TROISIÈME PARTIE
UN OUTIL UTILE MAIS QUI RESTE PERFECTIBLE DANS SA GOUVERNANCE ET SES MODALITÉS D'ATTRIBUTION

I. UNE GOUVERNANCE CENTRALISÉE QUI LAISSE PEU DE PLACE AUX ÉLUS LOCAUX

A. UN RÔLE PRÉPONDÉRANT DU MINISTRE ET DES REPRÉSENTANTS DE L'ÉTAT DANS LE CADRAGE DE LA PROCÉDURE

1. Le rôle du ministère et des représentants de l'État dans la définition des domaines prioritaires et dans la sélection des dossiers

Le FEI est administré par le ministre chargé de l'outre-mer qui détermine chaque année, dans le cadre d'une circulaire annuelle, la nature des opérations susceptibles de bénéficier, de manière prioritaire ou exclusive, d'une aide financière du fonds au titre de l'année suivante conformément aux dispositions de l'article 2 du décret du 30 décembre 2009 relatif au FEI.

Cette circulaire préparée par la DGOM et comportant une liste de domaines pouvant faire l'objet d'un financement du FEI, est adressée chaque année aux représentants de l'État dans les territoires ultramarins.

À partir de cette liste, les préfets et hauts commissaires définissent, sur la base d'un diagnostic territorial 35 ( * ) , les thématiques prioritaires en matière d'équipements structurants, qui constituent le cadre de l'appel à projets lancé dans chacun des territoires conduisant, in fine , aux dépôts de candidature puis à la sélection des opérations qui bénéficieront d'une subvention du FEI.

À l'issu de ces appels à projets annuels, les représentants de l'État dans les collectivités proposent au ministre chargé de l'outre-mer une liste, par territoire, d'opérations susceptibles de bénéficier d'une aide du fonds exceptionnel d'investissement, classées par ordre de priorité au regard des besoins de chacun des territoires concernés et de l'impact attendu des projets en termes de développement économique et social, de préservation de l'environnement, de développement durable et de promotion des énergies renouvelables.

Ainsi, la nature des opérations susceptibles de bénéficier des aides du fonds est arrêtée par le ministre. Les représentants de l'État déterminent ensuite les thématiques prioritaires locales, lancent l'appel à projets auprès des collectivités et fixent, après analyse des dossiers reçus, une liste des opérations. Le ministre arrête ensuite la liste définitive des opérations sélectionnées, à partir des listes transmises par les préfets et hauts commissaires, pour bénéficier d'une subvention.

Procédure de sélection des dossiers

Source : commission des finances du Sénat à partir des réponses de la DGOM

2. Un cadrage annuel qui laisse une latitude importante sur les domaines prioritaires

La circulaire annuelle susmentionnée a pour objectif de préciser les modalités de programmation de l'année N+1 et notamment les points suivants :

- la nature des opérations susceptibles de bénéficier d'une aide financière du FEI ;

- les projets devant faire l'objet d'un examen prioritaire ;

- les modalités financières ;

- le calendrier ;

- les conditions d'éligibilité.

Concernant les thématiques prioritaires , l'esprit des circulaires a largement évolué à partir de 2019. En effet, les circulaires relatives aux campagnes 2016, 2017 et 2018 listaient, de manière précise, les domaines prioritaires (entre 10 et 12 36 ( * ) ), les représentants de l'État devant, ensuite, cibler deux thématiques spécifiques, pour chacun des territoires. C'est d'ailleurs dans ce contexte, que les rapporteurs spéciaux, lors de leur précédent rapport, avaient recommandé de « réduire le nombre de thématiques entrant dans le champ d'intervention du FEI et mieux préciser leur intitulé afin d'éviter un risque de dispersion des aides du FEI ».

De même, spécifiquement sur les deux thématiques territoriales, le rapport de 2016 recommandait de « limiter strictement le champ des projets sélectionnés aux deux priorités retenues pour chaque territoire afin de rendre plus lisibles les domaines d'intervention du fonds ».

Cependant, les circulaires diffusées à compter de 2019 ont présenté, contrairement à la recommandation susmentionnée, une approche extensive et non limitative des domaines prioritaires . Ainsi, alors que la circulaire relative à la campagne 2019 indique qu' « elle ne présente pas de priorités thématiques, celles-ci étant laissées à l'appréciation des représentants de l'État car elles peuvent différer selon les territoires », les circulaires pour 2020 et 2021 précisent seulement que les opérations inscrites aux contrats de projet du plan Eau DOM, celles répondant au plan Séisme Antilles et celles permettant une mise en conformité des infrastructures d'assainissement et de gestion des déchets doivent faire l'objet d'un examen prioritaire.

La circulaire de 2022 ne précise pas de thématique mais rappelle que l'objectif du FEI est de favoriser « l'émergence de projets innovants et/ou structurants susceptibles d'avoir un fort impact sur l'emploi et le développement économique et durable (eau, assainissement) et l'amélioration du quotidien des ultramarins (construction et rénovation scolaire et des équipements sportifs) ».

