflit tel que la guerre ukrainienne, l'ensemble des chars français aurait été perdu en mars, l'ensemble de l'artillerie en avril, et les 1 800 Griffon programmés en août.
Je n'entrerai pas dans le détail, mais nous avons besoin de feux dans la profondeur, et notamment de préparer le remplacement du lance-roquettes unitaire sans trop attendre, car les carnets de commandes se remplissent et l'achat de matériels de type HIMARS, sur étagère, est d'ores et déjà soumis à des délais incompressibles de plusieurs années.
Toute la politique des stocks est à revoir s'agissant des équipements anciens qui pourraient être conservés, lors de l'acquisition de capacités nouvelles et pour les munitions, dont les volumes doivent être accrus. Il convient de pouvoir s'entraîner, mais aussi de retrouver une marge de manoeuvre pour soutenir si nécessaire nos alliés et partenaires, comme nous le faisons aujourd'hui.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO), les moyens d'évacuation sanitaire, la logistique sont d'autres verrous majeurs en haute intensité.
Enfin, c'est la préparation opérationnelle qui doit monter en puissance et en gamme.
Montée en puissance, tout d'abord : faut-il par exemple maintenir l'opération Sentinelle ? Compte tenu du nouveau contexte, la Cour des comptes a estimé récemment qu'il n'était - je cite - « plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un affichage de militaires dans les rues ». Elle préconise un passage de relais aux forces de sécurité intérieure.
.La préparation opérationnelle doit, ensuite, monter en gamme, à l'image de ce que nous proposera bientôt l'exercice Orion 2023. Il est nécessaire d'intégrer l'approche multi-milieux et multi-champs, et de s'entraîner dans des conditions dégradées, c'est-à-dire de se préparer à agir très rapidement, de façon décentralisée, selon des dispositifs de commandement et de contrôle (C2) revus.
Chers collègues, vous le voyez, les enseignements de la guerre d'Ukraine couvrent de nombreux domaines doctrinaux, capacitaires et même sociétaux. Pour être à la hauteur de ces enjeux, la LPM devra proposer un cadre clair, articulant les enjeux géostratégiques, les missions des armées et les besoins capacitaires. Nous devrons être particulièrement attentifs à la cohérence de cette articulation.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - Vous l'avez compris, les deux corapporteurs ont connu un problème, puisqu'à l'issue de deux auditions proposées par lui-même, mon corapporteur publiait dans la presse des tribunes traitant du sujet de ces auditions.
Je veux remercier le président Cambon, qui a essayé de « mettre de l'huile dans les rouages ».
Je pense que nous devons être très détachés des propos formulés par les industriels ou les militaires et faire très attention. Je ne peux pas non plus cautionner une remise en cause de la DGA pour faire plaisir à un fabricant de drones.
Je ne peux pas prendre en compte les propos d'industriels ou de généraux, même s'il est intéressant de les auditionner et de faire une synthèse de leurs propos. On s'engage, vis-à-vis des personnes qu'on interroge, à ne pas les citer directement.
Tout cela me pose problème.
Le Président de la République l'a annoncé - et le président Cambon l'a rappelé tout à l'heure à l'ambassadeur d'Allemagne : la nouvelle LPM comportera plus 100 milliards d'euros supplémentaires. Je m'interroge. Des militaires avec qui je suis en relation m'ont demandé pourquoi le corapporteur estime que 430 milliards d'euros sont nécessaires pour un modèle d'armée complet. D'où vient ce chiffre ?
Comme l'a dit Cédric Perrin à la fin de son intervention, nous devrons nous pencher sur la LPM, mais affirmer qu'elle nécessite 17 milliards d'euros de plus est largement prématuré. Je ne souscris donc pas à cette affirmation.
Je ne présenterai donc pas le rapport. Ayant été désigné corapporteur par mon groupe, j'ai dit ce que j'avais à dire. Suite à cela, le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat ne participera pas au vote sur le rapport.
M. Christian Cambon, président . - Merci. Vous l'avez compris, il existe des divergences de méthode entre nos deux rapporteurs, ainsi que des divergences de fond. J'ai essayé de faire en sorte que les choses se passent au mieux, car c'est un rapport très important. Il est très riche, et l'avis de la commission sur les premières leçons à tirer de l'Ukraine est d'autant plus attendu que ces enseignements vont éclairer le travail que nous allons mener sur la LPM.
