RAPPORT
I. LE SUCCÈS MAL ANTICIPÉ DE LA RÉFORME DE 2018
A. LE BILAN FLATTEUR DE LA RÉFORME MALGRÉ QUELQUES LIMITES ET « ANGLES MORTS »
1. Une « révolution » de l'apprentissage qui a surtout bénéficié aux formations du supérieur
a) Une réforme au bilan quantitatif très positif
(1) La réforme de l'apprentissage
Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel avait pour objectif de « réformer en profondeur le système d'apprentissage en le rendant plus attractif pour les jeunes, plus simple pour les employeurs et avec une gouvernance quadripartite rénovée » 5 ( * ) . La loi du 5 septembre 2018 6 ( * ) a ainsi profondément modifié les règles applicables à l'apprentissage afin de d'assouplir les conditions de conclusion d'un contrat d'apprentissage, libéraliser l'offre de formation et rénover son financement en confiant davantage de prérogatives aux entreprises.
À cette fin, la réforme intervenue en 2018 a principalement apporté les modifications suivantes.
Assouplissement des conditions de conclusion du contrat d'apprentissage : accès à l'apprentissage jusqu'à l'âge de 29 ans révolus ; possibilité d'entrer en formation tout au long de l'année ; durée minimale du contrat réduite à six mois au lieu d'un an ; durée de formation modulable en fonction du niveau de l'apprenti ; procédure de dépôt du contrat auprès de l'opérateur de compétences (OPCO) 7 ( * ) .
Libéralisation de l'offre de formation en apprentissage : les centres de formation d'apprentis (CFA) sont devenus des organismes de formation pouvant s'implanter librement sous réserve de respecter certaines règles propres aux CFA et d'obtenir une certification qualité 8 ( * ) .
Financement au « coût-contrat » : les opérateurs de compétences, qui perçoivent le produit des contributions dues par les employeurs, financent chaque contrat d'apprentissage selon un niveau de prise en charge défini par les branches professionnelles, sous le contrôle de France compétences, établissement public administratif sous la tutelle du ministère chargé du travail 9 ( * ) .
Regroupement des aides aux employeurs d'apprentis : une « aide unique » remplace les primes versées par les régions, celle pour l'emploi d'apprentis handicapés ainsi que le crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage. Elle soutient les entreprises de moins de 250 salariés employant des apprentis préparant un diplôme de niveau inférieur ou égal au baccalauréat.
L'objectif de la réforme était ainsi d' enclencher une dynamique en faveur du développement de l'apprentissage à tous les niveaux de formation, en confiant davantage de responsabilités aux représentants des entreprises, sous la régulation de l'État, au détriment des prérogatives des conseils régionaux. Cette dynamique devait permettre de mieux adapter l'offre de formation aux besoins du marché du travail et d'améliorer la professionnalisation et l'emploi des jeunes.
(2) Une dynamique inédite depuis l'entrée en vigueur de la réforme
Force est de constater que la réforme de l'apprentissage a été suivie par une augmentation considérable du nombre d'apprentis depuis 2019.
Le nombre de contrats d'apprentissage signé chaque année a ainsi connu une forte progression, passant de 321 000 en 2018 à 732 000 en 2021 , soit une augmentation de 128 % 10 ( * ) . Si l'apprentissage a connu une progression modérée durant les 25 années précédant la réforme, celle-ci a enclenché une véritable dynamique en faveur de l'alternance.
Nombre de nouveaux contrats en apprentissage depuis 1993
Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après les données de la Dares
Rupture de série entre 2011 et 2012 à la suite d'un changement de système d'information.
Nombre de nouveaux contrats d'apprentissage (2012-2021)
Source : Commission des affaires sociales d'après les données de la Dares
Selon les données du ministère du travail, cette hausse du nombre de contrats d'apprentissage s'est observée, depuis 2020, dans toutes les régions françaises et à tous les niveaux de formation . En conséquence , près de 1 500 centres de formation d'apprentis (CFA) ont été créés depuis la mise en place de la réforme , ce qui porte à environ 2 700 le nombre de CFA sur le territoire. Suivant les évolutions des besoins des entreprises et de la structuration du marché du travail, le nombre d'apprentis a progressivement diminué dans les secteurs de l'industrie et de la construction alors qu'il a augmenté dans les secteurs tertiaires.
