IV. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de M. Gilles Bloch, président de l'Institut national de la
santé
et de la recherche médicale (Inserm) et de M. Yazdan
Yazdanpanah, directeur de l'agence interne ANRS Maladies infectieuses
émergentes -
Priorités et résultats de la recherche
médicale et état des connaissances scientifiques sur le variant
Omicron de la covid-19
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons à présent M. Gilles Bloch, président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et M. Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'agence interne ANRS Maladies infectieuses émergentes, sur les priorités et les résultats de la recherche médicale et sur l'état des connaissances scientifiques sur le variant Omicron de la covid-19.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
Monsieur Bloch, j'ai souhaité organiser cette audition après vous avoir rencontré dans un autre cadre où vous avez présenté, de manière très synthétique et passionnante, le travail de l'Inserm. J'avais pensé que cette audition permettrait à la commission de prendre un peu de distance et de recul par rapport à ses travaux sur la covid, mais nous avons en quelque sorte été rattrapés par l'actualité récente.
Alors que la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal a été annoncée à la fin de l'année 2021, en pleine flambée d'une cinquième vague liée au variant Delta du SARS-CoV-2, dont les hôpitaux continuent à subir les conséquences, des interrogations se sont fait jour sur les effets du variant Omicron sur l'évolution de l'épidémie. Je remercie M. Yazdanpanah d'avoir accepté de venir nous en parler ce matin.
Sur le fondement des travaux de l'Inserm et des publications les plus récentes, s'appuyant notamment sur les observations faites dans les pays qui nous ont précédé face au variant Omicron, comme l'Afrique du Sud ou le Royaume-Uni, je souhaiterais que vous puissiez nous apporter des réponses aux questions suivantes : que savons-nous précisément de ce variant, de sa contagiosité et de sa létalité ? Quelles conséquences entraîne-t-il sur le vaccin ? Dans quelle mesure le vaccin permet-il d'éviter les infections ou les réinfections, de réduire la transmission et d'éviter les formes graves de la maladie ?
Je voudrais aussi vous interroger sur l'état de la science quant à la différence entre l'immunité acquise par le fait d'avoir contracté la maladie et celle qui est acquise par le vaccin.
M. Gilles Bloch, président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) . - C'est un plaisir d'être de nouveau parmi vous. Nous avions initialement prévu un échange sur l'Inserm et son positionnement dans le paysage de la recherche française et internationale. Compte tenu de l'actualité, vous avez aussi souhaité que nous fassions un focus sur l'épidémie qui repart avec le variant Omicron.
Permettez-moi en dix minutes maximum de dresser le panorama du positionnement global de l'Inserm et sa trajectoire pour les années à venir ; 2022 est une échéance importante, puisque nous devrons signer très bientôt notre contrat d'objectifs. Puis, mon collègue Yazdan Yazdanpanah axera son propos sur l'épidémie et le variant Omicron. Nombre de sénateurs connaissent bien notre institution, puisque, à l'instar d'autres PDG, j'ai déjà été auditionné par le Sénat.
L'Inserm est la locomotive de la recherche en santé en France, qui comprend près de 300 laboratoires répartis sur le territoire, employant plus de 8 000 salariés et collaborant avec 8 000 chercheurs, hospitalo-universitaires ou issus du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Il couvre, de par sa taille, l'ensemble du spectre des thématiques médicales, depuis la recherche fondamentale à laquelle nous sommes attachés et sa publication dans les grands journaux, tels que Science ou Nature, jusqu'à la recherche très finalisée, y compris sur la personne humaine. Ses trois grandes missions sont la production de connaissances ; le transfert vers le monde économique ; et la diffusion des savoirs vers tous les publics, notamment les gouvernants, qui reprennent parfois largement nos expertises collectives.
La crise a fait grand bruit dans les médias et le monde politique. Jusqu'à présent, la France a tenu son rang en termes de production de connaissances issues de l'Inserm comme des autres opérateurs. Je souligne que nous avons également produit notre part de science habituelle dans d'autres domaines.
J'évoquerai brièvement l'actualité de notre institution. Je l'ai indiqué, nous allons cette année signer avec l'État notre contrat d'objectifs, de moyens et de performance. Ce contrat, qui devrait être soumis au conseil d'administration la semaine prochaine, s'inscrit dans le cadre de la loi de programmation de la recherche. Grâce aux moyens supplémentaires clairement affichés, nous pourrons mieux soutenir nos laboratoires, revaloriser les rémunérations, retrouver une trajectoire d'emplois à la hausse.
Alors que nous recrutions chaque année 60 chercheurs et 75 ingénieurs, techniciens, administratifs (ITA) lors du précédent contrat, nous emploierons désormais 77 chercheurs et 105 ITA, auxquels s'ajouteront les chaires de professeurs juniors.
En 2021, en exécution, le budget de l'Inserm a pour la première fois dépassé le milliard d'euros, dont le tiers provient toujours de recettes extérieures. Notre budget 2022 se stabilisera au-dessus de ce chiffre, comme voté en loi de finances. Autre nouveauté, le ministère de la santé apportera sa contribution directe par des subventions au budget de l'Inserm. Nous pourrons ainsi déployer de manière plus efficace des programmes de recherche en santé, notamment vers la recherche clinique.
Quelles sont les grandes priorités de l'Inserm ? Je le redis, l'Inserm est mobilisé sur toutes les thématiques et disciplines dans le domaine de la recherche en santé. Il s'est vu confier de grands programmes nationaux, les « stratégies d'accélération » : l'une est axée sur les maladies infectieuses émergentes et sera mise en oeuvre par l'ANRS Maladies infectieuses émergentes, afin de donner plus de substance à l'action de l'Inserm ; une autre s'articule autour de la santé numérique et du projet numérique du PariSanté Campus ; une troisième - annoncée tout récemment - s'attachera aux biothérapies et à la bioproduction ; une quatrième, enfin, portera sur le microbiote en santé - elle n'est pas rendue publique, mais nous y travaillons avec nos collègues de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
Au-delà de ces projets en cours, l'Inserm est très mobilisé pour faire aboutir de nouvelles stratégies exploratoires, financées par les investissements d'avenir, autour de la santé mentale - après l'annonce du Président de la République en septembre, nous soumettons derechef un dossier scientifique en ce sens -, du vieillissement en bonne santé, de l'explosion des inégalités sociales et leur retentissement sur la santé, du diabète et de ses complications, véritable fléau qui, à côté des maladies infectieuses, prospère activement dans le monde entier.
Mme Catherine Deroche , présidente . - J'ai participé hier avec certains de mes collègues à un déjeuner de travail, lors duquel le directeur de l'Institut Gustave-Roussy (IGR) a évoqué la cancérologie personnalisée d'ici à 2030. L'Inserm travaille-t-il en partenariat avec des instituts ?
M. Gilles Bloch . - J'ai tracé des pistes d'inflexion, mais l'Inserm est fortement positionné sur un socle, dont fait partie la recherche sur le cancer. Tous les grands centres de recherche, qu'il s'agisse de l'IGR, de l'Institut Curie ou du Centre Léon-Bérard à Lyon, sont en cotutelle avec l'Inserm. Depuis une dizaine d'années, les moyens des plans Cancer successifs et de la stratégie décennale ont contribué au travail de structuration et aux avancées qualitatives des recherches en ce domaine, dont l'Inserm a été partie prenante.
M. Bernard Jomier . - J'aimerais vous poser deux questions.
La première porte sur la recherche. L'Inserm couvre les différents champs de la recherche - fondamentale et clinique. La France a créé six instituts hospitalo-universitaires (IHU) voilà un peu plus de dix ans, et je précise d'emblée que ma question ne porte pas du tout sur l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection. Ce sont des modèles très intéressants d'intégration des différents types de recherche et des applications thérapeutiques. Quel est votre regard sur ces IHU, au travail desquels vous êtes partie prenante ? Ce modèle a-t-il tenu ses promesses ?
Ma seconde question concerne l'information en santé, qui est l'un de vos axes de travail importants. La pandémie a révélé à quel point l'information scientifique des Français s'est trouvée menacée par la multiplication de données infondées. Comment l'Inserm appréhende-t-elle cette question ?
Mme Victoire Jasmin . - Vous avez parlé de l'Inserm de façon générale. Mais qu'en est-il de l'unité mixte de recherche (UMR) se trouvant en Guadeloupe ? Comment envisagez-vous la continuité de l'activité de recherche, particulièrement sur la drépanocytose, dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Quelles sont les perspectives avec la Caraïbe ?
Mme Florence Lassarade . - On entend beaucoup parler du numérique en santé, qui suscite des promesses difficiles à tenir eu égard à la confidentialité et à la gestion des données médicales. Quel est votre point de vue sur l'espace numérique de santé, dont on aimerait qu'il émerge ? C'est à mon avis relativement urgent.
M. Gilles Bloch . - Merci pour ces questions qui recouvrent des sujets de préoccupation pour l'Inserm.
Pour les IHU, j'ai un positionnement pragmatique. À certains endroits, ce modèle a extrêmement bien fonctionné. C'est le cas d'Imagine et de l'Institut du cerveau (ICM), dont je suis administrateur et au sein desquels je me rends avec assiduité. Ce sont des réussites qui ont concrétisé notre mobilisation pour réunir des acteurs de la recherche publique, hospitalière, de grands industriels eux-mêmes administrateurs et des associations de patients. C'est aussi le cas des UMR importantes, où la mixité est forte du fait des conditions locales et du leadership des individus concernés. Ailleurs, ce modèle a moins bien marché. L'IHU de Cannes a été délabellisé et le fonctionnement de l'Institut Méditerranée est, de notoriété publique, discutable et sera probablement mieux contrôlé par les partenaires visés.
Le modèle IHU apporte en cas de succès une réelle plus-value, qui justifie de relancer de nouvelles initiatives. Nous discutons d'un prochain appel d'offres dans les prochains mois, et l'Inserm collabore à de futures propositions dans ce cadre.
Pour ce qui est de l'information en santé, nous l'avons tous touchée du doigt de façon cuisante durant la première vague de la crise covid au printemps et à l'été 2020. Nous avons tous réagi dans l'urgence, et certains se sont exprimés de façon individuelle sans recevoir l'appui des institutions. Cela s'est parfois avéré totalement contreproductif par rapport à la gestion collective de la crise, contribuant à une certaine hystérie.
L'Inserm a essayé de maîtriser les prises de parole malheureuses et d'apporter des informations construites, mises à disposition sur notre site web et nos vidéos pour démonter les fake news . Nous avons mis en place une cellule-riposte, composée d'une centaine de chercheurs ou d'enseignants-chercheurs, pour déconstruire une fausse information et proposer un contenu positif. Nous avons aussi rendu disponible un très bon ouvrage sur ce thème. Nous sommes montés en puissance de façon offensive en faveur de la communication envers tous les publics. Le fonctionnement des médias est ce qu'il est, mais nos grandes institutions et les universités oeuvrant à la recherche en santé doivent faire entendre leur voix pour être des références sur des savoirs construits selon un consensus.
S'agissant de la recherche sur la drépanocytose et l'UMR en Guadeloupe, nous allons probablement maintenir nos efforts et procéder à des évaluations régulières. Il est très important que l'Inserm soit présent dans les outre-mer sur ces thématiques locales ; je veux vous rassurer sur ce point.
Enfin, sur la vaste question du numérique en santé, nous avons travaillé sur la stratégie d'accélération main dans la main avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). L'objectif est de fournir des outils et d'expérimenter des projets utilisant les données massives. Celles qui portent sur la personne humaine se heurtent à la confidentialité. Mais selon nous, il faut y avoir accès en respectant certaines règles éthiques. Le dossier patient individuel est déployé par le ministère de la santé ; l'Inserm n'est donc pas directement concerné par ce chantier. L'outil similaire qui est utilisé en Suède donne des gisements d'informations très précieux pour la recherche en épidémiologie.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Notre commission lancera une mission d'information sur les données de santé, thème qui s'invite très fréquemment dans nos débats. L'absence de dossier médical partagé (DMP) entraîne des dysfonctionnements de gestion et oblige à réitérer les mêmes examens.
M. Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes . - Le variant Omicron a émergé début novembre, et a pour la première fois été identifié en Afrique du Sud - ce pays a des capacités de séquençage que d'autres n'ont pas.
En Europe, il a été introduit dans certains pays en raison de leur proximité avec l'Afrique du Sud - le Royaume-Uni a de nombreux vols avec ce pays -, mais aussi parfois du respect moindre des gestes barrières dans certains pays - des clusters ont été observés au Danemark et en Norvège. En France, il est arrivé avec environ quinze jours de retard sur le Royaume-Uni. La souche Omicron est largement majoritaire en France, malgré des différences géographiques.
Lorsque nous avons un nouveau variant, nous nous posons quatre questions : sait-on faire le diagnostic ? est-il plus contagieux ? est-il plus sévère ? répond-il aux vaccins et aux traitements ?
Pour le variant Omicron, on peut désormais affirmer que les tests fonctionnent bien, et que ce variant est plus transmissible. Le R0, à savoir le nombre de personnes à qui une personne infectée transmet le virus, est de 10 pour le variant Omicron, contre 3 au début de l'épidémie et 5 ou 6 pour le variant Delta. Les courbes très importantes sont dues au fait qu'il répond moins bien au vaccin, et qu'il est plus transmissible intrinsèquement.
Concernant la réponse vaccinale, six mois après la deuxième dose vaccinale, la protection contre l'infection est proche de zéro - je ne parle pas de la protection contre les formes sévères. Après la dose de rappel, la protection atteint 60 à 70 %, mais on ne sait pas combien de temps elle dure, faute de données. On parle de 50 % à trois mois, mais il semble que le taux baisse ensuite. Les équipes de recherche du centre hospitalier universitaire (CHRU) de Lille et de l'Inserm travaillent sur ce sujet. En revanche, cette efficacité vaccinale est importante pour protéger contre les formes sévères. Même après la deuxième dose, l'efficacité contre les formes graves est de 60 %, et atteint 90 % après rappel. C'est la justification de la politique de vaccination et du rappel pour contrer ce variant. Cependant, nous ne savons pas quelle est la durée d'efficacité du rappel.
Très rapidement, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni puis la France se sont rendu compte que le virus était entre 50 à 80 % moins sévère que le Delta, ce qui équivaut à 50 à 80 % moins de risques d'être hospitalisé ou de décéder. C'est dû au fort taux de vaccination et aux caractéristiques intrinsèques du virus.
Ce virus semble plutôt s'intéresser aux formes ORL qu'aux poumons. Je suis très prudent, mais nous sommes quasiment devant une autre maladie.
Ce changement dicte la stratégie d'intervention : les malades à l'hôpital sont plutôt des malades chroniques qui ont attrapé le virus et qui décompensent. Il est très important d'aller vers ces personnes pour les vacciner, et de protéger efficacement les 300 000 personnes immuno-déprimées. Nous devons aller vers les non-vaccinés et ceux qui n'ont pas eu leur rappel.
Dans les services hospitaliers, 15 à 30 % des patients sont immunodéprimés. Il est important de bien les protéger. Nous avons désormais des traitements : des anticorps monoclonaux et les antiviraux directs comme le Paxlovid de Pfizer, qui arrivera en février, en espérant que les résultats seront aussi bons que ceux qui ont été mentionnés dans le communiqué de presse. Parmi les anticorps monoclonaux que nous utilisions le plus, le Ronapreve de Roche Regeneron a été écarté, car il ne marche plus contre les nouveaux variants, notamment Omicron.
En prophylaxie, la molécule Evusheld d'AstraZeneca nécessite une injection tous les six mois. Son efficacité est diminuée avec Omicron, mais il reste efficace. De nombreux services d'immuno-déprimés, comme les services de transplantation ou de chimiothérapie, ont commencé à l'utiliser. Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) hier, il y aurait 2 000 demandes. Nous devons absolument surveiller pour être sûrs qu'il n'y a pas d'émergence de résistance, d'où la mise en place de cohortes.
Nous devons protéger ceux qui risquent d'évoluer vers des formes sévères. Le sotrovimab de GSK a été autorisé par la Haute Autorité de santé (HAS) et sera disponible à la fin du mois pour les protéger. Nous avons donc des traitements que nous devons utiliser pour les immunodéprimés, mais il faut bien encadrer les choses.
Sur l'immunité naturelle, entre 9 à 12 millions de personnes auraient été infectées en France depuis la vague Omicron. Comment le savoir ? Selon le Consortium pour la surveillance et la recherche sur les infections à pathogènes émergents via la génomique microbienne (EMERGEN), 4,5 millions de personnes ont été infectées par Omicron, sachant que tout le monde ne se teste pas. Le chiffre de 9 à 12 millions est obtenu par extrapolation. Nous sommes probablement au pic. Une enquête de prévalence est prévue par l'Inserm en mars prochain.
Cette immunité va probablement nous protéger des prochaines vagues, même si cela dépendra des variants. Le fait d'avoir 90 % des plus de 12 ans vaccinés et une forte proportion d'infectés augmente l'immunité et protège contre les formes sévères, mais nous ne sommes pas à l'abri d'autres variants. Si nous n'en avons pas de nouveaux, cette maladie pourrait devenir une maladie saisonnière.
Mme Chantal Deseyne . - À propos de la recherche et du suivi des dynamiques épidémiques, l'émergence de nouveaux variants et leurs conséquences, différents instituts publient régulièrement des notes ou des rapports scientifiques sur l'évolution de l'épidémie. Je pense notamment à l'Institut Pasteur qui, fin décembre 2021, produisait des modélisations sur les perspectives d'évolution de la diffusion du virus avec l'arrivée du variant Omicron et de son impact sur le système hospitalier.
Je pense aussi au Conseil d'analyse économique (CAE) sur l'impact du passe sanitaire, et à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
Ces différents travaux de recherche et de modélisation sont-ils coordonnés ? Comment ces différents instituts se répartissent-ils par exemple les thématiques sur le suivi du système hospitalier et l'évaluation des différents outils de lutte contre l'épidémie ? Quel partage des informations et quel contrôle par les pairs sont-ils réalisés, notamment en termes de méthodologie ?
M. Laurent Burgoa . - Je vous remercie pour vos propos réalistes. Vous conseillez le Gouvernement. Le Parlement vient de décider la mise en place du passe vaccinal. Cette décision n'aurait-elle pas dû être prise en juillet dernier ?
Mme Florence Lassarade . - Durant les premières vagues, on estimait que les enfants avaient seulement des formes peu graves et étaient peu contagieux. Il y avait 250 hospitalisations d'enfants en début de semaine, 500 désormais, touchant notamment les nouveau-nés de mères non vaccinées durant leur grossesse. Cela va-t-il modifier notre position modérée sur la vaccination des enfants ?
Je suis certaine que le dépistage sur les eaux usées - notamment via le réseau Obépine (Observatoire épidémiologique dans les eaux usées) - renseigne, 15 jours en amont, à faible coût. Que pensez-vous de cet outil scientifique très pertinent ?
M. Olivier Henno . - J'ai été marqué par votre honnêteté, lorsque vous avez évoqué une maladie « presque différente. » La doctrine « tester, tracer, isoler » reste-t-elle encore pertinente avec cette maladie ? Il est légitime de s'interroger. Si cette maladie évolue vite, nous devrons rapidement faire évoluer notre doctrine. Enfin, les tests sont très coûteux. Cela a-t-il encore du sens de tester autant ?
M. Yazdan Yazdanpanah . - Nous devons nous féliciter : nos modélisateurs sont très productifs, à l'Institut Pasteur, à l'Inserm et à Santé publique France. Ils ont fait à la fois de la recherche et guidé la décision.
Nous avons monté un groupe de modélisateurs au sein de l'ANRS, avec une vingtaine de membres, pour essayer de coordonner l'ensemble des institutions sur le virus, mais aussi sur d'autres thématiques. Car nous aurons à l'avenir d'autres maladies émergentes - j'espère qu'elles n'auront pas cette ampleur. Nous voulons fédérer toujours plus les acteurs.
Faut-il un passe vaccinal ou un passe sanitaire ? Il m'est difficile de répondre.
M. Gilles Bloch . - Mon rôle de conseil au Gouvernement repose principalement sur un travail important d'expertise collective, sur un ou deux ans, portant sur de grands sujets comme les pesticides ou les essais nucléaires dans le Pacifique, et pas seulement l'épidémie actuelle.
Dans le cadre de l'épidémie, des experts de l'Inserm ou de l'Institut Pasteur ont participé aux comités conseillant le Gouvernement. Le passe sanitaire a fait la preuve de son efficacité dans la gestion de la crise. Il y a un débat sur le passe vaccinal. L'épidémie a changé de trajectoire ; je pense que le passe vaccinal deviendra une réalité.
M. Yazdan Yazdanpanah . - Au 17 janvier, 519 enfants de 0 à 9 ans étaient hospitalisés à cause du coronavirus et 85 en soins critiques. Les enfants font beaucoup moins de formes graves - sauf ceux qui ont des comorbidités - et cela ne change pas avec le variant Omicron. La plupart des enfants hospitalisés (80 %) ont moins de cinq ans, et 60 % moins d'un an. Ce sont les plus petits, pas encore vaccinés, qui sont touchés, et pas forcément les enfants qui vont à l'école. C'est encore trop, mais ce n'est pas plus que ce que l'on imaginait.
Je suis favorable à la vaccination des enfants de 5 à 11 ans, et je pense qu'il faut la renforcer.
En Espagne, 40 % des 5-11 ans sont vaccinés. Il faut davantage informer, sans rendre la vaccination obligatoire.
Mme Florence Lassarade . - Et les femmes enceintes !
M. Yazdan Yazdanpanah . - Oui. Cela pose aussi la question de la vaccination des populations précaires.
Dès avril 2020, j'étais membre du comité analyse, recherche et expertise (CARE) présidé par Françoise Barré-Sinoussi, qui a encouragé les projets de dépistage dans les eaux usées, en particulier avec le réseau Obépine. Santé publique France et l'ANRS ont lancé le consortium EMERGEN pour renforcer le dépistage dans les eaux usées. Avant même d'avoir diagnostiqué un premier patient infecté par Omicron à La Réunion - territoire ayant des liens de proximité avec l'Afrique du Sud -, nous avions des informations dans le réseau des eaux usées. Nous avons lancé un appel à projets de recherche Obépine, et nous sommes en contact avec eux. Il y a aussi un projet dans les Alpes-Maritimes. C'est un outil complémentaire qu'il faut appuyer.
Vous m'interrogez sur la stratégie « tester, tracer, isoler ». De nombreux pays, compte tenu du nombre de cas positifs, s'interrogent sur la nécessité de continuer à tester. Hier, nous avons dépisté plus de 400 000 cas. Depuis deux ans, nous avons appris avec cette épidémie. Une personne qui se sait positive va moins fréquenter ses amis, voire s'isoler. Une discipline collective s'est imposée. Du coup, cela a un impact sociétal. Selon les modélisations réalisées, si l'on diminue nos contacts sociaux de 20 %, cela réduit les hospitalisations de 50 %, même avec Omicron. Tester est donc important pour ralentir la vague. Certes, plusieurs pays ou régions ont levé le pied : par exemple, l'Ontario teste uniquement les cas symptomatiques. En nous fondant sur ces modélisations, nous pensons qu'il faut continuer de tester.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mais les tests chez les enfants posent problème. Cela devient compliqué pour les parents et pour leurs enfants, qui sont parfois testés trois à quatre fois par semaine.
Mme Victoire Jasmin . - Avez-vous des données pour évaluer l'efficacité réelle du vaccin en fonction de l'efficience et la réponse immunitaire par rapport à la vaccination, selon le nombre de doses, toujours plus rapprochées ?
M. Alain Milon . - J'espère que les difficultés financières que connaissait l'Inserm il y a quelques années ont disparu.
Vous nous avez fait un discours rassurant : plus de 90 % des plus de 12 ans sont vaccinés, un médicament actif sur ce virus va arriver, et nous faisons du dépistage dans les eaux usées. Cela doit rassurer l'ensemble de la population française. Cependant, ces mesures se mettent en place dans un pays riche, ce qui n'est pas faisable dans d'autres pays.
Ne risque-t-on pas de voir arriver par ces pays un variant à échappement vaccinal ?
Mme Nadia Sollogoub . - L'apparition de symptômes post-covid, ou covid long, n'est pas forcément liée à la gravité des symptômes lors de l'infection. On voit même des formes pédiatriques. Y a-t-il plus ou moins de covid long avec Omicron ?
M. Xavier Iacovelli . - Nous sommes favorables à la vaccination des enfants de plus de cinq ans. Je vous fais confiance. Mais 80 % des hospitalisations concernent des enfants de moins de cinq ans. Cela aura-t-il un impact sur les hospitalisations ?
J'ai lu que les tests salivaires étaient moins fiables que sur les précédents variants, et que nous n'avions pas encore d'éléments d'efficacité des tests salivaires sur Omicron. Avez-vous de nouveaux éléments sur ce sujet ?
Omicron s'intéresse plus aux voies ORL et moins aux poumons. A-t-on des éléments sur les séquelles de ces attaques sur les voies ORL, ou pas encore assez de recul ?
Baisser les interactions de 20 % réduirait les hospitalisations de 50 %. Le télétravail a-t-il un impact sur les hospitalisations ? Faut-il aller plus loin ?
Mme Annick Jacquemet . - Selon vous, cette immunité nous protégera face aux autres vagues. S'agit-il de l'immunité vaccinale ou naturelle ? N'aurait-on pas intérêt à laisser l'immunité naturelle s'installer, en protégeant les personnes à risque, ou prendrait-on de gros risques ? Quelle est la fiabilité des différents tests ?
Est-il possible de faire des modélisations sur les futures épidémies, pour être plus rapide et plus efficace ? Avons-nous des données comparatives pour les épidémies antérieures à ce virus, comme, par exemple, sur le pourcentage de positivité dans la population... Est-ce une première avec le covid ?
M. René-Paul Savary . - Les anticorps circulants diffèrent des anticorps cellulaires. Le fait d'avoir un fort taux d'anticorps ne nous protège pas forcément. Comment mesurez-vous l'efficacité des vaccins, lorsque vous indiquez qu'il est efficace à 40 % ? Comment comparez-vous ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - Cela rejoint un débat que nous avions en séance. La Suisse, par exemple, a mis en place un passe sérologique.
M. Yazdan Yazdanpanah . - Il y a, d'une part, des études réalisées pour voir quelle immunité humorale est donnée par les anticorps, et quelle est l'immunité cellulaire. Mais cela ne donne pas l'efficience. On ne sait pas quel est le taux d'anticorps protecteurs. On fait donc de la neutralisation. On regarde les cellules T qui semblent protéger contre les formes sévères. Les études les plus importantes sont les études d'efficience, réalisées dans la population : on compare les personnes ayant fait deux ou trois doses. Les résultats sont disponibles après un certain délai, et pas immédiatement. La France n'est pas très bonne dans les enquêtes de populations, pour des raisons réglementaires : il faut croiser les bases de données de vaccination, de cas, etc. Le Royaume-Uni et Israël ont été meilleurs que nous. Avec EPI-PHARE, nous nous améliorons. La crise a fait évoluer un certain nombre de choses, et notamment la surveillance des populations.
M. Gilles Bloch . - L'Inserm est actuellement en bonne santé financière au vu de la progression de ses budgets depuis deux ans. Nous avons de bonnes opportunités - pas nécessairement des dotations de service public -, notamment via le plan d'investissements d'avenir (PIA) dans le cadre de la stratégie France 2030. Nous sommes assez sereins.
M. Yazdan Yazdanpanah . - Il y a des motifs en France d'être rassurants, mais il faut être humble et prudent sur les projections. Évidemment, le fait que moins de 10 % de la population des pays africains soient vaccinés est un vrai problème. Mais il faut quand même faire des choses dans les pays du Nord même si c'est moins fait dans ceux du Sud. Dans ces pays, il y a des problèmes de vaccins, de logistique, mais aussi une hésitation vaccinale plus forte. Comme pour le VIH, il y a un important travail à faire pour convaincre.
Avec les variants « historiques », il y avait jusqu'à 10 à 30 % de symptologie de covid long, qui n'étaient pas liés à la gravité de l'infection. On ne sait pas pour l'instant si l'on obtiendra la même proportion avec le variant Omicron. Nous avons averti les groupes de recherche pour que cela soit étudié. En février et mars, avec autant de personnes infectées, ce sera un sujet important. L'ANRS, la Fondation pour la recherche médicale et l'Inserm ont lancé un appel à projets en deux étapes sur le covid long notamment. Si c'est moins systémique, y aura-t-il moins de séquelles ? C'est possible. Il faut absolument tester.
Concernant la vaccination des enfants, il faut rappeler que la vaccination n'est pas réalisée dans un but individuel, mais collectif et sociétal. C'est son principe même. Cela a aussi un impact sur la transmission, et peut éviter de moins fermer des classes. C'est bon pour la santé mentale et stresse moins les enfants. L'impact est certes faible sur la santé individuelle et somatique. On se vaccine pour soi-même, mais surtout pour les autres.
Il fallait faire un choix entre les tests salivaires et les autotests. Il est difficile de faire des autotests salivaires - même si cela existe. Il semblerait qu'Omicron circule plus dans la sphère ORL et surtout dans la salive. Nous avons réalisé de premières études en Guyane sur la salive, et le résultat n'était pas si mauvais. Cela pourrait avoir un intérêt avec Omicron.
L'estimation de baisser de 20 % les interactions pour réduire les hospitalisations de 50 % repose sur une modélisation et non sur des données constatées. Le télétravail est inclus dans ces chiffres : de même que lorsqu'on est positif, en télétravail, on réduit ses contacts. Vittoria Colizza a réalisé une étude dans laquelle elle démontre l'impact du télétravail sur l'évolution de la pandémie. Au début de l'épidémie, il fallait réduire ses contacts de 60 % pour arriver à un résultat intéressant. Actuellement, il suffit de 20 %. C'est la raison pour laquelle on n'arrête pas les tests.
Chaque apparition d'un nouveau variant interroge sur la fiabilité des tests. D'une manière générale, les tests antigéniques sont moins sensibles que les PCR. Ce n'est pas nouveau. Actuellement, on réalise des tests sur les enfants pour savoir s'ils sont contagieux ou non. Même s'il y a une petite différence, on y gagne en santé publique, car ils sont plus faciles à faire. C'est pareil pour les autotests : ils sont un peu moins fiables, mais ils sont plus faciles à réaliser, car ils sont faits juste sur la paroi nasale, ce qui fait moins mal. Certes, c'est une question particulière pour les enfants. Avec les autotests, la personne prend elle-même les choses en main. C'est important en matière d'autodiscipline. Nous avions beaucoup travaillé sur ce sujet pour le VIH. Avec la vente des autotests en supermarché et la baisse des prix, cela responsabilise encore plus les personnes.
Au début de l'épidémie du SARS-CoV-2, nous nous sommes trompés, car nous nous sommes beaucoup servis de notre expérience sur la grippe, virus respiratoire qu'on connaissait le mieux. Nous connaissions aussi le SARS-CoV-1, apparu en 2002-2003. Or faire beaucoup de mimétisme entre les épidémies nous a induits en erreur. Nous avions un virus exactement le même à 90 %. Nous pensions qu'il se transmettait de la même façon. Or le SARS-CoV-1 se transmet uniquement quand il est symptomatique, tandis que le covid-19 se transmet deux jours avant l'apparition des symptômes. Il faut faire attention. Chaque virus a ses spécificités. Les conditions d'ouverture et de fermeture des écoles ont été étudiées en Asie.
Nous avons déjà discuté du passe sérologique. Pour l'instant, on ne sait pas ce que la sérologie veut dire. Lorsque vous répondez à un vaccin, il n'y a pas que la réponse immunitaire - anticorps humoraux - mais aussi la réponse cellulaire. On ne sait pas encore quelle est l'efficacité de ces anticorps : il ne faut pas faire doser ces anticorps, sauf chez les personnes immunodéprimées.
M. René-Paul Savary . - Et la Suisse ? Les affirmations du professeur Antoine Flahault notamment ?
M. Yazdan Yazdanpanah . - Je ne sais pas. On sait que les personnes immunodéprimées n'ont pas d'anticorps, mais, pour l'instant, on ne peut pas l'affirmer scientifiquement pour le reste de la population.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est du ressort de la HAS.
Quelle est la forme du reporting de tous les travaux de l'Inserm auprès des autorités politiques ?
M. Gilles Bloch . - Nous avons mis en place une veille très importante sur les résultats scientifiques internationaux, et réalisé un énorme travail depuis le printemps 2020, afin que les ministères aient l'expertise la plus à jour pour prendre leurs décisions.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est l'ANSM qui travaille sur les effets secondaires des vaccins ?
M. Yazdan Yazdanpanah . - Sur la pharmacovigilance, oui.
Un groupe d'étude au sein de l'ANRS, coordonné par Brigitte Autran, travaille sur les anticorps monoclonaux, et un groupe coordonné par Lionel Piroth travaille sur les antiviraux. Ils travaillent de manière très étroite.
M. René-Paul Savary . - Vous dites qu'avec le covid on est contagieux avant l'apparition des symptômes, mais combien de temps avant, et durant quelle période ? Parfois on peut être testé positif à J+5 ou J+7, sans être forcément contagieux...
Mme Corinne Imbert . - Comme le virus circule beaucoup, de nombreux patients, cas contacts, interrogent les professionnels de santé pour savoir s'ils doivent se faire vacciner. S'ils sont potentiellement contagieux, voire infectés, que faire ?
M. Yazdan Yazdanpanah . - C'est toute la difficulté du SARS-CoV-2 : la personne est contagieuse deux à trois jours avant le début des symptômes. C'est toute la difficulté, et la raison pour laquelle tout le monde devait porter le masque. Pour le SARS-CoV-1, la personne était contagieuse deux à trois jours après le début des symptômes. Ce n'est pas parce que le PCR est positif qu'on est contagieux. Quand on a un taux de CT supérieur à 30, on n'est pas contagieux. Les chercheurs ont essayé de cultiver le virus chez une personne qui excrète le virus. Au-delà de sept jours, sauf si le patient est immunodéprimé, il n'est plus contagieux. S'il est vacciné, la durée d'excrétion est encore plus courte. Certes, on ne connait pas tout avec Omicron.
Pour les règles d'isolement, le Haut Conseil propose un test antigénique à J+5. S'il est négatif, la personne n'est probablement plus contagieuse. S'il est positif, elle l'est encore probablement. Le PCR est plus sensible.
Pour une personne cas contact, tout dépend du type de contact. En tant que clinicien, je dirais qu'il faut attendre une semaine pour savoir si l'on n'est pas infecté. Si l'on portait un masque, a priori il n'y a pas de problème. Si le contact était sans masque ou au sein du foyer, je recommanderais de différer d'une semaine le vaccin.
Mme Laurence Rossignol . - Lorsqu'on est encore positif à J+7, comment doit-on se comporter ?
M. Yazdan Yazdanpanah . - Si c'est un antigénique positif à J+7, je vous suggère d'attendre jusqu'à J+10. Si c'est un test PCR dont le taux est supérieur à 30, a priori vous pouvez arrêter l'isolement.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci de votre intervention.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. Jérôme Salomon,
directeur général
de la santé, et M. Jérôme
Marchand-Arvier,
directeur de cabinet du ministre des solidarités et
de la santé
Mme Catherine Deroche , présidente . - Notre mission d'information entend cet après-midi M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et M. Jérôme Marchand-Arvier, directeur de cabinet du ministre des solidarités et de la santé, que j'ai accepté d'entendre, à leur demande, en visio-conférence.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Cette instance n'a pas vocation à refaire le débat sur le passe vaccinal. La question a été tranchée par le Sénat, qui l'a adopté à une large majorité. Il s'agit plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, alors que nous avons, en quelque sorte, changé d'épidémie. L'annonce par le Premier ministre d'un calendrier d'allégement de certaines mesures avant même l'entrée en vigueur du passe vaccinal a nourri ces interrogations.
Notre objectif de ce jour, conformément à la trame qui vous a été remise, est double. Nous souhaitons d'abord examiner ce qu'a été la « fabrique de la décision », en reprenant son processus étape par étape, connaître les éléments qui l'ont fondée, les objectifs qui lui ont été assignés et les indicateurs définis pour l'évaluer et en piloter la mise en oeuvre. Nous voudrons également savoir à quel niveau de ces indicateurs le passe vaccinal aurait été considéré comme ayant atteint ses objectifs.
Ensuite, il s'agit d'examiner où en sont ces mêmes objectifs et indicateurs aujourd'hui et de vérifier leur adéquation à l'évolution de l'épidémie.
Nous avons conçu cette audition à deux voix, celle de l'administration qui produit les éléments d'analyse et celle du cabinet du ministre où se font les arbitrages.
Enfin, nos voisins tendent désormais à gérer l'épidémie comme une endémie et lèvent progressivement la totalité de leurs mesures de restriction. Vous nous expliquerez par conséquent ce qui distingue la situation française.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Salomon et M. Jérôme Marchand-Arvier prêtent successivement serment.
M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé . - La pandémie continue à être extrêmement active et à évoluer. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'a rappelé la semaine dernière, lors d'une réunion du comité exécutif de l'organisation, en citant les chiffres de 30 millions de contaminations et 59 000 décès par semaine dans le monde. La pandémie touche principalement l'Amérique et l'Europe ; en Europe, le taux d'incidence continue à progresser. Nous ne sommes pas encore arrivés au stade endémo-épidémique.
En France, nous nous efforçons, depuis deux ans, de conduire une stratégie de lutte contre la pandémie cohérente, complexe et intégrative, avec des mesures barrières, de freinage et de gestion, appuyées sur les données scientifiques les plus fiables.
Nous avons constaté une très forte relation entre la mise en place du passe et le renforcement de la couverture vaccinale. Celle-ci atténue l'impact sanitaire de la pandémie, ce qui correspond bien aux priorités du directeur général de la santé : réduire la mortalité - on compte désormais entre 15 et 20 millions de morts selon l'OMS - et l'impact sanitaire, puisque plusieurs centaines de milliers de Français ont été hospitalisés, avec des complications à long terme pour certains.
Nous avons donc un objectif, partagé par les experts mondiaux, d'augmentation de la couverture vaccinale, qui est élevée en France, et de réduction de l'impact sanitaire.
Par ailleurs, en France, les données épidémiologiques sont en open data . Elles sont partagées avec les experts européens, mais aussi avec le grand public, ce qui est important pour susciter l'adhésion à notre stratégie de prévention.
Cette stratégie repose sur les mesures barrières, les mesures de freinage et l'accès au vaccin. Il y a un lien très fort entre chaque étape du passe et la vaccination. Nous comptons désormais 54 millions de primo-vaccinés, 53 millions de personnes ayant reçu une double dose, et enfin 35 millions ayant bénéficié du rappel.
Une étude d'une équipe d'Oxford, publiée fin décembre par le Lancet , montre que la France est l'un des pays ayant le plus bénéficié de ce lien entre passe et couverture vaccinale. Une étude du Conseil d'analyse économique le confirme également. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a, de son côté, montré que face à une vague Omicron significative, la couverture vaccinale réduit considérablement le risque de décès, de passage en soins critiques et d'hospitalisation : pour les deux premiers items, le risque est respectivement divisé par 14,6 et 19,8. Sans la vaccination, la mortalité et l'impact d'Omicron sur le système hospitalier seraient considérables.
Nous sommes donc très attentifs à l'évaluation en temps réel de la situation et à la réduction de l'impact de la pandémie.
M. Jérôme Marchand-Arvier, directeur de cabinet du ministre des solidarités et de la santé . - Dix jours après l'entrée en vigueur du passe vaccinal, nous ne pouvons fournir que quelques éléments d'évaluation.
Le passe répond à deux objectifs. D'abord, un objectif de protection, qui permet, dans des lieux où beaucoup de personnes se retrouvent, de s'assurer que ces personnes sont vaccinées, donc moins susceptibles de développer des formes graves et de propager le virus. Le second objectif, indirect, mais puissant, est l'incitation à la vaccination.
Le passe vaccinal s'inscrit ainsi dans une continuité, celle de l'accent très fort placé sur la vaccination, avec les étapes qu'ont été le passe sanitaire, les lois qui en ont étendu l'application, l'intégration du rappel dans le passe, et le vote de la loi sur le passe vaccinal. Il s'agit de faire le maximum pour que la vie des Français vaccinés soit normale.
Deuxième élément, l'efficacité de la mesure, qui s'exerce d'abord en amont de l'entrée en vigueur, pour le passe sanitaire comme pour le passe vaccinal. Ainsi, entre l'annonce de l'extension du passe sanitaire et son vote, 3,8 millions de personnes ont effectué la primo-vaccination ; puis, entre l'annonce du passe vaccinal et le vote de la loi, 500 000 primo-vaccinations ont été enregistrées.
Le second effet s'observe immédiatement après l'entrée en vigueur de la loi : 4,9 millions de primo-vaccinations à l'été et, entre l'annonce du passe vaccinal et aujourd'hui, plus de 800 000, ce qui, compte tenu du niveau où nous sommes déjà, constitue un effort très important. Le rythme de primo-injections hebdomadaires, même s'il s'est ralenti au cours des deux dernières semaines, n'avait plus été aussi élevé depuis l'automne.
Comme vous l'avez souligné, cette mesure intervient à un moment où la France, comme d'autres pays, lève certaines mesures de freinage. Mais, comme l'a rappelé le Premier ministre, ce sont l'entrée en vigueur du passe vaccinal et son effet de protection et d'incitation à la vaccination qui nous donnent la possibilité de lever, demain, un premier train de mesures, et un second dans deux semaines.
Naturellement, quand la pression sanitaire sera redescendue, quand les reprogrammations de soins reportés par le covid seront possibles, l'outil du passe vaccinal pourra être levé, tout en veillant à sa réversibilité : les cycles de l'épidémie justifient que les pouvoirs publics se dotent d'outils pour protéger les Français.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Le Premier ministre a annoncé le 17 décembre dernier le projet de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. Quand cette décision a-t-elle été prise ? À quelle date le passe vaccinal est-il devenu un scénario de travail ? D'autres options étaient-elles envisagées en décembre ? Sur quelles expertises vous êtes-vous appuyés ? Quelles propositions ont été faites, par qui, et quels avantages et inconvénients présentaient-elles ? Qu'est-ce qui vous a conduits à arbitrer en faveur de l'évolution du passe sanitaire en passe vaccinal ? Quelle était l'estimation de l'efficacité de l'outil au moment de la prise de décision ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Dans le cadre du travail préparatoire, nous avons mobilisé des éléments de comparaison avec nos voisins. Cet automne, plusieurs pays ont adopté une mesure comparable au passe sanitaire. L'Allemagne est allée plus loin en supprimant l'équivalence entre l'exigence de test et l'exigence vaccinale.
Par ailleurs, l'effet d'incitation à la vaccination a été puissant avec le passe sanitaire. Cependant, une part restreinte de la population a préféré conserver le « volant » du test pour la validation du passe sanitaire. Or le test n'était pas un élément de protection pour la personne elle-même. Comment, dans ces conditions, l'inciter à se vacciner ?
Enfin, la principale alternative existante était l'obligation vaccinale, qui a été débattue au Parlement. Les deux éléments principaux qui ont guidé le choix du Gouvernement ont été un effet d'équivalence - les deux mesures ont un effet d'incitation - et, pour l'obligation vaccinale, une difficulté pratique et opérationnelle à en garantir le respect.
M. Jérôme Salomon . - Sur un plan scientifique, nous nous attachons à faire un parangonnage international le plus fin possible. Nous avons des échanges avec les autres pays au sein du comité exécutif de l'OMS, lors des nombreuses réunions d'OMS Europe, qui regroupe l'ensemble des pays de la zone euro, et dans les instances de sécurité sanitaire de l'Union européenne. Des pays d'Europe proches du nôtre ont opté pour le passe vaccinal et nous font régulièrement part de leurs observations, notamment sur la couverture vaccinale. D'autres États étrangers partagent également de nombreuses données, notamment les États-Unis et Israël, qui a servi de modèle à de nombreux pays grâce à son avance en termes d'accès au vaccin.
Lorsque vous avez été amenés à débattre en tant que législateurs du passe vaccinal, nous étions dans un contexte épidémiologique très particulier. La vague Delta était très importante, et on voyait arriver le variant Omicron. Les scientifiques français et européens ont légitimement considéré que les effets des deux variants allaient se cumuler, ce qui a été le cas dans notre pays : nous avons eu une double vague avec une infectiosité considérable, des réinfections et des atteintes de population plus importantes en raison de l'effet volume.
La publication du Lancet le 13 décembre 2021 a montré que la France est l'un des pays dans lesquels le passe a eu un effet important en termes d'incitation à la vaccination : la progression vaccinale a été forte. Les Français ont donc été sensibles au message d'incitation à la vaccination. Cet élément scientifique a étayé les décisions du Gouvernement.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Le passe sanitaire et le passe vaccinal sont évidemment une incitation majeure à la vaccination. Le Sénat a d'ailleurs voté les deux dispositifs.
Vous n'avez pas répondu à ma question concernant la date à laquelle a été envisagée la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal. Je rappelle qu'au mois de décembre dernier on parlait encore très peu du variant Omicron ; il s'agissait essentiellement de faire face au variant Delta. D'autres options étaient-elles sur la table ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - S'agissant des options, l'étude d'impact du projet de loi fait référence à l'autre option majeure : il s'agit de l'obligation vaccinale. Le Gouvernement était dans une logique d'incitation à la vaccination.
Sur la question de la date, les conseils de défense sanitaire sont évidemment des moments importants, qui permettent la prise de décision.
Le choix de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal a été fait entre le mois de novembre, durant lequel des pays proches de la France ont fait un choix similaire, et l'annonce du Premier ministre le 17 décembre. Il me semble, mais je ne voudrais pas me tromper, que des échanges ont aussi eu lieu sur les différentes options avec les comités parlementaires. Sans pouvoir donner une date précise, je dirais que la décision s'est nouée entre le début du mois de décembre et l'annonce du 17 décembre.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Monsieur le directeur de la santé, avez-vous comptabilisé la part des personnes fragiles parmi les primo-vaccinés ? En ce qui concerne ces publics, le passe vaccinal est-il l'outil le plus adapté ? Les personnes fragiles, très âgées, fréquentent assez peu les lieux concernés par ce passe.
M. Jérôme Salomon . - La prise de décision a donné lieu à d'intenses consultations avec nos collègues étrangers. La vague Delta était extrêmement sévère, notamment en décembre, mais les scientifiques de l'OMS ont très rapidement classé le variant Omicron en VOC ( Variant of Concern ), c'est-à-dire le niveau le plus inquiétant. Les craintes portaient sur le niveau élevé de transmission du virus à partir d'un premier cas, la virulence et le changement de cible. Nos collègues d'Afrique du Sud et britanniques, dont les pays ont été touchés avant nous, ont insisté sur le fait que davantage de jeunes étaient contaminés. Nous étions dans une logique d'extension rapide de la vaccination aux adolescents.
Par ailleurs, la question de l'échappement vaccinal s'est posée : il était nécessaire de proposer rapidement un rappel pour faire remonter le niveau d'immunité et renforcer la protection. Le taux de couverture par la dose de rappel était très faible en décembre ; aujourd'hui, plus de 66 % de la population majeure a bénéficié du rappel.
Nous surveillons en priorité les personnes âgées et les personnes fragiles, qui ont été les premières ciblées pour l'accès au rappel. Nous avons également beaucoup insisté pour que les personnes en affections de longue durée (ALD) aient aussi un accès rapide à la vaccination et au rappel. Nous avons engagé une démarche « d'aller vers » pour les personnes fragiles et les personnes âgées placées en institution.
L'attestation électronique de vaccination et de rappel permet à ces publics d'avoir des activités sociales, car de nombreuses personnes âgées ou fragiles ont des interactions sociales. La logique est celle d'une couverture maximale par le rappel de toutes les personnes qui seraient susceptibles d'être hospitalisées.
M. Olivier Henno , rapporteur . - Je crois en la nécessité de la couverture vaccinale. J'ai voté le passe sanitaire, mais j'ai des doutes sur le passe vaccinal.
Une réflexion a-t-elle été menée sur une obligation vaccinale ciblée sur les publics à risque, fragiles ?
De quelle façon procèdent le cabinet du ministre et la direction générale de la santé (DGS) pour analyser la situation ? Dans quelle mesure les services de l'État et ses opérateurs sont-ils sollicités pour suivre l'évolution de l'épidémie ? Quelles commandes ont été passées à la Drees sur le suivi de l'épidémie, l'efficacité du passe sanitaire et le suivi du passe vaccinal ? La direction générale de la santé et le cabinet recourent-ils aux instituts et laboratoires de recherche pour appuyer leurs décisions ? Passent-ils des commandes de modélisation ? Des chercheurs sont-ils sollicités pour conseiller la DGS ou le cabinet ? Selon quelle périodicité ? Le Gouvernement a-t-il eu recours à des cabinets de conseil pour la gestion du passe sanitaire et pour préparer sa transformation en passe vaccinal ?
Enfin, participez-vous au conseil de défense sanitaire organisé par la présidence de la République ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - La liste des participants au conseil de défense sanitaire est fixée par le Président de la République : il nous arrive, au directeur général de la santé et à moi-même, d'y assister.
Les cabinets de conseil qui ont été mobilisés tout au long de la crise par le ministère de la santé n'ont pas participé à la réflexion, et encore moins à la prise de décision, sur la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal.
Le ministère de la santé et plus largement l'ensemble du Gouvernement mobilisent un certain nombre de conseils, d'équipes de recherche et de scientifiques pour participer à la réflexion et à l'élaboration des décisions qui paraissent les plus adaptées pour protéger la santé des Français.
S'agissant des conseils, certains sont institués : le conseil scientifique, qui a rendu un avis sur le passe sanitaire et sur le passe vaccinal, et le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale.
Quant aux modélisations, elles sont publiques : elles peuvent être consultées par tout un chacun. Nous collaborons régulièrement avec l'Institut Pasteur : l'équipe de modélisation de Simon Cauchemez a notamment travaillé sur les effets de l'augmentation du niveau de vaccination sur l'évolution de l'épidémie.