J'invite la commission à sortir de ce différend par le haut. Je respecte la position du groupe socialiste, écologiste et républicain. C'est une question de liberté d'appréciation et de sensibilité, mais je souhaite que ces différends n'impactent pas le rapport, qui est indispensable pour préparer notre future feuille de route sur la LPM, et dont le contenu est très riche.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Je ne vois pas ce que vient faire ici mon tweet du mois de janvier concernant des propos que j'assume complètement et que je suis légitime à tenir, étant élu au même titre que n'importe quel autre collègue. J'ai le droit de dire que je considère que ces 430 milliards constituent une base pour la LPM. Je ne vois pas ce que cela vient faire ici. D'ailleurs, le rapport n'aborde à aucun moment ce point !
C'est mon avis personnel, non en tant que rapporteur. Je ne vois pas pourquoi on parle de ce sujet dans ce cadre, et je suis bien évidemment capable de défendre cette position sans aucune difficulté.
Je tiens à la disposition de tous nos collègues, quel que soit le groupe, l'ensemble des mails que j'ai échangés avec les différentes personnes avec qui j'ai rédigé ces tribunes. Ils datent d'avant le début du rapport - septembre, octobre. Ces tribunes n'ont pas été préparées la veille pour le lendemain !
Je n'ai absolument rien à me reprocher sur cette question. Je ne suis à la solde de personne, et personne ne remettra en cause ma probité ni mon honnêteté. Je n'ai « servi la soupe » à personne, que les choses soient claires !
Qu'il y ait eu un problème de date, je veux bien le comprendre. J'ai adressé un message encore hier soir à Jean-Marc Todeschini, dont le président est en copie. Je l'ai appelé dimanche soir pour essayer de lui faire comprendre ma position. Cela n'a vraisemblablement pas fonctionné. Je pense avoir tout essayé pour clarifier les choses.
J'ai pensé au message que nous a adressé Philippe Folliot et à sa conclusion : compte tenu de l'importance du sujet, je pense que ce rapport mérite beaucoup mieux. Nous avons beaucoup d'autres choses à régler que ce genre de différend.
M. Christian Cambon, président . - Je prends acte de ces interventions. Le procès-verbal de cette réunion sera annexé au rapport, comme c'est l'usage.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - Le message que j'ai reçu hier soir n'est que la répétition de ce que j'entends depuis le début.
Je ne sais comment Cédric Perrin aurait réagi si j'avais rédigé une tribune au lendemain d'une audition après avoir proposé d'entendre deux personnes, mais je pense qu'il n'aurait pas été satisfait.
Mon corapporteur a été très maladroit et ne veut pas le reconnaître. C'est son choix. Je ne participe donc pas à la présentation du rapport. Le président a également considéré que c'était une maladresse de sa part.
M. Christian Cambon, président . - Je pense interpréter l'avis de la majorité de nos collègues pour considérer que l'incident est clos. Le compte rendu tiendra compte de ces interventions. Le sujet de ce rapport est extrêmement important. Avant d'ouvrir le débat, je voudrais donner la parole à Philippe Folliot, qui arrive d'Ukraine et qui nous a remis un témoignage bouleversant et éclairant. Je lui avais demandé de porter un message de la commission à ses interlocuteurs.
M. Philippe Folliot . - En effet, et je l'ai remis au président de la commission de la défense de la Rada, qui était en partie avec nous pour cette visite sur le terrain.
Il a rappelé ses liens avec la commission de la défense de l'Assemblée nationale, et je lui ai dit qu'il me paraissait important que notre commission puisse nouer des liens avec la sienne.
M. Christian Cambon, président . - Nous avons échangé en visioconférence il y a quinze jours avec la commission des affaires étrangères de la Rada et nous sommes bien sûr désireux de faire de même avec la commission de la défense.
M. Philippe Folliot . - Au regard de ce que j'ai vu, je considère que cette guerre a une double nature. C'est une guerre à la fois technologique et une guerre du début du XXe siècle. J'ai eu la chance de passer une soirée avec des soldats ukrainiens qui revenaient des tranchées. Ces tranchées, ce sont celle de Verdun, avec tout ce que cela représente.
Il existe des chiffres, des statistiques, des matériels, mais il y a aussi des réalités humaines. Vous discutez avec des personnes qui savent très bien que, dans quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, elles ne seront plus là. Échanger avec eux apporte un peu d'humanité par rapport à quelque chose qui nous paraît abstrait à bien des égards.
Si j'ai eu l'opportunité de me rendre en Ukraine, c'est grâce à Yehor Cherniev, notre collègue chef de la délégation ukrainienne à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Il a combattu en 2014 avant que le front, à l'époque, ne se stabilise.
