N° 214

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif aux difficultés rencontrées par les PME et ETI françaises en matière de commerce extérieur ,

Par Mme Florence BLATRIX CONTAT, MM. Jean HINGRAY et Vincent SEGOUIN,

Sénatrice et Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Babary, président ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Gilbert Bouchet, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain-Larché, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Thomas Dossus, Fabien Gay, Jacques Le Nay, Dominique Théophile, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Jean Hingray, Sébastien Meurant, Vincent Segouin, secrétaires ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Annick Billon, Nicole Bonnefoy, MM. Michel Canévet, Daniel Chasseing, Alain Chatillon, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, M. Alain Duffourg, Mme Pascale Gruny, MM. Christian Klinger, Daniel Laurent, Martin Lévrier, Stéphane Le Rudulier, Didier Mandelli, Jean-Pierre Moga, Albéric de Montgolfier, Claude Nougein, Mme Guylène Pantel, MM. Georges Patient, Sebastien Pla, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, MM. Christian Redon-Sarrazy, Olivier Rietmann, Daniel Salmon.

LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

N° de la recommandation et page du rapport

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support/action

OBJECTIFS STRATEGIQUES

1

Définir une stratégie à long terme (2040 a minima ) pour définir les objectifs en matière de commerce extérieur - et de souveraineté économique - et identifier les secteurs, les compétences et les entreprises à soutenir.

Gouvernement / Parlement

Dès 2023

Débat sur le commerce extérieur au Sénat

ou PPR demandant l'instauration d'une loi d'orientation économique pour la France

2

Rénover la gouvernance du conseil stratégique de l'export - CSE - afin de piloter efficacement la stratégie nationale, en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance commerciale, et en assurant la bonne coordination entre ces politiques.

Gouvernement /

Parlement

Dès 2023

PPR demandant un rapport annuel de la Cour des Comptes sur la balance commerciale en précisant le suivi des importations et des exportations

3

Renforcer la coordination entre les membres de la Team France Export et présenter les résultats de son action devant le conseil stratégique de l'export rénové.

Gouvernement / TFE

Dès 2023

PPR

4

Mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations.

CSE /

Gouvernement

Dès 2023

PPR

OBJECTIFS OPERATIONNELS

5

Faciliter la transmission d'entreprise et soutenir les PME et ETI pour encourager les relocalisations et réindustrialiser la France.

Parlement /

Gouvernement

À compter de 2023

PPL transmission d'entreprise

6

Inciter les entreprises à « chasser en meute ».

Parlement /

Gouvernement

À compter de 2003

Incitation fiscale ou label made in France spécifique pour l'exportation

7

Organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par les membres de la Team France Export et rendre gratuite pour les entreprises françaises la participation aux salons internationaux.

Gouvernement / TFE

À compter de 2003

PPR

8

Renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies et commerce international dans l`enseignement secondaire et supérieur.

Parlement /

Gouvernement

2023

PPR

9

Mieux identifier les risques de vulnérabilités d'approvisionnement en utilisant les données douanières européennes.

Commission européenne /

Gouvernement

2023

PPR

10

Définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de constitution et de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export.

Confier à un membre de la TFE la gestion de cette base (Bpifrance ou Business France) dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.

Parlement /

Gouvernement / CSE / TFE

À compter de 2023

PPR

L'ESSENTIEL

Observant un nouveau creusement du déficit de la balance commerciale de la France à la fin de l'année 2021, la Délégation aux entreprises a confié une mission à trois de ses membres afin de comprendre l'origine de ce phénomène et proposer des pistes permettant de remédier aux difficultés des PME (petites et moyennes entreprises) et ETI (entreprises de taille intermédiaire) en matière de commerce extérieur.

L'année 2021 a été marquée par un déficit de 84,7 milliards d'euros de la balance commerciale, dégradant davantage la place de la France au sein de l'Union européenne. Les chiffres des premiers trimestres de l'année 2022 indiquent un nouveau déficit record de près de 150 milliards d'euros. Cette situation est alarmante car :

ü La dégradation n'est pas soudaine. Elle résulte d'un long processus induit par le choix politique de la désindustrialisation de la France depuis 40 ans, et s'est simplement aggravée avec les récentes crises sanitaire et énergétique ;

ü La dépendance aux importations est non seulement coûteuse mais elle remet aussi en cause notre souveraineté ;

ü Les décisions de relocalisation ne peuvent se prendre sans tenir compte de nombreux facteurs de compétitivité -- notamment hors coût (compétences, innovation, etc.) -- aujourd'hui trop négligés;

ü Malgré la réforme positive du dispositif de soutien public à l'export s'appuyant désormais sur la « Team France Export », on constate un manque cruel de vision stratégique pour la France et ses entreprises ;

ü De nombreux risques sont sous-estimés pour nos entreprises et pour la performance économique de la France, comme les vulnérabilités en termes d'approvisionnement, la délocalisation des services et la « télémigration », l'impact potentiel des décisions européennes en matière de normes, etc.