Dans ce contexte, la DGOM a précisé d'une part, que les circulaires antérieures à 2019, avec des listes comportant 10 à 12 domaines prioritaires étaient déjà peu limitatives et offraient un spectre très large d'opérations susceptibles de bénéficier du FEI et d'autre part, qu'à compter de 2019, le choix a été fait d'assumer pleinement cette ouverture en se basant désormais sur les Assises et le livre bleu outre-mer comme référence des axes prioritaires à retenir.

Il résulte de cette interprétation extensive des domaines prioritaires au sein de la circulaire, que, parallèlement, le nombre des priorités retenues annuellement pour chacun des territoires a sensiblement augmenté entre 2016 et 2021 passant de 2 à 6 ou 7 pour certains territoires (cf. annexe 1).

Cette pratique semble toutefois adaptée à la diversité des besoins que rencontrent certains territoires, notamment Mayotte, qu'un cadre limité à deux thématiques prioritaires pourrait défavoriser.

Elle permet également, selon la DGOM, de mieux tenir compte des besoins locaux remontés par les élus de chaque territoire.

À cet égard, les remontées des collectivités auditionnées sont contradictoires et mettent en évidence deux approches différentes . En effet, les collectivités les plus importantes ont fait part de leur souhait d'une logique limitative et sectorisée et revenir, ainsi, au système antérieur à 2019 d'une liste prédéfinie de la nature des projets éligibles.

À l'inverse, les plus petites communes préfèrent préserver un système totalement libre leur permettant de présenter de nombreux projets indépendamment de leur nature. Elles reconnaissent toutefois un réel avantage à l'établissement d'une liste préétablie de nature de projets éligibles qui permet alors de ne constituer et déposer que les projets qui ont une chance d'être sélectionnés.

L'absence de liste limitative dans la circulaire annuelle et le développement, au niveau local, de listes couvrant de plus en plus de domaines (priorités locales) incitent en effet les collectivités à déposer de nombreux projets, ce qui nécessite un travail en amont important et génère des rejets mal compris par les collectivités.

Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux partagent la position de la DGOM de ne pas limiter les domaines éligibles au sein des circulaires annuelles à des fins de souplesse et d'adaptabilité à l'ensemble des territoires. Cependant, au niveau local, ils préconisent de limiter à quatre les priorités retenues afin d'éviter un phénomène de dispersion parfois déceptif pour les collectivités tout en s'adaptant au mieux aux besoins locaux.

Recommandation n° 2 : Limiter à quatre le nombre des priorités retenues au niveau local afin d'éviter un phénomène de dispersion tout en s'adaptant au mieux aux besoins des territoires.

De surcroit, les rapporteurs spéciaux réitèrent leur recommandation de limiter strictement le champ des projets sélectionnés aux priorités retenues pour chaque territoire afin de rendre plus lisibles les domaines d'intervention du fonds et ainsi accroitre la transparence des critères de sélection.

En effet, l'analyse des projets sélectionnés en 2020 et 2021 met en exergue un certain nombre de dossiers sélectionnés mais ne rentrant dans aucune des priorités locales arrêtées dont le nombre a pourtant augmenté comme évoqué supra. Ainsi, à titre d'exemple, le FEI a permis de financer l'aménagement de plusieurs cimetières, la réhabilitation d'une maison France Service (alors que les établissements publics ne faisaient pas partie des priorités retenues), des travaux sur une caserne à Saint-Pierre et Miquelon, en 2020, alors que les priorités retenues étaient le développement économique et l'eau potable.

Aussi, pour plus de lisibilité pour les collectivités, les projets sélectionnés doivent être conformes aux priorités locales retenues.

Recommandation n° 3 : Limiter strictement le champ des projets sélectionnés aux priorités retenues pour chaque territoire.

3. L'absence de consultation des élus dans les étapes structurantes de la procédure

Dès lors, à ce stade, les élus locaux ne sont pas consultés :

- pour établir la liste des opérations susceptibles de bénéficier, de manière prioritaire ou exclusive, d'une aide financière du fonds (rôle du ministère dans la circulaire annuelle) ;

- pour établir les thèmes prioritaires pour chaque territoire puisque ces derniers s'appuient désormais sur les travaux réalisés dans le cadre des Assises des outre-mer en 2018 (qui eux, en revanche, avaient été menés en concertation avec les populations et élus locaux) (rôle des représentants de l'État) ;

- pour établir une priorisation des dossiers qui seront remontés, par les représentants de l'État, au ministère.


* 35 Le diagnostic territorial, élaboré en 2012 à la demande de la DATAR (circulaire du 16 juillet 2012 relative à l'accompagnement méthodologique du diagnostic territorial stratégique préparatoire aux programmes post 2013) a été réactualisé en 2016 afin de préciser les axes prioritaires d'intervention du FEI. Cet exercice a été profondément renouvelé dans le cadre des assises des outre-mer en 2018 qui ont identifié les priorités d'intervention pour chaque territoire et de manière transversale pour l'ensemble des Outre-mer. Ces travaux constituent ainsi désormais le socle des appels à projet réalisés à compter de 2019.

* 36 Eau potable, assainissement, traitement et gestion des déchets, désenclavement du territoire, infrastructures numériques, développement durable, prévention des risques majeurs, équipements de proximité en matière sanitaire et sociale, infrastructures d'accueil des entreprises, constructions scolaires, tourisme et équipements sportifs.

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