B. L'ACCORD GLOBAL D'INVESTISSEMENT ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA CHINE EN SUSPEND
1. La conclusion inattendue d'un accord en négociation depuis 7 ans
a) L'aboutissement de sept ans de négociation
Le 21 e sommet UE-Chine s'est tenu en avril 2019 dans la foulée de l'adoption de la nouvelle vision systémique de l'Union européenne ajoutant la dimension de rival systémique à sa relation avec la Chine. Lors de ce sommet, l'Europe a réaffirmé vouloir mettre en place une relation économique plus équilibrée avec la Chine, tout en approfondissant toujours plus le dialogue sur les questions mondiales et multilatérales, y compris la réforme de l'OMC.
Outre la déclaration commune prononcée à l'issue du sommet, d'autres résultats concrets ont été convenus au sommet. Il s'agit notamment d'un protocole d'accord sur un dialogue en ce qui concerne le contrôle des aides d'État et le système d'analyse de l'équité de la concurrence, d'un accord sur les termes du mandat pour le dialogue sur la politique de la concurrence entre l'UE et la Chine, d'une déclaration conjointe sur la mise en oeuvre de la coopération UE-Chine en matière d'énergie et d'un accord sur les modalités d'une étude conjointe visant à définir des corridors de transport durables axés sur le transport ferroviaire entre l'Europe et la Chine.
D'accord global sur les investissements il n'est alors pas question. Il n'en sera pas plus question lors du 22 ème sommet UE-Chine de juin 2020 155 ( * ) . Malgré la volonté d'afficher un rapprochement, les sujets de désaccord sont restés nombreux et, sans parvenir à aboutir à une déclaration commune, les parties ont souligné leurs préoccupations respectives :
- du côté chinois, sur le fait que la situation de Hong Kong relève des affaires internes de la Chine notamment,
- et du côté européen, sur la situation des droits de l'homme en Chine, les campagnes de désinformation et les cyberattaques menées depuis la Chine contre l'UE et sa gestion du coronavirus, et enfin, l'absence d'ambition chinoise sur la conclusion d'un accord global d'investissement avec l'Union. La négociation sur une protection réciproque des investissements n'avance pas et l'Union européenne disposer désormais de mesures contre les subventions étrangères pour protéger ses entreprises notamment de rachats en période de crise économique et pour garantir la libre concurrence.
b) La conjonction d'enjeux différents
La surprise fut donc l'annonce de la conclusion de cet accord en décembre 2020, après un sommet des dirigeants en septembre 2020 qui avait préparé ce résultat. Ces échanges en format restreint entre le président chinois Xi Jinping et les trois dirigeants européens, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, Charles Michel, président du Conseil européen et la chancelière allemande Angela Merkel, à la présidence tournante du Conseil, ont permis de faire aboutir cet accord, qui ne progressait guère depuis plusieurs années.
Ce dénouement inattendu a toutefois suscité des réactions :
- la coïncidence de plusieurs dates a été remarquée : l'administration Biden n'était pas encore installée, et la Chine souhaitait afficher son partenariat avec l'UE au plus haut niveau avant un éventuel rapprochement entre occidentaux (après les années de distension de l'alliance traditionnelle sous l'administration Trump). La présidence tournante allemande du Conseil touchait à son terme, et les industriels allemands, notamment dans le secteur automobile, exerçaient une pression très forte en faveur de la signature de cet accord d'investissement. Ceci était vrai des entreprises et plus largement des secteurs économiques de tous les États membres implantés en Chine, ou souhaitant accéder à cet immense marché chinois,
- vu comme un succès de la présidence allemande, il a ravivé chez certains pays membres de l'UE le sentiment d'être relégué au second plan, derrière le couple franco-allemand, alors même que l'Allemagne 156 ( * ) et la France font partie des pays qui manifestent le plus de réserve face au format 16+1.