Je voudrais insister sur deux points et, en premier lieu, sur notre responsabilité collective par rapport au fait que nous n'avons peut-être pas analysé ce qui s'est passé en 2014 avec justesse, ce qui se traduit aujourd'hui par des larmes et du sang pour les Ukrainiens et, pour nous, par le prix que nous payons en termes économiques.
En second lieu, j'insiste sur la nécessité de poursuivre voire d'amplifier notre effort de soutien à l'Ukraine. C'est un enjeu important. La situation est difficile, même si le moral des Ukrainiens est intact. Ils ne se battent pas pour de grandes idées ou de grands principes, mais pour défendre leur pays, leur famille, les femmes et les enfants qui sont à l'arrière.
Les militaires ukrainiens nous ont dit combien le Caesar était essentiel pour soutenir et préserver autant que possible l'infanterie. L'enjeu du MCO des Caesar est prégnant. On peut se féliciter que la France ait décidé d'envoyer douze Caesar de plus, qui vont s'ajouter aux dix-neuf envoyés par le Danemark.
Politiquement et symboliquement, il a été essentiel que la France annonce la livraison des véhicules AMX-10 RC, car cela a déclenché la livraison des Leopard.
C'est aujourd'hui qu'il faut que nous fassions un certain nombre de choses car, demain, je crains qu'il ne soit trop tard. Les Russes ne pourront jamais gagner cette guerre, mais encore faudrait-il que les Ukrainiens puissent réaliser rapidement suffisamment d'avancées pour amener les Russes à la table des négociations.
M. Christian Cambon, président . - Merci pour ce témoignage.
En matière de chars, il vaut mieux avoir les mêmes modèles. C'est pourquoi les Ukrainiens demandent des chars Leopard. Le MCO des chars est complexe. S'il faut un dispositif différent pour chaque type de char, ce n'est guère efficace.
Le témoignage de Philippe Folliot est rempli d'émotion. Dans les débats que nous avons, il est bon de distinguer la dimension humaine.
Joëlle Garriaud-Maylam est également de retour d'Ukraine.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Ma visite était très différente. Il s'agissait d'une visite officielle, en tant que présidente de l'AP-OTAN. Les conditions de sécurité étaient draconiennes. Impossible de sortir de ce cadre extrêmement sécurisé.
Mes conclusions sont les mêmes que celles de Philippe Folliot. Je voudrais surtout insister sur l'urgence.
Mon déplacement a été organisé avec la Rada, le Parlement ukrainien. J'ai également rencontré Yehor Cherniev qui a pu participer à mes réunions avec le prix Nobel de la paix pour discuter du dossier concernant le tribunal spécial, les enfants, les différents sujets concernant les transferts de prisonnier. Il était là aussi quand nous avons travaillé sur la plateforme sur la Crimée. Je dois reconnaître avoir été moi aussi naïve en pensant que la Russie changerait. La Crimée n'est que l'avant-poste de ce qui se passe aujourd'hui.
J'insiste sur l'urgence de la situation et le besoin qu'a l'Ukraine d'un appui aussi immédiat que possible. L'Ukraine ne peut se permettre d'attendre des mois. Elle souffre d'un déficit démographique par rapport à la Russie. La Russie considère ses hommes sur le front comme de la chair à canon, en échange de compensations monétaires. Les veuves de soldats russes remercient le président Poutine parce qu'elles ont reçu des manteaux de fourrure pour les consoler de la mort de leur mari ! C'est un état d'esprit effroyable.
Malheureusement, même si les soldats ukrainiens sont valeureux, courageux et prêts à relever tous les défis, il existe un problème de nombre. Celui-ci ne peut être compensé que par un soutien extrêmement important, notamment en matière de protection de l'espace aérien.
Je voudrais féliciter Cédric Perrin pour son rapport, ainsi que son corapporteur. Je communiquerai ce rapport à l'AP-OTAN et il en sera fait bon usage.
Mme Vivette Lopez . - Monsieur le Président, mes chers collègues, je faisais partie du groupe de travail sur les enseignements de la guerre en Ukraine et j'ai participé à ce titre à plusieurs auditions.
Si vous le permettez, je souhaiterais compléter les propos de notre collègue Cédric Perrin pour aborder les enjeux maritimes.
