TRAVAUX EN COMMISSION

Audition de M. Julien Denormandie,
ministre de l'agriculture et de l'alimentation
(Mardi 23 novembre 2021)

Mme Dominique Estrosi Sassone , vice-présidente . - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord excuser la présidente qui assiste en ce moment même à la conférence des présidents. Nous recevons aujourd'hui le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, que je remercie de sa présence, pour aborder avec lui les nombreux sujets agricoles du moment.

Avant de vous prêter au jeu des traditionnelles questions d'actualité de nos commissaires, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous dressiez le bilan de la politique agricole du quinquennat qui s'achève. Quels ont été les grandes avancées et les succès ? Et, bien sûr, quels ont été vos remords et vos regrets ? Quelles ont été les erreurs commises et quels sont les sujets sur lesquels il faut encore avancer ? Je suis sûre qu'ainsi cette audition nous permettra de prendre un peu de recul sur notre politique agricole et alimentaire.

Après ce temps de réflexion, vous n'échapperez pas, bien entendu, à la salve de questions sur une actualité agricole toujours aussi riche. Nos rapporteurs, qui ont décortiqué le budget que vous proposez et que le Sénat n'a pas voulu voter, comme vous le savez, vous interrogeront sur les inquiétudes que cela a fait naître et vous proposeront certaines pistes de travail.

Le Sénat a voulu manifester sa grande perplexité à l'égard des modalités de financement du budget présenté par le Gouvernement, qui n'est pas avare en promesses. Lancer sa campagne avec l'argent des Français n'est, selon nous, pas une méthode tant il handicape les marges de manoeuvre pour les générations futures. Dans un environnement économique plus que jamais incertain, fait d'inflation, de guerres commerciales et d'incertitudes sur la croissance, vous nous demandiez de voter un budget « catalogue » n'ayant qu'un objectif de court terme : nous l'avons donc refusé.

Je ne doute pas que vous souhaiterez tout de même nous présenter rapidement le budget de votre ministère pour 2022, d'autant que vous avez obtenu une augmentation substantielle des crédits budgétaires. En effet, depuis janvier 2021, vous avez obtenu plus de 4 milliards d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement (AE) pour le monde agricole, soit plus que le budget annuel via les lois de finances rectificatives (LFR), le plan de relance, le plan France 2030 et le quatrième programme d'investissement d'avenir (PIA 4) pour une troisième révolution agricole. Sans vous en retirer le mérite, monsieur le ministre, je constate, non sans surprise, que c'est le cas de beaucoup d'autres ministères. Ce fut, permettez-moi l'expression, Noël avant l'heure.

Avant cela, j'aurais, monsieur le ministre, trois questions à vous poser pour lancer le débat général.

La première concerne le projet de loi sur l'assurance récolte dont nous serons saisis au mois de janvier. Comme vous le savez, nous avons pu prendre connaissance de l'avant-projet par voie de presse. Sans présager d'éventuelles évolutions d'ici à son examen en conseil des ministres le 1 er décembre prochain, profitons de cette audition pour en discuter et entrer dans la mécanique de la réforme à la suite de votre exposé détaillé.

La deuxième question est liée puisqu'elle porte sur le Varenne de l'eau. Les deuxième et troisième thématiques portent sur l'eau et sur la résilience de notre agriculture. Ce sont des sujets essentiels pour relever le défi du changement climatique. Cela passe par l'irrigation, la France étant à la traîne par rapport aux autres pays européens ; cela passe par des innovations culturales, des pratiques nouvelles, des technologies de rupture ; cela passe aussi par la génétique. Or ces questions ne sont pas anodines dans un climat où des délits d'intrusion dans des exploitations se multiplient contre toute innovation permettant, justement, de renforcer la résilience de notre agriculture au changement climatique.

Je pense bien sûr à l'éventrement d'une bassine d'eau à Mauzé-sur-le-Mignon. Je pense également au fauchage de semences de tournesols issues de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) de la société RAGT dans l'Aveyron, après le fauchage d'autres semences à Ambeyrac quelques semaines auparavant. Nous aurons beau jeu de promouvoir des solutions concrètes pour l'innovation ; si elles sont détruites systématiquement par des casseurs, nous ne progresserons pas.

L'agriculture de demain, celle qui résistera au changement climatique et participera à une meilleure préservation de l'environnement, repose sur plus d'innovation et de progrès, et non sur un retour à l'agriculture d'hier. Que les prétendus défenseurs exclusifs d'une agroécologie détruisent les pistes les plus prometteuses pour la préservation de notre agriculture et de notre écologie n'est pas le moindre des paradoxes. En tout état de cause, ces actes ne peuvent rester sans réponse. Et c'est sans parler des intrusions dans les établissements d'élevage créant un climat anxiogène au travail de nos éleveurs.

Le Gouvernement en a-t-il assez fait pour lutter contre ces atteintes aux exploitants agricoles ? Qu'entend-il faire sur le sujet des retenues d'eau ? Comment sortir du contentieux européen dans lequel nous sommes englués sur la mutagenèse ? Quelle sera votre position lors de la présidence française de l'Union européenne sur ces sujets ?

La troisième question concerne ce qui me semble être la grande impensée du quinquennat, à savoir la compétitivité agricole. Nos parts de marché continuent d'être chahutées à l'export et, en France, nous perdons des volumes dans l'assiette des Français au profit de produits importés. Bien sûr, toutes les filières ne sont pas concernées, la France étant encore un grand pays agricole. Mais traiter le sujet trop tard, c'est cautionner un déclin que nous refusons tous. Je crois que l'illusion du début du quinquennat du « tout haut de gamme » est derrière nous. Toutefois, aujourd'hui, comment faire pour redresser la compétitivité de certaines filières agricoles ?

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Je vous remercie, madame la présidente. Au vu des circonstances, j'ai l'honneur, non pas de vous présenter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », mais d'échanger avec vous sur un certain nombre des questions.

Vous m'interrogez sur la vision de la politique agricole du Gouvernement en évoquant de nombreux sujets. Je ferai mon possible pour répondre à toutes vos questions.

Notre vision politique agricole est d'abord tournée vers la souveraineté. Je le dis depuis mon arrivée au ministère, la souveraineté est impérieuse, parce qu'il n'y a pas de pays fort sans agriculture forte, il n'y a pas de souveraineté sans souveraineté alimentaire. Nous pouvons le constater à travers l'histoire, mais aussi depuis le début de la crise sanitaire, car nous l'avons peut-être oublié mais certains pays, y compris européens, ont manqué de denrées dans leurs supermarchés. Ce qui n'a jamais été le cas en France, justement parce que nous disposons d'une souveraineté agroalimentaire. Cependant, nous savons qu'elle est questionnée, notamment en raison du changement climatique, et nous avons pu le voir avec des périodes dramatiques, telles que le gel d'avril dernier qui a impacté bon nombre de nos territoires et qui a conduit le Gouvernement à y répondre avec force, à hauteur de 1 milliard d'euros. Et je crois pouvoir affirmer que les mesures se déploient rapidement.

Ce changement climatique impose de mettre en oeuvre des actions très fortes concernant la protection et l'adaptation de nos pratiques culturales pour faire face aux effets directs - gel, sécheresse, canicule, grêle - et indirects, tels que la crise sanitaire et la crise des scolytes.

Nous avons, concernant cette souveraineté climatique, lancé l'offensive avec le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, sur lequel je reviendrai pour répondre aux questions précises que vous m'avez posées, madame la présidente.

Le deuxième volet de cette souveraineté, c'est de lutter contre cet état de fait que nous observons année après année, à savoir les importations. Est-il normal que l'Allemagne, aujourd'hui, exporte plus que nous ? Nous importons de plus en plus de fruits et légumes, des lentilles du Canada - alors que nous avons nos lentilles vertes du Puy auxquelles nous sommes si attachés - et des poulets brésiliens et ukrainiens, y compris dans des territoires d'élevage.

Lutter contre ces importations nécessite des démarches fortes que nous menons au niveau européen. Actuellement, mon combat est l'instauration de clauses miroirs sur les antibiotiques de croissance, de clauses miroirs liées à la déforestation importée, de clauses miroirs liées à la traçabilité des origines de nos produits.

Lutter contre ces importations, c'est aussi investir dans la relocalisation d'un certain nombre de nos productions. L'un des angles forts de notre politique concerne les protéines que nous produisons, un véritable système organisé depuis plus de 50 ans. Souvenez-vous, en 1957 quand le Traité de Rome prévoit une politique agricole commune (PAC), les Américains nous disent que nous resterons dépendants de leurs protéines.

Nous avons enfin pris le taureau par les cornes en investissant massivement, aussi bien dans les outils de la PAC qu'au niveau national, avec le plan protéines doté de plus de 120 millions d'euros.

Le troisième élément est la souveraineté démographique. Le juge de paix sera notre capacité à renouveler nos générations rapidement, d'ici cinq à sept ans. Il convient donc d'investir massivement dans le renouvellement des générations et dans l'éducation et l'enseignement agricole auquel je suis très attaché. Je tiens à le souligner et à saluer les travaux de la mission d'information sénatoriale animée par Jean-Marc Boyer et Nathalie Delattre : oui, l'enseignement agricole est une pépite qui restera dans le giron du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

La souveraineté démographique comporte, par ailleurs, bon nombre de sujets, tels que la capacité d'installation. Nous avons dernièrement évoqué la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Nous savons qu'il nous faudra aller plus loin sur la question du foncier, mais nous devrons le faire avec méthode. Nous savons que se pose la question de l'accompagnement des jeunes agriculteurs avec les outils de la PAC.

Notre deuxième vision, parce qu'elle est la mère des batailles, c'est celle de la rémunération. Vous m'interrogez sur mes remords et mes regrets, madame la présidente, et pour reprendre les paroles d'un célèbre chanteur français, « il vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets ». Nous avons eu des remords concernant la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), alors pour éviter qu'ils ne perdurent, nous avons voté Egalim 2.

La mère des batailles est sans aucun doute la rémunération. D'abord, parce que nous n'arriverons jamais à encourager de jeunes agriculteurs à s'installer si nous ne pouvons pas leur assurer de meilleurs revenus. Ensuite, du point de vue de la justice sociale, il n'est pas acceptable qu'ils travaillent en dessous de leurs coûts de production. Enfin, la meilleure manière de leur demander d'aborder cette transition - que ce soit dans l'agroécologie ou au profit du bien-être animal - ne consiste pas à la leur imposer par une loi - ce serait un non-sens -, mais à les accompagner car les transitions se décrètent avant tout par l'investissement. Or l'investissement n'est possible que s'ils perçoivent une rémunération. En effet, aucun banquier, public ou privé, n'acceptera d'investir s'ils n'ont pas de revenus.

Nous nous battons donc avec beaucoup de force, en faveur de cette rémunération. Alors, certes, nous devons mieux réguler et certains disent que la loi Egalim 2 est complexe. À ceux-là, je répondrai que non, elle n'est pas complexe, simplement elle prévoit des nouvelles règles et elle régule.

Le troisième élément de notre vision politique est le sujet de la considération. Il est important de redonner de la considération au monde agricole. Cette considération nécessite d'être offensifs sur l'ensemble des sujets. Et je souhaite vous rappeler que je ne parle jamais d'agribashing, qui dessert la cause. Je parle de manière offensive de ces entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple.

Le secteur agricole est l'un des plus compliqués, car les agriculteurs sont des entrepreneurs du vivant. Et parallèlement, il y a des temporalités : la temporalité des réseaux sociaux, la temporalité de l'injonction, qu'elle soit politique ou dogmatique... Et si nous ne remettons pas de la science, de la raison, dans tous ces débats, nous perdons toute considération et toute capacité d'avancer. C'est la raison pour laquelle, nous devons remettre la science au centre de tout.

Il me semble aussi que nous devons écrire un nouveau chapitre de notre histoire agricole - qui est déjà en cours. Une histoire qui a été marquée d'abord par la révolution du machinisme, après la Seconde Guerre mondiale, puis par la révolution de l'agrochimie, dans la seconde partie du XX e siècle. Depuis lors, la seule vision collégialement admise et dans laquelle nous nous complaisons depuis des décennies est celle de l'agroécologie.

Or l'immense inconvénient de cette vision, c'est que l'agriculture doit répondre aujourd'hui à trois objectifs : produire - et la crise des engrais que nous vivons actuellement montre à quel point nous sommes peut-être à l'aube d'un problème majeur à l'échelle internationale -, protéger l'environnement et améliorer la nutrition.

Or si votre vision politique n'est qu'une transition parmi toutes, vous faites l'impasse sur les autres objectifs, que sont la nutrition et la production. Pour moi, ce nouveau chapitre de l'histoire agricole, c'est cette troisième révolution agricole, que vous avez mentionnée, madame la présidente, et qui est tournée vers le numérique, l'agro-robotique, la génétique, le biocontrôle et qui permet de concilier les trois objectifs sans en amenuiser un par rapport aux autres. Telle est la politique que nous portons qui consiste, non pas à ouvrir le tiroir-caisse, mais à investir dans quelque chose de structurant pour notre agriculture et notre souveraineté.