2. Un accord global d'investissement UE-Chine au contenu diversement apprécié
Dans leur rapport sur les nouvelles routes de la soie précité, vos rapporteurs soutenaient la conclusion d'un accord d'investissement global UE-Chine (AGI) afin de remédier à l'asymétrie d'accès au marché entre la Chine et l'UE.
Recommandation présentée dans le rapport n° 520 : Soutenir l'action de l'Union européenne en vue d'obtenir un accord global sur les investissements, la réciprocité de l'ouverture du marché chinois, et un accord sur les indications géographiques, si importantes pour l'économie de nos territoires.
a) Succès ou compilation de mesures anciennes ?
L'accord global UE-Chine sur les investissements (AGI) est présenté par l'Union comme « le plus ambitieux jamais conclu par la Chine avec un pays tiers. Outre les règles contre les transferts de technologie forcés, l'AGI sera aussi le premier accord à mettre en place des obligations en matière de comportement des entreprises publiques, des règles globales de transparence concernant les subventions ainsi que des engagements en matière de développement durable » 157 ( * ) .
L'une des raisons pour lesquelles cet accord est présenté comme un succès est que du côté de l'Union, le marché étant déjà ouvert et faisant l'objet d'engagements importants pour les secteurs des services dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), les concessions ayant permis d'aboutir à la signature de l'accord viennent d'efforts consentis par la Chine. De plus, les éléments sensibles pour l'Union, par exemple dans les domaines de l'énergie, de l'agriculture, de la pêche, de l'audiovisuel ou des services publics, sont tous préservés dans l'AGI.
L'un des raisons pour lesquelles cet accord n'est pas considéré comme une grande avancée est que l'essentiel de son contenu revient à compiler les précédentes libéralisations des investissements consenties par la Chine ces 20 dernières années. L'UE s'estime ainsi prémunie contre toute remise en question ou retour en arrière de la partie chinoise, faisant peu de cas de l'exemple australien précédemment traité. L'AGI « empêche tout retour en arrière. En conséquence, les conditions d'accès au marché pour les entreprises de l'Union sont claires et indépendantes des politiques internes de la Chine. L'accord prévoit également un mécanisme de règlement des litiges auquel l'Union peut recourir si la Chine enfreint ses engagement » 158 ( * ) . La Chine a ainsi accepté un mécanisme d'exécution, c'est-à-dire de règlement des différends entre États, semblable au mécanisme habituellement inclus dans les accords commerciaux de l'UE. Il est précisé que ce mécanisme d'exécution est renforcé par un mécanisme de suivi au cours de la phase précontentieuse, au niveau politique, permettant de soulever les problèmes au fur et à mesure de leur apparition, au moyen, notamment, d'une procédure d'urgence.
L'iconographie suivante permet d'avoir une vision générale de l'AGI.
Source : Direction du commerce de la Commission
b) L'ouverture de nouveaux marchés aux investissements européens
Outre ces mécanismes, les avancées de l'AGI concerne l'ouverture de nouveaux marchés, l'amélioration des conditions de fonctionnement de la concurrence, l'intégration du développement durable dans cet accord commercial, conformément aux priorités communautaires, et enfin la ratification de conventions internationales de l'organisation internationale du travail (OIT).
L'UE a ainsi négocié de nouvelles ouvertures et de nouveaux engagements en matière d'accès aux marchés, tels que l'élimination des restrictions quantitatives, des plafonds de participation ou des exigences en matière de coentreprise dans un certain nombre de secteurs. Ce dernier point constitue sans doute l'avancée la plus importante, tant ses restrictions entravaient les activités des entreprises européennes en Chine. L'encadré suivant reproduit les exemples d'engagements consentis par la Chine en matière d'accès aux marchés. La clause de la « nation la plus favorisée » de l'OMC s'applique aux secteurs des services, mais ce n'est pas le cas du secteur manufacturier. Les avancées de l'AGI seraient donc accessibles à l'ensemble des pays membres de l'OMC, celles relatives au secteur manufacturier ne bénéficieraient qu'aux acteurs économiques européens.