La Délégation sénatoriale aux entreprises propose 10 mesures, stratégiques et opérationnelles, pour remédier à cette situation à terme et faire en sorte que l'on ne subisse plus le déclassement continu de la France en matière de commerce extérieur. Pour être proactif, l'État doit être plus prospectif et visionnaire.

Source : Direction générale du Trésor, rapport 2022 sur le commerce extérieur de la France

I.  LE DÉFICIT ABYSSAL DE LA BALANCE COMMERCIALE, FRUIT D'UNE DÉGRADATION CONTINUE

Voilà vingt ans que nous assistons, comme impuissants, au creusement du déficit commercial des biens. C'est en 2002 que le solde des échanges de biens fut excédentaire pour la dernière fois et le creusement a déjà connu plusieurs phases d'accélération, retracées dans le graphique ci-après.

Les chiffres récents ont été certes aggravés par les crises sanitaire et énergétique (-26,7 milliards d'euros entre 2019 et 2021, puis -65,3 milliards lors des trois premiers trimestres 2022, avec un déficit dans le secteur de l'énergie très lourd comme l'illustre le graphique des soldes sectoriels de 2021), mais le phénomène de dégradation continue résulte directement de la désindustrialisation de la France , choix stratégique assumé par de nombreux gouvernements depuis 40 ans et pointé par tous les économistes.

La part de l'industrie dans le PIB a diminué de 10 points pour la France pour atteindre 13,5 % en 2019 contre 24,2 % en Allemagne, 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. En Allemagne, le nombre d'emplois industriels est de 7 millions, soit plus du double du nombre observé en France (3,2 millions). On perçoit l'impact de la désindustrialisation française en comparant les chiffres d'Eurostat, repris ci-dessous. Ils mettent en évidence les balances commerciales des États membres de l'Union en les classant, à gauche selon le niveau de leur déficit, à droite selon leur excédent. La France est bonne dernière de l'Union une fois de plus en 2021 (-84,7 milliards d'euros et -109 milliards d'euros selon la méthode de calcul d'Eurostat) tandis que l'Allemagne affiche le plus gros excédent (173,3 milliards d'euros ou 178,4 milliards d'euros selon Eurostat). Cependant, un ralentissement prononcé a été récemment observé en Allemagne avec, en mai 2022, le premier déficit commercial mensuel depuis la réunification (1991).

À côté de la balance des biens déficitaire, on observe une balance des services excédentaire de 36,2 milliards d'euros en 2021 , dont le dynamisme est porté par les services de transport et les services aux entreprises. Entre 2001 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, passant de 24 % à 33 % des exportations totales. En outre, services et biens sont intrinsèquement liés puisque 40 % de la valeur ajoutée incorporée dans les exportations de biens est constituée de services .

Mais l'excédent du solde des services ne parvient pas, globalement, à compenser le déficit de la balance commerciale, comme le met en évidence l'évolution du solde des transactions courantes. Même si l'année 2021 est marquée par un excédent de 9 milliards d'euros, les déficits se sont succédé lors des premiers trimestres de l'année 2022 (déficit de 18,3 milliards d'euros au troisième trimestre 2022).

La bonne compréhension de ce graphique, et plus généralement des enjeux en matière de commerce extérieur, nécessite de rappeler la définition des différentes composantes auxquelles il est fait référence.

Rappel

Lexique

.

La balance des paiements retrace l'ensemble des transactions économiques et financières d'une économie avec le reste du monde. Toujours équilibrée par nature (car présentée suivant les règles de la comptabilité en partie double), elle s'articule autour de trois comptes : compte financier, compte de capital, et compte de transactions courantes.

La balance des transactions courantes regroupe la balance commerciale (les marchandises) et la balance des services (services, revenus et transferts courants).