Le budget que je n'ai pas eu l'honneur de vous présenter est en augmentation, à plus de 120 millions d'euros sur le périmètre du ministère.

Je répondrai maintenant aux trois questions que vous m'avez posées, madame la présidente.

Le projet de loi sur la réforme assurantielle - l'assurance récolte - fait écho au premier des trois blocs de la vision que j'évoquais, à savoir l'impérieuse nécessité de pouvoir se prémunir et regagner en souveraineté face au changement climatique. Un sujet qui relève aussi de la souveraineté démographique, car je suis incapable d'expliquer à un jeune pourquoi il devrait investir plusieurs centaines de milliers d'euros pour reprendre une exploitation alors que, potentiellement, il aura à subir des épisodes de grêle, de sécheresse, de gel sans être couvert.

La refonte totale du système assurantiel est un sujet incroyablement technique, mais une fois menée à terme, elle sera probablement la réforme la plus structurante depuis la PAC.

Je présenterai le projet de loi en conseil des ministres le 1 er décembre ; il sera discuté à l'Assemblée nationale le 16 janvier et au Sénat dans la foulée. Je compte beaucoup sur la sagesse de votre haute assemblée, mais aussi sur celle de l'Assemblée nationale, pour trouver un accord en commission mixte paritaire (CMP) et permettre une entrée en vigueur de la loi avant la fin de la mandature.

Il faut vraiment avoir en tête que ce projet de loi de l'assurance récolte constituera les fondations de la maison. Nous passerons des deux systèmes actuels à un seul, proche du modèle espagnol, conforme à celui présenté dans le rapport de votre collègue député, Frédéric Descrozaille - nous aurons, bien évidemment consulté les assureurs et la profession agricole.

Une fois ces fondations établies par la loi, il ne sera plus possible de revenir en arrière. Mais nous aurons huit mois pour définir la taille des pièces de la maison et la couleur des papiers peints, à savoir déterminer les seuils, culture par culture, pour les différents systèmes assurantiels prévus par ce projet de loi. L'entrée en fonctionnement est prévue au 1 er janvier 2023.

S'agissant du Varenne de l'eau, le deuxième groupe de travail, qui avance bien, concerne l'appropriation par les filières des outils de protection et d'adaptation du changement climatique. Des filières sont plus en avance que d'autres. La filière vitivinicole, par exemple, nous a déjà remis son plan d'adaptation et de protection. Ces filières bénéficieront d'un accompagnement via le plan de relance et de France 2030.

Le troisième groupe de travail porte sur la vision de la gestion hydraulique. Je condamne avec la plus grande fermeté les dégradations qui ont eu lieu récemment dans les Deux-Sèvres et en Charente-Maritime. J'apporte mon soutien aux gendarmes blessés et aux agriculteurs victimes de ces actes.

La gestion de l'eau relève de la souveraineté, nous devons donc avancer avec méthode. Une question compliquée depuis que l'homme est sédentaire. Je fais partie de ceux qui considèrent que les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) doivent aller beaucoup plus vite ; une concertation ne peut pas durer dix ans.

Par ailleurs, il convient d'avoir une vision très pragmatique, avec des projets à l'échelle des différents bassins versants et je suis persuadé que nous pouvons créer des consensus sur un certain nombre de sujets. J'attache beaucoup d'importance à l'un d'eux, celui des pluies diluviennes hivernales, les experts du changement climatique s'accordant à dire que les étés seront de plus de plus marqués par des sécheresses, et les hivers et les débuts du printemps par des pluies diluviennes. Or quand le sol est gorgé d'eau et que la nappe phréatique est saturée, tout mètre cube d'eau supplémentaire finit dans la rivière, le fleuve ou la mer.

Une fois ce consensus scientifique trouvé - qui demandera beaucoup de courage politique, notamment au niveau local - comment créer un consensus technique pour récupérer les eaux diluviennes ?

S'agissant des NBT ( New Breeding Technologies ), j'y crois beaucoup. Fidèle à la célèbre phrase de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », je crois profondément que le progrès, c'est de croire en cette science, et notamment dans la sélection variétale. Cette sélection variétale accélérée que sont les NBT est extrêmement bénéfique. Évidemment, il faut le faire avec conscience, c'est-à-dire que les NBT doivent être utilisés pour obtenir des plantes résistantes aux risques sanitaires ou climatiques et non aux herbicides.

Conformément à la position de la France, la Commission européenne nous a présenté un projet de revue de positionnement des NBT dans son cadre juridique lié aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Nous devons avancer sur ce sujet.

Enfin, concernant la compétitivité, sujet qui revient pour toutes les questions liées à la souveraineté, j'ai évoqué la loi Egalim 2 et les clauses miroirs. Reste la question des charges, qui est chère aux yeux de cette assemblée, non seulement financières, mais aussi en termes de normes qui, in fine , est un enjeu important. Mon opinion est claire à ce sujet : nous devons porter au maximum tous ces sujets au niveau européen, puisque nous sommes dans un marché commun.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » . - Monsieur le ministre, vous avez abordé un grand nombre de sujets. Je m'arrêterai d'abord sur celui des clauses miroirs, qui me séduit, même si le chemin sera long. D'ailleurs Clément Beaune a déclaré que nous ne pourrons pas faire aboutir le sujet sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Et il est vrai que plusieurs éléments confirment ces propos.

D'abord, l'ingérence en matière de souveraineté alimentaire auprès d'autres pays ne sera pas facile à faire. Ensuite, hormis le sujet de l'absence de résidus, nous ne pouvons pas mettre de clause particulière sur les normes de production. Et sur cette question des limites de résidus, nous devrions d'abord balayer devant notre porte, car vous parlez, monsieur le ministre, des lentilles vertes du Puy, mais je vais vous donner un exemple de mesure que nous pouvons prendre immédiatement.

Concernant les lentilles canadiennes, qui sont défanées au glyphosate, c'est-à-dire arrêtées dans leur culture pour les récolter plus rapidement, la limite maximale de résidus a été multipliée par 100 entre 2008 et 2012, pour passer à une autorisation d'exporter en France des lentilles canadiennes contenant 10 milligrammes de résidus par kilogramme.

Or, en France, l'utilisation du glyphosate pour défaner des lentilles est interdite et le Codex Alimentarius a fixé une limite générale à 5 milligrammes. De sorte que nous laissons entrer des lentilles canadiennes qui comportent deux fois plus de résidus que la norme établie par le Codex Alimentarius. Sachez en outre qu'il est interdit de vendre sur le territoire canadien des lentilles comportant plus de 4 milligrammes de résidus.

Par ailleurs, si nous voulons imposer des clauses miroirs, nous devons être en mesure de réaliser des contrôles. Nous mettons des prescriptions aujourd'hui sur 1 498 substances ; savez-vous combien nous n'en contrôlons plus au sein des laboratoires officiels de l'État ? Neuf cents ! Nous pouvons donc instaurer toutes les clauses miroirs que nous voulons, si nous n'avons pas la possibilité d'exercer un contrôle, nous ne pourrons pas arrêter les produits.

Il existe aussi un risque de défiance à l'égard des partenaires commerciaux, car qui dit clause miroir, dit difficulté pour certains d'exporter. Et donc un risque de rétorsion à l'égard de nos marchés.

Les clauses miroirs ne seront donc pas simples à mettre en place et je suis d'accord avec vous, la souveraineté alimentaire est extrêmement importante, ce qui devrait nous inciter à être plus compétitifs chez nous. En effet, pour ne pas avoir à importer, la meilleure solution est de produire les produits dont nous avons besoin.

Cela étant dit, j'interviendrai plus particulièrement sur le sujet de la crise actuelle des engrais azotés. Nous avons mis en place un plan Eco'Azot dans la dernière loi « Climat et résilience » pour échapper à une hallucination particulière de notre technocratie qui voulait instaurer une taxe sur l'utilisation de l'azote par les agriculteurs. Aujourd'hui nous assistons à une flambée du prix de l'azote. Je rappellerai trois chiffres : les cours de l'ammonitrate ont doublé depuis quelques mois, les cours de la solution azotée ont été multipliés par 2,5 et le prix de l'urée a triplé !

La rareté faisant le prix, celui-ci augmente sans cesse et des agriculteurs sont dans l'incapacité de trouver les volumes nécessaires d'engrais pour le printemps prochain, ce qui va entraîner des conditions particulières : une récolte moins importante et de moins bonne qualité.

Je vous rappelle que nous exportons le blé le meilleur du monde, à 13 % de protéines, qui permet de fabriquer un pain très nutritif. Or si nous n'avons pas d'azote demain, nos exportations risquent d'être combattues car nous perdrons notre avantage compétitif.

Nous vous proposons, monsieur le ministre, d'enfin adopter ce plan Eco'Azot que vous devrez prendre en suivant trois axes pour bien répondre à la crise actuelle et réduire à terme nos émissions. D'abord, à court terme, pour peser sur les prix, nous devons suspendre les droits de douane à l'importation au niveau européen : cela doit être une priorité de la présidence française de l'Union européenne à venir - techniquement, cela peut se faire rapidement, il faut agir vite avant qu'il ne soit trop tard.

Ensuite, à moyen terme, les actions doivent se tourner vers les nouvelles technologies et ne pas les entraver. Je pense aux inhibiteurs d'uréase dont le renouvellement pose des difficultés aujourd'hui car ils nécessitent une nouvelle acceptation avant juillet 2022 et que tout est fait aujourd'hui pour essayer de limiter les autorisations. Nous devons nous engager dans des actions résolument tournées vers la baisse des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac pour tendre vers une optimisation des usages sans perte de rendement. Je pense à la sélection variétale, à l'agriculture de précision, aux inhibiteurs d'uréase ou de nitrification.

Ces nouvelles technologies pourraient permettre de diminuer de façon importante ces émissions et d'avoir une certaine forme de souveraineté en termes de pollution.

Favoriser l'irrigation et la fertilisation, c'est favoriser la production sur une même parcelle d'un rendement plus élevé et donc, par définition, de moins impacter l'environnement et l'utilisation d'azote.

Enfin, il faut mettre en place un appui financier et technique du ministère. Il est important de mesurer à la sortie de l'hiver la quantité d'azote qui reste dans le sol, de façon à positionner l'apport au plus près des besoins de la plante pour éviter l'évaporation de l'azote et pour utiliser au mieux la quantité d'azote pour favoriser le rendement.

Bien sûr, il nous faut aussi avoir des outils de pilotage, des outils d'épandage de précision, des appuis dans la formation, par exemple, pour mieux expliquer le fractionnement de la fertilisation, ce qui permet de minimiser les pertes en maximisant l'absorption.

Ce plan Eco'Azot voulu par le législateur, aidant les agriculteurs dans leur utilisation d'engrais tout en les aidant à passer la crise actuelle, est une opportunité majeure pour le Gouvernement. Quand comptez-vous le mettre en oeuvre et selon quelles modalités, de façon à répondre à une vraie problématique d'actualité qui est l'augmentation du prix de l'azote ?

Mme Françoise Férat , rapporteure pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». - Chaque année, je fais le constat que l'on parle beaucoup de changement climatique au regard de la multiplication des sécheresses, des gels et des pluies estivales qui sapent la qualité des récoltes. Mais l'on parle beaucoup moins de la recrudescence des maladies animales et végétales.

Les agriculteurs des filières végétales sont confrontés à un paradoxe incroyable : face à ces maladies nouvelles ou à la résurgence de maladies que l'on croyait éradiquées, les agriculteurs déplorent le manque de solutions à disposition. La recherche a parfois du retard mais, parfois, elle obtient des résultats et le temps et le coût de l'homologation de nouvelles solutions font perdre un temps colossal aux exploitants. Comment faire pour se lancer dans les transitions si on renforce les interdictions sans accélérer d'un autre côté les solutions alternatives ? Je pense bien sûr au sujet du biocontrôle. Que comptez-vous faire sur ce sujet ?

Du côté des filières animales, je me préoccupe de la prolifération de maladies à des intervalles de plus en plus réguliers. Je pense bien entendu à l'influenza aviaire. Je pense également à la tuberculose bovine, dont on parle peu, mais dont le nombre de cas augmente chaque année et qui mettra, un jour, en péril notre statut indemne à l'exportation. Je pense à la brucellose, qui a récemment abouti à des rappels de reblochons. Et c'est sans parler de la peste porcine africaine qui se rapproche progressivement à l'est.

Alors il ne faut pas s'y tromper : il n'y a pas de risque zéro à travailler de la matière vivante. Toutefois, quelles peuvent être les actions à mener pour limiter les effets de ces épidémies sur les éleveurs ? Comment améliorer le préventif et le curatif ?

Après ces inquiétudes, j'en viens à mes trois questions courtes.

La première concerne le dispositif TO-DE, l'allègement de charges pour les travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi. Sa fin est programmée en 2023. Notre présidente évoquait la compétitivité des exploitations : en voici un outil essentiel pour la compétitivité des filières les plus concurrencées par les produits importés, c'est-à-dire celles où les coûts de main d'oeuvre sont les plus importants. Or le Gouvernement ne veut pas de sa pérennisation. Le Sénat l'a, quant à lui, gravé dans le marbre une fois de plus dans le PLFSS. Quelle est votre opinion sur ce point ? Quel est votre engagement ?