Répartition des contrats d'apprentissage
signés chaque année
par secteur d'activité
(2012-2021)
Source : Commission des affaires sociales d'après les données de la Dares
b) Une progression largement due aux formations post-bac
La progression du nombre de contrats d'apprentissage est principalement due à l'augmentation du nombre d'apprentis pour des formations de niveaux supérieurs au baccalauréat (niveau 4 ou plus). Le ministère du travail indique ainsi qu'en 2021, les contrats d'apprentissage signés pour des formations relevant de l'enseignement supérieur ont représenté 62 % du total des contrats d'apprentissage conclus cette année.
Répartition des contrats d'apprentissage
signés en 2018 et 2021
selon le niveau de la formation
préparée
Source : Commission des affaires sociales d'après les données de la Dares
Cette progression peut s'expliquer par le fait que la réforme a facilité le développement de l'apprentissage dans les établissements de l'enseignement supérieur et que de nombreuses filières qui souhaitaient développer leur offre de formation par alternance ont saisi cette opportunité. Elle s'explique aussi par la place prise par les diplômes de l'enseignement supérieur dans les qualifications professionnelles et par la plus-value qu'apporte l'apprentissage pour l'insertion professionnelle , quel que soit le niveau de la formation.
Parmi les apprentis de niveau CAP à BTS en dernière année d'un cycle d'études professionnelles en 2019-2020, 38 % sont toujours en formation l'année scolaire suivante. Parmi ceux qui ne poursuivent pas d'études, 61 % sont en emploi salarié en France en janvier 2021, soit 6 mois après leur sortie 11 ( * ) .
S'agissant de l'enseignement supérieur, il a été établi qu'en décembre 2020 les apprentis diplômés de licence professionnelle et de master bénéficiaient d'un taux d'insertion dans l'emploi à 30 mois supérieur de 4 à 6 points par rapport aux diplômés en formation initiale sous statut étudiant . En outre, ces diplômés par la voie de l'alternance bénéficiaient de meilleures rémunérations et conditions d'emploi et exprimaient des niveaux plus élevés d'adéquation et de satisfaction à l'égard de leur emploi 12 ( * ) .
Les rapporteurs se félicitent que l'apprentissage ait connu une telle progression dans l'enseignement supérieur . Il assure une meilleure insertion professionnelle des étudiants et une meilleure adéquation des formations aux besoins du marché du travail. Ils regrettent toutefois que le nombre d'apprentis préparant des formations aux niveaux inférieurs ou égal au baccalauréat n'ait pas connu une dynamique comparable, même s'il a quasiment doublé au niveau du baccalauréat et progressé à tous les niveaux depuis la réforme de 2018. Les difficultés d'insertion professionnelle sont plus marquées pour les diplômés de niveau inférieur ou égal au baccalauréat que pour ceux de l'enseignement supérieur. Il convient donc de porter une attention particulière au développement de l'alternance pour ces formations et d'identifier, le cas échéant, les moyens de la soutenir.
c) Des incertitudes sur la poursuite d'une progression qui a émergé dans un contexte exceptionnel
Après une année 2019 de transition, le nouveau système d'organisation et de financement de l'apprentissage est devenu pleinement opérationnel à partir de l'année 2020, quelques semaines avant l'irruption de l'épidémie de covid-19 et de ses conséquences sur le marché du travail.
Face aux risques que faisait peser la crise sanitaire sur l'emploi, en particulier sur l'insertion professionnelle des jeunes, le Gouvernement a décidé de déployer des mesures de soutien exceptionnel en faveur des entreprises embauchant des apprentis qui se sont partiellement substituées à l'aide de droit commun, dite « aide unique ».
L'aide unique aux employeurs d'apprentis
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel avait prévu le regroupement d'un ensemble d'aides aux employeurs d'apprentis au profit d'une « aide unique » à compter du 1 er janvier 2019. Ont ainsi été supprimées les primes versées par les régions, celle pour l'emploi d'apprentis handicapés ainsi que le crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage.
Prévue à l'article L. 6243-1 du code du travail, cette aide est versée à l'employeur pour la conclusion d'un contrat d'apprentissage dans une entreprise de moins de deux cent cinquante salariés afin de préparer un diplôme ou un titre à finalité professionnelle équivalant au plus au baccalauréat.
L'aide est versée pendant la totalité de la durée du contrat d'apprentissage et son montant est dégressif :
- 4 125 € pour la 1 ère année ;
- 2 000 € pour la 2 ème année ;
- 1 200 € pour la 3 ème année.