Le retour d'expérience de la guerre en Ukraine couvre de nombreux domaines et doit nous permettre d'aborder la LPM. Je pense qu'il ne faut pas mésestimer les enjeux maritimes. Certes, la guerre en Ukraine n'est pas essentiellement maritime, mais son déclenchement par la bataille de l'île aux Serpents, puis la destruction du croiseur russe Moskva, le 22 avril 2022, ont illustré de façon spectaculaire ce que peut être la dimension navale des conflits armés.
La destruction du Moskva pose quelques questions quant à la capacité des Russes à maîtriser leur environnement aéromaritime et à mettre en oeuvre des moyens de défense. Mais la marine russe demeure puissante. La guerre n'a entamé que marginalement ses moyens. L'essentiel est préservé, en particulier la flotte sous-marine russe, qui est très performante.
Le milieu maritime est de plus en plus convoité sur le plan mondial. La sécurisation du trafic est un enjeu crucial pour l'Europe, pris en compte au travers des opérations Atalanta et Agenor, qui sont en cours de rapprochement pour s'ouvrir progressivement à l'ensemble de l'océan indien, zone que les États-Unis ont tendance à délaisser au profit du Pacifique.
La sécurisation des flux en provenance du Proche et du Moyen-Orient est d'autant plus stratégique que l'Europe se détourne de ses approvisionnements énergétiques russes.
L'économie mondiale repose par ailleurs pour une large part sur les câbles et tuyaux sous-marins : la destruction des gazoducs Nordstream en mer baltique confirme que les fonds marins sont un théâtre possible d'opérations.
Enfin, les ressources biologiques et minérales des fonds marins de nos outremer pourraient être convoitées.
Dans ce contexte, les marines occidentales ne sont pas à l'abri d'un incident qui dégénérerait. On se souvient de la manoeuvre de la marine turque à l'encontre de la frégate Courbet en 2020, ou de l'incident ayant opposé Britanniques et Russes en 2021 au large de la Crimée.
Un basculement soudain avec ouverture du feu en mer ne peut plus être exclu. C'est aussi l'un des enseignements de la guerre qui se déroule en Ukraine.
M. André Gattolin . - J'ai fait partie du groupe de travail et j'ai également assisté à certaines auditions.
J'ai trouvé le rapport très intéressant, mais j'aurais souhaité disposer du projet de rapport avant sa présentation. D'autres commissions et délégations procèdent différemment.
Néanmoins, le travail qui a été fait est très riche et intéressant. Il faut bien reconnaître que nous avons été aveuglés.
Ce n'est pas seulement un problème de renseignement à court terme ou d'analyse du renseignement. On parle ici beaucoup de tactique, de logistique, de stratégie : pour reprendre la taxinomie du général André Beaufre, nous avons failli stratégiquement !
Le 24 février 2022, Vladimir Poutine ne s'est pas réveillé en se disant qu'il allait envahir l'Ukraine. Les guerres caucasiennes, les interventions en Syrie, le rôle de juge joué par la Russie en Libye, le poids mis sur Chypre avec l'accès des navires militaires russes, les « alliances » avec la République d'Arménie et ce qui se passe en Géorgie constituent autant de pions que pousse la Russie. Comment les analyse-t-on ? Quels sont les objectifs réels ?
J'ai posé la question lors de l'audition du directeur général de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), la semaine passée : la Méditerranée orientale, qui est à la croisée des flux, constitue un enjeu primordial. Tous les pions avancés par Vladimir Poutine depuis quinze ans, d'un point de vue militaire et stratégique, auraient dû nous le laisser prévoir.
Comment allons-nous réviser nos erreurs de jugement stratégique ? Ce n'est pas simplement un défaut d'analyse du renseignement. C'est peut-être une erreur des différents ministères et gouvernements, passés et présents, mais cela vient aussi de notre fait, en tant que parlementaires. On nous a longtemps expliqué qu'on ne parlait pas assez avec Vladimir Poutine. Lorsqu'on évoquait ses exactions, on disait que tout devait s'arranger. Tout s'est-il arrangé ? Où allons-nous ? Quels sont les objectifs réels ou supposés de Vladimir Poutine ou, plus généralement, du Kremlin ?
C'est un aspect sur lequel il faudrait compléter le rapport. Le retour d'expérience sur l'Ukraine consiste d'abord à comprendre nos propres erreurs collectives, stratégiques. Le déni n'aide pas à comprendre l'avenir.
M. Jean-Pierre Grand . - Nous sommes tous d'accord sur les besoins en matériels de l'Ukraine et la préparation de la future LPM.