S'agissant de l'obligation vaccinale ciblée, la loi l'impose déjà aux soignants. Quant à cibler les populations les plus fragiles, même s'il est exact que le covid, notamment le variant Delta, les touche davantage, il faut rappeler que cette maladie peut concerner l'ensemble de la population, y compris des personnes qui n'ont pas de comorbidités.
Par ailleurs, si la vaccination des personnes fragiles est un point d'attention constant du Gouvernement, elle pose la question de l'identification de ces personnes. Le législateur le sait bien, et le Sénat est particulièrement attentif à cette question, une obligation vaccinale nécessiterait la mise en place de fichiers, ce qui soulèverait des questions opérationnelles et éthiques redoutables.
M. Jérôme Salomon . - Nous utilisons l'ensemble des ressources scientifiques disponibles et nous sommes en lien avec les équipes de recherche comme celles de Vittoria Colizza à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou de Simon Cauchemez à l'Institut Pasteur.
Nous travaillons avec le conseil scientifique, présidé par Jean-François Delfraissy, et avec le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, présidé par Alain Fischer, ainsi qu'avec les agences nationales : Santé publique France, la Drees et la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), qui dispose de nombreuses données. Nous avons fait un très gros effort pour que tous les indicateurs soient disponibles en open data : indicateurs de couverture vaccinale, indicateurs hospitaliers d'admission en hospitalisation ou en réanimation, le fameux « R » - national et régional -, passages aux urgences, appels au SAMU et recours à SOS Médecins...
L'obligation vaccinale est une question récurrente en France. La dernière obligation vaccinale date de 1964 et concernait la poliomyélite, quasiment éradiquée depuis. En ce qui concerne la vaccination contre le covid, nous avons instauré l'obligation vaccinale pour les professionnels de santé. D'autres obligations concernent les voyageurs et, depuis 2018, les nourrissons, pour onze vaccins.
Nous travaillons beaucoup avec les experts de la vaccination, notamment la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé (HAS). Il est très difficile de définir précisément quelles sont les populations à risque. L'âge peut paraître un critère simple, mais les formes gravissimes et les décès ont touché aussi les jeunes adultes. Inversement, des sujets âgés ont fait des formes vraiment mineures. Les affections de longue durée (ALD) posent un problème de stigmatisation potentielle ; et certains publics ne sont pas en ALD alors qu'ils ont des facteurs de risque majeurs - je pense aux jeunes souffrant d'obésité morbide.
Enfin, les équipes de recherche sont en train de découvrir qu'il existe probablement des susceptibilités immunitaires et génétiques, lesquelles sont difficiles à anticiper : elles conduisent certaines personnes n'ayant aucun facteur prédisposant en réanimation pour des formes sévères.
On découvre chaque jour de nouvelles facettes de cette maladie qui nous pousse à l'humilité : il est difficile de définir les catégories qui pourraient être soumises à l'obligation vaccinale, sans même parler des difficultés administratives et d'accès aux données.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Notre travail n'est pas celui d'une énième mission d'information à portée générale, mais s'inscrit dans une réflexion centrée sur le passe vaccinal. C'est pourquoi nous attendons des réponses précises à nos questions. Pourriez-vous ainsi nous indiquer sur quelles études vous vous appuyez pour évaluer la situation ?
Vous avez souligné l'évolution du contexte. En décembre, le contexte sanitaire était différent : l'objectif poursuivi alors est-il toujours pertinent ? Le passe vaccinal est-il toujours la bonne réponse ?
Quels critères retenez-vous pour évaluer l'efficacité du passe vaccinal ? Quels éléments vous permettent d'affirmer que ce système est proportionné à la situation sanitaire de notre pays ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Vous avez raison de poser la question du contexte. Les taux d'hospitalisation, en soins critiques comme en hospitalisation conventionnelle, des patients atteints de covid restent à des niveaux élevés. L'objectif poursuivi demeure le même, malgré le changement de contexte : inciter à la vaccination, qui permet de renforcer le niveau de protection des Français et fait baisser le risque de développer des formes graves. Depuis l'annonce du passe vaccinal, plus de 800 000 personnes se sont fait primovacciner, mais il reste encore 4,3 millions de personnes majeures non vaccinées, sur lesquelles pèse un risque de développer des formes graves en cas de contamination.
Le Gouvernement est attentif à l'adéquation entre les contraintes et l'objectif poursuivi : c'est d'ailleurs justement parce que le législateur a voté le passe vaccinal, et qu'il est entré en vigueur, que le Gouvernement a pu annoncer, compte tenu d'un contexte épidémique qui s'améliore doucement, une levée progressive d'une partie des mesures de contrainte.
Notre critère principal est un critère hospitalier. L'efficacité du vaccin se mesure particulièrement à travers sa capacité à réduire le risque de développer des formes graves, et donc d'éviter une saturation du système hospitalier qui risquerait d'entraîner des retards dans la prise en charge des patients non atteints de covid. L'amélioration est réelle, mais légère : on compte toujours plus de 3 600 patients atteints de covid en soins critiques - ce nombre était descendu à 1 000 avant l'été -, alors que notre capacité d'accueil normale s'élève à 5 500 patients.
M. Jérôme Salomon . - Toutes les données sont en ligne et nous pourrons vous envoyer les références si vous le souhaitez. Les modélisations de l'Institut Pasteur sont mises en ligne à mesure qu'elles sont actualisées. L'étude de la revue The Lancet que j'ai citée a été mise en ligne le 13 décembre. J'ai mentionné aussi une étude du Conseil d'analyse économique de janvier ; de même, les études de la Drees sont en open access et actualisées en permanence sur le site du ministère. Les chiffres que j'ai évoqués concernant la réduction du risque de décès ou d'hospitalisation en sont issus.
Le passe vaccinal a permis d'augmenter le taux de vaccination. Nous le savons parce que nous disposons chaque jour du compteur récapitulant le nombre de nouveaux vaccinés, celui des personnes qui ont reçu deux doses ainsi que de celles qui ont reçu un rappel ; ces données sont publiques, en open access , et les médias les reprennent. Le passe vaccinal a permis de réduire la pression sur le système de santé : fort heureusement, celui-ci n'a pas craqué comme le craignait l'OMS. Nous avons subi une vague Delta importante, qui a été suivie d'une double vague, lorsque la vague Omicron s'est ajoutée à la vague Delta, et enfin, d'une vague Omicron massive, tandis que le variant Delta a quasiment disparu désormais. L'incidence a atteint 565 000 cas lundi dernier. La gravité semble moindre, mais l'effet volume fait que le nombre d'hospitalisations et de passages aux urgences reste élevé : un flux de 2 000 personnes hospitalisées pour covid par semaine, c'est énorme, cela pèse sur l'hôpital et peut avoir des effets aussi sur la capacité à prendre en charge les patients atteints d'autres pathologies. Nous avons donc intérêt à réduire l'importance de la pandémie.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Le chiffre de 3 600 patients atteints de covid inclut-il tous les patients atteints de covid, ceux hospitalisés directement pour covid et ceux hospitalisés pour d'autres pathologies, mais qui ont été testés positifs au covid à l'hôpital ?
Vous avez choisi, ne voulant pas instaurer d'obligation vaccinale, de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. Que comptez-vous faire maintenant : à partir de quelle proportion de personnes vaccinées envisagez-vous de supprimer le passe vaccinal ? à partir de quel taux d'occupation des lits de soins critiques à l'hôpital ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Le passe vaccinal répond à deux objectifs. D'abord inciter à la vaccination. Nous ne nous sommes pas fixé d'objectif concernant la proportion de la population vaccinée et dont l'atteinte permettrait de lever le passe. La progression de la vaccination renforce la protection de la population. Le vaccin confère en effet une forte protection en période forte circulation du virus, notamment dans les lieux où les gestes barrières sont difficiles à mettre en oeuvre.
L'autre élément à considérer est le niveau de circulation du virus. Le passe est évidemment d'autant plus justifié que cette dernière est forte.
Une des principales boussoles qui guide le Gouvernement est la saturation des services hospitaliers et la capacité à reprogrammer les soins pour les patients non atteints de covid. Avec 3 600 patients atteints de covid en soins critiques, on a encore des difficultés à reprogrammer tous les soins nécessaires. Il est donc difficile de fixer un seuil optimal. Avant l'été, nous étions descendus à moins de 1 000 patients pour covid en soins critiques. Pour l'instant, la charge hospitalière reste élevée.
M. Jérôme Salomon . - Tous les patients qui entrent à l'hôpital sont testés : on découvre ainsi des cas de covid fortuit lorsqu'un patient hospitalisé pour une autre raison est testé positif. Les données de Santé publique France font bien la différence entre patients « pour » et « avec » covid. Cela a un effet pour les hospitalisations conventionnelles, moins en réanimation, car les patients pour covid y sont très largement majoritaires, autour de 90 %. Les réanimations de ces patients atteints de covid fortuit ne sont pas sans lien avec la covid. Comme vous le savez, les malades qui ne sont pas en réanimation pour covid sont souvent immunodéprimés, ont des problèmes majeurs de santé, et la covid dégrade fortement leur état général.
Un taux d'incidence de 4 500 pour 100 000 habitants signifie qu'en une semaine 4 ou 5 % de la population est touchée ! Cela a évidemment un effet sur le nombre de patients atteints de covid fortuit. Les malades en réanimation y sont parce que leur état le justifie, et lorsqu'ils ont la covid, ils doivent bénéficier de soins adaptés.
Le vaccin réduit les risques pour les personnes vaccinées. La campagne pour la vaccination a aussi permis d'augmenter le nombre de rappels, qui renforcent l'immunité individuelle et collective par rapport au risque omicron.
Plus la couverture vaccinale est élevée, mieux c'est ! Omicron, comme la rougeole ou les oreillons, a un taux de reproduction élevé : si on veut le freiner, il faut donc atteindre un taux de couverture maximal. Nous surveillons le taux de personnes vaccinées. Ces données sont publiques. La France est bien placée au niveau international. Notre pays compte aussi beaucoup de jeunes. Le taux de couverture vaccinale est très élevé chez les adultes, un peu moins chez les adolescents, et on commence la vaccination parmi les enfants.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Comment justifier le maintien du passe vaccinal quand des pays comme l'Espagne ou le Danemark l'ont arrêté ?
M. Jérôme Salomon . - Sans l'effort massif de vaccination réalisé ces dernières semaines, le nombre de patients hospitalisés, déjà élevé, le serait sans doute encore davantage, tout comme le nombre de personnes atteintes de covid long et qui ont des séquelles.
Aucun expert dans le monde ne peut prédire comment évoluera la pandémie : je parle bien de « pandémie », et non d'« endémie », terme qui désigne une situation où le virus ne circule plus qu'à bas bruit pour ne ressortir que par vagues occasionnellement - ce n'est pas la situation en France actuellement.
Les pays d'Europe sont touchés de manière asynchrone : la vague Omicron est d'orientation Ouest-Est, et non plus Est-Ouest. Elle a commencé par la Grande-Bretagne. La France est encore fortement touchée, avec des taux d'incidence et d'hospitalisation élevés. La vague se déplace vers l'Est, vers l'Allemagne, l'Autriche ou la Russie. Il est donc difficile de faire des évaluations sans connaître la situation épidémiologique. Les experts restent très prudents ; ils insistent sur l'utilité des mesures barrières et du passe vaccinal, qui permet d'ailleurs de lever certaines mesures de contrainte. Le Danemark a été touché un peu plus tôt que la France et la vague Delta y a été plus brève que chez nous. Il faut aussi être attentif aux tensions sur le système hospitalier dans chaque pays.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Cette tension sur l'hôpital dépend aussi de l'état du système hospitalier avant la crise. Certaines difficultés préexistaient...
M. Daniel Chasseing . - J'ai voté pour le passe vaccinal comme pour le passe sanitaire. Le passe vaccinal a permis de développer la vaccination. Le nombre de primovaccinés augmente. Lorsque l'agence régionale de santé (ARS) réalise des tests sur les marchés de Corrèze, on découvre que plus d'une personne sur vingt est positive et asymptomatique, quoique vaccinée. Ne faudrait-il pas, quand des personnes, même vaccinées, vont visiter leurs parents dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les tester pour éviter qu'elles ne risquent de leur transmettre le virus Omicron, qui pourrait mettre ces derniers en danger ?
M. René-Paul Savary . - À quelle date avez-vous eu connaissance des simulations de l'Institut Pasteur sur lesquelles vous vous êtes fondés pour créer le passe vaccinal ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Nous recevons les projections de l'Institut Pasteur, qui portent sur le nombre de personnes atteintes et à quelle échéance, tous les lundis, à l'exception d'une période d'interruption qui a eu lieu début janvier à cause de la superposition des deux vagues. Ces projections sont publiques et mises en ligne aussitôt. Ensuite, l'Institut réalise des modélisations pour simuler l'effet de la vaccination sur la circulation du virus et le nombre de personnes hospitalisées.
M. Jérôme Salomon . - Les simulations sont mises en ligne. Elles sont régulièrement adaptées. L'épidémie est très évolutive. Chaque vague a des caractéristiques différentes. Pour faire des modélisations mathématiques, on part de l'observé, on fait tourner le modèle pour aboutir à des projections solides pour les huit ou quinze jours qui suivent, et plus estimatives à plus long terme. Il faut tenir compte de la diversité des situations régionales : l'Île-de-France, par exemple, a été touchée plus tôt par Omicron que les autres régions, tandis que la situation reste très tendue outre-mer. C'est pourquoi le modèle est progressivement adapté.
Le nombre de primovaccinations a augmenté, en effet. En Corrèze, le taux d'incidence est très élevé, 5000 pour 100 000, soit 5 % de la population. Les personnes testées positives sont asymptomatiques, car leur vaccination les protège. Vous évoquez le risque de contamination des plus fragiles en Ehpad. Les personnes âgées ont besoin d'interactions sociales. Il ne s'agit donc pas de les éloigner de leurs proches ; c'est pourquoi on incite fortement au respect des gestes barrières et à l'utilisation d'autotests. Beaucoup de Français y ont recours lorsqu'ils vont voir des parents. Cette démarche est, je crois, rentrée dans les moeurs. Le Gouvernement a aussi proposé le rappel vaccinal pour les personnes fragiles, mais aussi pour la grippe ; les professionnels de santé dans ces établissements ont été fortement incités à proposer ces deux vaccinations.
M. René-Paul Savary . - Le Premier ministre a annoncé le 17 décembre dernier la création du passe vaccinal. Le projet de loi a été déposé le 27 décembre, soit à la même date que les modélisations de l'Institut Pasteur, qui n'en avait pas réalisées depuis le mois d'octobre. Sur la base de quels critères avez-vous donc préparé le passe vaccinal ? Le Gouvernement a commencé à travailler sur le sujet début décembre, mais à cette date, vous ne pouviez pas avoir accès aux modélisations de l'Institut Pasteur. Par ailleurs, si vous disposiez d'éléments début décembre, pourquoi avoir attendu le 27 décembre pour mettre en oeuvre ce dispositif dont vous vantez l'efficacité : serait-ce lié à la trêve des confiseurs ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Les modélisations ne sont qu'un élément d'aide à la décision, mais pas le seul. Nous devons aussi prendre en compte des éléments de comparaison avec d'autres pays de l'Union européenne : si la France avait été parmi les premiers pour adopter le passe sanitaire, d'autres États, comme la Belgique ou l'Italie, avaient déjà adopté des dispositifs proches du passe vaccinal début décembre.
En outre, au mois de décembre, le nombre de patients atteints de covid en soins critiques a progressivement monté, pour atteindre des niveaux très élevés autour de la mi-décembre. Cela nous a fait craindre l'apparition d'une situation très dangereuse, dans un contexte où les vagues Delta et Omicron se cumulaient.
M. Jérôme Salomon . - Nous demandons à l'Institut Pasteur et à l'Inserm d'actualiser régulièrement leurs projections et leurs modélisations en tenant compte de l'évolution des paramètres. Ces établissements n'ont pas respecté la trêve des confiseurs, et je tiens à leur rendre hommage.
La France est l'un des rares pays à avoir subi les deux vagues, Delta et Omicron, en même temps. En Grande-Bretagne, le Delta a vite chuté face à Omicron. L'Allemagne a d'abord eu une vague Delta et subit désormais une vague Omicron. Il faut donc tenir compte de l'évolution différenciée selon les pays. Omicron est arrivé en France début décembre. Les évaluations relatives à ce variant ont dû être révisées régulièrement. Il fallait aussi mesurer l'impact de la vaccination sur ce variant, car nous manquions de données ; on s'est appuyé sur les flux d'hospitalisation. Les dernières études de la Drees confirment l'effet protecteur du vaccin face à Omicron.
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Outre les travaux de modélisation spécifiques, certains travaux de modélisation sont parfois insérés dans d'autres documents. En l'occurrence, je mentionnerai l'avis du Conseil scientifique du 8 décembre 2021, C omment concilier les enjeux sanitaires et sociétaux ?, qui contient des éléments de modélisation réalisés par l'Institut Pasteur qui évaluent les effets d'une réduction de la circulation du virus sur les taux d'hospitalisation. Je peux donc vous rassurer : le Gouvernement avait connaissance de ces éléments lorsqu'il a décidé de mettre en oeuvre le passe vaccinal.
M. René-Paul Savary . - Si vous disposiez d'un avis le 8 décembre, pourquoi ne pas avoir pris alors aussitôt la décision de mettre en oeuvre le passe vaccinal, sans attendre la mi-janvier ? Cela aurait peut-être limité l'ampleur des vagues et les répercussions sur les contaminations liées au brassage de populations à l'occasion de Noël...
M. Jean Sol . - Pouvez-vous nous dire sur quels prédicteurs les modèles s'appuient : s'agit-il de prédicteurs épidémiologiques, météorologiques ou de mobilité ? À quelle échéance envisagez-vous de prendre une décision sur le passe vaccinal ?
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Vous dites que la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal a été envisagée en novembre ou en décembre. À quelle date les premières notes contenant l'hypothèse d'un passe vaccinal ont-elles été rédigées ? La rédaction du projet de loi a-t-elle été engagée avant ou après l'intervention du Premier ministre ?
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Une décision n'est jamais prise en un instant. J'ai évoqué la fin de l'automne, les mois de novembre ou décembre. Nos voisins ont pris des mesures comparables fin novembre, début décembre. C'est à ce moment que la réflexion a commencé. On en aurait confirmation en reprenant les avis du Conseil scientifique.
La rédaction du projet de loi a suivi immédiatement l'intervention du Premier ministre. C'était un travail à la fois facile, car il s'appuyait sur le passe sanitaire existant, et compliqué, car le dispositif devait être conçu avec soin. Les adaptations législatives entre le passe sanitaire et le passe vaccinal n'étaient pas très nombreuses.
Aurions-nous pu être plus rapides ? Sans doute, mais je ne vous rappellerai pas ce qui s'est passé pendant la trêve des confiseurs... Il fallait consulter les commissions du Parlement, le Conseil d'État, adopter le projet de loi en conseil des ministres, faire en sorte que le Parlement vote la loi... Finalement, si vous vous souvenez des conditions dans lesquelles vous avez été amenés à siéger, l'ensemble s'est passé dans un calendrier resserré. De plus, la loi a eu des effets dès son annonce : la perspective d'une mise en oeuvre prochaine du passe vaccinal a incité de nombreuses personnes à se faire vacciner.
M. Jérôme Salomon . - Nous avons fait en sorte que les fêtes de fin d'année se passent bien grâce à notre campagne de sensibilisation sur l'aération des locaux, ou sur le respect des gestes barrières. Nous avons fortement accru, le nombre de tests réalisés, avec 10 puis 12 millions de tests hebdomadaires. De même, beaucoup de Français ont eu la prudence de se faire vacciner avant d'aller retrouver leurs proches.
S'agissant de la modélisation, nous incluons tous les paramètres que vous avez évoqués : le niveau d'incidence, les paramètres liés aux comportements, très différents, des variants et à leur répartition - Omicron était, par exemple, déjà très répandu en Île-de-France tandis que le Delta restait prépondérant en Provence-Alpes-Côte d'Azur -, le taux d'hospitalisation, le taux d'admission en soins critiques, le respect des gestes barrières, le « R », les comportements humains, etc. On peut, à cet égard, se féliciter du comportement de nos concitoyens. Le relâchement a été moindre que dans d'autres pays et les Français continuent à respecter les gestes barrières. En outre, la progression de la couverture vaccinale, du taux de primovaccinations et du nombre de rappels a fait que l'observé a été meilleur que ce qui était attendu.
Cette très forte incitation à la vaccination a conduit à une moindre sollicitation du système de santé.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Selon vous, le passe ne pourrait être levé que le jour où nous passerions sous le seuil des 2 500 - voire des 1 000 - personnes en réanimation, alors que nous en comptons 3 700 aujourd'hui. Voilà une perspective bien inquiétante...
M. Jérôme Marchand-Arvier . - Ces chiffres concernent les seuls patients atteints de covid. Le taux d'occupation en réanimation est aujourd'hui proche de 90 %. Quand un patient atteint de covid quitte la réanimation, un patient non atteint de covid prend sa place, à la faveur notamment des reprogrammations. Bien entendu, il n'est pas question d'attendre que nous n'ayons plus que 1 000 patients en réanimation.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est plus clair ainsi. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition du Pr Jean-François Delfraissy,
président du conseil
scientifique
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons le professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, pour la deuxième fois en quelques mois. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mis en place le 11 mars 2020, le conseil scientifique a été consacré par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique qui prévoit que le comité rend périodiquement des avis sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, ainsi que sur la durée de leur application.
Dans un avis rendu le 24 décembre 2021, le conseil scientifique s'était déclaré favorable à la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal. Cet avis évoquait alors l'hypothèse de 200 000 contaminations par jour entraînant des tensions dans différents services essentiels et activités collectives.
Dans son avis du 21 janvier sur le projet de décret faisant suite à une note d'actualisation du 19 janvier 2022, le conseil scientifique définit les objectifs du passe vaccinal : accélérer la vaccination et augmenter le nombre de personnes vaccinées à la fois en primo-vaccination et en rappel ; limiter le niveau des restrictions en population générale ; limiter l'impact de la circulation virale sur le système de soins.
Il recommande de suivre trois marqueurs : le nombre de personnes ayant reçu une dose de rappel ; le niveau d'occupation des lits en hospitalisation et en soins critiques ; et bien sûr l'apparition éventuelle d'un nouveau variant.
Tout d'abord, pouvez-vous revenir très précisément sur la chronologie de votre première saisine sur le passe vaccinal, ainsi que sur les indicateurs, constatés ou modélisés, qui ont alors emporté la décision du conseil scientifique ? À quel niveau de ces indicateurs considériez-vous que le passe vaccinal a atteint ses objectifs ou que l'évolution de l'épidémie ne le rend plus adéquat ?
Avant de vous passer la parole, je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite maintenant à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le professeur Jean-François Delfraissy prête serment.
Professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique . - Je voudrais tout d'abord préciser ce qu'est le conseil scientifique et ce qu'il n'est pas. Il s'agit d'une instance créée par la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 et qui disparaîtra avec elle. Nous travaillons avec les autorités politiques et sanitaires, mais ne participons pas au conseil de défense. Nous avons donc un rôle d'éclairage, mais non de décision.
Depuis deux ans, le conseil scientifique communique à plusieurs niveaux.
Premier niveau : les membres du conseil communiquent de façon informelle et quasi quotidienne, par téléphone ou mail, avec les conseillers santé de l'Élysée, de Matignon et du ministère de la santé.
Deuxième niveau : en cas d'autosaisine, le conseil rencontre les autorités sanitaires pour expliquer ses avis, avant leur sortie publique.
Troisième niveau : Matignon et le ministère de la santé peuvent nous saisir directement, comme cela s'est produit sur la question du passe vaccinal.
Quatrième niveau : le conseil scientifique rend publics ses avis, à l'attention des autorités sanitaires, mais aussi des citoyens même s'ils sont relativement techniques.
Un équilibre dans le mode de fonctionnement a été trouvé et les relations entre le conseil et les autorités sont assez fluides. Nous partageons l'information, notamment en provenance de nos homologues à l'étranger. Je le répète : en aucune façon, nous n'intervenons dans le conseil de défense.
Le dernier jour de novembre 2021, grâce à nos collègues sud-africains, le conseil scientifique lance une alerte concernant le variant Omicron. S'ouvre alors une période d'incertitude sur l'évolution de ce variant. Le 16 décembre, le conseil publie un deuxième avis qui fait le point sur Omicron : transmission nettement plus élevée, mais probable moindre gravité. Dans les jours qui ont précédé la publication de cet avis, nous avons dialogué avec les autorités. Nous sommes alors en pleine vague Delta ; les hôpitaux et les services de réanimation commencent à être lourdement chargés dans certaines régions. La question est alors : où va-t-on avec le variant Omicron ? Lors d'une discussion avec les autorités, nous prenons parti en affirmant que cette nouvelle vague passera, avec certes des mesures lourdes, mais sans mesures de restriction aussi difficiles qu'un confinement ou un couvre-feu. MM. Fontanet et Cauchemez de l'Institut Pasteur vous expliqueront demain en détail comment l'évolution d'Omicron a pu être modélisée. À l'époque, nous estimions que les contaminations quotidiennes atteindraient les 200 000, mais que nous réussirions à surmonter cette vague sans mesures de restriction majeures.
Nous avons alors commencé à discuter des différents types de mesures sanitaires qui pouvaient être mises en place. L'idée d'un passage du passe sanitaire au passe vaccinal était dans l'air avant même le variant Omicron, mais cette réflexion a été accélérée par son irruption. Lors d'une réunion qui s'est tenue le 17 décembre à Matignon en présence du Premier ministre et de responsables sanitaires, nous avons pu partager notre vision sur l'impact du variant Omicron sur le premier semestre 2022 et avoir une première discussion sur la mise en place d'un passe vaccinal.
Le conseil scientifique a joué un rôle important dans les réflexions sur le passe sanitaire dès juin 2021. À l'époque, les discussions tournaient autour de l'obligation vaccinale ou du passe sanitaire. Le conseil scientifique s'est engagé en faveur de la construction juridique d'un passe sanitaire, en lien avec les grandes institutions juridiques françaises.
Sur le passe vaccinal, les choses sont allées plus vite. Nous avons discuté du passe vaccinal, mais nous n'avons rien écrit, contrairement à ce que nous avions fait pour le passe sanitaire. Mais dans son avis, le conseil scientifique a jugé que, compte tenu de la situation sanitaire, de l'efficacité des vaccins et de la sensibilité du variant Omicron à ces vaccins, il était pleinement justifié de mettre en place un passe vaccinal.
Nous ne sommes que de malheureux médecins et scientifiques : les autorités politiques et sanitaires nous demandent de nous positionner sur des sujets qui sont à la limite de notre savoir-faire. Mais la loi oblige les autorités sanitaires à prendre l'avis d'un conseil scientifique. Dans chacun de nos avis, nous précisons que la mise en place d'un passe sanitaire ou vaccinal est toujours justifiée par l'état de l'épidémie : celle-ci peut évoluer dans le temps et les décisions prises devront donc également évoluer.
Dans un avis du 5 octobre dernier, intitulé « Une situation apaisée : quand et comment alléger ? », le conseil scientifique est même allé plus loin, en posant la question de l'allégement des mesures de restriction. À l'issue d'un lourd et difficile débat en son sein, il a considéré qu'il était urgent d'attendre avant d'alléger ; ce qui peut paraître un peu contradictoire avec le titre de l'avis... Depuis, nous avons connu, après le premier pic de la quatrième vague liée au variant Delta intervenu en juin, un deuxième pic beaucoup plus difficile à gérer d'octobre à la mi-décembre. On voit donc combien l'exercice d'anticipation est difficile, même lorsque l'on souhaite que les mesures soient proportionnées à l'état de la pandémie.
Où en est-on aujourd'hui ? À peu près là où nous avions prévu que nous serions. Ainsi que je vous l'avais indiqué lors de ma précédente audition, les contaminations par le variant Omicron ont explosé. Une tout autre histoire s'écrit avec ce variant : le virus est beaucoup plus contagieux, mais moins sévère. De surcroît, notre niveau de vaccination n'a rien à voir avec les vagues et les variants précédents. Nous observons une dissociation majeure entre le nombre faramineux de contaminations - plusieurs centaines de milliers - et l'impact sur le système de soins, qui reste relativement contenu, à un haut niveau cependant avec 3 700, voire 3 800 hospitalisations en réanimation et soins intensifs liées exclusivement au variant Omicron. Le nombre d'hospitalisations classiques reste élevé, à un niveau comparable à celui de la première vague. En revanche, le nombre d'hospitalisations en soins intensifs et en réanimation est plus faible : de l'ordre de 3 800, alors qu'il avait frôlé les 7 000 lors de la première vague. Les choses se stabilisent donc à haut niveau et notre système de santé sera donc probablement impacté jusqu'au début ou à la moitié du mois de mars. La semaine dernière, le pic a probablement été passé en Île-de-France, mais certaines régions n'y sont pas encore : je pense notamment à l'Occitanie et à la Nouvelle-Aquitaine, où la situation reste extrêmement difficile.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas pris de mesures comparables à celles adoptées au Royaume-Uni et au Danemark ? Considérons les chiffres : leur niveau d'hospitalisations en soins intensifs rapporté à la population est beaucoup plus bas que le nôtre. Leur système de soins est beaucoup moins impacté qu'en France, où nous sommes encore « dans la vague ». Médecins et réanimateurs savent que cela va passer, mais la situation va rester tendue, notamment dans certaines régions, jusqu'à la mi-mars.
Les marqueurs que nous devons observer sont ceux de l'impact de l'épidémie sur notre système de soins : le nombre de contaminations n'est plus pertinent, car le variant Omicron n'est pas trop sévère. Ces marqueurs sont certes tardifs, mais solides pour décider une éventuelle levée des mesures de restriction. C'est sur ces marqueurs qu'il faudra essentiellement s'appuyer, à condition toutefois que nous n'assistions pas à l'apparition d'un nouveau variant et que le sous-variant BA.2 - qui devrait faire son apparition très prochainement en France - confirme bien qu'il est certes plus transmissible, mais pas plus sévère qu'Omicron.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Comment expliquez-vous cette moindre tension hospitalière dans les pays qui commencent à lever les restrictions ? Y a-t-il moins de brassages, moins de comorbidités, une population moins âgée ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - L'explication est probablement multifactorielle.
Le profil des personnes hospitalisées en France a changé avec le variant Omicron. Il s'agit désormais de personnes non vaccinées, de personnes immunodéprimées - elles représentent entre 15 et 20 % des hospitalisations en soins intensifs et sont les oubliées de cette crise -, mais aussi de personnes âgées qui sont certes protégées contre les formes sévères et graves de la maladie par leur troisième dose de vaccin, mais dont l'infection par le variant Omicron vient décompenser une pathologie sous-jacente ; comme c'est le cas chaque hiver avec la grippe pour des personnes qui souffrent d'insuffisance cardiaque ou respiratoire. Or le pourcentage de personnes âgées ayant reçu leur troisième dose de vaccin est légèrement plus élevé au Royaume-Uni et au Danemark qu'en France. En dépit de tous nos efforts pour « aller vers », nous accusons toujours un retard en la matière.
Deuxième explication : le nombre de lits de soins intensifs rapporté à la population est légèrement plus élevé en Grande-Bretagne qu'en France.
Quant aux niveaux de contamination, ils sont comparables en France et au Danemark, légèrement plus faibles en Angleterre.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Quelle place le conseil scientifique a-t-il occupée dans la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal ? Comment a-t-il été formellement consulté pour analyser la situation ?
Le conseil scientifique ou certains de ses membres sont-ils parfois sollicités à titre informel ? Par qui et comment ?
J'avais une question sur le rôle du conseil scientifique dans le conseil de défense, mais vous y avez déjà répondu.
À votre connaissance, de quelles autres informations le Gouvernement disposait-il pour prendre sa décision du 17 décembre ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - Il me semble vous avoir répondu dans mon propos introductif, en présentant les différents niveaux de relation entre le conseil scientifique - ou ses membres - et les autorités sanitaires et politiques.
Tout d'abord, nous entretenons des relations informelles quasi quotidiennes, par téléphone ou mail, avec les conseillers et les directeurs de cabinet du ministère de la santé, de Matignon et de l'Élysée. Avec l'arrivée du variant Omicron, nous avons ainsi été très sollicités.
En outre, en fonction de la situation, nous participons à des réunions, par exemple à Matignon en présence du Premier ministre, au cours desquelles nous discutons des avis que nous rendons, afin notamment d'expliquer les projections de Simon Cauchemez.
Il y a également les saisines formelles : nous avons ainsi été saisis sur la question du passage du passe sanitaire au passe vaccinal. Nous y avons répondu et cette réponse est publique.
Il y a enfin nos avis publics.
Les membres du conseil sont parfois sollicités à titre individuel, mais nous nous tenons au courant. Nous formons un groupe très uni, qui se réunit au moins deux fois par semaine. Les autres membres du conseil savent que je suis ici ce soir et ce que je suis amené à vous dire. Nous sommes un panel de scientifiques d'horizons divers, avec des expertises variées : or notre véritable expertise n'est pas individuelle, mais collective, surtout dans la construction de sujets ô combien difficiles et évolutifs. L'exercice de l'intelligence collective est sans conteste le plus approprié.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Vos avis sont-ils pris par consensus ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - C'est une bonne question, qui me permet de vous expliquer comment nous travaillons. Nous déterminons à l'avance vers quel résultat nous souhaitons cheminer. Par exemple, nous avons décidé de produire d'ici une quinzaine de jours un document sur la situation prévisible après mars : comment se génère un nouveau variant, comment lui opposer une immunité en population... De même, en fin de semaine, nous publierons un avis sur l'initiative « One Health », que nous avions élaboré depuis un certain temps, mais dont nous avions retardé la publication, le temps que la situation sanitaire s'améliore un peu. L'idée générale, la direction générale d'un nouvel avis font consensus. Ensuite, je fais un plan, je répartis les tâches, par binômes ou trinômes, en m'efforçant de mélanger les compétences. L'ensemble remonte, nous discutons, je rassemble les résultats. Je précise que nous écrivons tous nous-mêmes. J'ai refusé qu'on nous affecte de jeunes membres de l'inspection générale des affaires sociales, ou de jeunes conseillers d'État, afin de préserver une forme d'indépendance vis-à-vis des autorités sanitaires et politiques, et éviter toute forme de surveillance. Chacun corrige la version préliminaire de l'avis. Je fais la synthèse, et suis responsable du produit fini.
M. Olivier Henno , rapporteur . - Merci de votre précision, qui tranche avec l'audition précédente ! N'avez-vous pas le sentiment que le passe vaccinal arrive à contretemps ? La seule différence avec le passe sanitaire est que l'on supprime la possibilité de se tester pour conserver sa liberté de mouvement. Vous avez évoqué les profils des personnes hospitalisées. Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir été plus loin dans la préconisation d'une obligation vaccinale ciblée ? L'allégement des contraintes est aussi une vraie question : il va bien falloir, à un moment ou à un autre, en sortir. Vous sentez-vous concerné par ce problème ? Le conseil scientifique se sent-il concerné par les libertés publiques, ou se limite-t-il à des préconisations sanitaires ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - Nous aurions pu choisir de poursuivre avec le passe sanitaire, c'était une autre façon de faire. Reconnaissons ensemble que le passe sanitaire a eu un impact fort, significatif, sur l'accélération de la vaccination. Mais on a mieux compris, depuis juin et juillet 2021, ce que faisaient les vaccins, et ce qu'ils ne faisaient pas. Nous savons à présent qu'ils sont extrêmement solides pour protéger contre les formes sévères et les formes graves, surtout après la troisième dose, mais que leur capacité à protéger contre la transmission est plus faible, plus labile que ce que nous avons d'abord cru - de plus, elle a tendance à diminuer rapidement.
Dans le même temps, l'effort considérable en faveur de la vaccination a abouti : aujourd'hui, 35 millions de personnes ont reçu une troisième dose en France. Nous devons aller encore plus loin, et accélérer, car le vaccin est la pierre angulaire de la réponse au covid - même si ce n'est pas la seule, comme le conseil scientifique l'a redit à plusieurs reprises. Nous ne pouvons pas tout fonder sur le vaccin, il faut aussi un certain nombre de mesures individuelles de protection, faisant appel à une forme de régulation citoyenne, comme nous l'avons écrit dans notre dernier avis.
Le passe vaccinal arrive-t-il à contretemps ? Je ne le pense pas, au vu de la situation sanitaire. En effet, si nous observons le tout début d'une décrue d'Omicron, en termes de niveau de contamination, le nombre d'hospitalisations classiques continue d'augmenter, avec un noyau dur de 3 700 lits de soins continus, ce qui est très important. Il est urgent de protéger le système de soins. Pour l'instant, donc, le passe vaccinal m'apparaît être un élément de réponse cohérent - non pas suffisant, mais cohérent - à la situation sanitaire.
Le conseil scientifique se préoccupe-t-il de l'allégement des contraintes ? Est-il intéressé par les libertés publiques ? Je suis un citoyen comme vous. Évidemment, la restriction des libertés individuelles m'interpelle. Mais je comprends qu'elle a pour but le respect de notre liberté collective, celle du vivre-ensemble. Je suis aussi le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)... Il est donc bien évident que l'enjeu des libertés individuelles m'émeut. Toute ma vie, je garderai en tête ce qui s'est passé dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en mai et juin 2020, c'est-à-dire après le premier confinement. Au nom de la santé, on a probablement laissé passer de l'humanité. Cette question m'interpelle profondément.
Je sais, aussi, qu'il est toujours plus facile, comme en médecine, de prescrire de la restriction que de la liberté. Heureusement que vous êtes là pour nous interpeller sur ce point !
Au fond, la meilleure réponse à votre question sera de relire la dernière phrase de plusieurs de nos derniers avis : « Le conseil scientifique rappelle une nouvelle fois que les dispositions encadrant le passe vaccinal devront être appliquées en cas de besoin avec cohérence et proportionnalité et tenir compte au cours du temps d'une possible amélioration de la situation sanitaire. »
Nous devrons, en effet, nous interroger sur la levée des restrictions. Pour l'instant, ce n'est pas le moment. Et n'oubliez pas qu'en octobre dernier, nous avons souhaité aller vers de la liberté, et que nous sommes tombés sur deux variants.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Quels sont les critères de sortie du passe vaccinal ? Y a-t-il un nombre de lits de soins critiques à franchir à la baisse ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - On disait au début que le vaccin protégerait des contaminations, qu'il diviserait par dix. Or nous connaissons tous des personnes qui ont reçu trois doses et sont contaminées. Comprenez-vous, dès lors, qu'il soit compliqué pour nos concitoyens de comprendre qu'on puisse prendre le train avec un passe vaccinal, alors même qu'on est peut-être positif sans le savoir, car asymptomatique, quand le passe sanitaire aurait imposé, en l'absence de vaccin, de se faire tester ?
Le rapprochement des doses inquiète, aussi. Après les deux premières, on a obtenu un passe sanitaire. Il fallait ensuite une troisième pour le passe vaccinal, et l'on parle désormais d'une quatrième, le tout avec des intervalles entre les doses qui se réduisent sans cesse. C'est tout à fait différent de ce qu'on a connu avec les autres vaccins, y compris celui de la grippe.
Comment le président du CCNE que vous êtes réagit-il aux propos selon lesquels on devrait faire participer les non-vaccinés à la prise en charge des soins ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - Je vais commencer par votre dernière question : je pense qu'avoir tenu de tels propos est une erreur. Vous savez comme moi que les soignants, et notamment - mais pas seulement - ceux qui sont en soins intensifs, sont dans une situation extrêmement tendue. Ils sont fatigués, et tout le système de soins est en difficulté, pour de multiples raisons, qui n'ont pas toutes commencé avec la crise sanitaire. Après deux ans, d'ailleurs, nous ne pouvons plus parler de crise.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Oui, c'est devenu un mal chronique.
Professeur Jean-François Delfraissy . - Évidemment, nous devons préserver notre système français de soins, ouvert, et ne pas réclamer qu'on fasse payer aux non-vaccinés tout ou partie de leur traitement. Après tout, on ne parle pas de faire payer le traitement d'un cancer du poumon à quelqu'un qui a fumé toute sa vie, ni les soins qu'on prodigue après un accident aux gamins qui se plantent sur le périphérique... Personne, à mon avis, ne pense sérieusement cela parmi les médecins et les réanimateurs. Je sais qu'il est parfois difficile de prendre en charge les non-vaccinés et leurs familles, mais nous sommes médecins, c'est notre métier, nous avons une déontologie, la question ne se pose pas : les non-vaccinés sont des citoyens comme les autres !
Mme Catherine Deroche , présidente . - Et ils ne sont pas dans l'illégalité...
Professeur Jean-François Delfraissy . - Pour autant, nous devons les pousser à se faire vacciner. À cet égard, le passe vaccinal est utile. Mais de là à ne pas rembourser les soins... C'est hors de question. Pour être clair, et qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, c'est hors de question pour la quasi-totalité des médecins.
Le conseil scientifique comprend-il la difficulté à faire passer le message sur les vaccins ? Oui, bien sûr. Je le vois bien dans ma propre famille, ou parmi mes amis : je ne suis pas déconnecté du monde, j'entends comme vous ce que pensent et disent les gens.
La difficulté est que l'évolution des connaissances est très particulière dans cette pandémie. Lors des pandémies antérieures, nous avions davantage de temps pour essayer de comprendre. Elles posaient d'ailleurs des problèmes similaires de méconnaissance et d'interprétation. Mais la temporalité ne se comptait pas en semaines ou en mois, mais en années. Ainsi, avec le VIH, nous avons connu une période extrêmement compliquée où l'on ne comprenait pas si être séropositif, c'était être protégé, ou non. Nous y avons mis le temps, mais nous avons résolu la question.
Il est vrai qu'on a cru un moment que le vaccin protégeait contre les formes sévères et les formes graves, et qu'il protégerait contre les infections. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Il protège contre les formes sévères et les formes graves, en particulier après une troisième dose et chez les populations les plus âgées, mais la protection contre l'infection est relativement labile. Il protège, tout de même : après une troisième dose, pendant une période de trois mois, on est protégé contre la transmission. Mais nous avons tous vu autour de nous des personnes ayant reçu une troisième dose et qui ont attrapé Omicron... C'est compliqué, je vous l'accorde, de faire passer à nos citoyens l'idée que les vaccins, qui protègent très clairement contre les formes sévères et les formes graves, ne protègent pas très bien contre la transmission.
Je donne assez peu d'interviews en ce moment parce que je pense qu'il faut se calmer. Mais j'ai été amené à parler, même si un professeur de médecine ne devrait jamais dire cela, d'une forme de vaccin-médicament.
Sur quels critères recommanderons-nous la levée des restrictions ? Je ne vous répondrai pas, car je ne sais pas. Nous devons prendre un peu de temps. La situation hospitalière et les chiffres qui la décrivent seront le nerf de la guerre, je pense : taux d'occupation des lits en soins intensifs et en réanimation, évolution des hospitalisations classiques et, aussi, nombre de contaminations. Bien sûr, à 300 000 ou 400 000 contaminations par jour, ce dernier ne veut pas dire grand-chose. Mais s'il redescend autour de 50 000 ou 100 000, ce qui nous permettra de reprendre une stratégie « tester, tracer, protéger », et qu'on voit brutalement repartir la cinétique de contamination, cela voudra dire quelque chose.
Un autre critère, bien sûr, sera l'acceptabilité des mesures par nos concitoyens, qui est fondamentale depuis le début de la crise. Pour l'instant, les Français ont accepté des choses extraordinaires. Jusqu'à quel point ? À cet égard, l'explication vis-à-vis de nos concitoyens est vitale.
Mme Annick Jacquemet . - Vous avez évoqué des données recueillies dans plusieurs Ehpad à Lille et montrant, chez des patients vaccinés au mois de septembre, une profonde diminution du nombre d'anticorps début janvier, ce qui suggère une baisse de l'efficacité du vaccin après la dose de rappel. Lors d'une précédente audition, on nous avait dit qu'il n'y avait pas de rapport entre le taux d'anticorps et la protection conférée par le vaccin. Ai-je mal compris ?
Certains médecins se demandent si l'administration de plusieurs doses de vaccin, à intervalles rapprochés, ne favoriserait pas le déclenchement éventuel de maladies auto-immunes. Qu'en pensez-vous ?
M. René-Paul Savary . - Parmi les critères pour supprimer le passe sanitaire, la résorption des déprogrammations a-t-elle une place ?
Professeur Jean-François Delfraissy . - Les déprogrammations sont un problème très important. Nous le disons bien dans notre dernier avis, où elles figurent comme un enjeu majeur de ce printemps. Nous commençons à disposer de données en France, qui nous permettront d'avoir une vision plus précise que les propos habituels sur la santé mentale ou les dépistages du cancer, souvent contrebalancés par, ceux sur la diminution du nombre d'accidents de la route, ou l'accroissement de la qualité de l'air dans les villes.
Or je viens de recevoir une série de données, qui viennent de l'Institut national du cancer, de Santé publique France, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), et de l'école de santé publique de Rennes. S'y ajoutent aussi quelques données d'origine étrangère. Nous commençons donc à disposer de bases solides et scientifiques. Seul bémol : toutes les données concernent l'année 2020. Or le conseil scientifique craint que la nature des déprogrammations n'évolue en 2022 : à mesure que l'impact sur la réanimation diminuera, et que celui sur les hospitalisations augmentera, nous aurons davantage de déprogrammations médicales que de déprogrammations chirurgicales. Déjà, on observe une tension dans les hôpitaux entre les différentes équipes. Des chirurgiens veulent opérer, avec raison, des patients qui en sont à leur deuxième ou troisième déprogrammation, des médecins veulent disposer de leur cycle de chimiothérapie, ou de prise en charge de maladies auto-immunes...
Mon sentiment, en tant que médecin, est qu'il n'y a pas eu de drame dans la prise en charge oncologique, par exemple, où le travail a été accompli, mais qu'il y a eu des retards sur certains grands examens radiologiques, sur les coloscopies, bref sur tout ce qui tourne autour de la prévention et du dépistage. Le système français, quoi qu'on dise, est solide.
Les déprogrammations sont un bon critère, vous avez raison, mais comment les mesurer ? Pour l'instant, je ne sais pas.
Vous avez raison, une première étude, menée par des équipes lilloises, montrait que des personnes âgées vaccinées en septembre avaient des niveaux d'anticorps bas en janvier. Cela ne signifie pas qu'elles ne sont pas protégées : on ne parle plus des Ehpad pour le covid-19... Grâce au niveau de vaccination extraordinaire dont leurs résidents ont bénéficié, une immunité de type T les protège en partie, mais pas contre la transmission. En tout cas, la protection contre les formes sévères et les formes graves semble tenir. C'est une question que je suis avec une particulière attention : n'étant pas encore dans un Ehpad, mais ayant déjà un certain âge, j'ai été vacciné contre la troisième dose début septembre, et je me suis demandé s'il ne fallait pas envisager une quatrième dose.
Le comité d'orientation de la stratégie vaccinale a considéré que nous ne disposions pas de données suffisamment solides pour le préconiser. Nous ne disposons pas encore, notamment, des données israéliennes, et il ne faudrait pas créer de la confusion. Nous verrons pour la suite en fonction de l'évolution de la situation.
Oui, toute vaccination peut, indirectement, chez un sujet génétiquement prédestiné à faire une maladie auto-immune, être un facteur qui joue un rôle. De même, un certain nombre de lupus surviennent après exposition au soleil pendant l'été, après une prise d'oestroprogestatifs. Le vaccin peut être source de stimulation immunitaire et, quand on est génétiquement prédestiné, il peut déclencher une auto-immunité. La répétition des doses accroît-elle le risque ? Je ne sais pas. Nous n'avons jamais vacciné de façon répétée comme nous le faisons actuellement. Ce que je sais, c'est que ces vaccins protègent de façon très significative, solide et durable contre les formes sévères et les formes graves. À titre personnel, donc, je continuerai à me faire vacciner si cela me protège contre une forme sévère et contre une forme grave : dans le rapport bénéfice-risque, cela me semble un élément essentiel.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est peut-être moins vrai pour les jeunes... Merci beaucoup, et à bientôt !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition du Pr Arnaud Fontanet, épidémiologiste à
l'Institut Pasteur
et membre du conseil scientifique, de M. Simon
Cauchemez, responsable du laboratoire de modélisation
mathématique des maladies infectieuses
de l'Institut Pasteur et
membre du conseil scientifique, et de Mme Vittoria Colliza, directrice de
recherche à l'institut Pierre-Louis d'épidémiologie
et
de santé publique de l'Inserm
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin le professeur Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur et membre du conseil scientifique, M. Simon Cauchemez, responsable du laboratoire de modélisation mathématique des maladies infectieuses de l'Institut Pasteur et membre du conseil scientifique, et Mme Vittoria Colizza, directrice de recherche à l'institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Cette mission d'information n'a pas vocation à refaire le débat sur le passe vaccinal. La question a été tranchée par le Sénat, qui l'a adopté à une large majorité.
Il s'agit plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté quelques semaines plus tard, alors que nous avons en quelque sorte changé d'épidémie.
Notre objectif de ce jour, conformément à la trame qui vous a été remise, est triple. Il porte à la fois sur la méthode et les résultats de ces modélisations, mais aussi sur leur impact sur les prises de décision.
Le passe vaccinal a en effet été décidé sur le fondement de modélisations réalisées en décembre. Vous pourrez nous indiquer en quoi, rétrospectivement, les observations ont pu différer des modélisations et ce qui explique ces écarts.
Enfin, nous sommes évidemment très désireux que vous nous exposiez vos anticipations sur la période à venir.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Vittoria Colizza, M. Simon Cauchemez et le professeur Arnaud Fontanet prêtent successivement serment.
M. Simon Cauchemez, responsable du laboratoire de modélisation mathématique des maladies infectieuses de l'Institut Pasteur et membre du conseil scientifique . - La modélisation est un processus dynamique, qui évolue à mesure que de nouvelles données apparaissent.