Source : Art. L. 6243-1 et D. 6243-1 à D. 6243-4 du code du travail
Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » initié en juillet 2020 a été créée l'aide exceptionnelle aux employeurs qui recrutent en apprentissage , sur le fondement de la loi de finances rectificative pour 2020 13 ( * ) .
Ce dispositif consiste, pour la première année de chaque contrat d'apprentissage conclu à compter du 1 er juillet 2020, au versement à l'entreprise d'une aide financière de :
- 5 000 euros maximum pour un apprenti de moins de 18 ans ;
- 8 000 euros maximum pour un apprenti majeur.
Le contrat conclu doit permettre à son titulaire de préparer un diplôme pouvant aller jusqu'au niveau master (niveau 7). En outre, l'aide est versée aux entreprises :
- de moins de 250 salariés, sans condition ;
- aux entreprises de 250 salariés et plus si elles s'engagent à atteindre un seuil de contrats d'alternance ou de contrats favorisant l'insertion professionnelle dans leur effectif 14 ( * ) .
L'aide est versée mensuellement, avant le paiement du salaire à l'apprenti, pendant la première année du contrat. Elle s'applique également aux entreprises concluant des contrats de professionnalisation .
Pour les entreprises qui étaient éligibles à l'aide unique, l'aide exceptionnelle s'y substitue seulement au titre de la première année d'exécution du contrat d'apprentissage. Elles peuvent ainsi bénéficier de l'aide unique pour les autres années d'exécution du contrat.
Alors qu'elle devait prendre fin au 30 juin 2022, le ministre du travail a indiqué le 24 mai 2022 que cette aide exceptionnelle serait prolongée jusqu'à la fin de l'année 2022.
Cette aide, qui représente un coût pour l'État estimé par la Cour des comptes à 5,1 milliards d'euros pour les années 2020 et 2021 15 ( * ) , a probablement contribué à favoriser l'augmentation du nombre d'apprentis en soutenant significativement les entreprises dans un contexte de crise. Il est cependant difficile à ce stade d'évaluer l'impact réel de cette aide sur l'embauche d'apprentis et donc de prévoir les effets de l'éventuelle extinction de cette mesure exceptionnelle sur l'apprentissage.
En outre, au-delà de la question de la soutenabilité financière de l'apprentissage, la croissance exceptionnelle du nombre d'apprentis doit s'accompagner de l'augmentation de l'offre de formation en alternance. Là encore, la poursuite de la dynamique dépendra de la capacité du système de formation à créer davantage de places en apprentissage sans que cette croissance se fasse au détriment de la qualité de la formation , en prenant en compte les spécificités pédagogiques d'une formation en alternance.
À cet égard, les rapporteurs ont constaté lors de leurs auditions que les modèles d'organisation pédagogique de certains établissements n'ont pas toujours été suffisamment adaptés pour se conformer aux spécificités de l'alternance , notamment pour des parcours de formation qui regroupent des étudiants en formation initiale et des apprentis. Il est donc nécessaire que le développement de l'apprentissage se poursuive en prenant parfaitement en compte les spécificités qu'impose une formation en alternance afin qu'un parcours de formation adapté et de qualité soit proposé à chaque apprenti.
Au-delà des dispositifs exceptionnels de soutien à l'apprentissage, les éléments rassemblés par les rapporteurs montrent que la dynamique de l'apprentissage semble bel et bien s'ancrer dans la durée . De nombreuses personnes entendues par les rapporteurs ont confirmé que les formations en apprentissage bénéficient d' une perception de plus en plus favorable auprès des jeunes et des entreprises. Cette tendance se confirme dans la progression des demandes de formation en apprentissage formulées par les élèves à la sortie du collège (plateforme Affelnet ) et du lycée (plateforme Parcoursup ). Entre 2017 et 2021, les demandes vers l'apprentissage enregistrées dans Affelnet ont augmenté de 82 %. En 2021, 202 000 candidats (sur 931 000) ont formulé des voeux en apprentissage soit une progression de 16,2 % par rapport à 2020 16 ( * ) . Ces chiffres sont encourageants pour consolider la place de l'alternance comme voie d'excellence à tous les niveaux de formation.
2. Une responsabilisation des individus au détriment des besoins des entreprises ?
a) Le succès quantitatif du compte personnel de formation
(1) Un dispositif rénové par la loi de 2018
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé le compte personnel de formation (CPF) , créé en 2014 17 ( * ) , avec pour « objectif fondamental de créer une liberté de formation pour chaque actif, par un compte personnel de formation facile d'accès, financé, opérationnel et ouvert sur des formations de qualité » 18 ( * ) .
