N° 67
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) relatif au déplacement de la délégation de la commission au Congrès de l' Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) les 9 et 10 septembre 2021 ,
Par M. Guillaume CHEVROLLIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .
L'ESSENTIEL
Organisé tous les quatre ans par l' Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le Congrès mondial de la nature, consacré à la biodiversité et aux solutions pour la préserver et la reconquérir , a été l'un des événements marquants de l'année 2021 qu'il ne fallait pas manquer.
Pour la première fois depuis la tenue de l'Assemblée générale fondatrice de l'UICN, le 5 octobre 1948 à Fontainebleau, c'est en France, à Marseille, que se sont réunis plus de 9 200 congressistes 1 ( * ) du 3 au 11 septembre 2021. De manière inédite, le grand public a été associé à ce congrès 2 ( * ) , avec plus de 25 000 visiteurs au sein des « Espaces génération nature » et des différents halls d'exposition et de sensibilisation aux enjeux de la biodiversité.
Les sept thèmes principaux - paysages, eau douce, océans, changement climatique, droits et gouvernance, savoir et innovation ainsi que technologie et systèmes économiques et financiers - à l'ordre du jour de ce congrès , reporté deux fois du fait de l'épidémie de Covid-19, méritaient toute l'attention de la commission.
Une délégation de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, conduite par Guillaume Chevrollier, vice-président de la commission 3 ( * ) , s'est donc rendue à Marseille les 9 et 10 septembre 2021 pour nourrir la réflexion sur l'un des sujets environnementaux les plus préoccupants à l'échelle mondiale pour l'ensemble des générations : l'état de la nature et des ressources naturelles dans le monde actuel .
I. L'ADOPTION DE MOTIONS AMBITIEUSES ET D'UN MANIFESTE LUCIDE QUI RAPPELLENT L'URGENCE À AGIR AVANT LES COP15 ET 26
À Marseille, la délégation de la commission a constaté la forte mobilisation de nombreux acteurs de terrain pour agir vite en faveur de la biodiversité et de sa préservation . Force est de constater que la société civile, représentée au congrès par un grand nombre d'associations, avec le concours de scientifiques et de bénévoles, est aujourd'hui pleinement engagée dans la recherche de solutions pour réduire l'empreinte de l'homme sur les milieux, mieux coordonner les actions locales et fédérer les décideurs autour de ces enjeux.
Bruno Oberle, directeur général de l'UICN, a souligné devant la délégation que « la prise de conscience de l'érosion de la biodiversité a pendant longtemps progressé plus lentement que la cause climatique en raison de son caractère silencieux et non spectaculaire ». Pendant plusieurs années, l'urgence climatique a constitué le principal point d'attention. L'érosion de la biodiversité est un phénomène qui s'appréhende encore avec difficulté, bien qu'il s'agisse d'un processus en cours depuis plusieurs années.
Le directeur de l'UICN, pour résumer la complexité de la situation actuelle, a comparé la biodiversité à un tissu, dont il est possible d'enlever plusieurs fils sans altérer la résistance du textile, jusqu'à ce qu'il finisse par se déchirer. Aujourd'hui, le caractère stratégique de la biodiversité et la nécessité de la préserver sont au coeur des débats. La prise de conscience du caractère gémellaire de la crise de la biodiversité et de celle du climat est de mieux en mieux ancrée dans le débat public. Le Président de la République l'a d'ailleurs mis en exergue dès l'ouverture du Congrès mondial pour la nature le 3 septembre dernier : « le climat, la nature et l'humanité sont inséparables » et « à chaque fois qu'on recrée de la biodiversité, on apporte une solution au dérèglement climatique. »
Les travaux de l'UICN menés depuis plus de 70 ans en matière de biodiversité ont indiscutablement permis des avancées. Les nombreuses études et la mise en commun des connaissances scientifiques ont contribué à la sensibilisation des décideurs politiques, du monde économique et de la société civile aux dangers de l'érosion de la biodiversité .