C'est en mai-juin 2021 que nous avons commencé à modéliser ce qui se passerait à l'automne, avec une population partiellement vaccinée.
Nos modélisations ont montré qu'une couverture vaccinale très élevée serait nécessaire - un taux de 70 %, par exemple, ne suffirait pas à contrôler l'épidémie. La question des moyens d'assurer cette couverture relève non pas de la modélisation, mais du champ du politique, avec la contribution des sciences sociales. Les modèles montraient simplement un besoin de couverture très élevée.
Comment maximiser le contrôle de l'épidémie tout en minimisant les contraintes pour la société ? Si une partie de la population contribue davantage aux infections et aux transmissions, la cibler par des mesures spécifiques peut permettre de maximiser le contrôle, tout en réduisant les contraintes sur l'ensemble de la société.
Appliqués au covid, nos modèles ont montré que demander à tous les Français de réduire leurs contacts de 20 % aurait le même résultat que de demander la même chose aux seuls non-vaccinés. Ces questions débordent naturellement le domaine de la modélisation.
Enfin, sur la foi de ces modélisations, nous nous attendions, dans une population dont les adultes sont bien vaccinés, à ce que les enfants contribuent davantage à l'épidémie qu'au cours des vagues précédentes, car ils sont moins protégés.
Durant l'été, il est apparu que la couverture vaccinale serait plus élevée qu'attendu ; en revanche, l'efficacité du vaccin contre l'infection diminuait au cours du temps.
Aux mois de septembre et octobre, l'effet bénéfique des mesures ciblées s'est confirmé, mais la diminution de la protection assurée par le vaccin dans le temps aussi : nous avons donc souligné la nécessité que les personnes vaccinées continuent à respecter les gestes barrières.
À l'automne, nous avons commencé à prendre en compte dans nos modèles la décroissance de l'immunité assurée par les vaccins, ce qui est une tâche assez complexe. Nous avons ainsi pu évaluer l'efficacité, face à la vague Delta, d'une stratégie fondée sur les doses de rappel.
C'est au mois de novembre, alors que nous pensions être parvenus à des modélisations assez abouties, qu'est arrivé le variant Omicron, véritable extraterrestre. Le nombre de cas doublait tous les deux jours, ce qui est un rythme jamais observé, même au cours de la première vague.
Nous nous attendions donc à des centaines de milliers d'infections en janvier, ce qui nous a conduits à donner l'alerte sur les problèmes de ressources humaines que cela pourrait entraîner. L'impact sur le système de santé était plus incertain : très rapidement sont apparus des signes d'une moindre sévérité, mais nous ne savions pas dans quelle mesure. Il en résultait une grande incertitude, avec une palette très large de scénarios en fonction de la sévérité d'Omicron.
Avec une ou deux semaines de recul supplémentaires, nous avons pu produire de nouvelles projections, en mettant en avant certains scénarios qui se sont révélés assez proches de ce qui s'est passé.
Avant la pandémie, les échanges entre équipes de modélisateurs étaient peu nombreux ; il est vrai qu'un nombre limité d'équipes travaillaient sur le sujet. Ils se sont considérablement renforcés pendant la pandémie : ainsi nous échangeons toutes les semaines avec l'équipe de Vittoria Colizza.
Dès 2020, un groupe d'échanges informel d'équipes travaillant sur la modélisation du covid-19 s'est constitué. Ce groupe s'est aujourd'hui structuré dans une action coordonnée de l'ANRS-Maladies infectieuses émergentes, qui couvre la modélisation des maladies infectieuses en général. L'objectif est de créer une communauté forte dans cette discipline, et de faciliter les collaborations au sein de cette communauté, mais aussi avec les autres acteurs.
Mme Vittoria Colizza, directrice de recherche à l'Institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique de l'Inserm . - Nous utilisons, pour nos modélisations, les données de mobilité issues d'Orange, avec le traçage des téléphones mobiles, et les données de contact grâce à une collaboration avec Facebook. Une épidémie se propage, par définition, sur un tissu social ; d'où l'intérêt d'étudier comment évoluent les contacts et les mobilités, par exemple pendant les vacances scolaires.
Lors de la vague Alpha, au printemps 2021, nous avons ainsi étudié les réductions de mobilité induites par les restrictions, pour évaluer l'impact épidémiologique et sanitaire des limitations des libertés individuelles, en relation avec les données fournies par Santé publique France. À cette époque, la vaccination en était à ses débuts, et le rythme de vaccination était un élément important dans le modèle.
Entre le mois de juin et début juillet, nous avons mis en place un modèle reposant sur les contacts de l'été précédent, avec l'hypothèse qu'ils seraient les mêmes en 2021. Nous savions déjà que le variant Delta se propageait rapidement ; les modèles ont permis d'anticiper une vague d'ampleur si le rythme de la vaccination n'était pas accéléré.
Les données nous ont également permis d'anticiper l'invasion spatiale du variant Delta.
Au début de l'été, les flambées épidémiques étaient cantonnées à certains départements. Sur la base des déplacements observés l'année précédente, d'une estimation de l'immunité acquise dans chaque département, des données de vaccination en première et deuxième doses selon les tranches d'âge, des caractéristiques connues du variant, nous avons développé une anticipation des risques de flambée épidémique pendant l'été. Dans le Sud et le Sud-Est, il y avait un sur-risque à cause d'une immunité acquise moindre et des déplacements estivaux. A posteriori , c'est ce qui a été observé, avec une variation dans l'impact épidémique de la vague en fonction les départements, à cause de l'immunité acquise, mais aussi de taux de vaccination très inégaux.
De juin à aujourd'hui, nous avons développé un modèle de l'impact de l'épidémie en milieu scolaire. Les enfants ne sont pas encore massivement vaccinés, et avant l'été 2021, c'était également le cas des adolescents. Nous avons étudié la propagation du virus en milieu scolaire, et évalué plusieurs protocoles de sécurisation des écoles, en comparant leur efficacité avec celle de la vaccination. Nous avons fourni ces résultats au Sénat.
Nos projections étaient fondées sur les premières estimations de l'efficacité vaccinale sur les adolescents. Nous avons conclu que la couverture vaccinale assurait une protection collective en milieu scolaire : en plus de protéger les individus contre les formes graves, elle a un impact sur la circulation virale. Ces conclusions ont évolué avec les éléments sur la baisse de l'efficacité vaccinale dans le temps et l'arrivée des nouveaux variants. Nous estimons en ce moment l'impact des protocoles en place contre Omicron.
Nous utilisons pour les modélisations les données de contact, de mobilité, les données issues de la surveillance épidémiologique et sanitaire et les données de vaccination. C'est ce qui nous permet de bien décrire la propagation des variants. Nous avons aussi besoin d'estimations du temps qui s'écoule entre une première infection et la suivante, de la période d'incubation, qui, de la souche historique à Omicron, n'a cessé de se réduire, ce qui a un impact sur la rapidité d'évolution de l'épidémie. Nous utilisons aussi des estimations sur la transmissivité, la contagiosité des variants, et l'évasion immunitaire, c'est-à-dire leur capacité à échapper à l'immunité acquise par une infection précédente ou par la vaccination. Omicron présente notamment une capacité d'évasion immunitaire plus élevée que les précédents variants.
Enfin, nous prenons en compte la gravité, à travers le taux d'hospitalisation par tranche d'âge, ainsi que l'efficacité de la vaccination. Sur ce dernier point, l'évaluation est très dynamique, le rapport entre le vaccin hôte et le variant évoluant au cours du temps en fonction de l'immunité acquise, mais aussi du variant lui-même. À l'été 2021, les premiers résultats venus d'Israël et du Royaume-Uni montraient une perte d'efficacité du vaccin dans le temps, mettant ainsi en évidence la nécessité d'une troisième dose.
L'incertitude de ces modèles provient d'abord des comportements humains : c'est le tissu social qui détermine la propagation de l'épidémie. Or il est difficile de prévoir comment la population répond à une situation épidémique qui évolue ; c'est pourquoi nous nous appuyons sur des tendances observées dans le passé pour construire des hypothèses plausibles.
À son arrivée, un variant présente de nombreuses inconnues en termes de gravité et de transmissivité notamment. Ses caractéristiques sont dégagées au fil du temps, ce qui fiabilise les modèles.
Enfin, il faut citer l'incertitude sur l'efficacité vaccinale, qui nécessite de construire un historique sur une période assez longue pour mettre en évidence, par exemple, une décroissance dans le temps.
Les scénarios établis sont des projections sur la base de nos hypothèses de départ. Nous partons des conditions existantes, en termes de comportement, de vaccination. Nous considérons aussi les déviations, avec des hypothèses plausibles qui nous permettent d'envisager plusieurs scénarios.
Ces modélisations fournissent un portfolio de possibilités pour l'aide à la décision.
Nous revenons aussi sur les projections du passé, en faisant des comparaisons entre ce qui a été projeté par le modèle et ce qui a été observé. Cela nous permet d'améliorer la modélisation dans les étapes suivantes.
J'ai apporté une expertise ponctuelle au conseil scientifique, sollicitée sur des questions spécifiques relatives à la vaccination, à l'impact des mobilités, à la propagation dans les écoles, à l'invasion spatiale. Depuis le début de la pandémie, nous tenons des réunions toutes les deux semaines avec Santé publique France pour partager nos travaux en cours, mais aussi pour mettre en évidence les points les plus importants à aborder.
Nous avons des réunions hebdomadaires avec le cabinet du ministre des solidarités et de la santé, afin de fournir des modélisations utiles aux décideurs publics.
Nous avons été auditionnés plusieurs fois par la Haute Autorité de santé (HAS) sur la vaccination, plus précisément la priorisation des campagnes et la stratégie de vaccination réactive et, en décembre 2021, sur la vaccination des enfants. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les modèles réalisés par Simon Cauchemez.
Enfin, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) nous a auditionnés sur la vaccination des enfants, également en décembre 2021.
En juin dernier, nous avions réalisé, pour le compte de la mission commune d'information du Sénat chargée d'évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités, deux études sur la vaccination, avec des scénarios sur son impact pour les populations et les établissements scolaires à l'automne 2021.
Nos rapports techniques, nos papiers, nos pré- print avant revue d'experts sont mis à la disposition du public sur le site internet du laboratoire.
Pr Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur et membre du conseil scientifique . - Nous disposons pour le moment d'éléments assez ténus sur l'efficacité du passe sanitaire.
La vague Delta est arrivée en mai-juin 2021, entraînant un pic épidémique pendant l'été, autour du 19 juillet où le taux de reproduction (R) a atteint 2,1. La transmission a ensuite diminué, le R passant en dessous de 1 dans la première quinzaine d'août.
Le facteur déterminant dans la propagation du virus a été la réouverture des lieux publics, le virus se transmettant surtout chez les plus jeunes. L'Euro de football y a aussi contribué, par les rassemblements qu'il a suscités : se rassembler devant un match, dans des lieux fermés, souvent en chantant et en criant, se traduit par des transmissions importantes. L'étude ComCor a ainsi documenté, entre le 9 juin et le 9 juillet, soit la période de l'Euro, des risques très élevés dans les soirées en intérieur, dans les bars en intérieur, chez les moins de quarante ans et chez les hommes.
Dans les lieux de réunion, aucun sur-risque n'a été observé après l'introduction du passe sanitaire, mais il est difficile de dissocier son effet des mesures générales d'aération et de distanciation prises dans ces lieux. Dans les discothèques, le risque de transmission a toujours été plus élevé pendant leur période d'ouverture.
Il est difficile d'évaluer l'effet du passe sanitaire parce que la vague Delta était déjà en reflux au moment de son introduction. Les mesures d'aération, la sécurisation ont aussi joué un rôle.
À l'automne, la vague Delta a repris, un peu plus tardivement chez nous que chez nos voisins. Dès le mois de novembre, le risque a à nouveau augmenté chez les moins de quarante ans, dans les bars, dans les trains. En revanche, nous n'avons pas vu reprendre la circulation du virus dans les restaurants : soit grâce à de meilleures conditions d'aération ou à des mesures de distanciation, soit grâce au passe sanitaire.
Dans le cadre de l'étude ComCor, les personnes diagnostiquées positives dans la base SI-DEP reçoivent un courriel de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) leur demandant, s'ils souhaitent participer à l'étude, de renseigner un ensemble de variables d'environnement : famille, enfants scolarisés, etc . Ces données sont ensuite comparées à celles d'un groupe témoin au profil similaire fourni par Ipsos. Cela nous permet ensuite de déterminer si certains lieux sont davantage fréquentés par les personnes infectées.
Nous sommes conscients des limites de cette étude. Néanmoins, à la lumière d'une comparaison avec les résultats de la littérature internationale, les éléments de conclusion que j'ai cités paraissent plausibles au regard de ce que nous connaissons de la transmission du virus. Aucune autre étude ne permet de déterminer l'effet du passe sanitaire.
Théoriquement, le fait de limiter l'accès à certains lieux à risque aux personnes vaccinées ou testées négatives doit réduire le risque de transmission. Il faut cependant tenir compte des faux négatifs, des faux passes, de la perte d'efficacité du vaccin dans le temps.
Mais il existe un autre élément d'appréciation du passe sanitaire : a-t-il incité à la vaccination ? Là encore, nous avons peu d'éléments de réponse. Un groupe d'économistes dirigés par Miquel Oliu-Barton a tenté de quantifier l'évolution de la couverture vaccinale à partir de l'annonce du passe sanitaire. Un simple examen des courbes de contamination le laisse supposer. L'équipe de Miquel Oliu-Barton a évalué à 13 le nombre de points gagnés dans la couverture vaccinale. Avec ses projections sur la théorie de la diffusion de l'innovation et des comparaisons avec des pays voisins qui n'ont pas mis en place le passe sanitaire, c'est à ma connaissance l'étude la plus fouillée sur le sujet.
Grâce à ces 13 points, le nombre d'hospitalisations aurait baissé de 32 000 entre fin juin et fin décembre 2021, ce qui aurait permis d'éviter 4 000 décès. L'impact sur le PIB a été estimé à 0,6 point, soit 6 milliards d'euros. Ces résultats sont disponibles en ligne. J'ai participé à l'étude à titre consultatif, notamment sur la construction du modèle.
Nous ne disposons pas d'une évaluation de l'impact du passe vaccinal. Nous passons notre vie à douter et à tenter d'améliorer nos modèles. Merci d'envisager notre travail, qui repose sur les seules données à disposition, avec indulgence.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci pour ces présentations très fouillées et pour votre conclusion, qui contraste agréablement avec les discours pétris de certitudes qu'on entend souvent sur les plateaux de télévision...
M. Olivier Henno , rapporteur . - Nous cherchons à comprendre sur quels fondements la décision de passer du passe sanitaire au passe vaccinal a été prise. Y a-t-il des projets de modélisation de l'impact de ce changement ?
Le ciblage de la vaccination sur les personnes fragiles, avec comorbidités, qui ont le plus de risques de se retrouver en soins critiques, n'a pas été envisagé. Savez-vous pourquoi ?
Y a-t-il des modélisations de la sortie du passe vaccinal ? Comme l'a dit le professeur Delfraissy, il est souvent plus facile de prescrire que de diminuer les doses...
M. Simon Cauchemez . - Nous n'avons pas de données pour le passe vaccinal. Je ne suis pas sûr qu'on en produise davantage. Nos modélisations sont assez conceptuelles : elles mesurent l'effet d'une diminution des contacts, mais n'évaluent pas précisément un outil donné.
Début 2021, dans une situation où le nombre de doses était limité, nous avions comparé différentes stratégies : fallait-il tout donner aux plus fragiles ou partager avec la population générale ? Nous avons relancé ce type d'études concernant le rappel.
Dans ce nouveau contexte, nous allons chercher à savoir s'il est préférable de cibler la vaccination des plus fragiles.
Nous nous posions déjà la question de la sortie au printemps dernier. Elle se pose de nouveau après l'énorme vague Omicron.
L'équilibre avec le respect des libertés publiques fait partie des préoccupations du conseil scientifique.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - À quelle fréquence êtes-vous sollicités par le Gouvernement et par quels canaux ? Transmettez-vous vos travaux au Gouvernement pour relecture avant publication ?
Quel regard portez-vous sur votre participation au débat public en général et comme appui à des décisions politiques ?
Vous nous avez indiqué qu'il était trop tôt pour analyser l'impact du passe vaccinal. Mais procéderez-vous à cette analyse ?
Pr Arnaud Fontanet . - Simon Cauchemez et moi participons au conseil scientifique. Son rôle a été d'anticiper avant tout l'impact de chaque vague sur le système hospitalier. Notre objectif principal à nous, professionnels du monde de la santé, est d'éviter que l'hôpital ne puisse plus admettre de patients ou qu'il doive en déprogrammer d'autres.
Les études de l'équipe de Simon Cauchemez ont consisté à déterminer l'impact en termes de saturation hospitalière non pas de telle ou telle mesure en particulier, mais de tel ou tel niveau de diminution des contacts.
Les travaux de Vittoria Colizza nous ont permis d'identifier les mesures susceptibles d'atteindre ces niveaux de diminution. Pour vous donner des ordres de grandeur, la situation actuelle correspondrait environ à une diminution des contacts de 20 %, un couvre-feu à une baisse de 50 % et un confinement à 70 ou 80 %.
Notre travail, en tant que conseil scientifique, s'arrête là. Notre groupe est multidisciplinaire, mais le choix des mesures permettant d'atteindre cette diminution des contacts de 20 %, de 50 %, de 80 % ne dépend pas de nous, mais du Gouvernement, qui tient compte d'autres critères, comme l'économie, le moral des Français ou l'éducation des enfants.
L'apparition du variant Omicron nous a forcés à beaucoup travailler pendant les fêtes de fin d'année. Nous devions réunir le plus d'informations possible en un temps limité sur de nombreuses questions : en quelle mesure est-il moins virulent et plus transmissible que le Delta ? Quelle est l'efficacité du vaccin contre lui ? Nous avons dialogué avec nos collègues sud-africains, anglais et danois pour connaître leur vécu de scientifiques, mais aussi de cliniciens. Nous avons mis toutes ces informations dans des modèles pour présenter les scénarios les plus plausibles au Gouvernement.
En tant que chercheurs, nous avons des contacts avec le ministère de la santé de façon presque informelle, jusqu'à une fois par semaine en période de crise, un peu moins le reste du temps. Nous sommes également invités à des réunions avec des membres du cabinet du Premier ministre tous les trois mois environ.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - J'ai bien entendu vos doutes, vos incertitudes. Vous êtes une aide à la décision, mais celle-ci reste bel et bien politique.
Comment évaluer l'efficacité du passe vaccinal aujourd'hui et dans la durée ? Est-il pertinent de retenir le nombre de cas et de cas en soins intensifs pour choisir les outils de gestion de la crise ? C'est ce critère qui avait été retenu pour déterminer la sortie des confinements.
Le passe vaccinal, qui avait été imaginé fin 2021 pour lutter contre le variant Delta, est-il adapté à la situation actuelle, où prédomine le variant Omicron ?
Que sait-on du sous-variant BA.2 ?
Pr Arnaud Fontanet . - L'évaluation du passe vaccinal se heurtera aux mêmes obstacles que celle du passe sanitaire : il y a toujours d'autres variables telles que l'aération, la distance physique, le changement de comportement des consommateurs dans les bars et les restaurants... Mais le fait d'interdire l'accès de personnes infectées à certains lieux est a priori une bonne chose.
Le passe vaccinal a aussi un effet d'incitation à la vaccination - l'étude de Miquel Oliu-Barton l'a montré. Existerait-il des modèles plus efficaces de ce point de vue ? N'étant pas spécialistes des sciences comportementales, il nous est difficile de répondre.
Mais la vaccination est un progrès, y compris contre la transmission du virus. Six mois après la deuxième dose, vous n'êtes plus protégé ; mais si vous faites le rappel, vous êtes protégé à 70 % contre Omicron. La protection reste de 50 % trois mois après.
La vaccination joue aussi un rôle majeur dans la protection contre les formes sévères : un mois après votre première dose, vous divisez par deux le risque de forme grave ; un mois après la deuxième dose, vous le divisez par trois ; et après le rappel, vous le divisez par dix ! Tout ce qui pourra être fait pour obtenir la meilleure couverture vaccinale possible avec des rappels à jour est donc essentiel.
Car oui, nous aurons de nouveaux variants. Le variant BA.2, sous-variant d'Omicron, est plus transmissible ; nous n'avons pas d'élément pour penser qu'il serait plus sévère, mais le plus grand nombre de transmissions entraînera mécaniquement un plus grand nombre de cas graves. Il circule très peu sur le territoire français, sauf en Nouvelle-Aquitaine. Malheureusement, l'expérience de nos voisins indique qu'il pourrait rapidement se répandre : la Grande-Bretagne a beau avoir connu une vague Omicron très importante, le BA.2 y circule aujourd'hui beaucoup.
On peut espérer qu'il n'y aura pas de nouvelle vague. Le pic des cas a été constaté le 24 janvier. Or on considère qu'il y a un décalage de cinq jours entre la contamination et sa constatation par un test : trois jours et demi pour voir apparaître des symptômes et un jour et demi pour se faire tester. Le pic réel de contamination a donc eu lieu le 19 janvier, celui des hospitalisations le 28 janvier. Nous sommes donc dans une période encore très fragile de diminution. Nous avons toutes les raisons d'espérer que cela va continuer en février. Mais on peut craindre que BA.2 ne la rende moins longue qu'escompté.
Mme Vittoria Colizza . - Une étude danoise publiée il y a deux jours sur plus de 8 000 foyers infectés par BA.1 et BA.2 estime ce dernier 30 % plus contagieux que BA.1. Sa capacité d'échappement immunitaire n'est pas encore analysable avec les données disponibles.
Ce variant aurait été responsable d'une augmentation très rapide du nombre de cas après un plateau au début de janvier.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Une étude publiée dans The Lancet fait état d'écarts de taux d'infection entre différents pays pour beaucoup inexpliqués, un critère important étant la confiance dans le Gouvernement... Cela semble étrange, mais comme c'est publié dans une revue sérieuse... Pouvez-vous nous en parler ?
Nous avons bien compris ce qui a motivé la décision du Gouvernement : comme la vaccination obligatoire était trop compliquée à contrôler, il a choisi une autre manière de contraindre davantage les non-vaccinés... Même s'il est difficile ensuite d'expliquer à la population que des vaccinés peuvent se contaminer...
La couverture vaccinale va progresser, mais elle n'atteindra pas 100 %. Avez-vous identifié un seuil au-delà duquel elle est suffisante ? Avez-vous déterminé un seuil de saturation des hôpitaux ? Ce qui manque, c'est moins les lits que le personnel. Beaucoup de soignants ont quitté l'hôpital.
M. Alain Milon . - Malgré votre expertise incontestable et incontestée, le parcours décisionnel a été chaotique, voire frileux, passant d'une vaccination conseillée au passe sanitaire et finalement au passe vaccinal.
Avez-vous demandé au Gouvernement de mettre en place une obligation vaccinale ? Trop d'expertise n'entraîne-t-elle pas la frilosité ? Dans les médias, avons-nous assisté à une guerre des ego ? Puisque nous pourrions arriver à la fin de l'épidémie : si c'était à refaire, referiez-vous tout de la même façon ?
Mme Florence Lassarade . - Merci pour votre expertise qui nous éclaire.
On constate souvent des discordances entre test PCR, antigénique et autotest. Un test positif pourrait décaler la deuxième dose, puis le rappel. Or on ne peut pas comptabiliser un autotest positif dans l'obtention du passe vaccinal.
Les enfants ne sont pas concernés par le passe vaccinal. Mais ils sont un réservoir dont on ne parle pas. Abandonne-t-on la vaccination des enfants ? Ce sont pourtant eux qui sont le plus soumis aux tests : quasiment tous les jours ! Combien de temps une infection protège-t-elle ?
M. Alain Duffourg . - Personnellement, j'étais pour la vaccination obligatoire, celle-ci étant la meilleure façon de lutter contre la pandémie.
Que pouvez-vous nous dire sur l'avenir : y aura-t-il d'autres variants ? Nos compatriotes nous posent des questions à nous, les élus. Le traitement actuellement à l'étude pourrait-il être la meilleure façon d'en finir avec cette pandémie ?
M. René-Paul Savary . - Vous manquez de critères pour mesurer l'efficacité du passe vaccinal et imaginer sa suppression. Mais il y a de plus en plus de personnes vaccinées et de moins en moins d'hospitalisations. Dans combien de temps faudra-t-il le supprimer ? Faudra-t-il le faire par phases, en le maintenant, par exemple, pour les plus fragiles ? Avez-vous d'autres pistes ?
M. Jean Sol . - Quel délai y a-t-il entre la communication de votre expertise, la décision et la mise en oeuvre de celle-ci ? Quels modèles prédictifs sont-ils les plus performants ?
M. Simon Cauchemez . - Au printemps, nous avions oublié le concept d'immunité collective, et nous cherchions à déterminer le niveau de couverture vaccinale pour ne pas dépasser 1 000 hospitalisations par jour pour covid. Nous pourrions refaire tourner ces modèles. Aux politiques ensuite de trancher sur les seuils qui les intéressent.
Le conseil scientifique compte des experts en sciences sociales, mais cela sort de mes compétences : je peux dire que tel niveau est souhaitable, non quelle est la meilleure stratégie pour l'atteindre.
Je ne sais pas trop quoi vous répondre sur les guerres d' ego dans les médias.... Nous avons eu la surprise de voir nos résultats être utilisés dans un sens comme dans l'autre. Nous avons donc décidé de tout mettre en ligne et de communiquer pour nous assurer que notre interprétation des résultats soit diffusée.
Comment cette pandémie va-t-elle évoluer ? Nous sommes à 500 000 cas par jour ; il y a quelques mois, nous aurions pensé qu'un tel niveau signifiait la fin des temps. Mais l'hôpital tient. À terme, le niveau de protection contre les formes graves devrait permettre de vivre avec le virus. Omicron est un extraterrestre : on ne peut pas exclure de voir apparaître un variant plus sévère que lui. Mais la combinaison des vaccins et des infections par Omicron devrait nous protéger. Il y a de quoi être optimiste.
Des décideurs peuvent être frustrés par ce que nous leur disons : nous n'arrivons pas avec des mesures clé en main. Nous avons essayé de modéliser les effets de la fermeture des bars et des restaurants...
Il apparaît difficile d'évaluer l'impact en santé publique de mesures mises en oeuvre concomitamment.
Les modèles n'ont pas de traduction politique automatique, hormis les recommandations de la HAS s'agissant de la vaccination. Ils donnent un éclairage sur la situation.
Les décisions sont prises en fonction d'un faisceau d'éléments ; elles ne sont pas fondées sur un modèle unique.
Mme Vittoria Colizza . - Les travaux de modélisation fournissent un éclairage à la prise de décision au côté d'autres informations.
Madame la présidente, je ne connais pas les détails des articles de The Lancet auxquels vous avez fait référence.
À l'été 2021, une étude a été réalisée sur l'adhésion de la population aux mesures préventives dans plus d'une centaine de pays. Les résultats montrent une grande hétérogénéité : l'adhésion est plus forte dans les pays où la confiance interpersonnelle et le respect civique envers les autres sont élevés, sans lien avec la confiance portée aux autorités. Cela s'explique par le caractère collectif de l'épidémie.
Il apparaît difficile de communiquer des résultats durant une phase pandémique. La formation scientifique n'inclut pas de formation en communication. Il s'agit d'un métier différent. Toutefois, l'urgence a nécessité d'apporter des éclairages au grand public, conduisant à modifier les circuits traditionnels de communication entre les scientifiques et la population.
Le défi de ce type de communication demande d'éviter deux écueils : celui de l'hyper simplification qui peut conduire à un discours binaire - le vaccin n'est pas impuissant à freiner les infections : il limite le risque de 50 %, mais l'infection résultant de divers facteurs, les gestes barrière demeurent nécessaires - et celui des certitudes. La science, en effet, repose sur une évaluation continue des connaissances, même si je comprends que l'incertitude suscite des inquiétudes.
Nous avons beaucoup travaillé sur la vaccination des enfants. Avant l'été, nous avons évalué les différentes stratégies de contrôle de l'épidémie dans les écoles en comparant plusieurs protocoles de dépistage - réactif ou itératif - et en étudiant l'impact de la vaccination en fonction de plusieurs variants. Les résultats indiquent que l'intérêt d'un protocole dépend de l'objectif poursuivi. S'il s'agit de réduire la circulation du virus, mieux vaut vacciner et dépister régulièrement, comme cela se fait en Autriche, dans certains cantons suisses ou dans les collèges et lycées britanniques. Certes, la logistique liée à un dépistage itératif à l'école implique des contraintes opérationnelles, mais la méthode suisse, fondée sur des tests salivaires réalisés en classe, suscite une large adhésion de la population. La vaccination des enfants va au-delà d'un avantage individuel, car elle permet de réduire la circulation virale dans les écoles.
En Europe, le taux médian de vaccination des enfants s'établit à 14 %, mais certains pays affichent un taux de 40 %.
Pr Arnaud Fontanet . - Nous nous attendons à l'émergence de nouveaux variants ou à une reprise saisonnière de l'épidémie avec des variants existants. Aussi, un débat me semble nécessaire sur les critères qu'il convient de retenir pour mettre en oeuvre des mesures de freinage. Jusqu'à présent, nous utilisons le taux d'occupation des lits d'hospitalisation, mais il paraît difficile de fixer le niveau d'occupation acceptable pour la société. Qui doit décider ? Le choix du critère apparaît fondamental et vous avez, à cet égard, un rôle majeur à jouer dans le débat.
Nous serons confrontés régulièrement à cette problématique. Un autre critère pourrait s'attacher aux covid longs, même si la vaccination en réduit le risque.
Au Danemark, pays béni où les dirigeants font confiance aux scientifiques et la population aux dirigeants, un relâchement des mesures a été décidé, la capacité d'amortissement des hôpitaux ayant été jugée suffisante. Leur conseil scientifique s'appuie sur les échanges réguliers avec les citoyens. Pour la population, le critère prioritaire réside dans la capacité des hôpitaux à soigner les malades, bien avant la protection de leur propre santé.
M. René-Paul Savary . - L'évolution du nombre d'hospitalisations doit également être prise en considération.
Pr Arnaud Fontanet . - Comme le taux de remplissage des lits d'hospitalisation.
M. René-Paul Savary . - Vous ne m'avez pas répondu sur l'idée d'un passe vaccinal ciblé.
Pr Arnaud Fontanet . - Lorsqu'il s'agit de freiner la circulation du virus, les mesures de protection doivent être les plus larges possible. Quand elle devient moins critique, mais que le virus reste dangereux pour les plus fragiles, une vaccination ciblée, à l'instar de celle contre la grippe en automne, peut avoir un sens.
Nous pourrions nous retrouver dans une telle situation à l'avenir, même si les deux objectifs du passe vaccinal doivent être gardés à l'esprit. En effet, nous savons qu'il est illusoire de freiner la circulation du virus en isolant seulement une partie de la population.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de Mme Geneviève Chêne,
directrice
générale de Santé publique France
Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons ce matin la professeure Geneviève Chêne, directrice générale de l'Agence nationale de santé publique, Santé publique France.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que l'objet de notre travail est de vérifier que le passe vaccinal, un instrument conçu dans un contexte donné, celui du variant delta, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, alors que nous avons, en quelque sorte « changé d'épidémie » ; le tout, bien évidemment, dans un contexte d'incertitudes pour l'avenir que nous ne méconnaissons pas.
Nous voudrions comprendre ce matin, d'une part, comment l'agence Santé publique France intervient dans le processus de décision relatif au passe vaccinal, d'autre part, quelles sont ses analyses, compte tenu des caractéristiques actuelles de l'épidémie - un variant sensible au vaccin pour les formes graves, mais pas pour les contaminations - sur l'adéquation de cet outil à l'évolution de la situation épidémique.
Quel est, selon vous, parmi ceux que produit Santé publique France, l'indicateur principal à retenir pour en évaluer la pertinence ?
En santé publique, on considère généralement que l'adhésion des populations aux mesures est plus efficace que la contrainte. La progression fulgurante des contaminations à la covid nous a contraints à en passer par des mesures très restrictives. À quel moment estimez-vous que nous pourrions repasser à une stratégie de conviction en matière de vaccination ?
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite, madame la directrice générale, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Geneviève Chêne prête serment.
Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France . - Madame la présidente, mesdames, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Santé publique France a pour mission d'assurer la surveillance de l'état de santé de la population, de lancer l'alerte, de répondre aux besoins d'environnements favorables à la santé par la prévention et de concevoir des stratégies de réponses de santé publique, ainsi que de réponses aux crises sanitaires.
Depuis les premiers jours de janvier 2020, l'agence est donc particulièrement mobilisée dans la gestion de la crise sanitaire liée au covid 19. Dès le début de l'épidémie, notre priorité a ainsi été de renforcer notre système national de surveillance, qui est multisources, ce qui implique de traiter en routine des centaines de remontées quotidiennes, de publier les indicateurs fondés sur ces données, de les rendre accessibles à tous dans des publications, des tableaux de bord, des analyses qui sont également rendus publics sur notre site, sur l'application TousAntiCovid et aussi, bien entendu, de publier l'ensemble de ces données consolidées en open data.
Notre priorité a enfin été d'analyser finement la situation à l'échelon territorial, en nous appuyant en particulier sur nos cellules régionales pour assurer la cohérence du système de surveillance en tout point du territoire.
Les objectifs de cette surveillance tirée des indicateurs sont triples : comprendre comment l'épidémie évolue en temps réel et évaluer son impact, surveiller les souches du virus qui circulent en France, contribuer à évaluer les mesures de freinage mises en place pour lutter contre l'épidémie. Sur cette base, l'agence produit en routine plus de 150 indicateurs spécifiquement sur le covid, qui sont produits à fréquence quotidienne ou hebdomadaire pour les pouvoirs publics, pour les décideurs et aussi pour tous les Français, pour suivre l'évolution des données de l'épidémie au jour le jour.
Ces données servent également à anticiper, puisque nous contribuons également aux travaux des modélisateurs (Institut Pasteur, Institut national de la santé et de la recherche médicale - Inserm) en alimentant leur modèle de projections.
Chaque jeudi soir, l'agence publie son point épidémiologique national hebdomadaire, qui fait l'analyse et la synthèse de tous les indicateurs qui couvrent la semaine précédente. Chaque vendredi, elle publie un point épidémiologique, qui est plus spécifiquement consacré à chaque région et qui fait écho à ce point épidémiologique national.
Notre rôle d'agence sanitaire est donc de mobiliser la connaissance et de mettre en perspective les données les plus pertinentes, en appui à la décision et à l'action. Cela ne signifie pas que nous intervenons sur la décision elle-même, notre mission consiste à fournir des données scientifiques fiables, consolidées et contextualisées pour éclairer la prise de décision et fournir des indicateurs qui permettent de suivre les impacts potentiels de cette décision.
Dans cette perspective, le passe vaccinal s'inscrit pour nous dans un ensemble : il fait partie d'une panoplie d'outils qui permettent d'agir sur le niveau de couverture vaccinale en encourageant la population à y adhérer. Ces mesures comprennent également tous les dispositifs d'« aller vers », qui permettent d'aider à se faire vacciner tous ceux qui peuvent exprimer soit un éloignement du système de soins, soit des réticences. Ces dispositifs s'intègrent dans une stratégie globale, qui associe des mesures de gestion de type contact tracing à la promotion des gestes barrières ou de la vaccination, dans l'objectif de freiner et de maîtriser l'épidémie.
C'est cette combinaison de mesures que l'agence considère pour évaluer leur impact sur l'épidémie.
Nous avons publié des évaluations d'impact de certaines mesures de freinage, par exemple les couvre-feux décidés dans certains territoires. Ces évaluations ont montré, d'une part, un impact lié aux moindres interactions entre les personnes à la suite de la mise en place du couvre-feu, d'autre part, un impact sur le comportement des Français concernés, qui avaient tendance à anticiper les mesures et à faire preuve d'une plus grande attention vis-à-vis de l'ensemble des gestes barrières.
Nous n'avons pas mené d'évaluation spécifique de l'impact du passe sanitaire, aujourd'hui vaccinal, mais nous publions chaque jour l'ensemble des indicateurs qui sont utiles à la surveillance de l'épidémie.
Je mentionne, enfin, des études mensuelles sur l'adhésion des Français aux mesures barrières ou à la vaccination, qui permettent aussi de suivre l'impact sur les comportements. Ainsi, au mois de mars 2020, nous avons lancé une étude CoviPrev, qui porte sur environ 2 000 personnes et qui suit notamment l'évolution des comportements des Français pendant l'épidémie de covid-19. Cette enquête est réalisée de façon récurrente, par vagues mensuelles, dont nous publions tous les résultats. Elle est enrichie régulièrement ; nous y avons intégré au mois d'août 2021 un module sur le passe sanitaire, dont les principaux résultats ont été publiés à partir du mois de septembre 2021 : il en ressort que le passe sanitaire a été relativement bien accepté, qu'il a un impact sur l'adhésion à la vaccination par les Français. La majorité des répondants avaient ainsi obtenu le passe sanitaire essentiellement parce qu'ils étaient vaccinés dans cette période ; cette proportion est passée de 80 % à 85 % entre fin août et fin octobre.
À la fin du mois de novembre dernier, pour quatre Français sur dix, le conditionnement du passe sanitaire à la dose de rappel a eu une influence sur le choix du rappel. Parmi ceux qui ne l'avaient pas encore fait, sept sur dix ont indiqué que ce serait incitatif - cette dernière proportion d'ailleurs est un peu en baisse en janvier, autour de 60 %. Enfin, 58 % des répondants à l'enquête qui a eu lieu fin décembre - début janvier ont indiqué être favorables à la mise en place du passe vaccinal.
Évidemment, c'est un éclairage plus qualitatif que les indicateurs de suivi de l'épidémie, mais il ne vaut pas évaluation.
Je me propose de partager avec vous quelques éléments de repères que nous publierons ce soir, puisque nous sommes jeudi, qui permettent d'illustrer les indicateurs clés que nous suivons.
À l'échelon national, le pic est passé. Faut-il en déduire pour autant que la vague est terminée et que l'épidémie est derrière nous ? Non. Dans ce dernier point épidémiologique national, nous observons un net ralentissement du taux d'incidence national, mais nous voyons aussi que le niveau de circulation de l'épidémie reste élevé - la semaine dernière, 3,8 % des personnes avaient une nouvelle infection -, avec des tendances contrastées selon les classes d'âge. Si le pic est globalement passé à l'échelon national, la tendance est néanmoins différente selon les régions, avec des reflux plus importants et en passe de se consolider en Île-de-France et en Corse, et en cours d'observation en Auvergne-Rhône-Alpes et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. De même, on constate une très nette amélioration dans les DROM, sauf à La Réunion, où l'on observe plutôt une stabilité.
À partir de cette situation, les principaux indicateurs que nous suivons de très près aujourd'hui sont variés.
Le premier indicateur porte sur les hospitalisations. Cela permet d'évaluer et d'anticiper l'impact sur le système de soins. Elles sont stables ou en hausse dans la plupart des régions de métropole, sauf en Île-de-France et en Corse où elles sont en diminution.
Le deuxième indicateur a trait aux décès hospitaliers. Ils augmentent de plus 9 % cette semaine, mais nous sommes dans la fin d'un épisode d'augmentation. Aujourd'hui, les décès touchent principalement les patients atteints par Omicron, ce qui montre que, s'il est globalement moins sévère, ce variant peut néanmoins être à l'origine de formes très graves.
Le troisième indicateur concerne l'évolution par classe d'âge. Nous voyons en effet émerger une hausse du taux d'incidence chez les plus de 60 ans, en particulier chez les plus de 70 ans.
Le quatrième indicateur que nous suivons tout particulièrement est relatif au taux de positivité, c'est-à-dire la proportion de personnes testées qui sont positives. Aujourd'hui, il est dans une moindre augmentation - un Français testé sur trois est positif -, mais il faudrait qu'il diminue vraiment.
Nous suivons également particulièrement les résidents au sein des établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS) et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), pour lesquels nous constatons des tendances à l'augmentation des cas.
Le variant Omicron a désormais remplacé le variant Delta à plus de 95 % parmi l'ensemble des nouveaux cas. Par ailleurs, notre surveillance intègre les sous-lignages, c'est-à-dire les sous-variants d'Omicron, en particulier le BA.2, qui peut se révéler plus contagieux, mais vraisemblablement pas plus sévère : si sa circulation est encore faible sur notre territoire - 2 % -, il progresse. Sa propagation pourrait contrarier l'évolution favorable en cours et conduire à une baisse moins forte de la courbe, à un plateau, voire à des augmentations géographiquement localisées. Il importe donc de surveiller les variants en raison de leur impact potentiel sur les indicateurs de l'épidémie et sur l'efficacité de la vaccination.
Les vaccins ont bien été le tournant dans la gestion de l'épidémie. Nous le voyons aujourd'hui avec le variant omicron, qui est extrêmement contagieux, avec des niveaux de contamination record, mais qui a un impact proportionnellement moins fort sur le système de soins par rapport aux vagues précédentes.
L'agence incite tous les Français, en particulier les plus vulnérables à l'épidémie, à se faire vacciner. C'est son leitmotiv.
Nous avons encore beaucoup à apprendre de ce virus. Il faut rester extrêmement humble à chaque étape, mais, sur la base d'études partagées en particulier à l'échelon international, nous savons que le vaccin protège des formes graves et que la dose de rappel permet une protection très efficace contre le virus. Aujourd'hui, la France dispose d'une très bonne couverture vaccinale, mais il existe encore des hétérogénéités selon les classes d'âge et les territoires. Il reste donc encore une marge de progression.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Quel est le rôle de Santé publique France ? L'agence a-t-elle participé à la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal ? Quelles données et recommandations a-t-elle transmises au Gouvernement pour qu'il prenne sa décision ?
À votre connaissance, à quel moment le Gouvernement a-t-il envisagé cette transformation en passe vaccinal, annoncée par le Premier ministre le 17 décembre dernier ? À quelle date les services de l'agence ont-ils été sollicités pour donner un éclairage au Gouvernement ?
En votre qualité de directrice générale, participez-vous au conseil de défense sanitaire organisé par la présidence de la République ? Êtes-vous associée, et sous quelle forme, aux travaux du conseil scientifique ?
Mme Geneviève Chêne . - Ces décisions sont des décisions de gestion.
L'agence fournit, selon un rythme régulier, l'ensemble des données et des indicateurs qui relèvent de sa mission. Il y a un flux continu de documentations et d'analyses, de partages et de remontées sur la situation de l'épidémie. En tant qu'agence scientifique, son rôle est de fournir l'ensemble de ces données, ainsi qu'un certain nombre d'enquêtes ou d'études, par exemple sur l'adhésion des Français.
L'agence ne reçoit donc pas de sollicitations spécifiques.
Participons-nous au conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) et sommes-nous présents à ses réunions ? Non. Nous fournissons un ensemble d'éléments, qui sont compilés au niveau du ministère des solidarités et de la santé. Nous sommes invités en qualité d'observateur aux réunions du conseil scientifique, qui s'appuie bien entendu sur l'ensemble de la documentation publique que nous produisons. Nous y sommes représentés le plus souvent par notre directrice scientifique, qui peut apporter le cas échéant un éclairage supplémentaire aux membres du Conseil.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Votre agence a-t-elle été spécifiquement interrogée sur l'intérêt de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal ?
Mme Geneviève Chêne . - Nous n'avons pas été saisis de ce sujet en particulier.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Lors de son audition, le directeur général de la santé nous a fait comprendre que la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal permettait de ne pas aller jusqu'à l'obligation vaccinale, complexe à mettre en place et à contrôler. Il s'agit néanmoins d'une décision importante, certes éminemment politique, mais qui mérite aussi d'être assise sur des bases scientifiques et statistiques. Si je comprends bien, vous avez fourni la matière, mais à aucun moment vous n'avez eu votre mot à dire sur cette décision...
Mme Geneviève Chêne . - Je le redis, nous n'avons pas été saisis spécifiquement de cette question. Notre rôle n'est pas de participer à la prise de décision, mais de documenter l'ensemble des aspects scientifiques relevant de notre compétence.
Mme Michelle Meunier , rapporteure. - Ce matin même, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) auditionnait de jeunes scientifiques. Même pour eux, il semblerait que l'accès aux données ne soit pas si aisé. Pouvez-vous détailler les modalités de collecte et de traitement des données destinées au suivi de l'épidémie et la manière dont celles-ci sont mises à la disposition du public, sur le principe de l' open data ? Quels sont à vos yeux les indicateurs les plus significatifs ?
Pourquoi avoir procédé, fin 2021, à des modifications qui ont empêché de suivre précisément la progression du variant omicron ?
Comment traitez-vous les données issues de la base hospitalière SI-VIC ? Pourquoi avoir attendu le 31 janvier pour distinguer les patients hospitalisés pour covid et ceux qui le sont pour une autre pathologie, mais avec le covid ?
Selon quels critères apprécier l'utilité du passe vaccinal ? Est-il possible d'isoler les effets de cet outil sur l'épidémie ?
Enfin, dans le cadre de votre mission de veille sanitaire, travaillez-vous avec des instituts de recherche effectuant des modélisations de l'épidémie, comme l'Institut Pasteur et l'Inserm ?
Mme Geneviève Chêne . - Compte tenu de ses missions, Santé publique France est capable de mobiliser des données provenant de sources très variées.
OSCOUR (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) est une base qui regroupe les remontées syndromiques de SOS Médecins et des urgences. Développée après la crise de la canicule en 2003, elle nous permet de repérer des signaux précoces. Je pourrais citer également le programme de médicalisation du système d'information (PMSI), en d'autres termes les données hospitalières, ou les certificats de décès. Nous ne collectons pas nous-mêmes ces données, mais nous sommes branchés sur leurs producteurs (Insee, Inserm, hôpitaux ou médecins libéraux). Bien évidemment, pour construire les indicateurs spécifiques à l'épidémie, nous nous appuyons également sur la base des résultats de tests SI-DEP. La plupart des données que nous agrégeons sont donc collectées à partir de systèmes d'information dont nous n'avons pas la responsabilité du traitement. Pour celles dont nous avons la responsabilité directe, nous les mettons à disposition des chercheurs selon des règles édictées avec l'appui la CNIL, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous avions développé l' open data avant même la crise sanitaire. La plateforme Géodes, créée dès 2019, assurait un libre accès à tous nos indicateurs, pour que tout un chacun puisse se faire une idée assez précise de la situation épidémiologique dans différents domaines.
L'émergence des nouveaux variants est surveillée en France à l'aide deux outils : des tests PCR criblant certaines mutations spécifiques d'un variant et le séquençage, qui se fait dans certains laboratoires spécialisés et qui permet de confirmer l'identification. Après l'apparition d'omicron, en décembre, le ministère de la santé a décidé de modifier la stratégie de criblage et a demandé aux laboratoires de faire évoluer les kits qu'ils utilisent pour détecter le virus. Il a fallu que les laboratoires s'organisent et que nous recevions les données. Les données ont été analysées, communiquées aux décideurs, en particulier le ministère de la santé et publiées dans le point épidémiologique. En revanche, leur mise en open data a en effet été un peu plus longue que d'habitude. L'indicateur sur les hospitalisations « pour » et « avec » le covid a, quant à lui, été produit dès le début de l'année 2021, mais compte tenu de sa stabilité dans un premier temps (environ 90 % d'hospitalisations « pour » et 10 % « avec »), il n'avait pas été mis en open data . La vague omicron a changé la donne, avec un variant plus contagieux et causant moins de formes graves. Nous avons ainsi vu le nombre d'hospitalisations « avec » progresser. Cet indicateur a donc été réintégré dans notre point épidémiologique et il est également disponible en open data depuis une semaine. Je tiens à souligner que, même pour des patients « avec », la charge pour le système hospitalier reste supérieure que pour la même pathologie sans infection conjointe au covid. Il faut en effet prendre davantage de précautions.
Enfin, sur la question des critères, je serais bien incapable de vous répondre précisément à ce jour. La finalité du passe vaccinal est toutefois d'augmenter la couverture vaccinale et de diminuer la charge du système de soin. Des critères de charge hospitalière en soins critiques et conventionnels me sembleraient donc assez pertinents.
M. Laurent Burgoa . - Nous avons bien compris le rôle de votre institut, qui consiste à collecter des données et, parfois, à les commenter. Vous avez ainsi noté une évolution différente selon les régions, certaines connaissant une diminution des contaminations quand d'autres, l'Occitanie par exemple, font encore face à une forte diffusion du virus.
Notre mission d'information ayant pour objet l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie, pensez-vous qu'il soit possible de conditionner le maintien ou l'abandon du passe à l'évolution de données régionalisées ?
M. René-Paul Savary . - Un autre critère pourrait être la fragilité des populations. Un passe vaccinal spécifique aux personnes d'un certain âge ou qui présentent des comorbidités serait-il selon vous envisageable, pour une période transitoire ?
Depuis le 17 décembre dernier et l'annonce du passe vaccinal, avez-vous constaté une augmentation, une stagnation ou une diminution du nombre quotidien de primo-vaccinés ?
Enfin, un nombre décroissant de primo-vaccinés pourrait-il être selon vous un critère de suppression du passe vaccinal ? Car ce n'est pas le tout d'y entrer, il faut bien un jour en sortir !
Mme Catherine Procaccia . - Nous avons entendu ce matin des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) nous dresser un tableau assez effarant de l'évolution de l'épidémie. Selon eux, nous connaîtrons chaque année de nouvelles épidémies liées à de nouveaux variants, dont la gravité ne saurait être estimée à l'avance, mais qui seront probablement plus contagieux et qui, surtout, sauront s'adapter aux stratégies de lutte.
Dans ce contexte, certains chercheurs nous ont indiqué rencontrer des difficultés pour accéder rapidement à vos données. Que leur répondez-vous ?
Par ailleurs, est-il possible de connaître précisément, parmi les décès de personnes hospitalisées pour une autre raison que la covid-19, mais dont on constate par la suite qu'elles sont malades, la part des décès directement liés à la covid ?