Les principales modifications apportées au dispositif par l'article 1 er de la loi de 2018 concernent :
- la monétisation du CPF : le système d'acquisition et de mobilisation des droits en heures a été remplacé par un système en euros dans un objectif d'accessibilité et de lisibilité renforcées pour le titulaire. Pour un salarié ayant travaillé au moins l'équivalent d'un mi-temps, l'alimentation du CPF a été fixée par décret à 500 euros par an dans la limite d'un plafond de 5 000 euros. Des montants plus favorables ont été fixés pour certaines catégories de travailleurs ( cf . tableau ci-après) ;
- la simplification de l'éligibilité des formations au CPF : le système, jugé complexe et inéquitable, de listes de formations éligibles au CPF, établies au niveau national par le Copanef 19 ( * ) , au niveau régional par les Coparef 20 ( * ) et au niveau des branches professionnelles, a été supprimé. Sont désormais éligibles de plein droit les actions de formation sanctionnées par les diplômes et titres à finalité professionnelle enregistrés au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), au répertoire spécifique (RS) ou permettant d'obtenir un bloc de compétences de certifications professionnelles. Sont également éligibles au CPF les actions permettant de faire valider les acquis de l'expérience (VAE), les bilans de compétences, la préparation du permis de conduire, les actions de formation d'accompagnement et de conseil dispensées aux créateurs ou repreneurs d'entreprises, ainsi que la formation des bénévoles et volontaires en service civique et celle des sapeurs-pompiers volontaires ;
- la désintermédiation du CPF : les actifs peuvent directement choisir et payer leur formation via une application numérique, « Mon compte formation » ;
- l'élargissement des personnes et organismes pouvant apporter des abondements au CPF à toutes les collectivités territoriales ainsi qu'à l'Unédic, de même qu'aux nouveaux opérateurs de compétences (OPCO) ;
- un financement et une gestion uniques par la Caisse des dépôts et consignations .
Montants et plafonds de l'alimentation du CPF
Situation du bénéficiaire |
Montant de l'alimentation du CPF par année travaillée |
Plafond de l'alimentation du CPF |
Cas général |
500 € |
5 000 € |
Salarié non qualifié 21 ( * ) |
800 € |
8 000 € |
Salarié bénéficiaire de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés |
Source : Commission des affaires sociales
(2) Une forte croissance du recours au dispositif
• Le ministère du travail se félicite du succès quantitatif du CPF à la suite de cette réforme, bien qu'aucun objectif chiffré n'ait été avancé lors de son adoption.
En 2020, 984 000 formations ont été suivies dans le cadre du CPF contre 517 000 en 2019, selon la Dares, qui explique cette « hausse sans précédent » par « l'ouverture fin novembre 2019 du “parcours achat direct” (PAD), qui permet aux personnes de mobiliser leurs droits sans intermédiaire pour acheter une formation » 22 ( * ) . La campagne de communication du Gouvernement au lancement de l'application « Mon compte formation » a en effet rapidement porté ses fruits : 1 270 000 personnes ont alors activé leur profil en trois mois 23 ( * ) . Toutefois, le dispositif a surtout pris son essor à partir de septembre 2020, comme l'indique le graphique ci-dessous.
Entrées en formation CPF par mois en 2019 et 2020
Source : Commission des affaires sociales / données Dares
Fin décembre 2020, plus de 38 millions d'actifs étaient titulaires d'un compte CPF alimenté, selon la Caisse des dépôts. Au 22 février 2022, l'application « Mon compte formation » avait été téléchargée 4 millions de fois.
Cette croissance semble se poursuivre au même rythme : la DGEFP estime que plus de 2 millions d'actifs ont eu recours au CPF en 2021 .
Au total, selon les informations transmises aux rapporteurs par la Caisse des dépôts, 3,87 millions de dossiers de formation avaient été acceptés au 22 février 2022 pour un prix moyen de 1 322 euros .
• Les demandeurs d'emploi représentaient, d'après la Dares, 36 % des bénéficiaires en 2020, soit 4 points de plus que l'année précédente.