La seconde traite des déserts vétérinaires. Vous savez que le Sénat est très mobilisé sur le sujet. Je porte ce sujet à chaque budget et mon collègue Laurent Duplomb a fait adopter un dispositif innovant dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (dite DDADUE), en 2020, pour aider les jeunes vétérinaires à s'installer. Mais ne créons pas des dispositifs pour en détruire d'autres qui fonctionnent ! Les stages tutorés dans les écoles vétérinaires sont un outil extraordinaire : l'État finance des tuteurs qui accueillent, en stage dans les zones rurales, auprès d'animaux de rente, des jeunes vétérinaires qui, après avoir fait ce stage, s'installent à 85 % en zone rurale. Le succès est tel que le nombre de dossiers a été multiplié par deux pour l'année prochaine. Or la sous-ligne budgétaire reste stable : mécaniquement, les dotations aux tuteurs vont être divisées par deux. Je crois qu'il s'agit là plus d'une omission que d'une volonté. Je voudrais m'assurer auprès de vous que ce budget sera bien doublé pour l'année prochaine afin de sauvegarder son bénéfice contre la désertification vétérinaire.

Enfin, je me devais d'évoquer le plan contre le suicide des agriculteurs que vous avez présenté ce matin. Avec Henri Cabanel, nous avions rédigé un rapport sur cette question, et je me réjouis que vous ayez repris la majorité de nos 63 préconisations. Pourriez-vous nous présenter rapidement vos grandes pistes pour mieux prévenir la détresse de certains de nos agriculteurs ?

M. Jean-Claude Tissot , rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » . - Je voudrais vous faire part de mon étonnement sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar) et sur le sort réservé aux communes forestières.

Sur le Casdar, je rappelle que ses dépenses financent la recherche appliquée agricole par le biais des instituts techniques et, en parallèle, son développement sur le terrain à l'aide de conseils techniques. Historiquement, ne l'oublions jamais, le compte d'affectation spéciale est une invention agricole : les agriculteurs ont, dès les années 1960, accepté de se voir prélever une partie de leur chiffre d'affaires par la voie d'une taxe pour financer la recherche et l'innovation par mutualisation.

Cela a deux vertus : d'une part, ce sont les agriculteurs qui financent leur recherche, et non le contribuable ; d'autre part, toutes les filières bénéficient de la recherche car, sans cet outil, les plus petites filières ne pourraient pas profiter des programmes innovants dédiés faute de moyens suffisants.

Or depuis quelques années, budget après budget, le Casdar est perçu par Bercy non plus comme un outil pour l'innovation des agriculteurs, mais comme un outil pour la rénovation du ministère de l'agriculture. Autrement dit, chaque année, des manipulations ont lieu pour ponctionner une partie de la taxe au détriment des agriculteurs grâce à une baisse du plafond. Entre 2014 et 2021, près de 24 millions d'euros de taxes payées par les agriculteurs ont ainsi atterri dans les caisses de Bercy.

Et le plafond, diminué de 10 millions d'euros l'année dernière pour des problématiques de perspectives, posera évidemment les mêmes problèmes année après année : rien que cette année, comme nous l'avions pressenti, l'exécution est largement supérieure puisque 140 millions d'euros sont attendus cette année, soit 14 millions d'euros de plus que de la prévision. L'État n'en redistribue que 10 millions en loi de finances rectificative (PLFR) : on voit bien qu'il s'agit, encore et toujours, de réaliser des économies de bout de chandelle sur le dos des agriculteurs. Au total, tout cet argent, c'est de la recherche en moins, monsieur le ministre ! Nous vous proposons donc de relever le plafond et, à tout le moins, de ne jamais le fixer à un niveau inférieur à l'exécution de l'année précédente. C'est du bon sens et de la bonne gestion ! Surtout, nous enjoignons le Gouvernement à restituer l'argent ponctionné aux agriculteurs en finançant les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar), les instituts techniques, les chambres, les appels à projets. Car l'agriculture de demain se prépare aujourd'hui.

J'en viens à ma seconde question sur les communes forestières. Vous venez d'annoncer, et il faut s'en féliciter, tant la mobilisation de la fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) et des sénateurs concernés a été forte, que la contribution des communes forestières à l'ONF n'augmenterait finalement pas entre 2023 et 2025, contrairement à ce qui avait été annoncé. En contrepartie, l'État demande aux communes un effort accru dans la contractualisation des ventes de bois pour mieux approvisionner nos filières locales. Quelle forme prendra cet effort accru ? Comment peut-on s'assurer qu'il s'agira d'une contractualisation gagnant-gagnant et que les communes ne seront pas lésées ?

L'autre face du problème, c'est le financement manquant pour l'ONF. Les communes sont confrontées à un véritable effet ciseaux : moins d'agents de l'ONF sur le terrain, donc moins de services rendus et plus de coûts à venir pour rétablir la viabilité de l'ONF et adapter nos forêts au changement climatique. Cette solution n'est pas tenable : l'ONF devrait envoyer davantage de personnes sur le terrain à mon sens.

J'ajoute que nombre de communes forestières ont été gravement touchées par la chute des ventes liées aux scolytes et que ces communes, dont les recettes ont été très affectées, sont aujourd'hui en difficulté financière. Or l'État ne propose une compensation que pour 30 communes, à hauteur d'1 million d'euros sur les 26 millions de manque à gagner. Sans compter que ces recettes seront durablement amoindries, le temps de la forêt étant, comme chacun sait, très long. J'estime que la réponse n'est pas à la hauteur, alors que nous sommes face à un aléa climatique pour lequel le rôle d'assureur de l'État se justifie pleinement. Êtes-vous prêt à réexaminer les dossiers de ces communes pour, au cas par cas, trouver des solutions adéquates à chacune d'entre elles ?

M. Vincent Segouin , rapporteur spécial de la commission des finances des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » . - Le Sénat n'a pas adopté la première partie du projet de loi de finances, mais la commission des finances était favorable à l'adoption des crédits de l'agriculture car ceux-ci augmentent.

Nous avons toutefois plusieurs remarques. Les crédits consacrés au renforcement de la compétitivité et aux aides à l'installation des jeunes agriculteurs, questions d'actualité, baissent. Les jeunes sont dissuadés de s'installer en raison du poids des normes et des surtranspositions. Je ne suis pas sûr que la question de la surtransposition ait été réglée.

J'en viens aux aléas climatiques. Vous avez évoqué le volet assurantiel, mais il y a aussi la question de la prévention. La ministre de l'écologie a-t-elle la même position que vous sur les bassines par exemple ? Les provisions pour aléas restent au même niveau que l'an passé. Pourtant les mesures adoptées dans les différents PLFR s'élèvent à 850 millions d'euros. Les aléas climatiques se développent, mais le budget reste modeste. Il faut développer les assurances et les mesures de prévention.

Enfin, un moratoire sur l'interdiction des néonicotinoïdes pour la betterave a été instauré jusqu'en 2023. Qu'en sera-t-il après ? Nos filières ont besoin de visibilité.

M. Julien Denormandie, ministre . - Monsieur Duplomb, sur les clauses miroirs et la réciprocité, nous devons mener différents combats à court terme et à moyen terme.

Le premier sujet est celui des antibiotiques de croissance : le Parlement européen a adopté le principe des clauses miroirs en 2018, mais la Commission européenne n'a toujours pas pris les actes délégués. Nous oeuvrons donc pour que de telles clauses soient édictées au niveau européen.

Nous aurons, lors de présidence française, à réviser la directive « Sud » sur l'utilisation durable des pesticides : notre objectif est de réviser les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides sur les produits importés. Au sein du Conseil des ministres, je pousserai pour introduire dans cette directive la question des LMR, mais cette directive ne pourra pas être adoptée pendant la présidence française, car elle sera ensuite examinée par le Parlement européen. Il faut aussi évoquer cette question au niveau de l'OMC ainsi que celle des conditions tarifaires dans les accords de libre-échange : la « boîte verte » permet d'interdire l'importation de produits qui ont un effet sur l'environnement ou la santé en Europe, mais pas ceux qui ont des effets dans les pays de production. C'est un non-sens, car il existe un continuum en la matière. Cette logique est ancienne et résulte de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT. Nous devons mener ce combat idéologique pour parvenir à faire bouger les lignes au sein de l'OMC.

Je partage vos remarques sur la crise des engrais. J'ai d'ailleurs alerté l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) à ce sujet qui constitue, me semble-t-il, une source de préoccupations au niveau international. N'oublions pas que le Printemps arabe était lié aux émeutes de la faim dues à la « crise du pain ». On doit distinguer trois enjeux au niveau national : tout d'abord celui de la disponibilité des produits car plusieurs sites industriels ont arrêté leur production, et nous travaillons à ce sujet avec les filières ; celui de la logistique, notamment pour gérer les stocks et les approvisionnements ; et enfin, celui du prix : j'ai ainsi porté au niveau européen la question de la suspension des droits de douane ad valorem .

Nous avons aussi inclus dans France 2030, avant même le pic de la crise des engrais, un volet d'investissement pour développer les filières d'engrais, y compris ceux permettant de réduire les émissions de protoxyde d'azote, ou les nouvelles technologies, comme les NBT. Mon objectif est d'identifier avec la filière les secteurs-clefs d'investissement à cibler dans France 2030.

Madame Férat, je vous remercie pour vos propos. Je me félicite du travail mené avec M. Cabanel et vous, qui a abouti au plan d'action pour lutter contre le mal-être des agriculteurs, un plan ambitieux qui augmente de 40 % les crédits consacrés à l'accompagnement des agriculteurs en détresse et qui s'inspire de vos propositions ainsi que de celles du député Olivier Damaisin. Le plan comporte trois axes : l'« aller vers » - c'est l'objet des sentinelles ou des réseaux d'accompagnement ; la remise de l'humain au coeur des décisions - les agriculteurs se plaignent de recevoir des courriers pour quelques euros d'arriérés, regrettent le manque de confidentialité en matière de redressement judiciaire, dont la mention figure sur les enveloppes, et réclament une gestion locale de la lutte contre les cas de détresse agricole ; et enfin une hausse des moyens consacrés aux mesures d'accompagnement, qui est inscrite dans le PLFSS ou le projet de loi de finances.

J'en viens aux maladies animales et végétales ; les problématiques sont très diverses. Je crois beaucoup au développement du biocontrôle, qui figure selon moi parmi les piliers de la 3 e révolution agricole, au même titre que le numérique, la robotique ou la génétique. Beaucoup d'investissements sont prévus pour le biocontrôle dans France 2030. Une partie des annonces a déjà été faite dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) 4. Sur l'homologation, nous augmentons aussi les moyens de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses.

L'influenza aviaire, maladie transmise par les oiseaux migrateurs, relève d'une autre problématique. La solution passe par des politiques de prévention au niveau local. Il s'agit de décisions difficiles à prendre ; j'ai ainsi dû faire abattre 3,5 millions de volailles l'an passé : en agissant à un stade précoce, on a limité le nombre d'abattages, alors que le virus était hautement pathogène. Cette année, notre stratégie vise à privilégier les mesures de protection pour retarder tant qu'on le peut l'arrivée du virus. Celui-ci est déjà répandu en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas. Nous avons déjà enregistré trois cas en France dans des basses-cours ou au sein de la faune sauvage, mais pas dans des élevages. À terme, il faut s'interroger sur la vaccination, même si cela soulève bien des questions, au regard notamment des exportations, dans la mesure où un animal peut être vacciné, mais porteur du virus. Cela complique les décisions au niveau international.

En ce qui concerne la tuberculose bovine, la question de l'accompagnement est centrale. On connaît les drames humains qui peuvent être générés.

La brucellose est très probablement importée par les bouquetins. Il faut donc gérer les troupeaux de bouquetins et opérer les prélèvements appropriés. Le Conseil d'État a d'ailleurs été saisi.

Enfin, pour protéger nos élevages contre la peste porcine africaine, nous développons les investissements de biosécurité dans les élevages, dans le cadre de France relance, en métropole comme dans les outre-mer, car la maladie a plusieurs foyers en Chine, en Allemagne, en Amérique du Sud, etc. Je note qu'il faut parfois enfermer les animaux pour les protéger contre les menaces sanitaires.

Nous avons décidé l'année dernière de pérenniser le dispositif TO-DE pendant deux ans ; nous devrons donc reprendre le dossier l'an prochain. Je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif provisoire, mais cela n'interdit pas de le prolonger le cas échéant.

