B. L'INTROUVABLE ACCORD EUROPÉEN SUR LA RÉFORME DU DROIT D'ASILE

1. Des fractures sont apparues au sujet des relocalisations de demandeurs d'asile

L'Union européenne a d'abord recherché des solutions en urgence pour diminuer la pression migratoire sur ces États et coordonner l'enregistrement et l'accueil des demandeurs d'asile.

D'une part, elle décida l'ouverture des « hotspots », déjà évoqués, et désormais définis comme des centres fermés, afin d'aider les États de première entrée à « fixer » les flux de migrants débarquant sur leurs côtes.

D'autre part, par dérogation « temporaire » au règlement « Dublin III », la Commission européenne, les 14 et 22  septembre 2015, proposa au Conseil de mettre en place un système de relocalisation sur deux ans d'une partie des demandeurs d'asile (160 000) arrivés en Grèce et en Italie.

Cette proposition avait le soutien des États membres « de première entrée », soucieux d'une meilleure solidarité européenne, et de ceux devenus les destinations finales des demandeurs d'asile (Allemagne ; Autriche ; Suède...).

En revanche, le caractère obligatoire du système, imposant à chaque État membre de « prendre sa part » dans l'accueil des demandeurs d'asile en fonction d'une clé de répartition fondée des critères objectifs et quantifiables 15 ( * ) , et le souhait de la Commission de le transformer en mécanisme permanent (dans le « paquet asile » 16 ( * ) ), suscitèrent une vive opposition de la part de certains États membres. Ces États (Hongrie ; Pologne ; Slovaquie ; République tchèque) défendaient le principe d'une participation au mécanisme de relocalisation sur une base volontaire.

Pour contester ce mécanisme de relocalisation, la Hongrie et la Slovaquie introduisirent un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui le rejeta 17 ( * ) (la Cour reconnaissant alors le caractère obligatoire du principe de solidarité au sein des politiques migratoires de l'Union européenne). Mais était-il raisonnable de vouloir obliger des pays à instruire des demandes d'asile s'ils n'étaient pas en mesure de le faire dans des conditions respectueuses de la Convention de Genève ?

Ainsi, malgré son adoption (sur la base de l'article 78 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) 18 ( * ) ), la mise en oeuvre effective de ce mécanisme, techniquement difficile, n'a pas obtenu les résultats escomptés (seules 33 846 personnes ont été relocalisées).

2. L'échec des négociations sur le « paquet asile »

Au printemps et à l'été 2016, la Commission européenne a tenté de convaincre les États membres d'adopter une réforme pérenne et globale du cadre européen de l'asile, qui devait tirer les leçons de la crise de 2015.

En pratique, cette réforme comprenait plusieurs propositions législatives (six règlements et une directive) essayant de concilier solidarité et efficacité, par :

- l'actualisation des règles de détermination de la responsabilité des États membres dans l'accueil des demandeurs d'asile avec un mécanisme correcteur en cas de crise migratoire, dans lequel la nouvelle agence de l'Union européenne pour l'asile (à créer par un règlement distinct 19 ( * ) ) devait déterminer si un État membre traitait un nombre disproportionné de demandes d'asile au regard, d'une part, du nombre total de demandes déposées dans l'Union européenne et, d'autre part, d'une clé de répartition prenant en compte son PIB et sa démographie. Dans l'hypothèse où ce nombre de demandes dépassait 150 % de la part revenant à l'État membre concerné, les nouveaux demandeurs devaient être répartis entre les autres États membres (proposition de règlement dite « Dublin IV » 20 ( * ) ) ;

- l'extension des droits des demandeurs d'asile (renforcement de leur information sur leurs droits ; garantie d'accès à une assistance juridique gratuite...) et l'amélioration de leurs conditions d'accueil dans l'État membre responsable ; ouverture d'une voie légale et sûre par la mise en oeuvre d'un cadre permanent de réinstallation au profit de réfugiés ou demandeurs d'asile depuis des pays tiers (propositions de règlements « Procédures » 21 ( * ) , « Qualifications » 22 ( * ) et « Cadre de réinstallation » 23 ( * ) ; et proposition de refonte de la directive « Accueil » 24 ( * ) ) ;

- l'accélération de la procédure d'asile et la lutte accrue contre les mouvements secondaires des demandeurs d'asile : irrecevabilité de principe des ressortissants de pays tiers définis comme « sûrs » ; lutte contre les mouvements secondaires par l'élargissement des preuves relevées sur de la base de données Eurodac et par la définition d'obligations à respecter par le demandeur d'asile, sous peine de sanctions... (propositions de règlements « Procédures », Eurodac 25 ( * ) et définissant une liste européenne commune de « pays d'origine sûrs »).

Malgré de longues négociations et des compromis partiels, les États membres n'ont pu adopter cette réforme . Dès l'automne 2016, la proposition de règlement qui définissait une liste européenne de pays d'origine sûrs 26 ( * ) a été retirée par la Commission, en raison des positions antagonistes du Conseil et du Parlement européen.

Cependant, l'Union européenne parvenait à prendre les décisions nécessaires au renforcement de la surveillance de ses frontières extérieures (voir I,C,2).

Le mécanisme correcteur pour la répartition de l'accueil des demandeurs d'asile a suscité les mêmes oppositions que le dispositif de relocalisation avant lui et, en pratique, entre 2018 et septembre 2020, les discussions sur la réforme du règlement « Dublin III » ont cessé.

À l'automne 2018, dans un ultime effort, la Commission Juncker a voulu faire adopter les propositions les plus consensuelles du « paquet asile » .

L'opposition de principe formulée par le Parlement européen mais également par les États membres de première entrée et par les États membres du « groupe de Visegrad », attachés à l'adoption du « paquet » dans son ensemble, a mis fin à cette tentative .

Néanmoins, le dialogue politique n'a jamais totalement été rompu entre les États membres et les institutions européennes, et quelques avancées, timides et parfois controversées, ont pu être enregistrées.


* 15 Démographie (pour 40%) ; PIB (pour 40%) ; nombre moyen de demandes d'asile antérieures (pour 10%) ; taux de chômage (pour 10%).

* 16 Voir c) ci-dessous.

* 17 CJUE 6 septembre 2017, aff.C-643/15 et C-647/15, République slovaque et Hongrie (soutenues par République de Pologne) c/Conseil de l'Union européenne.

* 18 « Au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d'urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen. »

* 19 Proposition de règlement COM(2016)0271 final.

* 20 Proposition de règlement COM(2016) 0270 final.

* 21 Proposition de règlement COM(2016)0467 final.

* 22 Proposition de règlement COM(2016)0466 final.

* 23 Proposition de règlement COM(2016)0468 final.

* 24 Proposition de directive COM(2016)0465 final.

* 25 Proposition de règlement COM(2016)0272 final.

* 26 Une telle liste existant déjà en droit français (article L.531-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

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