Ce qui m'intéresserait aujourd'hui, dans un deuxième temps, c'est que l'on puisse aller plus loin. Je voudrais connaître la situation particulière de la France, qui est le seul pays de l'Union européenne qui soit membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes directement concernés à l'extérieur du continent européen par les attaques russes via Wagner en Afrique. Cette guerre entraîne par ailleurs mécaniquement un ressenti vis-à-vis de l'Occident qui a des conséquences sur toute la planète.
La France a, sur le plan diplomatique, une position très particulière. Aucun de nous aujourd'hui ne sait où en est notre diplomatie. J'ai totalement confiance dans mon pays, qui poursuit la même politique étrangère depuis des années, en toute indépendance et en oeuvrant pour la paix. On le sait depuis la guerre en Irak. La France parle juste. Personne ne peut imaginer que nous n'avons pas une action diplomatique puissante. Où en est-on ? Il me semble que la commission devrait travailler sur cette question.
Par ailleurs, il faut aussi se pencher sur l'Afrique. Aujourd'hui, la situation se dégrade, notamment dans le Sahel, au point que les populations émigrent. C'est une arme que Vladimir Poutine emploie contre nous.
Le ressenti en Occident va naturellement poser des problèmes qui vont bénéficier aux pays-continents. Ce sujet paraît essentiel au gaulliste que je suis.
M. Olivier Cigolotti . - Tout d'abord, je voudrais saluer, au nom de notre groupe, la qualité du rapport sur un sujet éminemment sensible.
Concernant l'aveuglement qui a été le nôtre en 2014, peut-être nous sommes nous alors focalisés sur les problèmes liés à la lutte contre le terrorisme, mais nous aurions pu à l'époque tirer les conséquences de ce qui s'est passé en Crimée.
D'autre part, au-delà de l'effet d'annonce, donner dix AMX-10 RC paraît bien inférieur à ce qu'aurait pu faire la France. Un plus grand nombre, assorti des munitions nécessaires aurait été plus efficace.
On a longtemps polémiqué sur le fait de donner des chars Leclerc. La problématique est similaire : nous en avons peu. C'est un matériel dont les industriels n'assurent plus la maintenance ni la fourniture de pièces détachées.
On pourrait peut-être donner plus de canons Caesar et de dispositifs Mamba ou Crotale car les effets de notre aide ne sont pas ceux qu'attendent nos amis ukrainiens.
M. Olivier Cadic . - Je salue également la qualité de ce rapport et de ce qui nous a été présenté.
Je voudrais des précisions concernant la question cyber, qui n'a pas été évoquée. Quels enseignements peut-on tirer de ce conflit en la matière ?
À Kiev, en avril, nous avions rencontré le maire de la ville, qui nous avait expliqué les mécanismes qui leur avaient permis de stopper les forces spéciales russes qui cherchaient le président Zelensky. Disposez-vous d'éléments de ce point de vue ?
M. Pascal Allizard . - Je voudrais intervenir dans la suite de ce que j'ai dit à la tribune hier après-midi, au nom de mon groupe, sur la situation en Ukraine.
J'ai apprécié les propos pondérés de Cédric Perrin au début de son intervention concernant les années 2014 et les suivantes.
Je suis élu d'un département, le Calvados, où la cérémonie du 6 juin est très importante. J'étais à Ouistreham lorsque le groupe « Normandie » s'est constitué et que le président Poutine et son homologue ukrainien de l'époque se sont parlé. La recherche de la paix - on a en tout cas eu la faiblesse de le croire - était relativement réelle. Cette attente a été déçue, et on connaît tous la suite.
Il ne faut pas non plus négliger la situation politique interne de l'Ukraine. À l'époque des accords de Minsk, il avait fallu travailler sur la modification de la Constitution et sur une certaine décentralisation pour donner plus d'autonomie aux régions irrédentes. Cela faisait partie des accords. Un certain nombre de membres du Sénat français avaient travaillé sur ce texte, mais il n'y a pas eu de majorité à la Rada pour le voter. Il faut l'avoir en tête.
Aujourd'hui, il existe une certaine union sacrée, mais les divisions politiques restent présentes en Ukraine. Cela signifie que, dans la suite du conflit, il faudra bien intégrer ces paramètres.
Enfin, ce rapport nous permet de dresser un inventaire des rapports de force extrêmement intéressant, ce qui était l'objectif.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Je remercie Vivette Lopez pour son complément d'information. C'est un point qui n'avait pas été mentionné dans mon introduction.
Par ailleurs, le premier point du rapport, « Surprise stratégique ou prise de conscience brutale ? », évoque l'épisode de Gossi, à propos duquel nous n'avons pas réagi avec la force nécessaire, alors que la présence de Wagner au Mali aurait pu nous alerter.