Sur les déserts vétérinaires, nous avons fait des annonces voilà trois semaines, dans le prolongement de la loi DDADUE, pour permettre aux collectivités de financer les installations de vétérinaires. Je suis un grand partisan des stages tutorés. Leur développement ne doit pas être limité par des enjeux d'ordre financier. Il ne faut pas lésiner sur les moyens. Si les montants inscrits dans le projet de loi de finances ne suffisent pas, nous ferons en sorte de les compléter en gestion. Ces stages sont une réussite puisque 85 % des jeunes vétérinaires qui ont fait un tel stage s'installent ensuite en zone rurale, quand bien même ils pouvaient se destiner, en commençant leurs études, à se spécialiser sur les animaux de compagnie. La loi DDADUE donne la possibilité aux collectivités de financer l'installation de vétérinaires : nous devrions songer à solliciter les régions pour venir abonder encore plus le financement de ces stages tutorés.

En ce qui concerne le Casdar, son plafond restera inchangé en 2022 à 126 millions d'euros. Il faut se souvenir aussi que nous avons prélevé 10 millions sur la trésorerie du Casdar dans le PLFR pour atteindre les 136 millions. Les comptes d'affectation spéciale ne sont plus en odeur de sainteté. Le monde agricole comme le ministère y sont très attachés, et je souligne que même la mission d'inspection menée par l'IGF et le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER) a vanté les mérites du Casdar. C'est suffisamment rare pour être relevé. Nous maintenons donc ce compte d'affectation spéciale, alors que d'autres sont supprimés.

S'agissant des communes forestières, nous avons annoncé que nous avions renoncé à instaurer une contribution financière supplémentaire additionnelle pour 14 000 communes propriétaires de forêts. Cette contribution supplémentaire devait rapporter 7,5 millions d'euros en 2023, puis 10 millions d'euros par an en 2024 et 2025. Notre objectif est de parvenir à construire une filière. Les défis sont d'ordre structurel. La forêt avance, mais le bois recule. Ce constat, que l'on faisait déjà il y a 20 ans, reste malheureusement d'actualité. Pour créer une filière, il faut rassembler et investir. Je travaille avec l'interprofession du bois et de la forêt ainsi qu'avec tous les acteurs. Nous avançons. En cumulant le plan de relance et France 2030, nous investissons 800 millions dans la forêt cette année, contre 200 millions l'an dernier : c'est la preuve de notre détermination.

Nous voulons aussi développer la contractualisation. C'est indispensable si l'on veut « faire filière », et cela permet aussi de mieux lutter contre les pénuries. Cela suppose de mettre en place de nouveaux modes de gestion. L'ONF doit donner l'exemple : 55 % des forêts domaniales seront ainsi contractualisées fin 2022, sans attendre 2025. Le taux de contractualisation pour les communes forestières s'établit autour de 20 %. N'oublions pas que cette contractualisation a un coût pour la commune en raison des conséquences pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). C'est pourquoi nous avons renoncé à l'idée d'une contribution supplémentaire.

Monsieur Segouin, j'ai un regret sachant que la commission des finances proposait d'émettre un avis favorable à ce budget... Je rejoins vos propos concernant l'installation des jeunes agriculteurs. Les crédits destinés à les soutenir sont stables dans le projet de loi de finances, mais les crédits augmentent grâce à la politique agricole commune. Conséquence de la loi DDADUE, les régions seront compétentes, car il s'agit de mesures non surfaciques. J'ai veillé à sanctuariser le budget et même à l'augmenter.

En ce qui concerne les bassines, le ministère, comme tout le Gouvernement, condamne les dégradations. Bérangère Abba, avec qui j'anime le Varenne agricole de l'eau et du changement climatique, comme Gérald Darmanin se sont, par exemple, exprimés. La justice a été saisie.

Enfin, sur l'assurance récolte, on gère traditionnellement les aléas climatiques en LFR. On augmente le budget dans la future PAC, qui passe de 150 à 185 millions d'euros. Avec l'assurance récolte, le Président de la République cherche à passer la contribution totale - du budget, de la PAC et du secteur - de 300 millions à 600 millions grâce à la solidarité nationale pour le projet de loi de finances 2023, lorsque la réforme de l'assurance récolte entrera en vigueur.

M. Franck Montaugé . - Où en est-on du plan stratégique national (PSN) concernant la PAC ? Quel sera son contenu ? Quelles sont les positions de la France ?

Vous avez accepté d'introduire dans le livre préliminaire du code rural et de la pêche maritime la notion d'externalité positive de l'agriculture. Prévoyez-vous d'inclure une valorisation de ces externalités dans le PSN ?

Lors des états généraux de l'alimentation, une démarche articulée autour de plans de filières avait été engagée. Où en est-on ? Cette démarche a-t-elle été déclinée d'un point de vue opérationnel dans les territoires ?

M. Daniel Laurent . - Ma première question portera sur les redéploiements de crédits en faveur de l'investissement dans les agroéquipements contribuant à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Les demandes sont nombreuses et il serait bon qu'elles soient traitées avec équité.

À la suite d'une décision du Conseil d'État, de nouvelles dispositions sur les zones de non-traitement (ZNT) sont attendues, ainsi qu'une réforme du label « Haute valeur environnementale » (HVE). Pourriez-vous nous apporter des précisions à cet égard ?

La profession agricole réclame des espaces de transitions végétalisés entre zones agricoles et zones artificialisées. Je regrette que nos propositions n'aient pas été adoptées lors de l'examen de la loi « Climat et résilience ».

La filière viticole est inquiète à la perspective envisagée, au niveau européen, de réformer la notion de consommation excessive d'alcool, de remettre en cause la possibilité d'un étiquetage dématérialisé et d'augmenter les taxes. Nous espérons ne pas être mis devant le fait accompli.

Enfin, ma dernière question concernait le saccage des réserves d'eau. Nous espérons que la justice se prononcera.

Mme Sylviane Noël . - La mise en place du Nutri-score pour les appellations d'origine protégées (AOP) laitières a des conséquences néfastes pour la filière, car elle entraîne l'interdiction de la publicité pour les produits « D » et « E », l'interdiction de la commercialisation de ces produits dans les circuits de restauration collective, alors qu'une taxation sur les produits qualifiés de gras est à l'étude. Or, la majeure partie des produits laitiers sont classés ainsi. Ils apparaissent alors comme des produits nocifs pour la santé. Cette réglementation est un non-sens. On met à mal notre culture fondée sur un savoir-faire ancestral, on met en cause des produits de qualité, fabriqués dans la transparence, selon des procédés garantis et contrôlés. Il serait plus opportun de réserver ce Nutri-score à des produits transformés, pour lesquels le Nutri-score a été conçu.

Enfin, s'agissant de la prédation du loup, à la suite de notre saisine cosignée par une quarantaine de parlementaires, vous avez initié plusieurs démarches en accord avec votre collègue du ministère de l'environnement, avec les élus et le monde agricole, pour faire évoluer les modes de comptage - je tiens à vous en remercier. Dans l'attente, j'ai un message à vous faire passer : pourriez-vous inviter les représentants des défenseurs du loup à plus de modération dans leurs déclarations à la presse, car ils donnent l'impression d'être hermétiques à toute évolution...

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous avons eu une réunion avec les ministères de l'agriculture et du développement durable. Le plan national « loup » doit être mis en place en 2023. Nous souhaitons en connaître le calendrier car nous avons appris fortuitement que des groupes de travail avaient été constitués, sans qu'on en sache rien : nous demandons à être associés au plus tôt.

M. Patrick Chaize . - Merci pour vos propos passionnés, monsieur le ministre. Je veux attirer votre attention, une fois encore, sur l'exportation de grumes de chênes en Chine : selon les chiffres que la fédération nationale du bois (FNB) vient de publier, les volumes exportés en octobre dernier seraient trois fois supérieurs à ceux d'octobre 2020 et cinq fois à ceux d'octobre 2019. Que pensez-vous pouvoir faire pour stopper cette hémorragie ?

Mme Martine Berthet . - Je m'associe aux remerciements pour la réunion qui a associé les parlementaires et les deux ministères de l'agriculture et de l'écologie, c'est le signe positif qu'entre ministères, vous vous parlez enfin. Je veux également souligner combien le Nutri-score pénalise les producteurs de fromage en AOP et IGP de Savoie. Les éleveurs de ce département sont du reste également pénalisés sur l'indemnisation des bovins victimes de la prédation des loups : l'indemnisation est calculée sur la base d'un prix moyen national, qui est bien inférieur à la valorisation des bovins et du lait en montagne : est-il possible d'adapter l'indemnisation aux valeurs des bêtes dans leur territoire d'élevage ?

M. Joël Labbé . - Merci pour cette présentation. Le Casdar finance les Onvar, qui alertent depuis la rentrée sur leurs besoins financiers, lesquels passeraient de 7 à 12 millions d'euros, ce qui tient à ce que leur nombre passerait de 18 à 25 : est-ce bien le cas ? Vous dites que le Casdar va bénéficier de 10 millions supplémentaires, mais seuls 2,7 millions d'euros sont fléchés sur le développement - quelle sera donc la part fléchée sur les Onvar ?

M. Daniel Salmon . - Le plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation - dit plan « polinisateurs » -, que le Gouvernement vient tout juste de rendre public, comprend des avancées, par exemple la prise en compte des fongicides et des herbicides, en plus des insecticides, ainsi qu'un encadrement des horaires pendant lesquels les produits peuvent être libérés, de 2 heures avant le coucher du soleil, à 3 heures après son lever. Cependant, les apiculteurs demandaient d'attendre le coucher du soleil et de prendre en compte la température. Une fois encore, nous sommes au milieu du gué, des dérogations prévues manquent de précision, des pollinisateurs ne sont pas pris en compte, comme les papillons de nuit, dont la population s'effondre ces dernières années. Il faut savoir qu'entre 1989 et 2016, les trois quarts de la biomasse d'insectes volants ont disparu. Quelle souveraineté pourra-t-on espérer si nous n'avons plus sur notre sol de pollinisateurs, pourtant indispensables à notre chaîne alimentaire ?

M. Daniel Gremillet . - Je m'interroge sur la mise en oeuvre de la loi visant à améliorer la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2 », à la suite de la crise sanitaire. Ensuite, nous n'avons pas beaucoup parlé d'élevage, où nous déplorons chaque année davantage le manque de vocations chez les jeunes agriculteurs - est-ce que vous vous en arrangez, au motif que l'élevage n'est pas bon pour nos chiffres de méthanisation, ou bien prenez-vous des mesures pour inverser la tendance ?

Autre question, sur le bio : comment fait-on, dans les régions où nous avons dépassé les capacités d'absorption par le marché, quand nous avons atteint le maximum de production et de transformation ?

Je salue votre travail sur l'assurance. Peu de professions se sont organisées, historiquement, pour un régime assurantiel interne ; les paysans l'avaient fait, il s'agit maintenant de conserver l'équilibre qu'ils avaient su trouver : en aurez-vous les moyens ? L'année 2022 sera charnière : comment voyez-vous les choses ?

Sur la forêt, il faut continuer à aider les propriétaires privés à boiser et à entretenir leur forêt, parce qu'aujourd'hui, il y a plus d'arbres qui disparaissent que d'arbres nouveaux ; la forêt se cultive dans la durée.

Enfin, que comptez-vous faire face aux dégâts causés par les scolytes ? Il y a un demi-siècle, on savait traiter le problème, mais il semble qu'on ait reculé en méthode. Seriez-vous prêt à lancer une expérimentation de prophylaxie sanitaire sur la forêt, comme on l'a fait sur de la production animale ?

Mme Patricia Schillinger . - Avec Anne-Catherine Loisier, nous participons aux Assises de la forêt, et je peux d'ores et déjà vous dire que nous aurons des propositions à vous faire prochainement. Nous sommes régulièrement interrogés sur les 200 millions d'euros que le plan de relance prévoit pour la forêt : où vont aller ces crédits ? Et comment l'Europe, qui semble avoir réalisé l'importance de la forêt, compte-t-elle intervenir ?

M. Pierre Louault . - Je m'inquiète de la réglementation européenne consécutive au Green Deal : la France y est certes favorable, mais quelles sont les conséquences des premiers chiffres que la Commission européenne a bien voulu communiquer, annonçant un recul de la production de 15 %, mais aussi des revenus des agriculteurs, dans la même proportion ? Allez-vous faire comprendre à nos partenaires que ce n'est pas raisonnable, et que la PAC doit aussi assurer les revenus des agriculteurs ? Le second pilier, ensuite, va être géré par la région, c'est une source d'inquiétude pour les agriculteurs car ce niveau régional s'ajoute aux équipes départementales qui règlent déjà les questions relatives aux surfaces : que leur répondez-vous ?

Mme Anne-Catherine Loisier . - Merci de votre engagement pour la forêt, vous avez pesé pour que la contribution imposée aux communes forestières soit mise de côté, c'est une très bonne chose. Il est indispensable d'aligner nos dispositifs pour mettre toutes les chances du côté de l'exploitation forestière. Il faut aussi voir la règle de minimis , qui impacte les communes forestières dès lors qu'elles n'ont pas toujours la capacité d'obtenir de l'aide directe, leur demande n'étant pas assez importante alors qu'elle leur est indispensable, ce qui freine directement leurs efforts. Peut-on faire évoluer les règles de minimis , pour l'application du plan de relance, ou bien comment s'en accommoder ? Comment voyez-vous les choses concernant la politique européenne en matière de forêts ?