L'analyse par la Caisse des dépôts de l'évolution de la demande de formations dans le cadre du CPF fait toutefois apparaître une trajectoire différenciée entre les salariés et les demandeurs d'emploi. On observe ainsi que la part des demandeurs d'emploi dans le nombre de dossiers validés a baissé de 48 % à 36 % entre 2017 et 2018, avant de commencer à regagner du terrain en 2020. En valeur absolue, le nombre de dossiers de demandeurs d'emploi a chuté de 326 503 en 2016 à 172 355 en 2019 ( cf . tableau ci-dessous). D'après l'étude d'impact du projet de loi, les premières années du CPF avaient été marquées par un recours important au dispositif par les demandeurs d'emploi à la suite d'un abondement exceptionnel prévu dans la convention-cadre 2015-2017 entre l'État et le FPSPP 24 ( * ) .
Nombre et proportion des dossiers CPF
selon le
statut du bénéficiaire de formation entre 2015 et
2020
Source : Caisse des dépôts et consignations, rapport annuel de gestion « Mon compte formation » 2020
Un rééquilibrage s'est par la suite opéré et le quasi doublement de 2020 a concerné aussi bien les demandeurs d'emploi que les salariés.
• Le rapport annuel 2020 de la Caisse des dépôts sur « Mon compte formation » fait état d'une évolution du profil des bénéficiaires , « plus jeunes, plus féminins, moins diplômés » que ceux de la première version du CPF.
En particulier, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses depuis la mise en oeuvre de la réforme qu'auparavant (49,4 % contre 45,3 %), même si les hommes restent légèrement majoritaires. Ce rééquilibrage en faveur des femmes était l'un des objectifs de la monétisation du CPF et de son mode d'alimentation favorable aux temps partiels.
Le poids des employés, qui formaient déjà la catégorie la plus représentée avant la réforme, s'est fortement accru : 63 % des utilisateurs de « Mon compte formation » sont des employés contre 41 % des bénéficiaires de la première version du CPF. La part des cadres s'est quant à elle réduite de 25 % à 21 %.
Enfin, 40 % des utilisateurs du CPF avaient en 2020 un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, contre 33 % avant la réforme.
• En revanche, le CPF reste faiblement mobilisé par les travailleurs non salariés par manque de connaissance du dispositif et du fait de la nature de l'offre de formations éligibles : selon CMA France, seuls 16 500 artisans, commerçants et chefs d'entreprises ont utilisé leur CPF en 2020, soit 1 % de la population active considérée.
b) La lente montée en charge du conseil en évolution professionnelle et du projet de transition professionnelle
(1) La mise en place progressive du CEP des actifs occupés
Le conseil en évolution professionnelle (CEP), également créé en 2014, constitue un dispositif d'accompagnement gratuit et personnalisé des projets professionnels. Il était initialement mis en oeuvre par cinq opérateurs désignés par la loi : Pôle emploi, l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), CAP emploi, les missions locales et les organismes paritaires collecteurs agréés au titre du congé individuel de formation (Opacif). Jusqu'en 2017, il a bénéficié pour près de 90 % à des demandeurs d'emploi.
L'article 3 de la loi du 5 septembre 2018 a prévu la mise en place sur l'ensemble du territoire d'un CEP destiné aux salariés occupés , hors agents publics, financé par les fonds mutualisés de la formation professionnelle. Fin 2019, France compétences a ainsi désigné, dans le cadre d'un marché public, 18 opérateurs régionaux privés chargés de délivrer à compter du 1 er janvier 2020 ce service gratuit aux salariés et aux travailleurs indépendants 25 ( * ) .
Les opérateurs régionaux du CEP désignés par France compétences
Dans huit régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est, Guadeloupe, Mayotte, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur), France compétences a désigné un centre interinstitutionnel de bilan de compétences (CIBC) pour délivrer le service du CEP aux actifs occupés.
Dans six régions (Bretagne, Centre-Val-de-Loire, Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie, Pays de la Loire), il est délivré par le groupement Évolution, qui associe les cabinets Tingari et Catalys Conseil.
En Corse, le cabinet Anthéa RH a été sélectionné. La région Martinique a été confiée au cabinet Aksis. En Guyane, Activité Conseil - BGE Guyane et, à La Réunion, un groupement dont le mandataire est Retravailler EGP délivrent le service depuis mars 2020.