Aux côtés d'autres organisations internationales, l'UICN a forgé un vocabulaire commun et défini une grille d'analyse qui ont permis de diffuser largement les connaissances scientifiques sur les pertes de biodiversité à travers le monde. À cet égard, la liste rouge mondiale des espèces menacées établie par l'UICN et régulièrement mise à jour est un indicateur évocateur permettant de suivre l'évolution de la biodiversité et de faciliter son appréhension par le grand public.
Le 4 septembre 2021, l'UICN a publié la mise à jour de sa liste rouge mondiale des espèces menacées .
Sur les 138 374 espèces recensées, 38 543 sont menacées d'extinction, soit près de 28 % des espèces. Parmi ces espèces, 41 % des amphibiens, 14 % des oiseaux et 26 % des mammifères sont menacés d'extinction au niveau mondial. C'est également le cas pour 37 % des requins et raies, 33 % des coraux constructeurs de récifs et 34 % des conifères. Cette mise à jour ne comporte pas que de mauvaises nouvelles : quatre espèces de thons pêchées commercialement sont en bonne voie de rétablissement, du fait de l'application de quotas de pêche régionaux au cours de la dernière décennie. Pour le directeur général de l'UICN, il s'agit d'« un signe fort que, malgré les pressions croissantes sur nos océans, les espèces peuvent se rétablir si les États s'engagent vraiment à adopter des pratiques durables ».
La France est le seul territoire européen sur lequel on trouve quatre zones biogéographiques différentes sur les cinq présentes sur le continent (méditerranéenne, continentale, alpine et atlantique) : grâce à sa biodiversité ultramarine et ses espèces endémiques, la France fait partie du club très fermé des pays dits « mégadivers ». Dans le même temps, la France figure parmi les 10 pays hébergeant le plus grand nombre d'espèces menacées : au total, 1 742 espèces menacées au niveau mondial sont présentes sur son territoire, en métropole et en outre-mer.
Pour Bruno Oberle, changer les modes de vie est nécessaire pour faire cesser le déclin de la diversité biologique à condition :
- que les changements soient « rapides, forts et drastiques » et de s'appuyer sur des réformes systémiques ;
- de s'inscrire dans un cadre multilatéral et coopératif, les espèces ne connaissant pas les frontières.
Le manifeste de Marseille adopté à l'issue des travaux du congrès mondial de la nature souligne d'ailleurs que « notre fenêtre de tir pour réagir à ces urgences interdépendantes et partager équitablement les ressources de notre planète se réduit très vite. »
Entretien de la délégation sénatoriale
avec Bruno Oberle, directeur exécutif de l'UICN
(Congrès de
Marseille 9 septembre 2021)
Les entretiens menés par la délégation à Marseille ont mis en lumière :
- qu'un changement de paradigme en faveur de la transition écologique était en cours ;
- que le développement durable , dans sa triple dimension économique, sociale et environnementale, était un cadre conceptuel appréhendé par un nombre croissant de décideurs et d'acteurs économiques .
Le contexte de crise sanitaire a joué un rôle positif dans la prise de conscience du lien étroit entre humains et nature et de la nécessité de préserver la biodiversité pour améliorer la résilience des sociétés.
A. L'ADOPTION DE MOTIONS DANS LA CONTINUITÉ DES TRAVAUX DE LA COMMISSION, QUI NÉCESSITENT UNE MISE EN oeUVRE RAPIDE
Le Congrès mondial de la nature est un espace de débat vivant ainsi qu'en témoignent les nombreuses motions 4 ( * ) qui contribuent à alimenter la réflexion et les travaux de l'UICN. Les différents congrès lui ont conféré une expertise incontestée dans ce domaine : son rôle de chef de file mondial en matière de lutte contre la perte de biodiversité est aujourd'hui reconnu par un grand nombre d'États et d'organisations non gouvernementales.