Présentation par l'UE d'exemples d'engagements
de la Chine
en matière d'accès aux
marchés
159
(
*
)
Industrie manufacturière : La Chine a pris des engagements globaux avec des exclusions très limitées (en particulier dans les secteurs présentant une surcapacité importante), dont le niveau d'ambition est comparable à l'ouverture de l'Union. Environ la moitié des IDE de l'Union concernent le secteur manufacturier (par exemple, les équipements de transport et de télécommunication, les produits chimiques, les équipements médicaux, etc.). La Chine n'a pris des engagements aussi ambitieux en matière d'accès aux marchés avec aucun autre partenaire.
Secteur automobile : La Chine a accepté de supprimer et d'éliminer progressivement les exigences en matière de coentreprise. La Chine s'engagera à ouvrir son marché aux véhicules à nouvelles énergies.
Services financiers : La Chine, qui avait déjà commencé à libéraliser progressivement le secteur des services financiers, accordera et s'engagera à maintenir cette ouverture aux investisseurs de l'Union. Les exigences en matière de coentreprise et les plafonds de participation étrangère ont été supprimés pour les opérations bancaires, pour la négociation de valeurs mobilières et d'assurances (y compris la réassurance) ainsi que pour la gestion d'actifs.
Santé (hôpitaux privés) : La Chine offrira un nouvel accès au marché en supprimant les exigences en matière de coentreprise pour les hôpitaux privés dans les principales villes chinoises, dont Beijing, Shanghai, Tianjin, Guangzhou et Shenzhen.
R&D (ressources biologiques) : La Chine ne s'était jamais engagée à ouvrir son marché aux investissements étrangers en R&D dans les ressources biologiques. Elle a accepté de ne pas introduire de nouvelles restrictions et d'accorder à l'Union toute levée des restrictions actuelles dans ce domaine qui pourrait se produire à l'avenir.
Services de télécommunications/en nuage : La Chine a accepté de lever l'interdiction d'investissement dans les services en nuage. Ceux-ci seront désormais ouverts aux investisseurs de l'Union jusqu'à une participation maximale de 50 %.
Services informatiques : La Chine a accepté de s'engager à donner accès au marché des services informatiques, ce qui représente une amélioration importante par rapport à la situation actuelle. De plus, elle inclura une clause de « neutralité technologique », qui garantira que les plafonds de participation imposés aux services de télécommunications à valeur ajoutée ne s'appliqueront pas à d'autres services tels que les services financiers, logistiques, médicaux, etc., s'ils sont proposés en ligne.
Transport maritime international : La Chine autorisera les investissements dans les activités auxiliaires terrestres pertinentes, ce qui permettra aux entreprises de l'Union d'investir sans restriction dans la manutention du fret, les dépôts et gares de conteneurs, les agences maritimes, etc. Les entreprises de l'Union pourront ainsi organiser une gamme complète de transports multimodaux de porte à porte, y compris le tronçon intérieur du transport maritime international.
Services liés au transport aérien : Bien que l'AGI ne traite pas des droits de trafic parce que ceux-ci font l'objet d'accords aériens distincts, la Chine s'ouvrira dans les domaines clés que sont les systèmes informatiques de réservation, l'assistance en escale et les services de vente et de commercialisation. La Chine a également supprimé son exigence de capital minimal pour la location et le leasing d'aéronefs sans équipage, allant ainsi au-delà de l'AGCS.
Services aux entreprises : La Chine éliminera les exigences en matière de coentreprise dans les services immobiliers, les services de location et de leasing, les services de réparation et d'entretien pour les transports, la publicité, les études de marché, les services de conseil en gestion et de traduction, etc.
Services environnementaux : La Chine supprimera les exigences en matière de coentreprise dans des services environnementaux tels que la gestion des eaux usées, la réduction du bruit, l'élimination des déchets solides, le nettoyage des gaz d'échappement, la protection de la nature et du paysage, l'assainissement et d'autres encore.
