D. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'ACCOMPAGNEMENT FINANCIER VERS L'AUTONOMIE
L'annonce le 12 juillet dernier, par le Président de la République, de la mise en place d'un revenu d'engagement témoigne d'une prise de conscience de l'insuffisance des dispositifs actuels de soutien financier aux jeunes les plus en difficulté.
Au cours de ses travaux, la mission a constaté que cette extension de la Garantie jeunes n'épuisait pas le débat sur l'instauration d'un revenu garanti pour tous les jeunes, même si les formes que pourrait prendre ce dernier comme son principe même ne font pas consensus.
1. L'extension de la Garantie jeunes
Le 12 juillet dernier, le Président de la République annonçait vouloir présenter à la rentrée « le revenu d'engagement pour les jeunes, qui concernera les jeunes sans emploi ou formation et sera fondé sur une logique de devoirs et de droits ».
Cette annonce fait suite à la réflexion lancée depuis plusieurs mois par le Gouvernement sur l'universalisation de la Garantie jeunes.
Au moment où est rédigé le présent rapport, les contours précis de ce revenu d'engagement ne sont pas connus, si ce n'est qu'il serait, comme la Garantie jeunes, subordonné à un parcours d'accompagnement vers l'emploi et qu'il pourrait bénéficier à des jeunes exerçant des emplois occasionnels.
Ce chantier suppose de trouver un juste équilibre entre la conservation des dispositifs ciblés et spécifiques qui existent aujourd'hui et leur nécessaire mise en cohérence.
Il semble évident que le revenu d'engagement ne peut consister à étendre le dispositif actuel à l'ensemble des jeunes Neet . Cela tarirait les recrutements des autres dispositifs (E2C, Épide, SMV...) sans apporter une réponse satisfaisante aux jeunes auxquels ces dispositifs s'adressent.
Pour autant, il est nécessaire que cette réforme bénéficie aux jeunes les plus en difficulté de manière plus homogène que ne le fait la Garantie jeunes en raison du contingentement de celle-ci, de critères parfois restrictifs ou du fait que les jeunes concernés ne sont pas pris en compte par la mission locale. Cette réforme doit également apporter une vraie plus-value qualitative, grâce à un accompagnement de qualité, et ne pas se limiter à un affichage quantitatif.
Les propositions du COJ pour une Garantie jeunes universelle
À la demande de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, le conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) a publié en octobre 2020 un avis sur l'évolution de la Garantie jeunes, dans le cadre des réflexions sur sa généralisation.
Le COJ considère notamment que la Garantie jeunes est un dispositif qui atteint aujourd'hui son public-cible et salue le doublement de l'objectif d'accueil en Garantie jeunes prévu en 2021 grâce aux crédits du plan « 1 jeune 1 solution ». Il recommande néanmoins d'aller plus loin.
Selon le COJ, la Garantie jeunes doit devenir non plus un dispositif ciblé mais un véritable droit pour tous les jeunes rencontrant des difficultés d'insertion .
Il formule pour cela plusieurs propositions. Pour le COJ, il est nécessaire d' assouplir un certain nombre de règles d'éligibilité qui excluent de fait une partie des jeunes du dispositif, en matière de ressources, de rattachement au foyer parental ou de statut. Plus largement, le COJ recommande de ne plus réserver la Garantie jeunes aux seuls Neet afin d' inclure les jeunes qui exercent des activités occasionnelles ou alimentaires ou qui suivent des formations .
Le COJ propose en outre d'abandonner le principe de « l'emploi d'abord », afin d'adapter davantage les parcours aux besoins spécifiques des jeunes, et de supprimer toute limitation de la durée de l'accompagnement.
Enfin, le COJ recommande d'améliorer l'articulation entre la Garantie jeunes et les autres dispositifs en faveur de l'insertion, notamment en harmonisant le montant des différentes allocations sur celui du RSA.
2. Le débat sur un revenu garanti pour les jeunes
La question des ressources dont bénéficient les jeunes pour vivre, et pas uniquement les plus éloignés de l'emploi, prend dans le débat public une place croissante, qui a été rendue plus aigüe encore avec la crise sanitaire. Cette question est liée à d'autres problématiques (logement, mobilité) qui se cumulent et se renforcent mutuellement pour accentuer les freins à l'insertion.
Le modèle français considère traditionnellement que c'est à la solidarité familiale de prendre en charge les besoins financiers des jeunes jusqu'à leur insertion dans un emploi stable. Indépendamment des bourses étudiantes et des aides au logement, qui ont au demeurant été réformées dans un sens défavorable aux jeunes 225 ( * ) , le seul dispositif de soutien est actuellement la Garantie jeunes.