Après un premier bilan jugé « prometteur » en 2020, avec 100 937 actifs occupés accompagnés dans le cadre du CEP 26 ( * ) , France compétences dresse pour 2021 un bilan « positif et encourageant » du dispositif 27 ( * ) . 140 113 salariés et indépendants ont ainsi mobilisé le CEP l'an passé, soit une hausse de 37 %. Ce nombre de recours est supérieur à l'objectif de 130 000 défini dans la convention d'objectifs et de performance liant France compétences à l'État.
La montée en charge du CEP est donc conforme aux attentes, même si le dispositif reste relativement confidentiel . D'après le Baromètre Centre Inffo de la formation et de l'emploi 2022, plus de la moitié (57 %) des actifs seraient intéressés par ce dispositif, notamment ceux qui envisagent de changer d'emploi (76 %), de faire une reconversion professionnelle (75 %) ou encore les 25-34 ans (68 %), alors que seuls 6 % des répondants en ont déjà bénéficié (11 % des chômeurs).
La Caisse des Dépôts a récemment amélioré la visibilité du CEP auprès des utilisateurs du site moncompteformation.fr pour valoriser l'intérêt de mobiliser le dispositif préalablement au CPF. Le déploiement d'un plan de communication national, en complément des actions déjà réalisées, pourrait permettre d'améliorer le recours au dispositif.
Il convient également de prêter attention à la qualité des conseils et de l'accompagnement dispensés dans le cadre du CEP, dont les évaluations sont contrastées et mériteraient d'être plus précisément documentées. En effet, d'après le Baromètre Centre Inffo, moins de la moitié de ceux qui ont bénéficié de ce dispositif en sont satisfaits (47 %), tandis que 37 % n'en ont pas été satisfaits du tout.
En revanche, selon France compétences, 91 % des bénéficiaires du CEP en 2021 ont été satisfaits du service à la clôture du 1 er niveau de prestation (conseil personnalisé) et 85 % à l'issue du 2 e niveau (accompagnement).
(2) Un projet de transition professionnelle insuffisamment doté
La loi du 5 septembre 2018 a également mis en place une nouvelle modalité de mobilisation du CPF en vue d'un projet de transition professionnelle (PTP) , qui a succédé au congé individuel de formation (CIF). Ce dispositif, qui ne constitue pas un droit ouvert mais relève d'une enveloppe limitative, est financé par une part de la contribution CPF.
Le salarié bénéficie d'un congé spécifique rémunéré lorsqu'il suit cette action de formation en tout ou partie durant son temps de travail 28 ( * ) . Son projet peut faire l'objet d'un accompagnement par un opérateur du CEP, qui lui propose notamment un plan de financement.
Le projet de transition professionnelle doit être présenté à l'une des commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR) mentionnées à l'article L. 6323-17-6 du code du travail, désormais dénommées associations « Transitions Pro » (ATPro) . Celle-ci, après avoir apprécié la pertinence du projet et instruit la demande de prise en charge financière, autorise ou non la réalisation et le financement du projet. Cette décision est motivée et notifiée au salarié.
Les associations « Transitions Pro »
L'article L. 6323-17-6 du code du travail prévoit l'agrément par l'autorité administrative, dans chaque région, d'une commission composée de représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Un accord national interprofessionnel constitutif a changé l'appellation de ces commissions en associations « Transitions Pro » 29 ( * ) .
Leurs missions sont :
- l'examen, l'autorisation et la prise en charge du PTP ;
- la vérification du caractère réel et sérieux du projet de reconversion professionnelle (PRP) des salariés démissionnaires ;
- le contrôle de la qualité des formations dispensées dans le cadre d'un PTP ;
- l'information du public sur les organismes délivrant le CEP ;
- le suivi de la mise en oeuvre du CEP régional ;
- l'analyse des besoins en matière d'emploi et de compétences sur le territoire ;
- par délégation de l'Association paritaire nationale Certif'Pro, le déploiement du socle de connaissances et de compétences professionnelles (certificat CléA) au niveau de la région.
Selon la DGEFP, 18 341 dossiers de PTP avaient été pris en charge en 2019, 15 751 en 2020 dans le contexte particulier de la crise sanitaire, puis 19 910 en 2021 pour une enveloppe totale de 553 millions d'euros . À titre de comparaison, 39 000 CIF par an environ étaient mobilisés chaque année avant la réforme 30 ( * ) .
