INTRODUCTION

Dès 2017 avec son rapport d'information intitulé « Pour la France, les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ? » 2 ( * ) , la CAED ne s'est pas contentée d'observer la transformation de la Chine, elle en a perçu et analysé le déploiement tout au long des itinéraires qu'il lui a fallu recenser et explorer 3 ( * ) des « nouvelles routes de la soie ». Elle s'est demandé comment la France pouvait se positionner face à l'expression de cette puissance chinoise aux objectifs géostratégiques conformes aux canons du parti communiste chinois mais aussi porteuse de réelles opportunités économiques, non exemptes d'ambiguïtés, et nécessitant réciprocité dans les partenariats avec la Chine, prise en compte des enjeux environnementaux et lucidité.

Quatre ans plus tard, la situation a largement évolué. La politique des nouvelles routes de la soie ne connaît pas un cours parfaitement lisible et tranquille comme en témoignent à la fois les projets d'investissement ou de réalisation d'infrastructures qui tardent à se concrétiser, les modalités de remboursement des prêts chinois et les alertes sur le niveau d'endettement paroxystique du Monténégro notamment, ou encore les retraits des investissements chinois, que ce soit à l'aéroport de Toulouse ou en Lorraine par exemple 4 ( * ) . Pour autant, sont indéniables l'augmentation des flux entre la Chine et l'Union européenne, le développement considérable du port du Pirée, investissement chinois emblématique, l'appropriation et la progression de la Chine dans des domaines de pointe tels que la 5G, l'intelligence artificielle, le spatial, le nucléaire ou la monnaie numérique.

Ainsi, en 2021, il n'est plus question, comme en 2017, de se demander si les nouvelles routes de la soie se mettront ou non en place et si les ambitions affichées par la Chine sont réalistes. Elles le sont, et celle-ci est en passe de devenir l'une des principales puissances mondiales.

En 2021, comme en 2017, en revanche, il est toujours pertinent de se poser la question de la réaction de l'Union européenne, de ses États membres et des autres pays européens face à l'affirmation de la puissance chinoise sur le continent européen. En effet, la présence chinoise en Europe est importante, protéiforme, parfois visible, parfois discrète, voire masquée. Elle est mal recensée, sous ou sur-estimée pour cette raison, et en même temps que l'image de la Chine est devenue moins positive dans les opinions publiques, cette présence pose plus de questions. La période de la pandémie de coronavirus a mis en exergue l'interdépendance des économies ouvertes, dont les économies européenne et française à l'égard du marché chinois et des modes plus assertifs d'affirmation de la puissance chinoise.

Les confrontations sont devenues ainsi plus vives entre la Chine et les organisations internationales, les États-Unis, mais aussi l'Union européenne. Ces évolutions ont rendu d'autant plus nécessaire d'interroger la puissance de la Chine en Europe.

La « fin de la guerre froide » et de l'histoire, vue comme son corollaire, ont trente ans désormais. La démocratie et l'économie libérale sont des vainqueurs moins flamboyants qu'annoncés... Les équilibres internationaux et la relative stabilité ou l'instabilité cantonnée issues de l'architecture internationale dessinée après la seconde guerre mondiale semblent appartenir aux chapitres quasiment clos de notre histoire. L'affrontement des États-puissances pose la question de la place que l'Union européenne et la France souhaitent tenir dans ce nouveau concert des nations : celle d'un membre du concert, ou celle de terrain de jeu.

Lors de la préparation du rapport sur les nouvelles routes de la soie, la faiblesse de la mobilisation de l'Union européenne sur les enjeux que cette politique chinoise faisait émerger interrogeait. En 2021, l'engagement communautaire sur ces questions a nettement progressé, en même temps que les États membres approfondissaient leur analyse des répercussions des investissements chinois sur leur territoire.

Les États européens non membres de l'Union européenne (UE) ont-ils eu une évolution similaire ? Comment considérer le format 17+1 redevenu 16+1, dans ce contexte, présenté comme une chance de relation renforcée avec la Chine pour des pays qui en étaient privés, ou comme une instance de coopération créée ad hoc pour favoriser la concurrence entre pays demandeurs d'investissements chinois et entre les pays de ce format et l'Union européenne ? Au sein même de l'Union, les différents États membres, dont certains participent au format 16+1, ont-ils bien tous les mêmes priorités vis-à-vis de la Chine ?

En décembre 2020, les Européens ont à la fois signé l'accord global UE-Chine sur les investissements et se sont dotés des outils juridiques leur permettant de prendre des sanctions pour violations des droits de l'homme. En prononçant en mars 2020 ses premières sanctions depuis la répression du mouvement démocratique de la place Tiananmen en 1989, en réaction au traitement réservé aux Ouïgours dans le Xinjiang, région du nord-ouest de la Chine, l'UE a enclenché un mouvement rendant de fait improbable l'adoption de l'accord économique. Ces positions communautaires sont-elles pour autant contradictoires ou reflètent-elles la réalité du monde complexe dans lequel elles sont prises ? Comment la définition par l'UE d'une Chine à la fois partenaire, concurrente et rivale systémique peut-elle être déclinée en politiques cohérentes ? Comment traduire la prise de conscience post-pandémie de la dépendance des économies européennes à la Chine ? Comment reconquérir une souveraineté ainsi malmenée ?

Quelle impulsion la France, qui sera en charge de la présidence tournante de l'UE à partir de janvier 2021, peut-elle donner en la matière ? Quelle position adopter face à l'enlisement de l'accord global d'investissement ? Comment enfin relever les défis géopolitiques et économiques que pose la Chine qui se positionne comme la nouvelle première puissance mondiale à l'horizon 2050 ?

Dans ce contexte, et alors que la pandémie ne permettait pas, cette année encore, d'envisager de déplacements, une trentaine d'auditions ont été menées, dont 9 en téléconférence qui ont permis d'entendre plus de 40 personnes. À cela s'ajoutent des contributions écrites ayant permis de recueillir les observations de personnes ou organisations qui ne pouvaient être entendues selon les modalités précédemment décrites. Enfin, le réseau d'ambassades françaises en Europe 5 ( * ) a été largement mobilisé, et vos rapporteurs tenaient à remercier les services qui ont ainsi contribué à leur meilleure connaissance des investissements chinois en Europe et de la perception de la puissance chinoise dans les pays concernés.

I. LE DÉPLOIEMENT DE LA PUISSANCE CHINOISE EN EUROPE

A. DES INVESTISSEMENTS CHINOIS PROTÉIFORMES AU SERVICE DE LA STRATÉGIE CHINOISE JUSQU'EN EUROPE

Les investissements chinois en Europe sont difficiles à recenser et n'ont pas toujours suscité un intérêt suffisant pour que soient mis en oeuvre les outils permettant un réel suivi.

Ils représentent pourtant des montants conséquents dans des domaines stratégiques. Leur répartition sur le territoire européen est très inégale ce qui induit des relations variées entre la Chine et les pays européens, selon qu'ils souhaitent être destination d'investissement, ou au contraire, qu'ils mettent en place des dispositifs d'information ou de protection de certains secteurs stratégiques contre les investissements chinois. Enfin, la Cour des comptes européenne a alerté dans un rapport de 2020 sur la nécessité pour l'Union de répondre à la stratégie d'investissement étatique de la Chine.

1. Des investissements chinois très dynamiques et concentrés dans des secteurs stratégiques
a) L'augmentation fulgurante des investissements chinois jusqu'en 2016

La politique d'ouverture sur l'extérieur des années 2000 s'est traduite par une augmentation des flux commerciaux et financiers entre la Chine et le reste du monde 6 ( * ) . Le stock d'investissements chinois dans le monde réduit avant 2000, atteignait 500 milliards d'euros en 2013, et après une croissance exponentielle 2 100 milliards d'euros en 2019.

L'Union européenne a été le principal récipiendaire des investissements chinois entre 2005 et 2019, comme l'illustre le tableau suivant 7 ( * ) . Sur cette période, elle a bénéficié d'un peu moins de 15 % des flux d'investissements chinois cumulés, contre 12 % pour l'ASEAN, moins de 10 % pour les États-Unis et moins de 3 % pour la Russie (soit un montant comparable aux investissements chinois réalisés en Suisse et au Canada).

Principaux récipiendaires des IDE chinois
(flux cumulés entre 2005 et 2019 en milliards de dollars)

Pays

Montant

Parts

UE (28*)

294,1

14,4%

dont : Royaume-Uni

86,4

4,2%

dont: Allemagne

47,4

2,3%

dont : France

28,1

1,4%

ASEAN

245,3

12,0%

Etats-Unis

197,5

9,7%

Amérique du sud

177,2

8,7%

Australie

115,8

5,7%

Brésil

68,6

3,4%

Suisse

61,6

3,0%

Canada

57,1

2,8%

Russie

54,5

2,7%

Total

1 271,7

62,4%

*Pour des raisons méthodologiques, et pour permettre la comparaison à moyen terme, les effets du Brexit ne sont pas ici pris en compte.

Source: China Global Investment Tracker , sous l'égide de l' American Entreprise Institute (CGIT).

Ce rattrapage n'a toutefois pas encore permis le rééquilibrage des stocks d'IDE. Ainsi le stock des investissements directs à l'étranger (IDE) français en Chine est de 28,8 milliards d'euros en 2019 selon la Banque de France, soit un montant supérieur au stock des IDE chinois en France qui s'établissait à 2,6 milliards d'euros par investisseur immédiat et 8,6 milliards d'euros par investisseur ultime 8 ( * ) en 2018 9 ( * ) . Depuis le début des années 2000, les flux d'investissements chinois se caractérisaient par un formidable dynamisme.

Ils marquent le pas depuis 2016, année où le flux d'IDE chinois s'établissait à 196 milliards de dollars (soit une progression de 35 % par rapport à 2015). En 2017, le flux d'IDE a baissé de 19 %, puis 10 % en 2018 et 4 % en 2019 pour s'établir à 136 milliards de dollars.

Cette évolution découle d'un double mouvement de contrôles renforcés dans les principaux pays récipiendaires et de l'édiction de mesures restrictives par les autorités chinoises en réaction à la chute du yuan et des réserves de change 10 ( * ) .