Mme Geneviève Chêne . - Les données territorialisées sont totalement disponibles, à l'échelon des régions, des départements, des métropoles et même des communes, jusqu'aux quartiers. Nous faisons en sorte de les publier au niveau territorial le plus fin, même si ce n'est pas toujours le niveau le plus pertinent pour prendre des décisions de gestion sanitaire.
Chaque semaine, nos cellules régionales publient ainsi un point épidémiologique. Elles travaillent en lien avec les agences régionales de santé et les préfets, afin de commenter et d'interpréter l'ensemble des données.
J'ai bien conscience que les décisions ne sont pas toutes prises nécessairement sur le fondement d'indicateurs sanitaires. D'autres éléments entrent en ligne de compte. Par ailleurs, nous suivons et publions des indicateurs de « fragilité », comme l'âge ou les comorbidités principales. Toutes ces données continueront d'être publiées, mises à la disposition des gestionnaires et du public et commentées par nos cellules régionales autant que nécessaire.
D'une manière générale, nous constatons une compréhension de plus en plus forte, dans la population, du fait que la lutte contre l'épidémie passe par la combinaison d'un ensemble de précautions : la vaccination bien sûr, mais aussi le maintien des gestes barrières, l'aération des locaux, etc. Nous continuons de faire de la pédagogie en ce sens.
S'agissant des chiffres de primo-vaccination, la tendance est stable depuis plusieurs semaines. On dénombre de 30 000 à 40 000 vaccinations par jour. Sur la semaine écoulée, 200 000 personnes ont été primo-vaccinées. Cela n'est pas négligeable.
M. René-Paul Savary . - Si nous devions constater, la semaine prochaine, une diminution du nombre de primo-vaccinés à 150 000 par exemple et, la semaine suivante, à 100 000, pourrait-on en déduire une baisse d'efficacité du passe vaccinal dans l'incitation à la vaccination ?
Comment par ailleurs pouvons-nous interpréter ce chiffre de 200 000 primo-vaccinés par semaine ? Le considérez-vous comme élevé ? En d'autres termes, pensez-vous que nous aurions atteint ce nombre de 200 000 primo-vaccinés par semaine en l'absence de passe vaccinal ?
Mme Geneviève Chêne . - Je ne saurais vous répondre, car nous manquons encore de recul. Le nombre de primo-vaccinés est un critère parmi d'autres. Il faut aussi considérer, par exemple, le nombre de personnes bénéficiant d'une dose de rappel, qui s'élève à 1,4 million par semaine.
Les données scientifiques dont nous disposons montrent que le rappel vaccinal protège efficacement contre les formes graves de la maladie. Toute vaccination supplémentaire est donc bonne à prendre.
M. René-Paul Savary . - Qu'en est-il de la vaccination des enfants ?
Mme Catherine Deroche . - À quoi ressemble la pyramide des âges des personnes primo-vaccinées ? Trouve-t-on parmi elles les personnes les plus susceptibles de développer des formes graves ?
Mme Geneviève Chêne . - L'adhésion à la vaccination augmente avec l'âge. Aujourd'hui, 8 % des enfants de 0 à 11 ans ont reçu une première dose, contre 2,7 % pour les 5-9 ans. La vaccination des enfants progresse donc, mais à un rythme faible.
Je tiens à insister sur l'impérieuse nécessité de promouvoir la vaccination auprès des femmes enceintes, qui sont nombreuses dans les services de réanimation, et plus généralement de la promouvoir auprès des jeunes parents.
S'agissant à présent du partage des données, je précise que nous déposons nos données dans la base de données internationale GISAID. Il est vrai que nous avons encore un solde de séquences à déposer pour l'année 2021. Nous y travaillons activement, mais les chercheurs disposent d'ores et déjà d'un certain nombre de données via ces outils de partage internationaux.
Enfin, nous travaillons avec l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) Maladies infectieuses émergentes, qui partage avec nous la mission de surveillance épidémiologique et de recherche, à un séquençage des données beaucoup plus précis que celui disponible aujourd'hui dans les bases de données internationales.
Vous le voyez : nous sommes en ordre de bataille pour que les chercheurs français puissent disposer des données nécessaires à leurs recherches. Je me tiens disponible, le cas échéant, pour mieux comprendre leurs besoins et leur expliquer nos contraintes spécifiques. Il n'y a aucun blocage, bien au contraire.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Merci. Nous leur transmettrons !
Mme Geneviève Chêne . - Vous m'interrogez par ailleurs sur l'origine des décès, qui est un point fondamental. Aujourd'hui, nous disposons des données de la base SI-VIC, qui porte sur les patients hospitalisés. Nous agrégeons également les données issues des Ehpad, afin de décrire, dans le cadre de notre mission, l'évolution de l'ensemble des décès. Nous disposons d'une autre base, celle des certificats électroniques de décès, qui permet de constater l'évolution du nombre de décès à domicile portant par exemple la mention « covid ».
En revanche, l'identification, de manière certifiée et standardisée au niveau international, des causes de décès est une mission relevant de l'Inserm. Nous attendons la publication des données 2021 pour procéder à leur analyse, en effet très importante.
Mme Catherine Deroche , présidente . - La question de Mme Procaccia sur les décès me semble capitale. Il semblerait en effet que l'on attribue parfois à la covid le décès de personnes qui n'en sont pas mortes, mais qui étaient porteuses du virus. Cela fausse quelque peu notre vision de l'épidémie. S'agissant des primo-vaccinés, faites-vous la distinction entre les personnes susceptibles de développer des formes graves et les autres ? Toutes ces données permettraient de mieux évaluer le caractère incitatif du passe vaccinal. Enfin, si je comprends très bien le rôle de l'agence en matière d'épidémiologie et de veille sanitaire, j'ai quelques difficultés à cerner son rôle d'expertise et de conseil en termes de santé publique. Pourriez-vous nous le préciser, eu égard notamment à celui du conseil scientifique, dont la durée de vie est en principe limitée ? Je ne comprends pas pourquoi Santé publique France, en tant qu'agence de santé publique, n'est pas plus impliquée dans la prise de décision.
Mme Geneviève Chêne . - Je ne puis vous apporter de réponse immédiate sur la primo-vaccination. En revanche, j'attire votre attention sur le fait que nous devons parfois concaténer des bases de données, c'est-à-dire les fusionner, ce qui, lorsque l'on ne dispose pas du numéro de sécurité sociale, pose des difficultés.
C'est par exemple le cas de l'assemblement de la base des vaccinés avec celle des hospitalisés et celle du PMSI. Nous sommes très respectueux du RGPD et des textes qui protègent la confidentialité des données de santé, mais le croisement des bases de données réclame un travail considérable de fiabilisation.
L'expertise et le conseil en santé publique se déclinent en deux aspects. Au-delà du point épidémiologique et du point sur la situation, nous sommes saisis fréquemment sur des sujets ponctuels, comme l'impact des couvre-feux sur l'épidémie. Nous sommes en lien très fluide avec les gestionnaires.
De manière plus générale, l'une de nos préoccupations les plus importantes est l'impact, direct ou indirect, de l'épidémie sur les autres champs de la santé. Nous fournissons les données, aux gestionnaires, à l'échelon national et régional, en les interprétant et en les mettant en contexte. Ainsi, en 2020, le dépistage du cancer du sein a marqué un fort décrochage, alors que la tendance était à l'amélioration. Je pourrais citer beaucoup d'autres exemples.
M. René-Paul Savary . - Qu'en est-il du cancer du côlon ?
Mme Geneviève Chêne . - Je vous transmettrai ces données ultérieurement. Nous avons aussi montré que l'initiation des traitements antihypertenseurs avait diminué de 10 % en 2020. Je puis vous fournir l'ensemble de nos analyses, notamment dans le secteur de la prévention. Les indicateurs sont interprétés, contextualisés et mis à disposition au niveau territorial le plus fin.
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est en effet une mission très importante, mais je pensais plutôt à votre rôle de conseil, en particulier sur le suivi des primo-vaccinés dans le cadre de la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal. Il serait regrettable que la décision récemment annoncée relève de l'opportunité politique ou de la communication, sans être appuyée sur des données précises.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Comment surveillez-vous le sous-variant BA.2 ?
Mme Geneviève Chêne . - Les tests de criblage permettent difficilement de distinguer les deux sous-variants BA.1 et BA.2. En revanche, nous conduisons dix mille tests de séquençage par semaine, de manière aléatoire, ce qui constitue un échantillon suffisant pour retracer les tendances - sachant qu'Omicron représente encore 99 % des contaminations. C'est la stratégie des pays qui séquencent beaucoup, comme le nôtre.
En quelques semaines, BA.2 est passé de 0,1 ou 0,2 % à 2 % des contaminations. Nous observons aussi la répartition par âge, par région, etc.
Les indicateurs habituels de l'épidémie nous sont aussi utiles : ainsi, s'il est confirmé que BA.2 est beaucoup plus contagieux, une augmentation d'incidence dans un territoire suffit à nous alerter. La seule étude disponible, réalisée par une équipe danoise, met en évidence une contagiosité supérieure de 25 % à celle de BA.1.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Le ministre a annoncé hier qu'une infection équivaudrait désormais à une injection pour obtenir le passe vaccinal, à condition d'avoir reçu au moins une dose de vaccin. Sur quelle étude est fondée cette décision ?
Mme Geneviève Chêne . - Certains travaux scientifiques, que je vous communiquerai, montrent qu'une infection survenue après la vaccination agit comme un boost : elle apporte une protection au moins aussi importante qu'un rappel de vaccin.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Une dose de vaccin ne suffit pourtant pas à empêcher les formes graves... De telles annonces sont incompréhensibles pour le citoyen lambda.
Mme Geneviève Chêne . - Il ne s'agit pas d'inciter à attraper le virus : nous nous plaçons a posteriori . Une personne déjà primo-vaccinée et infectée, compte tenu du niveau actuel de circulation du virus, n'a pas nécessairement besoin d'une nouvelle dose.
M. René-Paul Savary . - Plus besoin de rappel ? Ce n'est pas ce qu'on nous disait jusqu'à présent...
Mme Catherine Procaccia . - Sur quelles études scientifiques vous appuyez-vous ?
Mme Geneviève Chêne . - Il faudra bien entendu partager les études sur lesquelles cette décision est fondée, mais cette épidémie se caractérise par l'évolution permanente des connaissances scientifiques. Beaucoup des données produites dans le monde sur cette épidémie sont mises à disposition du public. Il faut ensuite les contextualiser dans le pays où l'on se trouve.
Mme Catherine Deroche , présidente . - On a commencé par demander aux gens de faire deux injections de vaccin, puis une supplémentaire pour avoir le passe vaccinal, et maintenant cette annonce... Je vous souhaite bien du courage pour faire comprendre tous ces changements ! Il est vrai que nous en apprenons tous les jours sur ce virus, mais cela met en évidence les limites du dispositif mis en place. C'est de plus en plus difficile à comprendre et à accepter pour la population.
M. René-Paul Savary . - D'autant plus que sans rappel dans les trois mois après l'infection, le passe vaccinal tombe ! La règle va-t-elle changer ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est incompréhensible et, à mon sens, arbitraire.
Mme Geneviève Chêne . - Il est essentiel que chaque mesure soit bien comprise, grâce à une communication et à une pédagogie qui suscitent l'adhésion. Vous avez raison de le souligner.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de Mme Alice Desbiolles,
médecin de santé
publique
M. Alain Milon , président . - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons maintenant Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique, qui s'exprime ici en son nom personnel.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance, dont la présidente, Catherine Deroche, que je remplace cet après-midi.
Je rappelle que l'objet de notre travail est de chercher à vérifier que le passe vaccinal, un instrument conçu dans un contexte donné - celui du variant Delta -, est toujours adapté quelques semaines plus tard, alors que nous avons en quelque sorte « changé d'épidémie », le tout dans un contexte d'incertitudes pour l'avenir que nous ne méconnaissons pas.
Entre les pro et les antivaccins, dans un contexte qui se prête à un certain manichéisme, il peut être difficile de faire entendre une voix singulière qui ne méconnaisse pas les apports de la vaccination tout en interrogeant l'outil spécifique qu'est le passe vaccinal.
Nous souhaiterions donc recueillir votre analyse sur ce que peut être l'apport du passe vaccinal dans le contexte actuel.
Je vous demanderai de commencer par un court propos liminaire, afin de laisser du temps aux échanges. Je demanderai à chacun d'être concis dans les questions et les réponses.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Alice Desbiolles prête serment.
Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique . - Je suis médecin de santé publique et épidémiologiste. Je précise que je n'ai pas de conflits ou de liens d'intérêt à déclarer. Je m'exprime non pas au nom des institutions pour lesquelles je travaille ou collabore, mais en mon nom propre. Les éléments que je vais vous apporter résultent d'une réflexion pluridisciplinaire. Je remercie très chaleureusement les confrères et les consoeurs qui m'ont aidée à répondre aux questions qui m'ont été soumises, ainsi que les ingénieurs, les polytechniciens, les immunologistes et les épidémiologistes - la liste est non exhaustive - qui m'ont accompagnée dans ma réflexion.
Vous m'avez interrogée sur les indicateurs mobilisés durant cette crise et sur l'importance des modélisations. Au regard des mesures mises en place, qui ont un impact sur la santé dans toutes ses dimensions, il importe de mettre dans la balance, à la fois, des indicateurs spécifiques « covid » et des indicateurs « non-covid » relatifs à la santé physique, mentale et sociale, ainsi que, pour les enfants, des indicateurs pédagogiques.
Je me félicite que des données sanitaires quotidiennes aient été mises à disposition via l'open data depuis le début de l'épidémie, notamment grâce au travail de Santé publique France, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de l'application TousAntiCovid. Des rapports hebdomadaires étaient également disponibles aux niveaux national et régional. Nous avons eu accès à des données de qualité.
Néanmoins, il faut noter un certain manque de transparence. Certaines données ne sont pas publiées alors qu'elles sont disponibles : je pense par exemple aux données de réanimation pour et avec covid, en particulier chez les enfants. Il en va de même des données sur les comorbidités rapportées par âge et par statut vaccinal et des données relatives aux patients intubés. Je souligne également la présence d'indicateurs erronés : d'après les données de Santé publique France, 30 % des hospitalisations covid sont en fait des hospitalisations avec covid et non pour covid, un taux qui peut grimper à près de 50 % pour la tranche d'âge 20-39 ans. Les données sont alors difficiles à interpréter de manière rigoureuse et pertinente.
Idem pour le niveau de tension en réanimation : l'indicateur qui est disponible sur TousAntiCovid n'a pas vraiment de sens puisqu'il rapporte le nombre de patients hospitalisés en réanimation, en soins critiques et en soins continus aux seuls lits de réanimation. Si l'on rapporte le nombre de patients de trois services au nombre de lits d'un seul service, l'indicateur n'a plus aucun sens et l'estimation est forcément surestimée.
Je précise que des écarts au protocole ont été notifiés dans le dernier bulletin publié par Santé publique France. Des classes d'âge ont été regroupées en un groupe 15 à 64 ans pour les données en réanimation, alors qu'elles étaient auparavant présentées en deux classes - 15 à 44 ans et 45 à 64 ans -, ce qui est problématique : le risque de terminer en réanimation pour covid grave n'est pas le même selon l'âge. Le surpoids, une comorbidité importante responsable à elle seule, d'après un bulletin épidémiologique de Santé publique France, de 15 % de la mortalité en 2020, a disparu de ce dernier point épidémiologique : ce facteur a été très probablement intégré dans la ligne « patients sans comorbidités », ce qui augmente artificiellement le poids de ces patients. C'est un biais majeur pour l'interprétation des données.
Par ailleurs, aucune communication écrite n'est faite dans les points épidémiologiques de Santé publique France sur les causes des décès covid chez l'enfant : au vu de la sensibilité du sujet, il serait pertinent de pouvoir évaluer de manière claire cet indicateur. Nous n'avons pas de communication sur le nombre d'enfants en réanimation pour ou avec covid, et pas de résultat de la Drees sur l'évaluation vaccinale pour la tranche d'âge 11-18 ans.
Je constate aussi que les données sont présentées de façon de plus en plus partiale, ce qui ne respecte pas la neutralité et l'objectivité qui devraient pourtant être de mise dans ce domaine. Ainsi, le dernier bulletin épidémiologique de Santé publique France conclut que la part des patients ne présentant pas de comorbidités a augmenté. C'est une façon quelque peu orientée de présenter les choses : il aurait fallu préciser sur le fait que plus de 80 % des patients en réanimation ont, d'après leurs données, au moins une comorbidité.
Je note également un recours quasi systématique aux modélisations pour justifier des décisions avant leur mise en oeuvre ou a posteriori pour arguer de l'efficacité de ces décisions. Les modélisations présentent un niveau de preuve extrêmement faible, insuffisant au regard des enjeux sanitaires qui en découlent. Le même argumentaire pourrait s'appliquer au passe.
Toujours sur les modélisations, aucune évaluation de leur pertinence et de leur conformité à la réalité n'a été réalisée. Des travaux menés par des ingénieurs de Polytechnique, dont je reparlerai, montrent un décalage très important entre la réalité et ce qui avait été prévu par les modélisations, ce qui pose question.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Je vous remercie pour votre langage très direct. Je voudrais revenir sur certains points.
Nous avons mené jusqu'à présent un certain nombre d'auditions d'acteurs institutionnels : elles ne nous ont pas vraiment éclairés les déterminants précis de la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. D'après vous, quelles données permettaient de soutenir l'introduction du passe vaccinal en décembre dernier ?
Selon moi, le passe sanitaire, comme le passe vaccinal, vise à éviter la question de la vaccination obligatoire et à inciter les personnes à se faire vacciner. Peut-on isoler l'impact du passe vaccinal sur la vaccination et sur la maîtrise de l'épidémie ?
Le passe vaccinal a été instauré en décembre dernier, en pleine vague Delta. Il s'est confirmé depuis qu'Omicron est plus contagieux, mais bien moins virulent que Delta. On parle aujourd'hui d'un sous-variant d'Omicron. Le passe vaccinal est-il toujours pertinent sur un plan sanitaire ?
Mme Alice Desbiolles . - Vous me posez la question du rationnel scientifique : existe-t-il des données probantes sur l'efficacité du passe vaccinal ? On peut commencer par s'interroger sur le passe sanitaire : à ma connaissance, aucune étude de bonne qualité, dotée d'un fort niveau de preuve, ne démontre une quelconque efficacité.
La mise en oeuvre de ce passe s'est appuyée sur des modélisations. Dans un avis du 6 juillet 2021, le Conseil scientifique indique que ces modélisations « sont faites avec l'hypothèse que les vaccins réduisent le risque d'hospitalisation de 95 %, le risque d'infection de 80 % et le risque de transmission en cas d'infection de 50 % ». Il faut préciser que le critère de jugement principal dans les essais cliniques randomisés de Pfizer était le nombre d'infections symptomatiques confirmées par un test PCR positif, et non l'effet du vaccin sur la prévention des formes graves et sur la diminution du risque d'hospitalisation ou de décès. Ces données ne sont d'ailleurs toujours pas disponibles.
Les données observationnelles en vie réelle confirment un impact positif de la vaccination sur la prévention des formes graves et de la mortalité chez les personnes à risque. C'est un élément très important, mais les données de vie réelle émanant des études observationnelles américaines produites à la même époque sur Delta sont complètement discordantes avec cette observation. Une étude par appariement de la Mayo Clinic montrait une efficacité vaccinale de 42 % pour Pfizer sur les infections, qui était le critère de jugement principal de l'essai clinique randomisé en juillet 2020, alors même que Delta n'avait pas encore complètement remplacé les souches précédentes. Selon un rapport des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les charges virales étaient équivalentes chez les personnes en situation d'échec vaccinal avec Delta et chez les non-vaccinés.
Les modélisations sont susceptibles d'avoir de nombreux biais. Il n'existe donc pas de données probantes permettant de montrer l'efficacité du passe vaccinal pour sécuriser des lieux, voire les sanctuariser, un des principaux arguments avancés pour mettre en place cette mesure si ma mémoire est bonne.
L'impact positif du vaccin sur la diminution de la contamination et de la propagation ne faisait pas partie des critères de jugement principaux des essais cliniques randomisés de Pfizer. On a bien vu d'ailleurs l'échec de ces dispositifs, avec de nombreuses contaminations dans les lieux soumis au passe : l'étude ComCor de l'Institut Pasteur, menée sur la période du 23 mai au 13 août 2021, évaluait le taux de contamination dans les bars à plus de 90 % et à 240 % dans les boîtes de nuit.
Un autre argument avancé en faveur du passe sanitaire était qu'il permettait d'inciter à la vaccination : effectivement, on a noté une augmentation de la couverture vaccinale. Mais l'important est tout de même la prévention des formes graves ou létales de covid-19, notamment chez les personnes à risque. Or ce fut malheureusement un échec chez les populations les plus vulnérables. La France présente l'une des couvertures vaccinales les plus basses d'Europe de l'Ouest chez les plus de 80 ans. Des pays comme l'Irlande qui n'ont pas mis en place de passe sanitaire ou vaccinal présentent 100 % de couverture vaccinale chez les plus de 70 ans. La Finlande présente une couverture vaccinale de 94 % chez les plus de 80 ans, et au Portugal 100 % des personnes âgées étaient vaccinées avant même la mise en place d'un passe. Il en va de même pour le Danemark, avec un taux de 100 % chez les plus de 80 ans. Ces données proviennent de l' European Center for Disease Prevention and Control (ECDC).
L'intérêt majeur est d'augmenter la couverture vaccinale chez les personnes à risque, celles qui présentent des comorbidités, notamment le surpoids et l'obésité, ou qui sont âgées : de ce point de vue, les mesures n'ont pas atteint l'effet escompté. Si la vaccination présente un bon bénéfice individuel pour les personnes à risque, on peut se demander quel est le bénéfice collectif sur la dynamique infectieuse.
Un autre argument en faveur du passe était qu'il allait permettre de réduire la saturation des hôpitaux. D'après un rapport interne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a été publié, les déprogrammations ne s'expliquent pas par la prise en charge des patients non vaccinés : la plupart sont liées à des vacances de poste au bloc opératoire, notamment en raison du départ d'un grand nombre d'infirmières.
Une étude publiée par le Conseil d'analyse économique évalue à 4 000 le nombre de morts qui auraient été évités grâce au passe. Je préciser que certains auteurs de cette étude sont juge et partie, puisque l'un d'entre eux en particulier est membre du Conseil scientifique. Je ne remets pas du tout en cause l'expertise, je dis simplement que ces résultats doivent être interprétés avec précaution au regard de l'absence d'indépendance de certains auteurs.
Ensuite, c'est non pas le passe qui évite les décès, mais la vaccination. Le passe ne peut pas être évalué par comparaison avec une absence totale de mesures, comme le font souvent les études. Une myriade d'interventions sont envisageables : cibler la vaccination sur les plus fragiles, aller vers, se déplacer en zone rurale chez les personnes âgées et les personnes moins connectées. La mise en place du passe vaccinal a conduit à environ 800 000 primo-injections, mais elles n'ont pas concerné les personnes les plus fragiles. Inciter les plus jeunes, qui ne sont pas les plus à risque de forme grave ou létale de covid-19, à se faire vacciner peut même s'avérer contre-productif en termes de disponibilité et d'accès aux doses pour les personnes qui en auraient vraiment besoin. Tout le monde ne peut pas se connecter facilement à des plateformes en ligne. Cette situation dénote en quelque sorte un échec de la politique du « aller vers » et la nécessité d'une approche plus proportionnée de la vaccination, tournée vers les personnes les plus à risque.
Le niveau de preuve de l'utilité de la mise en oeuvre du passe en population générale est insuffisant. Cette mesure peut produire des dommages collatéraux, comme le pointait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans une note d'intention en avril 2021 : perte de confiance d'une partie de la population à l'égard des scientifiques et des politiques, risque d'abîmer le contrat social, risque de baisse de confiance dans toute intervention de santé publique, notamment dans les politiques de vaccination autres que contre la covid. L'hésitation vaccinale constitue pour l'OMS l'une des principales menaces pour la santé publique. Selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée dans Nature Medicine , le passe semble contribuer à augmenter l'hésitation vaccinale des personnes vaccinées, alors même qu'elles se seraient fait vacciner sans ce dispositif.
Je rappelle que le passe est demandé pour entrer à l'hôpital, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou les plannings familiaux.
M. René-Paul Savary . - Le passe sanitaire !
Mme Émilienne Poumirol . - Même pas !
M. Alain Milon , président . - On ne demande rien à un patient. En revanche, le passe est demandé aux visiteurs.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - La situation diffère selon les hôpitaux.
Mme Alice Desbiolles . - Personnellement, il ne m'était pas possible d'entrer ailleurs qu'aux urgences sans passe, et il s'agissait d'un hôpital public de l'AP-HP. En tant que médecin, cette situation m'a profondément choquée.
Mme Laurence Cohen . - À juste titre !
Mme Alice Desbiolles . - J'ai prêté serment aujourd'hui, et vous constaterez que je présente des données rigoureuses - je suis prête à répondre à la contradiction que vous pourriez m'apporter sur le fond -, mais j'ai aussi prêté serment auprès de mes pairs lorsque j'ai été admise dans le cercle des médecins. Et aux termes du serment d'Hippocrate, « je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »
M. René-Paul Savary . - Pourrait-on déterminer des critères épidémiologiques pertinents pour évaluer l'efficacité du passe vaccinal et prendre la décision d'y mettre fin ? Les auditions que nous avons eues jusqu'à présent ne nous ont pas permis de définir des critères solides pour estimer à un certain moment que les conditions sont réunies pour arrêter le passe vaccinal.
Le professeur François Alla a publié une tribune le 24 janvier dernier dans Le Quotidien du Médecin .
Mme Alice Desbiolles . - Il m'a aidé à préparer cette audition, et je l'en remercie chaleureusement.
M. René-Paul Savary . - Il estime que l'aide à la décision des experts et agences comme Santé publique France s'est transformée en service après-vente des décisions déjà prises. Partagez-vous ce constat ?
Plus généralement, comment voyez-vous le rôle joué par ces agences, notamment en termes de qualité des données récoltées, de mode de présentation de ces données et du niveau de transparence assuré auprès du grand public ?
Mme Alice Desbiolles . - L'enjeu du passe est, je le répète, non pas l'efficacité vaccinale mais la saturation des hôpitaux. Le passe repose sur un outil, la vaccination, dont les effets sur la diminution de la transmission et de la contamination ne sont pas avérés dans les essais cliniques randomisés. Empiriquement, on peut tous constater que le vaccin et l'immunité naturelle ne bloquent pas la transmission et la contamination : on peut se faire recontaminer et on peut contaminer.
L'objectif était de sanctuariser des lieux, d'inciter à la vaccination et de réduire la saturation des hôpitaux.
S'agissant de la couverture vaccinale des personnes les plus à risque, elle ne dépend pas du passe : des pays qui n'ont pas mis en place de passe ont tout de même atteint 100 % de couverture vaccinale de ce public et d'autres sont parvenus à ce taux avant d'instaurer un passe.
S'agissant de la saturation des hôpitaux, elle ne dépend pas du nombre de patients covid hospitalisés : le vrai problème, c'est la fuite du personnel et les lits qui ne peuvent pas être ouverts du fait de ce manque de personnel.
S'agissant de la sécurisation des lieux, on peut tous expérimenter empiriquement que, vacciné ou pas, il est possible de transmettre le virus ou d'être contaminé dans les endroits en question. Il est très difficile de fixer des indicateurs pour un dispositif dont chacun peut constater la vacuité. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire ; au contraire, il faut déployer des actions très fortes de promotion de la vaccination dans le respect du consentement des individus, en orientant celle-ci sur les personnes les plus à risque. Pour cela, nous avons besoin des données sur les comorbidités, distribuées par tranches d'âge, notamment en réanimation, pour cibler les personnes qui se retrouvent en réanimation.
Il m'est donc difficile de vous proposer des critères d'évaluation d'un dispositif qui, de toute façon, repose sur un outil dont l'effet sur la réduction de la transmission et de la contagiosité n'a pas été évalué. Le dispositif est à la base biaisé.
La question du recours à l'expertise scientifique pendant la crise est très importante. Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet , une très grande revue médicale, a publié un éditorial en septembre 2020 dans lequel il déplorait que la « science » qui a guidé les gouvernements depuis le début de l'épidémie n'ait été incarnée que par des modélisateurs d'épidémies et des infectiologues. La pluridisciplinarité n'a pas été prise en compte, notamment dans le Conseil scientifique. Alors qu'il existe des agences indépendantes dont les missions sont régies par le code de la santé publique - je pense à Santé publique France, qui avait géré la crise précédente de la grippe, à la Haute Autorité de santé (HAS) et au Haut Conseil de la santé publique (HCSP) -, c'est une structure créée ad hoc , le Conseil scientifique, qui a émergé. J'ai le plus grand respect pour ses membres, mais cette instance a « shunté » toutes les autres.
Un article très intéressant rédigé par des membres du Haut Conseil de la santé publique publié dans La Santé en action en juin 2021, intitulé « L'expertise sanitaire en temps de crise », pointe que le choix des membres du Conseil scientifique s'est fait par cooptation, ce qui induit un risque de collusion entre experts et de promotion d'une seule orientation. Normalement, l'expertise doit se faire de façon pluridisciplinaire, et le choix des experts retenus doit être beaucoup plus large. Cet article précise qu'il n'y a pas eu de validation externe et indépendante des avis produits par le Conseil scientifique, c'est-à-dire de regard par les pairs et de discussions potentiellement contradictoires. Or du dissensus résulte le consensus. La confrontation de points de vue potentiellement contradictoires doit conduire au point de vue le plus nuancé et le plus efficace.
Non seulement ce débat scientifique contradictoire, qui est habituellement organisé par les institutions, n'a pas eu lieu, mais il n'est même pas accepté. Un avis du Conseil scientifique du 19 janvier 2022 précise, dans sa partie sur l'amélioration de la communication et de l'information que « ni l'impératif de liberté d'expression et de démocratie, ni les principes de controverses scientifiques ne sont facilement compatibles avec la médiatisation d'opinions non documentées formulées par des personnes se prévalant d'une légitimité scientifique auprès du public ». François Alla dénonçait le rôle de service après-vente des agences sanitaires qui ne servaient qu'à enregistrer des décisions déjà prises par l'exécutif. Chacun en pensera ce qu'il voudra.
Deux chercheurs ont fait un travail d'évaluation des modélisations qui ont justifié des mesures draconiennes, non fondées sur les preuves, qui ont eu des dommages collatéraux majeurs. Ils indiquent qu'il n'existe pas d'évaluation rétrospective publique des modélisations utilisées en France, alors que l'évaluation fait normalement partie intégrante des bonnes pratiques de la modélisation mathématique. Le travail d'évaluation des modélisations et des scénarios de l'Institut Pasteur, de l'Inserm et de l' Imperial College qu'ils ont conduit aurait été attendu des institutions. Je rappelle que les modélisations de l' Imperial College ont servi de base aux décisions de confinement de la France et d'une bonne partie du monde.
Ces chercheurs ont pris l'exemple de la Suède, le seul pays qui a pris des mesures mais n'a pas confiné sa population pendant la première vague - car il y a tout un continuum d'interventions entre ne rien faire et confiner une population. D'après les modélisations de l' Imperial College , si ce pays ne prenait aucune mesure durant la première vague, 90 000 décès étaient attendus : la réalité est toute autre, car il y a eu moins de 10 000 décès durant la première vague.
Il est donc important de réaliser toujours une évaluation a posteriori. S ur les onze modélisations qu'ils ont testées, il n'y a eu que deux cas de figure dans lesquels la situation réelle était comprise entre les valeurs des différents scénarios ; dans les neuf autres cas, la réalité se situait en dehors de ces valeurs et, dans huit cas sur neuf, il y avait même une surestimation de la réalité. Un biais en faveur d'une surestimation semble donc présent : les scénarios médians, qui étaient souvent utilisés comme les plus probables, surestimaient la réalité dix fois sur onze.
La modélisation épidémiologique est extrêmement difficile : une bonne anticipation de la réalité est l'exception et l'erreur est la norme. Au regard de la rétrospective qu'ils ont publiée, on peut conclure que les modélisations n'apportent pas un niveau de preuve suffisant pour supporter la mise en place d'interventions de santé publique à fort impact. Le biais en faveur d'une surestimation peut favoriser l'adoption de mesures plus restrictives que nécessaire. Je précise que les modélisations en Suède prévoyaient un nombre de décès cinq à six fois plus élevé que la réalité et que seul un confinement strict permettrait d'empêcher une saturation majeure de l'hôpital, qui n'a pas du tout eu lieu.
M. Alain Milon , président . - Je précise qu'en Suède, il y a 10 millions d'habitants, pour une densité de population de 19 habitants au kilomètre carré.
Mme Alice Desbiolles . - Ces informations sont prises en compte dans la modélisation de l' Imperial College : M. Neil Ferguson s'appuie sur des données disponibles par pays. Il s'agit de comparer non pas la France et la Suède, mais la Suède à elle-même, et de rapporter les modélisations de l' Imperial College concernant la Suède avec la situation réelle de l'épidémie dans ce pays, où la densité de population est bien évidemment moindre qu'en France, dans certaines zones.
Mme Victoire Jasmin . - Quelle est la position de Santé publique France par rapport aux recommandations du Conseil de défense sanitaire ?
Lors d'une audition, le professeur Delfraissy a dit qu'il fallait mettre en place le passe sanitaire pour « booster » la vaccination. Récemment, dans un média, il a avancé qu'il ne s'agissait pas tout à fait d'un vaccin, mais en quelque sorte d'un traitement. Pouvez-vous nous éclairer : est-ce un simple problème sémantique, ou y a-t-il une incohérence ?
Mme Alice Desbiolles . - En ce qui concerne le positionnement de Santé publique France, mieux vaut leur demander leur avis. Je ne peux pas m'exprimer en leur nom.
Vous soulignez cependant un point important. Santé publique France a présenté des données de bonne qualité, mais les écarts au protocole que l'on constate dans le dernier bulletin de Santé publique France sont profondément regrettables pour la confiance, ce que je déplore profondément. Avant ces écarts majeurs, qui biaisent la présentation et l'interprétation des données, les données présentées étaient claires, et l'outil Géodes notamment était pertinent. Le suivi épidémiologique des maladies, et non exclusivement de la covid, est une de leurs missions.
Concernant votre deuxième question, Camus disait que mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. Je ne me permettrais pas d'interpréter ce que M. Delfraissy, pour qui j'ai un grand respect, a voulu dire.
Si l'on attend généralement d'un vaccin qu'il empêche l'infection, réduise la contagiosité et bloque la transmission, ces éléments, comme je l'ai dit tout à l'heure, ne correspondent pas aux critères principaux retenus dans les essais cliniques randomisés. Cela ne semble être le cas ni de ce vaccin ni de l'immunité naturelle, qui protègent visiblement des formes graves au moyen d'une immunité profonde, mais ne protègent pas de l'infection et de la transmission.
Pour arguer de l'immunité collective et de « l'effet troupeau », on attend d'une couverture vaccinale très forte qu'elle limite, bloque ou interrompe la transmission d'un agent infectieux. Par exemple, pour bloquer la transmission de la rougeole, il faut une couverture vaccinale d'au moins 95 % dans l'ensemble de la population.
Nous en sommes à plus de 80 % de la population française adulte vaccinée. Mais le virus va probablement continuer à circuler et atteindre l'endémicité, si ce n'est pas déjà le cas, notamment du fait de réservoirs animaux très importants. Que le virus devienne endémique ne signifie pas qu'il ne faut plus rien faire : il faut cibler la protection sur les personnes à risque consentantes.
C'est peut-être cette contagiosité du virus malgré la vaccination qui a poussé M. Delfraissy à dire que ce vaccin n'était pas un vaccin au sens classique du terme, mais davantage un traitement. À mon sens, il reste tout de même un vaccin, dans la mesure où il est inoculé à des personnes saines pour préparer la réponse du système immunitaire, et qu'au regard des données observationnelles en vie réelle disponibles aujourd'hui, il réduit le risque de formes graves ou létales dans les populations à risque.
Mme Laurence Cohen . - Merci pour ces explications très claires, notamment concernant la place des experts dans cette crise. Ce qui me trouble, c'est que lorsque le Gouvernement instaure le passe vaccinal à la place du passe sanitaire, il ne s'appuie sur aucun bilan. C'est une habitude de ce gouvernement : il élargit l'expérience sans s'appuyer sur des données scientifiques, ce qui sème le doute dans la population, car cela amène des informations contradictoires.
Aujourd'hui, il semble que les écoles sont particulièrement atteintes par la circulation du virus. Des positions contradictoires s'opposent, entre ceux qui disent qu'il faut étendre l'obligation vaccinale aux enfants et ceux qui rejettent un tel élargissement.
Concernant les politiques d'aller vers, je suis très frappée par votre comparaison des taux de vaccination des plus de 80 ans dans différents pays - certains atteignent même le taux de 100 %. Dans nos territoires, de nombreuses personnes nous interpellent : alors qu'elles souhaitent se faire vacciner, elles sont isolées et n'ont pas accès au vaccin, car, par exemple, elles n'ont plus de médecin traitant. Qu'en pensez-vous ?
Ce virus continue à se propager, mais nous ne disposons pas de vraie politique vaccinale mondiale, et les inégalités dans l'accès aux vaccins sont frappantes. Notre groupe demande la levée des brevets, car tant que la population mondiale ne sera pas vaccinée, il nous semble qu'on ne pourra pas protéger la population à l'échelle mondiale. On a déjà vu cela dans le cas d'autres maladies : il a fallu que la majorité de la population mondiale soit vaccinée pour que la poliomyélite disparaisse. Qu'en pensez-vous ?
Mme Alice Desbiolles . - Je suis attachée à l' evidence-based medecine , à la médecine fondée sur des preuves ; je suis très attachée à ce que les politiques de santé publique soient fondées sur les données « probantes », et à la rigueur méthodologique et scientifique.
Dès lors que les mesures concernent toute la population, y compris des personnes très fragiles comme les enfants, le niveau de preuve doit être extrêmement rigoureux, et la balance bénéfice-risque doit indiscutablement pencher en faveur de l'intervention. Pour la plupart des décisions qui ont été prises, cela n'était pas le cas. Je pense aux confinements, aux fermetures d'écoles, aux passes : toutes ces interventions n'étaient pas fondées sur des preuves. Une étude de l'université Johns Hopkins montre que, dans 53 pays, il n'y a pas de corrélation qui justifie une potentielle efficacité des mesures de confinement.
Concernant la vaccination, actuellement, le niveau de preuve - sur lequel je me fonde, et sur lequel les agences de santé publique doivent normalement se fonder - est suffisant pour proposer la vaccination aux populations bien identifiées qui présentent des risques de formes graves de covid, afin de leur assurer une protection individuelle. Il faut néanmoins une réévaluation régulière, compte tenu de la très grande rapidité de l'évolution virale.
Le niveau de preuve est suffisant pour conclure à l'acquisition d'une protection durable et forte contre les formes sévères de la covid à la suite d'une infection naturelle, quel que soit le statut vaccinal.
Et le niveau de preuve est clairement insuffisant pour arguer d'un bénéfice collectif de la vaccination de masse des individus à faible risque de formes graves de covid, d'autant plus dans le contexte d'un échappement potentiel d'Omicron vis-à-vis du vaccin.
Si l'on dit « les antibiotiques, c'est pas automatique », c'est parce que, d'après l'OMS, l'antibiorésistance constitue avec l'hésitation vaccinale l'une des principales menaces pour la santé publique au XXI e siècle. En matière d'antibiotiques, l'arsenal thérapeutique dont nous disposons est de plus en plus restreint, à la fois du fait d'une absence de recherche clinique sur ces médicaments et en raison de l'augmentation de la résistance de nombreux agents infectieux. Il y a là un péril pour les générations futures.
Pour la vaccination, le risque d'échappement doit être considéré. Je ne dis pas que c'est effectivement le cas, mais il y a un risque d'échappement immunitaire, du fait d'une pression de sélection sur les variants pouvant conduire à un échappement vaccinal. Une publication du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) montre que, pour limiter ce risque et économiser l'efficacité de l'outil vaccinal sur les personnes à risque, il convient d'en avoir, comme avec les antibiotiques, un usage mesuré, proportionné, fondé sur des preuves. Cela implique une vaccination prioritaire des personnes à risque que sont les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités, notamment le surpoids - je regrette que ce dernier facteur ait été retiré des données de Santé publique France - et l'obésité, si elles sont consentantes.
Concernant les écoles, la circulation virale dans les écoles n'est que le reflet de la circulation virale communautaire. Il est important de préciser que les enfants sont l'une des populations les moins à risque de formes graves ou létales de la maladie. Il est même peut-être contre-productif d'essayer à tout prix de les empêcher de se contaminer avec Omicron, alors que cette contamination est peut-être inévitable, d'où l'intérêt d'une vaccination des personnes à risque. On estime que 16 % des Français ont été en contact avec le SARS-CoV-2 depuis le 1 er janvier dernier, soit un Français sur six.
Chercher à limiter à tout prix l'infection chez les enfants peut même se révéler contre-productif, puisque le risque de formes graves augmente avec l'âge. Je prends un exemple pour illustrer mon propos, même si les deux maladies n'ont rien à voir : mieux vaut attraper la varicelle enfant, car même si les symptômes sont très impressionnants, le risque de forme grave de varicelle augmente avec l'âge. Des personnes qui n'ont pas contracté la varicelle durant l'enfance ont un risque de pneumopathie varicelleuse accru à l'âge adulte. Il y a d'ailleurs un vaccin, mais ce dernier n'est pas recommandé, car on a constaté une augmentation du nombre de formes graves chez les adultes vaccinés - je précise que je connais ces questions, car j'ai un diplôme de vaccinologie.
Il faut réfléchir globalement sur les rapports entre bénéfice et risque, et faire très attention aux mesures prises concernant les enfants, en prenant en compte le fait que la santé physique et mentale des enfants est complètement dégradée. Il faut également voir que les inégalités sociales en matière de santé ont explosé. Il serait important que Santé publique France mette ces données à disposition ; celles qu'on arrive à recueillir à l'oral montrent que la plupart des enfants décédés avec le SARS-CoV-2 depuis le début de l'année souffraient de lourdes comorbidités et sont morts d'autre chose.
Il faut remettre les choses en perspective, pour que les mesures prises dans les écoles soient elles aussi fondées sur des preuves, au même titre que les protocoles sanitaires que l'on impose aux enfants. L'OMS ne recommande pas de faire des activités physiques avec un masque sur le visage, alors qu'on impose cela aux enfants, à l'encontre du bon sens et des données scientifiques. Le port du masque dans les écoles ne fait l'objet d'aucun rationnel scientifique ; aucun essai clinique de bonne qualité ne prouve un quelconque intérêt du port du masque chez les enfants - et je ne parle pas du port du masque en extérieur.
Vous posiez la question des personnes âgées en zone rurale, vers lesquelles il faudrait effectivement aller pour encourager la vaccination. La plupart des personnes non vaccinées sont hésitantes vis-à-vis de la vaccination ou n'ont pas accès aux soins, qu'il s'agisse de personnes âgées en zones rurales, de migrants ou de personnes en situation de précarité.
On peut imaginer que le passe, nécessaire pour accéder à certains lieux de soins - telle est en tous cas mon expérience -, peut aussi représenter une barrière à l'accès aux soins et peut-être même à la vaccination. Il faudrait en tous cas évaluer ce point.
Concernant la vaccination dans le monde, il serait intéressant que, dans un souci d'efficacité de lutte contre cette pandémie, la plupart des pays vaccinent leur population à risque, plutôt que dans certains pays l'on vaccine des populations qui n'ont pas de risque de développer des formes graves, comme les enfants ou les adolescents, et dont les contingents lors des essais sont extrêmement faibles, ce qui pose par ailleurs un problème méthodologique.
Une seule maladie a été éradiquée par une couverture vaccinale très large : la variole. Dans certains pays où il était très compliqué de vacciner toute la population, notamment en Afrique, une méthode par cerclage avait été privilégiée : n'étaient vaccinées que les personnes qui avaient été en contact avec un cas de variole. Le virus de la variole a ainsi pu être éliminé.
La poliomyélite est une autre maladie en cours d'éradication, même si le virus circule encore, notamment dans les pays qui connaissent une grande instabilité géopolitique, comme la Syrie ou l'Afghanistan.
Mme Émilienne Poumirol . - Je suis très étonnée par votre intervention, qui remet en question beaucoup de choses que nous avons entendues lors de nos auditions. Nous serions partis sur de mauvaises bases.
Alors que le groupe socialiste défendait la vaccination obligatoire, avec l'idée qu'un taux de 95 % de la population vaccinée permettrait d'éradiquer le virus, nous constatons qu'avec Omicron, le vaccin n'a qu'une efficacité limitée au niveau de la contagiosité, et n'est intéressant que contre les formes graves.
Si tous les épidémiologistes que l'on entend à longueur de journée pouvaient arrêter de dire chacun sa vérité, cela nous permettrait de comprendre la situation !
Pour nous, le passage du passe sanitaire au passe vaccinal était une manière peu courageuse d'obliger à la vaccination. Mais pourquoi ne revient-on pas sur la politique de vaccination, en insistant sur la vaccination des personnes à risque de formes graves, plutôt que de continuer sur un discours vaccinal pour la totalité de la population, alors que vous nous dites que cela n'est pas fondé sur des preuves probantes, non seulement en France, mais dans le monde entier ?
Cela me perturbe beaucoup. Vous avez parlé des enfants. Mercredi dernier, nous avons entendu M. Fontanet nous dire qu'il faut vacciner les enfants de 5 à 11 ans. J'entends votre argument d'un potentiel échappement vaccinal similaire à la situation des antibiotiques, mais il disait encore hier soir à la télévision qu'il fallait vacciner les enfants.
Comment reprendre en main la situation, et évaluer de manière indépendante les travaux du Conseil scientifique et les décisions du Conseil de défense sanitaire, qui nous a imposé le confinement en 2020 ?
Comment remettre en piste la Haute Autorité de santé et Santé publique France, pour que ces institutions coordonnent leurs travaux, s'appuient sur des preuves, et que l'on fasse éventuellement un mea culpa ? Nous constatons le manque d'aller vers, le faible taux de vaccination des plus de 80 ans. Mais comment repenser la politique menée ?
Je vous crois lorsque vous nous dites que les modélisations se trompent presque toujours. Mais cela remet en question tout ce qu'on nous dit depuis deux ans. Mercredi dernier, nous auditionnions encore des membres de l'Institut Pasteur et de l'Inserm qui défendaient l'intérêt de ces modélisations.
Mme Alice Desbiolles . - Je comprends la difficulté que vous éprouvez. Il serait d'ailleurs intéressant de demander à ces instituts d'évaluer leurs modélisations.
Pour parler de preuve scientifique en médecine, selon le rapport « Niveaux de preuve et gradation des recommandations de bonnes pratiques » de la HAS de 2013, il faut des essais randomisés de forte puissance, des méta-analyses d'essais comparatifs randomisés, ou des analyses de décisions fondées sur des études très bien menées. Il n'est jamais question de modélisations, qui sont beaucoup trop sujettes aux biais. Les pourcentages contenus dans le modèle de M. Cauchemez pour justifier la mise en oeuvre du passe vaccinal auprès du Conseil scientifique, dont j'ai parlé plus tôt, se fondaient sur des indicateurs non évalués par les laboratoires eux-mêmes et étaient complètement déconnectés de la réalité.
Dans son avis du 23 décembre 2020 sur la stratégie de vaccination contre la covid, la HAS recommandait initialement de vacciner uniquement les personnes à risque de formes graves, pour lesquelles la balance bénéfice-risque individuelle est clairement établie. Il était question d'une vaccination non obligatoire ciblée sur les personnes à risque, exactement comme on le fait concernant la grippe.
Nous parlons de pandémie, mais Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet , propose de parler de syndémie, c'est-à-dire une interaction entre un agent infectieux et des vulnérabilités, dont notamment l'âge, les comorbidités, ou d'autres facteurs de risque comme le gradient social, la pauvreté et la précarité, qui affectent la dimension sociale de la santé de manière majeure. Quand les politiques publiques augmentent la pauvreté, par définition, la santé des populations est dégradée. La question avait initialement été tranchée de manière cohérente : il s'agissait de vacciner les personnes les plus à risque, puisque le risque n'est pas le même selon l'âge et l'état de santé initial. Plus qu'une pandémie infectieuse, nous avons affaire à une syndémie multifactorielle.
Vous avez parlé d'« éradication » du virus, ce qui évoque la stratégie du zéro covid, portée en particulier en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Dans un article d'immunologie paru dans la revue Science de 2021, 90 % des immunologistes interrogés considèrent que le SARS-CoV-2 a une potentialité endémique majeure, du fait de réservoirs animaux de virus, tant chez des animaux domestiques que dans la faune sauvage, comme c'est d'ailleurs le cas concernant la plupart des pathologies émergentes.
L'éradication devient très compliquée du fait de la circulation du virus chez les non-humains ; il s'agit d'une zoonose, lors de laquelle un agent infectieux commun peut se transmettre de l'homme à l'animal, et inversement. Certains agents infectieux, comme la variole ou la poliomyélite, sont de bons candidats à l'éradication, car ils ne disposent pas de réservoirs animaux, et, car dans leurs cas les vaccins empêchent la circulation et la transmission. Ce n'est pas le cas du vaccin contre le SARS-CoV-2.
Le virus présente de très nombreux variants, et potentiellement, malheureusement, un échappement vaccinal - nous verrons ce point lorsque nous disposerons des données en vie réelle. Ces éléments font que le SARS-CoV-2 n'est pas un bon candidat à l'éradication. Tous les pays qui ont mis en place des politiques zéro covid draconiennes en sont globalement revenus, et ont acté l'échec de cette stratégie non fondée sur des preuves. Le fait d'enfermer des gens chez eux dans le cadre de mesures de confinement peut même s'avérer contre-productif, dans la mesure où ce virus se transmet notamment lors de contacts prolongés et rapprochés comme ceux qui ont lieu lors des repas familiaux, alors que la meilleure protection est la vaccination des personnes à risque, mais aussi la ventilation.