La position extérieure nette représente le patrimoine ou l'endettement net de la Nation vis-à-vis du reste du monde

Enfin, la position extérieure de la France continue de se dégrader , en passant de -709,4 milliards d'euros en 2020 à -801,9 milliards d'euros en 2021 . La Banque de France rappelle qu'elle atteint ainsi 32,3 % du PIB , ce qui la rapproche du seuil d'alerte défini par la procédure européenne de déséquilibre macroéconomique (déficit de 35 % du PIB). L'économiste Jean-Marc Daniel résume ainsi cette situation : « comme nous n'arrivons pas à vendre, nous nous vendons ».

Compte tenu de ces éléments de constat, toute action visant à redresser le commerce extérieur de la France doit être précédée d'une réflexion stratégique autour des questions suivantes :

Diminution des importations : quels sont les objectifs concrets en matière de souveraineté ? Quelles doivent être nos priorités en termes d'indépendance ? Relocalisation ou développement de la production en France : quels sont nos atouts en termes de compétitivité, les secteurs à privilégier et les compétences nécessaires pour y parvenir ?

Augmentation des exportations : disposons-nous de tous les outils nécessaires pour analyser les opportunités des marchés européens et étrangers hors Union européenne ? Comment identifier les entreprises susceptibles de réussir le pari de l'internationalisation et de contribuer utilement au développement de l'export ?

Mais sommes-nous suffisamment armés pour appréhender ces questions ?

II. COMMERCE EXTÉRIEUR : DE NOMBREUX RISQUES ET LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE TRANSVERSALE

La Délégation aux entreprises du Sénat, à travers ses travaux, constate un manque de vision stratégique dans l'appréhension des enjeux en matière de commerce extérieur.

Des risques insuffisamment pris en compte

Le risque de délocalisation des services, notamment avec le développement des technologies numériques. Aujourd'hui les efforts en matière de formation et de développement des compétences ne sont pas suffisants pour éviter la menace d'un phénomène de « télémigration », identifiée par l'économiste Richards Baldwin. Les services étant liés aux biens exportés, leur sort dépend de la réindustrialisation de la France et donc du développement à long terme des PME et ETI de territoire. Cette réindustrialisation sera pérenne à condition que les entreprises soient rentables malgré les contraintes actuelles des normes, du coût de l'emploi et des pressions fiscales. Elle devra également tenir compte des entreprises qui promeuvent la souveraineté de la France.

Le risque de dépendance est sous-estimé. Tout d'abord en termes de propriété intellectuelle, puisque nous dépendons de data centers situés à l'étranger. Ensuite parce que les vulnérabilités d'approvisionnement sont minimisées. En effet, les études françaises (Trésor, Conseil d'Analyse économique) ne prennent en compte que les données dont dispose la Direction générale des Douanes ; ainsi, le risque est considéré comme insignifiant dès lors qu'un produit est importé depuis un pays européen, quand bien même ses composants proviennent de pays identifiés comme plus « risqués ».

La compétitivité hors-prix est mal appréhendée alors qu'il faudrait mettre l'accent sur tous les facteurs de cette dimension : environnement normatif, caractéristiques des entreprises importatrices, positionnement de gamme, qualifications, innovation.

Les entreprises françaises ne sont trop souvent même pas soutenues en France. Les acheteurs publics privilégient quasi-exclusivement le moins-disant dans les marchés publics, alors qu'ils pourraient tenir compte d'autres critères sur lesquels les entreprises françaises sont performantes (la crise sanitaire a mis en évidence cette incohérence). En outre, les grandes entreprises françaises n'ont pas la culture du « chasser en meute » -- qui consiste à conquérir des marchés étrangers en entraînant des ETI ou PME de même nationalité -- pourtant si efficace chez nos voisins allemands ou italiens. Enfin l'administration française n'accompagne pas les entreprises, elle est au contraire trop souvent punitive contrairement à ses homologues allemands et italiens.

L'impact des décisions européennes, notamment en matière de normes, semble trop négligé. Pourtant elles sont susceptibles de diminuer davantage la compétitivité des entreprises européennes sans une stratégie commerciale défendant la réciprocité des obligations. Il faut supprimer les surtranspositions ou faire appliquer les clauses miroirs entre les produits fabriqués en France et les produits importés.