Ainsi, depuis mi-2017, les autorités centrales chinoises ont adopté une série de règlementations relatives aux investissements directs étrangers sortants qui :

- vise à mieux orienter les secteurs d'investissements sortants via une catégorisation sectorielle en « feux tricolores », afin de mettre fin aux investissements qualifiés d'irrationnels, dans l'hôtellerie de luxe et des clubs de football étrangers 11 ( * ) notamment, et de faire coïncider les investissements des entreprises chinoises publiques comme privées avec les priorités économiques définies par les plans quinquennaux adoptés en session plénière du comité central du Parti communiste chinois (PCC),

- soumet les projets d'investissement à l'étranger à la supervision des autorités centrales sur les investisseurs chinois. Il s'agit d'une obligation d'enregistrement auprès de la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC), et, dans les secteurs qualifiés de sensibles par les autorités à une approbation préalable,

- tend à améliorer la gestion des risques. La Banque centrale chinoise et la State Administration of Foreign Exchange ( SAFE ) requièrent ainsi une autorisation pour les transactions faites à l'étranger d'un montant supérieur à 5 milliards de dollars.

b) La concentration des investissements chinois sur des secteurs stratégiques

Même si le rythme des investissements chinois a nettement ralenti, le stock des investissements chinois pose question en raison de sa concentration sur des secteurs considérés comme stratégiques, plus encore depuis que la pandémie de coronavirus a rappelé les effets de la désindustrialisation du continent européen et de l'internationalisation des chaînes d'approvisionnement en termes de dépendance et d'autonomie stratégique.

Le tableau 12 ( * ) suivant présente la répartition du stock global des IDE chinois par secteurs économiques. La prépondérance du secteur énergétique 13 ( * ) et du secteur des transports 14 ( * ) est patente, puisque ces deux secteurs représentent plus de la moitié des investissements chinois réalisés dans le monde entre 2005 et 2019 (54 %).

Source: China Global Investment Tracker , sous l'égide de l'American Entreprise Institute (CGIT).

2. Les stratégies chinoises en oeuvre dans les secteurs stratégiques des transports et de l'énergie
a) La problématique spécifique des investissements chinois dans les ports européens : le Pirée exception ou premier succès ?

Les investissements chinois ont particulièrement frappé les opinions publiques lorsqu'ils ont concerné de grandes infrastructures de transport telles que le port du Pirée en 2016.

Depuis 2013, la Chine a fait l'acquisition de parts dans 14 ports européens et a signé de nombreux protocoles d'accord avec d'autres ports européens. Établi par la place de marché Upply 15 ( * ) dédiée au transport routier en France, le tableau suivant présente un panorama des investissements chinois dans les ports européens.

Investissements chinois dans les ports européens (2013-2018)

* Estimation ** Cosco Pacific (40%), Qingdao Port (10%) *** Cosco (20%), China Merchants Group (5%*) ****China Merchants Port 26%, Cosco 26%, CIC International 13% ***** Cosco a finalisé l'acquisition des 67 % de l'Autorité portuaire du Pirée en 2016.

Source : Upply (à partir de données du site de Cosco et de différentes sources médias en accès libre, tableau présenté dans la note « Quelles leçons tirer des investissements chinois dans les ports européens ? » de Ganyi Zhang publiée le 7 mai 2019 sur le site Upply Analyses et Tendances à l'adresse suivante : https://market-insights.upply.com/fr/quelles-lecons-tirer-des-investissements-chinois-dans-les-ports-europeens .

Comme le montre ce recensement, il est difficile d'avoir une vision complète de l'ampleur des investissements chinois dans les ports européens car les intervenants sont multiples. Terminal Link par exemple est un opérateur de terminaux pour conteneurs détenu à 51 % par le Groupe CMA CGM et depuis 2013 à 49 % par le China Holdings International qui comprend China Merchants Group , dont China Merchants Port est une filiale. Ainsi les principaux investisseurs chinois dans les ports européens sont Cosco Shipping Ports et China Merchants Port , entreprises publiques chinoises qui détiennent chacun des parts dans 7 ports européens 16 ( * ) et un port en Turquie.

Ces investissements sont localisés pour 5 d'entre eux en mer du Nord et 8 en Méditerranée, conformément au caractère global de la stratégie d'investissements chinoise.

Les résultats de cette stratégie d'investissement ne semblaient pas, avant la pandémie, se lire dans l'augmentation des flux des échanges entre l'Europe et la Chine dans les ports ayant fait l'objet de ces investissements chinois. En effet, la Chine a investi dans des ports européens de taille moyenne, à l'exception de Rotterdam et d'Anvers, dans l'objectif supposé d'en faire des portes d'entrée commerciales importantes. Or les chiffres de transport de biens depuis/vers la Chine montrent que les échanges avec la Chine transitent principalement par les trois ports européens les plus importants : Rotterdam, Anvers et Hambourg, et n'irriguent pas de façon égale les autres terminaux bénéficiant d'investissements chinois. « Le Pirée, dont le volume des échanges a largement augmenté, semble, jusqu'à présent, être le seul exemple de réussite des investissements chinois en Europe » 17 ( * ) .

L'investissement chinois le plus emblématique dans ce domaine portuaire concerne le Pirée. Au terme d'un appel d'offre lancé en 2008, qui visait, grâce aux recettes attendues, l'assainissement des finances publiques grecques, Cosco a remporté l'exploitation de 30 % du port méditerranéen. L'État grec devait en contrepartie bénéficier du reversement de 24,5 % des revenus de l'activité du port ; l'investissement chinois dans les infrastructures portuaires devait atteindre 600 millions d'euros et permettre la construction du Pier III , hub pour les conteneurs équivalent vingt pieds (EVP). La livraison des équipements prévus a eu lieu en temps et en heure, et même en avance sur les termes du contrat, et a donné le coup d'envoi de la modernisation du Pirée.

Huit ans plus tard, en 2016, toujours sous l'impulsion de l'Union européenne, le gouvernement grec a lancé un nouvel appel d'offre pour privatiser 67 % de l'exploitation du Pirée (51 % en 2016 et 16 % en 2020 sous réserve de la réalisation des investissements prévus). De nouveau remporté par Cosco 18 ( * ) pour 368,7 millions d'euros et l'engagement d'investir 350 millions d'euros dans les infrastructures portuaires d'ici 2022, ce contrat semble avoir assuré la réussite du Pirée, celle-ci étant ici évaluée à l'aune de l'augmentation des volumes de flux commerciaux entre la Chine et l'Europe. Ainsi, en 10 ans, Cosco a fait du port grec le principal hub logistique chinois dans le bassin méditerranéen et le premier port à conteneurs de Méditerranée et le quatrième en Europe, avec près de 10 % des exportations chinoises pour l'Europe arrivant par le Pirée. Le trafic des containers est passé de 665 000 EVP en 2009 à 5,65 millions EVP en 2019.

Plusieurs questions se posent sur la reproductibilité et la soutenabilité de ce succès :

- l'économie chinoise peut-elle soutenir la croissance rapide des réseaux de transport dans lesquels elle a massivement investi (jusqu'en 2017 pour les ports) ? Le ralentissement économique chinois, qui a précédé la pandémie et le recentrage récent sur l'économie nationale chinoise, crée des incertitudes sur le développement de tous les ports européens dans lesquels la Chine a investi. L'absence d'investissement dans le port de Trieste, alors que l'Italie avait été le premier pays du G7 à signer un mémorandum d'adhésion aux nouvelles routes de la soie, donnait à penser à certains commentateurs que la Chine n'avait plus les moyens de sa politique des routes de la soie. L'économie chinoise devrait connaître, en 2021, un rebond de l'ordre de 8 %, et ses prévisions sont à l'avenant. À cela s'ajoute que les ports offrent un meilleur retour sur investissement que le transport maritime, qui génère de faibles marges. L'investissement portuaire a donc une rationalité économique intrinsèque pour les compagnies de transport maritime, qu'elles soient chinoises ou non ;

- les autorités chinoises implantées localement, en charge du management des investissements réalisés, parviendront-elles à s'adapter aux normes locales afin de garantir la conformité réglementaire des installations, et notamment dans le domaine social et managérial ? Là encore, la question de la performance chinoise est posée par les analystes. Au Pirée, les inquiétudes se multiplient sur le front de la défense de l'environnement, de l'application des règles de sécurité, de l'absence de retombées économiques et d'investissements dans les infrastructures de transport desservant le port, pourtant prévus, de l'absence de rénovation des chantiers navals également clause de l'appel d'offre, des différents projets d'extension, etc. 19 ( * ) . Certaines infrastructures portuaires ont été financées par des fonds communautaires.

- d'autres inquiétudes se font jour sur la présence de plus en plus importante d'acteurs chinois (investisseurs directs ou ultimes) dans les ports européens. Ainsi le think tank Clingendael China Centre ( Clingendael institut néerlandais des relations internationales), dans un rapport destiné au gouvernement néerlandais datant de 2019 20 ( * ) , s'inquiétait de la concurrence déloyale des acteurs chinois dans le domaine portuaire, appelant à vérifier les modalités de leurs investissements. « La Commission européenne devrait examiner si les opérateurs de terminaux à conteneurs chinois opérant dans l'UE ne bénéficient pas directement ou indirectement d'aides de l'État, d'une manière qui perturbe la libre concurrence » 21 ( * ) . De même, l'auteur de cette étude avertit que la présence économique chinoise pourrait se muer en levier d'influence politique. Il s'interroge sur les réactions de la Belgique et des Pays-Bas si le trafic de conteneurs de leurs principaux ports devenait un enjeu non plus seulement économique mais aussi politique ;

- enfin, la question de l'articulation des investissements chinois avec le réseau de transport multimodal de l'Union européenne, le Réseau transeuropéen de transport (RTE-T) 22 ( * ) se pose. Comme ils l'avaient déjà souligné dans leur rapport sur la politique chinoise des nouvelles routes de la soie, vos rapporteurs constatent que, si les investissements chinois sont conformes au développement des réseaux de distribution des produits chinois exportés et aux objectifs stratégiques chinois, ils ne sont que plus rarement adaptés aux enjeux locaux. Leur articulation avec les besoins d'aménagements des territoires, les politiques locales, ou en l'occurrence communautaire, de connectivité des transports et des territoires dépend largement des capacités de financement autonome du développement des territoires. C'est particulièrement vrai sur les territoires très demandeurs d'investissement pour lesquels les perspectives de développement économique et d'emplois pourraient primer sur la cohérence territoriale de leur développement.

Recommandation : Il apparaît donc nécessaire à vos rapporteurs :

- de veiller à la bonne articulation des investissements chinois avec les politiques de développement économique local et de connectivité communautaire, notamment le RTE-T,

- de poursuivre les efforts de recensement des investissements chinois dans les infrastructures de transport.

b) Pourquoi la Chine investit-elle dans les réseaux énergétiques européens ?