Services de construction : La Chine éliminera les limites de projet faisant actuellement l'objet de réserves dans ses engagements au titre de l'AGCS.
Salariés des investisseurs de l'Union : Les dirigeants et les experts des entreprises de l'Union seront autorisés à travailler jusqu'à trois ans dans des filiales chinoises, sans restrictions comme des quotas ou des priorités pour la main-d'oeuvre nationale. Les représentants des investisseurs de l'Union seront autorisés à se rendre librement sur place avant d'effectuer un investissement.
Les ouvertures du marché chinois qui ne reprennent pas des accords passés concernent en particulier le domaine de la santé, et l'automobile électrique, mais dans une approche très encadrée et qui pourrait de fait se limiter en pratique aux groupes déjà présent en Chine et les services de consultance. Les ouvertures du marché européen sont limitées à la distribution en gros et en détail de l'énergie, à l'exclusion des réseaux et de la production d'énergie et a souhaité protéger ses secteurs sensibles 160 ( * ) .
c) L'amélioration des conditions de concurrence
Les efforts en la matière visaient à améliorer les conditions de concurrence et à rendre les investissements plus équitables, notamment lorsqu'ils sont réalisés par les entreprises publiques chinoises. L'AGI cherche à discipliner le comportement de ces entreprises publiques en les obligeant à « agir conformément à des considérations commerciales » 161 ( * ) et en leur interdisant toute discrimination dans leurs achats et ventes de biens ou de services. La Chine s'engage à fournir, sur demande, des informations spécifiques permettant justement d'évaluer si le comportement d'une entreprise donnée est conforme aux obligations convenues au titre de l'AGI. Dans le cas contraire, les mécanismes de règlement des conflits précédemment évoqués pourront être mis en oeuvre.
Sur ce second pilier de l'AGI, plusieurs experts notent que les concessions importantes faites par la Chine répondent aux attentes de l'UE, mais restent assez vagues et devront faire l'objet d'un suivi pour s'assurer de la réalité de leur mise en oeuvre. En revanche, la définition « d'entreprise chinoise publique » est large, ce qui peut être considéré comme un réel succès.
L'AGI comble également une lacune importante dans les règles de l'OMC en imposant des obligations de transparence aux subventions consenties dans les secteurs des services. La Chine devra ainsi participer à des consultations avec l'UE afin de fournir des informations supplémentaires sur les subventions susceptibles d'avoir des effets négatifs sur les intérêts de l'Union en matière d'investissement. L'AGI prévoit que la délivrance d'informations ne suffira pas, la Chine est également tenue de participer à des consultations pour tenter de remédier aux effets négatifs de subventions dans les secteurs des services.
Enfin, l'AGI prévoit d'importants progrès pour mettre un terme tant aux transferts de technologie forcés qu'à l'opacité en termes de normes et d'autorisations opposées aux entreprises européennes tentant d'accéder au marché chinois. La Chine doit s'engager à respecter les règles de l'OMC sur l'interdiction de transfert forcé de technologie, définies par l'accord TRIPS - Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights sur la propriété intellectuelle. L'AGI interdit :
- toute obligation de transférer des technologies au partenaire d'une coentreprise,
- et toute atteinte à la liberté contractuelle en matière d'octroi de licences de technologie,
- mais aussi toute divulgation non autorisée les informations commerciales confidentielles collectées par les organes administratifs, par exemple aux fins de la certification d'un bien ou d'un service. Ces disciplines vont au-delà des disciplines de l'OMC en la matière.