Je ne parle pas de la dégradation de l'état de santé consécutive à ces mesures, de l'augmentation de la sédentarité et du poids, qui est un facteur de risque majeur, de l'explosion des violences familiales, notamment des violences faites aux enfants. Des publications montrent une augmentation du nombre de bébés secoués lors des confinements. Des pédiatres disent dans des articles scientifiques que le domicile est plus à risque que la covid pour les enfants, du fait des accidents domestiques, des violences physiques, sexuelles, psychologiques.
Vous parliez d'obligation vaccinale, mais il faut bien voir que la médecine a normalement vocation à être suggestive et non pas normative. Le respect du consentement des individus est un des éléments majeurs de la médecine moderne et du droit de protection des patients, que l'on trouve dans la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé de 2002, dite loi Kouchner. L'article 36 du code de déontologie médicale dispose que tout patient, après une information loyale, doit pouvoir donner son consentement libre et éclairé sur ce qu'il estime être sa balance bénéfice-risque individuelle.
Je pense que l'obligation vaccinale est dangereuse en matière tant d'adhésion à la vaccination que de santé publique. On retrouve une hésitation vaccinale après la mise en place du passe vaccinal, y compris chez des personnes déjà vaccinées. On risque d'abîmer la confiance entre le médecin et le malade, sans même parler de la confiance entre la population générale et les scientifiques ou de celle entre les citoyens et les politiques.
Nous nous inscrivons dans l'« ère des pandémies », selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). L'OMS alerte l'opinion sur le risque représenté par les agents infectieux. Il est plus qu'important d'adopter de manière rapide, à court, moyen et long terme, des politiques de santé publique qui aient du sens et qui n'abîment pas la confiance des populations.
Le SARS-CoV-2 n'est qu'un avant-goût d'autres pandémies. La liste Blueprint de l'OMS, diffusée depuis 2018 et contenant toutes les maladies à potentiel pandémique majeur, parle à côté de la covid, d'Ebola, de Marburg, d'une « maladie X », qui n'a pas encore émergé, mais qui aurait un profil pandémique majeur et qui présenterait un risque pour la santé des populations.
Il est important d'adopter une approche rationnelle et pragmatique dans la lutte contre les pandémies, à court, moyen et long termes, et cela ne peut se faire qu'en se fondant sur des preuves scientifiques et sur la confiance de la population.
Mme Frédérique Puissat . - Merci pour votre parole libre. Dans cette crise comme dans d'autres, la parole libre d'experts est essentielle.
Est-ce pour autant simple de porter une parole libre dans le cadre de cette crise sanitaire ? Si ce n'est pas le cas, aurions-nous pu faire quelque chose afin que les parlementaires et les citoyens soient mieux éclairés ?
Mme Alice Desbiolles . - Cette question est importante. Pour cette raison, j'ai précisé m'exprimer à titre personnel, sans conflits d'intérêts. M. François Alla a démissionné du Haut Conseil de la santé publique. Je cite ses propos, tenus dans un entretien dans Le Quotidien du Médecin : « On assiste aujourd'hui à un processus de décrédibilisation de toute voix discordante. C'est devenu très dur pour un expert de dire qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec les politiques. Les gens sont tétanisés, ils ont peur de passer pour des antivax ou des complotistes. » Effectivement, il est difficile de tenir une parole libre sur ce sujet.
Ce que l'on aurait pu faire collectivement, c'est mobiliser le dispositif d'agences sanitaires supposées indépendantes qui existent déjà, et permettre la tenue d'un débat contradictoire scientifique - je vous remercie d'ailleurs d'offrir à cette parole de santé publique nuancée, pragmatique et fondée sur des preuves d'avoir pu être portée dans un cadre institutionnel au moins une fois. Ce débat contradictoire est nécessaire, car la communauté scientifique médicale de santé publique est extrêmement fragmentée sur la gestion de la crise. Je ne suis pas la seule experte de santé publique ou épidémiologiste professionnelle à porter cette voix. L'impression a été donnée qu'il n'y avait qu'une seule voix scientifique, homogène et consensuelle, face à la gestion de cette crise, et qu'on ne pouvait emprunter qu'une seule voie pour lutter contre la pandémie, alors que ce n'était pas le cas.
Les solutions providentielles qui nous ont été présentées, comme le confinement, les fermetures d'écoles ou le vaccin, n'avaient rien de providentiel. Il n'y a pas de sauveur providentiel, si ce n'est nous-mêmes. Nous devons nous reconnecter avec les principes fondamentaux de la médecine et de la santé publique que sont l'appui sur des preuves et le consentement des individus.
Il est important de ne pas gâcher les ressources. Si le vaccin est une ressource précieuse, au même titre que les antibiotiques, il ne faut pas non plus gâcher les ressources économiques : d'après le rapport de la Cour des comptes du 9 septembre 2021, qui porte sur « les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation », la somme des dépenses de la crise s'élève à 49,6 milliards d'euros. Le testing à l'aveugle en population générale représente 1,6 milliard d'euros pour le seul mois de janvier dernier.
Il me semble que la santé publique est un sujet sérieux et doit reposer sur des données probantes. La gestion des fonds publics est un sujet sérieux. Quand on voit que 1,6 milliard d'euros sont dépensés par mois pour des tests dont la plupart n'ont pas lieu d'être, je trouve cela douloureux, notamment au regard d'autres secteurs sinistrés, comme la pédopsychiatrie. On parle beaucoup de la saturation des services de réanimation, mais il y a des enfants dont la santé mentale est complètement ravagée du fait de cette gestion de crise, et qui sont renvoyés chez eux alors qu'ils présentent un risque suicidaire majeur. Dans les centres médicopsychologiques, il y a en moyenne entre 18 et 24 mois d'attente pour obtenir un rendez-vous.
Il faut regarder ce que, dans le secteur médico-économique, on appelle l'efficience. Le coût de l'action doit être favorable par rapport à son efficacité ; l'action, au regard de son prix, doit être bénéfique pour la santé. La dépense publique représentée par les tests est autant d'argent non investi de manière durable et plus efficiente. Il en va de même pour la vaccination, même si cette dernière a un sens pour certains publics. Le contrôle des passes coûte énormément d'argent : par exemple, ce sont environ 60 millions d'euros qui sont rajoutés dans le budget des hôpitaux.
On m'a toujours appris que lorsqu'on prend une décision de santé publique, il faut tenir compte de l'efficacité des mesures à partir de données probantes, mais aussi de l'efficience, qui permet de déterminer la légitimité d'une mesure au regard de son coût pour la solidarité nationale.
Les interrogations éthiques et démocratiques doivent aussi être prises en compte. Quand bien même un passe sanitaire ou vaccinal serait efficace, ce qui, en l'état actuel des connaissances, n'est pas le cas, devrait-il être mis en place au regard de ses implications éthiques et démocratiques ?
Il est très important d'avoir une approche globale, sanitaire, médico-économique, démocratique, éthique, déontologique, et de mettre tout cela dans la balance, ce qui, à mon sens, n'a pas du tout été fait.
M. Daniel Chasseing . - Je vous remercie d'avoir signalé les problèmes rencontrés par les services de pédopsychiatrie, et d'autres carences concernant le développement des enfants.
J'entends cependant difficilement que la vaccination n'est pas efficace. Tant sur le plan empirique qu'au regard des constats des experts, on peut remarquer une moindre contagiosité des personnes vaccinées et une efficacité de la vaccination, comme l'atteste notamment la diminution importante du nombre de décès en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui ont pratiquement disparu lors de la dernière vague.
Nous avons donc eu raison de convaincre ces personnes d'effectuer leur troisième dose, de vacciner les soignants.
Mme Alice Desbiolles . - Je suis d'accord avec vous : la vaccination des personnes âgées, notamment dans les Ehpad, est fondamentale.
Mais il faut bien voir que malgré les mesures prises « au nom de nos aînés », de nombreuses personnes sont décédées dans les Ehpad non pas tant de la covid que du fait de l'abandon, de la dépression, du désespoir, de la dénutrition et de la déshydratation - j'ai été personnellement concernée.
Lors du premier confinement, comme leurs proches ne venaient plus, énormément de personnes âgées en Ehpad ont fait un syndrome de glissement, du fait de leur isolement.
Les deux extrêmes de la vie dans nos sociétés, les bébés, les jeunes enfants et les personnes âgées, ont été profondément malmenés. Je ne veux pas jeter la pierre, mais persister dans une erreur n'en fait pas une vérité, et il n'est jamais trop tard pour réajuster les décisions au regard des données probantes. Je suis entièrement d'accord avec vous concernant l'importance de la vaccination dans les Ehpad, car le bénéfice individuel de la vaccination pour les personnes âgées est indiscutable.
Mais, encore une fois, la santé de ces personnes ne se résume pas à la seule covid. La dépression et l'isolement des personnes âgées sont des sujets très importants, et il ne faut pas les négliger.
Dans cette crise, on parle beaucoup de fragilité. Mais la fragilité et la vulnérabilité, ce n'est pas que le grand âge et les comorbidités vis-à-vis de la covid ; cela concerne aussi des enfants avec des parents maltraitants, des personnes qui sont dans la précarité ou qui n'ont pas accès aux soins. Lorsque l'on fait de la santé publique, il faut regarder les choses dans leur globalité, et considérer la santé dans toutes ses dimensions. La covid n'a pas le monopole de la vulnérabilité.
Selon l'OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne se résume pas à l'absence de maladie ou d'infirmités. On ne peut pas réduire la santé aux seuls indicateurs covid, ou à la seule absence de covid.
Mme Mélanie Vogel . - J'ai deux questions simples.
Vous dites qu'il faut prioriser la vaccination sur les publics à risque. Je comprends la logique s'il faut choisir entre les publics. Je n'ai pas bien compris dans votre raisonnement pourquoi il ne faudrait pas vacciner les personnes sans comorbidité. D'abord, on peut avoir des comorbidités qu'on ne connaît pas ; ensuite, on sait que certaines personnes qui ont été hospitalisées pour des formes graves de covid étaient jeunes, sans comorbidité connue. Si on a assez de vaccins pour tout le monde, je ne vois pas où est le problème.
Vous mettez l'accent sur le fait que la santé est un concept global, qu'il n'y a pas que le covid dans la vie et que les mesures mises en place pour lutter contre le covid peuvent présenter des risques. Pourquoi opposer ces différents objectifs ? On peut très bien avoir, à la fois, une politique de vaccination efficace et une politique de développement des services publics et de lutte contre la pauvreté et la violence.
Mme Alice Desbiolles . - Il me semble que plusieurs raisons justifient de ne pas vacciner tout le monde.
Il est important de se fonder sur l' evidence-based medecine . Le bénéfice de la vaccination sur les personnes à risque est indiscutable ; on ne peut pas en dire autant pour des publics plus jeunes. Le critère de jugement principal dans les essais chez les enfants et les adolescents était le même que chez les adultes : le vaccin est considéré comme efficace si vous ne développez pas de covid symptomatique, mais on ne prend pas spécifiquement en compte les formes graves ou les décès.
S'agissant des données disponibles, le suivi médian est environ de deux mois et les effectifs sont tout de même très faibles, ce qui ne permet pas d'être sûr de la sécurité du produit que vous allez inoculer à des personnes saines. Je dis non pas qu'il y a un risque, mais que l'on ne sait pas. D'ailleurs, le Comité consultatif national d'éthique, dans son dernier avis sur la vaccination des enfants en suivant l'avis de la HAS, a insisté sur l'incertitude en termes d'innocuité du vaccin covid chez les jeunes, qui ne sont pas à risque de forme grave ou létale de covid-19. En termes de bénéfice individuel, il reste à démontrer que la vaccination de ce public, au regard du recul très faible que nous avons sur ce produit, est favorable. La pharmacovigilance est là pour cela, mais elle prend du temps.
Dans sa note d'avril 2021 sur les caveat de la vaccination obligatoire, l'OMS avait insisté sur l'importance d'avoir davantage de recul sur l'innocuité du produit que vous mettez en place. Je ne veux pas semer le doute : je pense que le bénéfice individuel est favorable chez les personnes à risque, mais pour un public jeune cela reste à mon sens à démontrer.
On a abordé l'aspect médico-économique : j'ai du mal à comprendre, en termes de gestion des fonds publics, pourquoi une intervention coûteuse est proposée, alors qu'une évaluation est en cours. Le site clinicaltrials.gov regroupe tous les essais cliniques en cours : les analyses de données ont lieu jusqu'en 2026 pour la vaccination chez les enfants.
Avec un suivi médian de deux mois et des effectifs trop faibles pour mettre en lumière de potentiels effets indésirables, il me semble prématuré, vu les données dont on dispose actuellement, de proposer la vaccination aux enfants et aux adolescents.
M. René-Paul Savary . - Vous partez sur un constat différent, celui d'un vaccin-médicament réservé aux personnes malades ou destiné à éviter les formes graves chez les fragiles, parce qu'il n'a pas d'effet sur la transmission. Or on nous a cité des chiffres, fondés sur des études : on nous a dit que le vaccin était efficace à plus de 90 %, quand on a toutes les doses, sur les formes graves et « seulement » à 40 % sur les transmissions.
Contestez-vous ces études ? Si j'ai bien compris votre raisonnement, vous dites que le vaccin n'agit pas sur la transmission, c'est la raison pour laquelle, en toute logique, il faut le cibler sur les personnes à risque puisqu'il a un impact sur la gravité de la maladie.
Vous craignez l'échappement vaccinal si on vaccine largement la population. Des études ont-elles porté sur ce point ?
Mme Alice Desbiolles . - S'il n'est pas souhaitable de vacciner tout le monde, c'est justement aussi pour la pression de sélection sur les variants, ce qui conduit à un gaspillage de la ressource en termes d'efficacité sur les personnes à risque.
Un éditorial du New England Journal of Medicine rappelait qu'il n'y avait pas de mesure de l'efficacité sur la contagiosité dans les essais cliniques randomisés, qui sont des essais à fort niveau de preuve. Toutes les études ne se valent pas : il y a une gradation dans le niveau scientifique. Des études rétrospectives, avec des cas témoins, reposant sur des données déclaratives ne constituent pas un fort niveau de preuve. La mise en place d'une intervention aussi massive et coûteuse doit reposer sur des essais à fort niveau de preuve, comme les essais cliniques randomisés. L'effet du vaccin sur la contagiosité ne fait pas partie des critères : c'est écrit noir sur blanc dans les reports d'essais cliniques des firmes.
On peut toujours trouver des études pour justifier ce que l'on a envie de montrer. Je m'appuie sur les données des industriels qui sont ceux qui commercialisent le produit. Je le redis, le critère de jugement principal est l'infection symptomatique validée par PCR positive.
Sur l'évolution virale, les coronavirus mutent et se recombinent, notamment avec des virus proches, dans de vastes réservoirs animaux qu'il faut surveiller étroitement, d'où l'intérêt de collaborer avec des vétérinaires. C'est ce que l'OMS appelle le one health , une seule santé : santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont intimement liées. Il se crée en permanence des variants et des sous-variants : c'est pour cela qu'il est illusoire de vouloir bloquer complètement le processus, notamment par le biais de la vaccination. Il faut donc se demander comment éviter de favoriser par nos interventions les souches potentiellement problématiques au sein de ce vaste répertoire de mutants et de variants. Je faisais le parallèle avec les antibiotiques. Si la vaccination covid s'étend à de larges populations qui n'en ont pas forcément besoin, elle risque d'induire un phénomène bien connu, une pression de sélection.
L'émergence de souches dominantes résistantes au vaccin sous différentes conditions a été récemment simulée par des chercheurs français du CNRS : dans une publication du début de l'année, il est montré que la stratégie optimale pour minimiser les dommages globaux de la pandémie consiste à focaliser la vaccination sur les personnes à haut risque de covid-19 grave afin de les protéger individuellement et efficacement, tout en évitant de sélectionner et de faire circuler des souches résistantes à partir de vastes populations de personnes à faible risque. Une accumulation de données observationnelles montrant le développement et la circulation préférentielle de variants et de sous-variants résistants dans de vastes populations vaccinées peuvent expliquer des explosions d'incidence de variants en échappement immunitaire, même dans des régions à forte couverture vaccinale. D'où l'intérêt, en d'autres termes, de cibler, d'économiser la ressource pour limiter l'échappement vaccinal.
Il faut aussi remettre les vaccins à jour, comme on le fait pour la grippe chaque année, pour anticiper les variants qui vont circuler.
M. Martin Lévrier . - Vous battez en brèche, avec beaucoup de certitude, les modélisateurs et les mesures de confinement prises en fonction de ces modélisations. Je ne suis pas scientifique, et je dois donc m'appuyer sur des gens en qui je crois pouvoir avoir confiance.
Contrairement à ce que vous avancez, M. Delfraissy a récemment indiqué que le vaccin permet de limiter la contagiosité du virus. Quelle est alors selon vous la gradation de la vérité ? Est-ce que M. Delfraissy ment, alors que vous dites la vérité ? Face à deux paroles aussi différentes, nous devons faire un choix entre deux positions qui l'une et l'autre disent s'appuyer sur des études.
Vous vous êtes appuyée sur le fait que l'OMS déconseille le port du masque lors de la pratique sportive. Mais l'OMS a également dit, au début de cette pandémie, que le masque ne servait à rien. Là encore, cela nous pose problème.
Vous indiquez qu'il reste à prouver que les confinements aient été utiles. Mais au regard du confinement décidé en catastrophe en Angleterre, il me semble que, à cette époque, nous n'avions pas vraiment le choix. Avec les connaissances dont nous disposions à l'époque, qu'auriez-vous fait ?
Mme Alice Desbiolles . - Concernant la contagiosité, il me semble que le professeur Delfraissy a lui-même admis que le but du passe sanitaire était non pas de réduire les contaminations, mais bien d'augmenter le nombre de primo-vaccinations, ce qui a eu lieu, mais pas dans le public cible des personnes à risque. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de la mesure.
Je ne cherche pas à démontrer une conjecture, mais je m'appuie sur les données disponibles, notamment par le biais des études à fort niveau de preuve menées par Pfizer, où la contagiosité ne fait pas partie des critères de jugement. On ne peut donc pas statuer sur cette question, même si chacun peut constater de manière empirique que, vacciné ou non, on peut contracter cet agent infectieux. Il me semble que M. Delfraissy était revenu sur ce point.
Je précise que la charge de la preuve doit normalement incomber à la puissance qui met en place la politique publique, et que ce n'est pas à moi d'en démontrer la potentielle inefficacité. Si l'on veut faire les choses dans les règles de l'art, même si l'incertitude fait partie de la pratique, il faut disposer d'un fort niveau de preuve avant de mettre en place des interventions. Il ne faut pas inverser les rôles.
Concernant le port du masque, j'attends un essai à fort niveau de preuve qui démontre son efficacité, en particulier chez les enfants. Je ne dis pas que le masque ne sert à rien, et je ne veux pas tomber dans un manichéisme stérile : le port du masque a beaucoup d'intérêt dans certaines conditions, si l'on est malade par exemple.
À mon avis, si le port du masque était initialement déconseillé en population générale par l'OMS, c'est simplement en raison du risque de mésusage : ce n'est pas parce que l'on conseille de porter un masque que le masque sera bien porté - et je ne parle même pas des enfants. Pour être efficace, ce dispositif médical doit être porté de manière précise : le masque doit être changé régulièrement, ne doit pas être touché, et il faut une certaine rigueur. D'ailleurs, la Société française d'hygiène hospitalière ne recommande pas le port du masque FFP2 en population générale.
Je comprends votre difficulté à naviguer dans tout cela, ce qui est tout à fait regrettable. Le débat contradictoire, qui s'observe normalement dans les agences de santé publique, qui permet au dissensus de s'exprimer et au consensus d'émerger, n'a pas vraiment eu lieu dans les institutions. Il émerge maintenant, provoquant une certaine incompréhension.
Vous me demandez ce que j'aurais fait en l'état des connaissances dont nous disposions au début de l'année 2020. Les données chinoises permettaient déjà d'identifier les personnes à risque de formes graves, et, personnellement, j'aurais préféré que les mesures de protection soient davantage ciblées sur ces personnes, dans le respect de leur consentement.
Que se serait-il passé si nous n'avions pas eu de vaccin ? Que se passera-t-il quand un nouveau variant échappera au vaccin, ou lors de l'émergence d'une nouvelle maladie ? Il faut s'interroger sur ces questions pour anticiper et ne pas se retrouver pris au dépourvu. Une des conclusions du rapport de l'IPBES Échapper à l'« ère des pandémies » est qu'il faut insister sur la prévention et ne pas uniquement être dans la réaction.
J'aurais donc ciblé la protection sur les personnes à risque consentantes, en leur proposant dans un premier temps d'adopter des mesures de protection comme le port du masque FFP2 pour elles et le port du masque pour les personnes à leur contact, éventuellement, dans le respect de leur consentement, un autoconfinement volontaire et une mise à disposition de services pour leur permettre de limiter les interactions sociales. J'aurais ciblé les mesures sur ce public-là, et réduit la pression exercée sur l'ensemble de la population, selon le concept important en santé publique de l'universalisme proportionné, qui précise que des mesures proportionnées doivent être prises selon la vulnérabilité des personnes.
Cet alliage aurait permis une approche moins coûteuse sur tous les plans, sanitaire, social, économique, pédagogique, en matière d'inégalité, de démocratie, de confiance, et de rigueur scientifique.
M. Martin Lévrier . - Des pays ont-ils mené une telle politique avec succès ?
Mme Alice Desbiolles . - La Suède a quand même moins d'impact négatif, et les pays qui ont adopté une politique zéro covid en reviennent, car elle n'est pas tenable.
L'OMS parle de fatigue pandémique. Il est important que la lutte contre un agent infectieux et l'adhésion des populations s'inscrivent dans la durée. Au-delà de l'efficacité des mesures, qui reste encore à prouver, il y a un risque de décrochage et de contre-productivité. L'adoption de mesures proportionnées en fonction des risques des individus, de leur vulnérabilité et de leurs capacités, dans le respect du consentement, me semble être la base en médecine et en santé publique.
M. Alain Milon , président . - Je vous remercie. Vous avez insisté sur le caractère documenté et pragmatique de votre intervention, mais il se trouve que les intervenants qui ne pensent pas comme vous nous disent la même chose. La situation est compliquée pour nous !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur,
et de Mme Charlotte
Geay, chef du lab innovation
et évaluation en santé, de la
Drees
M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons ce matin M. Fabrice Lenglart, directeur, et Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que notre travail n'a pas pour objet de refaire le débat sur le passe vaccinal, dans la mesure où celui-ci a été tranché par le Sénat, qui a adopté ce passe à une large majorité. Nous cherchons plutôt à vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté quelques semaines plus tard à une nouvelle configuration de l'épidémie.
Notre audition de ce matin porte sur les données et l'usage qui peut en être fait dans la gestion de l'épidémie.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fabrice Lenglart et Mme Charlotte Geay prêtent successivement serment.
M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques . - La Drees est le service statistique ministériel du ministère des solidarités et de la santé.
Je précise dès maintenant qu'en matière de suivi et de veille sanitaire l'organisme principalement responsable est non pas la Drees, mais Santé publique France (SPF). En effet, la Drees a avant tout pour mission de produire des études structurelles dans le domaine de la santé. Pour le résumer d'un trait, jusqu'à la pandémie, elle ne publiait que les résultats d'enquêtes annuelles ou pluriannuelles, par exemple sur l'état de santé de la population. Ma direction ne produisait pas de statistiques à un rythme infra-annuel.
Ce partage des rôles relativement clair, notamment entre SPF et la Drees, a évidemment été bouleversé par la crise sanitaire : au printemps 2020, la Drees, s'appuyant sur ce qui constituait son coeur de métier, c'est-à-dire aider à comprendre ce qu'il se passe sur un temps relativement long, a notamment lancé avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) une grande enquête en population générale, dite « EpiCov » (épidémiologie et conditions de vie), afin de pouvoir mesurer statistiquement, à un niveau fin sur le territoire, la prévalence de l'épidémie, même si ce type d'enquête ne livre des renseignements qu'après un certain intervalle de temps.
Par ailleurs, la Drees est à la tête d'un panel de suivi des médecins généralistes : elle a donc, dans l'urgence, au début de la crise sanitaire, conduit des enquêtes spécifiques auprès de ces médecins pour en savoir davantage sur leur activité médicale, que celle-ci soit en lien ou non avec la covid-19.
La Drees a évidemment été sollicitée pour ses compétences, notamment en matière statistique, dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Au tout début de la première vague épidémique, j'ai ainsi demandé à un certain nombre de personnels de la direction, qu'ils travaillent ou non sur des thématiques liées à la santé, de rejoindre le centre de crise sanitaire pour aider à faire remonter le mieux possible les informations.
La Drees a aussi collaboré à une enquête pour déterminer où se trouvaient les respirateurs dans les hôpitaux. C'est un exemple parmi d'autres des actions que nous avons lancées à ce moment-là.
Petit à petit, le travail s'est formalisé et Charlotte Geay a été nommée, en tandem avec un fonctionnaire de la direction générale de la santé (DGS), pour diriger une équipe de statisticiens chargée de faire remonter des données au centre de crise sanitaire.
Par la suite, la Drees a eu accès aux trois grandes bases de données relatives à la crise de la covid-19 : la base SI-DEP, le système d'information national de dépistage ; la base SI-VIC, qui recense les données portant sur les hospitalisations des personnes atteintes du virus ; la base VAC-SI relative aux personnes vaccinées. Elle y avait déjà accès en théorie, mais les équipes n'ont pu exploiter ces données qu'après qu'elles ont été anonymisées. Protégées par un pseudonyme, ces données individuelles ont été exploitées et nous ont permis de faire des appariements.
J'insiste sur ce point : la Drees a mis en place un système d'appariement qui permet de relier les différentes bases entre elles. À compter du mois de juillet 2021, nous avons régulièrement produit des études statistiques sur le statut vaccinal des personnes hospitalisées, qui font l'objet d'une publication hebdomadaire. En matière de santé, nous avons changé de référentiel : désormais, nous publions des données sur la covid-19 chaque vendredi.
Nous publions également chaque jeudi des statistiques sur les tests, qui servent notamment à surveiller si les délais entre la réalisation des tests et la publication des résultats ne sont pas trop longs. Ces enquêtes sont une réponse immédiate aux difficultés que notre pays a rencontrées lors de la mise en place de la première campagne de tests.
Outre ces statistiques régulières, nous publions des études plus détaillées, en particulier sur le statut vaccinal. Je pense notamment à une étude visant à évaluer l'efficacité vaccinale, non seulement à partir des données agrégées chaque semaine, mais aussi à partir de modèles plus précis. Nous avons également publié les résultats de l'enquête EpiCov, qui a permis de mesurer la part de la population touchée par le virus à certains moments de l'épidémie. Nous devrions publier d'ici quelques semaines les premiers résultats de la troisième vague de cette étude, qui nous permettra de connaître avec précision la part de la population vaccinée à la mi-2021.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - De quelle manière le Gouvernement sollicite-t-il la Drees pour obtenir des analyses de données en vue d'éclairer ses décisions dans le cadre de la gestion de crise ? Votre direction a-t-elle contribué, et de quelle manière, à la prise de décision de l'exécutif pour un certain nombre de mesures ?
M. Fabrice Lenglart . - La Drees, comme toutes les autres directions directement impliquées dans la gestion de la crise sanitaire, au premier rang desquelles on trouve évidemment la direction générale de la santé, la DGS, et la direction générale de l'offre de soins, la DGOS, participe aux réunions de crise organisées extrêmement régulièrement - le rythme est quotidien - sous l'égide du ministre de la santé et des solidarités. Dans cette perspective, lorsque la Drees est susceptible d'aider ou de répondre aux questions du Gouvernement, notamment sur la manière de collecter les données, elle le fait.
Ainsi, lorsqu'il s'est agi de mettre en oeuvre la future politique vaccinale, on nous a demandé si nous étions capables de publier des informations sur l'efficacité des vaccins. On nous a interrogés sur la forme que prendraient ces données, et à quelle fréquence nous serions en mesure de les produire. C'est pour répondre à cette sollicitation que la Drees a mis en place les appariements que j'évoquais tout à l'heure.
J'ai informé le ministre des premiers résultats que nous avions obtenus à la mi-juillet 2021, et je peux vous dire que ces résultats étaient en ligne la semaine qui a suivi. Dès le début, nous avons donc fait preuve de la plus totale transparence.
Par ailleurs, la Drees peut également aider et apporter un soutien matériel aux directions opérationnelles, comme la DGS ou la DGOS. Par exemple, à l'automne dernier, la Drees a aidé la DGOS à lancer une enquête auprès des établissements de santé pour évaluer la proportion des personnels de santé vaccinés.
De manière générale, nous sommes associés dès l'amont à la préparation de dossiers qui peuvent être soumis au conseil de défense sanitaire lorsqu'il se réunit.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Le passe vaccinal vous semble-t-il l'outil le plus approprié pour maîtriser l'épidémie ? En d'autres termes, est-on capable de calculer l'incidence du passe vaccinal sur le taux de vaccination, d'une part, et sur la maîtrise de l'épidémie, d'autre part ?
Ce passe vaccinal est limité dans le temps : est-il pertinent de le maintenir aujourd'hui ? Selon vous, quels sont les critères qui justifieraient une sortie de ce dispositif ?
M. Fabrice Lenglart . - La Drees produit de l'information statistique pour éclairer les choix du ministère, en particulier en termes d'efficacité vaccinale, depuis l'été 2021. Ces données aident l'exécutif à prendre des décisions, celle par exemple de mettre en place un passe sanitaire ou vaccinal, ou d'accélérer son application. En revanche, elle ne participe à la prise de décision à proprement parler. Je ne suis donc pas vraiment habilité à juger si le passe vaccinal est approprié ou non.
Cela étant, dans les semaines qui ont précédé la décision de mettre en place le passe vaccinal, la Drees a produit un certain nombre de statistiques sur le statut vaccinal des personnes hospitalisées, qui permettaient de conclure avec certitude que le vaccin était efficace, car il contribuait à éviter les formes graves de la maladie et qu'il permettait de prévenir la diffusion du virus - c'était avant l'apparition du variant Omicron. De ce point de vue, la Drees a d'une certaine façon justifié la décision de mettre en place le passe sanitaire.
La mise en oeuvre du passe vaccinal a coïncidé avec l'émergence du variant Omicron, dont la propagation est beaucoup plus rapide que le variant delta. Dans ses publications, la Drees a été assez rapidement capable de distinguer le statut des personnes testées positives et celui des personnes hospitalisées selon la nature du variant.
Nous avons donc pu faire tourner nos modèles, en évaluant cette fois-ci l'efficacité vaccinale selon que les malades sont affectés par le variant delta ou le variant Omicron. Cette étude confirme l'efficacité des vaccins, en particulier celle du rappel six mois après la première dose, pour lutter contre les formes graves de la maladie, qu'elle soit liée au variant delta ou au variant Omicron, en sachant que la probabilité de développer une forme sévère de la maladie est beaucoup plus faible avec Omicron. Elle montre en revanche une bien moindre efficacité des vaccins pour réduire la contagiosité du variant Omicron.
Pour répondre précisément à votre question, je n'ai donc jamais participé à une quelconque discussion sur l'opportunité ou non de mettre en oeuvre le passe vaccinal, mais j'ai fourni des informations de ce type.
Dès lors qu'une large part de la population est vaccinée et donc a priori protégée contre les formes graves de la maladie, la mise en place du passe vaccinal répond, à mon sens, à la nécessité de protéger les personnes non vaccinées en instaurant une forme de contrainte les concernant plus spécifiquement.
De par ma fonction, je ne suis pas non plus le plus qualifié pour vous répondre sur les critères à remplir pour sortir du dispositif. Cela étant, il me semble que le plus important est d'assurer un suivi de la prévalence de l'épidémie, et surtout de son incidence sur le système hospitalier, puisque le passe vise deux objectifs, à la fois protéger la population et faire baisser la pression sur l'hôpital pour qu'il soit en mesure de répondre aux besoins de la population.
M. Alain Milon , président . - Avez-vous établi des statistiques sur les patients atteints du virus en fonction de leur âge et des comorbidités qu'ils présentent ? Les enfants sont-ils nombreux à être infectés ? Ceux d'entre eux qui sont hospitalisés le sont-ils en raison d'une comorbidité ?
M. Fabrice Lenglart . - Les données que nous traitons sont déclinées par tranche d'âge de vingt ans, par région et par statut vaccinal. Nous ne publions aucune donnée sur les comorbidités, tout simplement parce qu'il n'existe quasiment aucune information à ce sujet dans la base SI-VIC. Il faudrait mobiliser d'autres types d'informations, en particulier celles qui figurent dans le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), qui recense l'ensemble des données sur les personnes hospitalisées.
Il y a quelques mois, une étude EPI-PHARE a certes fait le lien entre les données de vaccination et le PMSI, mais elle est rétrospective, les données du PMSI n'étant pas disponibles aussi rapidement que celles de la base SI-VIC.
Nous ne publions donc pas de données statistiques sur les seuls enfants.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Selon vous, la Drees bénéficie-t-elle de suffisamment de moyens, notamment humains, pour faire face aux sollicitations auxquelles elle a eu à répondre depuis le début de la crise ? La nécessaire protection des données individuelles vous pose-t-elle des problèmes dans l'exercice de votre mission et a-t-elle entraîné un surcroît de dépenses ?
Autre question, notre commission a auditionné hier le docteur Alice Desbiolles, dont les affirmations nous ont quelque peu troublés. Mme Desbiolles a ainsi déclaré qu'aucune donnée émanant du Gouvernement, qu'aucune preuve ne justifiait la mise en place du passe vaccinal. Elle estime que le recours systématique aux modélisations n'est pas pertinent. Qu'en pensez-vous ?
M. Fabrice Lenglart . - Comme je l'ai indiqué, au début de la crise, quand la Drees a cherché à se rendre utile, j'ai effectivement dépêché un nombre considérable d'agents au service de la gestion de la crise. Sur les 180 agents de la Drees, une trentaine d'entre eux y consacraient tout leur temps lors du premier confinement, alors même que cela ne relevait théoriquement pas de leur mission.
Nous avons fait avec les moyens du bord, mais la situation s'est très nettement améliorée à partir de la fin 2020, époque où la Drees a bénéficié d'effectifs supplémentaires pour répondre aux besoins liés à la crise sanitaire. Je parle là de cinq ou six personnes, qui ne sont pas des personnels de la Drees, mais qui travaillent sous mon autorité et celle de Charlotte Geay au quotidien.
La protection des données est un sujet qui me tient extrêmement à coeur : c'est dans l'ADN d'un système statistique ministériel et, plus généralement, de la statistique publique d'y être extrêmement vigilant. Nous veillons à la fois au cadre légal et technique des données.
Pour vous répondre sur la pertinence des modèles et des données que nous produisons, je vous invite à regarder nos publications hebdomadaires sur le statut vaccinal de la population : depuis le mois de juillet dernier, nous avons amélioré à plusieurs reprises notre méthodologie, et ce en toute transparence, puisque nous avons systématiquement signalé ces changements, en montrant les effets que cela induisait sur nos données. En statistique, il est parfaitement normal que les outils évoluent et s'améliorent. L'essentiel est de procéder à ces modifications en toute transparence.
Hélas, je n'ai pas regardé l'audition du Dr Desbiolles et ne sais pas précisément ce qu'elle a dit. Le terme de « modélisation » est assez vague. S'il s'agit de modélisations pour mesurer l'efficacité du statut vaccinal, elles peuvent être plus ou moins sophistiquées : elles peuvent porter sur des données agrégées, mais elles peuvent aussi être davantage détaillées et traiter des données individuelles.
À mon sens, les données dont la Drees dispose permettent avec certitude d'affirmer que les vaccins sont efficaces.
Si le terme de modélisation renvoie à d'autres types de mobilisations, comme celle de l'incidence de la dynamique épidémique sur le système hospitalier, qui résultent du travail de chercheurs qui dépendent pour la plupart de l'Institut Pasteur ou de l'Inserm, je pense qu'il conviendrait de les interroger directement. À mon avis, il s'agit moins de prévisions que de projections qui dépendent de critères nombreux et variables, comme la contagiosité des différents variants ou les comportements de la population au quotidien. De tels modèles sont utiles pour éclairer la décision, mais les résultats auxquelles ils permettent d'aboutir dépendent, par définition, des hypothèses sur lesquelles ils reposent, lesquelles ne peuvent être établies en amont avec une certitude absolue.
Mme Nadia Sollogoub . - La Drees collecte-t-elle des informations sur le covid long ?
M. Fabrice Lenglart . - Non, la Drees ne conduit aucune étude sur ce thème, d'autant qu'elle n'en a pas les moyens en l'état actuel des choses, en tout cas pas avec les bases de données dont je vous ai parlé.
De tels travaux sont pourtant fondamentaux. La Drees pourrait éventuellement y contribuer à moyen terme, mais ils réclameraient à coup sûr de mobiliser un plus grand ensemble d'informations, d'appareiller des données de test et des données ayant trait à ce que l'on appelle le système national des données de santé (SNDS), de façon à suivre les personnes dans la durée. La France dispose d'un système d'information qui permettrait de produire des informations intéressantes à cet égard, y compris sur le long terme.
M. René-Paul Savary . - Ne serait-il pas opportun de moderniser la plateforme Health Data Hub , qui sert normalement à recueillir des données à but de recherche ? Dans un rapport récent, nous avons préconisé la mise en place d'un recueil adapté à la gestion de crise, un Crisis Data Hub en quelque sorte, qui permettrait d'être plus réactif. Une telle cellule nous permettrait aussi de mieux circonscrire le passe vaccinal, en l'adaptant aux caractéristiques du variant Omicron par exemple, et de modifier la stratégie de notre pays à la fois en termes de vaccination et de test.
Selon vous, est-il envisageable de réserver le passe vaccinal aux personnes âgées, par exemple, avant de le supprimer complètement ? Ne pourrait-on pas aussi le cibler sur les personnes fragiles, puisque vous nous avez expliqué que vous ne disposiez pas des données sur la comorbidité des malades, mais que de telles informations existaient bel et bien ?
Enfin, que proposeriez-vous pour que la stratégie de test soit plus adaptée à la situation actuelle et plus efficace ?
M. Fabrice Lenglart . - La plateforme des données de santé, dite Health Data Hub , est un outil extrêmement important et très prometteur. J'en profite d'ailleurs pour vous indiquer que la Drees en est l'initiatrice.
L'idée qui sous-tend la mise en place de cette plateforme est que l'on peut, sous certaines conditions juridiques et techniques extrêmement strictes, réunir en un même endroit un ensemble de bases de données ayant trait à la santé, et les partager, de sorte à multiplier nos capacités de recherche et d'innovation.
Tel que je le conçois, ce rôle est absolument crucial, mais je ne suis pas certain qu'il s'agisse pour autant de l'instrument à privilégier pour gérer et suivre une crise. Comme je vous l'ai dit, les réunions de crise sont quotidiennes : nous avons donc besoin d'un système d'information plus proche du pouvoir décisionnel, des équipes de Santé publique France et de la DGS, et qui permette à l'exécutif de disposer rapidement des données les plus récentes possible.
L'outil Health Data Hub serait à coup sûr très utile si l'on veut, par exemple, démultiplier les études sur le covid long, ne serait-ce que parce que cette plateforme, conjointement avec la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), a pour mission d'abriter ce que l'on appelle le système national des données de santé, dont le périmètre a vocation à s'élargir.
Pour éviter tout malentendu, je précise que la Drees interprète bel et bien les données qu'elle produit. Ainsi, lorsque j'affirme que les vaccins sont efficaces, je le fais sur le fondement des études que la Drees publie à ce sujet. De manière générale, cette direction fournit des informations qui constituent une aide à la décision, mais ne participe pas à la prise de décision en tant que telle, ce qui est normal : chacun doit rester dans son rôle.
J'en reviens au passe vaccinal. Ce qui a changé avec l'arrivée du variant Omicron, c'est que la contagiosité du virus est devenue telle que l'on peut être contaminé du jour au lendemain. Le passe vaccinal présente donc un réel intérêt de ce point de vue par rapport au passe sanitaire. Je précise par ailleurs que je n'ai jamais dit que le vaccin était totalement inefficace face à Omicron, mais qu'il était beaucoup moins efficace.
Dans ce contexte, passer du passe sanitaire au passe vaccinal revient à prendre acte de la grande difficulté qu'il y a à empêcher le virus de circuler, et à faire en sorte de protéger la population qui risque le plus de développer des formes graves de la maladie, à savoir les non-vaccinés. Il ne faut pas oublier qu'en dernier ressort la forte contagiosité du variant Omicron induit une pression importante sur notre système hospitalier.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Lors de son audition hier, le docteur Desbiolles a bouleversé les quelques certitudes ou convictions que nous avions depuis le début de cette crise. Ma question découle directement des propos qu'elle a tenus : dans la mesure où la Drees est placée sous l'autorité du ministre de la santé et des solidarités, pensez-vous qu'il soit sain qu'un ministère soit chargé de se juger lui-même ? Peut-on attendre autre chose de la Drees que la promotion des décisions du ministre ?
M. Fabrice Lenglart . - Un service statistique ministériel est d'abord une entité qui fait partie du système statistique public, dont le navire amiral est, en France, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ce système est couvert par un règlement européen, qui garantit, y compris en droit français, l'indépendance professionnelle des statistiques publiques. Pour ce qui est des publications de la Drees, en tant que producteur de statistiques mises à la disposition du grand public, je peux vous assurer qu'elles résultent d'un travail frappé du sceau de l'indépendance professionnelle, et j'assume l'entière responsabilité de leur qualité et de la façon dont on peut les interpréter.
Un service statistique ministériel a une autre fonction, celle d'éclairer les politiques publiques du ministère dont il relève, en l'occurrence pour la Drees, les politiques publiques en matière sanitaire et sociale. Dans le cadre de mes fonctions, je peux être amené à conseiller le ministre et ses collaborateurs, au vu des données que nous collectons et publions, sur la mise en oeuvre de telle ou telle politique.
Enfin, un service statistique ministériel doit aider les directions qui sont plus opérationnelles. Lorsque j'ai envoyé des équipes pour aider la DGOS à trouver les respirateurs lors de la première vague épidémique, nous étions tout à fait dans notre rôle.
Le ministère de la santé est chargé de mettre en oeuvre les politiques sanitaires. Il me semble naturel qu'il puisse s'appuyer sur un service qui produit et publie des statistiques avec la plus entière indépendance professionnelle et l'aide à évaluer ses politiques, en l'occurrence la Drees. J'estime que le système actuel est assez bien conçu. D'ailleurs, rien ne s'oppose à ce que d'autres organismes d'évaluation ou le Parlement portent un regard extérieur sur les politiques du ministère.
Mme Annie Le Houerou . - Vous nous avez indiqué que vous produisiez des données par tranche d'âge de vingt ans : dans le contexte actuel, alors que l'on incite de plus en plus les enfants à se faire vacciner, ne jugez-vous pas utile de travailler sur des tranches d'âge plus réduites ?
Hier, le docteur Desbiolles a déclaré qu'un certain nombre de mesures avaient été prises sur le fondement d'analyses prospectives qui présentaient en définitive des résultats très différents de la réalité : à votre connaissance, existe-t-il des enquêtes évaluant l'écart entre ces projections et les chiffres constatés a posteriori ?
M. Fabrice Lenglart . - En effet, nos évaluations portent sur des tranches d'âge de vingt ans. Je rappelle que la Drees n'est pas l'organisme chargé de publier des données sur l'épidémie de covid-19 et que Santé publique France fournit des données beaucoup plus détaillées, y compris sur les enfants. Cela étant, si une politique vaccinale spécifique aux enfants est mise en oeuvre, il est tout à fait envisageable d'enrichir nos données.
Quant à votre question sur les analyses prospectives, je suis un peu gêné pour vous répondre, car je n'ai pas vu l'audition du Docteur Desbiolles. À vous entendre, je crois comprendre qu'elle évoquait des prévisions sur l'incidence de l'épidémie sur le système hospitalier : s'il s'agit bien de cela, sachez que la Drees ne travaille pas sur ce sujet.
Mme Raymonde Poncet Monge . - D'après vous, le passe vaccinal servirait principalement à protéger les non-vaccinés, en les obligeant à limiter leurs interactions sociales, et à protéger le système de soins. Son efficacité doit par conséquent être évaluée à l'aune de ces deux objectifs.
Sur un plan statistique, connaissez-vous la proportion de personnes fragiles, en raison de leur âge ou de leurs comorbidités, parmi les 5 millions de personnes non vaccinées ? Parmi les personnes hospitalisées, quelle est la proportion de personnes fragiles ? Il me semble que c'est en fonction des réponses chiffrées que l'on sera capable d'apporter à ces deux questions que l'on pourra réellement juger de l'efficacité du dispositif mis en place.
M. Fabrice Lenglart . - Le passe vaccinal vise un troisième objectif : inciter à la vaccination.
Les données que nous publions permettent de démontrer avec certitude que la part des personnes non vaccinées qui sont hospitalisées, parce qu'elles ont développé une forme grave de la maladie est, en proportion de la population qu'elles représentent, beaucoup plus élevée que celle des personnes vaccinées qui sont hospitalisées.
On est également capable de détailler ces données par tranche d'âge, ce qui nous a permis de conclure que le risque de développer une forme grave de la maladie était directement lié à l'âge du patient. On sait également que ce risque est corrélé avec les comorbidités, mais comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas les moyens de publier des statistiques à ce sujet. Dans la base VAC-SI, ces données existent, mais elles sont insuffisamment détaillées et, donc, inexploitables. Des données de meilleure qualité figurent dans le PMSI, mais elles sont disponibles avec un temps de retard.
M. René-Paul Savary . - Après l'annonce de l'instauration du passe vaccinal, on a constaté une hausse du nombre de primo-vaccinés. Où en est-on aujourd'hui : la courbe des vaccinations est-elle toujours aussi haute ?
Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé de la Drees . - Les données de SPF sont révélatrices : on observe une augmentation notable des primo-vaccinations au mois de janvier, mais la tendance est moins marquée depuis quelques semaines.
M. Fabrice Lenglart . - La Drees a publié une étude qui prouve la corrélation entre l'annonce du Président de la République d'une accélération de la mise en place du passe sanitaire l'été dernier et la hausse du nombre de tests. Nous n'avons en revanche aucune information scientifique démontrant une causalité entre cette annonce et la hausse du nombre des vaccinations, même si l'observation des courbes laisse peu de doute.
Dernier point, la Drees n'a pas publié d'étude contrefactuelle pour tenter de décrire ce qu'il se serait passé si un nombre moins important de personnes s'était fait vacciner ; néanmoins, les statistiques que nous publions permettront à d'autres de faire ce type de calcul. Je renvoie en particulier à l'étude du Conseil d'analyse économique (CAE) dont vous avez sans doute entendu parler.
M. Alain Milon , président . - À ce propos, que pensez-vous de la méthodologie à laquelle le CAE a recouru et des résultats auxquels il a abouti ?
M. Fabrice Lenglart . - Cette étude, qui conclut que l'accélération de la campagne de vaccination a permis de diminuer sensiblement la pression sur l'hôpital et de réduire le nombre de décès occasionnés par le virus, est sérieuse, et sa méthodologie est claire. Un tel travail se fonde sur un certain nombre d'hypothèses, qui peuvent évidemment être débattues, mais il me semble solide.
M. Alain Milon , président . - Merci beaucoup pour l'ensemble de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de MM. Nicolas Berrod, journaliste,
Germain Forestier,
chercheur,
et Guillaume Rozier, fondateur de CovidTracker
M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en entendant à présent MM. Nicolas Berrod, journaliste, Germain Forestier, chercheur, et Guillaume Rozier, fondateur du site CovidTracker.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Notre audition porte sur les données et sur l'usage qui peut en être fait dans la gestion de l'épidémie. Vous êtes tous trois usagers des données publiques pour l'information du public. Vous nous livrerez vos analyses sur ce que ces données peuvent apporter au traitement de notre sujet.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Nicolas Berrod, Germain Forestier et Guillaume Rozier prêtent successivement serment.
M. Guillaume Rozier, fondateur de CovidTracker . - Je suis consultant en data science , autrement dit data scientist . Mon métier consiste à traiter des masses de données informatiques, en utilisant un certain nombre d'outils statistiques qui permettent de mieux comprendre ces données et de les mettre en exergue, via des visualisations de données ou des traitements beaucoup plus lourds qui relèvent de ce que l'on appelle l'intelligence artificielle ou le machine learning . Ce travail peut aider à la prise de décision et permet de réaliser des analyses prospectives.
En parallèle, je travaille depuis deux ans sur les données liées à la covid-19. Dès la fin du mois de février 2020, quelques semaines avant le premier confinement en France, j'ai commencé à m'intéresser à l'épidémie et tenté de comprendre comment elle évoluait en France par rapport à d'autres pays, notamment la Chine et l'Italie.
Dans la mesure où je n'ai pas trouvé les réponses à mes questions parmi les informations gouvernementales ou dans les différents médias, j'ai décidé de me plonger moi-même dans les données existant sur internet et de les analyser. Cette démarche m'a amené progressivement à créer une plateforme, un site internet, nommé covidtracker.fr, qui, au début, était très simple et artisanal, puis qui s'est étoffé au fil des mois. L'objectif est de faire de la pédagogie, c'est-à-dire de faire comprendre la situation épidémique et sanitaire aux Français, et de montrer son évolution dans le temps en produisant des graphiques et des statistiques.
Par la suite, la plateforme a permis aux internautes de suivre la campagne de vaccination, via l'outil VaccinTracker. Elle les a aussi aidés à calculer le risque de contracter la maladie en participant à un événement. Cette démarche permet aux Français de mieux comprendre ce que peut signifier par exemple la notion de taux d'incidence.
J'ai créé une seconde plateforme très populaire, « Vite Ma Dose », qui agrège les données de l'ensemble des plateformes de vaccination, Doctolib comme les autres.