Certes, les investissements dans les réseaux énergétiques, secteurs régulés, sont stables et rentables et le choix d'acheter des actifs tangibles au lieu d'acheter des obligations européennes ou américaines ne paraît pas irrationnel. Mais pendant plusieurs années, la rationalité économique des investissements chinois réalisés à partir de 2012, tant dans les réseaux portugais, italien et grec, que dans différents groupes énergétiques de très nombreux pays européens (Portugal, Italie, Grèce, Royaume-Uni 23 ( * ) , Danemark, Norvège, les pays d'Europe centrale et orientale ainsi que les Balkans) ne paraissait pas évidente. Pourtant le régime d'encadrement des investissements chinois à l'étranger n'a pas visé à restreindre les sorties de capitaux vers le secteur jugé stratégique des énergies renouvelables 24 ( * ) .

Ceci s'explique si l'on considère :

- l'opportunité offerte par les aides aux énergies renouvelables et les différents régimes de soutien mis en place en Europe. Elles ont favorisé l'émergence d'acteurs économiques dans ce secteur dans le cadre des engagements communautaires en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Ceux-ci ont été fragilisés par la crise de 2008 et les restrictions budgétaires qui ont découlé du niveau d'endettement public incompatible avec le pacte de stabilité européen. De réelles opportunités de rachat et d'investissements se sont ainsi ouvertes aux acteurs chinois du secteur,

- la priorité visant à faire du développement vert le moteur de la croissance chinoise. Le 11 e plan quinquennal chinois (2006-2010) tendait à répondre aux besoins conséquents en électricité de l'économie chinoise alors au plus fort de sa croissance, et à tirer les leçons des échecs passés. La révolution verte de la transition énergétique ne devait pas se faire sans la Chine. Ce plan a porté ses fruits : « conséquence des investissements massifs consentis dans ce cadre, ce pays est devenu un leader incontesté dans ce domaine. En 2017, la Chine était à l'origine de plus d'un tiers de la production mondiale de panneaux solaires et de la moitié des projets éoliens installés dans le monde. Elle a ainsi investi plus de 102 milliards de dollars dans les énergies renouvelables en 2016 et prévoit de porter à environ 360 milliards de dollars ses investissements dans les énergies renouvelables d'ici à 2020. Les entreprises chinoises de l'économie verte sont de plus en plus concurrentielles et c'est probablement l'un des tout premiers secteurs où la Chine est en pointe en matière de technologies » 25 ( * ) ,

- enfin, la vision chinoise du réseau d'énergie renouvelable mondial interconnecté du futur à l'horizon 2070. Il s'agit du projet Global Energy Interconnexion (GIE) basé sur un réseau international interconnecté de lignes électriques à Ultra Haute Tension (UHT) 26 ( * ) permettant de transporter de grandes quantités d'électricité sur de longues distances. Il répondrait également aux besoins de l'économie chinoise annoncée en très forte croissance après la pandémie. Présenté en 2015 lors du sommet des Nations unies sur le développement durable par Xi Jinping, ce projet serait alimenté principalement par des sources d'énergie renouvelables et ferait appel à l'intelligence artificielle pour optimiser l'allocation et le transport des ressources énergétiques renouvelables en fonction des besoins. L'encadré suivant présente de façon plus détaillée le GIE 27 ( * ) .

Le projet Global Energy Interconnexion (GIE)

« À l'horizon 2070, 18 lignes UHT, d'une longueur cumulée de 177 000 km, devraient assurer un quadrillage planétaire Nord-Sud et Est-Ouest afin de transporter l'électricité entre pays et continents. Pour ce faire, le plan de développement du GEI comporte trois grandes étapes :

- 2035 : interconnexion nationale. Les pays auraient un réseau national développé et efficient et seraient reliés entre eux sur leur continent. L'Asie, l'Europe et l'Afrique prendraient l'initiative de coupler leurs réseaux formant cinq réseaux horizontaux et cinq réseaux verticaux représentant un flux de capacité de 280 GW.

- 2050 : interconnexion continentale. Les interconnexions entre l'Afrique, l'Eurasie et l'Amérique seront bâties formant sept réseaux horizontaux et sept réseaux verticaux. Le flux de capacité estimé serait de 720 GW.

- 2070 : interconnexion internationale. Le réseau passant par l'Arctique sera mis en place formant un paysage énergétique mondial avec neuf réseaux horizontaux et neuf réseaux verticaux connectant les cinq continents. Les flux de capacité estimés seraient de l'ordre de 1,25 TW. »

« Le coût de développement total du projet est estimé à 38 000 milliards de dollars. La répartition serait la suivante : 27 000 milliards de dollars pour la production d'électricité et 11 000 milliards de dollars pour l'investissement dans le réseau électrique. »

« Le projet d'interconnexion des réseaux nord-asiatiques (NAEG) est la première brique du projet GEI et doit interconnecter les pays suivants : la Chine, la Russie, la Mongolie, la Corée (Sud et Nord) et le Japon.

Le NAEG est primordial pour le projet GEI puisque ces six pays représentent 24 % de la population mondiale, 26 % du PIB, 34 % de l'énergie consommée et 35 % de l'électricité produite.

Aujourd'hui, le NAEG n'en est toutefois qu'à ses balbutiements. Il existe six interconnexions : une ligne de 220 kV entre la Chine et la Mongolie, deux lignes de (110 kV et 220 kV) entre la Mongolie et la Russie, trois lignes (110 kV, 220 kV et 500 kV) entre la Chine et la Russie. La construction du NAEG repose sur deux principes qui sont de construire les interconnexions du plus facile au plus difficile et du plus proche au plus éloigné. Le plan de développement comprend trois grandes étapes :

- raccorder la Chine, la Mongolie et la Russie. L'électricité produite par les barrages russes et sibériens, l'électricité des fermes solaires et éoliennes mongoles et celle des fermes éoliennes de la Chine seraient transportées grâce à des lignes UHT en courant continu ;

- raccorder la Chine, la Corée et le Japon avec des lignes UHT ;

- relier les grands centres de production au réseau chinois en allant notamment chercher l'énergie éolienne dans la région arctique de la Russie et créer un anneau reliant la région arctique et le Japon.

Plusieurs projets de lignes UHT dont les longueurs sont comprises entre 190 km pour les plus petites et 2 360 km pour les plus longues, sont en cours de réflexion. Deux lignes sous-marines sont à prévoir reliant la Chine et la Corée ainsi que la Corée et le Japon.

Le développement du projet NAEG passerait par la construction de 12 lignes UHT et permettrait d'interconnecter six pays d'Asie du Nord-Est. Ce projet aboutirait à la mise en place d'un marché d'échange de l'électricité comme en Europe. Plusieurs avantages en faveur de ce projet ont en outre été recensés, notamment économique. La création d'un réseau interconnecté aboutirait à un marché d'échanges comme en Europe, qui permettrait à la Chine ou encore au Japon d'acheter son électricité à des coûts plus bas qu'actuellement. Étant donné le décalage horaire, les pointes de consommation entre le Japon et la Russie par exemple sont décalées et permettent d'optimiser au mieux le réseau. Les différences d'horaires entre les pays permettraient de lisser les courbes de charge et rendre le réseau moins sensible aux fortes variations de demande de puissance. »

Extraits du Mastère OSE (Optimisation des Systèmes Énergétiques) « Les projets chinois de lignes électriques à ultra haute tension », de Côme Gendron et Abdelhamid Ahajjam, du 7  janvier 2020 .

S'agissant du volet européen du projet chinois, comme pour la politique des nouvelles routes de la soie, le principe de labélisation d'investissements ou d'achats, déjà réalisés, semble fonctionner à plein et a permis d'inclure les précédents investissements chinois dans le réseau énergétique européen dans le GIE et de présenter ainsi une certaine cohérence d'ensemble.

Ces investissements se sont poursuivis, autant que le permettaient les nouvelles mesures de surveillance des investissements étrangers. En 2016, la compagnie China Three Gorges a ainsi acheté le parc éolien offshore de Meerwind , entreprise allemande. En 2018, cette même compagnie a poursuivi son investissement dans Energias de Portugal , plus grande entreprise d'énergie portugaise, pour le porter de 23,3 % à plus d'un tiers du capital, soit un apport de 2,7 milliards d'euros. State Grid Corporation of China (SGCC) a acquis en 2012 25 % de l'opérateur portugais REN ( Redes Energeticas Nacionais ), puis a fait son entrée en 2014 en Italie avec le rachat de 35 % de CDP Reti (soit 2,1 milliards d'euros). Cette filiale de la Caisse des dépôts italienne détient 30 % du groupe de transport de gaz Snam et 30 % du réseau d'électricité Terna . En 2014, les opérateurs nucléaires China General Nuclear Corporation et China National Nuclear Corporation ont été retenus avec les français EDF et Areva pour la construction d'un réacteur nucléaire dans le sud de l'Angleterre, un projet de 19 milliards d'euros, etc.

En annexe du présent rapport, figure un recensement des investissements chinois dans le secteur électrique européen 28 ( * ) . Il est intéressant de noter que les auteurs du rapport soulignent qu'« en devenant membre de TSOs [réseaux de transports] européens, les acteurs chinois sont devenus de facto membres de l' ENTSO-E [European association for the cooperation of transmission system operators (TSOs) for electricity, soit le Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité] et ils ont donc maintenant la possibilité de connaitre précisément les potentielles vulnérabilités de l'ensemble du système électrique européen » 29 ( * ) .

Le GEI comporte un volet européen qui a suscité la réaction de la Commission européenne en 2017 sur la possible interconnexion électrique Chine-Europe au moyen de lignes UHT (on parle ici de lignes couvrant une distance d'environ 7 500 km pour relier par exemple la France et le centre de la Chine).

Un rapport 30 ( * ) a été publié sur ce projet et envisageait trois hypothèses, pour le passage de la ligne principale : Route du Nord, Route du milieu et Route du Sud présentées ci-dessous. Deux des itinéraires envisagés traverseraient des zones de conflit. La Route du Milieu évite cet écueil mais a l'inconvénient de traverser sept pays, soit autant de démarches sur la base de règlementations différentes à mener. Les coûts de ces hypothèses s'échelonnent entre 16 et 26 milliards d'euros, ce qui paraît conséquent alors que l'Union est très loin d'avoir achevé son interconnexion électrique interne à son territoire.

Coûts, avantages et inconvénients des trois hypothèses de connexion électrique en lignes UHT entre la Chine et l'Union européenne

Source : Mastère OSE « Les projets chinois de lignes électriques à ultra haute tension », précité.

