III. DES MOYENS PARFOIS INADAPTÉS AUX LARGES MISSIONS DES FORCES DE SOUVERAINETÉ
A. DES MOYENS NAVALS ET AÉRIENS INSUFFISANTS, FAISANT FACE À DES DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES EN MATIÈRE D'ENTRETIEN
1. Des moyens aériens plus que limités pour assurer la souveraineté, la surveillance et le transport dans des zones aux élongations particulièrement importantes, notamment pour les FAZSOI et les deux forces du Pacifique
a) Une capacité de surveillance maritime à renforcer
Lors de son déplacement dans la zone sud de l'océan indien, le rapporteur spécial a pu constater l'inadéquation entre les moyens nautiques et aériens et les missions des FAZSOI, dont la zone d'opération est extrêmement vaste.
Cette zone est en effet marquée par des élongations importantes : les moyens aériens et la plupart des moyens nautiques sont basés à La Réunion, alors que les îles Éparses et Mayotte sont presque toutes à plus de 3 jours de bateau ou 3 heures d'avion de type Casa (le seul type d'avion de transport dont disposent les forces de souveraineté).
Temps de trajet des moyens nautiques et aérien militaires entre La Réunion, Mayotte et les TAAF (hors îles australes)
Source : FAZSOI
Les FAZSOI disposent de moyens aériens très limités, alors qu'ils sont responsables d'une mission de surveillance de la ZEE et des eaux internationales, et surtout de missions de souveraineté. Les deux avions de transport de type Casa CN 235-300 des FAZSOI sont ainsi utilisés pour assurer la relève des militaires présents en permanence sur les îles de Juan de Nova, des Glorieuses, et d'Europa (le détachement est composé d'un groupe de 14 hommes du 2 e RPIMa ou du détachement de la Légion étrangère de Mayotte et d'un gendarme), environ tous les 45 jours.
La mission de surveillance aérienne (lutte contre la pêche illicite et contre les atteintes à l'environnement) aux abords des îles Éparses est ainsi assurée à vue par les équipages du Casa lors du survol de ces îles à l'occasion de la relève des militaires présents en permanence sur trois d'entre elles. Cette relève ayant toutefois lieu de manière régulière, les pêcheurs, notamment malgaches, pêchant illégalement sur les eaux territoriales de certaines de ces îles peuvent facilement adapter leurs programmes de navigation en évitant les jours de passage estimés du Casa. Le seul survol du Casa n'apparaît donc pas suffisant pour assurer les missions de surveillance dans les ZEE de ces îles où la pêche illégale demeure un problème prégnant (notamment à Bassas da India).
En appui, les FAZSOI bénéficient également d'un Falcon 50 M de patrouille maritime, qui apparaît toutefois plus qu'insuffisant puisqu'il n'est déployé dans cette zone que deux fois deux semaines par an, et dédie également une partie de son temps de présence à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. La situation est comparable pour les Antilles et la Guyane, qui ne bénéficient de cet appui que de manière occasionnelle.
Au regard des enjeux en matière de surveillance maritime de la zone, particulièrement concernée par la pêche illégale, l'immigration clandestine à Mayotte et la lutte contre les activités polluantes, une augmentation des capacités constitue une nécessité impérieuse. L'activité de la flotte de Falcon 50 M étant toutefois d'ores et déjà saturée, et le programme AVISMAR, qui vise à les remplacer (de même que les Falcon 200 Gardian en service en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie), ne devant connaître ses premières livraisons que « d'ici à 2025 », il importe de trouver un moyen d'augmenter les capacités à court-terme.
À ce titre, le recours à des drones , pourrait être envisagé. Les futurs patrouilleurs outre-mer (POM), dont l'entrée en service est prévue à partir de 2024, seront dotés de systèmes de mini-drones marine 18 ( * ) , ce qui constitue une avancée, même si leur rayon d'action est faible (50 km) eu égard à l'étendue des zones à surveiller. L'achat complémentaire de drones de surveillance à plus grand rayon d'action pourrait être envisagé.
La réussite du programme AVISMAR apparaît, à terme, critique pour les forces de souveraineté dans leur ensemble, et la présence d'un nombre suffisant d'avions, au besoin complété par des drones moyenne altitude longue endurance (MALE) comme l'envisage actuellement la marine nationale 19 ( * ) , devra faire l'objet d'une attention particulière.
Recommandation n° 2 : afin de garantir la surveillance des zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines, aujourd'hui insuffisante, augmenter les capacités de la marine nationale en la matière prévoyant la mobilisation permanente d'un Falcon 50 M (ou équivalent) pour chacune des zones les plus vulnérables (FAZSOI, FAA et FAG), en recourant aux drones et en assurant à terme la capacité du programme AVISMAR à fournir des outils permettant la surveillance efficace de ces zones (ministère des armées).
b) En matière de transport aérien à long rayon d'action, une dépendance vis-à-vis de la métropole
Les capacités de transport tactique sont également limitées. Les FAZSOI ont ainsi connu une forte baisse de leurs capacités en la matière à la suite du retrait du Transall C 160 en 2015, alors que ce dernier présentait une capacité d'emport bien supérieure à celle du Casa (6 tonnes contre 1,5) et une autonomie de 8 heures au lieu de 6. Les FAZSOI peuvent, en cas de besoin (évacuation sanitaire, crise, etc), demander un renfort de l'A400M de métropole sous un préavis de 48 heures, qui pourrait s'avérer trop long en cas de crise impliquant une réaction rapide.