Ces deux outils, CovidTracker et Vite ma Dose, ont totalisé des dizaines de millions de visites : je m'en réjouis, d'autant que ce succès n'avait pas du tout été anticipé.
M. Nicolas Berrod, journaliste . - Je suis journaliste au Parisien depuis maintenant trois ans, et cela fait maintenant près de deux ans que je couvre l'épidémie de covid-19. En tant que journaliste, j'essaie de décrypter, d'analyser, de raconter et de répondre aux différentes questions que se posent les lecteurs sur tous les aspects de cette pandémie.
Le travail que l'on réalise quotidiennement repose évidemment en grande partie sur les données publiques, non seulement parce qu'elles peuvent inspirer des sujets et des angles de reportage, mais aussi parce qu'elles permettent parfois de confronter une stratégie à la réalité.
Dans le cadre des travaux que vous menez sur le passe vaccinal, différents types de données me semblent intéressantes : je pense au nombre de primo-injections quotidiennes, c'est-à-dire le nombre de personnes qui reçoivent une première dose de vaccin chaque jour. On a pu observer à cet égard que, lorsque le passe vaccinal est entré en vigueur à la mi-décembre, le nombre des primo-vaccinations avait augmenté. On a aussi constaté à cette occasion que les jeunes adultes étaient ceux qui se faisaient le plus vacciner.
Il y a aussi les données mises à disposition par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), lesquelles permettent de savoir, parmi les vaccinés et les non-vaccinés, le nombre d'hospitalisations, de cas positifs et de décès. Ces informations nous donnent une idée du risque supplémentaire, notamment de forme grave de la maladie, que court un individu s'il n'est pas vacciné. C'est un élément important, puisqu'il s'agit du principal argument avancé par le Gouvernement pour justifier la mise en place du passe vaccinal.
M. Germain Forestier, chercheur . - Je suis professeur des universités en informatique à l'Université de Haute-Alsace, qui se situe à Mulhouse. Je suis informaticien de formation et effectue de la recherche en informatique, plus spécifiquement en analyse de données.
J'ai été amené à travailler sur les données liées à la covid-19 au tout début de la première vague épidémique, dont Mulhouse était vraiment l'épicentre. À l'époque, je cherchais déjà à connaître le nombre des contaminations.
À travers les réseaux sociaux, j'ai constaté qu'il existait un réel engouement pour les visualisations de données sur l'évolution de l'épidémie ; j'ai également vu que Santé publique France mettait à la disposition du grand public énormément de données liées à l'épidémie.
Grâce à mes compétences en informatique, j'ai alors créé un programme permettant de générer automatiquement des graphiques, en les déclinant par territoire ou par tranche d'âge par exemple. Depuis deux ans, je poursuis ce travail indépendamment de mon métier d'enseignant, notamment sur les réseaux sociaux et, plus particulièrement, sur Twitter, où je poste régulièrement les graphiques que je produis et où j'essaie de trouver une manière de présenter les données qui parle au plus grand nombre.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Quelles sont les données que vous utilisez ? Effectuez-vous des retraitements ? Constatez-vous des difficultés dans l'accès aux données concernant le suivi de l'épidémie ? Si oui, de quel ordre ?
Vous avez notamment alerté, au début du mois de janvier, sur le changement de méthodologie dans la traçabilité du variant Omicron par Santé publique France. Ces changements sont-ils fréquents et, selon vous, justifiés ?
Quelles données regrettez-vous de n'avoir pas à votre disposition pour mieux suivre l'évolution de la crise sanitaire en France ?
M. Guillaume Rozier . - Nous utilisons plusieurs types de données. Nous avons un certain nombre de données épidémiques - dépistage, tests positifs ou négatifs... - et sanitaires - admissions à l'hôpital, nombre de personnes hospitalisées en soins critiques et décédées à l'hôpital, etc. Ces données sont publiées par Santé publique France. Nous utilisons également des données concernant la vaccination : rythme de vaccination, nombre de personnes vaccinées avec une, deux ou trois doses, avec ou sans rappel...
Le troisième acteur de la publication des données est la Drees, qui publie notamment le statut vaccinal des personnes admises à l'hôpital. La Drees a effectué un appariement entre, d'un côté, les bases de données des personnes vaccinées et, de l'autre, celles des personnes admises à l'hôpital, pour connaître la proportion de personnes vaccinées admises à l'hôpital.
Tels sont les trois principaux jeux de données que j'utilise personnellement pour réaliser mes analyses.
Il faut savoir que ces données sont publiées en open data , c'est-à-dire de manière libre et gratuite sur internet. Que ces données soient publiées sur internet dans des formats informatiques permettant de les exploiter très facilement est la condition nécessaire pour que les citoyens puissent les réutiliser. C'est très important. Certains acteurs - je pense notamment au ministère de l'éducation nationale - publient les données dans des formats PDF, lesquels sont très difficilement réutilisables.
Les données publiées en open data doivent aussi, pour avoir de l'intérêt, être publiées avec une certaine fraîcheur, c'est-à-dire être mises à jour régulièrement, et être de bonne qualité - il ne doit pas y avoir d'erreurs ni de données manquantes.
Ces données ont été publiées petit à petit. Cela n'a pas été une évidence dès le début de l'épidémie. La France est aujourd'hui l'un des pays les mieux placés en termes de publication des données relatives au covid-19 : un certain nombre de données y sont publiées en open data , ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Au début du mois de mars 2020, aucune de ces données n'était publiée en open data . Puis, les données sanitaires ont été publiées, en mai 2020, sur l'initiative de Santé publique France : suivi des données de dépistage. Ensuite, les mois passant, les données ont été affinées, notamment par régions, départements et tranches d'âge. D'autres jeux de données sont arrivés, comme la vaccination, en janvier 2021, puis les données d'appariement de la Drees, en juillet 2021.
Un certain nombre de ces données ont été publiées sous l'impulsion de citoyens voulant les réutiliser. Nous avons parfois dû formuler des demandes très insistantes auprès de certaines organisations pour les obtenir. Auraient-elles été publiées sinon ? Nous l'ignorons.
Je pense notamment au ministère des solidarités et de la santé. Au tout début de la campagne de vaccination, il était très difficile d'obtenir des données de façon ouverte. À cette époque, nous avions lancé, sur CovidTracker, VaccinTracker, qui permettait de suivre la campagne de vaccination, mais aucune donnée officielle n'était publique. Nous comptabilisions donc nous-mêmes les vaccinations, notamment via les articles de presse. Nous avons dû être très insistants et arrêter VaccinTracker pour que le ministère de la santé publie, deux semaines plus tard, les données.
Je pense aussi au ministère de l'éducation nationale, auquel nous avons adressé, ces derniers mois, un certain nombre de demande pour obtenir des données. Il a été très difficile de les obtenir. Certaines d'entre elles n'ont toujours pas été publiées en open data à ce jour.
Dans d'autres cas, cela a été fait avec succès. Je pense notamment à la Drees, à laquelle nous avions demandé la publication des données de statut vaccinal pour les hospitalisations. La Drees a répondu favorablement à cette demande l'été dernier.
Je trouve regrettable que toutes les administrations ne veuillent pas forcément publier leurs données par défaut. Que les données non personnelles soient publiées en open data de manière libre et gratuite, à des fins de transparence, pour que les citoyens puissent les réutiliser et les analyser devrait vraiment être un paradigme dans toutes les organisations d'État, des ministères, des administrations.
Vous avez évoqué le changement de méthodologie Omicron. Deux méthodes permettent de suivre l'évolution des variants de cette épidémie.
La première est le séquençage, qui permet de connaître précisément le génotype des virus, donc de savoir précisément à quel variant on a affaire pour chaque cas positif. Le problème du séquençage est qu'il est long - il prend plusieurs jours, voire une à deux semaines -, et coûteux. En proportion, on n'en fait pas beaucoup : en France, seuls 1 % des tests positifs sont séquencés.
Depuis un peu plus d'un an et demi, Santé publique France réalise un criblage ; la direction générale de la santé (DGS) a aussi demandé à le faire. Celui-ci permet de viser certaines cibles précises, donc certaines mutations. Il ne permet pas de connaître précisément le variant auquel on a affaire ; il ne permet qu'une suspicion très forte. Le criblage est fait de manière beaucoup plus systématique : sur 100 cas positifs, plusieurs dizaines sont criblées, ce qui permet de suivre relativement précisément le développement de certains variants.
Via le criblage, on suivait une mutation appelée L452R, ce qui permettait un suivi relativement précis d'Omicron. Or la DGS a décidé de changer de système de criblage, de manière à détecter plus précisément Omicron, avec plusieurs cibles. La conséquence a été un arrêt du suivi d'Omicron à un moment critique, à la fin du mois de décembre, alors que ce variant était en train de se développer. Cette situation a peut-être été liée à un manque de fluidité entre la DGS et Santé publique France. En tout état de cause, je sais que Santé publique France a travaillé très dur à la fin du mois de décembre, entre les fêtes de fin d'année, pour appliquer la nouvelle méthode le plus rapidement possible.
De quelles données manquons-nous ? Nous effectuons en permanence des nouvelles demandes de données, mais la situation évolue extrêmement vite, ce qui est source de complexité. À certaines périodes, nous avons besoin de données extrêmement rapidement, comme, par exemple, pour le suivi d'Omicron.
Les données qui m'ont le plus intéressé ces dernières semaines sont celles de l'éducation nationale : nombre de classes et d'écoles fermées, de cas positifs chez le personnel et les élèves... Or ces données sont parcellaires. Elles sont publiées de manière partielle et sont mises à jour de façon relativement peu fréquente.
M. Nicolas Berrod . - On peut déjà commencer par rappeler que la France n'a vraiment pas à rougir - en tout cas par rapport à nos principaux voisins - du nombre de jeux de données qui sont mis à disposition.
Parmi les sources de données, il y a Santé publique France, la Drees, mais aussi l'assurance maladie, qui publie ses propres données de vaccination depuis le printemps dernier. L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publie des données relatives à la mortalité. Ces différentes sources peuvent parfois donner l'impression d'une difficulté à travailler ensemble. Pour les données relatives à la vaccination, choisit-on Santé publique France ou la sécurité sociale ? Cela dépend de ce que l'on veut en faire. Il n'est pas facile de s'y retrouver.
Pour ce qui concerne le retraitement, je prends un exemple tout bête : si l'on fait un graphique sur le nombre de personnes qui se font vacciner chaque jour, en prenant pour point de départ le tout début de la pandémie, les premières doses seront à des niveaux beaucoup plus bas, mais, si l'on fait un zoom depuis l'automne dernier, on aura l'impression qu'elles sont toujours à un niveau élevé. L'information envoyée dépend donc de la façon dont on va mettre en forme les données, dont on va les représenter.
Quand nous travaillons sur un sujet, nous devons donc nous demander, par anticipation, ce que nous voulons montrer, avec quelles données et quelle est la mise en forme la plus adaptée pour atteindre le but recherché.
Pour ce qui est des difficultés d'accès, il est vrai qu'existe la tentation de vouloir toujours plus de données, mais nous avons parfois du mal à comprendre que des données publiées dans les rapports hebdomadaires de Santé publique France ne soient pas en open data, ce qui nous empêche de les exploiter. C'est toujours un peu rageant, même si l'on comprend qu'il y ait des contraintes techniques ou opérationnelles.
Je peux citer l'exemple des hospitalisations « pour et avec covid », c'est-à-dire des patients qui sont porteurs du SARS-CoV-2, que l'on appelle aussi les « patients covid ». On sait qu'une part d'entre eux est hospitalisée en priorité pour un motif autre que le covid. Cette information figurait dans les rapports hebdomadaires de Santé publique France il y a maintenant près d'un an, mais plus à l'automne. Nous voulions que cette donnée, qui nous semblait intéressante, soit ajoutée aux données qui sont mises à jour chaque soir. Nous sentions que le public était demandeur de cette information. Cette donnée a fini par arriver, il y a quelques jours, en open data . Nous en sommes très contents.
Guillaume Rozier a beaucoup parlé du changement de traçabilité : il pouvait effectivement être un peu frustrant et étonnant, alors qu'Omicron était en train de s'implanter en France, de ne plus pouvoir mesurer dans quelle région il progressait le plus. La situation est désormais rétablie, avec le nouveau système dont a parlé Guillaume, mais c'est vrai qu'il y a eu une période de flou au coeur des vacances de Noël.
Oui, il y a toujours des données que l'on regrette de ne pas avoir. Je peux en citer deux. Premièrement, la part, parmi les cas positifs, de symptomatiques et d'asymptomatiques, est une information qui me semblerait intéressante, surtout avec Omicron, alors que 300 000 cas positifs ont pu être recensés en 24 heures. Deuxièmement, il serait intéressant que nous puissions savoir combien de personnes, parmi les vaccinés qui n'ont pas encore reçu leur dose de rappel, ont été infectées il y a moins de trois mois et n'ont donc pas besoin de cette dose pour garder leur passe. Cette information serait précieuse, mais elle est impossible à avoir ; on ne peut que faire des estimations.
M. Germain Forestier . - Concernant les retraitements, je suis très attaché à ce qu'il y ait une cohérence entre ce que l'on va calculer et publier de notre côté, en tant que citoyens, et les valeurs qui vont être affichées, par exemple sur le site officiel de Santé publique France. Si j'indique que le taux d'incidence actuel, en France, est de 2483, j'espère retrouver le même chiffre chez Guillaume Rozier ainsi que chez Santé publique France. Les données sont présentées de manière un peu différente, de façon à mettre en lumière certains aspects, mais les données nous affichons sont a priori les mêmes que celles des agences sanitaires.
Nous pouvons être amenés à effectuer quelques calculs, mais ces derniers sont tout à fait cohérents par rapport à ce qui est fait au niveau des agences sanitaires.
Il est effectivement important que nous puissions accéder aux données en open data . Les fichiers doivent pouvoir être facilement réutilisables par des programmes informatiques.
S'agissant des données que nous regrettons de ne pas avoir à notre disposition, je pense à la précision, notamment géographique, de certaines données. Nous avons souvent demandé à pouvoir descendre plus bas que le département, parce que les gens voulaient connaître le taux d'incidence dans leur commune, dans leur communauté de communes, etc. Des données infradépartementales sont fournies par Santé publique France, par tranche d'incidence - entre 0 et 100, entre 100 et 200... Au demeurant, cela pose des problèmes d'anonymisation des données : Santé publique France a cette contrainte de ne pas trop aller dans les détails, pour que l'on ne puisse pas identifier les personnes.
Nous demandons très régulièrement de nouvelles données. Nous sommes conscients que nous nous comportons là en enfants gâtés, puisque nous avons déjà énormément de données en France - notre pays est bien positionné au niveau international quant à la quantité d'indicateurs disponibles.
Concernant les données de l'éducation nationale, il faut savoir que nous n'avons eu les données, notamment les taux d'incidence par niveau scolaire, qu'à partir d'avril 2021. Précédemment, il y avait deux tranches d'âge - 0-9 ans et 10-19 ans -, ce qui était assez peu précis pour suivre l'épidémie au niveau des écoles. Depuis avril, les tranches d'âge sont beaucoup plus précises pour les taux d'incidence, mais un certain nombre d'informations ne sont malheureusement toujours pas disponibles. Cette situation est frustrante, parce qu'il s'agit de données que l'on peut retrouver dans des fichiers PDF diffusés çà et là, mais dont la reconstruction requiert un travail de fourmi.
L'information sur les réinfections nous intéresserait également. Elle existe d'ores et déjà. Actuellement, dans la base SI-DEP, qui contient les informations relatives aux contaminations, on considère qu'une personne est réinfectée si elle a deux tests positifs séparés de 60 jours. Quand plusieurs tests positifs sont réalisés au cours d'une même semaine, un seul est compté pour le taux d'incidence.
Il existe d'autres données : des données de séquençage, des données de séroprévalence, des données issues des études de cohortes. Ces données existent à différents endroits, mais ne sont pas facilement accessibles pour les personnes qui souhaitent les réutiliser.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Vous avez tous trois un positionnement un peu particulier, puisque vous traitez de l'information en vous situant entre les autorités sanitaires et le grand public.
Quelle est votre ligne éditoriale pour diffuser les différents messages ? Selon quel critère retenez-vous une information plutôt qu'une autre ?
Avez-vous mesuré l'impact de vos publications sur l'information relative au covid, mais aussi sur l'incitation à la vaccination ainsi que dans la lutte contre les fake news ?
N'avez-vous pas quelquefois le sentiment de faire doublon avec d'autres organismes - Santé publique France, la Drees, etc. - en retraitant les données ?
Quel regard portez-vous sur les conséquences du passe sanitaire, puis du passe vaccinal, en particulier au travers des différentes plateformes de rendez-vous ?
M. Germain Forestier . - La question du critère est très importante ; on nous la pose assez régulièrement.
J'essaie, dans mes publications, de rester au plus près de ce que publie également Santé publique France. Nous recalculons quelques indicateurs, comme des taux d'augmentation qui ne sont pas affichés de manière explicite chez Santé publique France. Cependant, je ne fais pas d'analyse plus précise de ces données : je les montre simplement de manière différente.
L'impact de ce que nous faisons est assez difficile à évaluer, mais nos travaux ont l'air d'intéresser du monde si l'on se fie au nombre de personnes qui nous suivent. Nous avons été étonnés, Guillaume Rozier et moi, de l'intérêt des citoyens. Il faut dire que la pandémie de covid 19 rythme leur vie depuis deux ans...
Pour lutter contre les fake news , on essaie d'expliquer les données et de faire de la pédagogie, notamment sur leurs limites. Certaines données peuvent être mal interprétées. Par exemple, jusqu'à très récemment, les données d'hospitalisation, de réanimation, de décès pouvaient uniquement être obtenues en fonction de la date de déclaration : quand on dit qu'il y a eu 200 décès en 24 heures, ce sont 200 décès qui ont été déclarés en 24 heures, mais ils ont pu survenir la semaine précédente. Nous l'avons répété sans cesse depuis deux ans, mais ce n'est pas encore intégré.
De même, certaines comparaisons sont effectuées jour après jour, mais on ne peut comparer le chiffre du lundi avec celui du dimanche : il y a systématiquement une sous-déclaration le week-end et une surdéclaration en début de semaine. Il faut donc calculer des moyennes sur une semaine pour avoir des chiffres plus fiables.
Nous essayons de faire oeuvre de pédagogie et d'expliquer ces limites, ce qui est aussi une façon de lutter contre les fake news .
Nous sommes régulièrement interpellés sur le fait que nous travaillerions en doublon. Il ne serait pas normal que des citoyens fassent ce travail, qui relèverait des seules autorités sanitaires, comme Santé publique France. Ce n'est pas du tout ainsi que je vois les choses. L' open data est vraiment un vecteur d'innovation : les possibilités d'utilisation, de présentation, de restitution des données deviennent infinies.
La démarche consistant à proposer les données en open data est vraiment une invitation à les tester, à les vérifier ou à proposer des choses originales. Nous représentons ici plein de personnes qui, sur les réseaux sociaux, s'intéressent aux données et cherchent à les présenter de manière innovante.
Je considère plutôt que nos travaux se complètent. En revanche, je n'avais pas anticipé que certaines personnes auraient plus confiance dans nos chiffres et nos publications que dans ceux des autorités sanitaires. Le fait que ce soit un citoyen qui ait récupéré les données, qui les ait formatés, que ce ne soit pas le Gouvernement qui parle, nous donne un capital confiance supérieur.
M. Nicolas Berrod . - S'agissant de la ligne éditoriale, je travaille, pour ce qui me concerne, sur deux produits : les graphiques quotidiens, que je mets à jour en expliquant leurs limites, et les articles que j'écris pour Le Parisien , qui me donnent la possibilité d'approfondir un sujet, de faire réagir des chercheurs, des épidémiologistes, des scientifiques, des médecins.
Si, par exemple, on atteint un pic de patients en soins critiques, on va essayer de raconter comment cela se passe, sur le terrain. De fait, il ne faut pas oublier que, derrière le nombre de morts, il y a des personnes et des familles. Derrière le nombre de patients hospitalisés, il y a des soignants. Il est donc important de faire des articles pour raconter ce qu'impliquent ces données, concrètement, sur le terrain.
La lutte contre les fausses informations qui peuvent circuler, et Dieu sait qu'il y en a eu lors de cette crise, constitue une grande partie de mon travail de journaliste. Des choses ont pu être dites, que les données ne permettaient pas de vérifier.
L'intérêt d'avoir autant de données à disposition - nous n'avons pas parlé des données à l'étranger, mais nous en disposons aussi via d'autres sources - est de pouvoir, procéder à des comparaisons et, ainsi, vérifier assez rapidement ce qui peut être dit par des personnalités politiques ou sur les réseaux sociaux et qui n'est pas forcément vrai.
Cela dit, je suis bien conscient qu'il y a des personnes que l'on n'arriverait pas à convaincre, même avec des articles, des graphiques ou des publications sur Twitter, ou qui continueront de ne pas croire ce qu'on peut leur raconter.
Il est arrivé à plusieurs reprises que les données qui étaient mises à disposition par les agences publiques aient été corrigées parce que ces dernières se sont rendu compte qu'il y avait des erreurs ou des doublons. J'en prendrai deux exemples.
Premièrement, au début de l'année dernière, le nombre de cas positifs était légèrement surestimé du fait de doublons : des personnes avaient été testées positives avec un test antigénique, puis un test PCR. Ces personnes pouvaient donc apparaître à deux reprises dans les cas positifs, ce qui était évidemment un problème. Je l'ai appris en février, et cela a été corrigé en avril. Sur ce point, notre travail a consisté à rédiger des articles pour expliquer, de façon pédagogique, ce qui s'était passé.
Il est donc toujours important de préciser les limites des données que l'on montre, avec modestie. Ce n'est pas grave en soi, mais il faut pouvoir expliquer pourquoi les données ont changé.
Deuxième exemple, sur le sujet très sensible des hospitalisations selon le statut vaccinal, les données sont complexes, parce qu'elles impliquent de croiser différentes bases de données. Le nombre de non-vaccinés n'était donc pas forcément cohérent avec celui de Santé publique France. La Drees s'en est rendu compte ; elle a changé à la marge son mode de calcul, ce qui a modifié le nombre de non-vaccinés, donc les taux d'hospitalisation, de cas positifs...
Il est important d'expliquer que les données ont des limites et qu'elles peuvent être corrigées. Nous le faisons sur Twitter et via mes articles. Si nous faisons preuve de pédagogie, cela ne pose pas de problème.
Comme Germain Forestier, je ne pense vraiment pas que nous faisons doublon. Je pense plutôt que nous sommes complémentaires des agences officielles. Toutes les visualisations, tous les graphiques, tous les articles que nous pouvons faire, Santé publique France ou l'assurance maladie les font aussi, mais ce n'est pas leur coeur de métier : en termes de visualisation, nous avons le champ libre. D'ailleurs, certaines figures de Guillaume Rozier sont souvent évoquées par Alain Fischer et des graphiques de Germain Forestier ont pu apparaître dans les avis du conseil scientifique. En fait, il s'agit d'une sorte d'écosystème, qui profite un peu à tout le monde.
Quel a été l'impact du passe sanitaire, puis du passe vaccinal notamment sur la vaccination ? Quand Emmanuel Macron a annoncé l'instauration d'un passe sanitaire, le 12 juillet à 20 heures, le site Doctolib était saturé deux minutes plus tard... Énormément de gens ont dû se dire que, pour aller au restaurant ou au cinéma, ils devraient avoir un passe, donc se faire vacciner. L'impact a donc été majeur.
S'il y a eu un petit rebond des primo-injections lorsque le passe vaccinal a été annoncé mi-décembre, il est important de noter que ce rebond était en partie porté par les enfants, qui venaient d'être éligibles. Les données montrent que ce sont surtout les jeunes adultes - ceux qui sont le plus susceptibles de vouloir aller au restaurant ou au cinéma - qui se sont davantage fait vacciner le jour où le passe vaccinal a été annoncé. L'impact du passe vaccinal sur les primo-injections n'a pas été majeur. En tout état de cause, il a été moins élevé que celui du passe sanitaire.
En outre, il y a un biais : énormément de personnes ont été testées positives à Omicron depuis moins de trois mois. Toutes ces personnes doivent attendre au moins deux ou trois mois pour se faire vacciner. Cela explique pour l'essentiel pourquoi, depuis deux semaines, la courbe des vaccinations chute.
M. Guillaume Rozier . - Je suis en accord avec la totalité des réponses de Germain Forestier et Nicolas Berrod.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit sur la ligne éditoriale. Une analyse et une présentation de données nécessitent forcément certains choix subjectifs. Même si l'on essaie d'être le plus objectif possible, un simple choix d'échelle, de couleurs ou de forme peut avoir des impacts sur l'interprétation et la compréhension des données. La publication de façon libre et gratuite des données en open data par l'État est, à cet égard, très importante, puisqu'elle permet une pluralité d'interprétations.
Comme beaucoup de journalistes et de personnes qui interviennent sur internet, nous sommes très suivis par des personnalités politiques qui sont aux responsabilités, mais aussi par des citoyens, qui prennent des décisions individuelles à leur niveau pour lutter contre l'épidémie. Il est très important, pour ces personnes, de disposer d'une pluralité d'interprétations qui leur permette une compréhension plus fine et plus objective de la réalité de la situation.
Pour ce qui nous concerne, nous avons décidé de publier le code informatique des algorithmes en open source . Chacun peut donc consulter le code informatique de CovidTracker, vérifier que nous n'avons pas fait d'erreur ou qu'il n'y a pas de biais dans le traitement des différentes données.
Je ne pense pas que nous fassions doublon avec les autres organismes ; c'est, du reste, lié à ce que je viens de dire. Le citoyen est beaucoup plus agile et flexible que l'État. Cela nous a permis de faire des analyses très rapidement - en quelques jours - en mars 2020, quand l'État a mis plusieurs mois, voire plusieurs années, à mettre en place des analyses, des sites internet, des tableaux de bord permettant de suivre les données.
S'agissant de l'impact sur l'information et l'incitation à la vaccination, comme l'a dit Nicolas Berrod, un certain nombre de nos visualisations de données sont reprises publiquement, y compris, par exemple, dans des conférences de presse du Premier ministre ou du Président de la République, mais aussi par les médias. Elles ont donc un impact considérable sur l'information et sur le débat, que nos analyses factuelles de données factuelles contribuent à alimenter.
Je pense que l' open data est très important dans la lutte contre les fake news , tout simplement parce que la publication des données à des échelles vraiment très fines - départementales, voire infradépartementales - permet une certaine vérifiabilité des données : la personne qui resterait sceptique peut vérifier elle l'information.
En février 2020, on n'avait pas d'argument solide à opposer à une personne complotiste qui contestait l'existence du covid-19. Maintenant que les données des tests positifs sont publiées de manière assez fine et précise, on pourrait l'inviter à procéder à ses propres vérifications, à interroger les laboratoires situés à proximité, à faire des comparaisons avec les données publiées par l'État... L' open data offre une transparence qui donne confiance aux citoyens sur les données.
Les décisions prises pour lutter contre le covid-19, comme le passe sanitaire et le passe vaccinal, sont des décisions politiques, reposant notamment sur des facteurs qui sortent de mon champ d'action, notamment des facteurs économiques, de santé mentale, etc.
Il est évident que le passe sanitaire a engendré une entrée dans le schéma vaccinal d'un certain nombre de personnes. Le Conseil d'analyse économique estime ainsi qu'il a permis, à l'été 2021, de faire avancer d'environ 13 points le taux de primovaccination. L'impact du passe vaccinal est beaucoup plus difficile à évaluer, notamment parce que les fêtes de fin d'année ont fait baisser temporairement le rythme de vaccination, mais aussi parce que la vaccination a été ouverte aux enfants, ce qui a entraîné un certain nombre de primovaccinations supplémentaires. En tout état de cause, il a probablement été beaucoup plus mesuré : quand le passe sanitaire aurait permis la vaccination de 5 à 10 millions de Français qui ne se seraient pas fait vacciner sinon, le passe vaccinal n'en a probablement suscité que plusieurs centaines de milliers. Je pense qu'un certain nombre d'études seront réalisées pour chiffrer cet effet.
M. Alain Milon , président . - Je retiens qu'il y a une certaine défiance à l'égard des sites officiels et, au contraire, une certaine confiance vis-à-vis de vos sites.
Monsieur Forestier, vous avez déclaré que vous vérifiez que vos chiffres étaient identiques à ceux de vos collègues. S'ils ne le sont pas, faites-vous en sorte qu'ils le soient ?
M. Germain Forestier . - Cette défiance est assez étonnante. Il peut toujours y avoir des erreurs. Nous en détectons en consultant les sources officielles.
Quand nous constatons des incohérences, nous en discutons. J'échange ainsi régulièrement avec Nicolas Berrod, Guillaume Rozier et d'autres sur les bizarreries que je peux repérer dans les données publiées quotidiennement. Quand nous ne comprenons pas, nous contactons le producteur de données, Santé publique France, qui peut alors se rendre compte qu'il a fait une erreur ou qui nous donne une explication. Parfois, c'est nous qui commettons des erreurs d'interprétation. Je pense que ces échanges au sein de cet écosystème sont vraiment sains et permettent une amélioration des données. Je vois donc les incohérences plus comme une chance de découvrir une erreur éventuelle que comme un problème réel.
Il faut savoir que les données de contamination SI-DEP s'appuient sur les informations rentrées par les milliers de laborantins des laboratoires de biologie médicale, qui sont ensuite remontées et agrégées au niveau national. Les indicateurs ne sont que le bout d'une chaîne de traitement énorme, dans laquelle peuvent se poser de petits problèmes.
Mme Florence Lassarade . - Vos travaux sont très rassurants sur le niveau de notre recherche.
Avez-vous travaillé avec le réseau Obépine ? Si oui, que pensez-vous de sa façon de travailler ?
Disposez-vous des données de la sécurité sociale par le biais du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) ?
A-t-on des données sur la vaccination de l'enfant et les comorbidités ? En ma qualité de pédiatre, je sais qu'il n'y a pas d'unanimité sur la nécessité de la vaccination de l'enfant...
Vous avez fait état d'énormes difficultés pour récupérer les données de l'éducation nationale. On sait que les tests salivaires, dont l'utilisation systématique aurait pu être intéressante à un moment donné, n'ont pas été beaucoup utilisés. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
M. Nicolas Berrod . - Les travaux du réseau Obépine nous intéressent depuis un an et demi. Ils consistent à s'attacher aux eaux usées plutôt qu'au nombre de personnes testées positives L'idée est de pouvoir estimer combien de personnes sont effectivement infectées en surface. Cela permettrait peut-être un suivi plus fin de l'épidémie, notamment au début d'une vague, lorsque le nombre de cas positifs augmente tout en restant bas et que l'on a un peu du mal à voir dans quelle mesure il augmente.
J'échange avec les chercheurs d'Obépine depuis largement plus d'un an. Leurs données étaient intéressantes, mais, pendant longtemps, on ne disposait pas des données brutes : on devait se contenter des rapports ou des chiffres qu'ils nous communiquaient, mais qui n'étaient pas faciles à exploiter. Finalement, au printemps dernier, ces données sont parues en open data : on a pu connaître la concentration des eaux usées en SARS-CoV-2 aux niveaux national et régional et, à partir de là, commencer à faire des analyses. Suivant les régions, la cohérence avec le nombre de cas positifs était plus ou moins forte.
Ces données sont très intéressantes, mais nous avons appris à les manier avec précaution, parce que nous n'avions pas assez de recul ni d'expérience pour pouvoir interpréter ce que montrait l'évolution du suivi des eaux usées. Cet indicateur est, en effet, moins tangible que le nombre de personnes testées positives - dont, du reste, nous disposons quotidiennement.
En outre, on avait l'impression qu'il y avait, du côté de Santé publique France, une sorte de méfiance à l'égard du réseau Obépine. Les choses semblent changer depuis quelques semaines, avec la prolongation d'un financement. L'idée est de bâtir un cadre et de pouvoir dire, ensuite, comment interpréter ces données. C'est précisément ce qui nous manque. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain, même si le travail a été lancé. Il serait utile, en cas de prochaine épidémie, de disposer de cet indicateur dès le départ et de savoir comment bien l'interpréter. Il serait complémentaire du nombre de cas positifs.
J'en viens à la vaccination des enfants. J'ai dit tout à l'heure que, pour la vaccination, il y a, grosso modo , deux sources d'information : Santé publique France et l'assurance maladie. Celle-ci informe sur les couvertures vaccinales par comorbidité, indicateur précieux que Santé publique France ne délivre pas. En revanche, pour ce qui concerne les enfants, nous n'avons pas, à ma connaissance, d'information précise sur la couverture vaccinale par comorbidité.
On sait simplement qu'il y a eu tant d'enfants vaccinés avant l'ouverture de la vaccination à tous les enfants. De fait, avant même le mois de décembre, quelques milliers d'enfants étaient déjà vaccinés, parce qu'ils avaient un risque très important de développer une forme grave. Il était donc possible de les vacciner avant que la vaccination soit élargie aux enfants avec comorbidités « classiques », puis à tous les enfants. Cela dit, ce n'est pas à moi de trancher le débat scientifique sur la vaccination des enfants.
M. Guillaume Rozier . - J'ai travaillé avec le réseau Obépine, qui analyse les eaux usées, à la fin de l'année 2020. Nous avons pris connaissance, notamment via les médias, de leur travail, qui paraissait extrêmement intéressant, puisqu'il permettait de mesurer le niveau de circulation épidémique indépendamment du dépistage, qui constitue un biais - mécaniquement, plus le dépistage est élevé, plus on trouve de cas positifs.
Obépine a rencontré des problèmes, notamment légaux, dans la publication de ses données, des chartes de confidentialité ayant été signées avec les communes dans lesquelles des capteurs ont été installés. Le réseau n'avait donc pas le droit de publier les données. C'était aux communes de le faire, mais très peu l'ont fait.
Finalement, les choses ont bougé. On a travaillé avec eux, et ils ont été mis en relation avec le Gouvernement, qui a accéléré le mouvement et les a aidés à faire sauter certaines barrières. Les données ont donc pu être publiées, mais seulement au printemps 2021. C'est assez regrettable, puisqu'il aurait été extrêmement utile de disposer de ces données plutôt au début de l'épidémie, lorsque le dépistage était très peu déployé, ce qui biaisait la vision de la circulation du virus.
Par ailleurs, il est très difficile d'analyser les eaux usées pour suivre le covid puisque celui-ci y est présent en très petites quantités, même lorsque la circulation virale est élevée. Cette technique permet plutôt de détecter la différence entre une circulation très faible et une circulation modérée à importante du virus, mais, une fois que la circulation du virus est modérée ou importante, ce qui est le cas en ce moment, il est très difficile de voir des variations. Elle a donc moins d'intérêt aujourd'hui.
Concernant les données relatives aux enfants, Nicolas Berrod a tout dit : je ne vois pas d'éléments complémentaires à porter à votre connaissance.
M. Germain Forestier . - L'une des difficultés des données Obépine est qu'il y avait également beaucoup de corrections à apporter aux données brutes relevées par les capteurs, notamment du fait de la variabilité assez importante de la sécrétion et de sa durée suivant les personnes - certaines personnes peuvent sécréter pendant quelques jours, quelques semaines, voire quelques mois. Les précipitations jouent également sur la dilution. Il faut prendre en compte tous ces éléments pour affiner les chiffres.
Sur la vaccination des enfants, il ne me semble pas qu'il y ait de lien direct entre le PMSI et SI-VIC, qui ne doit pas contenir de données médicales. Effectivement, nous n'avons pas de données précises sur les comorbidités des enfants.
Mme Jocelyne Guidez . - Vos données incluent-elles les outre-mer ? Avez-vous réalisé des études un peu plus pointues sur ces régions ? La covid y a fait des ravages, car la couverture vaccinale y était faible.
M. Guillaume Rozier . - Les données relatives aux outre-mer sont publiées par Santé publique France et par quasiment tous les acteurs, qui opèrent une distinction entre ces territoires et la métropole.
Cela est vrai pour la plupart des territoires d'outre-mer, mais pas pour tous : les données relatives aux plus petits territoires ne sont pas publiées, mais j'imagine qu'elles seraient moins signifiantes.
Quoi qu'il en soit, nous disposons des données relatives aux outre-mer. Ces données sont très intéressantes, parce que la situation est souvent très différente outre-mer : ces territoires sont très éloignés et ne se situent pas forcément dans le même hémisphère. La temporalité des vagues peut y être différente. Le taux de vaccination y est également très différent, ce qui entraîne un surcroît d'hospitalisations par rapport à la métropole.
Sur la base de ces données, nous produisons des graphiques relatifs aux territoires d'outre-mer.
M. Germain Forestier . - Effectivement, nous disposons de données relatives aux outre-mer. Il me semble que les outre-mer sont couverts de la même manière que la métropole.
Comme les dynamiques épidémiques sont parfois vraiment différentes, il peut nous arriver de faire un focus sur la métropole, mais tous les graphiques sont générés par département, en incluant évidemment ceux de l'outre-mer.
Sur la vaccination, les données relatives aux outre-mer n'ont pas été disponibles durant quelques semaines. Une partie des données initialement produites par Santé publique France l'étaient par lieu de vaccination, et non par lieu de résidence, ce qui conduisait à des sous-estimations et à des surestimations dans certains départements en raison du « tourisme vaccinal » - le fait de changer de département pour se faire vacciner. Cela a été corrigé par la suite. À la suite de cette mise à jour, des données sur les couvertures vaccinales dans les outre-mer n'ont pas été disponibles durant un certain temps. Je vous avouerai que je n'ai pas regardé récemment les données concernées.
M. Nicolas Berrod . - On peut effectivement faire le choix de regarder les indicateurs au niveau de la seule métropole. Cependant, dans la majorité des cas, on considère la France entière, y compris l'outre-mer, mais il faut garder en tête que cela peut engendrer un biais.
Par exemple, la vague de l'été dernier, avec le variant Delta, a été particulièrement forte dans les territoires d'outre-mer, notamment dans les Antilles. En août, un décès sur quatre à l'hôpital en France était survenu en Guadeloupe ou en Martinique ! Quand on nous dit qu'il y a 200 décès pour la France entière, on ne se rend pas forcément compte que 50 d'entre eux ont été rapportés dans ces départements. Vu de métropole, où le taux de vaccination est très élevé, ces chiffres paraissent énormes.
La couverture vaccinale est toujours aujourd'hui à peu près deux fois moins élevée aux Antilles qu'en métropole. Il est important de garder en tête et d'expliquer dans nos articles que les vagues épidémiques ne sont pas de même intensité dans les outre-mer et en métropole, et que les situations sont très différentes.
On peut faire le choix - cela m'est arrivé à plusieurs reprises - de consacrer des articles ou des analyses aux seuls territoires d'outre-mer, en se fondant sur les indicateurs qui les concernent, en interrogeant les gens sur place, en confrontant les données aux réalités du terrain... Mais, dans l'immense majorité des cas, les indicateurs présentés soit par le Gouvernement, soit par nous, valent pour la France entière, y compris, donc, les territoires ultramarins.
M. Daniel Chasseing . - Messieurs, vous entendre évoquer votre travail, qui vise à traiter scientifiquement des données afin d'éclairer objectivement nos concitoyens, mais aussi les rapports très sains et faciles que vous avez avec les organismes publics me réconforte.
Actuellement, certains anti-vax proclament que la vaccination ne marche pas, puisque le nombre de personnes en soins critiques ou en réanimation augmente. Cela s'explique par le fait que la contamination par le variant Omicron est beaucoup plus massive. Or 80 % des personnes qui se retrouvent en soins critiques ne sont pas vaccinées.
Le fait que ce sont des personnes non vaccinées qui se retrouvent en soins critiques est-il suffisamment mis en évidence ?
M. Guillaume Rozier . - Cela me fait penser à la question qu'a posée Mme la rapporteure sur les données que nous n'avons pas à notre disposition.
Bien évidemment, nous disposons des données relatives au statut vaccinal des personnes admises à l'hôpital, c'est-à-dire le nombre d'entrées quotidiennes à l'hôpital et en soins critiques en fonction du statut vaccinal, publiées par la Drees.
En revanche, nous ne connaissons pas le nombre de personnes actuellement hospitalisées, c'est-à-dire le nombre de lits occupés à l'instant T, en fonction du statut vaccinal. C'est une donnée dont nous aimerions disposer. Elle serait très importante, puisque l'on suspecte que la durée du séjour à l'hôpital des personnes vaccinées est plus courte.
Nous pouvons donc aujourd'hui, monsieur le sénateur, évaluer la réduction du risque d'admission à l'hôpital à la suite de la vaccination.
L'analyse est complexe. Si l'on regarde les chiffres de façon absolue, un peu plus de 50 % des personnes qui entrent chaque jour à l'hôpital sont vaccinées. Cela ne veut pas dire que la vaccination n'est pas efficace ; au contraire ! Plus de 90 % des personnes éligibles à vaccination sont vaccinées. Elles sont sous-représentées parmi les admissions à l'hôpital. Si l'on s'intéresse aux admissions de manière relative - rapportées aux effectifs de personnes vaccinées et non vaccinées -, on remarque que le risque d'admission à l'hôpital est bien plus faible chez les personnes vaccinées.
Ces données sont mises à notre disposition par la Drees, qui publie des rapports hebdomadaires. Nous réalisons, à partir de ces données, des analyses, des graphiques, que nous publions. Je pense que nous faisons le maximum pour que ces données soient visibles par le grand public.
M. Germain Forestier . - Il ne faut pas en rester au pourcentage de personnes vaccinées ou non vaccinées qui sont en réanimation. Il faut regarder également les effectifs. Actuellement, la très grande majorité de nos concitoyens sont vaccinés, mais le vaccin ne marche tout de même pas à 100 % - il y a notamment des personnes immunodéprimées avec de très fortes comorbidités. Nous essayons de communiquer à ce sujet.
La Drees a réalisé un important travail d'appariement, de mise en relation de la base de données du statut vaccinal et de celle des hospitalisations. Ces données, qui étaient demandées depuis longtemps, sont arrivées un peu tardivement.
Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus que de montrer ces données et d'essayer d'expliquer que la vaccination est efficace et qu'il faut se faire vacciner.
M. Nicolas Berrod . - Je ne compte plus les articles que j'ai écrits, sur la base des études qui ont été publiées et des données de vie réelle sorties en France ou dans d'autres pays, qui montrent que la vaccination réduit très fortement le risque de forme grave.
On nous reproche parfois de ne pas dire qu'il y a des vaccinés à l'hôpital, mais dire que la vaccination réduit très fortement le risque d'être hospitalisé ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de personnes vaccinées qui iront à l'hôpital !
L'immense majorité des gens sont vaccinés, mais les données de la Drees ne permettent pas de savoir combien d'entre eux souffrent de comorbidités. Or le groupe des vaccinés est très divers : vaccinés immunodéprimés, vaccinés avec comorbidités, vaccinés qui n'ont pas eu leur rappel...
Cela limite l'analyse des données. Il nous serait évidemment extrêmement utile de disposer de données relatives aux comorbidités : cela montrerait sans doute que les personnes immunodéprimées, même vaccinées, présentent toujours un risque plus important d'aller à l'hôpital que les vaccinés qui ne sont pas immunodéprimés.
Bien évidemment, toutes les études et toutes les données montrent l'efficacité des vaccins contre les formes graves. En revanche, il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, qu'il y a, avec Omicron, ce qu'on appelle un « échappement immunitaire » : ce variant infecte les personnes vaccinées plus facilement que le variant Delta. Cependant, avec une dose de rappel, la protection contre les formes graves reste à un niveau très élevé.
Il existe encore une part d'inconnu sur la façon dont cette protection très élevée se maintiendra dans le temps. Les premières données britanniques sont plutôt rassurantes, mais nous manquons évidemment encore un peu de recul. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que le risque de développer une forme grave est largement réduit par la vaccination.
Mme Marie-Pierre Richer . - Nous avons bien compris que le travail que vous réalisez est complémentaire de ce qui est fait par les institutions et de nature à rassurer nos concitoyens.
Ne pensez-vous pas que toutes ces données finissent par donner le tournis et contribuent au caractère anxiogène de notre société, qui est à la recherche de données toujours plus pointues ?
Avez-vous compilé des données concernant les déprogrammations dont on nous parle tant ?
M. Nicolas Berrod . - L'excès de données risque-t-il de tuer la donnée ? C'est une question que l'on entend souvent. En tant que journaliste, j'y suis confronté quotidiennement.
Par exemple, certains se demandent s'il est pertinent de communiquer chaque jour sur le nombre effrayant de cas de contamination à Omicron. Cette question peut sembler légitime, et je l'entends parfaitement, mais je considère que cela a toujours du sens, dans la période que nous connaissons, de savoir combien de personnes ont été testées positives chaque jour. Le fait que l'on teste beaucoup plus qu'à une certaine époque explique aussi pourquoi l'on trouve beaucoup plus de cas positifs.
Voilà quelques semaines, un journaliste britannique du Financial Times , lui aussi spécialisé dans l'analyse des données, a écrit un message humoristique sur Twitter pour dire qu'il se perdait dans l'avalanche de données... Ce risque est réel.
Un autre risque existe : celui d'oublier ce qu'il y a derrière ces données. Le nombre de cas positifs, le nombre de patients hospitalisés, le nombre de décès ont des traductions concrètes, dans la vie réelle. Les cas positifs signifient des cas contacts, des isolements, des perturbations dans certains secteurs. L'augmentation du nombre de patients hospitalisés impacte concrètement le fonctionnement de l'hôpital.
Je n'ai pas connaissance de données, en tout cas de données publiées régulièrement, sur le nombre de déprogrammations et sur leurs raisons précises. Elles peuvent être causées aussi bien par un excès de patients atteints du covid-19 à prendre en charge que par un manque de personnel ou de lits. Pour autant, nous enquêtons sur le terrain, nous interrogeons des médecins, nous posons la question aux agences régionales de santé (ARS) : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de données que nous ne travaillons pas sur un sujet. Vous avez raison, il faut savoir parfois sortir le nez du guidon et prendre un peu de recul pour bien interpréter les données.
M. Germain Forestier . - Les données, en effet, sont très nombreuses, et de sources diverses : Santé publique France, la Dress, l'assurance maladie, Insee... Nous cherchons à en simplifier la présentation pour nos concitoyens.
Oui, il faut compter ce qu'on arrête ! Ce n'est pas à nous de déclarer quand l'épidémie sera finie. Évidemment, nous n'aurions jamais imaginé qu'il y aurait un tel intérêt pour nos travaux. Nous espérons pouvoir les arrêter rapidement, car nous les menons sur notre temps libre ! Nous les arrêterons dès que le consensus sera que l'épidémie est terminée.
M. Guillaume Rozier . - Vous parlez du potentiel anxiogène des données. À mon avis, l'analyse des données est moins angoissante qu'un chiffre brut donné quotidiennement. La mise en perspective est plus intéressante, qui montre les évolutions, à la hausse ou à la baisse. C'est la compréhension fine des données qui rend leur présentation moins anxiogène.
Nous essayons de produire des analyses objectives, sans commenter les résultats : nous livrons les données à nos concitoyens de manière neutre. Sur les déprogrammations, nous ne disposons pas des données, en effet. Peut-être sont-elles disponibles au niveau de chaque centre hospitalier ? D'ailleurs, nous n'avons pas beaucoup de données sur le système hospitalier. Par exemple, on ne peut pas savoir combien de personnes sont hospitalisées à un moment donné, toutes causes confondues. Nous ne connaissons pas non plus la répartition des hospitalisations en fonction des pathologies, ni entre niveaux de gravité. Certains autres pays, comme le Canada, publient de telles données, très utiles pour comprendre l'état du système hospitalier et l'état de santé des citoyens.
M. Alain Milon , président . - Il semble que deux millions d'actes médicaux et chirurgicaux ont été déprogrammés. Pourrions-nous vous revoir dans quelques années pour analyser les conséquences de ces déprogrammations sur les patients ?
Merci, en tout cas, pour tous ces renseignements.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition du Professeur Alain Fischer,
président du Conseil
d'orientation de la stratégie vaccinale
M. Alain Milon , président . - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous avons à présent l'honneur de recevoir le professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je rappelle que l'objet de notre travail n'est pas de refaire le débat sur le passe vaccinal. Ce débat a été tranché par le Sénat, qui a voté ce dispositif à une large majorité.
Notre sujet est plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, à une nouvelle configuration de l'épidémie.
Vous nous direz, monsieur le professeur, quelle place le passe vaccinal a prise et prend encore dans la stratégie vaccinale et, plus largement, dans la gestion de cette épidémie.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Monsieur le professeur, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le professeur Alain Fischer prête serment.
Professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale . - Je crains de vous répéter des choses que vous avez déjà beaucoup entendues...
M. Alain Milon , président . - Cent fois sur le métier...
Pr Alain Fischer . - Je commencerai donc par faire un rapide bilan de la situation de la pandémie. Heureusement, dans l'immense majorité des cas, l'infection au SARS-CoV-2 est bénigne, voire asymptomatique. Le virus disparaît de l'organisme à mesure que s'organise la réponse immunitaire, normalement en quelques jours. En France, 21,1 millions de cas ont été diagnostiqués à ce jour. Ce chiffre sous-estime certainement la réalité, mais il donne un ordre de grandeur convenable.
Malheureusement, dans un certain nombre de cas, rares, mais pas négligeables, la maladie prend des formes sévères, en particulier, mais pas exclusivement, chez les personnes âgées et les personnes déjà malades. Dans ce cas, la réponse immunitaire s'emballe et le virus n'est plus contrôlé. En France, nous totalisons, depuis début 2020, 700 000 hospitalisations et 133 600 décès. Dans le monde, l'épidémie a causé au moins 5 700 000 décès, sachant que ce chiffre provient de données largement sous-estimées dans certains pays.