Nous constatons également que les communes forestières ne veulent plus de la contractualisation, parce qu'elles y perdent trop en DGF, vous allez leur proposer un nouveau mécanisme dont on dit qu'il est tellement resserré qu'il ne pourra pas concerner la plupart des communes prêtes à s'engager pour valoriser la ressource forestière : qu'en est-il précisément ?

M. Christian Redon-Sarrazy . - Quelle place revient, dans les plans stratégiques, aux zones intermédiaires de polyculture et d'élevage ? Dans ces zones, les craintes sont vives sur les retombées de la nouvelle politique agricole qui ne sera plus commune mais concurrentielle, puisque chaque État la définira à sa guise. Que pensez-vous, ensuite, du projet de créer une nouvelle école vétérinaire en Nouvelle-Aquitaine ?

Mme Florence Blatrix Contat . - J'ai été alertée du problème que rencontrent des syndicats des eaux avec des traces de S-métolachlore, qu'il faudrait en conséquence interdire au-delà des seuls périmètres de captage prioritaires ; comment, dès lors, aider les agriculteurs à s'en passer, dès lors que les alternatives sont bien plus onéreuses ?

M. Laurent Somon . - Chacun comprend la notion de souveraineté alimentaire, mais il faut la relier aussi à celle de souveraineté budgétaire, donc à nos capacités d'exporter, ainsi que de se passer d'importations. Or, nous importons désormais du porc, du poulet, et bientôt du lait, ceci à force de ne pas encourager notre élevage - on le voit aussi avec les vétérinaires, un métier qui attire d'autant moins que l'élevage recule. Quelle est votre politique d'élevage ? Et quelle est la place de l'énergie dans la production agricole, quelle agro-énergie, quelle politique de méthanisation préconisez-vous ?

M. Julien Denormandie, ministre . - Merci pour ces questions nombreuses et précises, je vais tâcher d'être concis.

Le plan stratégique national prend en compte les externalités positives, monsieur Montaugé, ceci à plusieurs niveaux dans le premier pilier - et d'abord comme éléments de conditionnalité dans le cadre des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Quelles seront les conditions d'accès au plein régime ? Je suis un fervent défenseur du bio, mais aussi de l'agriculture de conservation, de l'agriculture qui capte du carbone ; je crois qu'il faut considérer l'ensemble et bien voir que le premier pilier est celui des conditionnalités. En revanche, l'investissement entre dans le second pilier et il y a eu le débat sur le fait de savoir s'il fallait mettre tous les moyens sur la conversion - nous avons mis l'accent sur la conversion dans ce projet de loi de finances, c'est le sens du crédit d'impôt bio, qui est pérennisé et qui passe de 3 500 à 4 500 euros. Le crédit d'impôt me semble d'ailleurs la meilleure politique de soutien, parce qu'elle embrasse tous les secteurs, bien mieux que les aides territorialisées. Les externalités positives, ce sont aussi les services pour paiement environnementaux dans le cadre du budget des agences de l'eau et non de la PAC, c'est un sujet sur lequel il serait très important de continuer à travailler ensemble.

Les plans de filières avancent, certains plus vite que d'autres, mais je suis étonné de vous entendre dire qu'on ne parle pas d'élevage, je passe beaucoup de temps sur les plans concernant l'élevage, mes services sont très actifs, les défis sont très importants - et justement, je suis convaincu que la réponse passe par les plans de filière, nous nous y activons et le plan de relance prendra cette voie, mais vous savez comme moi que la route est longue...

Sur les agro-équipements, monsieur Laurent, nous arrivons, avec les rallonges, à un montant de 250 millions d'euros, et nous avons constaté que les équipements de conversion prennent 85 % : c'est intéressant, mais je veux aller plus loin en investissant sur la troisième révolution agricole, qui passe par l'usage d'autres matériaux.

Sur les indemnités, la décision que vous critiquez n'est pas le fait du Gouvernement, mais du Conseil d'État. C'est une décision de justice que nous devons respecter, nous travaillons à nous y adapter.

Le nombre de HVE a été multiplié par vingt en trois ans, la dynamique est là, mais nous avons un sujet sur le critère retenu pour ce que l'on appelle la voie « B », celle où on examine le pourcentage de phytosanitaire dans le chiffre d'affaires. Nous sommes en cours de revue et il faudra en avoir terminé avant l'entrée en vigueur de la nouvelle PAC.

Enfin, sur l'alcool, vous connaissez la position du Gouvernement, elle n'a pas changé.

Madame Noël, le Gouvernement n'a nulle intention de rendre le Nutri-score obligatoire, sauf s'il l'était à l'échelle européenne. Nous constatons que des marques alimentaires le mettent en place et il faut regarder de près ce qui se passe, nous devons en particulier revoir la méthodologie du Nutri-score à l'échelon européen parce qu'elle se fonde sur des volumes qui ne correspondent guère à nos pratiques alimentaires. Nous en sommes d'accord en particulier avec les Espagnols et les Italiens, qui sont proches de nous. L'enjeu est très important.

Sur le loup, notre approche doit partir de la réalité en écartant les fantasmes, nous devons avoir le même diagnostic et c'est pourquoi le Président de la République a demandé que l'on commence par la méthode du comptage des loups, c'est très important - et nous avançons aussi sur la gestion des chiens.

Sur l'exportation des grumes de chênes, monsieur Chaize, la meilleure solution passe par la filière, avec une contractualisation, et par le label européen. L'interprofession France Bois Forêt s'est mobilisée, avec son nouveau président, Jean-Michel Servant, nous sommes face à l'arrivée de traders qui font monter les coûts - nous devons trouver un moyen qu'ils ne participent pas à ces échanges, le mieux me paraît la contractualisation, mais il y a aussi d'autres outils.

L'indemnisation des bovins victimes de loups, madame Berthet, doit effectivement tenir compte de la valeur effective des animaux, car un animal est bien le fruit d'un long travail des éleveurs et sa disparition fait aussi disparaître un certain capital, il faut en tenir compte.

Sur la labellisation des Onvar, monsieur Labbé, la programmation est en cours, je ne peux donc pas vous répondre précisément, mais les données seront bientôt disponibles.

Je crois, monsieur Salmon, qu'il faut trouver un équilibre sur les pollinisateurs ; vos propos ne manquent pas de passer pour excessifs parmi des agriculteurs et ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les producteurs de colza sont les premiers à avoir besoin des abeilles, de même que celles-ci ont besoin de colza comme matière nourricière - alors qu'en cinq ans, malgré tous nos efforts pour soutenir la production, la surface totale de colza est passée de 1,5 à 1 million d'hectares... Nous sommes vite montrés du doigt, dans un sens ou dans l'autre, il faut trouver un équilibre et on peut difficilement dire aux cultivateurs de colza qu'ils ne pourront travailler que la nuit, ou bien on les décourage plus encore.

Sur la mise en oeuvre de la loi Egalim 2, monsieur Grémillet, je crois qu'il faut d'abord laisser le temps à chacun de prendre les marques de la nouvelle régulation, et il faut aussi être intransigeant dans les contrôles : nous allons multiplier par quatre les contrôles, pour signaler tous les comportements anormaux, nous avons d'ailleurs créé une adresse spécifique - signalements@agriculture.gouv.fr.

Sur l'élevage, il y a une segmentation en fonction des types élevages, il y a de grands enjeux comme la décapitalisation du cheptel laitier, il y a des sujets de marché sur les allaitantes, sur l'engraissement - je dis au passage que le jeune bovin est un excellente viande à manger dans les écoles, les collèges, les lycées et au Sénat. Or, en général, dans les cantines, trop de viande est importée. Cependant, nous attendons un décret qui est au Conseil d'État, pour imposer l'information sur l'origine des viandes dans toute la restauration collective, cela va faire bouger les lignes. L'État doit être exemplaire, je fais le point régulièrement avec les ministres lors des conseils des ministres. Je rappelle à cet égard que, dans Egalim 2, c'est 100 % de viandes de qualité pour la restauration collective de l'État.

Nous avons encore bien d'autres sujets sur l'élevage, je pense à l'autonomie protéique, et vous savez à quel point nous nous engageons en la matière. Pour la volaille, nous avons une question de prix, il y a aussi des transitions dans la filière avec l'arrêt du broyage des poussins et la transition vers l'ovosexage. Sur la filière porcine nous sommes face à des coûts d'intrants qui montent alors que le marché diminue, les éleveurs doivent composer avec l'arrêt de la castration à vif des porcelets ; nous devons tenir compte aussi d'éléments internationaux, par exemple des contraintes venues de Chine qu'il nous faut prendre en compte pour ne pas se faire déréférencer, comme cela est arrivé aux Espagnols, c'est une menace importante.

Sur le bio, nous devons tirer la leçon des excédents constatés avec le lait bio, la volonté politique ne peut pas guider le marché, c'est le consommateur qui le fait. Il nous faut accompagner, investir mais pas dicter le produit, jamais une loi ne va imposer la consommation au consommateur.

Sur l'assurance, oui, le passage de 300 à 600 millions d'euros tient à la solidarité nationale pour l'essentiel, c'est le moteur ici, plutôt que l'échelon européen. Nous en avions besoin, car nous étions arrivés au bout de ce que l'on pouvait en se cantonnant aux seuls agriculteurs.

Sur la prophylaxie sanitaire, je ne peux pas vous répondre tout de suite, mais je regarderai plus avant.

L'assurance récolte, qui s'appliquera encore l'an prochain, est à bout de course ; la réforme est nécessaire, mais cela prend du temps - les Espagnols ont mis douze ans à la faire...

Les Assises de la forêt, madame Schillinger, sont effectivement un moment important, merci de vous y être impliquée avec madame Loisier. Le plan de relance prévoit une enveloppe de 200 millions d'euros ; nous allons soutenir l'ONF mais aussi l'aval avec, en particulier, le fonds « bois » qui va aider à financer le repeuplement forestier. Nous avons aussi 600 millions d'euros à déployer, c'est un montant qui permet d'investir pour la ressource forestière.

Sur le Green Deal , vous connaissez ma position : il faut coupler la production, l'environnement et la nutrition, sans oublier que le premier rôle de l'agriculture est nourricier, nous avons une vision politique qu'il faut traduire dans des textes, nous avons la possibilité de le faire dans les mois et les années qui viennent. La gestion passe aux régions, nous nous sommes mis d'accord avec elles pour le transfert des fonctionnaires concernés, c'est très important parce que nous devons donner de la visibilité à ces femmes et ces hommes. Vous soulignez qu'il y aura désormais deux niveaux décisionnaires, l'un départemental, l'autre régional : c'est la loi qui l'a voulu, mon rôle est de l'appliquer de la meilleure façon.

Madame Loisier, merci pour vos propos et, d'une manière générale, pour votre action au service des communes forestières. Sur la règle de minimis , nous attendons la réponse des instances européennes. Ma position est claire sur ce que gagnerait à être une politique européenne de la forêt : j'ai une approche multifonctionnelle de la forêt car une forêt, ça se cultive et ça se protège, nous avons eu des échanges assez vifs avec la Commission européenne sur ce point, les débats sont en cours.

Sur les scolytes, nous avons prorogé le plan en la matière jusqu'au printemps prochain, nous devons continuer dans ce sens.

Sur les élevages en zone intermédiaire, monsieur Redon-Sarrazy, nos politiques, depuis des décennies, ont été un échec, l'élevage a disparu de ces zones. Vous savez combien je me bats pour qu'il n'arrive pas la même chose en montagne, avec cet arrêt progressif de l'élevage, et je veux même redéployer l'élevage dans les zones intermédiaires ; c'est aussi pour cela que je me bats sur les critères. C'est encore la raison pour laquelle, avec d'autres ministres de l'agriculture, nous voulons que chaque PSN soit présenté au conseil des ministres de l'agriculture, car je ne veux pas que la PAC effective se décide dans un bureau de la Commission européenne, dans la négociation entre un fonctionnaire européen et le représentant d'un État.

Je veux signaler au passage deux victoires françaises dans la négociation : j'ai introduit le droit à l'erreur dans la PAC, et la nouvelle PAC est aussi sociale, nous avons introduit le fait que les États respectent le socle du droit européen. Mais ces avancées ne prennent sens que si les PSN reviennent au conseil des ministres.

Sur la démographie des vétérinaires, je suis favorable à ce qu'on renforce encore l'accueil des apprenants dans les écoles vétérinaires, mais aussi à ce qu'on mette en place une nouvelle école, que certains critiquent comme école privée, mais il s'agit d'une école sous contrat et dont les capitaux sont issus des chambres consulaires, comme cela existe dans les filières agroalimentaires - les capitaux ne viennent évidemment pas de tel ou tel laboratoire, c'est interdit par la loi et je m'y opposerai en tout état de cause.

Madame Blatrix Contat, je n'ai pas la réponse sur le S-métolachlore : je vais regarder et vous informerai dès que possible.

Monsieur Somon, mes fonctions antérieures attestent du fait que je suis un fervent défenseur du commerce extérieur. C'est pourquoi je suis parvenu, avec Franck Riester, à doubler les financements « exports » du volet agricole. Une puissance agricole est une puissance qui exporte.