L'UE a donc étudié le GIE et ainsi analysé la stratégie globale chinoise dans le domaine de l'énergie. Elle mène, pour sa part, une politique de développement de ses infrastructures énergétiques conforme au RTE-T. Un mécanisme pour l'interconnexion en Europe ( Connecting Europe Facility ) a été mis en place en 2013 par l'Union européenne, il s'agit d'un programme de cofinancement pour accompagner le programme RTE-T. Une enveloppe budgétaire de 24,05 milliards d'euros sur la période de 2014 à 2020 a été mise en place, dont 5,35 milliards d'euros pour les infrastructures transeuropéennes d'énergie. Pour la période 2021-2027, ce mécanisme a été renouvelé à hauteur de 8,7 milliards d'euros pour les projets énergétiques.

En mars 2015, l'UE a approfondi sa réflexion en adoptant, lors de la réunion du Conseil européen, le projet dit d'« Union de l'énergie » visant à définir une politique énergétique cohérente et sécurisant l'approvisionnement énergétique. Les cinq piliers de cette Union de l'énergie sont les suivants : la pleine intégration du marché européen de l'énergie, avec, pour corollaire, la construction de réseaux gaziers et électriques transfrontaliers, la décarbonation de l'économie, l'efficacité énergétique comme moyen de modérer la demande, la sécurité énergétique, et enfin la recherche, l'innovation et la compétitivité. Cette politique trouve des applications concrètes. En 2019, la Commission européenne a ainsi accordé, au titre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe, une subvention de 530 millions d'euros au projet d'interconnexion électrique entre la France et l'Irlande, dénommé « Celtic interconnector » 31 ( * ) .

L'interconnexion pose des défis réels, les distances et les investissements nécessaires sont gigantesques, les tensions liées à la sécurité de l'approvisionnement et à l'atteinte d'un niveau de production ou d'importation répondant aux besoins nationaux sont réelles. À cela s'ajoutent encore les défis posés par le respect des engagements climatiques. Ces projets d'interconnexion posent également des questions de sécurité et de dépendance énergétique des pays dans lesquels les investissements chinois ont atteint des proportions significatives.

3. La localisation géographique des investissements chinois au sein de l'Union européenne
a) La très forte concentration dans l'Union européenne des IDE chinois

Entre 2000 et 2019, la répartition géographique des IDE chinois dans l'UE a été très hétéroclite, mais sur cette durée il apparaît que le Royaume-Uni était de fait la première destination des IDE chinois dans l'Union européenne, cumulant 28,3 % des investissements, soit 50,3 milliards d'euros. Les pays ayant ensuite bénéficié des IDE chinois ont été l'Allemagne, puis l'Italie et enfin la France. Ces 4 pays récipiendaires ont capté nettement plus de la moitié des investissements chinois réalisés dans l'Union (soit 58 %).

Destinations principales des IDE chinois dans l'UE à 28
Entre 2000 et 2019 (en milliards d'euros)

Pays

Montant

Proportion du total des IDE chinois en Europe

Royaume-Uni*

50,3

28,3%

Allemagne

22,7

12,7%

Italie

15,9

8,9%

France

14,4

8,1%

Finlande

12

6,7%

Total

115,3

64,7%

*Pour des raisons méthodologiques, et pour permettre la comparaison à moyen terme, les effets du Brexit ne sont pas ici pris en compte.

Source : Rhodium Group

La Finlande est le 5 e pays bénéficiant le plus des investissements chinois réalisés dans l'Union européenne. Ces dernières années, les investissements dans les pays du Nord de l'UE, comprenant l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l'Irlande, le Danemark, la Finlande et la Suède ont largement progressé. Alors qu'ils ne représentaient que 4 % des IDE chinois dans l'UE en 2017, ils se sont établis à 26 % en 2018, puis 53 % en 2019. L'acquisition du groupe finlandais Amer Sports 32 ( * ) par Anta pour 4,6 milliards d'euros en 2019 explique en grande partie cette progression annuelle. En annexe du rapport, un aperçu de la politique chinoise en Arctique est présenté.

En 2020, dans l'Union européenne et en Grande-Bretagne, les IDE chinois ont drastiquement diminué, de 45 % par rapport au niveau de 2019. Les investissements chinois retrouvent ainsi le même niveau qu'en 2010 (soit 6,5 milliards d'euros, selon une étude conjointe de l'institut Rhodium et du think tank Merics 33 ( * ) . C'est une évolution inverse qui était attendue, voire redoutée. Nombre de pays de l'Union européenne redoutaient que les entreprises chinoises, remises plus vite des effets de la crise sanitaire, n'achètent massivement des entreprises européennes en difficulté (comme après la crise de 2008), les investissements chinois se sont au contraire fortement contractés. Outre les régimes de surveillance chinois, sur les capitaux sortants, et européens, sur les IDE, l'incertitude liée à la situation sanitaire pourrait expliquer cette évolution. Il est donc trop tôt pour en faire une tendance installée.

En annexe du rapport, une présentation synthétique des IED chinois en Afrique est présentée. On constate que la baisse des investissements chinois a été plus tardive qu'en Europe, mais aussi plus brutale, les flux chutant à partir de 2019 de 49,8 %. La concentration des investissements chinois sur les secteurs stratégiques de l'énergie et des transports, constatée en Europe, se retrouve dans les investissements réalisés en Afrique.

b) La France est le 4e pays de l'UE à avoir le plus bénéficié des IDE chinois

Le stock des IDE chinois en France, mesuré par investisseur ultime, a bondi depuis 2014, selon les chiffres de la Banque de France. Il est passé de 1,2 milliard d'euros en 2013 à 10,1 en 2017 avant de retomber à 8,7 en 2018. Avec un stock évalué à 14,4 milliards d'euros, par le groupe Rhodium, la France a ainsi été de 2000 à 2019 la 4 e destination privilégiée des investissements chinois en Europe, comme le montre la carte suivante.

Les investissements chinois importants ont concerné plusieurs secteurs économiques, allant des semi-conducteurs au luxe, comme le montre le tableau suivant recensant les investissements supérieurs à 100 millions de dollars. Il s'agit notamment :

- en 2014 de l'achat du groupe Louvre Hôtels (Campanile, Kyriad...) par Jin Jiang pour 1,3 milliard d'euros,

- en 2016 de la prise de participation majoritaire dans la marque de vêtement de luxe SMC P 34 ( * ) par Shandong Ruyi Technology pour 1,3 milliard d'euros,

- et en 2018 de l'achat du producteur de cartes à puce Linxens par Tsinghua Unigroup pour 2,2 milliards d'euros.

Les données de CGIT, enregistrant les investissements de plus de 100 millions de dollars entre 2006 et 2019, évaluent à 24,8 milliards de dollars 35 ( * ) le montant des investissements réalisés par des entreprises chinoises en France. Le secteur principal d'investissement est l'énergie avec 6,7 milliards de dollars (et des investissements concentrés essentiellement entre 2008 et 2011), vient ensuite le secteur du tourisme avec 4,8 milliards de dollars puis celui des technologies avec 3,4 milliards de dollars. Ces trois secteurs captant à eux seuls 60 % des IDE chinois de plus de 100 millions de dollars entre 2006 et 2019.

Enfin, selon Business France, en 2019, les entreprises chinoises ont investi dans 65 projets, contre 57 en 2018, principalement dans le conseil, l'ingénierie et le services aux entreprises (pour 11 % des IDE), dans les équipements électriques, électroniques et informatiques (8 %), dans l'énergie (8 %) et enfin dans l'électronique grand public (8 %).

4. Les pays du Forum 17/16+1 sont-ils une destination privilégiée des IDE chinois ?
a) Un format en perte d'attractivité ?

En 2012 36 ( * ) , la Chine a créé un forum faisant office de cadre pour ses relations avec les pays d'Europe centrale et orientale appelé « Format 16+1 ». Ce Format donne à la Chine des interlocuteurs privilégiés dans ces pays, et offre à ceux-ci un accès direct aux autorités chinoises, renforçant ainsi leur position internationale.

Initialement les membres étaient, outre la Chine, 16 États d'Europe centrale et orientale, dont 11 sont membres de l'Union européenne : la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, et cinq États candidats à l'entrée dans l'UE : l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la République de Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. Sont membres de l'OTAN 14 membres du format 16+1 : l'Albanie, la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, le Monténégro, la Pologne, la République de Macédoine du Nord, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.

Doté depuis le sommet du format de 2016 de structures permanentes réparties sur l'ensemble des États membres 37 ( * ) , le format porte sur des coopérations dans tous les domaines : culture, agriculture, finance, diplomatie, énergie, etc. Lors du même sommet, a été annoncée la mise en place du « Fonds d'Investissement Europe centrale et orientale-Chine » de 10 milliards d'euros, apportés par l'Industrial and Commercial Bank of China , destiné aux investissements chinois dans les pays du format. L'augmentation un temps annoncée du budget du Fonds à 50 milliards d'euros ne semble pas avoir eu lieu.

En avril 2019, lors du sommet de Dubrovnik, la Grèce a rejoint le format 16+1 qui devint pour l'occasion le format 17+1. La relation entre la Chine et la Grèce s'est développée de façon fructueuse à un moment où la Grèce en avait particulièrement besoin.

Ainsi, lors de la récession profonde qu'elle a traversée, la Grèce a ouvert le capital de ses infrastructures. Les offres européennes ont été rares. Le port du Pirée a bénéficié de l'offre de Cosco en 2016, ce qui a suscité un certain émoi en Europe. De même, le programme « Visa d'or », permettant aux citoyens non-européens de bénéficier d'un visa européen en échange d'un investissement dans l'immobilier à hauteur de 250 000 euros, mis en place en 2014, a rencontré l'adhésion chinoise. Sur les 17 767 permis accordés depuis 2014, 12 318 l'ont été à des investisseurs chinois et à leurs familles 38 ( * ) .

La Chine semble avoir fait de la réussite de ses investissements en Grèce et de cette relation bilatérale une priorité stratégique. Lors de la visite en Grèce du Président Xi Jinping en novembre 2019, 16 accords bilatéraux ont été signés. L'implantation de la Banque de Chine en Grèce a également été annoncée. L'adhésion de la Grèce au format avait été présentée comme un signe de son dynamisme par la Chine, et avait suscité de nombreuses interrogations au sein de l'Union européenne qui s'interrogeait sur l'impact de cette relation renforcée sur les prises de positions des autorités grecques. Après le blocage en 2017 par la Grèce d'une motion européenne à l'Organisation des Nations unies pour dénoncer les entorses aux droits de l'Homme en Chine, des inquiétudes se sont exprimées : « la Grèce n'estime certainement plus avoir la même liberté pour critiquer la Chine qu'avant les investissements chinois » 39 ( * ) .