Enfin, l'AGI répond à d'autres demandes anciennes de l'industrie de l'Union sur l'égal accès accordé aux organismes de normalisation. Il vise la transparence, la prévisibilité et l'équité des autorisations. L'AGI comprendra des règles de transparence concernant les mesures réglementaires et administratives visant à renforcer la prévisibilité et la sécurité juridique, et concernant l'équité procédurale et le droit à un contrôle juridictionnel, y compris dans les affaires de concurrence. Sur ce point, aucune sanction ni mécanisme contraignant n'est prévu par l'AGI.
d) L'intégration du développement durable dans l'accord d'investissement
Conformément aux engagements de l'UE en faveur de l'environnement, désormais les accords commerciaux qu'elle conclue doivent intégrer des objectifs de développement durable : « contrairement à d'autres accords conclus par la Chine, l'AGI engage les parties dans une relation d'investissement fondée sur des valeurs, s'appuyant sur les principes du développement durable » 162 ( * ) . Selon l'accord la Chine s'engage, « dans les domaines du travail et de l'environnement, à ne pas abaisser les normes de protection pour attirer les investissements, à ne pas utiliser les normes en matière de travail et d'environnement à des fins protectionnistes, ainsi qu'à respecter les obligations internationales qui lui incombent en vertu des traités. La Chine soutiendra l'adoption, par ses entreprises, des principes de la responsabilité sociale des entreprises. (...) l'AGI comporte également des engagements en matière d'environnement et de climat, y compris la mise en oeuvre effective de l'accord de Paris sur le climat » 163 ( * ) .
Le mécanisme de règlement des différends prévu pour les ouvertures de marchés ne s'applique pas aux engagements pris en matière de développement durable. Il n'est prévu qu'un arbitrage amiable, sans sanctions, dans le cadre d'une réunion annuelle de haut niveau politique. Le niveau de dialogue prévu par l'AGI peut être vu comme une victoire statutaire, mais ses effets pratiques réels seront à vérifier.
3. La décision du Parlement européen de geler la procédure de ratification de l'accord global d'investissement
a) La question du travail forcé au Xinjiang
Aux termes de l'AGI, la Chine s'engageait également à « oeuvrer en faveur de la ratification » des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) en suspens et notamment les deux conventions fondamentales de l'OIT sur le travail forcé qu'elle n'a pas encore ratifiées. De nombreux commentateurs ont noté le caractère extrêmement peu contraignant de l'AGI : un « engagement à oeuvrer en faveur de la ratification » souligne la distance qui reste à parcourir avant la ratification elle-même.
Alors que l'Union annonçait la signature de l'AGI, les États-Unis accusait Pékin de mener une campagne de répression contre les Ouïghours, les Kazakhs et les membres d'autres groupes minoritaires musulmans. En conséquence l'administration Biden a placé plus d'une dizaine de sociétés chinoises sur sa liste noire sur le commerce, interdit l'importation de matériaux pour panneaux solaires fabriqués par une société chinoise, l'importation de produits capillaires, de coton, de pièces informatiques ou de textile fabriqués par des entreprises du Xinjiang.
Selon François Godement 164 ( * ) : « Il s'agit en réalité du pire moment, d'un point de vue géopolitique, pour conclure un accord avec la Chine en invoquant des valeurs que l'Europe défendrait dans ce texte, puisque la Chine n'a jamais été autant à rebours de ces valeurs : enfermement et travail forcé dans le Xinjiang, violation claire du traité international organisant depuis 1997 l'autonomie de Hong Kong - et transformation de Hong Kong en une ville chinoise "comme les autres" près de 27 ans avant 2047, date jusqu'à laquelle son autonomie devait être garantie par ce même traité -, mise au pas des entreprises privées et des entrepreneurs les plus en vue en Chine... ce sans compter la diplomatie extérieure de la Chine ou encore ses rapports avec l'Inde » 165 ( * ) .
b) La mise en oeuvre du régime mondial de sanctions de l'UE en matière de droits de l'homme et les contre-sanctions chinoises
Le 7 décembre 2020, l'Union européenne s'est dotée d'un régime mondial de sanctions en matière de droits de l'homme dit « loi Magnitsky » 166 ( * ) européenne permettant de sanctionner des personnes physiques ou morales, étatiques ou non, qui auraient violé les droits de l'homme, quelle que soit leur nationalité ou le pays où elles ont commis leurs exactions. Les auteurs des actes de violation graves des droits de l'homme et leurs complices peuvent se voir interdire l'entrée sur le territoire de l'UE. Leurs avoirs dans l'UE peuvent être gelés. Enfin, il peut être interdit aux citoyens de l'UE de mettre à leur disposition des fonds et des ressources économiques 167 ( * ) .