Malgré une dotation complémentaire aux ATPro de 100 millions d'euros en 2021 dans le cadre du Plan de relance, les partenaires sociaux auditionnés par les rapporteurs ont globalement regretté l'insuffisance des moyens dédiés à ce dispositif, qui ne permettent pas de satisfaire l'ensemble de la demande. Pour 2022, France compétences consacre une dotation de 500 millions d'euros à la mise en oeuvre des PTP, après 453 millions d'euros en 2021, ce qui revient à un recul de ces moyens en tenant compte de la dotation exceptionnelle de France Relance.
France compétences a en conséquence établi des priorités de prise en charge permettant de privilégier certaines catégories de bénéficiaires (salariés les moins qualifiés, salariés d'entreprises de moins de 50 salariés) ou de projets (formations ciblant des métiers à forte perspectives d'emploi).
c) Le développement des compétences des salariés en poste, angle mort de la réforme ?
(1) Un recours au CPF peu porté sur des formations les plus qualifiantes
D'après la Dares, les formations les plus demandées dans le cadre du CPF en 2020 ont été la préparation du permis de conduire de catégorie B (12,8 % du total), les actions de formation destinées aux créateurs et repreneurs d'entreprises (7,7 %), le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES, 6,1 %) 31 ( * ) et les bilans de compétences (5,1 %). L'ensemble des formations en langues vivantes et civilisations étrangères ou régionales représentent 17 % du total.
En particulier, la préparation du permis B et les formations à l'entrepreneuriat ont connu une croissance spectaculaire en 2020 , comme l'indique le graphique ci-dessous.
Évolution du nombre d'entrées en
formation,
pour les formations les plus demandées, entre 2016 et
2020
Source : Dares
Au total, une petite minorité de dossiers concernent des actions en vue de l'obtention d'une certification professionnelle inscrite au RNCP.
En outre, les actions de formation destinées aux créateurs et repreneurs d'entreprises auraient souvent un faible lien avec l'entrepreneuriat, comme l'a signalé CCI France aux rapporteurs. Afin de réguler la demande, un décret en date du 22 avril 2022 est venu préciser que ces actions de formation doivent avoir pour objet l'acquisition de compétences « exclusivement » liées à l'exercice de la fonction de chef d'entreprise et « qui ne sont pas propres à l'exercice d'un métier dans un secteur d'activité particulier » 32 ( * ) .
Le CPF, laissé à la main des actifs, n'est donc pas prioritairement utilisé pour répondre aux besoins des entreprises et apparaît en définitive comme un dispositif peu qualifiant.
Il est aussi très majoritairement utilisé par des salariés, ce qui peut s'expliquer par le recul des moyens dédiés à la formation en entreprise ( cf. infra ), et trop faiblement mobilisé par les demandeurs d'emploi .
(2) L'insuffisance des moyens dédiés aux plans de développement des compétences
Lorsqu'il est assuré à l'initiative de l'employeur , l'accès des salariés à des actions de formation professionnelle passe notamment par le plan de développement des compétences (PDC) .
Afin de mettre en place une solidarité financière en faveur des petites et moyennes entreprises, l'article 8 de la loi du 5 septembre 2018 a limité la prise en charge du PDC par les OPCO aux entreprises de moins de 50 salariés .
540 millions d'euros doivent être versés à ce titre par France compétences aux OPCO en 2022. Cette dotation est répartie entre les OPCO en fonction du nombre d'entreprises de moins de 50 salariés et surtout du nombre des salariés de ces entreprises couverts par chaque OPCO. Ces nouvelles modalités de répartition pénalisent notamment les branches industrielles, caractérisées par des entreprises relativement grandes, si bien que l'OPCO interindustriel (OPCO 2i) a vu baisser de 60 % ses ressources dédiées aux plans de formation des entreprises de moins de 50 salariés.
Dans le cadre du Plan de relance, le dispositif du FNE-Formation , financé par l'État, a cependant été mobilisé pour permettre aux entreprises concernées par l'activité partielle ou en difficulté de bénéficier de la prise en charge d'actions de formation concourant au développement des compétences de leurs salariés. À partir de juillet 2021, les entreprises en mutation ou en reprise d'activité y sont également devenues éligibles. 45,5 millions d'euros ont été ouverts à ce titre en loi de finances initiale pour 2022 dans le cadre de la mission « Plan de relance » 33 ( * ) .
Les partenaires sociaux ont néanmoins alerté les rapporteurs sur les problèmes soulevés par l'exclusion des entreprises de 50 à 299 salariés du bénéfice des fonds mutualisés, et plus généralement par l'insuffisance des moyens dédiés au PDC dans les entreprises . En effet, les montants alloués aux PDC des entreprises de moins de 50 salariés apparaissent insuffisants pour permettre d'adapter les compétences aux enjeux à venir pour notre économie.