L'attractivité du format semble pourtant doublement remise en cause. En témoignent, chacune à leur manière, l'initiative des trois mers (ITM) 40 ( * ) et la décision de la Lituanie de quitter le format 17+1.

Le format 16+1 n'épuise visiblement pas le besoin de développement d'infrastructures des pays membres. En 2016, alors que la participation de la Russie au format 16+1 est évoquée 41 ( * ) , la Pologne porte l'idée d'une coopération renforcée dans l'espace centre-européen entre la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire. L'initiative des trois mers réunit ainsi l'Autriche, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, tous membres de l'Union européenne. Cette coopération s'appuie sur trois piliers : les infrastructures de transport et de communication, l'approvisionnement énergétique - la recherche de la diversification des sources d'approvisionnement énergétique par rapport à la prédominance de la Russie dans ce domaine est souvent présentée comme l'une des fondations essentielles de l'ITM - et la coopération scientifique et culturelle. Il s'agit notamment de favoriser un axe Nord-Sud au sein des pays concernés, complétant l'axe Est-Ouest. La réalisation d'un couloir de transport reliant la Baltique et l'Adriatique est une des ambitions de l'ITM 42 ( * ) . Parmi les projets principaux, on retrouve le projet Via Carpatia , de construction d'une autoroute reliant la Lituanie à la Grèce, le projet Via Baltica , de route allant de l'Estonie à la Pologne, et le projet de corridor gazier Nord-Sud reliant la Baltique et l'Adriatique 43 ( * ) . En 2017, le Président américain invité au sommet de l'ITM, a annoncé l'appui de son pays. Il est précisé que les projets de l'ITM viendraient en complémentarité des projets réalisés dans le cadre de l'UE. En 2017, les projets énergétiques en cours de réalisation ou planifiés dans le cadre de l'ITM figuraient sur la liste des projets d'infrastructure prioritaires de l'Union appelés projets d'intérêt commun (PIC) et bénéficient à ce titre de financements communautaires. Enfin, les pays participants ont mis en place le Forum Business des trois mers.

En mai 2021, la Lituanie a annoncé son souhait de quitter le format, redevenant pour l'occasion format 16+1, estimant qu'il était un facteur de division du point de vue de l'Union européenne. Ses relations avec la Chine étaient tendues lorsque Vilnius a choisi de confier son réseau 5G à l'entreprise suédoise Telia (et non Huawei ). Les irritants se sont multipliés avec l'annonce de l'ouverture d'un bureau de représentation commerciale lituanien à Taïwan, l'expression de doutes sur l'indépendance de l'OMS dans l'enquête menée en 2021 sur l'origine de la pandémie de covid-19 et la reconnaissance par le parlement lituanien, selon les termes de son vote, « d'un risque sérieux de génocide » perpétré contre les Ouïghours.

Les modalités de développement du commerce entre la Lituanie et Taïwan sont entendues par Pékin comme une remise en cause du principe d'une seule Chine. En conséquence, les autorités chinoises ont rappelé leur ambassadeur en Lituanie, Shen Zhifei, et exigé que l'ambassadeur de Lituanie à Pékin soit rappelé le 10 août. Le ministère chinois du Commerce a appelé le gouvernement lituanien à « corriger immédiatement sa mauvaise décision et à prendre des mesures pour favoriser la coopération économique et commerciale » entre la Chine et la Lituanie. Selon l'agence de presse de Taïwan, la Chine aurait décidé de freiner les échanges dans les secteurs de l'agriculture, de l'élevage et du bois, alors que les échanges entre la Chine et la Lituanie avaient progressé de 21 % en glissement annuel 44 ( * ) .

L'appartenance au format 17+1 (devenu depuis 16+1) ne semble pas avoir facilité le dialogue entre la Chine et la Lituanie ni avoir permis de trouver une issue favorable aux crispations de la relation bilatérale. Cependant, les sanctions appliquées par la Chine à la Lituanie devraient avoir un fort effet dissuasif pour les autres pays membres du format, ce qui pourrait être l'un de leurs objectifs.

Les résultats économiques du format ne paraissent pas non plus être à la hauteur des ambitions chinoises affichées et des espoirs des pays européens.

b) Des niveaux d'investissements chinois relativement modestes

Les engagements financiers de l'UE dans le secteur des infrastructures dépassent les engagements chinois réellement déboursés : 1 809 contre 1 662 millions d'euros en Serbie, 1 184 contre 614 millions en Bosnie-Herzégovine. Seule exception, le Monténégro : 344 contre 796 millions 45 ( * ) .

Les fonds structurels européens pour 2014-2020 s'élevaient à 86 milliards d'euros pour la Pologne, premier bénéficiaire de la politique structurelle communautaire, et 25 milliards d'euros pour la Hongrie, 6 e bénéficiaire de cette politique. À titre de comparaison, le Centre pour les Études Stratégiques et Internationales de Washington estime que, depuis 2012, la Chine a dépensé 15 milliards de dollars en direction des pays d'Europe centrale et orientale (qu'ils fassent ou non partie de l'UE).

Les pays de l'Europe centrale et orientale n'ont pas reçu en proportion de ce qu'ils attendaient. Ils ont en fait obtenu « des promesses d'infrastructures assorties de prêts à rembourser avec intérêt » 46 ( * ) . Ainsi, l'Europe de l'ouest bénéficie bien plus des investissements chinois que l'Europe orientale. Entre 2008 et 2014, parmi les 20 investissements chinois dans des entreprises européennes, un seul a été réalisé en Europe centrale (une usine chimique en Hongrie). Les investissements les plus importants ont bénéficié au Royaume-Uni (aux alentours de 40 milliards d'euros), puis à l'Allemagne, puis à l'Italie, à la France (aux alentours de 10 milliards d'euros) et au Portugal.

Les investissements chinois en Hongrie sont à la sixième place avec 2,1 milliards d'euros (contre 25 milliards d'euros au titre des fonds structurels sur la précédente période de programmation) et le reste de l'Europe centrale et orientale est situé plus bas sur cette liste 47 ( * ) . La Pologne aurait bénéficié d'un milliard d'euros d'investissements chinois, la Roumanie, 900 millions et la République tchèque, 600 millions. Selon le think tank du Parlement européen EPRS , en période de crise la Grèce a bénéficié d'investissements chinois à hauteur de 1,2 milliard d'investissements chinois, contre 6 milliards pour le Portugal.

Des chantiers menés par des entreprises chinoises sont financés par des fonds européens. Ainsi en est-il du pont de Peljesac, en Croatie, opéré par la China Road and Bridge Corporation ( CRBC ), d'une valeur de 278 millions d'euros. L'Union européenne n'est pas toujours clairement identifiée auprès des populations locales comme investisseur principal lorsque des infrastructures sont financées par des fonds européens. À l'inverse, le Sommet du format 17+1 de Dubrovnik en 2019 s'intitulait « Ouverture, innovation, partenariats - Construisons de nouveaux ponts », allusion directe au pont de Peljesac. Le Premier ministre chinois a d'ailleurs visité le chantier pour marquer la fin de la première phase des travaux.

Enfin, des projets d'investissement chinois en Europe, tels que la reconstruction de la voie ferrée entre Belgrade et Budapest, se sont heurtés à la législation européenne, en raison notamment de l'absence d'appel d'offres public.

c) Ce format crée-t-il des portes d'entrée pour la Chine au sein de l'Union Européenne ?

La relation privilégiée que semblent désormais entretenir la Grèce et la Chine n'est pas la seule à inquiéter, notamment au sein de l'Union européenne. Pour de nombreux analystes, ce format pourrait être un instrument de division et de mise en concurrence entre États membres et entre les politiques communautaires et les initiatives du format 16+1 (également appelées directives présentées lors des différents sommets, quasi annuels, du format).

Outre la Grèce, la Hongrie voit régulièrement sa relation avec la Chine interrogée 48 ( * ) . Elle pourrait devenir un hub logistique majeur dans les échanges entre la Chine et l'Europe. La Hongrie est le sixième pays de l'Union européenne à bénéficier des investissements chinois. Selon le Chinese Investment Tracker de l'American Enterprise Institute , la Hongrie est le quatrième bénéficiaire des investissements chinois dans le secteur du transport et de la logistique et le premier dans le domaine ferroviaire parmi les pays du format 17 +1. En 2020 la Chine est devenue pour la toute première fois le premier investisseur étranger de la Hongrie.

En termes de trafic intermodal, la Hongrie joue un rôle essentiel dans le projet chinois dit China-Europe Land Sea Express offrant une connexion maritime rail depuis le port du Pirée : une liaison maritime assure la liaison vers Trieste où les marchandises sont ensuite acheminées en train complet jusqu'à Budapest pour un temps de transit total compris entre 28 et 35 jours entre la Chine et Budapest. En 2020, malgré la pandémie mondiale, cette route intermodale a connu une croissance de 47 %.

La Chine construit le plus grand et le plus moderne terminal ferroviaire intermodal d'Europe, doté d'installations 5G, à Fényeslitke. En 2022, les premiers trains en provenance de Chine devraient décharger leurs conteneurs au Terminal East/West Gate , qui deviendra ainsi une nouvelle porte ferroviaire sur l'Union européenne.

Cet investissement conforte la réalisation, initiée en 2019, du chemin de fer reliant Budapest à Belgrade financée en grande partie par un prêt de la Chine. La même année, Cosco a pris une participation de 15 % au Bilk Rail Cargo Terminal . La ligne ferroviaire devrait être achevée en 2025.

La Hongrie devrait également devenir un hub du fret aérien entre la Chine et l'Europe. Une première série d'accords avec deux aéroports chinois a permis de multiplier le fret aérien en provenance de Chine entrant en Hongrie par 3,6 en 2019. En janvier 2021, un terminal exclusivement dédié au traitement des flux de fret aérien en provenance et à destination de Chine a été mis en place à l'aéroport de Budapest.

Ces investissements suscitent l'intérêt des entreprises de commerce électronique, notamment chinoises. La filiale logistique d' Ali Baba 49 ( * ) a ainsi fait de Budapest son point d'entrée pour l'Europe centrale et orientale en déployant cinq liaisons cargo aériennes par semaine. L'augmentation des flux d'ici à la fin 2021 devrait atteindre 30 %. Ceci devrait entraîner l'implantation de centres logistiques en Hongrie pour les entreprises chinoises qui cherchent à développer leurs activités sur le marché de l'Europe centrale et orientale.

