C. L'EAU, UN ÉLÉMENT ESSENTIEL À L'ÉQUILIBRE DES ÉCOSYSTÈMES
1. La prise de conscience de la nécessité de préserver l'eau pour préserver les écosystèmes
Si la disponibilité de l'eau constitue un enjeu pour les utilisateurs directs de celle-ci, disposer d'eau en quantité et en qualité suffisante constitue aussi et peut-être d'abord un enjeu pour la préservation des écosystèmes, dont elle est l'un des constituants fondamentaux .
Le passage d'une conception de l'eau comme matière première à exploiter à une conception de l'eau comme patrimoine à protéger et préserver s'est effectué progressivement depuis les années 1970, en prenant appui sur les dysfonctionnements constatés d'une gestion de l'eau insuffisamment respectueuse des grands équilibres écologiques : pollutions des nappes, pollutions des eaux de surface, disparition d'espèces de poissons, surexploitation.
La prise de conscience des services indispensables rendus par le milieu naturel justifie la recherche d'une gestion intégrée de l'eau , à l'échelle des bassins et des sous-bassins, compte tenu de la solidarité de fait entre amont et aval. Mais ces services sont difficilement quantifiables. On les découvre lorsque précisément ils se dégradent et lorsqu'apparaissent les difficultés dans la gestion quotidienne de la ressource. Ainsi, lorsque la qualité de l'eau se détériore, on doit fermer des captages d'eau potable ou interdire la baignade. Lorsque la quantité d'eau n'est plus suffisante, on ne parvient plus à irriguer.
À travers la directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée en octobre 2000, les États-membres de l'Union européenne se sont engagés à atteindre le bon état écologique et le bon état chimique des eaux de surface et à atteindre le bon état quantitatif et le bon état chimique des masses d'eaux souterraines, avec une échéance fixée initialement à 2015 et repoussée ensuite à 2027. Mais la mise en oeuvre nationale des mesures en faveur de l'amélioration de l'état des masses d'eau a pris du retard et l'objectif de 100 % des masses d'eau conformes à l'horizon 2027 paraît d'ores et déjà difficilement atteignable.
Le rôle essentiel de l'eau dans l'équilibre de nos écosystèmes conduit à remettre en cause les pratiques de gestion de l'eau héritées de l'histoire . Autrefois considérés comme posant problème, car difficiles à exploiter et vecteurs de maladies, faisant l'objet d'opérations de drainage pour les assainir, les milieux humides sont désormais protégés et leur restauration est encouragée. De la même manière, on est désormais réticent à intervenir pour rectifier le lit d'un cours d'eau et on encourage davantage l'écoulement libre plutôt que la construction de digues et ouvrages de canalisation.
Plus globalement, comme mis en évidence lors de l'audition de l'Office français de la biodiversité (OFB), il convient de cesser de considérer l'eau comme un milieu récepteur qui de toute façon parviendra à diluer les problèmes rencontrés en amont. Même si les rivières et leurs plaines alluviales ont un pouvoir auto-épurateur connu, il existe des effets de seuil au-delà desquels la digestion par la nature des polluants devient plus difficile.
2. La mise en oeuvre de la protection de l'eau et des milieux aquatiques
a) L'attention à la faune et la flore aquatique
L'érosion de la biodiversité concerne aussi les milieux aquatiques . Ceux-ci sont particulièrement riches et diversifiés mais cette richesse et cette diversité sont menacées, soit directement, soit indirectement par cinq grands facteurs : la destruction ou la fragmentation des habitats provoquée par l'artificialisation des cours d'eau ; la surexploitation des espèces sauvages, par exemple pour la pêche ; la pollution des eaux ; l'introduction d'espèces invasives (comme l'écrevisse de Louisiane) ou encore tout simplement l'élévation de la température de l'eau et l'aggravation des sécheresses durant les périodes d'étiage.
La protection des milieux aquatiques passe donc par une grande variété de réponses . Ainsi, la restauration des habitats passe par la mise en place de la continuité écologique, assurant la circulation des espèces piscicoles, mais aussi des sédiments sur une liste de cours d'eau classés, qui représentent plus de 40 % du linéaire de cours d'eau français 19 ( * ) . La mise en oeuvre de cette continuité écologique est assez contraignante, nécessitant la réalisation d'ouvrages comme des passes à poissons, et parfois nécessitant la destruction d'ouvrages (effacement de seuils). Un rapport sénatorial de mars 2021 avait d'ailleurs réclamé une application plus équilibrée du principe de continuité écologique 20 ( * ) . À l'inverse, l'exonération d'obligation de continuité écologique pour les moulins bénéficiant d'un droit de prise d'eau antérieur à 2017 a fait l'objet de vives critiques des défenseurs de l'environnement.
La protection des milieux aquatiques passe aussi par la réintroduction d'espèces menacées . La France met ainsi en oeuvre un plan de sauvegarde de l'anguille, qui s'inscrit plus largement dans une stratégie européenne de conservation 21 ( * ) .