Cela rejoint ce que disait Jean-Pierre Grand à propos de la nécessité de travailler sur une réflexion géostratégique ou géopolitique afin de mieux comprendre un certain nombre de choses.
Il est toujours facile de réécrire l'histoire. Que se serait-il passé en Ukraine si les Français avaient réagi différemment à la présence de Wagner au Mali ? Ce rapport n'a pas vocation à répondre à toutes les questions, mais il ouvre des questionnements.
Je suis entièrement d'accord avec André Gattolin : nous avons été aveuglés car nous n'avons pas la même rationalité que Vladimir Poutine. Le rapport le met largement en évidence.
Je partage l'avis d'Olivier Cigolotti. Doit-on donner du matériel pour faire de la figuration, et parfois gêner les Ukrainiens, qui travaillent à l'échelle d'un bataillon ? Un bataillon, c'est trois compagnies, soit une centaine de chars. C'est à ce niveau qu'intervient la logistique, le soutien, le MCO.
Il est intéressant d'avoir un apport différent dans d'autres domaines de soutien, qui peuvent aussi valoriser les matériels français. Je pense à la lutte anti-drones ou à la lutte anti-missiles, aux radars de haute performance, etc. Ce sont des questions qui sont sur la table.
Quels enseignements peut-on tirer au sujet du cyber ? C'est un sujet que l'on expose très largement. Je n'en ai pas fait état dans mes propos liminaires, mais le sujet est traité dans le rapport.
Les Américains, depuis 2014, préparent les Ukrainiens à la lutte cyber, notamment grâce aux GAFAM. Microsoft a été un acteur particulièrement important depuis 2014 sur le terrain. La lutte cyber s'est par ailleurs mise en place grâce à certains soutiens. Un certain nombre d'anciens officiers ont été remerciés et remplacés par de jeunes geeks, qui ne venaient pas forcément de l'armée mais qui avaient une connaissance significative du milieu cyber, des cyberattaques et de la défense.
Cela a été un point très important dans leur conception de la défense, nous le rappelons très largement dans le rapport. Cela fait déjà un certain temps que j'estime important de se concentrer sur la lutte cyber. Le Président de la République, le 19 janvier dernier, en a fait un de ses axes majeurs, avec la lutte anti-drones et les drones.
Enfin, je ne peux que souscrire à ce qu'a dit Pascal Allizard à propos de ce qu'il conviendra de construire après la guerre mais, pour cela, il faut arriver à obtenir la paix.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - J'ajouterai peu de choses différentes de ce que vient de dire Cédric Perrin.
On ne peut parler de guerre aéromaritime, car les Russes ont certainement failli dans le contrôle et la mise en oeuvre de leur supériorité aérienne. Tout cela est apparemment lié à un problème d'organisation interarmes au sein de l'armée russe. Alors qu'ils disposent d'une puissance aérienne importante, ils n'ont pas réussi à mettre en oeuvre dès le départ des centres de commandement, des radars, etc.
À l'inverse, les Ukrainiens n'ont pas pu contrôler leur ciel. Je pense que l'OTAN et la France n'auraient pas agi de la même façon si elles avaient dû intervenir dans un tel conflit dès le départ.
Pour le reste, la remarque de Jean-Pierre Grand au sujet de l'Afrique est importante. Je pense que nous avons une diplomatie et des services de renseignement efficaces, mais il y a eu un manque de réactivité. Wagner, en Afrique, nous a chassés peu à peu. Nous n'avons pas analysé que nous étions en train de perdre pied et d'être discrédités par les Russes.
En 2014, personne n'a voulu réagir au moment de l'annexion de la Crimée. Cela posera un problème pour la sortie de guerre. J'ai entendu hier l'intervention de Pierre Laurent : la sortie de guerre se fera autour de la table et on discutera. La Crimée constituera-t-elle un enjeu ? Les Européens et l'OTAN accepteront-ils que l'Ukraine récupère militairement la Crimée ? Je pense que c'est différent pour le Donbass, mais la Crimée posera certainement un problème, car on ne fait jamais la paix qu'avec ses adversaires.
Il faudra bien se mettre un jour autour de la table et discuter. Il me paraît compliqué que les Américains et l'OTAN fournissent des matériels pour récupérer la Crimée même si, dans l'immédiat, ce n'est pas le sujet.