Sur la méthanisation, dont je suis aussi un fervent défenseur, j'insiste sur le fait qu'aucun projet de méthanisation collectif ne peut se faire sans l'appui des chambres d'agriculture. Car le risque, c'est la compétition entre productions agricoles - on dit par exemple que la grande décapitalisation du cheptel laitier allemand est liée au développement de la méthanisation en Allemagne. Du reste, un méthaniseur ne doit pas utiliser plus de 15 % de la surface agricole, mais il peut le faire sur l'intégralité des champs cultivés, donc je crois que le sens de l'histoire, c'est de bien placer la méthanisation à son niveau, celui de la gestion agricole - il y aurait un amendement à écrire, qui imposerait à tout projet de méthanisation collectif un avis conforme du milieu agricole local, par exemple via la chambre d'agriculture.

Examen en commission
(Mercredi 24 novembre 2021)

Réunie le mercredi 24 novembre 2021, la commission a examiné le rapport d'information de M. Laurent Duplomb, Mme Françoise Férat et M. Jean-Claude Tissot sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2022.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Certes nous discutons d'un budget que nous avons globalement rejeté, mais il nous a semblé important non pas tant de vous présenter la mécanique budgétaire que de vous faire part de ce que nous avons obtenu du ministre par notre travail tout au long de ces dernières semaines et de vous exposer les alertes qui demeurent sans réponse.

D'abord sur le budget à proprement parler, il est en très légère baisse en crédits de paiements compte tenu de la fin du dispositif exceptionnel d'exonérations de cotisations pour les viticulteurs en raison de la Covid-19. L'arrêt de ce dispositif, prévu pour 2021, engendre un recul de 77 millions d'euros alors que le budget ne baisse que de 32 millions d'euros.

Autrement dit, hors mesures exceptionnelles, nous avons un budget en augmentation, comme c'était le cas partout, me direz-vous.

Les évolutions positives de ce budget sont au nombre de cinq.

La première concerne une subvention exceptionnelle pour purger la dette de l'ONF de 20 millions d'euros. En réalité il s'agit d'un apurement de 60 millions d'euros, sur 3 ans.

La deuxième est une hausse des dépenses de personnel et des dépenses informatiques du ministère, ce qui est une tendance structurelle dont il faut s'inquiéter, tant elle substitue au budget des agriculteurs un budget du ministère de l'agriculture. Il est vrai que depuis plusieurs années nous assistons à une augmentation sans cesse des frais informatiques, qui peuvent paraître relativement importants.

La troisième est une hausse circonstancielle des crédits des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et de l'aide à l'agriculture biologique.

La quatrième est une hausse des crédits de l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) sur laquelle reviendra Françoise Férat.

Enfin, la cinquième est une hausse des moyens de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en raison de la loi de programmation de la recherche qui lui a transféré les missions d'analyses socioéconomiques du Haut Conseil des biotechnologies, ce dont il faut se féliciter, tant le fonctionnement qui se voulait rationnel de cette autorité était altéré par le boycott de certaines associations environnementales.

Mais n'analyser que le budget de cette mission reviendrait à ne regarder les crédits alloués à l'agriculture que par le petit bout de la lorgnette. Car depuis janvier 2021, le Gouvernement a annoncé près de 4 milliards d'euros supplémentaires pour l'agriculture en autorisations d'engagement, reprenant à son compte la quasi-intégralité des propositions sénatoriales en matière agricole, que cela soit celles de notre cellule Covid qui proposait un plan de relance pour aider les filières fragiles en raison des confinements et des investissements massifs pour l'innovation et la robotique : tout cela a été mis en place. Nous disions également que la réserve de précaution n'était pas suffisante pour assurer justement la lutte contre les aléas : chaque année, les lois de finances rectificatives ont fait exploser le budget pour faire face aux sécheresses, tempêtes et au gel. En bref, le Sénat est devenu l'auteur des idées qui approvisionnent un Gouvernement qui n'en a pas, ce dernier se contentant de les mettre en oeuvre avec de l'argent qui n'existe pas. Mais, pour me répéter, comme c'était le cas partout, me direz-vous.

J'en veux pour preuve le catalogue suivant : 350 millions en première loi de finances rectificative, 800 millions dans la seconde loi de finances rectificative, 2 milliards d'euros pour France 2030 et 880 millions d'euros pour le PIA 4 porteur du projet intitulé « 3 e révolution agricole ». Autrement dit, le budget a plus que doublé cette année. Mais, pour me répéter, comme c'était le cas partout, me direz-vous.

J'ajoute que j'ai quelques inquiétudes sur le budget de l'année prochaine. La mise en oeuvre de la nouvelle maquette de la PAC induit un besoin de financement de plus de 100 millions d'euros pour la France pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels. La réalité est que le taux de cofinancement apporté par la France augmente de 10 %, puisque l'Europe a diminué son taux de cofinancement de 10 %. La réforme de l'assurance récolte, qui nous sera soumise en janvier, dépend d'une enveloppe annoncée de 600 millions d'euros. Ces financements devront bien être pris quelque part si le conte de fées de l'argent magique prend fin. Ces questions nécessitant un retour à la normale poseront sans aucun doute des problèmes l'année prochaine, mais, pour me répéter une dernière fois, comme cela sera le cas partout, me direz-vous.

Avec mes collègues rapporteurs, nous avons voulu proposer des pistes de travail au ministre pour améliorer ce budget. Elles sont au nombre de 5 : le plan Eco'Azot dans un contexte d'explosion des coûts pour les agriculteurs ; la pérennisation du dispositif d'exonérations de cotisations pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi en agriculture, dit « TO-DE », qui a été écartée à l'Assemblée nationale ; la désertification vétérinaire avec l'augmentation des stages tutorés ; la problématique du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) avec des cotisations payées par les agriculteurs nettement supérieures au plafond fixé en loi de finances de126 millions ; et le sujet du traitement des communes forestières.

La première concerne le plan Eco'Azot.

Je l'ai dit hier : nous sommes face à une situation dangereuse sur le sujet des engrais. Je me souviens encore des discours il y a quelques mois qui nous expliquaient qu'il fallait taxer l'utilisation d'engrais pour réduire les usages. Cela se serait traduit par une hausse des coûts sans réduction des usages. Nous n'en sommes plus là, car les agriculteurs voient leurs charges exploser et ils ont de plus en plus de difficulté à trouver des engrais sur les marchés.

Les cours de l'ammonitrate ont doublé depuis quelques mois, les cours de la solution azotée ont été multipliés par 2,5 et le prix de l'urée a triplé. Avec de tels prix, ce n'est plus tenable pour les comptes d'exploitation des agriculteurs. D'ailleurs, le prix n'est plus la règle, puisque certains agriculteurs n'arrivent plus à trouver de solutions azotées.

D'autant que la rareté faisant le prix, les fournisseurs rationnent les volumes offerts faute de productions ou pour attendre des prix encore plus élevés. En résumé, nous sommes en pénurie ! Le taux de couverture en solution azotée est de 45 % en octobre contre 70 % les autres années.

Nous aggravons en outre la situation par des barrières tarifaires à l'importation d'azote en Europe alors que nous dépendons entre 80 et 90 % de l'importation. C'est incompréhensible.

À mon sens, si la situation devait durer et que nous ne faisions rien, nous serions exposés à plusieurs effets.

À court terme, une baisse de la qualité de nos céréales à l'export, donc à de moindres revenus voire à la perte de parts de marché chez certains clients et, bien entendu, une baisse de nos rendements.

À moyen terme, nous risquerions de créer des déséquilibres inter-filières en raison d'une révision des assolements. En effet, lorsqu'un agriculteur doit semer au printemps, mais qu'il ne peut pas se fournir en azote, il va semer quelque chose qui a moins besoin d'azote.

À long terme, nous ne produirons plus suffisamment pour nourrir un monde confronté à un choc démographique.

La situation de l'azote étant dramatique, nous appelons le ministère à mettre en place un plan. Et c'est justement ce que le Parlement lui a donné l'ordre de faire dans la loi « Climat et résilience » par le biais du plan Eco'Azot. Nous nous étonnons d'ailleurs qu'aucune mesure n'ait été prévue dans ce budget à cet égard. Nous le déplorons et, dans une logique constructive, nous estimons nécessaire de lancer enfin ce plan, que le Sénat avait fait adopter plutôt qu'une taxe sur les engrais qui n'avait aucun fondement.

La situation de marché le rend nécessaire et urgent !

À mon sens, il doit se décliner en trois axes.

À court terme, l'urgence est de baisser les prix, car la situation n'est pas tenable pour les comptes d'exploitation. La mesure la plus rapide que nous avons travaillée avec les filières serait de suspendre les barrières tarifaires à l'importation au niveau européen. C'est une mesure qui relève de la Commission et du Conseil et qui peut être prise rapidement. Cela doit être une priorité de la présidence française de l'Union européenne à venir. Je rappelle que nous nous taxons volontairement sur des approvisionnements dont nous sommes dépendants.

À moyen terme, la priorité est de développer des innovations majeures et de rupture pour rompre notre dépendance, travailler sur de nouvelles pratiques et répondre à la baisse des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac pour tendre vers une optimisation des usages sans perte de rendement. Il faut impérativement travailler le sujet juridique des inhibiteurs d'uréase ou de nitrification, qui réduisent considérablement les émissions et de diminuer les doses. Or l'abrogation d'un règlement européen rend obligatoire la réautorisation de milliers de dossiers d'ici juillet 2022, ce qui est proprement impossible puisqu'à ce stade, l'arrêté qui fixe la procédure d'envoi du dossier n'a toujours pas été publié. Des solutions, il en existe : la sélection variétale ; l'agriculture de précision ; les engrais organiques qui nous permettraient de reconquérir de la souveraineté mais sont bloqués par des barrières réglementaires. Mais il faut mettre en oeuvre des mesures concrètes pour en faciliter le déploiement. Le dirigeant d'InVivo nous confiait qu'il avait par exemple des difficultés à faire homologuer des systèmes réellement innovants en la matière. C'est un vrai axe de travail.

Enfin, il faut mettre en place un appui financier et technique pour des outils de pilotage, des outils d'épandage de précision, des appuis dans la formation également par exemple pour mieux expliquer le fractionnement de la fertilisation, ce qui permet de minimiser les pertes en maximisant l'absorption.

Ce plan, c'est une réponse concrète pour un vrai défi de notre agriculture, alliant besoins agronomiques et réponses écologiques, tout en reconquérant notre souveraineté. Il faut le porter à mon sens de manière transpartisane.

Mme Françoise Férat , rapporteure pour avis . - Mon collègue M. Laurent Duplomb parlait de cinq propositions. Il me revient d'en présenter deux : celle sur le TO-DE et celle sur les déserts vétérinaires.

Mais auparavant, je souhaitais revenir sur un sujet qui me tient très à coeur, pour y avoir passé une bonne partie de mon année avec Henri Cabanel : le sujet de la détresse des agriculteurs.

Le ministre a présenté un plan de prévention hier matin qui reprend, dans son immense majorité, le travail de notre commission. Je crois qu'il faut s'en féliciter et rappeler sans cesse que notre travail sur le terrain, auprès des agriculteurs, des familles endeuillées, des professionnels dans l'accompagnement a permis de déclencher une dynamique.

Parmi les mesures annoncées, figure, pour en revenir aux aspects budgétaires, la réforme de l'audit de l'exploitation et de l'aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) : leur budget sera doublé et le ministre s'est engagé à réformer les obstacles qui empêchaient leur souscription aujourd'hui par les exploitants. Il faut également souligner l'adoption au Sénat et à l'Assemblée, à notre initiative, de deux dispositifs : le crédit d'impôt pour le remplacement a été augmenté, afin d'octroyer un vrai droit au répit aux exploitants, ainsi qu'un capital décès de 3 500 euros pour les familles endeuillées. Ce capital n'existait pas contrairement aux autres régimes, et c'était une injustice pour les agriculteurs : c'est désormais une chose réparée !

Le travail se poursuit, avec M. Cabanel bien sûr et vous tous, car la cause en vaut la peine.

J'en viens aux deux recommandations qu'il me revient de présenter.

La première concerne le TO-DE, les allègements de charges pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi. Le Sénat se bat chaque année pour obtenir sa pérennisation. Je devrais dire : « enfin sa pérennisation ». Car le ministère des finances continue de s'attacher à sa réforme avortée de 2018 voulant le supprimer en raison de notre opposition. Il me paraît tout à fait incompréhensible que le ministère de l'économie et de la relance, qui nous parle à tout moment de l'année de compétitivité économique, soit le premier à vouloir supprimer ces exonérations permettant aux filières justement les plus concurrencées par les produits importés, c'est-à-dire celles où les coûts de main-d'oeuvre sont les plus importants, d'exister. Comment voulez-vous lutter contre une pomme polonaise dont le coût de revient est de 0,99 euro quand le coût en France est de 2 euros, la seule différence s'expliquant par les coûts de main-d'oeuvre ? Le Sénat l'a pérennisé une fois de plus dans le PLFSS. Mais le Gouvernement refuse toujours de bouger. L'année prochaine, si rien n'est fait, le dispositif disparaîtra. Je serai, tout au long de l'année, mobilisée pour le préserver : nous devrons envisager une action en cours d'exercice.