Les conséquences de la désindustrialisation trop négligées

Les formules des économistes ne manquent pas pour qualifier les phénomènes induits par la désindustrialisation : « cercle vicieux » pour Thomas Grjebine (chômage endémique, affaiblissement de l'innovation, etc.) ou « triptyque infernal » pour Patrick Artus (faiblesse des compétences de la population active, surcoûts salariaux, pression fiscale pesant sur les entreprises).

Or l'accompagnement des entreprises à l'export semble déconnecté de ces considérations qui pourtant appellent une analyse transversale et une stratégie se déclinant dans toutes les politiques publiques ayant un impact sur la compétitivité des entreprises. C'est ce qui ressort des analyses relatives au rôle du Conseil stratégique de l'export , dont la dimension stratégique semble paradoxalement. Le pilotage des politiques publiques, que l'on pourrait attendre de cette enceinte, est inexistant, laissant place à une instance de suivi (comme ce fut le cas pour les mesures export du plan de relance).

III. TPE, PME ET ETI : UN ACCOMPAGNEMENT À AMÉLIORER

La stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur, dite « stratégie de Roubaix » et définie en février 2018 , vise à transformer le modèle d'accompagnement des TPE, PME et ETI à l'export. La politique publique d'accompagnement des entreprises est présentée comme l'un des trois niveaux d'action, à côté des politiques en faveur de la compétitivité et de l'articulation des priorités export au niveau des filières.

De cette réforme est née la Team France Export (TFE) , qui rassemble toutes les solutions publiques proposées par les régions, les services de l'État, Business France, les Chambres de Commerce et d'Industrie et Bpifrance pour accompagner les entreprises françaises à l'international. Avec 250 conseillers territoriaux et 750 conseillers à l'international, ce réseau a pour but d'offrir une aide efficace aux entreprises françaises, notamment via un guichet unique. En 2021, la Team France Export a accompagné 10 547 PME et ETI.

Les soutiens financiers sont diversifiés : financement directs de l'État (prêts du Trésor, fonds d'études et d'aide au secteur privé), crédits à l'exportation (crédit export, prêts sans garantie à l'international), garanties publiques pour le commerce extérieur (assurance-crédit à l'exportation, assurance prospection), volontariat international en entreprise (VIE).

Malgré ces avancées, appréciées sur le terrain, la Cour des Comptes souligne dans son rapport d'octobre 2022 que les acteurs et leurs offres d'accompagnement sont encore trop méconnus et insuffisamment coordonnés. En outre, aucune stratégie solide ne semble présider aux choix des entreprises à soutenir et l'on dénote une « obsession » des chiffres au détriment de l'efficacité sur le long terme.

On dénombre 135 900 entreprises exportatrices françaises en 2021, et 139 400 au premier trimestre 2022, au sein desquelles apparaît un phénomène de forte concentration des exportations . 1 000 entreprises seulement seraient à l'origine de 70 % de la valeur ajoutée exportée. Les ETI apparaissent comme la « force de frappe » aux côtés des grandes entreprises.

Source : Direction générale des douanes et droits indirects, Avril 2021

Pourtant l'objectif de croissance du nombre d'entreprises exportatrices, notamment les primo-exportatrices, semble prévaloir alors que leur contribution au développement des exportations n'est pas toujours déterminante. En outre, les entreprises de taille intermédiaire sont trop peu nombreuses en France (5 400 en France contre 12 500 en Allemagne et 8 000 en Italie), et le cadre de la transmission d'entreprise n'est pas suffisamment incitatif pour que les PME puissent croître. Elles doivent pourtant constituer une priorité pour le développement du commerce international.

Enfin la comparaison avec l'Allemagne et l'Italie montre que nos voisins proposent davantage de mesures d'accompagnement gratuites, comme la participation des entreprises nationales à des foires ou salons internationaux.

IV. LES PROPOSITIONS

LES 10 PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION AUX ENTREPRISES DU SÉNAT

Propositions stratégiques :

1. Définir, via une loi d'orientation économique pour la France, une stratégie à long terme (2040 a minima ) pour établir les objectifs en matière de commerce extérieur - et de souveraineté économique - et identifier les secteurs, les compétences et les entreprises à soutenir.

2. Rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l'export - CSE -- afin de piloter efficacement la stratégie nationale, en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance commerciale, et en assurant la bonne coordination entre ces politiques.

3. Renforcer la coordination entre les membres de la Team France Export -- TFE -- et présenter les résultats de son action devant le Conseil stratégique de l'export rénové.

4. Mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations.

Propositions opérationnelles :

5. Faciliter la transmission d'entreprise et soutenir les PME et ETI pour encourager les relocalisations et réindustrialiser la France.

6. Inciter les entreprises à « chasser en meute ».

7. Organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par les membres de la Team France Export et rendre gratuite pour les entreprises françaises la participation aux salons internationaux.

8. Renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies et commerce international dans l`enseignement secondaire et supérieur.

9. Mieux identifier les risques de vulnérabilités d'approvisionnement en utilisant les données douanières européennes.

10. Définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de constitution et de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export. Confier à l'un des acteurs de la TFE la gestion de cette base dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.

I. LE DÉFICIT ABYSSAL DE LA BALANCE COMMERCIALE, FRUIT D'UNE DÉGRADATION CONTINUE DEPUIS 20 ANS

A. UNE SITUATION ALARMANTE...

1. La dégradation continue de la balance commerciale des biens

Le commerce extérieur et l'internationalisation des PME et ETI est une dimension souvent évoquée lors des déplacements de la Délégation aux entreprises sur le terrain. Les dirigeants entendus évoquent régulièrement les éléments pesant sur la compétitivité des entreprises françaises dans un contexte de concurrence accrue.

Lorsque la présente mission d'information a débuté ses travaux, les membres de la Délégation réagissaient à la publication des derniers chiffres de la balance commerciale de la France.

Ainsi les estimations pour l'année 2021 indiquaient un déficit record de la balance commerciale alors évalué à 84,7 milliards d'euros . Il s'élevait à 64,7 milliards en 2020 et 58 milliards en 2019, soit un creusement de près de 26,7 milliards en deux ans.

Dans un contexte économique marqué par des crises exceptionnelles successives (sanitaire, énergétique), on aurait pu penser que cette accélération de la dégradation de la balance commerciale était uniquement conjoncturelle. Les soldes sectoriels de 2021, représentés ci-dessous, mettent d'ailleurs en évidence le poids du déficit dans le secteur de l'énergie.

Cependant, cette accélération du creusement n'est pas la première depuis 2002, dernière année où la France a connu un solde commercial positif .

Entre 2002 et 2020, les importations ont augmenté de 171,1 milliards d'euros, soit une croissance deux fois plus élevée que les exportations sur la même période (+ 94,8 Md€). Le déficit commercial s'est surtout creusé entre 2003 et 2011, comme le met en évidence le graphique ci-dessous. Puis, après une amélioration relative, il s'est à nouveau creusé à partir de 2016.

SOLDE DE LA BALANCE COMMERCIALE DE LA FRANCE

2002-2021

Source : DAE à partir des données INSEE

Voilà donc 20 ans que nous assistons, comme impuissants, au creusement du déficit de notre balance commerciale . Et le contexte économique de crise de l'année 2022 va encore davantage handicaper la France puisque les estimations prévoient un déficit de plus de 150 milliards d'euros .

Une nuance doit néanmoins être apportée : le solde des échanges extérieurs des services (autre composante de la balance des transactions courantes) est, lui, positif .

Son niveau est même significativement élevé en 2021 avec 36,2 milliards d'euros contre 19 milliards en 2020 et 30,4 milliards en 2019. Ce chiffre est principalement le fait des services de transports, mais également des services aux entreprises (services techniques, services professionnels et services de conseil en gestion). Cependant cet excédent du solde des services ne suffit pas à compenser le déficit de la balance des biens. Ainsi, c'est bien le solde du commerce des biens qui pèse sur le solde des échanges extérieurs 1 ( * ) ou solde du commerce extérieur de la France . Comme le graphique suivant l'indique, il était déficitaire à hauteur de 48,6 milliards d'euros en 2021 .

2. La France, dernière de l'Union européenne

Compte tenu de la crise économique que traverse l'Europe, il pourrait être tentant de se rassurer en se comparant à nos partenaires européens. Malheureusement, l'observation de la situation chez nos voisins ne fait que renforcer notre sentiment d'être dans une impasse en matière de commerce extérieur.

Ainsi, comme le montrent les graphiques ci-après reprenant les soldes des balances commerciales des pays membres de l'Union européenne classés à partir des chiffres d'Eurostat 2 ( * ) (déficitaires à gauche et excédentaires à droite), la comparaison révèle la gravité de la situation française. La France est bonne dernière de l'Union une fois de plus en 2021 (-109 milliards selon la méthode de calcul d'Eurostat) tandis que l'Allemagne affiche le plus gros excédent (178,4 milliards selon Eurostat). Cependant, un ralentissement prononcé a été récemment observé en Allemagne avec, en mai 2022, le premier déficit commercial mensuel depuis la réunification (1991).