Les FAPF disposent également de deux Casa, ce qui reste suffisant pour un emploi au sein de la Polynésie française. Pour se déployer vers l'Ouest du Pacifique, plusieurs jours de transit et l'ouverture de points d'appui pour le ravitaillement sont ainsi nécessaires. L'Est du Pacifique, et notamment les côtes américaines, est inaccessible par la voie aérienne avec les moyens précités. Enfin, ces moyens aériens ont une capacité d'emport limitée.
Cette faiblesse des moyens aériens a un impact logistique particulièrement prégnant pour les FAPF, ce qui renforce leur dépendance aux moyens en renfort acheminés depuis la métropole. La crise sanitaire débutée en 2020 a ainsi mis en exergue la forte vulnérabilité logistique de la Polynésie dans un contexte de crise. Le renfort temporaire d'un avion à long rayon d'action (A400M) a permis de briser en partie l'isolement, de soutenir les autorités civiles et de conduire des opérations de rapatriement de ressortissants à l'étranger (îles Cook et île de Pâques notamment). Ce renfort temporaire a démontré toute la pertinence de déployer de façon régulière une telle capacité en Polynésie française.
Le remplacement des Casa de l'armée de l'air et de l'espace n'est pas encore fixé, et ces derniers sont aujourd'hui en service au sein des FAZSOI, des FAPF et des FANC. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection de force et l'appui logistique dans les ZRP qui relèvent de ces forces demeurera fragile.
Recommandation n° 3 : face à la nécessité de disposer rapidement de moyens à long rayon d'action en cas de crise ou de limiter le coût logistique de certaines opérations de déploiement, consolider la capacité de recours des forces de souveraineté aux moyens de transport tactique à long rayon d'action (A400 M) (ministère des armées).
2. Les moyens nautiques : des indisponibilités et des pertes de capacité en voie de résorption
Les moyens nautiques des forces de souveraineté sont également « taillés au plus juste », et ont dû faire face à de nombreuses réductions temporaires de capacité (RTC) dans la décennie 2020.
Retenues temporaires de capacité (RTC) sur la période 2010-2020
Bâtiments de surface :
Patrouilleurs : en 2010, 9 P400 basés outre-mer.
- 2011 à 2014 : RTC de 2 patrouilleurs (désarmement de 4 P400, partiellement compensé par la mise en service du Malin et le transfert de l'Arago de métropole vers l'outre-mer).
- 2014-2020 : RTC de 3 patrouilleurs. Admission au service actif de 3 patrouilleurs de type PAG (2 en 2017 en Guyane et 1 en 2019 aux Antilles).
Bâtiments de soutien : bâtiments de transport légers (BATRAL) remplacés par les bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM).
En 2010, 4 BATRAL basés outre-mer.
- 2011 à 2013 RTC 1 bâtiment.
- 2013 à 2016 : RTC 2 bâtiments.
- 2016 à 2020 : RTC 1 bâtiment. 4 BSAOM en service en 2020.
Source : marine nationale
Ces RTC vont se poursuivre sur les années à venir, puisque trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles (1 à La Réunion, 1 en Nouvelle-Calédonie, 1 en Polynésie française). Ces RTC devraient être progressivement comblées avec l'arrivée des 6 Patrouilleurs outre-mer (POM) à partir de 2023 et complètement résorbées en 2025.
Présentation du patrouilleur outre-mer,
livré aux forces de souveraineté
à partir de
2023
Source : DGA
La livraison des 6 POM va s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. Le 1 er et le 4 ème rallieront la Nouvelle-Calédonie ; le 2 ème et le 5 ème rallieront la Polynésie française ; le 3 ème et le 6 ème rallieront La Réunion. Le coût de ces 6 POM s'élève à un montant de 325 millions d'euros.
En matière de bâtiments de soutien , les forces de souveraineté ne disposent plus depuis 2017 de bâtiments ayant des capacités amphibies, pourtant considérées comme essentielles. Les bâtiments de transport légers (BATRAL), qui disposaient de cette capacité, ont été remplacés par des bâtiments présentant des capacités différentes, les BSAOM 20 ( * ) . Ces navires ne sont pas aptes à réaliser des « plageages » (accostage du navire sur une plage), mais ils disposent de capacités de soutien et d'assistance en mer. Ces capacités ont déjà eu des usages opérationnelles, par exemple par le Bougainville en 2018 pour déséchouer un cargo en Polynésie française et éviter une pollution. Les BSAOM ont également contribué à l'opération « Résilience » dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.