La seconde traite des déserts vétérinaires. C'est un sujet essentiel pour l'aménagement de nos territoires et le Sénat est mobilisé 24 heures sur 24 sur ce sujet. Il serait terrible de commettre les mêmes erreurs que sur les déserts médicaux. Car la disparition de vétérinaires dans une zone rurale est un des éléments annonciateurs de la fin de l'élevage dans cette zone. Ce sujet est stratégique.

Laurent Duplomb a fait adopter un dispositif innovant dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue), promulguée le 2 décembre 2020, en permettant aux collectivités locales, dans les zones tendues, de proposer des aides aux jeunes vétérinaires pour les inciter à s'installer en zones rurales. Le ministère a fait le travail et a constaté que les zones tendues existaient... dans toutes les régions ! Nous avons demandé un bilan du dispositif en cours d'année pour l'améliorer : il est sans doute trop restrictif au regard de l'ampleur du phénomène et nous avons appelé le ministre à effectuer une modification à la marge du dispositif dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », à l'Assemblée nationale pour que le zonage ne soit pas trop restrictif.

Toutefois, en analysant le budget, nous avons constaté que le ministère sapait un autre dispositif essentiel en parallèle, à savoir les stages tutorés.

Pour promouvoir l'installation, il faut aussi agir dès l'école vétérinaire. Justement, dans ces écoles, des stages sont mis en place lors de la cinquième année avec des tuteurs engagés dans les zones rurales auprès d'animaux de rente pour expliquer le sens de leur métier. L'État, par le programme 206, alloue une enveloppe pour encourager les écoles vétérinaires et les tuteurs à se lancer dans l'aventure.

C'est un succès colossal : 85 % des jeunes ayant suivi ce stage se sont finalement installés en zone rurale !

Et le succès est tel que le nombre de dossiers d'étudiants candidats à ce dispositif a doublé cette année. Mais le ministère n'a pas doublé l'enveloppe. Mécaniquement, nous avons été alertés que la dotation par étudiant serait donc divisée par deux, désincitant fortement les tuteurs et les écoles à recourir à ce dispositif qui fonctionne.

Nous en avons alerté le ministre qui a pris l'engagement de doubler cette enveloppe en gestion. Nous resterons vigilants, car c'est un point vraiment essentiel.

M. Jean-Claude Tissot , rapporteur pour avis . - Enfin, nos travaux nous ont menés à élaborer deux autres propositions de bon sens.

La première concerne le CASDAR. Vous connaissez mon attachement à ce dispositif. Mais je crois que pour bien comprendre le scandale, n'ayons pas peur des mots, qui est à l'oeuvre sur ce sujet, il faut se rappeler de l'histoire agricole de notre pays.

Car le CASDAR est le successeur du Fonds national de développement agricole, géré par l'Association nationale pour le développement agricole (ANDA) de 1966 jusqu'en 2002. Ce fonds a été imaginé dès les années 1960 par les agriculteurs pour contribuer au financement de l'agriculture de demain. Les agriculteurs se voulaient les contributeurs de l'innovation agricole, pour ne pas transférer cette charge aux contribuables en se taxant eux-mêmes sur leur chiffre d'affaires.

Si les modalités pratiques ont évolué avec la LOLF, l'esprit du dispositif demeure toujours le même.

Depuis les années 1960, le CASDAR a été un outil essentiel de financement de la recherche et l'innovation par les agriculteurs, pour les agriculteurs, tout en permettant de réaliser une péréquation essentielle entre les filières, les plus petites filières bénéficiant de financements voués à la recherche qu'elles ne pourraient obtenir si elles ne faisaient contribuer que leurs adhérents.

Des milliers de projets de recherche ont pu voir le jour grâce au CASDAR et au travail des instituts techniques.

Mais, depuis des années, des centaines de projets de recherche n'ont pas pu être lancés faute de financement suffisant du CASDAR, non faute de millions d'euros fournis par les agriculteurs, mais parce que l'État se remplit les poches grâce à cet argent des agriculteurs destiné à financer leur recherche.

En raison d'un plafond fixé à un niveau inférieur à celui du rendement effectif de la taxe, budget après budget, le CASDAR est ponctionné par Bercy. Et les ouvertures en loi de finances rectificative pour corriger le tir, comme cette année, poursuivent ces ponctions : cette année, le rendement de la taxe est de 140 millions d'euros, alors que le plafond était à 126 millions d'euros, soit une ponction de l'État sur le dos des agriculteurs de 14 millions d'euros. La loi de finances rectificative n'a prévu d'en retourner aux agriculteurs que 10 millions en ponctionnant d'ailleurs la trésorerie du fonds. Autrement dit, Bercy a encore gagné a minima 4 millions d'euros.

Au total, entre 2014 et 2021, près de 24 millions d'euros de taxes payées par les agriculteurs ont ainsi atterri dans les poches de Bercy. Et avec le plafond fixé cette année à 126 millions d'euros, la somme manquante pourrait dépasser largement les 30 millions d'euros l'année prochaine.

Ce montant, je veux le dire clairement, l'État doit le restituer aux agriculteurs.

Car cet argent n'est pas qu'une somme virtuelle : ce sont concrètement des projets de recherche qui sont reportés ! En 2020, après avoir écarté les projets les moins urgents, les instituts techniques ont dénombré 47 projets prioritaires n'ayant pas pu être financés par des appels à projets faute de financements suffisants.

On ne peut promouvoir l'agriculture de demain à coups de plans de relance et saper les financements des instituts techniques qui sont les premiers financeurs de la recherche agricole.

C'est pourquoi nous demandons :

- un relèvement structurel du plafond du CASDAR pour que l'intégralité des contributions des agriculteurs soit chaque année redistribuée aux agriculteurs - au minimum, le plafond ne devrait pas être inférieur aux rendements de l'année précédente ;

- une rétribution des 26 millions d'euros ponctionnés dans le passé par l'État au profit de la recherche agricole.

J'en viens enfin à la cinquième et dernière proposition, sur les communes forestières. En première lecture, il sautait aux yeux qu'elles étaient les grandes perdantes de la politique forestière du Gouvernement.

D'un côté, l'Office national des forêts (ONF) réduit ses services rendus par ses schémas d'emplois et il augmente les contributions financières des communes forestières pour réduire sa dette. D'un autre côté, les communes les plus forestières sont très dépendantes des recettes issues des ventes de bois, qui ont chuté, car les bois scolytés se vendent moins bien. Cela les a placées dans une situation financière délicate. Au total, on estime que 26 millions d'euros de pertes ont été constatées, mais l'État ne compense qu'une trentaine de communes, à hauteur seulement de 1 million d'euros. En attendant, ce sont certaines communes qui trinquent. On a eu beau avoir une déclaration du Président de la République aux maires la semaine dernière, on voit bien là le décalage entre le discours et les actes !

Le Gouvernement a annoncé revenir, de justesse, sur l'augmentation des contributions des communes forestières, de quasiment 30 millions d'euros sur trois ans, initialement prévue par le nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'ONF : il faut s'en féliciter. Mais le manque à gagner pour l'ONF devra être traité.

Surtout, l'effet ciseau structurel ne s'inversera pas. L'ONF rendra de moins en moins de services aux communes, avec moins d'agents sur le terrain, alors que les communes ont déjà à souffrir du changement climatique.

Nous proposons d'inverser la logique dans le cadre de la réforme de l'ONF et de fixer une priorité : que l'ONF redéploie des agents sur le terrain en se fixant l'objectif ambitieux de deux agents sur trois dans nos forêts, contre seulement la moitié aujourd'hui, pour mieux accompagner l'adaptation des massifs au changement climatique.

M. Franck Menonville . - Je voudrais rebondir sur le dernier point de Jean-Claude Tissot et notamment sur l'ONF. Je crois que l'on peut se satisfaire du recul du ministre concernant la contribution supplémentaire qu'il prévoyait d'appeler sur trois ans. Je partage néanmoins les opinions de Jean-Claude Tissot, notamment sur le redéploiement sur le terrain. On observe au niveau de l'ONF un problème principalement de dispersion des moyens. L'ONF se diversifie, en accompagnant des politiques diverses, notamment dans le domaine de la biodiversité et de l'environnement, alors même que les tensions relatives au changement climatique et à la nécessaire transformation et l'accompagnement des techniques sylvicoles de notre forêt imposent que l'ONF soit entièrement mobilisé sur son coeur de métier et ses missions régaliennes.

M. Joël Labbé . - On constate des efforts budgétaires dans le domaine de la relocalisation de l'alimentation, parce qu'il s'agit d'un axe extrêmement important pour assurer notre souveraineté alimentaire. Néanmoins, nous considérons ces efforts encore insuffisants.

Les 50 millions d'euros sur 2 ans pour atteindre les objectifs Egalim en restauration collective ne suffiront pas. Le financement des projets alimentaires territoriaux est augmenté, mais il n'est pas à la hauteur des besoins, des demandes et des nécessités. Le financement de l'agriculture biologique a certes bénéficié de l'augmentation nette du crédit d'impôt biologique, mais celle-ci ne couvrira pas les pertes de financement au niveau de la PAC. L'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB) est sous-doté par rapport aux besoins. Les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar), comme les centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (Civam), Terres de lien, et la fédération nationale des coopérations d'utilisation du matériel agricole (FNCUMA) jouent un rôle essentiel, mais sont également insuffisamment soutenus. Derrière se situe la question du niveau de financement du CASDAR.

Le plan France 2030, qui annonce une nouvelle agriculture numérique, robotique et génétique risque d'aller vers un soutien à une agriculture hyper connectée. Il y a un autre modèle qui est en attente de véritables moyens pour assurer une agriculture de proximité qui n'est pas dans le gigantisme et qui permettra de nourrir les populations des territoires.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je ne voudrais pas que l'on croie qu'il suffit de redéployer les moyens de l'ONF pour répondre aux besoins. Le plan qui vise à supprimer 500 postes d'ici 2025 doit être encore contesté, parce que, globalement, il n'y a pas qu'un problème de redéploiements, mais aussi un problème de création de postes.

J'ajoute un élément plus anecdotique : l'uniforme de l'ONF va être changé. Il va devenir orange et il n'y aura plus de gallon faisant référence à l'autorité publique. Or je trouve important que les gardes de l'ONF conservent un gallon garantissant l'autorité publique.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je pense qu'il s'agit d'un élément que l'on peut partager sur de nombreux bancs.

Mme Anne-Catherine Loisier . - D'abord, je voulais saluer l'approche de nos collègues qui se sont arrêtés sur un certain nombre de points stratégiques, sur lesquels nous sommes quotidiennement sollicités sur nos territoires.

Sur la forêt, je partage les préconisations de nos collègues. J'ai néanmoins deux interrogations complémentaires.

Dans ce projet de loi de finances, il est proposé d'apporter un million d'euros au profit d'une trentaine de communes forestières touchées par les scolytes, ce qui n'est pas à la hauteur des besoins. Rien que dans mon département de la Côte-d'Or, 50 communes ont une capacité d'autofinancement négative et sont donc dans l'incapacité d'investir. Il s'agit de communes forestières, celles-là mêmes dont on attend demain qu'elles répondent aux enjeux de la réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020). Ainsi, on fait peser des demandes sociétales et environnementales sur ces communes, alors qu'elles ne sont pas en capacité de s'emparer du plan de relance. Il y avait eu un amendement sénatorial dans le précédent projet de loi de finances rectificative de 10 millions d'euros pour aider les communes à financer les travaux préparatoires au reboisement. Il faudra s'assurer que cette enveloppe est bien mobilisée en ce sens.

Concernant le redéploiement, il ne résoudra pas, de toute évidence, tous les problèmes de l'ONF. Il y a un déficit récurrent qui est lié notamment au financement des retraites depuis 10 ans, à hauteur de 50 millions d'euros par an. Un nouvel audit doit être fait, à l'aune des enjeux qui pèsent aujourd'hui sur la forêt. Il y en a un, par exemple, qu'on va évoquer dans cette commission, qui est celui de la chasse. On ne peut pas demander aux forestiers d'être davantage présents en matière de surveillance sanitaire et de chasse et de diminuer chaque année les effectifs sur le terrain, où l'on manque aujourd'hui d'agents. On ne peut pas demander aux forestiers de faire plus de gestion durable et en même temps de commercialiser plus de bois pour répondre aux enjeux sociétaux.

Je remercie nos collègues pour ces préconisations, que je partage.

M. Daniel Gremillet . - Je partage les préconisations des trois rapporteurs. Je refais néanmoins, comme tous les ans, la même remarque sur le CASDAR. Le CASDAR, ne l'oublions pas, c'est 100 % de l'argent des paysans. Il s'agit de la seule profession à être traitée de manière aussi inéquitable dans notre pays : ce sont des paysans qui mettent de l'argent de leur propre poche pour leur propre assistance au développement et pourtant, on les empêche de le dépenser. L'État ne met pas de moyens, car c'est nous qui payons, mais il y a en plus cette distorsion aujourd'hui.