La dégradation de la balance commerciale française a été bien plus forte en France par rapport à ses voisins et principaux partenaires commerciaux. Entre 2002 et 2020, elle s'est creusée de 89,9 milliards d'euros alors que sur la même période, l'excédent italien a augmenté de 55 milliards d'euros et celui de l'Allemagne de 50,9 milliards. La Cour des comptes l'a mis en évidence dans le graphique suivant :

Rappelons les principaux partenaires commerciaux de la France, identifiés dans le graphique suivant, diffusé par l'Insee à partir des chiffres de la DGDDI de mai 2022 :

La dépendance aux importations provenant de Chine est flagrante, et elle apparaît également pour nos partenaires européens que sont l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas. Les pays frontaliers de la France (Allemagne, Italie, Belgique, Espagne et Royaume-Uni) représentent 72% de nos exportations intra-européennes en 2021. Il y a donc une concentration européenne des exportations françaises . Or le marché européen croît moins vite que le reste du monde, notamment le marché asiatique.

Pour la Cour des comptes, la dégradation de la performance française au sein de l'Union est à rapprocher de l'érosion de la part de marché française dans les exportations mondiales de biens, passée de 4,9 % en 2000 à 3,5 % en 2020, selon les données Eurostat de février 2021. Ces pertes sont supérieures à celles enregistrées pour ses principaux partenaires européens, même si une tendance similaire est observable pour la plupart des pays de l'Union européenne et des pays avancés. Ces derniers représentaient 69,2 % des parts de marché à l'exportation en 2000 et 54,9 % en 2015.

3. La concurrence des économies émergentes et le handicap de la compétitivité

a) Les économies émergentes

La dégradation du commerce extérieur français ne peut être appréhendée sans évoquer la montée en puissance des économies émergentes. L'Insee rappelle que l'essor de ces économies dans le commerce mondial a affecté tous les pays avancés mais la France a perdu plus de parts de marché que ses principaux partenaires de la zone euro .

Le recul des parts de marché françaises lié au développement des économies émergentes a été évalué à partir de modélisations réalisées par l'Insee en 2016 3 ( * ) , dont la Cour des comptes a ainsi résumé les enseignements :

- entre 2000 et 2015, la France a connu un recul de 29 % de ses parts de marché à l'export sur le marché extra-européen des biens manufacturés , qui s'explique quasi intégralement par la montée en puissance des économies émergentes ;

- la concurrence des pays émergents explique également la moitié du recul des parts de marché de la France en Europe s'agissant des exportations de biens manufacturés (recul qui s'élève à 21 % entre 2000 et 2015).

Pour Sarah Guillou, économiste entendue par la Délégation aux entreprises, « l'entrée de la Chine dans la concurrence mondiale a ainsi modifié la répartition des parts de marché mondiales ». Ainsi que le rappelle la Direction générale des Douanes, la Chine est devenue membre de l'OMC le 11 décembre 2001. Les obstacles aux échanges, sous la forme de restrictions quantitatives ou de droits de douane, ont alors été largement levés conformément à l'accord d'adhésion . Ainsi, le taux de droits de douane appliqué aux produits importés depuis ce pays est passé, en moyenne, de 16,4 % en 2000 -- année précédant celle de l'adhésion à l'OMC -- à 5,4 % en 2019. Depuis l'adhésion de la Chine à l'OMC, le déficit commercial de la France avec ce pays s'est nettement accru . Comme le montre le graphique ci-après, il a été multiplié par près de cinq (soit +21,4 milliards d'euros entre 2000 et 2019). L'accroissement de ce déficit bilatéral s'est constitué principalement durant la décennie qui a suivi cette adhésion à l'OMC. La Chine est devenue en 2009 le premier exportateur mondial, devant l'Allemagne .