Le 22 mars, l'UE 168 ( * ) a inscrit une entité chinoise, le Bureau de la sécurité publique du corps de production et de construction du Xinjiang, et quatre individus chinois, le directeur du Bureau de la sécurité publique du Xinjiang, l'ancien responsable de cette province et deux hauts responsables chinois sur la liste de son régime mondial de sanctions en matière de droits de l'homme, à cause de leur implication dans plusieurs violations des droits de l'homme à l'encontre des Ouïghours et de plusieurs minorités ethniques musulmanes dans la province chinoise du Xinjiang.
Les violations des droits de l'homme relevé concernent notamment des atteintes systématiques à la liberté religieuse, des détentions arbitraires et des traitements dégradants infligés. Les sanctions européennes consistent en une interdiction de se rendre dans l'UE et un gel des avoirs détenus dans l'Union européenne.
Le ministère chinois des affaires étrangères a vivement réagi, appelant l'UE à ne pas interférer dans les affaires internes chinoises sur la base de mensonges et de désinformations. La Chine dément en effet régulièrement toute atteinte aux droits de l'homme au Xinjiang et affirme que ce les ONG et journalistes identifient comme des camps a minima d'internement seraient en fait des camps de travail permettant de fournir une formation professionnelle aux populations locales et de lutter contre l'extrémisme et le terrorisme.
La Chine a prononcé le même jour des « contre-sanctions » 169 ( * ) contre :
- quatre entités dont l'Alliance des démocraties, institution danoise dirigée par l'ancien secrétaire général de l'Otan Anders Fogh Rasmussen, le Comité Politique et de sécurité (COPS), structure permanente du Conseil de l'UE réunissant les ambassadeurs des États membres à Bruxelles qui a préparé les sanctions européennes, le Sous-comité aux droits humains du Parlement européen, et l'Institut Mercator pour les études chinoises, basé à Berlin,
- dix responsables européens accusés de « graves atteintes à la souveraineté et aux intérêts chinois, ainsi que de répandre des mensonges et des fausses informations malveillantes » 170 ( * ) . Parmi ces personnalités figurent :
- 5 eurodéputés qui ont des responsabilités et ont pris des positions incompatibles avec les lignes rouges de la Chine (le Bulgare Ilhan Kyuchyuk, les Allemands Reinhard Bütikofer, président de la délégation pour les relations avec la Chine du Parlement européen, et Michael Gahler, président des groupes d'amitié de Taïwan au Parlement européen, le Français Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen sur l'ingérence étrangère dans l'ensemble des processus démocratiques de l'UE, y compris la désinformation, et la Slovaque Miriam Lexmann),
- 3 parlementaires nationaux connus pour avoir pris des positions critiques sur la politique chinoise (le député fédéral belge Samuel Cogolati, qui a déposé, en février 2021, une proposition de loi au Parlement fédéral pour qualifier de « génocide » le sort réservé aux Ouïghours en Chine, le député néerlandais Sjoerd Wiemer Sjoerdsma, le député lituanien Dovile Sakaliene),
- et 2 chercheurs dont les travaux ont fait l'objet de vives contestations de la part de Pékin, le chercheur anthropologue allemand Adrian Zenz, connu pour ses rapports sur le sort des Ouïghours dans la province du Xinjiang et le directeur du Swedish National China Centre, Björn Jerdén, spécialiste de relations internationales.
c) Le gel de la ratification de l'AGI
L'AGI concluait sept années de négociations et l'UE souhaitait que le processus de ratification soit achevé d'ici 2022. La réponse chinoise aux sanctions prises dans le cadre du régime mondial de sanctions de l'UE en matière de droits de l'homme a profondément choqué l'ensemble de la classe politique des États membres de l'UE. Le fait que des parlementaires et des chercheurs aient été ainsi visés a déclenché une réponse ferme.