La gestion quantitative de l'eau est également mise en oeuvre dans l'esprit de préservation des ressources piscicole avec les débits d'étiage qui doivent être garantis pour ne pas compromettre le maintien de la vie aquatique . Comme indiqué par la Fédération nationale de pêche lors d'une audition, dans certains cas, les pêcheurs sont amenés à effectuer des « pêches de sauvetage » pour transférer des poissons de tronçons de cours d'eau en voie d'assèchement vers d'autres tronçons mieux pourvus. La présence des espèces aquatiques est d'ailleurs un bon indicateur de préservation des milieux aquatiques. Or, de ce point de vue, lors de la même audition, il a été indiqué que la raréfaction des saumons dans les têtes de bassin est un signal du mauvais état global de la ressource en eau 22 ( * ) .
b) La préservation des zones humides
Les zones humides sont des espaces où l'eau est déterminante pour le bon fonctionnement de la vie animale et végétale. Elles font l'objet d'une définition en droit (article L. 211-1 du code de l'environnement). Il s'agit de « terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ». Les aménagements dans les zones humides sont assujettis à des restrictions fortes, afin de les préserver.
Entre le début et la fin du 20 ème siècle, la France aurait perdu les deux-tiers de ses zones humides . Malgré l'adoption depuis le début des années 1990 de mesures de sauvegarde et de protection, les prairies humides, landes humides et tourbières continuent à régresser. Dans le cadre d'une stratégie nationale d'amélioration des connaissances, des inventaires des zones humides sont réalisés dans les différents bassins versants et sont recensés au sein du système d'information sur la nature et les paysages. Mais la cartographie des zones humides est encore non unifiée et parcellaire. Lorsque les zones humides sont inscrites dans les trames vertes et bleues, elles doivent être prises en compte dans les documents d'urbanisme afin de bénéficier d'une protection.
L'enjeu consiste en effet à les préserver pour continuer à bénéficier des services éminents rendus par ces zones . Le rapport Tuffnell - Bignon de janvier 2019 23 ( * ) remis au Gouvernement dresse la liste des sept services rendus par les zones humides. Outre leur intérêt paysager et leur contribution au tourisme local (Camargue, tourisme ornithologique en baie de Somme), les zones humides sont souvent le support de productions agricoles de qualité (étangs de pisciculture, agneaux de prés salés). Elles constituent un réservoir de biodiversité végétale et animale, terrestre et marine (canards des basses vallées angevines, oiseaux des étangs de la Narbonnaise). Elles contribuent à l'autoépuration des eaux (dénitrification de l'azote, rétention du phosphore). Elles assurent un stockage important de carbone et donc contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique (avec presque autant d'efficacité que les forêts). Enfin, elles sont un facteur de résilience face au changement climatique, par exemple en jouant un rôle de rempart face aux submersions marines ou en atténuant les effets des inondations, ou encore en apportant une réserve d'eau naturelle durant les périodes de sécheresse.
Au-delà de leur protection, le rapport précité préconisait de développer de nouveaux outils techniques et financiers, comme la mise en place de paiements pour services environnementaux (PSE) au titre de la politique agricole commune (PAC) ou encore le fléchage de crédits carbone, au bénéfice des zones humides.
Plus largement, le maintien d'une certaine humidité du sol, y compris en dehors des zones humides, constitue un atout pour faire face aux épisodes de chaleur . Cela vaut pour les sols agricoles ou forestiers dont l'assèchement pénalise la pousse, voire la survie, des plantes annuelles comme des plantes pérennes. Cela vaut aussi dans les villes, où la minéralisation et l'imperméabilisation des sols favorise la création d'îlots de chaleur urbains (ICU).
La présence de l'eau et de l'humidité sert donc une multitude d'objectifs et contribue aux équilibres écologiques, mais aussi tout simplement à rendre vivable l'environnement dans lequel nous évoluons .
Conclusion
L'eau est une ressource indispensable aux besoins essentiels de la vie quotidienne, aux activités économiques, notamment l'agriculture ou la fourniture d'énergie, dont il est impossible de se passer.
La nécessité de concilier les usages et de faire face à la raréfaction de la ressource nécessite de s'orienter vers une nouvelle approche de la gestion de l'eau.
L'exigence de sobriété s'impose dès lors que l'eau ne peut pas être prélevée n'importe comment et dans n'importe quelles conditions. Elle rend des services écosystémiques irremplaçables. La laisser couler peut être plus pertinent que de vouloir la retenir, la détourner, ou l'endiguer, comme nous en avions pris l'habitude, dans un contexte d'abondance et de gestion finalement assez aisée des périodes de sécheresse. À l'inverse, la laisser couler naturellement peut conduire à assécher certains territoires et ne plus être capables de répondre aux besoins humains.
L'équilibre entre les différents utilisateurs de l'eau et celui entre l'usage économique et la préservation de la ressource afin de protéger l'environnement est difficile à trouver , et donne lieu à des polémiques, comme vient de le montrer le débat sur la construction de retenues d'eau de substitution dans les Deux-Sèvres (voir annexe 2).
Cet équilibre n'est atteignable qu'en ayant une approche pragmatique et non dogmatique de la gestion de l'eau, et en s'appuyant sur les réalités locales qui peuvent être très disparates.
Le secteur agricole est en première ligne et souvent placé en position d'accusé, ce dont les agriculteurs se plaignent, rappelant que l'enjeu auquel ils répondent est de nourrir la planète, et que sans eau, cet objectif ne pourra être tenu. Il convient donc de ne pas « couper le robinet » de l'accès à l'eau sans distinction, mais d'accompagner par une politique publique adaptée, l'ensemble des acteurs, vers une utilisation plus économe de la ressource.
* 19 2° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.
* 20 https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-498-notice.html
* 21 https://professionnels.ofb.fr/fr/node/180
* 22 https://www.federationpeche.fr/150-les-positions-de-la-fnpf-.htm
* 23 https://www.ecologie.gouv.fr/terres-deau-terres-davenir-remise-du-rapport-mission-parlementaire-preservation-des-zones-humides