Autre axe de coopération entre la Chine et la Hongrie, l'exportation des produits agricoles devrait bénéficier de l'amélioration des infrastructures de transport. Lors du sommet qui s'est tenu entre la Chine et les PECO en 2021, les autorités chinoises ont ainsi annoncé un objectif de 170 milliards de dollars d'importation de produits en provenance de l'Europe centrale et orientale dans les cinq années à venir. Dans ce contexte, la Hongrie deviendrait un point d'entrée et de sortie des échanges en provenance et vers la Chine.

Enfin, la Hongrie devrait accueillir l'université chinoise Fudan, classée 100 e au classement de Shanghaï. Un protocole d'accord a été signé en décembre 2020 pour ouvrir dans le sud de la capitale hongroise à l'horizon 2024 ce qui sera le premier campus d'une grande université chinoise en Europe. Implanté sur 130 hectares, et représentant un investissement de 2,3 millions d'euros du gouvernement hongrois, ce campus devrait accueillir entre 5 000 à 6 000 étudiants et 500 enseignants 50 ( * ) . Ce projet controversé a fait l'objet de commentaires inquiets, mais aussi de manifestations. Son coût véritable est l'objet de toutes les spéculations, faute de transparence : « le coût du projet atteindrait 1,5 milliard d'euros, dont 1,3 milliard financé par un prêt chinois. En échange, Budapest s'engagerait à faire travailler uniquement des entreprises de construction chinoises, ainsi que des ouvriers venus de l'empire du Milieu ». 51 ( * )

La position du Premier ministre Viktor Orban, très isolé au sein de l'Union européenne, n'exclut pas les provocations et les singularités. Est-ce pour ménager la Chine ou pour s'opposer à la politique communautaire qu'il s'est opposé plusieurs fois « à des prises de positions européennes communes sur la situation à Hongkong ou des Ouïgours » 52 ( * ) ?

d) Le format 16+1 ouvre-t-il l'Europe hors Union européenne à la Chine ?

Selon un rapport de l'Irsem 53 ( * ) , « sur la période 2005-2019, on estime à 14,6 milliards de dollars les investissements et contrats chinois dans les Balkans occidentaux, la Serbie dominant avec 10,3 milliards de dollars . » C'est la prise en compte des prêts qui permet d'obtenir un tel montant, les « investissements chinois » n'étant pas des IDE mais des prêts consentis par les banques chinoises.

Des travaux importants ont concerné les infrastructures, à l'image du pont Mihail Popun (Zemun-Borca) inauguré en 2015, de la construction de l'autoroute « Milos le Grand », et le secteur de l'énergie avec la modernisation de centrales thermiques et la reconstruction de la centrale thermique Kostolac près de Belgrade. De même, le 22 janvier 2021, le mémorandum d'entente a été signé sur la construction du métro de Belgrade entre le gouvernement serbe, ville de Belgrade, le groupe chinois Power China et le groupe français Alstom .

Les IDE chinois sont concentrés sur les secteurs stratégiques, matières premières comprises. Ainsi, la société RTB Bor , spécialisée dans l'extraction du cuivre, est désormais contrôlée à 63 % par des investisseurs chinois. La Serbie n'a ainsi plus le contrôle d'une matière première de première importance pour le développement de la région et son autonomie stratégique. Selon le rapport de l'Irsem précité, les investissements chinois s'avèrent peu rentables pour la Serbie car ils induisent peu de retombées économiques : les chantiers sont réalisés par des travailleurs chinois, ne créant pas ou peu d'emploi localement 54 ( * ) .

La coopération économique se traduit également par la signature de plusieurs accords économiques qui ont permis à la Serbie d'exporter des produits divers à destination de la Chine, allant du bois et du tabac à de l'acier en passant par des conducteurs électriques. La Chine est le troisième plus important partenaire commercial de la Serbie en 2020, avec une balance commerciale particulièrement déséquilibrée puisque les exportations serbes s'élèvent à 329 millions d'euros, et les importations en provenance de Chine atteignent le montant de 2,87 milliards d'euros.

La coopération entre la Chine et la Serbie s'est encore approfondie à l'occasion de la pandémie de coronavirus. Les pouvoirs publics serbes se sont largement plaints de l'absence d'aide de l'Union européenne, d'abord lorsque le manque d'équipement et de matériel médical s'est fait sentir, puis lorsque les autorités ont cherché à acheter des vaccins en vue d'une campagne de vaccination de la population. Les avions chinois chargés de matériels médicaux ont été salués par les médias et par le panachage des rues de Belgrade de grandes pancartes à la gloire du président chinois. De même, « début mars, deux millions de doses, dont le prix a été gardé secret, étaient déjà arrivées. Grâce à elles, les Serbes affichent l'un des meilleurs taux de vaccination d'Europe ». 55 ( * ) Ce sont 4 millions de vaccins chinois qui ont ainsi été achetés. La Serbie, la Chine et les Émirats arabes unis sont par ailleurs convenus de la construction d'une usine de fabrication des vaccins de la société chinoise Sinopharm en Serbie.

S'agissant du format 16+1, vos rapporteurs réitèrent la recommandation de leur rapport n° 520, précité :

Acte est donné aux pays membres de l'Union européenne qui participent au « Format 16+1 » qu'ils respectent les normes communautaires, particulièrement dans les domaines de compétences partagées qui sont abordés dans le cadre de leur coopération avec la Chine. La Commission européenne et le SEAE sont invités en tant qu'observateurs aux sommets du Format. Les pays membres de l'Union européenne pourraient s'appuyer sur eux pour définir, en tant que de besoin, des positions communautaires au sein du Format afin de défendre au mieux leurs intérêts et leur éviter ainsi de se trouver mis en concurrence sur certains sujets. Il serait souhaitable que les prochains formats 16+1 fassent l'objet d'une concertation entre les pays membres de l'Union européenne, afin que la cohérence communautaire ne soit pas prise en défaut et que les membres de l'Union veillent tous ensemble à défendre leurs intérêts communs à l'occasion de chaque rencontre avec la Chine, quel qu'en soit le format.

5. La stratégie chinoise d'investissement en Europe : risques et opportunités

Vu les montants en jeu, et la répartition des investissements chinois dans des secteurs économiques stratégiques, il importe de parvenir à caractériser les investissements/prêts chinois en Europe.

a) Les investissements chinois : action économique et/ou instruments au service d'une stratégie géopolitique chinoise ?

Selon la Cour des comptes européenne : « depuis les années 80, la Chine met en oeuvre une stratégie d'investissement qui encourage ses entreprises, tant publiques que privées, à investir à l'étranger dans des secteurs stratégiques. Ses deux principaux piliers sont l'initiative « Une ceinture, une route » 56 ( * ) , dans le domaine de la connectivité, et la stratégie industrielle « Made in China 2025 », toutes deux visant à assurer la croissance économique du pays et à asseoir son influence . » 57 ( * )

Les investissements chinois ont plus souvent été considérés comme le signe que la Chine s'insérait dans l'ordre économique libéral international et visait à rattraper son retard de développement. Puis, depuis 2017, ces investissements étaient présentés comme participant à la politique chinoise dite des nouvelles routes de la soie, dans une confusion totale entre investissements et prêts qu'il convient de souligner.

Dans les économies ouvertes, telles que la France ou plus globalement l'Union européenne, l'attractivité des territoires pour les investissements étrangers a toujours été interprétée comme un signe de dynamisme économique et une promesse d'emplois et de croissance. Enfin, au niveau microéconomique, les investissements chinois étaient lus comme l'expression de stratégies économiques d'entreprises publiques sur la voie du libéralisme ou privées visant le profit.

Pourtant la moitié des investissements chinois sont réalisés par des entreprises publiques chinoises, ce qui, conformément au droit de l'Union européenne, devrait les soumettre à la réglementation relative aux aides d'État. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, cela fausse la concurrence sur le marché intérieur de l'Union européenne et contrarie la mise en place de conditions de concurrence équitable pour tous sur le marché européen.

Il a fallu de nombreuses années, de nombreux investissements, rachats et autres, puis l'affirmation progressive des objectifs du Président Xi Jinping d'une Chine première puissance mondiale pour que les orientations données par Deng Xiaoping d'ouverture de la Chine au monde extérieur et le mot d'ordre « Chinois enrichissez-vous ! » cessent d'être les grilles de lecture privilégiées des investissements chinois en Europe, et pour que leur insertion dans l'ensemble plus vaste d'une stratégie chinoise internationale ne s'impose.

Une étude à paraître de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) décrit cette bascule récente du régime de Pékin, « qualifiée de « moment machiavélien » : « le parti communiste chinois semble désormais convaincu qu'il est plus sûr d'être craint que d'être aimé. » 58 ( * ) .

b) L'alerte donnée par la Cour des Comptes européenne

Dans un rapport paru avant la conclusion de l'accord global d'investissement UE-Chine, la Cour des Comptes européenne a donné l'alerte sur l'absence d'analyse exhaustive des investissements chinois en Europe. Elle estime que, pour répondre de manière efficace au changement géopolitique que représente la stratégie de puissance chinoise, « l'UE devrait développer sa stratégie à l'égard de la Chine, et les États membres devraient agir de concert avec les institutions de l'UE, en tant qu'Union » 59 ( * ) .

L'Union européenne en est empêchée notamment par :

- la difficulté d'obtenir une vue d'ensemble des investissements relevant de la stratégie étatique d'investissement de la Chine en Europe, les données étant fragmentaires, incomplètes, et complexes. Il est nécessaire pour avoir une vue d'ensemble, de prendre en compte à la fois les investissements directs et les investissements ultimes (qui prennent en compte la maison mère et non les filiales, et la nationalité de cette maison mère), ainsi que les prêts financiers. La distinction entre prêt et investissement est malaisée tant l'un est employé pour l'autre, tant l'un accompagne l'autre pour des montants non comparables, etc. ;

- l'autonomie des États membres qui entretiennent une coopération économique et commerciale avec la Chine en suivant leurs propres intérêts nationaux et parfois même sans en informer la Commission, alors qu'ils seraient pourtant tenus de le faire.