Pour la Cour des comptes, la montée en gamme des économies émergentes s'est accélérée et la concurrence est d'autant plus forte « que les pratiques commerciales (y compris la contrefaçon) et les normes sociales, sanitaires ou environnementales sont moins exigeantes . »

b) Le problème structurel de compétitivité

L'essentiel de la sous-performance française à l'export est imputable à une compétitivité prix (ou coût) et hors prix (hors coût) insuffisante. La compétitivité de la France, qui est aujourd'hui un handicap dans un contexte de montée en puissance de la Chine et des pays émergents, avait déjà été la source du décrochage avec l'Allemagne.

La compétitivité coût de la France a été tout d'abord le principal handicap , avec des coûts unitaires du travail (CUT) dont le taux de croissance était trois fois supérieur aux CUT allemands. Le taux de marge des entreprises de l'industrie manufacturière française a diminué de 2,4 points de la valeur ajoutée sur la période 2000-2007, tandis que celui des entreprises allemandes augmentait de 8,2 points sur la même période. En outre, la politique allemande de modération salariale et de réduction des pensions des années 2000 a permis non seulement de gagner en compétitivité coût dans un contexte de change fixe, mais aussi de limiter la dynamique des revenus et donc de la demande intérieure. Entre 2000 et 2008, la demande intérieure française a augmenté de 16,6 % contre 3,5 % en Allemagne.

Pour Pedro Novo, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export, le décrochage de la France par rapport à l'Allemagne fut « un sujet dans le sujet » : « ce décrochage survient avec les 35 heures 4 ( * ) , avec un régime général de fiscalité sur l'entreprise, et puis une compétitivité coût qui nous a mis sur des trajectoires différentes ».

Mais, comme l'a rappelé Sarah Guillou, on a ensuite pu observer une convergence des coûts du travail grâce au rattrapage du côté allemand - avec l'instauration d'un salaire minimum en 2015 notamment -- associé à des politiques de baisse du coût du travail en France. Ainsi en 2015, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a permis d'imputer une partie de la masse salariale sur la charge d'impôts avant d'être transformé en allègement pérenne de cotisations patronales en 2019.

La compétitivité hors coût demeure en revanche un handicap pour la France. Pour Mme Isabelle Méjean, professeure au département d'économie de Sciences Po Paris et membre du Conseil d'analyse économique, « malgré la convergence des coûts unitaires du travail, qui a démarré au début des années 2010, les déséquilibres ne se résorbent pas, ce qui fait dire que le problème français est un déficit de compétitivité hors coût, c'est-à-dire, d'une certaine façon, la somme de nos ignorances. La compétitivité hors coût est tout ce qu'on n'explique pas par les coûts, c'est-à-dire beaucoup de choses -- la qualité, la gouvernance, etc. --, difficiles à quantifier et sur lesquelles il est également difficile d'agir. »

Pour Sarah Guillou, « nous avons très probablement un problème de compétitivité hors prix, c'est-à-dire qu'il faut poursuivre les efforts en matière de R&D et d'éducation. Les Allemands ont un niveau d'investissements R&D technologique très élevé. Il n'y a pas de secret, si vous voulez une compétitivité hors prix, il faut de la qualité, même si au final, les deux compétitivités finissent toujours par se rejoindre parce qu'à qualité égale, c'est toujours le prix qui va faire la différence . »


* 1 Solde des échanges extérieurs ou solde du commerce extérieur : c'est la différence entre la valeur des exportations et celle des importations de biens et services (donc solde de la balance commerciale + solde des échanges de services).

* 2 Les chiffres d'Eurostat et ceux de la Direction générale des Douanes diffèrent. Dans le chiffre d'Eurostat (109,7 milliards d'euros pour la France en 2021) les importations sont comptabilisées CAF (coût assurance fret), c'est-à-dire que les marchandises importées sont valorisées y compris coût d'arrivée sur le territoire français. Dans le chiffre de la DGDDI (84,7 milliards d'euros pour la France toujours) celles-ci sont estimées FAB (franco à bord), c'est-à-dire que ne sont comptabilisées que les valeurs des produits importés eux-mêmes. Cette différence explique l'essentiel de l'écart entre les deux chiffres.

* 3 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2531684?sommaire=2531694

* 4 Jean-Marc Daniel, économiste, a également rappelé devant la Délégation les deux écoles d'interprétation de la rupture avec l'excédent commercial : pour les uns c'est le passage à l'euro avec un problème de compétitivité lié à une rupture de notre politique économique avec la perte de l'outil de correction qu'était la dévaluation ; pour les autres c'est le passage aux 35 heures, avec une très forte demande intérieure qui n'a pas en regard le niveau de production suffisant.

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