Entre 1948 et la tenue du congrès de Marseille en septembre 2021, 1 305 résolutions ont été adoptées.
Organisation et gouvernance de l'UICN
L'UICN, union de membres composée de gouvernements et d'organisations de la société civile, compte plus de 1 400 organisations membres et 18 000 experts. C'est l'une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à l'état du monde naturel et de promotion des mesures nécessaires afin de le sauvegarder.
Le Conseil est le principal organe directeur entre les réunions du congrès mondial de la nature. Les 1 400 membres de l'UICN répartis dans plus de 170 pays élisent les présidents des commissions et les représentants régionaux des organisations membres pour un mandat de quatre ans au Conseil. À l'issue du congrès, l'émiratie Razan Khalifa Al Mubarak est devenue présidente de l'UICN, en remplacement du chinois Zhang Xinsheng.
L'UICN comprend six commissions thématiques, qui prennent la forme de réseaux de scientifiques et d'experts, afin de nourrir les analyses de l'UICN et l'aider à mener à bien ses travaux : commission de l'éducation et de la communication, commission sur la gestion des écosystèmes, commission des politiques environnementales, économiques et sociales, commission pour la sauvegarde des espèces, commission mondiale du droit de l'environnement et commission mondiale des aires protégées.
Le secrétariat de l'UICN travaille avec les organisations membres et les commissions pour diffuser les travaux des membres de l'UICN. Réparti dans onze régions opérationnelles, il emploie environ 900 personnes et porte des projets dans plus de 160 pays.
Le Congrès mondial de la nature de l'UICN est l'événement où les acteurs se réunissent tous les quatre ans pour fixer les priorités et guider les actions de conservation en entérinant des recommandations. Il comprend trois composantes principales : l' assemblée des membres , lors de laquelle les membres de l'UICN votent les actions prioritaires, le forum , un espace mondial dédié à l'innovation et à la science de la conservation, et l' exposition , où les exposants présentent leurs travaux aux congressistes et au public. D'après l'article 18 du statut de l'UICN, le Congrès mondial est l'organe suprême de l'UICN. Les comités nationaux et régionaux , reconnus par le Conseil, peuvent en outre adopter et poursuivre leurs propres politiques dans la mesure où elles sont conformes aux politiques et objectifs de l'UICN.
Les huit régions de l'UICN sont les suivantes : Afrique ; Méso-Amérique et Amérique du Sud ; Amérique du Nord et Caraïbes ; Asie du Sud et de l'Est ; Asie de l'Ouest ; Océanie ; Europe de l'Est, Asie du Nord et Asie centrale ; Europe de l'Ouest.
En amont du congrès, en octobre 2020, 109 motions ont été adoptées par voie électronique sur des thématiques structurées autour de trois grands axes : la protection d'espèces en voie de disparition ou d'écosystèmes menacés, la promotion de politiques de protection de la biodiversité et la conception d'actions plus volontaristes pour lutter contre les pressions anthropiques exercées sur la nature.
Au cours du congrès, 28 motions dites « nouvelles et urgentes » ont été approuvées. Une motion est dite nouvelle quand « la question qui fait l'objet de la motion vient d'apparaître, ou a connu des évolutions après la clôture du délai de soumission des motions et que cette question, à ce moment, ne pouvait pas être envisagée ». Pour être considérée comme urgente , la question soulevée doit être « d'une importance telle qu'elle requiert une réponse immédiate de l'Union sous forme d'une résolution ou recommandation. »
Dans la continuité des travaux de la commission, la délégation sénatoriale se félicite de l'adoption de motions qui mettent l'accent sur la protection des écosystèmes , l'amélioration des connaissances et l'indispensable suivi des politiques en faveur de la biodiversité.