Plus inquiétant, mais ce constat n'est pas une nouveauté pour vos rapporteurs qui s'étaient alarmés en 2017 et 2018 de la non-appropriation de ces problématiques par les institutions européennes, la Cour des Comptes européenne estime, en septembre 2020, que les institutions communautaires n'ont « pas encore formellement procédé à une analyse exhaustive des risques et des perspectives que représente la stratégie d'investissement chinoise ».

c) Risques et opportunités de la stratégie chinoise d'investissement : l'analyse de la Cour des comptes européenne

Le rapport de la Cour des Comptes européenne propose un inventaire des risques que la stratégie d'investissement chinoise fait peser sur l'Union européenne ainsi qu'une énumération des perspectives offertes à l'Union par cette même stratégie chinoise.

Parmi les principaux risques identifiés, présentés dans les encadrés ci-après, les suivants retiennent l'attention :

- le risque d'endettement excessif dans les pays tiers et de perte de garantie stratégique. L'exemple récent du Monténégro, candidat à l'adhésion à l'UE, est éclairant. La construction d'un tronçon d'autoroute de 42 kilomètres financé par l'entreprise chinoise d'État CRBC ( China Road and Bridge Corporation ), jamais terminé et économiquement peu rentable, met en péril la souveraineté du Monténégro qui a contracté auprès de la banque publique chinoise Exim Bank un prêt de 942 millions de dollars, remboursable sur vingt ans avec un taux d'intérêt annuel de 2 %. Les conditions léonines du contrat mettent le Monténégro dans une situation très défavorable : « Le Monténégro renonce (...) à sa souveraineté en cas de différend : c'est Pékin qui s'en chargera et non pas les instances internationales. (...) Si les emprunteurs ne sont pas en mesure de rembourser leurs crédits, les Chinois reprendraient les ressources stratégiques de l'État débiteur sous couvert d'arrangements de concessions . » 60 ( * ) . Appelée à l'aide par les autorités du Monténégro, l'Union européenne est ainsi directement confrontée aux risques que la stratégie économique chinoise induit :

- le risque pesant sur la propriété intellectuelle et le transfert de technologie. La chambre de commerce de l'Union européenne en Chine a réalisé une enquête en 2019 sur la confiance des entreprises qui montre que 20 % des personnes interrogées se sont obligées à transférer des technologies pour conserver un accès au marché chinois, soulignant l'absence de réciprocité dans les relations entre l'Union européenne et la Chine ;

- le risque de non-respect des normes environnementales de l'Union européenne par les entreprises chinoises intervenant dans le cadre de la stratégie d'investissement chinoise. Parmi les projets d'investissement chinois, figurent toujours en bonne place les centrales électriques au charbon. L'un de ces projets financés par des prêts chinois devrait voir le jour en Bosnie-Herzégovine, pays potentiellement candidat à l'adhésion à l'Union européenne,

- le risque stratégique lié à la prédominance d'un pays devenu l'un des principaux pourvoyeurs mondiaux d'infrastructures de transport. Durant la pandémie de coronavirus, le risque que les interconnexions font peser sur les systèmes de santé publique est devenu patent. Les leviers d'action dont dispose la Chine à la fois sur les chaînes de production des intrants chimiques nécessaires à la réalisation des médicaments, mais aussi sur les chaînes logistiques, ont révélé toute leur importance.

Risques que la stratégie d'investissement chinoise fait peser sur l'UE

Type

Aperçu des risques

Politique

R.1

Les investissements chinois dans des actifs sensibles/stratégiques en Europe sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité/à l'ordre public.

R.2

Le fait que des États membres concluent individuellement des protocoles d'accord concernant la coopération dans le cadre de la BRI peut compromettre l'unité de l'UE.

R.3

Les projets relevant de la BRI peuvent saper le contrôle que les États membres exercent sur les infrastructures nationales stratégiques, ce qui aurait des implications géopolitiques.

R.4

Les investissements chinois contribuent à développer des infrastructures de connectivité transfrontalière mises à profit par le trafic/la criminalité organisé(e) transnational(e).

Économique

R.5

Absence de réciprocité dans les relations UE-Chine en raison de l'avantage économique déloyal des entreprises chinoises.

R.6

Manque de coordination entre les programmes infrastructurels de l'UE et de la Chine, ce qui peut donner lieu à des déficits en matière d'infrastructures de connectivité, ou à des situations de concurrence ou de double emploi entre projets d'investissement(*)

R.7

Les entreprises d'État chinoises financent des dettes impossibles à gérer dans l'UE et dans les pays tiers, ce qui peut entraîner une défaillance et la perte des garanties stratégiques.

R.8

Le transfert forcé de technologies vers la Chine nuit à la compétitivité à long terme de l'UE.

R.9

L'UE importe des marchandises en provenance de Chine à des prix inférieurs aux coûts de production.

R.10

L'UE subit les retombées des chocs défavorables que connaissent ses chaînes d'approvisionnement dont les fournisseurs clés sont chinois.

Social

R.11

Droits du travail et droits sociaux des salariés non respectés par les entreprises chinoises ayant investi à l'étranger

Technique

R.12

La BRI ne respecte pas suffisamment les règles de l'UE en matière de sécurité des données, l'exposant ainsi au risque de cyberattaques.

R.13

Les infrastructures de transport chinoises ne respectent pas les normes internationales ou celles de l'UE, ce qui réduit les effets positifs de ces dernières.

Juridique

R.14

Les investissements chinois ne respectent pas la réglementation financière de l'UE (par exemple sur le blanchiment d'argent).

R.15

Des projets d'infrastructure dans l'UE sont attribués de manière irrégulière à des soumissionnaires chinois présentant des offres artificiellement basses.

R.16

Le calcul des ressources propres de l'Union européenne est compromis par la fraude aux droits de douane et à la TVA lors des importations chinoises.

Environnemental

R.17

Les entreprises chinoises ne respectent pas les normes environnementales ou de gouvernance internationales ou européennes qui promeuvent la durabilité.

R.18

Les systèmes de santé publique sont touchés par les interconnexions croissantes à l'ère de la mondialisation (y compris les axes de transport chinois le long des nouvelles routes de la soie) qui accélèrent la transmission des maladies.

Remarque(*): Les services de la Commission et le SEAE jugent ce risque peu important compte tenu de la réalité politique et estiment qu'une coordination des infrastructures irait à l'encontre de la politique actuelle de l'UE.

Source : Document d'analyse n° 3/2020 - La réponse de l'UE à la stratégie d'investissement étatique de la Chine pages 29-33, Cour des Comptes Européenne.

La Cour des Comptes européenne a également répertorié les perspectives offertes à l'Union européenne par la stratégie d'investissement chinoise. Elle en compte 13, 2 de nature politique, et 11 de nature économique.

La Commission européenne et le SEAE ont bien reçu l'analyse de la Cour européenne des comptes et n'ont émis qu'une réserve au risque lié au manque de coordination entre les politiques infrastructurelles de l'Union et la Chine. Ce risque leur paraît peu important actuellement. L'idée d'une concertation avec la Chine sur la coordination des infrastructures financées par l'Union européenne « irait à l'encontre de la politique actuelle de l'UE ».

Pour leur part, vos rapporteurs ont deux remarques sur l'inventaire des risques et perspectives ouverts par la stratégie d'investissement chinoise :

- l'une est partagée par la Cour : la perspective selon laquelle certains secteurs tels que l'enseignement supérieur et la recherche pourraient « tirer parti de la coopération entre la Chine et l'Union européenne », doit être considérée sans naïveté et même avec prudence. Des cas graves de soupçons d'espionnage ont été documentés en Belgique, au Canada, en Suède, et en Norvège notamment. De nombreux instituts ont ainsi été contraints de fermer,

- l'autre concerne la perspective que les investissements chinois contribuent à la paix et à la sécurité dans le voisinage de l'UE. Cette perspective ne peut se concrétiser que si ces investissements respectent pleinement les règles communautaires, notamment sur la transparence des marchés publics. Dans le cas contraire, le risque, que l'investissement chinois soit au moins en partie détourné, alimente la corruption et fragilise ainsi les démocraties plutôt que de renforcer la paix et la sécurité, est avéré.

Perspectives offertes à l'Union européenne
par la stratégie d'investissement chinoise

Type

Aperçu des perspectives

Politique

P.1

Les investissements chinois dans l'UE peuvent favoriser le développement d'intérêts communs en renforçant la relation bilatérale.

P.2

Les investissements chinois contribuent à la paix et à la sécurité dans le voisinage de l'UE/les pays en développement.

Économique

P.3

La relation entre l'UE et la Chine augmente les capacités de prêt internationales, facilitant ainsi la croissance économique.

P.4

Les investissements chinois dans le voisinage de l'UE/les pays en développement contribuent à la réalisation des objectifs de l'UE, en renforçant la croissance économique.

P.5

L'euro s'apprécie du fait que les réserves de change chinoises sont converties pour permettre l'acquisition d'actifs libellés en euros.

P.6

La BRI stimule les échanges commerciaux en améliorant la connectivité et en abaissant les coûts de ces échanges dans l'UE et dans d'autres pays.

P.7

La BRI favorise un développement plus poussé du chemin de fer (commercial) dans l'UE comme alternative au transport aérien et maritime.

P.8

La BRI rééquilibre les flux de fret à destination ou en provenance de l'UE.

P.9

La BRI encourage la rationalisation des régimes douaniers en vue d'améliorer la connectivité.

P.10

Construction d'infrastructures de transport en Asie centrale par des entreprises de l'UE, avec partage éventuel de connaissances entre l'UE et la Chine.

P.11

L'exposition de l'UE aux technologies de pointe lui offre l'occasion de promouvoir ses normes et ses compétences en matière de numérisation.

P.12

L'UE diversifie les risques des prises de participation étrangères, réduisant sa dépendance potentielle vis-à-vis d'un pays donné.

P.13

Certains secteurs de l'UE, tels que l'enseignement supérieur, la recherche, les secteurs créatifs/culturels tirent parti de la coopération et des échanges avec la Chine.

Source : Document d'analyse n° 3/2020 - La réponse de l'UE à la stratégie d'investissement étatique de la Chine pages 29-33, Cour des Comptes Européenne.

d) Une « diplomatie des infrastructures » chinoise à mieux connaître et appréhender

La « diplomatie des infrastructures » déployée par la Chine est extrêmement efficace :

- elle est peu lisible globalement, tant le nombre de pays, de secteurs, d'acteurs économiques chinois est important,

- elle est en revanche très visible, mise en valeur, parfois jusqu'à l'outrance, par un narratif, que ce soit celui de la politique des nouvelles routes de la soie, ou du format 16+1, très dynamique et plus percutant que celui de l'Union européenne. Les fonds européens plus importants que les investissements chinois connaissent pourtant une bien moindre notoriété et reconnaissance,

- elle représente des opportunités pour chaque pays concerné. Elle permet aux autorités de gagner en popularité tout en bénéficiant d'emprunteurs peu regardant sur les politiques internes mises en oeuvre et sur le respect des normes communautaires. En 2018, la Serbie devait déjà 12 % de sa dette extérieure à la Chine, la Bosnie-Herzégovine 14 %, la République de Macédoine du Nord 20 % et le Monténégro 40 %. Depuis 2018, il est probable que ces niveaux d'endettement aient crû. Ainsi, si les achats serbes de vaccins chinois, précités, sont financés par des prêts chinois, la dette de la Serbie s'accroîtra d'autant,

- elle présente également des opportunités pour l'Union européenne qui a longtemps sous-estimé le caractère systémique de la politique chinoise déployée.