Les partenaires sociaux relèvent en outre que les entreprises de 50 à 300 salariés « ne bénéficient plus - sauf pour les entreprises ayant opté pour des versements volontaires - de l'accompagnement et du conseil assuré antérieurement par les OPCA en complément du financement de la formation » 34 ( * ) . Ainsi, certaines organisations auditionnées par les rapporteurs partagent le sentiment que la réforme a été faite au détriment du financement du développement des compétences des salariés en poste.
Les rapporteurs estiment donc nécessaire de dégager des marges financières afin de renforcer de manière pérenne l'aide au développement des compétences et des qualifications dans les entreprises .
* 5 Compte rendu du Conseil des ministres du 27 avril 2018.
* 6 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
* 7 Articles L. 6221-1 à L. 6227-12 du code du travail.
* 8 Articles L. 6231-1 à L. 6235-3 du code du travail.
* 9 Articles L. 6131-1 à L. 6131-5 et L. 6332-14 du code du travail.
* 10 Source : Dares.
* 11 Source : Dares - https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/insertion-des-jeunes-apres-la-voie-professionnelle
* 12 Source : SIES - https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/nf-sies-2022-11-18422.pdf
* 13 Article 76 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 ; décret n° 2020-1085 du 24 août 2020 relatif à l'aide aux employeurs d'apprentis prévue à l'article 76 de la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.
* 14 L'entreprise doit, dans l'effectif salarié total annuel au 31 décembre de l'année de référence, avoir atteint au moins 5 % de contrats favorisant l'insertion professionnelle ou au moins 3 % d'alternants.
* 15 Cour des comptes, rapport public annuel, « Le plan #1jeune1solution en faveur de l'emploi des jeunes », février 2022.
* 16 Données transmises aux rapporteurs par la Dgesco et la Dgesip.
* 17 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale - Article 1 er .
* 18 Étude d'impact du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
* 19 Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation.
* 20 Comités paritaires interprofessionnels régionaux pour l'emploi et la formation.
* 21 Salarié qui n'a pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme classé au niveau 3, un titre professionnel enregistré et classé au niveau 3 du RNCP ou une certification reconnue par une convention collective nationale de branche (art. L. 6323-11-1 du code du travail).
* 22 Le compte personnel de formation en 2020. Une hausse sans précédent des entrées en formation, Dares Résultats n° 59, octobre 2021.
* 23 Conséquences financières de la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle, rapport IGAS-IGF, avril 2020.
* 24 Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.
* 25 Le CEP reste par ailleurs délivré par les opérateurs désignés par la loi (Pôle emploi, l'APEC, les missions locales, les Cap emploi) à des publics spécifiques (respectivement, les demandeurs d'emploi, les cadres, les jeunes de moins de 26 ans et les personnes dont le handicap est un frein à leur évolution professionnelle).
* 26 https://www.francecompetences.fr/fiche/cep-des-actifs-occupes-en-2020-un-premier-bilan-prometteur/
* 27 https://www.francecompetences.fr/fiche/cep-des-actifs-occupes-un-bilan-2021-positif-et-encourageant/
* 28 Art. L. 6323-17-1 du code du travail.
* 29 Accord national interprofessionnel constitutif des commissions paritaires interprofessionnelles régionales du 19 mars 2019.
* 30 Source : étude d'impact du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (p. 29).
* 31 Adopté par les partenaires sociaux et piloté par la Caisse national d'assurance maladie, le CACES n'est pas un titre professionnel mais une certification inscrite au répertoire spécifique visant à permettre aux employeurs de se conformer à leurs obligations réglementaires en matière de contrôle des connaissances et du savoir-faire des opérateurs pour la conduite en sécurité des équipements de travail concernés : grues, chariots automoteurs de manutention, plateformes élévatrices et engins de chantier.
* 32 Décret n° 2022-649 du 22 avril 2022 portant modification des conditions d'éligibilité au compte personnel de formation des actions de formation dispensées aux créateurs ou repreneurs d'entreprises.
* 33 Source : projet annuel de performance de la mission « Plan de relance » annexé au projet de loi de finances pour 2022.
* 34 Accord-cadre national interprofessionnel du 14 octobre 2021 pour adapter à de nouveaux enjeux la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.