Le deuxième point sur lequel je voulais insister vient en partie d'être abordé par Anne-Catherine Loisier. J'insiste à nouveau sur la situation des communes forestières évoquée par Jean-Claude Tissot. Le traitement réservé aujourd'hui aux communes forestières ne résout pas ce qui est vécu dans les territoires. Cela n'est pas traité de manière raisonnable, ce qui est un peu irrespectueux.

M. Henri Cabanel . - Je veux partager la satisfaction de la prise en compte par le ministre du travail effectué par la commission des affaires économiques sur le sujet de la détresse des agriculteurs.

Pour autant, si les crédits, notamment sur l'AREA, ont été augmentés, il faudra tout de même rester très vigilant sur la simplification des dossiers à déposer. Car aujourd'hui les enveloppes n'étaient pas consommées en raison de la complexité des dossiers ! Le travail continue et nous resterons très attentifs à l'évolution. Je souhaiterais que l'on puisse faire une évaluation dans le temps pour savoir si les mesures qui vont se mettre en place auront des conséquences positives, comme nous le souhaitons.

Je voudrais aussi revenir sur la problématique qui a été soulevée par rapport aux TO-DE, qui se pose surtout par rapport à notre volonté de pérenniser ce dernier. Je ne sais pas comment on pourra faire si cela s'arrête.

Aussi, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'avais porté un amendement, qui avait été adopté au Sénat, puis supprimé à l'Assemblée nationale, sur les cotisations sociales des agriculteurs payées dès l'année N. Ce point me semble également important par rapport à une demande des agriculteurs, notamment pour pallier le problème des aléas climatiques. Ceci est d'autant plus important que nous avons voté une loi sur les travailleurs indépendants, commerçants, artisans, qui va dans ce sens. Il existe donc un véritable problème d'iniquité entre, d'un côté, les travailleurs indépendants, commerçants et artisans et, de l'autre, les travailleurs indépendants au niveau agricole.

Mme Anne-Catherine Loisier . - De la même manière que le CASDAR est amputé pour l'agriculture, le produit de la taxe sur les défrichements, payée par les forestiers, est chaque année amputée de moitié pour abonder le budget général de l'État.

M. Franck Montaugé . - Je voudrais revenir sur un point évoqué hier par le ministre, qui est celui du devenir des zones de polyculture élevage, également appelées « zones intermédiaires ». J'ai bien entendu ce qu'a dit le ministre, mais je reste dubitatif sur la façon dont certains plans de filières, notamment concernant l'élevage, sont traduits concrètement dans les territoires, et notamment dans ces zones, anciennement de polyculture élevage. Ces dernières doivent le rester, parce qu'on ne peut guère y faire autre chose que de l'élevage avec un peu de cultures liées. Je ne vois pas dans ce budget d'actions concrètes et précises en la matière. Il s'agit pourtant d'une question très préoccupante pour beaucoup de nos territoires français et l'avenir doit se préparer sur ce point. J'ai noté avec satisfaction que le ministre entendait prendre en compte ce déclin de l'élevage national français. Toutefois, je ne vois pas de traces concrètes, notamment dans ce budget, de la traduction de cette intention politique.

Mme Sophie Primas , présidente . - Avec un brin de malice, je finirai ces interventions en disant qu'il ne faut pas s'inquiéter de la hausse des fertilisants et de l'azote puisque, grâce à la loi Egalim 2, tout remontera dans le coût de revient.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Concernant la méthode d'analyse par zooms stratégiques retenue depuis quatre ans, dont se félicite Anne-Catherine Loisier, c'est ce qui nous permet de dire que notre travail est repris comme étant une idée gouvernementale ou du ministre de l'agriculture pour la mettre en place.

Pour revenir à la question de Joël Labbé, l'augmentation des aides bio est à comparer avec l'ensemble des autres aides que l'agriculteur bio touche comme les autres agriculteurs, dont l'aide bio, qui s'ajoute à celles-ci.

Concernant les Onvar, Monsieur Labbé a raison. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous nous sommes penchés. Parmi les 126 millions d'euros du CASDAR, il avait été tracé que 7,7 millions d'euros étaient réservés aux 18 Onvar. Personne n'est capable de me répondre à la question de savoir si cette somme sera maintenue. Il semblerait que oui. Ce montant est le résultat d'une décision politique des chambres d'agriculture d'en attribuer plus que ce qu'un calcul théorique déterminait au départ dans la répartition des 126 millions d'euros du CASDAR. La demande des Onvar est désormais de 10 millions d'euros. Je ne sais pas s'ils les obtiendront, mais il s'agit d'une volonté que nous avons portée et que nous avons écrite dans le rapport.

Je ne suis toutefois pas tout à fait d'accord avec vous sur le point suivant : ce n'est pas parce que l'on est connecté que l'on est gigantesque. Il s'agit d'un raccourci, car on peut très bien être sur une exploitation de taille familiale moyenne comme la mienne, avoir un robot de traite et être connecté. Au contraire, je pense que c'est même tout le contraire : plus on est connecté et plus on a la possibilité de réduire le travail manuel. C'est uniquement de cette manière que l'on conservera une agriculture de taille familiale. Moins on robotisera, moins on disposera de la possibilité de déléguer le travail pénible à une machine et plus on demandera à ce que les fermes deviennent gigantesques, parce que ce sera le moyen d'avoir un maximum de personnels pour répartir ce travail.

On est aujourd'hui sur un sujet, où, à chaque fois que l'on donne des injonctions aux agriculteurs, c'est toujours du travail en plus. L'arrêté pollinisateurs récemment publié l'illustre très bien : on peut bien sûr toujours dire qu'il faut travailler après le coucher du soleil, mais quand dormons-nous ? Il faut être conscient de ces réalités.

Concernant l'ONF, c'est 8 735 emplois. Plus de la moitié de ces emplois ne sont pas dans la forêt. 365 agents sont au siège et 4 000 dans les structures intermédiaires. Sur le terrain, il n'y a que 2 000 ouvriers forestiers, les bûcherons, et 2 500 techniciens forestiers, les ex-gardes forestiers. Je pense qu'il faut changer le ratio : il faudrait que les deux tiers des agents de l'ONF soient dans les forêts et non pas la moitié, comme aujourd'hui.

Pour répondre à M. Montaugé, il faut qu'on se saisisse de la problématique des zones intermédiaires et des zones de polyculture élevage. La problématique de la zone de polyculture élevage est qu'elle ne se limite pas aux zones intermédiaires : je suis un agriculteur en polyculture élevage, mais je suis aidé par l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), ce qui fait une différence colossale entre ma zone et la zone intermédiaire, qui n'est aujourd'hui quasiment plus aidée. Il faut, par conséquent, qu'on ait des éléments nous permettant de proposer des mesures, en espérant que le gouvernement se saisisse du sujet.

Mme Sophie Primas , présidente . - Il s'agit d'une demande ancienne de Franck Montaugé.

M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Concernant les communes forestières, je suis tout à fait d'accord avec le propos d'Anne-Catherine Loisier. J'entends cette problématique partout : comme on ne dispose pas des agents de l'ONF sur le terrain, ils ne marquent pas les bois et on ne mobilise donc pas les volumes. Pour les communes forestières, c'est la double peine : d'un côté, elles ont des contributions supplémentaires à payer et, de l'autre, elles ne peuvent pas mobiliser du bois pour avoir des recettes supplémentaires. Je trouve inadmissible que la taxe défrichement ne revienne pas à la forêt puisqu'elle avait été conçue pour cela et qu'elle devrait servir à mobiliser des bois et à avancer dans l'innovation. En matière d'innovation, un enjeu est par exemple l'utilisation des bois de feuillus pour pouvoir faire des accessoires et du lamellé-collé, alors qu'on ne le fait aujourd'hui encore qu'avec du résineux.

Sur la question du CASDAR, je suis entièrement d'accord avec Daniel Gremillet pour dire que les cotisations étant à 100 % payées par les paysans, elles devraient revenir à 100 % à l'agriculture. Puisque nous sommes aujourd'hui à 126 millions d'euros pour des cotisations à hauteur de 140 millions d'euros, nous essayons toutes les années, depuis 2 ou 3 ans, d'affecter l'écart, soit près de 40 millions d'euros sur plusieurs années, à une nouvelle politique. L'objectif est ainsi de souligner que cette somme devrait, au lieu de s'éclipser dans la dette abyssale, être, au contraire, tracée pour aider les évolutions nécessaires de l'agriculture.

Concernant le suicide, les aides annoncées vont dans le sens de l'amélioration. Je reste néanmoins persuadé que nous n'avons pas traité les racines du mal. Le ministre a dans son propos évoqué hier un point qui peut constituer un premier élément de réponse : la suppression de la phrase « mise en demeure » dans les lettres de la MSA. On devrait attribuer cette phrase « mise en demeure » à toutes les injonctions que l'on demande à l'agriculture, parce que l'agriculteur est soumis sans arrêt à une multitude de mises en demeure. Je ne connais pas une autre profession qui fait face à cela.

Le Conseil d'État a par ailleurs cette semaine lui-même mis en demeure le Gouvernement pour la mise en demeure des agriculteurs sur les zones Natura 2000, en y interdisant l'utilisation des produits phytosanitaires ou en les réglementant de façon extrêmement importante. Alors qu'on nous a toujours expliqué que les zones Natura 2000 ne devaient pas constituer des contraintes économiques, on y vient aujourd'hui. Comment vouloir entraîner les agriculteurs dans une transition écologique lorsque tout ce qu'ils finissent par accepter se retourne contre eux comme étant des contraintes supplémentaires et des mises en demeure ? Il ne faut, par conséquent, pas s'étonner si des agriculteurs se suicident, parce qu'à force d'avoir une multitude de mises en demeure, ils se mettent, au bout d'un certain temps, eux-mêmes en demeure en supprimant leur vie. C'est ça la réalité de ce que l'on vit.

Je suis entièrement d'accord avec Henri Cabanel sur le TO-DE. Il est regrettable que le gouvernement refuse la pérennisation, parce que l'impact de cette mesure sur les finances publiques ne change rien à la dette abyssale que nous sommes en train de créer tous les jours.

Sur le PLFSS, Henri Cabanel a aussi raison : l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité de l'option de l'année N, ce qui est, à mon avis, une mauvaise décision. En effet, je ne vois pas quels arguments pourraient justifier la suppression de la mesure. Nous ne demandons pas l'absence de cotisations, mais uniquement d'avoir des options, afin de gérer au mieux l'assiette sur laquelle repose cette cotisation au vu des évolutions régulières, année après année, des recettes de l'exploitation. Ces dernières peuvent être soumises à des aléas et par conséquent être amoindries.

Concernant le propos de Franck Montaugé, je pense qu'il faut se saisir rapidement des plans de filière. Diminuer les cheptels bovins, comme annoncé par les départements - avec 45 000 vaches en moins dans la Manche -, c'est décapitaliser le cheptel français, c'est limiter le niveau de production et, par définition, c'est ouvrir encore un peu plus grandes les portes des importations. En définitive, ce seront des problèmes environnementaux ou de paysages colossaux.

Sur le cheptel français, le risque est relativement simple : le jour où l'on aura diminué de façon drastique le cheptel français, ce qui fera que l'on ne pèse plus suffisamment sur le marché parce que l'on devient de moins en moins important, alors le marché se détournera. Cela ne signifie pas qu'il ne trouvera pas les possibilités de contribuer à l'alimentation des Français, mais il se détournera. Ainsi, là où l'on pouvait peser sur des projets de filières, parce qu'il y avait une taille suffisante pour avoir un projet, ça ne sera plus le cas. Nous commençons à le voir dans de nombreuses productions. La lentille verte du Puy, concurrencée par une lentille canadienne pleine de glyphosate, l'illustre. Alors que 4 500 tonnes de lentilles vertes du Puy étaient produites il y a 10 ans, ce ne sont plus que 800 tonnes cette année. Par conséquent, tous ceux qui voudront manger une AOP de ce type de lentilles ne le pourront plus : si nous poursuivons cette trajectoire durant les deux prochaines années, la lentille verte du Puy disparaîtra complètement de la production française.

Enfin, concernant le coût de revient et les charges, Madame la Présidente, vous connaissez notre avis sur la loi Egalim 2 et le ruissellement attendu. Ce dernier n'est pas encore arrivé et nous espérons encore le voir se réaliser.

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, à la suite du rejet de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, les avis budgétaires portant sur les missions de la seconde partie du PLF sont devenus sans objet et ne seront pas discutés en séance publique.

Notre commission avait décidé de réserver son vote et de surseoir à se prononcer lors de la présentation des rapports pour avis successifs. Afin de tirer les conséquences de ce choix, il nous revient désormais d'autoriser formellement la publication sous forme de rapports d'information des différents tomes correspondant aux missions budgétaires relevant de notre commission.

Il n'y a pas d'opposition ?

Je vous remercie.

La commission des affaires économiques autorise la publication de ces rapports d'information.

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