Quant à la cyberdéfense, elle est primordiale pour demain. Cédric Perrin en a parlé, en évoquant également les drones. Les Ukrainiens ont pris de l'avance en matière cyber, puisqu'ils ont pu répondre immédiatement. La cyberdéfense russe n'a pas été à la hauteur. Les Ukrainiens ont réagi avec l'aide de Microsoft.
Si l'Ukraine ne s'est pas effondrée, c'est bien parce que les Russes n'ont pas su mettre en oeuvre d'actions interarmées. Leur puissance de feu aérienne n'a pas été utilisée convenablement. Cédric Perrin l'a dit tout à l'heure : tous les Ukrainiens pouvaient, avec leur téléphone portable, fournir immédiatement des renseignements. Ils ont su être très efficaces.
M. Cédric Perrin, corapporteur . - Ce conflit a été au départ conçu comme une opération spéciale qui ne devait durer qu'une dizaine de jours. Comme le disait Jean-Marc Todeschini, les Ukrainiens ont disséminé leur matériel, qu'il a été très difficile de mettre hors d'état de nuire.
L'arme aérienne n'ayant pas été employée comme elle aurait dû l'être, l'artillerie a occupé le terrain, et on en voit les conséquences aujourd'hui. Elle a repris ses lettres de noblesse. La dissuasion nucléaire est également essentielle mais elle n'est pas la réponse à tout. C'est un débat qui restera à éclairer dans le cadre de la LPM.
Faut-il conserver une défense conventionnelle ? Je pense bien évidemment que c'est nécessaire. Nous avons un certain nombre de munitions... mais c'est au regard du nombre de pièces d'artillerie dont nous disposons !
L'objectif est de continuer à discuter de tous ces points dans le cadre de la LPM.
M. Pascal Allizard . - Sans dévoiler notre rapport sur le retex de Barkhane et le terrorisme, je partage totalement ce qui vient d'être dit à propos des munitions. C'est très inquiétant.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Les Ukrainiens s'inquiètent énormément au sujet des munitions. Concernant la cyberdéfense, il faut préparer la reconstruction de l'Ukraine dès à présent.
Notre ambassade fait un travail extraordinaire. Nous sommes le seul pays à avoir conservé une structure d'enseignement international en Ukraine. C'est un exemple parmi d'autres, mais il mérite d'être signalé.
M. Jean-Marc Todeschini, corapporteur . - L'armée russe ne dispose pas du relais des sous-officiers. Dans l'armée française, les sous-officiers sont des relais importants et peuvent prendre des initiatives. Dans l'armée russe, celles-ci sont réservées aux généraux.
M. Philippe Paul, président . - Merci. Nous allons à présent passer au vote. Le groupe socialiste n'y participe pas.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 heures 20.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mardi 6 décembre 2022
- Institut français des relations internationales (IFRI) : MM. Élie Tenenbaum , directeur et Léo Péria-Peigné , chercheur, Centre des études de sécurité ;
- Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) : Général Philippe Morales et Lieutenant-colonel Samuel Bourigault , Assistant militaire du général, Adjoint au B.Pil. ;
- Centre de doctrine et d'enseignement du commandement (CDEC) de l'armée de terre : Général Pierre-Joseph Givre , directeur, Colonel Frédéric Jordan ;
- Général Denis Mercier , ancien Chef d'état-major de l'armée de l'air, ancien Commandant allié Transformation de l'OTAN, directeur général adjoint de Fives Group.
Mercredi 7 décembre 2022
- Association du drone pour l'industrie française (ADIF) : M. Bastien Mancini , cofondateur et président, président-directeur général de Delair.
Mardi 13 décembre 2022
- M. Alexandre Papaemmanuel, enseignant à Sciences po Paris sur la cyber et le numérique ;
- Commandement de l'Espace (CDE) : Général Philippe Adam, Commandant de l'Espace.
Mardi 10 janvier 2023
- Direction générale de l'Armement (DGA) : Général Charles Palu , adjoint forces du Délégué général pour l'armement ;
- Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES) : M. Pierre Razoux , directeur académique et de la recherche ;
- Comcyber : Colonel Frédéric Dalorso , chef du pôle strat et M. Pierre Duchesne , chargé de mission stratégie ;
- Nexter : MM. Nicolas Chamussy , directeur général, Alexandre Dupuy , directeur des Affaires Publiques, de la communication et du commerce France & Europe, GCA (2S) Nicolas Casanova , conseiller militaire du CEO et M. Alexandre Ferrer - Responsable des Affaires Publiques France & Europe.