Aujourd'hui, le taux d'incidence est de 2,5 % environ. Il est en décroissance, après avoir atteint 3,7 % le 25 janvier. Le variant Omicron est devenu quasiment exclusif, puisqu'il constitue plus de 99 % des cas. Même si la vague actuelle est en décroissance, ses conséquences médicales sont loin d'être négligeables : en moyenne hebdomadaire, on compte plus de 2 700 hospitalisations par jour, dont les deux tiers ont pour cause principale le covid-19. C'est un chiffre considérable, tout comme celui des 300 hospitalisations quotidiennes en soins critiques, dont entre 80 % et 90 % ont pour cause principale le covid-19, et celui des 285 décès quotidiens. Nous ne sommes donc pas au bout de la vague ni de ses conséquences, y compris indirectes, sur le fonctionnement de nos structures hospitalières.
Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN, qui mute sans cesse. Chaque personne infectée est porteuse de différentes souches. L'arbre généalogique du virus montre bien les variants principaux. Alpha a été présent en France, après être arrivé en Grande-Bretagne au printemps dernier. Nous avons presque oublié Bêta et Gamma, qui ne se sont pas trop répandus en France, d'ailleurs : Bêta s'est diffusé surtout en Afrique du Sud et Gamma, au Brésil. Delta a été très présent chez nous l'automne dernier, en revanche. Quant à Omicron, il est très différent des autres. Il est apparu en Afrique du Sud après une succession de mutations, probablement chez une même personne immunodéficiente. Sur la branche qui y mène, un bras collatéral mène à BA.2, qui vient du Danemark et semble se développer. Il n'est pas plus pathogène, mais la réponse immune est très légèrement distincte de celle qui a été générée par Omicron. Il n'est pas exclu que BA.2 soit à son tour rebaptisé avec une lettre grecque. Sa diffusion ralentit probablement la phase de décroissance qu'on observe aujourd'hui.
Omicron résulte de nombreuses mutations, notamment sur la protéine Spike, qui permet au virus de s'attacher aux cellules, ce qui induit la réponse immunitaire, et contre laquelle immunise la vaccination. Les mutations qui le caractérisent sont beaucoup plus nombreuses que celles qui définissent Delta. C'est donc un variant très différent des autres. Il manifeste une moindre sensibilité à la réponse immunitaire, vaccinale ou naturelle - c'est ce qui a fait qu'il a été sélectionné. Et il jouit d'une transmissibilité accrue de plus de 80 %. Heureusement, sa sévérité est moindre, elle aussi 80 % environ.
De plus, le taux d'anticorps contre Omicron est extrêmement faible, même après deux doses de vaccin. En revanche, après trois doses, la réponse immunitaire devient très significative et protectrice. Le rappel est donc absolument primordial dans le contrôle de l'infection par Omicron, et donc des formes graves. En tout cas, j'y insiste, la protection contre le risque d'hospitalisation reste supérieure à 90 %.
La couverture vaccinale en France n'est pas mauvaise, même si elle n'est pas parfaite. Plus de 93 % des personnes âgées de plus de douze ans ont reçu au moins une dose. Cela représente 80 % de tous les Français, tous âges confondus, y compris les bébés, qu'on ne vaccine pas. La vaccination des enfants, malheureusement, ne progresse pas assez vite.
Une modélisation faite par des économistes montre bien l'effet du passe sanitaire sur la couverture vaccinale : s'il n'y avait pas eu de passe sanitaire, 13 % des Français aujourd'hui vaccinés n'auraient reçu aucune dose.
En quoi la vaccination est-elle utile ? Toutes les données montrent que le vaccin continue de protéger contre l'infection, contrairement à ce qu'on dit. L'effet n'est certes pas massif, mais, à l'échelle épidémiologique, il est tout à fait significatif, et donc très important. Il protège aussi, très clairement pour le coup - d'un facteur dix - contre l'entrée en hospitalisation conventionnelle et en soins critiques et de réanimation. Pour un sujet infecté, le risque d'être hospitalisé baisse fortement si l'on est vacciné, même si la protection diminue avec l'âge. Surtout, après le rappel, la protection contre les formes graves est excellente. Aujourd'hui, 36,6 millions de Français ont reçu une dose de rappel, parmi lesquels plus de 80 % des plus de 65 ans.
Qui meurt du covid-19 en France ? Il y a essentiellement trois catégories de personnes. D'abord, les personnes non vaccinées et, notamment, celles qui sont très âgées. Il y en a encore 450 000, malheureusement. Ensuite, 10 % des décès sont dus au couplage du covid-19 avec des pathologies chroniques diverses, qui vont de l'insuffisance rénale à l'obésité, en passant par les cancers ou les maladies psychiatriques. Les personnes en situation de précarité, également, sont moins vaccinées. Celles qui ont reçu une primo-vaccination, mais pas de dose de rappel, présentent aussi des facteurs de risque. Enfin, le groupe le plus critique compte environ 300 000 personnes en France, qui sont profondément immunodéprimées et répondent mal ou pas à la vaccination. Ces personnes dépendent de nous pour être protégées. Il s'agit, par exemple, de patients en insuffisance rénale terminale, de patients ayant subi des transplantations d'organes, de certains types de patients traités pour des cancers ou des maladies auto-immunes... Imaginez ce que vivent ces malades, obligés de se cacher en permanence, car le risque pour eux de mourir du covid est énorme, et on n'arrive pas à les protéger par la vaccination, ou très mal. Ils peuvent bénéficier de prévention par des anticorps monoclonaux, mais ce n'est pas complètement évident.
L'existence de ce dernier groupe pose un problème et justifie, à mon sens, une attitude proactive sur la vaccination, qui est à la fois une protection individuelle et un acte de solidarité à l'égard de ceux qui ne sont pas protégés directement.
J'ajoute que les femmes enceintes ne sont pas assez vaccinées. Certaines font des complications graves, pouvant avoir des conséquences sur leur bébé. Les femmes enceintes doivent être vaccinées, la vaccination ne présente pas de risque pour elles.
Nous avons contribué à la mise en place du passe vaccinal, au cours d'une série d'échanges informels. Dans un avis rendu au début de l'automne, nous avions proposé au Gouvernement d'inclure le rappel vaccinal dans le passe sanitaire. Le passe vaccinal n'est jamais que l'adaptation du passe sanitaire dans un contexte marqué par le variant Omicron, qui a un très haut taux de transmission. L'idée d'un passe sanitaire devenait scientifiquement moins valide parce qu'un test PCR négatif de moins de 24 heures ne peut pas garantir qu'on n'a pas été infecté depuis le prélèvement. L'évolution vers le passe vaccinal, de mon point de vue, était donc absolument logique pour permettre des activités sociales en sécurité, à condition de respecter les gestes barrières, parce que la vaccination ne protège pas à 100 %, et d'avoir effectué un rappel. C'est une incitation à la vaccination - c'est même une obligation partielle, disons les choses comme elles sont - que je trouve justifiée, car la vaccination n'est pas seulement une protection individuelle, c'est aussi une protection collective, significative pour les plus fragiles d'entre nous, comme les patients immunodéprimés ou les personnes très âgées.
Il reste à peu près 17 millions de personnes primovaccinées qui n'ont pas reçu le rappel, parmi lesquelles 9 millions qui doivent le recevoir avant le 15 février pour ne pas perdre leur passe sanitaire. Parmi eux, un certain nombre ont été infectées, et l'infection vaut rappel : nous y avons beaucoup insisté auprès du Gouvernement ces dernières semaines, et nous nous réjouissons d'avoir été suivis. Je rappelle que l'efficacité du rappel s'observe après sept jours, ce qui est très rapide.
Jusqu'à quand maintenir le passe ? D'un point de vue scientifique et médical, je vois deux critères.
D'abord, il faut que le taux d'incidence ait diminué. Il est actuellement à 2 500. Il faut qu'il soit divisé par dix ou vingt. Surtout, il faut que la surcharge hospitalière actuelle ait disparu et que les hôpitaux soient revenus à un état de fonctionnement habituel, c'est-à-dire que les patients n'ayant pas le covid-19 soient traités sans délai, sans retard et de façon efficace. Enfin, il faut que la couverture vaccinale de rappel ait atteint un niveau très élevé. Cela peut arriver assez vite : l'incidence est en train de diminuer rapidement, et la situation devrait redevenir satisfaisante sur ce plan fin mars et, sur le plan hospitalier, une quinzaine de jours plus tard. Si nos concitoyens suivent les consignes induites par le passe vaccinal et se font administrer le rappel, la couverture vaccinale devrait être également satisfaisante fin mars.
Si nous faisons de la prospective, on voit que la protection contre les formes graves de la maladie, qui s'est effritée après la primo-vaccination, est dopée par le rappel, ou l'infection survenue plus de trois mois après la primo-vaccination. Quid pour la suite ?
Cette protection va-t-elle décroître rapidement, lentement ? Nous n'en savons rien. Plusieurs facteurs interviennent, parmi lesquels la nature et la virulence des variants qui circuleront dans les mois qui viennent, avec la possibilité de résurgence de variants comme Delta, par exemple. Il y a aussi l'espoir d'un vaccin combinant plusieurs Spike, pour couvrir plus largement le spectre des différents variants. Il est possible que nous en disposions à l'automne, pour un nouveau rappel.
On peut affirmer sans risque d'erreur, à mon avis, qu'on ne peut pas éradiquer ce virus. Le seul virus jamais éradiqué à ce jour est celui de la variole, grâce à la vaccination, mais pour les virus respiratoires, il est vraiment illusoire d'y songer. Un scénario plausible est que nous évoluions dans un contexte d'endémie, avec des vagues épidémiques du même type que celles de la grippe, avec des recrudescences saisonnières. La décroissance de la vague actuelle, qui a atteint son pic il y a une dizaine de jours, sera assez rapide. Nous aurons encore chaque année des vagues saisonnières, d'intensité variable, ce qui devrait nous amener à des vaccinations annuelles. D'où viendra le prochain variant ? Nul ne saurait le prédire. Nous devons pratiquer une veille intensive. Il sera sélectionné par un certain degré d'échappement à la réponse immunitaire, avec une virulence imprévisible.
La France n'est pas isolée dans le monde. Un peu plus de 10 milliards de doses de vaccins ont été administrées. Comme il faut deux doses de rappel, nous devons atteindre 24 milliards de doses administrées : nous sommes à 40 % de l'objectif à l'échelle mondiale. De plus, la répartition géographique des injections est extraordinairement hétérogène. L'Afrique n'est que très peu vaccinée ; l'Inde, le Pakistan ne le sont que partiellement, et avec des vaccins peu efficaces. Ainsi subsistent des foyers majeurs de l'épidémie, au sein desquels les nouveaux variants peuvent apparaître. Conclusion : nous ne serons pas en sécurité tant que l'ensemble de la population mondiale ne sera pas en sécurité.
M. Alain Milon , président . - Vos propos sont réconfortants, par rapport à ce que nous avons entendu hier soir !
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Merci pour ce tour de piste, à la fois vertigineux et nuancé. En tant que président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, avez-vous pris part à la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal ? Votre Conseil a-t-il été formellement sollicité pour analyser la situation sanitaire et son évolution ? Votre conseil, ou certains de ses membres, ont-ils été sollicités à titre informel ? Si oui, comment et par qui ? Participez-vous aux conseils de défense sanitaire ? Le Premier ministre a annoncé publiquement ce changement de stratégie le 17 décembre. Par quoi ce dernier a-t-il été motivé ?
Pr Alain Fischer . - La mise en place du passe vaccinal implique des considérations qui vont au-delà de la vaccination, sur les seuls plans scientifique et médical. C'est pourquoi nous avons été consultés et avons participé à la réflexion. Nous n'avons pas été les seuls, parmi les conseils informels, à réfléchir à cette question. En particulier, le conseil scientifique a également été mobilisé, ce qui me paraît tout à fait légitime compte tenu de la question posée de ses implications. En pratique, nous avions émis un avis le 29 octobre, dans lequel nous recommandions d'inclure le rappel dans le passe sanitaire. Tous nos avis sont consultables sur internet - il y en a environ 90 à ce jour.
Nous n'avons pas été saisis officiellement pour la mise en place du passe vaccinal. Cela dit, moi-même et plusieurs de mes collègues avons eu une série de contacts informels avec les équipes du ministère de la santé. D'ailleurs, nous sommes chaque semaine en contact étroit avec ces équipes ainsi qu'avec plusieurs membres du cabinet, avec le ministre à chaque fois que c'est nécessaire, et même le Premier ministre, puisque celui-ci m'avait demandé de participer aux réunions de présentation du projet en décembre.
En revanche, nous ne participons pas aux conseils de défense, mais, d'une certaine façon, nous les préparons : en fonction des questions qui vont émerger, nous sommes saisis en amont. Parfois se tiennent des réunions préparatoires. Nous en avons eu de nombreuses avec le Président de la République au premier semestre de 2021, et plusieurs, ces derniers mois, avec le Premier ministre et son cabinet.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Vous dites que le passe sanitaire a eu un effet sur le nombre de vaccinés, puisqu'il a poussé 13 % des Français à se faire vacciner. Vous soulignez l'importance du rappel, et répétez que l'efficacité contre les formes graves, sur une période de trois mois, est de 90 %. Mais quid après ces trois mois ? L'efficacité chute-t-elle ? Une quatrième injection sera-t-elle nécessaire, au moins pour les publics les plus fragiles ou les plus âgés ? Dans le courant du mois de janvier de cette année, 16 % des Français auraient été contaminés par le variant Omicron.
Pr Alain Fischer . - Cela paraît plausible.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Ce chiffre ne remet-il pas en cause la pertinence du passe vaccinal ? Quels seraient les critères pour lever ce passe ? La communication du Gouvernement m'a semblé un peu brouillonne lorsqu'Olivier Véran a commencé à expliquer qu'une dose équivalait à une infection, puis à une injection... Qu'en pensez-vous ?
Professeur Alain Fischer . - La question de la quatrième dose nous occupe beaucoup ces temps-ci. Nous avons émis un premier avis il y a une quinzaine de jours, disant qu'il n'existait pas, à ce jour, d'arguments pour entreprendre une campagne d'injection d'une quatrième dose, sauf pour les patients immunodéprimés. Il est vrai qu'Israël, de façon isolée, a pris cette décision, mais sans se fonder sur des critères scientifiques solides, faute de données. Pour l'instant, on n'observe pas de diminution de l'efficacité de la protection contre les formes graves, y compris chez les personnes les plus âgées. Guillaume Rozier, que vous venez d'entendre, a construit des figures, à partir des données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), montrant l'évolution dans le temps du risque d'être hospitalisé en fonction de l'âge et du statut vaccinal. On voit, à ce stade, que le taux d'hospitalisation des personnes les plus fragiles ne monte pas après quatre ou cinq mois. Nous verrons comment ces données évoluent : les connaissances scientifiques évoluent en permanence, et il faut s'adapter quasiment chaque semaine.
Les Allemands viennent de prendre cette décision. J'aimerais d'ailleurs savoir sur la base de quels critères exactement. Pour l'instant, ils sont quasiment seuls. Une information nous vient d'Israël, où l'on a commencé à administrer la quatrième dose il y a plusieurs mois : dans les quinze jours qui suivent la quatrième dose, le niveau de protection contre les formes graves est multiplié par trois ou quatre. Ce n'est pas spectaculaire, mais cela fonctionne. En tout cas, on n'attend pas de la quatrième dose un bénéfice aussi fort que celui du rappel. Pour l'instant, nous ne la préconisons pas, même pour des personnes très âgées. Mais il est très probable que, dans les semaines ou les mois qui viennent, selon l'évolution des données, elle soit préconisée, au moins pour les publics vulnérables.
Le fait que 16 % des Français aient contracté le variant Omicron remet-il en cause le passe vaccinal ? Je pense que non. Sans la vaccination, ce taux aurait peut-être été deux fois plus important, avec un nombre de formes graves beaucoup plus important. Il faut poursuivre la stratégie telle qu'elle est actuellement développée.
Concernant les critères, certains peuvent être d'ordre politique, mais je n'entrerai pas dans ce débat. Selon moi, il importe que l'hôpital retrouve un fonctionnement quasi normal. En parallèle, le niveau de rappels doit être tel qu'il doit nous apporter un peu de sécurité dans les semaines et les mois qui viennent.
Il est difficile de répondre à la question de la communication. Si la communication n'est pas fluide, sans doute avons-nous aussi notre part de responsabilité, car c'est l'une de nos missions que de conseiller en la matière. Franchement, la situation est horriblement difficile : l'évolution extrêmement rapide des connaissances fait que l'on peut dire l'inverse en un court laps de temps.
Nous nous sommes beaucoup battus pour faire admettre qu'une infection vaut dose de rappel, mais nous avons été écoutés. Les données nous permettent maintenant de prendre ce virage, assez fort, je le concède. Est-ce la communication qui engendre des difficultés de compréhension ou est-ce dû à des explications lacunaires ? Je ne sais pas. Mais, je vous l'assure, la communication dans ce contexte est un exercice très difficile.
Mme Émilienne Poumirol . - Je poserai trois questions.
Pour justifier la troisième dose, vous mesurez les taux d'anticorps face à Omicron. Or plusieurs intervenants ont souligné que ce dosage n'avait pas de sens ni de valeur scientifique prouvée. N'est-ce pas paradoxal ?
Ma deuxième question porte sur la couverture vaccinale. Le groupe socialiste défend depuis le mois de juillet dernier l'obligation vaccinale sur le fondement de la solidarité pour éviter la contamination, notamment des personnes fragiles. L'un des intervenants que nous avons auditionnés hier nous a quelque peu déstabilisés dans la mesure où il nous a indiqué que la couverture vaccinale à 85 % n'avait pas ciblé de façon complète les personnes à risques. N'est-ce pas un échec du « aller vers » dans la mesure où 100 % des personnes de plus de 80 ans sont vaccinées dans certains pays voisins, alors qu'ils n'ont pas mis en place le passe sanitaire ? Comment aller plus loin encore ?
Ma troisième et dernière question concerne la prospective. Cette crise sera endémique. Tous les automnes, devra-t-on vacciner l'ensemble de la population ou uniquement les personnes à risques ?
M. Alain Milon , président . - Pour compléter cette dernière question, est-il possible de combiner ce vaccin avec celui de la grippe ?
Pr Alain Fischer . - Vous avez rappelé à juste titre que le dosage des anticorps ne sert strictement à rien à titre personnel pour savoir si l'on doit faire un rappel ou pas. Lorsque l'on dose les anticorps, on dose tous les anticorps, et pas seulement les anticorps neutralisants, qui sont les plus importants. Or, en termes de protection contre les formes graves, l'immunité cellulaire joue un rôle très important. Je le confirme, il ne sert à rien à chaque individu de demander le dosage de ses anticorps, sauf les personnes immunodéprimées. Toutefois, sur un plan collectif, les données sur les anticorps neutralisants sont intéressantes. Ces anticorps jouent un rôle sur l'infection. Cette information est donc utile pour chercher à réduire le risque d'infection.
À titre personnel, je ne suis pas contre l'obligation vaccinale. En 2016-2017, à la demande de Mme Touraine, j'avais conduit une réflexion sur la vaccination obligatoire des nourrissons et nous nous étions prononcés, dans notre rapport, en faveur de cette obligation, qui a été mise en place par Mme Buzyn et qui est un succès. Il est vrai que 4,3 millions de Français adultes ne sont pas vaccinés, dont 450 000 personnes très âgées, environ 1 million de personnes souffrant de pathologiques, des personnes en situation de précarité et les opposants au vaccin. Je rappelle que 94 % d'adultes de plus de 18 ans sont primovaccinés, soit un niveau très élevé. L'obligation vaccinale ne permet jamais de toucher 100 % des personnes. Je doute qu'elle soit de nature à inciter les personnes isolées, les personnes en situation de précarité à se faire vacciner. Imaginez ce qui se passera si nous décidions l'obligation vaccinale dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ?
Bien que je sois très favorable à la vaccination, je ne pense pas que l'obligation vaccinale soit la solution. Nous nous étions prononcés en faveur de l'obligation vaccinale pour les professionnels de santé, qui a été mise en place - ce fut une bonne chose, l'immense majorité étant vaccinée.
Il est indiscutable que les personnes très âgées sont plus vaccinées dans les pays latins, avec un taux de couverture de 100 % quasiment, mais la structure des familles y est certainement pour beaucoup. Leurs aînés sont moins isolés.
Cela dit, nous devons poursuivre nos efforts et les intensifier pour aller vers les 11 % de personnes âgées de plus de 80 ans, les personnes en situation de précarité, les gens du voyage qui sont peu en contact avec le monde de la santé. Il est vital de faire plus, même si cela prend beaucoup de temps.
Le quatrième rappel dépendra de la virulence du virus et, au-delà, de la perception sociétale, un sujet éminemment politique. Que tolère-t-on en termes de gravité, de décès, d'hospitalisation d'une infection respiratoire ? Cela nous donnera l'occasion d'élargir la réflexion à tous les virus respiratoires. De la réponse à ces questions devrait dépendre la réponse à votre question.
Il est possible de faire en même temps le vaccin contre la grippe et celui contre le covid. Des laboratoires préparent actuellement un vaccin mix grippe-covid. Pfizer notamment est en train de tester des combinaisons différentes. Ce serait très bien si nous pouvions n'avoir qu'un seul vaccin.
Mme Victoire Jasmin . - Je suis assez surprise quand je vous entends parler des anticorps. Vous mettez en doute les réactifs commercialisés spécifiques pour le covid. Le laboratoire habilité à faire des examens pour le Sénat délivre des résultats avec des taux d'anticorps IgG pour le covid. Mettez-vous en doute ces résultats ? Pourquoi ne dénoncez-vous pas les laboratoires qui commercialisent ces réactifs ?
M. le ministre Véran a évoqué sur BFM vos recommandations : pour bénéficier du passe vaccinal, on peut avoir ou une injection ou une infection plus une dose de vaccin. Si vous avez une injection plus deux infections ou une infection au milieu ou après, vous pouvez conserver le bénéfice de votre passe vaccinal.
C'est flou pour moi, et sans doute aussi pour toutes les personnes qui écoutent les médias. Pouvez-vous clarifier cette information ?
Pr Alain Fischer . - Je ne remets pas en cause la qualité du dosage des anticorps. Les tests disponibles sont très fiables. Mais je discute l'interprétation des résultats, ce qui est tout à fait différent. Le dosage ne nous aide pas à déterminer si telle personne est protégée ou pas. Cela ne permet donc pas de savoir si la personne a besoin d'un rappel.
Concernant votre deuxième question, l'équation est assez simple : une infection vaut une dose de vaccin, si l'espacement entre l'infection et le vaccin est suffisant. Trois scénarios sont possibles.
Si vous avez eu une première dose de vaccin, puis un ou deux mois après, une infection, celle-ci vaut deuxième dose, vous devrez faire votre rappel trois mois après. Si vous avez d'abord eu une infection, puis une vaccination deux mois après, vous devrez faire uniquement un rappel trois mois après. Enfin, si vous avez eu deux vaccins, puis une infection plus de trois mois après la primovaccination, elle vaut dose de rappel. Si cette infection survient moins de trois mois après la primovaccination, il conviendra de faire le troisième rappel.
Pour schématiser, une infection vaut une dose de vaccin, avec quelques limites temporelles.
Mme Florence Lassarade . - Je remarque à regret que l'instauration du passe vaccinal pour les adultes a occulté l'intérêt de la vaccination chez l'enfant.
Selon vous, de nouveaux vaccins, qu'ils soient d'ancienne ou de nouvelle génération, vont-ils sortir prochainement ? Comment seront-ils intégrés dans le passe vaccinal si celui-ci existe encore ?
Pr Alain Fischer . - Alors que la vaccination est ouverte à tous les enfants de 5 à 11 ans depuis le 20 décembre dernier, seuls 5 % environ d'entre eux ont reçu une première dose de vaccin. En comparaison, dans les pays voisins, cette proportion atteint au pire 20 % et au mieux plus de 50 %.
En France, on note donc une certaine résistance face à la vaccination des enfants, ce qui est vraiment dommageable. Tout le monde sait en effet que certains enfants peuvent développer des formes graves de la maladie, être hospitalisés - ils sont 150 actuellement - ou souffrir de syndromes inflammatoires multisystémiques pédiatriques (PIMS), ce qui pourrait être évité, puisque les études montrent que, chez l'adulte, la vaccination permet de prévenir les PIMS.
La vaccination des enfants est utile et légitime, d'autant qu'elle permet de réduire la circulation du virus dans le reste de la population générale. En outre, les études américaines démontrent la quasi-absence d'effets indésirables des vaccins chez les enfants.
Les réticences proviennent, non seulement des parents, mais aussi du monde médical, médecins généralistes et pédiatres. Il faut poursuivre nos efforts et continuer d'expliquer le bien-fondé de la vaccination des enfants. En parallèle, il faut convaincre les familles et lever les inquiétudes.
S'agissant des vaccins, comme vous le savez, un nouveau vaccin vient d'obtenir l'approbation de l'Agence européenne des médicaments, le Nuvaxovid, qui est un vaccin protéique adjuvanté. Il devrait être disponible dans le courant du mois de février et sera valable dans le cadre du passe vaccinal. On sait que ce vaccin est raisonnablement sûr, efficace, même s'il l'est un peu moins que les vaccins à ARN messager. Il pourra être prescrit aux personnes qui sont rétives à ce type de vaccin.
M. Martin Lévrier . - Hier, lors de son audition, le docteur Desbiolles nous a fait comprendre que se faire vacciner pour protéger les autres était une idée presque intégralement fausse. Qu'en est-il exactement : les vaccins sont-ils efficaces pour protéger autrui ?
Dès lors qu'une infection équivaut à une dose de vaccin, faut-il continuer à vacciner tout le monde ou ne protéger que les personnes les plus fragiles ?
Pr Alain Fischer . - Je suis surpris par ce type d'affirmation, qui est scientifiquement fausse : la protection d'autrui grâce au vaccin n'est absolument pas un leurre. Un certain nombre d'études le prouvent avec certitude. Du reste, il faut bien comprendre que, par définition, la protection contre l'infection équivaut à une protection contre la transmission. Cette protection est certes limitée, mais même avec le variant Omicron, le vaccin permet de diviser par deux ou trois le degré de contagiosité.
De cette certitude découle ma réponse à votre seconde question : il faut poursuivre la campagne de vaccination générale, au moins dans le contexte actuel où la circulation virale reste importante, de sorte à réduire le nombre d'infections et, donc, celui des hospitalisations.
M. René-Paul Savary . - 16 % des personnes testées sont contaminées : ne pensez-vous pas que la stratégie en matière de tests doit être révisée ?
Pr Alain Fischer . - J'en suis désolé, mais cette question est en dehors de mon champ de compétence. Ce qui importe, me semble-t-il, c'est la situation de l'école : je regrette que ce qu'avait préconisé le conseil scientifique, à savoir un dépistage systématique à l'école, n'ait pas été mis en oeuvre. Je conçois qu'il était difficile de le mettre en place, mais d'autres pays y sont parvenus.
Il y a sans doute quelques adaptations à opérer au niveau des tests, mais je ne connais pas suffisamment bien ce sujet.
M. René-Paul Savary . - Est-il envisageable de cibler le passe vaccinal sur les plus fragiles, notamment les plus âgés ?
Pr Alain Fischer . - Non, il est très important que l'ensemble de la population se fasse vacciner : d'une part, c'est dans l'intérêt général, puisque se protéger, c'est protéger les autres, et, d'autre part, il ne faut pas oublier que certains jeunes adultes, sans facteur de risque, ont développé des formes sévères de la maladie.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Merci pour l'ensemble de ces informations, qui sont à la fois structurées, méthodiques et, d'une certaine façon, plus rassurantes que celles que nous a livrées le Dr Desbiolles hier : elle nous a par exemple expliqué que le port du masque et la vaccination des enfants étaient inutiles, à l'inverse de ce que vous affirmez aujourd'hui.
Je partage votre constat : il importe de persuader les médecins et les familles de l'intérêt de la vaccination. La communication est un art difficile, mais il va falloir trouver la bonne formule.
Pr Alain Fischer . - Je vous remercie pour vos propos. Au passage, on entend parfois que les enfants ne supportent pas de porter un masque : c'est absolument faux. De manière générale, les enfants ont une capacité d'adaptation beaucoup plus forte que les adultes. Le port du masque est parfaitement justifié et réduit la transmission du virus.
Vous avez raison, il faut répéter inlassablement, par tous les moyens de communication à notre disposition, que la vaccination et le port du masque sont indispensables. Il ne faudra pas ménager notre force de conviction et de pédagogie.
M. Alain Milon , président . - J'ai récemment interrogé des pédiatres de l'hôpital de Marseille qui m'ont alerté sur le fait que les enfants hospitalisés en soins critiques étaient souvent des enfants souffrant de comorbidités dont le pédiatre ou le médecin avait conseillé aux parents de ne pas les faire vacciner.
Pr Alain Fischer . - La Société française de pédiatrie, se fondant sur les données initiales dont nous disposions, a mis du temps avant de prendre position en faveur de la vaccination des enfants. Les pédiatres s'engagent encore trop souvent aujourd'hui sur la pointe des pieds.
M. Alain Milon , président . - Il est dommage de ne pas vous voir plus souvent dans les médias, professeur Fischer. Merci beaucoup pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. Stanislas Niox-Château,
co-fondateur et
président-directeur général de Doctolib
Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous accueillons aujourd'hui Stanislas Niox-Chateau, co-fondateur et président-directeur général de Doctolib. Avec cette audition, nous avons souhaité recueillir le témoignage du responsable de l'une des principales plateformes de prise de rendez-vous de vaccination sur les effets du passe vaccinal. Si nous avons pu observer un effet indéniable du passe sanitaire sur la dynamique de vaccination, les effets du passe vaccinal semblent plus difficiles à apprécier, compte tenu de la concomitance de plusieurs facteurs, notamment l'ampleur des contaminations au variant Omicron et l'ouverture de la vaccination à de nouveaux publics. Vous pourrez donc nous éclairer sur l'ampleur et le détail des vaccinations induites par cet outil.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête M. Stanislas Niox-Château prête serment
M. Stanislas Niox-Château, co-fondateur et président-directeur général de Doctolib . - Je suis ravi de pouvoir échanger avec vous et de répondre à vos questions.
Dans le cadre de la campagne de vaccination française, nous avons mis en place un logiciel de gestion dans les centres, à la demande du ministère de la Santé. Nous avons équipé jusqu'à 2 000 centres de vaccination au pic de la crise sanitaire, et environ 1 000 à 1 500 actuellement. Nous avons aussi accompagné les centres de vaccination pour l'organisation de la gestion des rendez-vous.
De plus, nous avons mis en place, pour le grand public, notre site Internet, qui permettait de prendre ou modifier un rendez-vous et d'obtenir de l'information. Telles sont les demandes que nous avons reçues, comme d'autres prestataires, de la part du ministère des Solidarités et de la Santé, depuis le début du mois de janvier 2021.
En complément, dans le cadre de notre activité privée, nous avons participé à la campagne de vaccination dans les cabinets de médecins généralistes et les pharmacies, sans lien avec le ministère des Solidarités et de la Santé. Durant toute l'année 2021, nous avons contribué à la gestion de 86 millions de rendez-vous de vaccination, mobilisant jusqu'à 200 personnes en même temps au sein de Doctolib, afin que la campagne soit un succès.
Mme Chantal Deseyne . - Vous avez très rapidement brossé le contexte dans lequel vous vous êtes mis à la disposition du gouvernement, en installant des logiciels de prise de rendez-vous. À votre connaissance, les autres plateformes ont-elles été équipées de la même façon ? Avez-vous été informé en amont des mesures prises par le gouvernement (tranches d'âge) ? Vous avez connu un certain succès et avez été submergés par les demandes connexions. Comment avez-vous pu faire face à ces pics de prises de rendez-vous ? Enfin, collectiez-vous certains renseignements et dans quelle mesure les avez-vous mis à la disposition des pouvoirs publics, notamment le ministère de la Santé ?
M. Stanislas Niox-Chateau . - Les autres plateformes proposaient la même offre de service pour les centres de vaccination et grand public, ainsi que des fonctionnalités identiques. D'ailleurs, nous travaillions dans le cadre du même appel d'offres, à trois puis quatre prestataires. Toutefois, la taille des autres plateformes ne leur permettait pas d'absorber le même volume que Doctolib.
Nous avons travaillé très étroitement avec la task force du ministère qui gérait la campagne de vaccination. Nous étions en communication quotidienne avec les pouvoirs publics, ainsi qu'avec les collectivités locales, qui géraient les centres de vaccination. L'objectif était que toutes les doses que la France recevait soient administrées au plus vite. De fait, nous sommes toujours restés à un taux d'au moins 90 % de doses utilisées.
Nous avons été tenus informés des tranches d'âge, dans des délais souvent extrêmement courts, des tranches d'âges, de leurs évolutions, et des publics cibles. Nous devions alors mettre à jour la technologie, pour les patients et pour les centres de vaccination, et aider ces derniers à s'organiser pour prendre en charge les populations cibles. Étaient transmises également les règles afférentes à chacun des vaccins (délais entre les doses, publics cibles). À chaque fois, nous devions apporter des modifications technologiques sur notre plateforme et proposer les bons rendez-vous en fonction de la population cible. Nous avons donc été informés au fil de l'eau, souvent entre 4 et 48 heures en amont. Tous les prestataires étaient informés en même temps, ainsi que les centres de vaccination.
Durant quatre à cinq mois, de janvier à avril/mai, le nombre de rendez-vous correspondait au nombre de doses que la France recevait. En revanche, les doses n'étaient pas suffisamment nombreuses pour satisfaire toutes les demandes. En fonction des périodes, nous avions jusqu'à 10 ou 12 millions de patients éligibles, pour seulement 500 000 doses par semaine. Ensuite, la prise de rendez-vous a évolué en fonction des publics éligibles et à partir de la mise en place du passe sanitaire, au milieu du mois de juillet.
Le 13 juillet, nous avons enregistré un record avec 1,7 million de rendez-vous pris, après une journée à 1,2 million suite à l'allocution du Président du 12 juillet. Le 31 mai, le pic avait été de 650 000. Les pics étaient totalement liés à l'évolution des publics éligibles, au passe sanitaire, et aux doses de rappel.
Au départ, nous enregistrions de 300 000 à 400 000 rendez-vous par jour. Nous sommes montés rapidement à 500 000 ou 600 000, puis à plus d'un million à la mi-juillet. Aujourd'hui, nous sommes à 100 000 rendez-vous par jour sur Doctolib. Durant la première phase, nous représentions 80 % des prises de rendez-vous. Aujourd'hui, la vaccination est assurée dans les pharmacies, chez les médecins généralistes. Les chiffres que je vous donne ne sont donc plus représentatifs de la situation de la France dans son ensemble.
Nous travaillions également pour les autorités allemandes, notamment le Land de Berlin. Nous avons démarré un peu plus lentement que nos voisins Allemands mais la campagne s'est accélérée à partir de mai/juin, pour dépasser les chiffres enregistrés en Allemagne. Ensuite, nous sommes toujours restés de 7 à 12 % au-dessus de nos voisins Allemands. De fait, nous disposions de beaucoup de centres de proximité, et 75 % à 80 % des rendez-vous étaient pris sur Internet en France entre les mois d'avril et octobre. Ce n'était pas le cas en Allemagne ou en Italie, où la complexité était plus grande. L'organisation déployée en France explique en partie que 93 % de nos concitoyens soient vaccinés.
Pour la protection des données, comme les autres prestataires, nous avons respecté les règles fixées par l'État dans l'appel d'offres. Nous sommes sous-traitants de la direction générale de la santé, qui administre les données. Nous ne faisons que fournir le logiciel et les accès. De plus, tous les rendez-vous sont supprimés automatiquement quatre mois après. Enfin, le pilotage quantitatif de la campagne de vaccination était effectué par VAC-SI le système d'information dans lequel étaient entrées les données des patients (âge, sexe...).
Mme Michelle Meunier . - Quel a été le volume de connexions sur la plateforme Doctolib et de prises de rendez-vous, en nombre et en progression, à la suite de l'annonce du passe sanitaire et du passe vaccinal ? À quel moment les demandes de rendez-vous ont-elles diminué après ces annonces ? Depuis le 17 décembre, combien de rendez-vous ont-ils concerné des primovaccinés ? Disposez-vous de données sur les rendez-vous de primovaccination à partir du 17 décembre ? Parmi ces rendez-vous, pouvez-vous établir des profils de demandeurs par classe d'âge ? Au regard des données dont nous disposez, quelle évaluation faites-vous des effets du passe sanitaire et du passe vaccinal sur la vaccination (nombre de rendez-vous, profil des personnes, comorbidités signalées) ?
M. Stanislas Niox-Chateau . - Nous ne disposons pas des données statistiques centralisées. Nous ne nous concentrons que sur les centres de vaccination et quelques pharmacies. Nous ne connaissons donc que les demandes et les prises de rendez-vous sur notre site Internet.
L'impact du passe sanitaire a été très fort. Dès son annonce, à la fin du mois de mai, nous avons enregistré une accélération de la prise de rendez-vous : 655 000 ont été pris le 31 mai sur Doctolib. De plus, l'allocution du Président du 12 juillet a provoqué une accélération très forte, comme indiqué précédemment. Dans les jours précédents, nous étions plutôt à 200 000 ou 300 000 par jour. Nous sommes passés à 1,2 million puis 1,7 million. Cette évolution a accentué l'écart avec l'Allemagne.
Le gouvernement et le ministère pourraient vous donner des chiffres plus précis et complets que les nôtres.
La réponse est plus difficile à apporter concernant le passe vaccinal. Au moment de l'annonce de ce dernier, les centres ne représentaient plus que la moitié des vaccinations. Sur les primovaccinations, dont les chiffres sont publics, l'impact du passe vaccinal a été relativement limité, avec un rythme de 20 000 à 30 000 par jour.
M. Olivier Henno . - Vous ne disposez donc pas de typologie sur les publics fragiles. Peut-être avez-vous une opinion sur l'incitation de ces publics à la vaccination. Dans les courbes, le fait que l'on commence à annoncer le retrait du passe vaccinal en mars ou en avril induit-il une chute des demandes de vaccination, notamment pour la troisième dose ? Enregistrez-vous des signaux faibles en la matière ?
M. Stanislas Niox-Chateau . - 3,9 millions de nos concitoyens ne sont pas vaccinés à ce jour, contre 4,5 millions il y a quelques semaines. Les prises de rendez-vous pour des primovaccinations sur Doctolib ont été de 15 000 à 20 000 par jour sur cette période, ce qui reste limité. Depuis deux semaines, nous sommes plutôt à 4 000 à 5 000 par jour. Je ne peux pas vous dire si cette évolution est liée aux contaminations ou à la possible fin du passe vaccinal et sanitaire.
Par ailleurs, nous ne disposons pas d'information sur les publics prioritaires.
Nous avons enregistré une très forte accélération des rendez-vous pour les doses de rappel à partir de la fin du mois de novembre, à 880 000 ou 900 000 sur le seul 25 novembre. Ensuite, les chiffres sont restés de 200 000 à 300 000 par jour tout au long du mois de décembre. Aujourd'hui, nous sommes autour de 50 000 prises de rendez-vous quotidiennes. Il est évident que la vague Omicron a réduit les prises de rendez-vous pour la dose de rappel.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Vous ne disposez pas de données sur les publics fragiles. Néanmoins, êtes-vous en mesure d'établir des tranches d'âge ? Cela vous est-il demandé ?
M. Stanislas Niox-Chateau . - Non. De plus, nous ne connaissons pas les chiffres de la vaccination dans les EHPAD. En revanche, pour la prise de rendez-vous, sur les 14 derniers mois, le critère de l'âge a évolué en fonction des directives du gouvernement en matière de populations cibles. Aujourd'hui, toutes ces dernières, sauf les enfants, sont à plus de 90 % de vaccination. Nous n'avons pas enregistré d'effet positif ou négatif par âge. Au plan géographique, tous les départements et toutes les régions ont suivi la même trajectoire, même si dans les zones accueillant des populations plus jeunes, le taux de vaccination était moins élevé au départ.
Mme Catherine Deroche , présidente . - La date du 15 février, de désactivation du passe, a-t-elle eu un impact sur la prise de rendez-vous ?
Stanislas Niox-Chateau . - Le 15 février, nous avons enregistré 115 000 rendez-vous sur Doctolib, au lieu de 75 000 les jours précédents.
Mme Catherine Deroche présidente . - Lorsque le gouvernement a laissé entendre que le passe allait s'éteindre, la motivation a disparu.
Mme Daphné Ract-Madoux . - Quel impact avez-vous constaté en termes de praticiens qui auraient franchi le pas de s'inscrire sur Doctolib ? De fait, la prise de rendez-vous pour les vaccins sur les plateformes a modifié les habitudes des patients en la matière.
M. Stanislas Niox-Chateau . - Ce n'est pas le cas en France, où la vaccination a été réalisée majoritairement dans des centres. En revanche, une telle évolution a été constatée en Allemagne.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie pour ces explications et ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .
Audition de M. Olivier Véran,
ministre des solidarités et de
la santé
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons ce matin M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que l'objet de notre travail n'est pas de refaire le débat sur le passe vaccinal. Ce débat a été tranché par le Sénat, qui l'a adopté à une large majorité. Notre sujet est plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, celui du variant Delta, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, alors que nous avons, avec le variant Omicron, « changé d'épidémie ». L'annonce par le Premier ministre d'un calendrier d'allègement de certaines mesures avant même l'entrée en vigueur du passe vaccinal a nourri ces interrogations.
Notre objectif de ce jour est de reprendre rapidement avec vous les objectifs assignés à cet outil et, au regard des indicateurs définis pour le piloter, d'en évaluer la mise en oeuvre.
Il s'agit également d'examiner où en sont ces mêmes objectifs et indicateurs aujourd'hui et de vérifier, selon l'intitulé de notre mission, leur adéquation à l'évolution de l'épidémie.
Nous sommes par ailleurs dans un environnement où nos voisins tendent à gérer désormais l'épidémie comme une endémie et lèvent progressivement la totalité de leurs mesures de restriction. Vous avez vous-même fait des annonces dont nous souhaiterions savoir sur quelles données exactes elles se fondent.
Nous espérons que votre parole sera précise et libre. Vos collaborateurs que nous avons entendus ont, certes, une vision globale et l'art de la synthèse, mais on ne peut pas dire qu'ils nous aient noyés sous les détails...
Je vous demanderai de vous exprimer en quelques minutes maximum, afin de laisser le plus de temps possible aux échanges. Je demanderai à chacun, intervenants et commissaires, d'être concis dans les questions et les réponses.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran prête serment.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Je vous remercie de votre invitation. Je pourrai ainsi vous rendre compte de la mise en oeuvre du passe vaccinal et m'exprimer sur son adéquation à l'évolution de la situation sanitaire liée à l'épidémie de la covid-19. Je commencerai par donner quelques éléments de contexte.
À la mi-décembre 2021, lorsque la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal a été décidée, notre pays était confronté à une situation sanitaire qualifiée de « très préoccupante », caractérisée par des contaminations au variant Delta situées à un plateau élevé, et associée à des tensions hospitalières déjà importantes, en termes tant d'hospitalisation conventionnelle que de soins critiques.
Nous devions par ailleurs faire face au début de la circulation du fameux variant Omicron, sur lequel nous ne savions pas grand-chose, sinon qu'il avait engendré une flambée de contaminations parmi les pays confrontés plus tôt que le nôtre à cette nouvelle forme de SARS-CoV-2.
Face à cette situation, et compte tenu de l'efficacité de la vaccination pour réduire les formes graves, intégrant la nécessité d'une dose de rappel, le Gouvernement a décidé à la fois d'amplifier les mesures de protection dans les lieux à risque et d'inciter encore davantage à la vaccination en transformant le passe sanitaire en passe vaccinal. Il s'agissait de recentrer le dispositif sur un schéma vaccinal dit « complet » contre la covid pour permettre l'accès à certains établissements et lieux recevant du public.
Cette décision reposait fondamentalement sur l'état des connaissances sur le virus et les mesures adaptées pour lutter contre l'épidémie, en particulier le rôle majeur, pleinement étayé, de la vaccination pour protéger et limiter les conséquences d'une forte circulation du virus. Celle-ci était accélérée par la période hivernale ainsi que par la contagiosité accrue du variant Omicron. Devant un tel niveau de circulation du virus, le passe sanitaire ne permettait pas de prévenir la présence de personnes non protégées susceptibles de développer des formes graves dans des lieux associés à un risque accru de contaminations.
Cette décision s'appuyait aussi sur le retour d'expérience du passe sanitaire et ses effets importants sur la dynamique vaccinale au cours de l'été 2021. Il s'agissait non pas d'une rupture dans notre stratégie, mais du prolongement logique du passe sanitaire tel qu'il avait été mis en place par la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, puis étendu par la loi du 5 août 2021. Dans le cadre prévu par le législateur, nous avions d'ailleurs renforcé progressivement l'incitation à la vaccination, en mettant fin à la mi-octobre à la prise en charge intégrale et généralisée des tests de dépistage virologique, en réduisant fin novembre à vingt-quatre heures la durée de validité des tests de dépistage admis dans le cadre du passe sanitaire. En d'autres termes, il était pleinement cohérent de franchir une étape supplémentaire dans le soutien à la vaccination compte tenu des circonstances épidémiques et dès lors que ce moyen contribuait à réduire durablement et efficacement les conséquences sanitaires d'une forte circulation du virus. Cette étape avait même été déjà franchie dès la fin du mois de septembre pour les déplacements en Nouvelle-Calédonie, avec le dispositif législatif du « passe frontières ».
Par ailleurs, cette évolution a été complétée par d'autres mesures de gestion de crise et de freinage de court terme face à la cinquième vague. Je pense au renforcement de prévention, aux règles d'arrivée sur le territoire national ou vers les outre-mer depuis l'étranger, au recours au télétravail ou au développement massif du dépistage.
La transformation du passe sanitaire en passe vaccinal a donc constitué l'une des réponses juridiques à l'évolution de la situation sanitaire, dont il ne faudrait pas surestimer l'ampleur par rapport au dispositif antérieur. Lors de certaines auditions, d'aucuns ont regretté que le passe vaccinal ne soit pas mis en place plus rapidement. Mais, dès lors que le dispositif relève du domaine de la loi s'agissant du passe dit « activité » , l'adoption d'un texte législatif était incontournable pour le passe vaccinal. Je souligne que, entre l'annonce faite par le Premier ministre le 17 décembre et la présentation du projet de loi en conseil des ministres, il n'a fallu que dix jours. Cette prouesse institutionnelle a nécessité une très forte mobilisation de tous les services concernés ainsi que du Conseil d'État.
En outre, le texte a été examiné en commission par l'Assemblée nationale dès le 29 décembre, ce qui est tout à fait exceptionnel. En raison du temps requis par la navette parlementaire, puis par la saisine du Conseil constitutionnel, nous avons pu mettre en place le passe vaccinal à compter du 24 janvier, juste après sa promulgation.
Dans les catégories d'établissements et de lieux prévus par la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, il faut désormais présenter la preuve d'un schéma vaccinal complet, un certificat de contre-indication ou un certificat de rétablissement. En outre, depuis le 15 février, le délai dans lequel la dose de rappel doit être effectuée à compter de la dernière injection pour conserver un schéma vaccinal complet a été ramené à quatre mois.
Nous sommes le 22 février. Avec une durée d'application d'à peine un mois, et alors que ce dispositif est toujours en cours de mise en oeuvre, le recul manque pour procéder à une évaluation complète et rigoureuse. Peut-on néanmoins considérer que le passe vaccinal a contribué utilement à la lutte contre l'épidémie ? Oui, incontestablement. Il nous a permis de renforcer la protection d'un certain nombre de lieux de brassage et de progresser sur la primovaccination d'une partie de la population, tout en favorisant une campagne de rappel massive pour ceux qui avaient déjà complété leur schéma vaccinal.
En moyenne, plus de 30 000 primo-injections ont ainsi été réalisées chaque jour entre le 8 et le 15 janvier 2022, soit un niveau record par rapport à l'automne. Depuis la mi-janvier 2022, la dynamique s'est atténuée, mais nous réalisons toujours en moyenne 12 000 injections par jour. Toute primovaccination supplémentaire est une bonne nouvelle ; c'est un progrès en matière de protection individuelle, mais aussi collective, en particulier pour ceux de nos concitoyens qui sont susceptibles de développer des formes graves.
Les complétions de schémas vaccinaux en cours ont également enregistré une augmentation à la suite de l'annonce du dispositif, passant de 25 000 par jour en novembre et début décembre, à plus de 35 000 fin décembre et début janvier. Cela démontre l'utilité du passe pour accompagner l'achèvement du parcours vaccinal de ceux qui s'étaient engagés plus tardivement dans cette démarche et hésitaient à la mener à son terme.
Enfin, en matière de rappel, le rythme des injections a connu une augmentation considérable entre fin novembre et début janvier, à la suite des différentes mesures prises par le Gouvernement. Certains jours, 600 000 voire 700 000 injections ont été réalisées. Au 20 février, 38,5 millions de personnes avaient ainsi fait leur rappel, contre 18 millions au 17 décembre - plus de 20 millions de rappels en deux mois.
Grâce à cette couverture vaccinale très élevée, les effets de la cinquième vague Omicron sur notre système de santé ont pu être contenus, sans que nous ayons à prendre des mesures de restriction généralisées, à l'inverse de certains pays européens - le benchmark réalisé à ce sujet est très évocateur.
La vaccination nous permet également de procéder sereinement, depuis le début du mois de février, à l'assouplissement progressif des mesures de freinage, tout en conservant un niveau élevé de protection. Le 2 février, les jauges ont ainsi été levées dans les établissements culturels et sportifs accueillant du public assis. De plus, le télétravail n'est plus obligatoire, mais reste recommandé. Il revient aux entreprises de maintenir le bon niveau dans le cadre de leur dialogue social interne.
Le 16 février, nous avons franchi une nouvelle étape d'assouplissement concernant notamment la consommation debout dans les restaurants et les débits de boissons, ainsi que la réouverture des discothèques. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé qu'une évolution du protocole sanitaire en population générale serait mise en oeuvre à compter du 28 février pour le dépistage et le port du masque dans les lieux où ce dernier est requis, compte tenu de l'amélioration de la situation sanitaire.