Certaines motions votées à Marseille méritent plus particulièrement d'être mises en avant :
- la motion 34 dont la commission partage les objectifs parce qu'elle promeut des solutions intégrées pour faire face au changement climatique et aux crises qui frappent la biodiversité et invite notamment « les gouvernements et les donateurs à soutenir la recherche sur les interactions entre le climat et la biodiversité, en particulier sur les synergies nécessaires et les compromis possibles, afin de proposer des réponses appropriées pour soutenir les ambitions en matière d'écologie ».
- la motion 40 adoptée à la quasi-unanimité des États 5 ( * ) qui vise à élaborer et appliquer un cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020 transformateur et efficace , qui exhorte les gouvernements à « donner la priorité, au plus haut niveau politique, à la lutte urgente contre la dégradation de la nature et l'érosion de la biodiversité » et à faire en sorte qu'« au moins 30 % de toutes les zones terrestres et eaux intérieures et des zones côtières et marines, respectivement, soient efficacement et équitablement gouvernées, protégées et conservées, en se focalisant sur les sites d'importance particulière pour la biodiversité ».
L'examen de la loi « Climat et résilience » 6 ( * ) a été l'occasion pour la commission d'exprimer les mêmes préoccupations en faveur de la préservation des écosystèmes, notamment au travers des amendements consacrés à la protection judiciaire de l'environnement au titre VII de la loi. La commission estime indispensable d'engager une réflexion d'ensemble pour la mise en oeuvre de l'objectif porté par la motion de « prendre les mesures nécessaires pour éliminer, rediriger, redéfinir ou réformer les subventions et autres incitations identifiées comme potentiellement néfastes pour l'environnement d'ici 2030 ».
- la motion 21 de planification des espaces maritimes et conservation de la biodiversité et de la géodiversité par les États, dans le cadre d'une « démarche prospective de planification de leurs espaces maritimes garante de la préservation et de la protection à long terme des écosystèmes marins et littoraux et du maintien ou de la restauration de leur connectivité naturelle » ; cette initiative s'inscrit dans la continuité de la stratégie nationale des espaces protégés et des amendements de la commission adoptés dans la loi « Climat et résilience » visant à associer les collectivités territoriales et atteindre une superficie d'au moins 10 % de l'ensemble du territoire national sous protection forte.
D'autres motions de progrès peuvent également être citées : la motion 67 afin de réduire les impacts de l'industrie minière sur la biodiversité , la motion 84 qui encourage les États à agir pour réduire la pollution lumineuse , la motion 118 visant à renforcer la protection des mammifères marins par la coopération régionale et la motion 125 afin de renforcer la protection des forêts primaires et vieilles forêts en Europe posent des jalons et mettent l'accent sur des politiques à fort impact environnemental.
L'adoption de ces textes peut laisser espérer la définition d'une feuille de route , avec l'inscription à l'ordre du jour de l'agenda international de propositions que la coopération multilatérale rendra plus efficaces, par le biais d'effets multiplicateurs et de synergies.
Il reviendra aux États et à leurs parlements de transcrire ces résolutions dans leur droit interne, en nouant des partenariats régionaux.
* 1 Dont 5 700 présents au parc Chanot et 3 500 à distance.
* 2 Les derniers congrès mondiaux de la nature ont eu lieu à Hawaï (États-Unis, 2016), Jeju, (République de Corée, 2012), Barcelone (Espagne, 2008), Bangkok (Thaïlande, 2004), Amman (Jordanie, 2000), Montréal (Canada, 1996).
* 3 Cette délégation était composée de MM. Guillaume Chevrollier, Jean Bacci, Ronan Dantec, Mme Nassimah Dindar, M. Frédéric Marchand, Mmes Laurence Muller-Bronn et Angèle Préville.
* 4 Les motions sont un instrument par lequel les membres de l'UICN influencent des tierces parties, guident la politique et le programme de l'UICN. Une fois adoptées, elles deviennent des résolutions ou des recommandations.
* 5 98 % des voix.
* 6 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.