Mercredi 11 janvier 2023
- Centre Interarmées de Concepts, Doctrines et Expérimentations (CICDE) : Général de division aérienne Vincent Breton , capitaine de vaisseau Alexis Huberdeau .
Mardi 17 janvier 2023
- Marine : Capitaine de vaisseau Yann Briand , officier STRATPOL au cabinet du CEMM ;
- MBDA : M. Jean-René Gourion , directeur général délégué, responsable de la cohérence stratégique, l'Amiral de Bonnaventure , conseiller militaire du CEO, Mme Anne-Sophie Thierry-Bozetto , responsable des relations institutionnelles, Mme Sarah-Caroline Leforestier , chargée des relations parlementaires ;
- Service interarmées des munitions (SIMu) : Général Éric Laval , Général commandant du SIMu.
Contribution écrite
- Fondation pour la recherche stratégique : M. Philippe Gros , maître de recherche.
* 1 Le Monde, 28 janvier 2022.
* 2 Le Monde, 16 février 2022.
* 3 Audition de Mme Florence Parly, ministre des Armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 15 février 2022.
* 4 RUSI (Royal United Services Institute for Defence and Security Studies), Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia's invasion of Ukraine : February-July 2022, Mykhaylo Zabrodskyi, Jack Watling, Oleksandr V Danylyuk and Nick Reynolds.
* 5 Benjamin Hautecouverture, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, Le Monde du 1 er mars 2022.
* 6 Kristin Ven Bruusgaard (2022), University of Oslo, Chatham house (23 août 2022), “Myths and misconceptions around Russian military intent”, traduit avec www.DeepL.com/Translator .
* 7 Emmanuel Macron (novembre 2019).
* 8 Bien que l'information ne soit pas publique, 5 pays de l'OTAN sont généralement considérés comme pays hôtes de ces armes nucléaires américaines : l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas et la Turquie.
* 9 Audition du général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense, Assemblée nationale, 7 décembre 2022.
* 10 Audition du Colonel Michel Goya, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 2 novembre 2002.
* 11 Audition du Général de corps aérien Bruno Clermont, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 7 décembre 2022.
* 12 « Se préparer à la « guerre des drones » : un enjeu stratégique », Rapport d'information n° 711 (2020-2021) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Bruno SIDO et François BONNEAU ; « Haut-Karabagh : dix enseignements d'un conflit qui nous concerne », Rapport d'information n° 754 (2020-2021) de M. Olivier CIGOLOTTI et Mme Marie-Arlette CARLOTTI.
* 13 RUSI (Royal United Services Institute for Defence and Security Studies), Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia's invasion of Ukraine : February-July 2022, Mykhaylo Zabrodskyi, Jack Watling, Oleksandr V Danylyuk and Nick Reynolds.
* 14 RUSI (Royal United Services Institute for Defence and Security Studies), Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia's invasion of Ukraine : February-July 2022, Mykhaylo Zabrodskyi, Jack Watling, Oleksandr V Danylyuk and Nick Reynolds.
* 15 En effet beaucoup d'entreprises ont des sites multiactivités, des outils industriels duaux et des salariés pour différentes activités (Renaud Bellais, DSI n°150, « Haut-Karabagh : Les leçons d'une guerre de haute intensité », novembre-décembre 2020).
* 16 Air&Cosmos, n°2808, 8 décembre 2022.
* 17 L'Armée de l'air bénéficiera également de 55 Mirage 2000D rénovés.
* 18 Audition, à huis clos, du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l'armée de l'Air et de l'Espace, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 20 juillet 2022.
* 19 Source : Léo Péria-Peigné, IFRI.
* 20 High Mobility Artillery Rocket System.
* 21 L'US Army en possède déjà 360 et l'US Marine, 47.
* 22 « Drones d'observation et drones armés : un enjeu de souveraineté », Rapport d'information n° 559 (2016-2017) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Jean-Marie BOCKEL et Raymond VALL.
* 23 La neutralisation des défenses aériennes adverses (SEAD), Note de l'Observatoire des conflits futurs, octobre 2020.
* 24 Audition du Colonel Michel Goya, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 2 novembre 2002.
* 25 Léo Pério-Peigné, « Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité ? », Focus stratégique, n° 113, IFRI, décembre 2022
* 26 Avis n° 117 (2022-2023) de M. Olivier CIGOLOTTI et Mme Michelle GRÉAUME, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 17 novembre 2022, sur le Projet de loi de finances pour 2023 (Défense : Préparation et emploi des forces).
* 27 L'Opération Sentinelle, observations définitives, Cour des comptes, 12 septembre 2022.