V. DISPOSE-T-ON DE SUFFISAMMENT D'INFORMATIONS POUR GÉRER L'EAU ?
A. LA CONNAISSANCE DE LA RESSOURCE EN EAU ET DE SON UTILISATION À RENFORCER
1. Il existe déjà une multitude de données sur l'eau
Disposer de données précises sur la ressource en eau est indispensable pour pouvoir la gérer correctement . Il faut donc mesurer les stocks mais aussi les flux, et rapprocher les informations pour que le panorama soit le plus complet possible.
C'est l'OFB qui s'est vu chargé de fédérer les données recueillies par une multitude d'acteurs, au sein d'un système d'information sur l'eau (SIE) prévu dès la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 et largement ouvert au public, à travers la plateforme « eaufrance.fr ».
Ce sont plus de 50 millions de données qui entrent dans le SIE et portent sur la ressource en eau, son usage, l'état des milieux aquatiques mais aussi les services d'eau et d'assainissement. Le rapport public annuel de la Cour des Comptes de 2020 saluait le SIE comme un exemple de transformation numérique réussie 56 ( * ) et évaluait le coût de collecte, gestion et diffusion de données sur l'eau à 128,1 millions d'euros, dont 35 % de coûts de personnel.
Le dispositif de suivi des nappes est assuré à travers le portail ADES 57 ( * ) (accès aux données sur les eaux souterraines) de l'OFB ainsi que le portail SIGES (Système d'Information pour la Gestion des Eaux Souterraines) géré par le BRGM. Les informations fournies proviennent d'un réseau de 5 200 piézomètres, dont une partie opérés par le BRGM et d'un peu plus de 77 000 qualitomètres. Ces équipements fonctionnent de plus en plus en télétransmission de données, ce qui permet un suivi de l'état des nappes en temps réel. Le BRGM édite chaque mois un bulletin de situation hydrogéologique, issu des données collectées.
Le suivi du niveau des cours d'eau (hauteur d'eau et débit) est accessible à travers l'Hydroportail , alimenté par les stations hydrométriques gérées par les services de l'État au niveau des DREAL, mais aussi par les stations des établissements publics comme VNF, ou encore EDF pour les hauteurs d'eau au niveau des barrages hydroélectriques. On compte environ 3 000 stations de mesure actives sur le territoire national, ainsi que 2 000 stations inactives mais dont les données sont accessibles pour établir un historique des niveaux d'eau et des débits. La surveillance en temps réel des cours d'eau est couplée aux dispositifs de vigilance face aux crues (Vigicrues) 58 ( * ) . Le suivi des cours d'eau est complété par les observations visuelles des agents de l'OFB pendant la période estivale dans le cadre de l'Observatoire national des étiages (ONDE) 59 ( * ) sur 3 230 points de contrôle situés essentiellement en tête de bassins versants, et indiquant mois par mois si le cours d'eau est à sec ou s'il y a un écoulement visible.
Les services de Météo-France sont également sollicités pour mesurer la pluviométrie ou encore l'humidité des sols. Le nombre de postes pluviométriques a été divisé par plus de 2 en 20 ans, passant de 4 186 en 2001 à 1 738 en 2022 60 ( * ) . Certains postes ont été déplacés dans le temps, ce qui ne permet pas d'avoir partout des séries historiques longues. Néanmoins, les données sont collectées à un niveau suffisamment fin pour disposer de chiffrages fiables sur les précipitations. En outre, un indice d'humidité des sols est calculé par Météo-France à partir des données collectées par un peu plus de 1 700 stations, dont un peu plus de 500 du réseau Radome.
L'ensemble de ces données permet d'établir chaque mois un bulletin de situation hydrologique complet et détaillé, donnant un tableau actualisé de la ressource en eau. Mais le système d'information sur l'eau ne se limite pas à ces seules données sur la disponibilité de la ressource en eau. Il est complété par des données sur les utilisations de l'eau.
Le Système d'information sur les services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA) alimente l'Observatoire national des services publics d'eau et d'assainissement (ONSPEA), géré par l'OFB. Il fournit des informations sur les volumes consommés par les usagers de l'eau, les volumes traités par les services d'assainissement ou encore le prix de l'eau facturée aux utilisateurs. La base de données est alimentée par les communes ou établissements publics de coopération intercommunale compétents ou les exploitants auxquels sont confiés les services.
Les enjeux sanitaires liés à l'eau potable conduisent aussi à mettre à disposition les données issues des nombreux contrôles sanitaires de la qualité de l'eau distribuée aux consommateurs à travers la base « SISE-EAU » 61 ( * ) , actualisée mensuellement.
Les prélèvements d'eau dans le milieu naturel font l'objet également d'un suivi au travers de la Banque nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE) 62 ( * ) , alimentée par les déclarations des exploitants des ouvrages de prélèvement d'eau par pompages souterrains ou dans les rivières et sur la base desquels sont calculées les redevances dues aux Agences de l'eau.