Enfin, le cas particulier des FAZSOI illustre les difficultés que peuvent rencontrer les forces de souveraineté en matière d'aéronautique navale et de moyens de remorquage. Ces dernières ne disposent depuis avril 2020 que d'un seul hélicoptère de type Panther, contre deux auparavant. Cet hélicoptère arme les deux frégates Floréal et Nivôse , alors qu'elles disposent toutes les deux d'une hélisurface. Cet hélicoptère, servant notamment aux missions de sauvetage et de surveillance, devrait être remplacé d'ici à 2024 par deux hélicoptères interarmées légers (HIL).
Par ailleurs, les FAZSOI ne disposent aujourd'hui d'aucun moyen de remorquage, ce qui constitue aujourd'hui une source de fragilité. L'île de La Réunion est en effet au centre de l'une des routes maritimes commerciales les plus fréquentées au monde , entre le détroit de Malacca et le cap de Bonne espérance, marquée par un trafic en forte augmentation dans une zone de passage des cyclones.
Carte de la densité du trafic maritime aux abords de La Réunion en 2021
Source : MarineTraffic
L'échouement du pétrolier-souteur mauricien (naviguant à vide) Tetra star , dans la nuit du 3 ou 4 février 2022 (pendant le passage du cyclone Batsiraï ) sur la côte sud-est de La Réunion, à la suite d'une perte de contrôle au large de l'île, atteste de la prégnance des risques qui y sont liés. La présence d'une capacité militaire de remorquage, éventuellement partagée avec Maurice et les pays de la commission de l'océan indien (COI), constituerait un atout majeur pour les FAZSOI et les différents États de la zone au regard des aléas climatiques et du trafic qu'ils connaissent.
Recommandation n° 4 : afin de faire face aux risques d'échouage aux abords de l'île de La Réunion, mettre à disposition des FAZSOI une capacité de remorquage, éventuellement partagée avec les autres États de la commission de l'océan indien (COI) (ministère des armées).
À plus long-terme, la question du renouvellement des frégates de surveillance (classe Floréal ), dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée en prenant en compte le besoin clair de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. L'option privilégiée semble être le programme European Patrol Corvette . Ce nouveau bâtiment pourrait recevoir une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, des mini drones de surveillance et un système d'armes, et devra en tout état de cause être pleinement prise en compte par la prochaine programmation militaire.
3. Une disponibilité faible pour certains équipements
Dans leur ensemble, les matériels mis en oeuvre par les forces de souveraineté sont anciens et leur disponibilité technique est réduite par des conditions d'environnement plus sévères qu'en métropole, ainsi que par les difficultés d'approvisionnement logistique liées à l'éloignement.
Pour l'armée de terre, les enjeux portent essentiellement sur :
- la poursuite du remplacement des véhicules P4 par des véhicules légers tactiques polyvalents non protégés (VLTP NP). Les forces de souveraineté ont été prioritaires sur ce segment et 158 véhicules sont déjà en place sur les 235 exemplaires prévus ;
- la capacité des unités stationnées en Guyane à contribuer à la protection du centre spatial guyanais (CSG), avec en particulier le remplacement des chenillettes anciennes ;
- le renouvellement des camions du segment « médian » (jusqu'à 6 tonnes) qui présente un risque de réduction temporaire de capacités du fait des premières dates de livraison actuellement envisagées (2025) ;
- d'une manière générale, la montée en gamme capacitaire des unités des forces de souveraineté, en cohérence avec la transformation Scorpion débutée en métropole et les objectifs politiques de rayonnement régional.
L'armée de l'air et de l'espace rencontre des difficultés pour maintenir l'activité aérienne des hélicoptères de manoeuvre Puma à un niveau suffisant pour soutenir les opérations en cours outre-mer, notamment en Guyane, compte tenu de leur vétusté. Le major général de l'armée de l'air a ainsi indiqué en audition qu'il ne pouvait compter que sur deux appareils, et qu'il n'y en avait aucun de disponible environ une dizaine de jours par an, alors que les Forces armées en Guyane en disposent de cinq.
La flotte des Puma de l'armée de l'air et de l'espace, en cours de retrait de service, a une moyenne d'âge supérieure à 43 ans. La relève par d'autres hélicoptères de manoeuvre des Puma de Guyane, puis de Nouvelle-Calédonie est aujourd'hui programmée pour produire ses premiers effets à l'horizon 2024, mais devrait en réalité s'étaler sur toute la décennie à venir, ce qui n'apparaît pas compatible avec l'activité des Forces armées en Guyane (FAG), et notamment avec la mission « Harpie », qui comporte un important volet aéroterrestre.
* 18 Les futurs patrouilleurs outre-mer (POM).
* 19 Rapport d'information n° 711 (2020-2021) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Bruno SIDO et François BONNEAU, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 23 juin 2021.
* 20 Les bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) ont été mis en service entre 2016 et 2020 : le D'Entrecasteaux en Nouvelle Calédonie, le Bougainville en Polynésie française, le Champlain à La Réunion et le Dumont d'Urville à Fort de France.