Les députés du Parlement européen ont adopté 171 ( * ) le 20 mai 2021 une résolution condamnant dans les termes les plus vifs les « sanctions sans fondement et arbitraires » 172 ( * ) imposées par la Chine à plusieurs entités et individus européens, notamment cinq eurodéputés. Ils y affirmaient que la décision chinoise constituait une attaque contre les libertés fondamentales et exhortaient les autorités chinoises à lever ces mesures restrictives injustifiées.
La résolution souligne que tout examen par le Parlement de l'accord global UE-Chine sur les investissements, qui a fait l'objet d'un accord de principe entre les deux parties en décembre 2020, ainsi que toute discussion sur sa ratification obligatoire par les eurodéputés, sont « à juste titre gelés » à cause de la mise en place de ces sanctions chinoises. Lors de leurs auditions, vos rapporteurs ont d'ailleurs entendu à de nombreuses reprises et de façon unanime que l'accord « était gelé », « congelé », ou « placé au congélateur ».
Le Parlement européen exige que la Chine lève ces sanctions avant d'examiner l'accord, « sans préjudice du résultat final du processus de ratification de l'AGI ».
Cette résolution était également l'occasion de rappeler à la Commission européenne que le Parlement européen prendra en compte la situation des droits de l'homme en Chine, notamment à Hong Kong, lorsqu'il s'agira d'approuver ou non l'accord. Ceci visait à rappeler le peu d'enthousiasme suscité par l'AGI au Parlement européen.
d) La vision du Parlement européen d'une nouvelle stratégie UE-Chine
Le 16 septembre 2021, le Parlement européen a pris l'initiative de définir sa vision d'une nouvelle stratégie UE-Chine 173 ( * ) :
- il recommande au Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et au Conseil d'élaborer une stratégie UE-Chine plus affirmée, complète et cohérente, qui unisse tous les États membres et façonne les relations avec la Chine dans l'intérêt de l'Union dans son ensemble, en plaçant la défense de nos valeurs au coeur de cette stratégie et en promouvant un ordre multilatéral fondé sur des règles; souligne que la stratégie doit tenir compte du caractère multiforme de la relation de l'Union avec la Chine; met en avant le fait que la Chine est un partenaire de coopération et de négociation pour l'Union, mais aussi un concurrent économique et un rival systémique dans un nombre croissant de domaines;
- il proposer que cette stratégie soit fondée sur les six piliers suivants : un dialogue et une coopération ouverts sur les défis mondiaux (i), une action accrue en faveur des valeurs universelles, des normes internationales et des droits de l'homme (ii), une analyse et une détermination des risques, des vulnérabilités et des défis (iii), la mise en place de partenariats avec des acteurs partageant les mêmes valeurs (iv), la promotion d'une autonomie stratégique ouverte, y compris dans les relations de commerce et d'investissement (v), la défense et la promotion des valeurs et intérêts européens fondamentaux en faisant de l'UE un acteur géopolitique plus efficace (vi).
Le Parlement européen estime que si le dialogue avec la Chine doit se poursuivre sur des sujets tels que le climat et les crises sanitaires la question des droits de l'homme doit être l'objet d'une attention particulière, plaçant ainsi l'UE face à l'une des lignes de crête que recèle la définition d'une Chine aux trois visages : partenaire sur les grands enjeux, concurrent économique, voire stratégique et rival systémique.
* 155 Il s'est tenu par visioconférence.