Enfin, les données relatives à la qualité des eaux de surface sont compilées au sein du système d'information Naïades 63 ( * ) qui recense les observations d'environ 5 000 stations de mesure recherchant les concentrations de polluants divers mais aussi la présence d'espèces aquatiques, la concentration des sédiments ou encore la température de l'eau aux points de contrôle.
L'expertise sur l'eau peut ainsi s'appuyer sur une masse importante de connaissances collectées dans le temps et dans l'espace, avec une maille d'analyse géographique assez fine, au niveau communal ou à celui d'un ensemble de communes proches.
2. Mais l'appareil de surveillance et de contrôle doit être conforté
Si nous pouvons compter sur de nombreuses observations et des données standardisées très utiles pour effectuer des comparaisons dans le temps et analyser finement l'évolution des phénomènes hydrologiques, le dispositif de connaissance de la ressource en eau et de ses utilisations peut encore être perfectionné dans plusieurs directions.
Tout d'abord, la recherche d'une information plus précise et plus complète est nécessaire , tant pour les données relevant du grand cycle de l'eau que pour celles relevant du petit cycle. Concernant les nappes, le maillage du réseau piézométrique devrait être renforcé. Le rapport d'information Prud'homme - Tuffnell de 2020 préconisait de passer de 1 600 à 2 000 stations piézométriques gérées par le BRGM à l'horizon 2024, soulignant que l'absence de données piézométriques publiques pouvait conduire à des tensions croissantes dans le cadre de conflits d'usage. Le rapport de la commission d'enquête Panot - Serva de 2021 aboutissait à la même préconisation.
Une autre faiblesse porte sur la connaissance des quantités d'eau effectivement prélevées dans le milieu . Une partie des volumes ne sont en effet pas comptabilisés. Il s'agit d'abord de ceux correspondant aux usages exonérés de redevance pour prélèvement destinée aux Agences de l'eau (aquaculture, drainage pour le maintien à sec de bâtiments ...). Les petits volumes de prélèvement (inférieurs à 10 000 m 3 ou à 7 000 m 3 en ZRE) sont également exonérés de redevance et ne sont donc pas recensés. Or, la somme de ces petits volumes peut finalement représenter un volume non négligeable, dont la quantification échappe ainsi totalement aux autorités et aux scientifiques. Les agriculteurs soulignent d'ailleurs que, s'ils doivent déclarer les quantités d'eau qu'ils prélèvent grâce à leurs installations, les forages domestiques, eux, sont exonérés de toute contrainte et ont tendance à se multiplier dans les zones où l'eau manque en été.
Un autre problème tient à la temporalité des remontées de données sur les prélèvements et les consommations d'eau. La plupart de ces données sont annualisées et ne sont pas disponibles avant la fin de l'année N+2. Or, pour pouvoir évaluer leur effet sur la disponibilité de la ressource, le suivi des consommations d'eau devrait être beaucoup plus fin et au moins mensuel. La déclaration annuelle à laquelle sont tenus les irrigants ne permet pas de savoir quand la ressource a été fortement sollicitée, alors que l'irrigation suit une saisonnalité très prononcée. Le développement de la télérelève, qui commence à se déployer pour les compteurs domestiques, pourrait constituer une réponse à ce défi du suivi en temps réel des consommations d'eau.
Concernant le petit cycle de l'eau, certaines données sont également manquantes . La base de données SISPEA n'est ainsi pas renseignée pour l'ensemble du territoire. Environ 50 % des services d'eau et d'assainissement qui couvrent près de 80 % de la population, alimentent SISPEA. La loi NOTRe ayant exonéré les communes de moins de 3 500 habitants de l'obligation d'alimenter la base de données, les petits services ne sont pas recensés 64 ( * ) .
La connaissance de l'état physique des réseaux est aussi largement imparfaite. La loi Grenelle 2 de l'environnement de 2010 imposait aux collectivités d'effectuer avant la fin 2013 un inventaire de leur réseau d'eau et d'assainissement 65 ( * ) mais les retards pris dans ce travail colossal de recensement qui comporte une dimension cartographique ardue ont conduit à allonger le délai jusqu'en 2024.
* 56 https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-02/20200225-RPA-2020-tome-II.pdf
* 57 https://ades.eaufrance.fr/
* 58 https://hydro.eaufrance.fr/uploads/Publications/plaquette_HP_Grand_Public_vdef.pdf
* 59 https://onde.eaufrance.fr/
* 60 http://pluiesextremes.meteo.fr/france-metropole/IMG/sipex_pdf/carte_reseau.pdf
* 61 https://hubeau.eaufrance.fr/page/api-qualite-eau-potable
* 62 https://bnpe.eaufrance.fr/
* 63 https://naiades.eaufrance.fr/
* 64 ( https://www.services.eaufrance.fr/panorama/rapports
* 65 Article L. 2224-7-1 du code de l'environnement, décliné par l'article Article D. 2224-5-1 du même code.