Enfin, si cette trajectoire positive se confirmait, en particulier sur les tensions hospitalières et la circulation du virus, nous pourrions envisager une levée du passe à la mi-mars dans tout ou partie des lieux où il est mis en place. Nous voulons accompagner l'évolution de l'épidémie sur les plans épidémique et hospitalier. Nous voulons conserver une grande prudence, une certaine progressivité dans les prochaines semaines. En procédant par paliers, nous pourrions prévenir de nouvelles contaminations risquant de se produire du fait d'un relâchement trop rapide des mesures actuelles. En effet, si la circulation du virus a fortement diminué depuis plusieurs semaines, notre système de santé reste très exposé. Je veux saluer à nouveau l'engagement de tous les personnels, soignants et non-soignants, de tous les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux qui sont extrêmement mobilisés depuis deux ans.
C'est toujours avec le souci d'assurer la sécurité des Français que nous avons agi, afin de prendre des mesures proportionnées eu égard à l'évolution rapide des connaissances sur ce virus et la dynamique de l'épidémie. Dans ce contexte, le passe sanitaire, devenu passe vaccinal dans la plupart des lieux et pour la majorité des publics qui y étaient soumis, a permis d'enrichir le panel de mesures de prévention. En renforçant celles-ci pour la fréquentation de ces lieux, en soutenant la vaccination, il a fortement contribué à la protection de la santé de nos concitoyens. C'est l'objectif qui nous guide depuis le début de la gestion de cette crise sanitaire. C'est avec optimisme et vigilance que nous continuerons à être pleinement mobilisés dans les prochaines semaines.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci monsieur le ministre. Lors des premières auditions, nous avons compris que la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal était un moyen de booster la vaccination sans la rendre obligatoire, pour éviter des contrôles délicats. Confirmez-vous cette interprétation ?
M. Olivier Henno , rapporteur . - Monsieur le ministre, pouvez-vous préciser les trois principaux indicateurs qui vous permettent de suivre l'utilité du passe vaccinal ? Au regard des restrictions qu'il implique, le Gouvernement a-t-il mis en place des outils pour suivre les effets du seul passe vaccinal sur la situation sanitaire ?
Sur la situation hospitalière, combien de plans blancs sont encore aujourd'hui activés ? Combien d'établissements sont encore contraints à des déprogrammations ? Sous quels délais celles-ci seraient-elles résorbées ?
M. Olivier Véran, ministre . - Nous avons beaucoup débattu de l'obligation vaccinale ; c'était une option qui pouvait dépasser les clivages politiques traditionnels. J'ai compris ce débat et vous rappellerai les arguments que j'y avais opposés.
Il portait d'abord sur les outils de contrôle : certains, y compris au Sénat, proposaient l'obligation vaccinale, mais sans contrôle et sans sanctions. Dans ce cas, ce n'est plus une obligation ; c'est un voeu pieux ! Quelles auraient été les diverses formalités du dispositif : sonner à la porte des habitants, effectuer des contrôles de rue aléatoires ou prévoir des amendes de 100 euros ? Une personne très éloignée du système de santé serait-elle éligible au contrôle ? Probablement non : étant isolée de tout système et de tout professionnel de santé - pharmacien, infirmier, etc . -, le risque, ou la chance, serait faible qu'elle soit contrôlée. Pour les plus opposés au vaccin et les adeptes d'une forme de complotisme, une amende n'aurait strictement aucun impact sur leurs représentations concernant les dangers imaginaires pour l'organisme.
En outre, l'obligation vaccinale n'aurait pas eu d'impact tout de suite. Or il fallait agir immédiatement quand la vague Delta était très haute et la vague Omicron montait. Si nous avions mis en place une obligation vaccinale, nous aurions, comme les autres pays, fixé un délai à trois mois. Et nous serions aujourd'hui en train de nous poser la question de la mise en oeuvre pratique de cette obligation, assortie des contrôles et des sanctions éventuelles. Nous serions donc arrivés après la bataille !
J'en viens aux indicateurs.
Le principal est que les hôpitaux retrouvent un fonctionnement normal et qu'ils ne déprogramment plus les interventions prévues. Certains hôpitaux le font déjà, comme à Nice, depuis dix jours. Indépendamment des manques d'effectifs qui peuvent toujours se poser, la charge que représentent les patients covid ne modifie pas l'organisation des soins. Mais ce n'est pas le cas partout. Il m'est très difficile de vous donner des chiffres précis sur le nombre d'hôpitaux encore concernés par un plan blanc ou sur les déprogrammations. Néanmoins, nous suivons l'état des lieux avec une grande attention en interpellant les établissements. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que la charge sanitaire est très importante. Plus de 2 900 patients covid occupent la moitié des lits de réanimation. Et, quand on sait que près de 30 000 patients covid sont en lits de médecine, le fonctionnement des hôpitaux en pâtira nécessairement de façon importante. Le Conseil scientifique consacré à la covid-19 suggère que, pour revenir à la normale, nous redescendions aux alentours de 1 500 patients covid en réanimation. Au rythme actuel, nous pourrions y parvenir d'ici deux à trois semaines.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Quand vous parlez des « patients covid », entendez-vous cette expression au sens strict ou comptez-vous les patients dits « covid accessoires » ?
M. Olivier Véran, ministre . - Vous avez raison de souligner cette différence, madame la présidente. L'écart peut effectivement se révéler important s'agissant des patients hospitalisés en soins conventionnels. Il est beaucoup plus restreint en soins critiques et tend à se réduire, puisque, moins le virus circule, moins il peut atteindre un patient hospitalisé pour une autre affection.
Le deuxième indicateur est la dynamique épidémique. Selon le Conseil scientifique, le facteur R de reproduction du virus doit être durablement inférieur à 1, c'est-à-dire que l'on se trouve sur une pente décroissante. De plus, le taux d'incidence doit être assez faible, de 300 à 500 cas au maximum. Nous aurons alors franchi le Rubicon. Là aussi, cela devrait se produire d'ici deux à trois semaines maximum. C'est une bonne nouvelle que l'on entrevoit grâce à la décrue de l'épidémie et aux sorties d'hospitalisation. Néanmoins, 290 décès ont été enregistrés hier. Ce nombre est élevé, qui correspond à 10 % de la mortalité routière annuelle. Et, comme chez nos voisins européens, le décompte des décès ne paraît plus central pour un certain nombre de nos concitoyens. À ceux qui disent qu'Omicron n'entraîne pas de cas graves, je réponds qu'il existe peu de maladies qui font 250 à 280 morts par jour dans un pays ! La covid continue de sévir, mais la population bénéficie heureusement de la protection de la vaccination.
Quels sont les effets du passe sur la situation sanitaire ? Un mois, c'est trop tôt pour que je puisse vous répondre. Toutefois, il est acquis que le passe sanitaire a sauvé des vies, évité de très nombreuses hospitalisations et réanimations. Selon l'étude publiée par le Conseil d'analyse économique (CAE) en janvier 2022, nous avons, grâce au passe sanitaire, gagné 13 points de vaccination, évité 4 000 décès, 32 000 hospitalisations et 45 % d'admissions en soins critiques à la fin de 2021. Je considère donc que le passe vaccinal aura un effet positif sur la situation sanitaire.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Les déprogrammations sont variables d'un hôpital à l'autre. Je suis quelque peu surprise du manque d'indicateurs en la matière. Cet état n'est pas nouveau, mais pourquoi n'a-t-on pas instauré des tableaux d'indicateurs réguliers pour se doter d'une vision globale des ressources humaines ? Lorsque nous interrogeons la direction générale de l'offre de soins (DGOS), celle-ci nous renvoie à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). Le problème est similaire dans l'éducation nationale pour les données relatives aux enseignants.
M. Olivier Véran, ministre . - Factuellement, vous avez raison. Je suis arrivé à la tête d'un ministère qui fonctionne très bien, qui dispose de tonnes de chiffres, mais qui souffre aussi de données manquantes. À cet égard, j'ai dû répondre à une allégation fausse sur les 20 % de lits fermés ! Mais il a fallu diligenter des enquêtes spécifiques et faire remonter des données pour le démontrer. Entre-temps, il s'est écoulé plusieurs semaines. Le constat est le même sur les déprogrammations.
Attention : plus nous voulons de données nationales précises en temps réel, plus les charges administratives pesant sur les équivalents temps plein (ETP) des milliers d'hôpitaux augmentent. Or le discours ambiant, auquel j'adhère, ne s'oriente pas vers l'augmentation des personnels administratifs dans les hôpitaux. Nous préconisons plutôt un pilotage raisonné et pragmatique via des indicateurs de processus, par exemple pour le nombre des consultations d'anesthésie.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Avant la promulgation de la loi, monsieur le ministre, vous aviez annoncé, avec le Premier ministre, lors d'une conférence de presse, une levée progressive des restrictions. Je pense au 2 et au 16 février, date de réouverture des discothèques. Sur quelles bases scientifiques vos annonces reposent-elles ?
Sur le seuil de 1 500 lits en soins intensifs, vous avez répondu à mon interrogation.
Disposez-vous d'éléments sur le sous-variant BA.2 ? Quelles sont les évolutions possibles ? Des simulations ont-elles été effectuées ? Risque-t-on de retomber dans une épidémie débordante ?
Depuis une dizaine de jours, très peu d'informations sur notre situation sanitaire sont diffusées dans les médias. Jusqu'alors, les décès et les détails de l'engorgement des services de réanimation étaient quotidiennement rapportés. Est-ce une volonté délibérée ? Le virus a-t-il disparu et la vie normale reprend-elle ses droits ?
M. Olivier Véran, ministre . - Sur la place de l'épidémie dans l'agenda public, il ne me revient pas de vous répondre. Je continue de communiquer. Je l'ai fait dimanche, et quelques jours auparavant dans une émission, où il a été question quasi exclusivement de la covid. C'est également le cas lors des revues de presse quotidiennes.
On sent que la population est à la fois lasse et rassurée. Nous sommes plus inquiets avant la vague que lorsqu'elle est passée. Quand elle commence à monter, la panique s'exprime durant dix jours, avant que l'on se rende compte que le système hospitalier tient grâce aux soignants, qui sont exceptionnels. Puis, un relâchement a lieu. À la fin décembre, le variant Omicron a suscité l'inquiétude du fait de sa grande contagiosité. J'avais dit en toute transparence qu'il ne servait à rien de fermer les bars et les restaurants. Les Pays-Bas ont fait le choix opposé, et, lors de leur réouverture, les effets de la vague se sont produits à retardement, comme en Allemagne. C'est l'incertitude qui crée de l'anxiété. Or, au début de la vague, personne n'a de réponse. C'est le propre des épidémies qui déferlent avec des virus inconnus susceptibles de muter.
On a fait le plus dur, mais je reste prudent, car des variants nouveaux pourraient nous imposer de revenir à des dispositifs que nous allégeons progressivement. Les Français l'ont parfaitement compris. Il est moins nécessaire d'aller chercher les informations quand on a parfaitement appréhendé les tenants et les aboutissants d'une telle épidémie.
Quels sont les critères d'allégement ? Les mesures de freinage visent plusieurs objectifs. On veut d'abord limiter les risques de clusters , de contaminations diffuses massives en évitant les regroupements dans les établissements accueillant du public et, partant, un échappement du suivi de la maladie. On veut ensuite éviter que les plus fragiles, mêmes vaccinés, soient en contact avec des non-vaccinés, potentiellement contaminants. D'où la logique de l'obligation vaccinale des soignants. Des mesures sont toujours valables même lorsque le virus circule moins. Pour d'autres, le bénéfice-risque est moins évident.
Le variant Omicron a contaminé près de la moitié de la population. Dès lors, le niveau d'immunité populationnelle, outre la vaccination, permettait d'anticiper une régression du virus et des mesures d'allégement. Ce fut le cas au printemps 2020, lorsque le Président de la République a annoncé le futur déconfinement le 11 mai. Nous prenons nos décisions en fonction des modélisations des courbes, de l'Institut Pasteur, etc . Voilà pourquoi je dis que, d'ici à la mi-mars, peut-être un peu avant ou un peu après, nous aurons rempli les critères pour pouvoir enfin alléger le port du masque à l'intérieur et le passe vaccinal dans tout ou partie des lieux qui l'appliquent aujourd'hui.
Selon les dernières simulations, le variant BA.2, qui est un siamois de l'Omicron, serait responsable de 50 % des contaminations. Pour les scientifiques, il n'est pas associé au risque d'un rebond épidémique.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Ma question porte sur la situation chez nos voisins européens. Vous avez parlé de benchmarking , en donnant quelques exemples. Vous avez exposé les mesures que vous envisagez de lever en fonction de l'état sanitaire des autres États européens.
Je continue, en revanche, de m'interroger sur la situation des plus vulnérables. M. Niox-Chateau, que nous avons auditionné jeudi dernier, était un peu moins optimiste que vous : il a évoqué 5 000 vaccinations par jour, et non 12 000.
M. Olivier Véran, ministre . - Sur Doctolib.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Oui.
M. Olivier Véran, ministre . - Ils ont une part importante des prises de rendez-vous, mais ils n'en ont pas l'exhaustivité.
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - C'est néanmoins symptomatique : beaucoup de ceux qui devraient faire leur rappel en avril sont hésitants face à la vaccination. Ce phénomène risque d'entraîner une perte de chance pour cette catégorie.
Enfin, quelles mesures comptez-vous mettre en place pour les personnes fragiles ou immunodéprimées lors de la levée des restrictions ?
M. Olivier Véran, ministre . - Les mesures de freinage ont beaucoup été débattues au Parlement, car elles entraînent des conséquences sur l'ensemble de la société. Le passe vaccinal a soulevé de la crainte, de l'opposition, voire de la colère, mais nous l'avons mis en place pour des raisons bien précises et proportionnées. Dès que nous pouvons lever une mesure vécue comme une contrainte, nous le faisons. Il nous est déjà arrivé de proposer d'enlever le masque, puis de demander plus tard de le remettre. Le retrait du masque en mars pourrait avoir des incidences sur quelques milliers de Français, mais ce nombre n'est sans doute pas très important compte tenu du rythme de vaccination de rappel.
Le maximum de couverture, nous l'avons acquis. Cela ne doit pas empêcher la primovaccination des plus fragiles et des plus éloignés. La France est le premier pays en Europe à mettre à disposition le traitement préventif Evusheld pour 15 000 patients, des anticorps monoclonaux curatifs pour 4 000 patients, et le Paxlovid à plus de 1500 malades. Les immunodéprimés ne doivent pas être les victimes invisibles de cette pandémie ! Avec les non-vaccinés, ce sont eux que l'on retrouve en réanimation.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Sur les rappels, on pensait, au départ, qu'une première dose, suivie d'une seconde un mois plus tard, permettrait une protection longue, ce qui n'a finalement pas été le cas. On préconise désormais une troisième dose au bout de quatre mois. Il a même pu y avoir, notamment en Israël, qui était en avance sur ces questions, un débat sur l'opportunité d'une quatrième dose.
On peut comprendre que cette perspective de vaccins répétés puisse inquiéter nos populations. Vous avez vous-même évoqué une forme de « fatigue vaccinale », qui, pour l'instant, fait écarter une quatrième dose. C'est audible sur les plans psychologique ou sociologique ; ça l'est moins sur le plan scientifique.
Nous avons entendu, dans le cadre de cette mission, Santé publique France. Lors de son audition, sa directrice nous a indiqué qu'elle était chargée de collecter et d'agréger les données épidémiologiques, mais qu'elle n'avait pas pour mission d'être associée à des décisions de gestion de crise et qu'elle n'avait notamment pas reçu de sollicitation spécifique pour le passage du passe sanitaire au passe vaccinal.
Or la loi assigne de larges missions à Santé publique France. Comment le Gouvernement sollicite-t-il celle-ci pour éclairer les décisions prises dans le cadre de la gestion de la crise ? L'agence a-t-elle des moyens trop limités pour faire face à une crise sanitaire ?
Nous avons demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur Santé publique France, pour évaluer son financement, son fonctionnement, ses moyens et ses missions depuis sa création. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?
M. Olivier Véran, ministre . - Lors d'une émission, j'ai parlé de « fatigue vaccinale », parce que ce concept apparaît dans un rapport qui nous a été remis par une autorité scientifique chargée de nous guider. C'est, selon cette dernière, un paramètre dont il faut tenir compte, mais ce n'est pas le paramètre principal.
Je vais être très clair, madame la présidente : s'il y a un variant dangereux en circulation qui nécessite de revacciner toute la population et si nous disposons d'un vaccin efficace, la main ne tremblera pas. Il y va de l'intérêt, de la sécurité et de la santé de la population.
Le contexte a changé : nous sommes à la fin d'une vague, avec un variant moins dangereux, un très haut niveau de protection vaccinale de la population, un très haut niveau de contamination, mais très peu de formes graves, et des vaccins disponibles, efficaces pour éviter les formes graves, mais en cours de développement en vue de les adapter aux derniers variants. C'est en raison de ce contexte que ceux qui nous conseillent nous disent qu'il n'est pas nécessaire aujourd'hui de proposer une quatrième dose à la population générale. Il se trouve que, par ailleurs, ils estiment que cela évitera de renforcer le phénomène de fatigue vaccinale qui se fait jour chez certaines personnes.
Quand on est fragile, c'est tous les ans que l'on se vaccine contre la grippe : ainsi font plus de 10 millions de nos concitoyens. C'est le réflexe du mois d'octobre.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Avec le covid, c'est trois vaccins dans l'année...
M. Olivier Véran, ministre . - Parce que ce virus crée plusieurs vagues dans l'année ! Si la grippe mutait pour provoquer quatre ou cinq vagues potentiellement mortelles par an, nous aurions aussi des rappels vaccinaux contre la grippe plus réguliers. Nous nous adaptons.
Le vaccin est une chance. Il est gratuit, disponible partout, bien toléré, très efficace. La planète entière se vaccine. Je n'ai jamais considéré que le vaccin devait être vu comme une charge, un handicap ou une malédiction. C'est tout l'inverse.
On regrette régulièrement qu'il n'y ait pas assez de prévention dans notre pays et que l'on soit dans le tout-curatif : le vaccin relève, par excellence, de la médecine préventive.
Madame la présidente, Santé publique France n'a pas pour rôle de prendre des décisions, d'éclairer directement ou d'orienter les prises de décision. Ce rôle revient à la direction générale de la santé, qui chapeaute SPF. Santé publique France est un organisme de veille sanitaire, de veille épidémiologique, qui fournit et traite des données qui permettent ensuite d'orienter les prises de décisions. Il est donc normal que la directrice générale de SPF n'ait pas d'avis à rendre s'agissant de la stratégie vaccinale de notre pays et encore moins concernant le passe.
Il ne vous aura pas échappé que notre paysage est déjà assez bariolé en matière d'agences et de structures sanitaires. Le ministre de la santé, dont fait partie la direction générale de la santé, chapeaute l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, Santé publique France et d'autres agences d'État. Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de mettre en place, au niveau déconcentré, les mesures décidées nationalement et des procédures innovantes et de gérer la vaccination.
Il existe également une autorité indépendante, la Haute Autorité de santé, qui ne répond pas au ministre, mais que nous pouvons saisir pour qu'elle nous remette, en transparence et en parfaite indépendance, des avis scientifiques. Nous l'avons agrémentée d'un Conseil d'orientation de la stratégie nationale, piloté par le professeur Alain Fischer. Comme je l'ai déjà expliqué, j'ai souhaité que ce ne soient pas les mêmes acteurs qui anticipent, évaluent, mettent en place et contrôlent, mais que plusieurs acteurs différents puissent intervenir, avec des missions différentes, d'où la création du Conseil scientifique, qui est, en toute indépendance - la loi lui a conféré un statut -, chargé d'émettre des recommandations et de guider les politiques publiques.
J'ajoute à cela tous les organes, extrêmement utiles et efficaces, comme le Haut Conseil de la santé publique.
Le paysage est donc déjà assez chargé. On ne va pas confier la même mission à deux agences différentes, surtout quand l'une est placée sous la direction de l'autre.
Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Il est vrai que nos concitoyens sont partagés sur la question du vaccin. Je pense qu'il faut poursuivre la communication à ce sujet. Comme on nous a expliqué ce que Louis Pasteur a fait contre la rage, il faut continuer à expliquer, dans les écoles, dès le plus jeune âge, combien la vaccination est importante, que le vaccin n'est pas un ennemi. Les discours tenus par certains, parfois avec une capacité de persuasion incroyable, sont désastreux. Les personnes naïves sont à leur merci.
Il faut absolument continuer de communiquer sur les vaccins. La recherche a permis de trouver, par exemple, un vaccin contre les méningites. L'existence d'un tel vaccin est un réel soulagement quand on connaît les ravages que peuvent faire ces maladies sur les enfants.
Il faut également communiquer sur toutes les mesures d'hygiène que l'on a mises en place sous l'effet de la pandémie. Il faut que l'on garde des réflexes d'hygiène - nous en étions loin -, comme le lavage des mains ou la protection des aliments dans les magasins, contre les postillons des clients par exemple.
Dans certains lieux et sous certaines conditions, il faudra continuer à porter le masque. Monsieur le ministre, quelles seront les conditions pour pouvoir enlever le masque à l'intérieur ? Certains de nos concitoyens s'interrogent. En particulier, des personnes exerçant un travail physique s'inquiètent de devoir porter le masque toute leur vie.
M. Olivier Véran, ministre . - La France a dû, au début de ce mandat, se doter d'une loi pour instaurer l'obligation vaccinale contre des maladies infantiles qui auraient dû disparaître et qui revenaient de façon galopante. Notre pays n'est pas celui, tant s'en faut, qui affiche le meilleur taux de couverture vaccinale contre la covid chez les enfants. Donc, oui, notre pays, le pays de Pasteur, doute, mais il se laisse convaincre, puisque le taux d'intentions vaccinales, qui s'élevait à moins de 40 % de la population avant la vaccination de Mauricette, est monté, quelques jours plus tard - surtout quand la peur de manquer est devenue importante -, à 70 % . Le taux de couverture vaccinale est désormais si élevé que j'aurais cru impossible de l'atteindre en début de campagne vaccinale : si l'on vous avait annoncé que 54 millions de Français seraient vaccinés contre la covid, vous m'auriez répondu que nous étions trop ambitieux...
Cependant, nous ne nous sommes pas laissé convaincre de la même manière concernant les enfants, compte tenu du contexte épidémique et du sentiment qu'Omicron n'est pas grave chez les enfants. Je le répète : il y a des enfants à l'hôpital. Il y a même, statistiquement, beaucoup plus d'enfants à l'hôpital du fait de la non-vaccination. C'est un point majeur, madame la rapporteure générale. Je ne sais pas dans quel autre contexte on accepterait l'idée qu'il n'est pas si grave que 500 enfants soient hospitalisés quand l'hospitalisation était évitable.
Vous avez raison sur le maintien de l'hygiénisme. Les gens en ont assez qu'on leur parle de leur santé, mais il faudra conserver un certain nombre de réflexes. Il nous a toujours semblé étrange que les habitants des pays d'Asie portent le masque au début des épidémies, mais c'est peut-être un réflexe qu'acquerront un certain nombre de nos concitoyens. Cela dit, je nous vois mal imposer le masque l'hiver parce que la grippe arrive. Néanmoins, je rappelle que, en 2020, du fait de la distanciation sociale, nous n'avons eu ni gastro-entérite, ni grippe, ni bronchiolite. Au-delà de la covid, beaucoup de vies ont été sauvées grâce à ces mesures. Cependant, nous devons continuer à vivre, et je pense que l'ère de la fin de la distanciation sociale est bientôt arrivée.
Sur le masque en intérieur, un Conseil de défense et de sécurité nationale, qui se tiendra peut-être la semaine prochaine, devra statuer sur l'état sanitaire et épidémique, et décider de la suite de l'allègement de deux grandes mesures : le passe vaccinal et le port du masque là où il est encore obligatoire et où il le restera en date du 28 février. On peut raisonner « en bloc », en supprimant ces mesures, ou tenir compte de graduations, de niveaux de risque, pour créer un nouveau palier : par exemple, conserver le passe vaccinal encore quelques semaines pour les discothèques et les bars dansants, là où les risques de clusters et de contamination sont plus importants, et le supprimer ailleurs, ou le maintenir dans des établissements recevant du public ou à l'occasion de certains grands événements se tenant en intérieur, réunissant beaucoup de monde et occasionnant beaucoup de brassage. Ce ne sont que des possibilités ; je n'ai pas de réponse. C'est au Conseil de défense et aux autorités scientifiques, que nous pouvons saisir en ce sens, de nous guider.
Le masque en intérieur a vocation à disparaître dans tout ou partie des lieux fermés. Cela dit, deux questions resteront en suspens : instaure-t-on un palier ? Supprime-t-on le port du masque partout, ou le maintient-on encore quelque temps, pour être certains d'avoir véritablement écrasé le virus, dans les lieux où le risque de transmission est le plus fort, à savoir les transports en commun et les salles de classe ?
Vous imaginez bien qu'il est compliqué de demander à des enfants de continuer à porter le masque en classe quand les adultes n'auraient plus à le porter en entreprise. Cela nécessite une réflexion très poussée, qui enjambe les questions sanitaires pour aller vers des questions éthiques et de tolérance sociétale. C'est tout l'objet du travail que mes équipes fournissent actuellement : nous devons être prêts à proposer, dans le cadre d'un prochain Conseil de défense et de sécurité nationale, la bonne marche à suivre en vue des dernières étapes de l'allègement, pour que le printemps ne soit plus masqué et que l'on puisse revivre le plus normalement possible.
Mme Pascale Gruny . - Quid de la recherche sur le covid long ? Celui-ci entraîne de nombreuses conséquences, au-delà de la seule perte des capacités pulmonaires. Je pense que la recherche sur ce dernier se fera aussi sur un temps long...
Nous n'avons pas pour le moment la possibilité de connaître la durée de la protection apportée par la vaccination. Au reste, cela dépend des personnes : certains gardent une protection plus courte, d'autres plus longues. Aura-t-on des éléments sur cette question ?
Pourquoi y a-t-il des familles qui passent complètement au travers du covid et d'autres où tout le monde l'attrape, avec les mêmes protections sanitaires ?
Les médecins généralistes ne sont pas très favorables à la vaccination des enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la puberté. Disposez-vous de davantage d'informations à ce sujet ?
Mme Catherine Deroche , présidente . - Quel est le taux de couverture vaccinale des 80 ans et plus ?
Michelle Meunier a évoqué la question des immunodéprimés. Il s'agit d'un vrai sujet de préoccupation. Qu'est-ce qui est fait pour aller vers ces personnes très vulnérables, qui, certes, ne se rendent pas forcément dans les lieux publics et n'ont pas un besoin important de passe, mais côtoient leur aide ménagère, leur famille... ?
Avez-vous envisagé que, dans certains lieux, le passe vaccinal puisse être abandonné au profit d'un retour au passe sanitaire ?
M. Olivier Henno , rapporteur . - Y a-t-il une évolution de l'âge médian des personnes qui décèdent du covid ?
M. Olivier Véran, ministre . - Vous m'interrogez sur l'avenir de la science et de la recherche : admettez que ces questions sont assez loin de l'objet des travaux de votre mission d'information !
Il existe plusieurs types de symptômes post-covid persistants. Certains vont disparaître au bout de quelques semaines ; d'autres, au bout de quelques mois. Certains durent depuis 2020 - ce n'est heureusement pas le cas le plus fréquent, mais cela arrive.
La perte du goût et de l'odorat peut durer un peu plus longtemps - je précise que ces troubles se rééduquent par des oto-rhino-laryngologistes (ORL).
Certains patients souffrent d'une dysautonomie, c'est-à-dire d'une dissociation entre leur activité et leur rythme cardiaque. J'ai vu une infirmière marathonienne de trente ans dont la fréquence cardiaque s'élevait à 110 battements par minute au repos. Cela entraîne une fatigue énorme, et une incapacité à faire des efforts physiques. On ne sait pas complètement l'expliquer, mais cela signifie que le virus a réussi à s'infiltrer dans des fibres nerveuses qu'on ne soupçonnait pas qu'il puisse atteindre.
On recense des insuffisances respiratoires chez des gens qui ont eu des formes pulmonaires très graves, avec de grosses pneumonies, des abcès, et qui peuvent conserver des séquelles respiratoires. Il y a d'autres situations, avec des symptômes plus compliqués à catégoriser, avec de l'asthénie, des céphalées...
Il est difficile de vous dire combien sont victimes de symptômes persistants, la vague Omicron ayant beaucoup rebattu les cartes. On ne sait pas, d'ailleurs, si ce variant peut donner des formes longues de covid. Nous développons fortement la recherche.
L'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a lancé deux appels à projets. Le premier a eu lieu en novembre ; le prochain est en mars. Dans le premier, 8 projets ont été acceptés, et l'on déploie dans tous les territoires des centres de prise en charge pluriprofessionnels, associant des médecins, des kinésithérapeutes, des psychologues, pour accompagner ces patients.
Si votre prise de sang montre la présence d'anticorps, cela révèle un contact avec le virus et une immunité humorale : ces anticorps encore en circulation sont susceptibles d'agir contre le virus si celui-ci arrive dans votre corps. Mais, si le virus déjoue vos défenses immunitaires et vous infecte, c'est l'immunité cellulaire, c'est-à-dire la capacité de vos cellules immunitaires à fabriquer de nouveaux anticorps, qui va être déterminante : il faut beaucoup plus d'anticorps que ceux que vous avez de façon résiduelle dans le sang. Or, cela, on ne sait pas le mesurer.
Ainsi, certains ont attrapé Omicron trois semaines après avoir contracté Delta, malgré un bon taux d'anticorps. Au moment où ils ont attrapé Omicron, ils avaient des anticorps dans le sang, mais leurs cellules n'avaient pas acquis la capacité à fabriquer des anticorps. Apprendre à vos cellules comment on fabrique les anticorps, c'est tout l'intérêt de la vaccination. Encore hier soir, quelqu'un m'a interpellé dans une réunion à vocation politique, me demandant l'intérêt de se faire vacciner puisque ses taux d'anticorps étaient élevés. Toujours et inlassablement, je formule cette même réponse, qui est celle des scientifiques.
Oui, il existe une sensibilité individuelle à la covid, mais cela est vrai pour tous les germes, pour toutes les infections. Dans une famille, il y a toujours quelqu'un qui ne l'attrape pas, quand les autres l'ont. C'est très troublant, mais cela ne fait pas de celui qui ne l'a pas eu un superhéros : cela en fait un simple chanceux.
Je suis bien placé pour en parler, puisque, pendant deux ans, j'ai échappé à la covid, alors que je suis allé dans tous les clusters du pays, dans tous les services de réanimation, dans tous les services d'urgence... Je suis allé partout, y compris au temps où l'on n'avait pas de masque, dans l'Oise, le Grand Est, à Marseille, et je ne l'ai jamais attrapée. On finit par se sentir fort, jusqu'à ce qu'on l'attrape un beau matin sans savoir pourquoi. On n'est ni responsable quand on est malade, ni un superhéros quand on ne l'attrape pas - on est simplement passé entre les gouttes. Cela dit, peu de personnes n'ont pas attrapé Omicron.
Madame la sénatrice, ce ne sont pas « les » médecins, mais « des » médecins qui sont réservés sur la vaccination des enfants. C'est dommage. En Espagne, 50 % des enfants sont vaccinés, soit dix fois plus que chez nous ! La méfiance à l'égard de la vaccination des enfants, qui sont les plus à même de se faire vacciner, est excessive.
Il existe, dans notre pays, un problème conceptuel de confiance en la science. C'est ce explique que l'on ne soit pas capable de déposer un projet de loi pour rendre obligatoire la vaccination contre le papillomavirus, qui est responsable du cancer du col de l'utérus et peut terrasser 700 jeunes femmes en âge de procréer en France chaque année, mais touche aussi les garçons, avec des cancers de la sphère oropharyngée, etc .
Nous devrons, à un moment donné, débattre de ce sujet de manière claire. Cela a été fait par ma prédécesseure lorsque la vaccination contre les maladies infantiles a été rendue obligatoire. On a vu que cela avait soulevé de la colère, mais il faut passer outre, car il y va de l'intérêt de la population. Il ne faut jamais se cacher derrière son petit doigt et il faut être ferme sur les fondamentaux scientifiques.
J'ai fait preuve de cette fermeté en 2020, lorsqu'un certain nombre de parlementaires ne comprenaient pas pourquoi je ne distribuais pas moi-même des plaquettes de chloroquine à tous les malades - ce qui m'aurait valu un joli procès en pénal deux ans plus tard, à l'instar de ce qui s'est passé au Brésil... Or, aujourd'hui, je ne vois pas de commission d'enquête parlementaire sur les raisons pour lesquelles je n'ai pas cédé à toutes les pressions pour que je laisse n'importe qui prescrire de la chloroquine à tout le monde !
S'agissant de la couverture vaccinale des plus de 80 ans, pas moins de 90 % d'entre eux ont reçu une dose, 80 % en ont reçu deux et 75 % ont eu leur dose de rappel.
Peut-on passer du passe vaccinal au passe sanitaire ? Non, d'autant qu'il faudrait une loi pour cela. Je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'on ne fasse pas un quatorzième texte d'état d'urgence sanitaire. Le temps qu'il soit écrit par les services compétents, analysé par le Conseil d'État et adopté par le Parlement, nous n'aurons, je l'espère, plus besoin du passe !
Madame la présidente, nous continuons à « aller vers » : les centres communaux d'action sociale (CCAS), les associations, les pompiers, les médecins, les infirmières à domicile, les kinés, les sages-femmes, tout le monde le fait. Toute personne qui n'est pas vaccinée se voit proposer le vaccin. On continue de vacciner plusieurs milliers de personnes par jour.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci, monsieur le ministre.
Je vous dis à jeudi, devant la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital.
M. Olivier Véran, ministre . - Je vous remercie pour l'ambiance qui a toujours prévalu au sein de votre commission des affaires sociales. Je reviendrai aussi souvent que vous le souhaiterez.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition du Professeur Henrik Ullum, directeur,
et du Docteur Marianne
Voldstedlund, responsable de la prévention
des maladies infectieuses,
du Statens Serum Institut (Danemark)
Mme Catherine Deroche , présidente . - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons à présent le professeur Henrik Ullum, directeur et le docteur Marianne Voldstedlund, responsable de la prévention des maladies infectieuses, du Statens Serum Institut (SSI) au Danemark pour notre dernière audition avant la présentation du rapport.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande. Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Le Danemark a procédé récemment à la levée d'un certain nombre de restrictions, dont le « Coronapas » à la faveur de l'amélioration des indicateurs épidémiologiques.
À travers cette audition, nous souhaiterions connaître le type d'informations que votre institut collecte et comment il les rend disponibles pour le Gouvernement et le grand public, les indicateurs retenus pour évaluer le Coronapas dans le contexte épidémique et, enfin, votre analyse sur la contribution du Coronapas dans la réponse à l'épidémie.
Pr Henrik Ullum, directeur du Statens Serum Institut . - Le SSI est chargé de la surveillance des maladies infectieuses au Danemark ; c'est l'équivalent de l'Institut Pasteur en France.
Le Danemark a, je le pense, réussi la gestion de la pandémie. Concernant les événements les plus récents, certains scientifiques ont peut-être mal compris notre message : nous avions seulement estimé que la situation était plutôt bonne pour le moment.
Nous avons réussi à traverser cette pandémie sans surmortalité excessive ; l'économie se porte bien et nous sommes arrivés à un certain niveau de consensus et de confiance sociale. Il y a eu quelques manifestations, mais pas de situation véritablement problématique.
Cette réussite est due à différents facteurs. Nous avons testé différentes possibilités, par exemple des tests pratiqués sur 20 % de la population chaque semaine ; nous avons un système de surveillance très robuste, avec des données transmises immédiatement au Gouvernement comme au grand public. Cela a permis de démocratiser nos solutions dans la gestion de la pandémie.
Nos sociétés scandinaves ont un haut niveau de confiance sociale : tout le monde est prêt à agir pour le bien commun. Beaucoup de citoyens étaient prêts à se faire vacciner rapidement, pour protéger l'ensemble de la société. Cela a joué un rôle capital dans la réouverture de la société.
Dr Marianne Voldstedlund, responsable de la prévention du Statens Serum Institut . - Je m'efforcerai de répondre à une partie de vos questions, très pertinentes, dans ma présentation. Nous avons très bien géré la pandémie : la surmortalité toutes causes confondues a été très faible. Il est toutefois difficile de comparer les situations entre pays, car certains testent beaucoup et d'autres peu.
Comment le Danemark a-t-il réussi à gérer la pandémie ? D'abord, grâce à la conviction que le contrôle et les mesures de restrictions ne doivent pas mettre à mal l'économie. Ensuite, notre système de surveillance repose sur un triptyque : une infrastructure informatique robuste, une transmission électronique de données en temps réel, une tradition de collaboration de longue date entre les parties prenantes. Cela a été très utile en période de crise.
Nous avons rendu les tests gratuits et fortement augmenté nos capacités dans ce domaine. Les contaminations ont été très strictement contrôlées, les cas positifs ont été isolés. Un faible nombre de personnes ont préféré ne pas se faire tester. Nous avons pu identifier rapidement les foyers d'infection, en mettant en place le contact tracing . Les personnes malades s'isolaient volontairement, sans que le Gouvernement ait besoin d'émettre des recommandations.
La dissémination systématique des données a permis une transmission en temps réel à tous les niveaux du Gouvernement mais aussi aux écoles, au grand public et à la presse. C'est le fondement de la culture de la confiance.
Nous avons partagé non seulement les données, mais aussi nos sujets de préoccupation, notamment sur la vaccination. Nous avons ainsi placé notre confiance dans la capacité du peuple à comprendre les différences entre vaccins et le concept de risque. Les pouvoirs publics ont eu le courage de partager une information complexe sur le vaccin et ses effets secondaires.
La population a, en retour, fait confiance au Gouvernement, en estimant que si le vaccin n'était pas sûr, il aurait été retiré rapidement. Les habitants ont eux-mêmes demandé des tests, se faisant acteurs des recommandations des autorités.
Ce système n'aurait pas fonctionné sans solutions numériques centrées sur les citoyens, simples à utiliser et sans danger.
Le système de surveillance est basé sur une multiplicité de sources : la MiBa, la base de données microbiologique recensant tous les résultats de tests, positifs et négatifs, le registre danois de vaccination qui comporte la date de vaccination et le type de vaccin, le registre national des patients comportant les admissions à l'hôpital et en soins intensifs, sans compter d'autres registres comme celui des écoles, des crèches, des professions. Nous pouvons ainsi suivre l'évolution du covid au sein de la population âgée ou de celle des chauffeurs de bus.
Nous avons testé jusqu'à 10 % de la population par jour. Nous avons partagé ces données plusieurs fois par jour, avec toutes les parties prenantes.
Ainsi les fake news sont rares : nous avons gagné la confiance de la population, chacun est informé au même niveau et peut prendre des décisions éclairées.
Les décisions essentielles ont été prises avant la pandémie : ainsi, il y avait déjà un système en place lorsque la crise est survenue. L'une des sources principales de ce système est la MiBa, qui reçoit en temps réel les données microbiologiques : tests positifs et négatifs, pour le covid ou la grippe.
Au Danemark, le système de surveillance couvre les hôpitaux privés comme publics, les cliniques et les médecins de ville.
En 2020, nous avons constitué d'énormes capacités de tests. En 2021, des sociétés privées se sont jointes à nos travaux. Au printemps, nous avons commencé les tests dans les écoles, les centres, les universités, avec des résultats remontés en temps réel.
Pour construire des statistiques au niveau d'un pays, il ne faut pas seulement construire des laboratoires : il faut aussi organiser les flux. Tous les rapports passent par la MiBa et tous les patients et médecins ont accès aux rapports. La MiBa fait aussi un lien avec le système de surveillance.
Au moment du covid, il a donc suffi de connecter les nouvelles données à une infrastructure déjà en place, avec des flux de données structurés. C'était une forme de plug and play .
Il a donc été aisé d'élaborer ce Coronapas. Les solutions numériques n'existaient pas toutes, mais la collaboration était là ; elle a été construite sur une durée de 25 ans. On ne peut pas tout construire en période de crise. C'est également vrai pour le registre de vaccination danois (DDV), qui existe depuis 2010. Les généralistes, lorsqu'ils font un vaccin, l'enregistrent immédiatement dans le système. La MiBa et le DDV sont entièrement intégrés aux systèmes informatiques des généralistes et des hôpitaux.
Les données recueillies sont ensuite traitées grâce à des algorithmes complexes. Nous pouvons aussi les visualiser sous la forme de tableaux de bord et de cartes, qu'il est possible à tout un chacun de télécharger. La presse reçoit ces données en temps réel, mises à jour, avec des systèmes de visualisation disponibles pour les journaux et les réseaux sociaux. C'est un avantage considérable : la presse nous aide à partager l'information.
Ces données alimentent des rapports, des statistiques. Nous utilisons des indicateurs clés au quotidien.
Un système appelé Automail a été mis en place début 2020. Chacun pouvait recevoir, sur son téléphone, jusqu'à cinq courriels par jour l'informant de l'évolution du nombre de cas. Aujourd'hui, des statistiques plus élaborées sont présentées. Nous mettons notamment à disposition des cartes GIS à l'échelle des municipalités.
Pr Henrik Ullum . - Nous avons mis en place des modélisations de l'évolution de l'épidémie. Globalement, nos prévisions se sont réalisées. Nous avions anticipé une baisse du nombre de cas journaliers à partir de début février dans les zones les plus infectées, comme le grand Copenhague. C'est ce qui s'est produit, grâce à l'immunité hybride acquise par les vaccins et par l'infection. La situation est restée gérable : nous avons aujourd'hui trente personnes en réanimation et 50 000 infections.
Il y a eu trois vagues principales de mortalité au cours de la pandémie. Le premier indicateur utilisé est celui des personnes décédées trente jours après un test positif ; mais cela ne permet pas au médecin de dire si la mort a été causée par le covid.
Il est préférable de mettre en regard le nombre de décès et de contaminations avec le nombre de tests réalisés. Cela nous a permis de déterminer qu'il n'y avait pas eu de surmortalité excessive liée à la covid-19.
Nous avons aussi considéré les admissions à l'hôpital pour cause de covid, et les tests pratiqués sur les malades déjà admis. La proportion de patients positifs admis à l'hôpital pour d'autres raisons a augmenté : elle est aujourd'hui de 50 %.
Le principal problème, pour notre système de santé, a été que le personnel médical est tombé malade, et non la pression exercée par la pandémie sur le système hospitalier.
Mme Chantal Deseyne , rapporteur . - Vous avez évoqué la confiance sociale au Danemark. Les Danois sont-ils plus disciplinés et moins contestataires ? Le passe vaccinal a-t-il été mis en cause par la population ?
Quel est le niveau de fiabilité de vos projections ? Avez-vous comparé les résultats observés aux projections réalisées ?
Pr Henrik Ullum . - « Discipliné » n'est pas le mot le plus adapté. Au Danemark, comme en France, nous avons des débats passionnés, des critiques sur les mesures de restrictions. Certains se demandent si nous n'avons pas été trop stricts.
Le terme le plus approprié est celui de confiance sociale. Elle doit être déjà là au moment où la pandémie arrive. Les Danois ont confiance dans leur gouvernement et leurs institutions, et ils ont confiance les uns envers les autres. Nous avons fait de notre mieux pour ne pas perdre cette confiance, et partager toutes les données à notre disposition.
Certes, une partie de la population ne fait pas confiance à l'État ni aux autorités de santé, mais elle est plus faible qu'ailleurs.
Lorsque le Coronapas a été mis en oeuvre, au printemps dernier, la société sortait d'une longue période de fermeture. Nous avons ainsi pu le présenter comme un moyen de rouvrir la société. Il a donc été très bien adopté par la population et les syndicats. Cela a été bénéfique au bien-être des Danois et à l'économie du pays. Certains secteurs ont été plus touchés par le fardeau, mais la simplicité du Coronapas a facilité son adoption rapide.
Après la vague Omicron, le Coronapas a commencé à être discuté, ce qui nous a conduits à réfléchir à la pertinence des restrictions.
Nous avons réalisé les modélisations tout au long de la pandémie, avec des projections très précises. Nous avons ainsi prévu ce qui s'est passé ces derniers mois. Nous avons, à d'autres moments, été trop pessimistes : ainsi le nombre d'admissions à l'hôpital lié au variant Alpha a été moindre que prévu.
Ce n'est pas tant la modélisation qui était en cause, que le fait de ne pas mettre suffisamment en lumière le niveau d'incertitude qu'elle comportait.
M. Olivier Henno , rapporteur . - Dans quelle mesure êtes-vous sollicité comme conseil ou appui à la décision, à quelle fréquence et selon quels canaux ?
La maladie a changé de nature avec le variant Omicron. Le passe est-il toujours l'outil approprié ?
Quelles raisons ont conduit le gouvernement danois à lever les restrictions ? Le suivi de l'épidémie pourrait-il vous conduire à remettre en cause ces décisions ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Comment évaluer l'efficacité du passe sanitaire dans la durée ?
Le sous-variant BA.2, très présent au Danemark, remet-il en cause vos projections sur Omicron ?
Mme Florence Lassarade . - Vos voisins suédois ont eu une stratégie très différente de la vôtre. Avez-vous imposé un contrôle aux frontières, et pendant combien de temps ? Est-ce ainsi que vous expliquez les différences dans les chiffres de l'épidémie ?
Les enfants sont-ils eux aussi soumis également au Coronapas ?
Pr Henrik Ullum . - Notre institut a une connaissance particulière de l'épidémie ; d'autres, agents de l'État, maîtrisent mieux les aspects économiques. Nous conseillons le Gouvernement, qui décide ensuite.
Toutes ces données sont soumises à discussion. L'opposition a elle aussi accès à nos conseils ; le savoir médical est partagé.
À titre personnel, j'estime que ce système a bien fonctionné. Nous avons réussi à obtenir du consensus, les décisions ont été acceptées. Le consensus est parfois plus important que la décision elle-même.
Omicron n'est pas la dernière variante de cette malade. Le Sars-CoV-2 restera. Omicron attaque les voies respiratoires supérieures, et non inférieures : ses symptômes sont plus proches de la grippe que de la pneumonie. Par conséquent, la pression sur le système de santé est moindre. En revanche, les personnes âgées ou dont le système immunitaire est faible restent vulnérables.
En matière de levée des restrictions, il est impératif d'évaluer la situation. Nos décisions ne reposent pas seulement sur des considérations médicales : il faut trouver un équilibre dans la gestion de l'épidémie.
Ainsi, nous réintroduisons le Coronapas quand le nombre de cas augmente. Mais le variant Omicron évitant l'immunité gagnée par la vaccination, il convient de réfléchir à sa réutilisation.
Au Danemark comme partout ailleurs, l'efficacité de ce passe doit être évaluée. Durant cette crise, nous avons parfois introduit les mesures qui nous semblaient nécessaires, mais qui n'étaient pas appuyées sur des éléments probants. Il faudra a posteriori faire un bilan de ce qui a fonctionné et de ce qui n'a pas fonctionné.
Nous avons introduit ce passeport à un moment où le nombre d'hospitalisations était très élevé : il est donc impossible de faire un lien direct avec la baisse des hospitalisations.
Le BA.2 n'a pas été inclus dans nos modélisations. Le pic des infections sera supérieur, et il sera atteint plus tard ; mais le variant n'est pas plus sévère.
Lorsque le variant Delta a frappé à nos portes, nous avons réussi, en fermant la frontière, à retarder de deux mois le moment où il serait le variant dominant. Ce répit nous a permis de développer l'immunité dans la population.
Nous n'avons pas réussi à faire de même avec Omicron, car ce variant s'est répandu comme un feu de forêt. Il était déjà là lorsque nous avons rétabli le contrôle aux frontières.
Enfin, la vaccination des enfants a commencé pendant la vague Delta. Elle n'est pas de la responsabilité de notre institut, mais d'une autre institution. Il y a des recommandations officielles de vaccination des enfants pour éviter les évolutions graves de la maladie ; mais les parents qui voulaient vacciner leurs enfants l'ont déjà fait.
Dr Marianne Voldstedlund . - En décembre 2021, le Coronapas a incité la population à se faire tester et vacciner. C'était une période de forte augmentation des cas. Nous avons eu de la chance : ainsi, la population a été fortement immunisée juste avant l'arrivée d'Omicron, et le virus est passé très rapidement. Nous ne l'avons pas contrôlé, mais le timing était très bon. Nous avons constaté une forte augmentation de la vaccination en décembre.
Mme Catherine Deroche . - La situation de l'hôpital au Danemark, notamment le nombre de patients en réanimation, est-elle un des indicateurs de gestion de la crise ?
Pr Henrik Ullum . - Lorsque l'on est aux commandes d'un avion, il faut utiliser tous les indicateurs disponibles. Nous avons pris en compte les admissions aux urgences, ainsi que les respirateurs.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie. Le Danemark a été très scruté par les pays européens.
M. René-Paul Savary . - Je note avec intérêt que le Danemark possédait déjà un système de collecte et de partage des données, avec interopérabilité, qui a permis aux autorités d'échanger plus facilement avec la population. Ne serait-il pas intéressant de s'en inspirer en France ? Nous devons tirer les leçons de l'expérience, nous fonder sur les données des crises précédentes pour nous doter, par anticipation, d'une grille d'évaluation et de réaction permettant de prendre des décisions le cas échéant - cela permettrait aussi de mieux les justifier auprès du public. Autrement je crains que si une nouvelle vague survenait, nous ne soyons toujours pas prêts. Le Gouvernement a mis en place le passe vaccinal : il devait agir, ce n'était peut-être pas une mauvaise décision, mais elle manquait de justification. Il conviendrait donc d'améliorer les flux de données pour mieux étayer les choix qui sont faits.
M. Daniel Chasseing . - Je retiens que les Danois ont testé jusqu'à 10 % de la population chaque jour et c'est comme cela qu'ils ont bloqué la propagation du variant Delta.
Mme Catherine Deroche , présidente . - Ils ont aussi fermé les frontières.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.