* 156 Comme le rappelle le chercheur slovaque Matej Simalcik, directeur de l'institut d'Europe centrale d'études asiatiques, « Berlin s'est souvent posé en donneur de leçons à l'égard des petits pays de l'UE, notamment ces 17 États regroupés depuis près de dix ans dans un cercle intitulé 17+1 avec la Chine ». Extrait de la tribune « Chine-Europe : un pas en avant, deux pas en arrière » par Philippe Le Corre, publié le 13 janvier 2021 sur le site du Point à l'adresse suivante : https://www.lepoint.fr/debats/chine-europe-un-pas-en-avant-deux-pas-en-arriere-13-01-2021-2409405_2.php
* 157 Voir le communiqué de presse et les « Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements » sur le site de l'Union européenne à l'adresse suivante : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_2542
* 158 « Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements » Ibidem.
* 159 « Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements » Ibid.
* 160 Voir « Accord d'investissement UE-Chine : avancées et impasses - Trois questions à François Godement » , interview du 21 janvier 2021, Copyright : Johanna Geron / POOL / AFP à l'adresse suivante : https://www.institutmontaigne.org/blog/accord-dinvestissement-ue-chine-avancees-et-impasses
* 161 « Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements » I bid.
* 162 « Éléments clés de l'accord global UE-Chine sur les investissements » Ibid.
* 163 Ibid.
* 164 François Godement est conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne, Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace , et consultant externe au MEAE français. Il était précédemment directeur du programme Asie de l'European Council on Foreign Relations. Il a fondé le Centre Asie de l'IFRI, le think tank Asia Centre, et co-fondé le comité européen du Council for Security Cooperation in the Asia Pacific ( CSCAP ).
* 165 « Accord d'investissement UE-Chine : avancées et impasses », précité.
* 166 En référence à la loi américaine dite « Magnitsky act » pour « Russia and Moldava Jackson-Vanik Repeal and Sergeï Magnitsky Rule of Law Accountability Act » adoptée par les Etats-Unis en décembre 2012 pour permettre de sanctionner les responsables de la mort de Sergueï Magnitsky, avocat russe, mort après avoir été torturé en 2009 alors qu'il était placé en détention provisoire pour avoir révélé une corruption massive impliquant des officiers du ministère russe de l'Intérieur. Le régime européen dit loi « Magnitsky » européenne se concentre pour sa part sur les violations graves des droits de l'homme et ne concerne pas la corruption.
* 167 La République de Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et l'Albanie, pays candidats à l'adhésion à l'UE, la Bosnie-Herzégovine, pays du processus de stabilisation et d'association et candidat potentiel, et la Norvège, pays de l'AELE membre de l'Espace économique européen, ainsi que l'Ukraine, se sont rallier à la déclaration du Conseil de l'UE sur le régime mondial de sanctions de l'UE en matière de droits de l'homme.
* 168 Le même jour, le Royaume-Uni et le Canada ont adopté les mêmes mesures que l'UE. Les sanctions de l'UE et du Royaume-Uni contre des violations des droits de l'homme par Pékin sont les premières depuis 1989. Les États-Unis ont sanctionné deux des quatre responsables chinois identifiés par les Européens.
* 169 Les Européens frappés par les sanctions chinoises et leurs familles sont interdits de séjour en Chine, à Hong Kong et Macao et de faire des affaires en Chine ou avec des entreprises chinoises.
* 170 « Ouïgours : l'Union européenne prend des sanctions contre la Chine, qui réplique » publié sur le site du Monde en partenariat avec l'AFP, le 22 mars 2021 à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/22/ouigours-l-union-europeenne-prend-des-sanctions-contre-la-chine-qui-replique_6074063_3210.html
* 171 Par 599 voix pour, 30 contre et 58 abstentions.
* 172 Voir le communiqué de presse « Les députés refusent tout accord avec la Chine tant que les sanctions restent en place » , Session plénière du 20 mai 2021 à l'adresse suivante : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20210517IPR04123/le-pe-refuse-tout-accord-avec-la-chine-tant-que-les-sanctions-demeurent
* 173 Voir la page consacrée à ce rapport sur le site du Parlement européen à l'adresse suivante : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0252_FR.html