Or, cette conception, qui explique par exemple le maintien d'une condition d'âge fixée à 25 ans pour bénéficier du RSA, peut paraître dépassée.
Les mécanismes de reproduction des inégalités sociales mis en lumière par le présent rapport font que les jeunes qui ont le plus de difficultés d'insertion sont également en général ceux dont les familles sont le moins à même de les soutenir financièrement .
L'allongement de la durée des études reporte en effet l'entrée sur le marché du travail et de nombreuses familles ne sont pas en mesure d'assumer la charge financière que représente un étudiant. Si des systèmes de bourses existent, la précarité financière des étudiants peut nuire - voire faire obstacle - à la poursuite d'études dans de bonnes conditions et donc contribuer à la reproduction sociale.
Enfin, l'idée selon laquelle des jeunes majeurs doivent dépendre de leur famille, avec laquelle ils peuvent être en rupture, peut être remise en question.
L'instauration d'un revenu de subsistance destiné à l'ensemble des jeunes, au-delà des dispositifs destinés aux jeunes sans emploi, a été abordée à de multiples reprises au cours des travaux de la mission d'information. Une large partie des organisations auditionnées s'est prononcée en ce sens. Une proposition de loi débattue au Sénat il y a quelques mois en séance publique 226 ( * ) a ouvert le débat sur ce sujet que la mission d'information n'a pas tranché, d'autres instances du Sénat étant par ailleurs saisies de la situation des étudiants 227 ( * ) et sur la problématique de la pauvreté et des minima sociaux 228 ( * ) .
De nombreuses solutions ont en effet été proposées, de l'abaissement à 18 ans de la condition d'âge pour bénéficier du RSA à la mise en place d'un revenu universel inconditionnel. Toutes doivent prendre en compte les enjeux budgétaires que représenteraient l'attribution d'une allocation à tout ou partie de la population des « jeunes » 229 ( * ) mais aussi des potentiels effets de l'attribution d'une telle allocation sur les comportements des intéressés.
Nombre d'interlocuteurs de la mission d'information ont néanmoins souligné combien la précarité de nombreux jeunes entravait leur capacité à s'engager dans une démarche d'insertion , alors qu'un minimum jeunesse leur permettrait de se projeter au-delà de dispositifs relevant de la survie.
La mission d'information a également constatée que l'idée qu'il est nécessaire de faire évoluer la situation actuelle progresse.
Lors de son audition 230 ( * ) , M. Louis Schweitzer, président du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, a souligné que les études expérimentales menées dans des pays étrangers infirmaient plutôt l'existence d'un effet « désincitatif » d'un revenu minimum sur la recherche d'un emploi, une relative sécurité financière pouvant même, au contraire, placer le jeune dans une meilleure position pour rechercher un emploi.
Tout en souhaitant l'approfondissement des études à ce sujet, le comité d'évaluation, dans son rapport publié en mars 2021, a ainsi recommandé l' expérimentation d'un revenu de base en faveur des jeunes en étude, en emploi peu rémunéré ou en recherche d'emploi de 18 à 24 ans, tenant compte des ressources familiales. Ce revenu se substituerait, pour les étudiants, au système actuel des bourses d'enseignement supérieur et s'inspirerait de celui-ci en étant subordonné à des conditions de ressources familiales.
À titre personnel, la rapporteure est convaincue que les inégalités caractérisant l'accès des jeunes à l'autonomie, dont les origines sont le plus souvent bien antérieures à l'arrivée à l'âge adulte, ne pourront véritablement être réduites qu'en garantissant à tous, et notamment à ceux qui peuvent le moins compter sur le soutien parental, des ressources suffisantes, assorties d'un suivi leur assurant de meilleures chances d'insertion.
* 225 À la baisse générale de 5 euros par mois à compter du 1 er octobre 2017 s'ajoutent les effets de la révision du mode de calcul des aides personnelles au logement depuis le 1 er janvier 2021 qui a entraîné une diminution de celles-ci pour un grand nombre de jeunes, notamment les jeunes actifs à très faibles revenus, selon l'évaluation effectuée par l'Union nationale pour l'habitat des jeunes. Par un décret du 6 juin 2021, le Gouvernement a cependant étendu aux jeunes en contrat de professionnalisation à compter du 1 er septembre, le dispositif garantissant aux étudiants et apprentis le maintien du montant de leur allocation.
* 226 Proposition de loi n° 182 (2020-2021) relative aux droits nouveaux dès 18 ans de M. Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain rejetée par le Sénat le 20 janvier 2021.
* 227 Mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France.
* 228 Mission d'information sur l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français.
* 229 Au 1 er janvier 2021, selon l'Insee, la France comptait près de 8 millions de jeunes de 15 à 24 ans.
* 230 Audition de M. Louis Schweitzer, 26 mai 2021.