Cette diplomatie donne des leviers d'action conséquents porteurs de risques encore trop peu évalués, non seulement économiques mais aussi politiques. Comme le souligne Paul van der Putten, de l'Institut néerlandais, centre culturel des Pays-Bas en France : « le débat à l'heure actuelle porte davantage sur les implications politiques potentielles des acquisitions chinoises. On estime désormais que les investissements chinois dans des pays de la Méditerranée et d'Europe centrale risquent d'influencer les positions respectives vis-à-vis de la Chine. » 61 ( * )

Dans son analyse de la réponse de l'UE face à la stratégie d'investissement étatique de la Chine, après avoir dressé un inventaire des risques et opportunités, la Cour des comptes souligne six défis que l'Union doit relever :

- fournir des données plus complètes et actualisées sur les investissements chinois dans l'Union,

- procéder à une véritable analyse des risques et des perspectives pour améliorer la mise en oeuvre de sa propre stratégie - en particulier celles des actions qui promeuvent la réciprocité et préviennent les effets de distorsion sur le marché intérieur de l'UE - et faire face aux autres risques,

- évaluer les besoins financiers et suivre l'utilisation des fonds,

- renforcer les dispositifs de suivi, d'évaluation et d'établissement de rapports,

- mieux coordonner la réponse des institutions et des États membres de l'UE.

Recommandation : Il apparaît donc nécessaire à vos rapporteurs :

- de renforcer les efforts entrepris pour obtenir le recensement le plus exact possible des investissements et des prêts chinois (en distinguant les uns des autres) réalisés en Europe,

- d'actualiser régulièrement l'analyse des risques et perspectives que présentent ces investissements,

- et d'encourager la Chine à appliquer les règles du Club de Paris afin que les pays qui contractent des prêts auprès de ces banques ne se retrouvent pas dans une situation telle qu'on en vienne à qualifier les interventions chinoises de « piège de la dette ».


* 2 Rapport d'information n° 520 (2017-2018) du 30 mai 2018 de Pascal Allizard et Gisèle Jourda. MM. Edouard Courtial et Jean-Noël Guérini étaient également membres du groupe de travail.

* 3 Les rapporteurs se sont déplacés à Pékin, Changchun, Hong-Kong, puis Islamabad et Karachi en décembre 2017, et ont mené plusieurs dizaines d'auditions de décembre 2017 à mai 2018.

* 4 Qui se souvient du projet de « made in china » ou « chinatown » à Châteauroux en 2010 ? De l'achat de l'aéroport de Toulouse par la société chinoise Casil en 2015 ? Les investissements chinois réalisés en Lorraine en 2011 semblent en net recul. Ainsi, Smart, Baccarat ou Saint-Gobain, fleurons industriels passés sous contrôle chinois, subissent pour le premier la délocalisation de sa production, pour les autres, un manque patent d'investissements.

* 5 Au sens géographique du terme.

* 6 La « Go Out policy », ou politique de la porte ouverte, est une stratégie adoptée en 1999 par les autorités chinoises encourageant les entreprises locales à investir à l'international. La hausse des investissements à l'étranger a été poussée par, d'une part, l'accumulation importante des réserves de devises étrangères faisant pression sur le Renminbi (les autorités chinoises ont alors cherché à utiliser ses réserves de change en acquérant des actifs à l'étranger), d'autre part, une volonté de doter les entreprises chinoises d'une expérience internationale afin de pouvoir concurrencer les entreprises étrangères entrant sur le territoire chinois et, enfin, par les engagements pris lors de l'accession à l'OMC. La State-Owned Asset Supervision Administration Commission (SASAC) a notamment été créée dans ce cadre, en 2003, afin de superviser les SOEs les plus importantes et de soutenir leurs prises de participation à l'étranger . Extrait de la note publiée sur le site du Trésor public « Investissements chinois dans le monde : perte de vitesse depuis deux ans, recentrage vers l'ASEAN et les pays des routes de la soie » publié le 30 octobre 2020, à l'adresse suivante : https://www.tresor.economie.gouv.fr/PagesInternationales/Pages/08475541-476e-4b85-b1de-7cf49ddd0be3/files/d96d0435-ae69-45c6-b3b1-8caa5889df1d

* 7 Ibidem.

* 8 Il s'agit là des investissements recensés en tenant compte du pays d'origine de la maison-mère et non l'origine directe des investissements, souvent réalisés depuis des filiales installées dans des pays tiers.

* 9 Selon la note publiée sur le site du Trésor public « Investissements chinois dans le monde : perte de vitesse depuis deux ans, recentrage vers l'ASEAN et les pays des routes de la soie » publié le 30 octobre 2020, à l'adresse suivante : https://www.tresor.economie.gouv.fr/PagesInternationales/

Pages/08475541-476e-4b85-b1de-7cf49ddd0be3/files/d96d0435-ae69-45c6-b3b1-8caa5889df1d

* 10 Ibidem : « Les réserves de changes ont diminué de 23,6% (à 3 052 Mds USD) entre juin 2014 et novembre 2016. La valeur des payements internationaux en Yuan a chuté de 29,5% en 2016 d'après SWIFT. ».

* 11 Ibid. : Les investissements dans les secteurs du divertissement et du tourisme ont chuté, passant de 64,4 Md$ entre 2015 et 2017 à 30,7 Md$ entre 2017 et 2019.

* 12 Ibid.

* 13 Soit 36 % des IDE chinois.

* 14 Soit 18 % des IDE chinois.

* 15 La plate-forme numérique Upply, filiale du groupe Geodis, compte depuis octobre 2019 une place de marché dédié au transport routier de marchandises.

* 16 China Merchants détient des parts dans 4 ports en France, 1 en Belgique, 1 en Grèce et 1 à Malte, et Cosco dans 2 ports en Espagne, 2 en Belgique, 1 en Grèce, 1 en Italie et 1 aux Pays-Bas.

* 17 Article « Quelles leçons tirer des investissements chinois dans les ports européens ? » de Ganyi Zhang publiée le 7 mai 2019 sur le site Upply Analyses & Tendances à l'adresse suivante : https://market-insights.upply.com/fr/quelles-lecons-tirer-des-investissements-chinois-dans-les-ports-europeens

* 18 Seul en lice après le retrait de la procédure des candidats danois et philippin en 2015.

* 19 « Vent de fronde antichinois au port du Pirée » de Marina Rafenberg, publié le 11 mars 2021 sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/11/vent-de-fronde-antichinois-au-port-du-piree_6072729_3234.html et « Grèce : cinq ans après sa privatisation, où en est le port du Pirée ? » publié le 26 avril 2021 sur le site de France info à l'adresse suivante : https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/grece-cinq-ans-apres-sa-privatisation-ou-en-est-le-port-du-piree_4387459.html

* 20 « European seaports and Chinese strategic influence the relevance of the Maritime Silk Road for the Netherlands » par Frans-Paul van der Putten, https://www.clingendael.org/sites/default/files/2019-12/Report_European_ports_and_Chinese_influence_December_2019.pdf.

* 21 Cité dans l'article « L'inquiétante influence chinoise dans les ports du nord de l'Europe » par Claude Fouquet, publié le 26 décembre 2019 sur le site des Échos à l'adresse suivante : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/linquietante-influence-chinoise-dans-les-ports-du-nord-de-leurope-1159009

* 22 La politique communautaire du RTE-T qui vise à compléter d'ici 2030 le réseau central (Core Network) structuré autour des 9 corridors multimodaux, de manière efficace, durable et performante, en vue de permettre la décarbonation de tous les modes de transport. D'ici à 2050 c'est le réseau global (Comprehensive Network) qui doit être finalisé afin de faciliter l'accessibilité à toutes les régions européennes.

* 23 La compagnie CNOOC a acquis Nexen UK en 2013 devenue désormais CNOOC Petroleum Limited. Elle est également principal actionnaire à hauteur de 43 % de Buzzard, l'un des principaux gisements de pétrole en mer du Nord. L'éolien offshore britannique a également fait l'objet d'investissements chinois.

* 24 « Les investissements chinois en Europe dans le secteur des énergies renouvelables : quelle stratégie ? Doit-on s'en inquiéter ? » par Sylvie Matelly publié dans Diplomatie n° 97, Aerion Group, mars-avril 2019 et à l'adresse suivante : https://www.areion24.news/2020/04/27/les-investissements-chinois-en-europe-dans-le-secteur-des-energies-renouvelables-quelle-strategie-doit-on-sen-inquieter/

* 25 Ibid.

* 26 Elles correspondent à des tensions de 600 kV pour des lignes en courant continu (DC) et plus de 1000 kV pour les lignes en courant alternatif (AC).

* 27 Mastère OSE (Optimisation des Systèmes Energétiques) « Les projets chinois de lignes électriques à ultra haute tension », de Côme Gendron et Abdelhamid Ahajjam, du 7 janvier 2020.

* 28 Source : « Les investissements chinois, russes et américains dans le secteur énergétique européen » de Catherine Locatelli, Manfred Hafner, Sylvie Matelly, Jean-Jacques Nieuvaert et Samuel Carcanague, Rapport de janvier 2020 de l'observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques.

* 29 Ibid.

* 30 Ardelean, M. and Minnebo, P., A China-EU electricity transmission link: Assessment of potential connecting countries and routes, EUR 29098 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2017, ISBN 978-92-79-79358-5, doi:10.2760/67516, JRC110333.

* 31 D'un montant estimé à 930 millions d'euros, ce projet, lancé en 2011, est reconnu comme Projet d'Intérêt Commun (PIC) par l'Union Européenne.

* 32 Propriétaire notamment des skis Salomon, Atomic et de la marque Wilson.

* 33 Citée dans « Les investissements chinois en Europe au plus bas depuis dix ans » de Frédéric Schaeffer, publié le 21 juin 2021 sur le site des Échos à l'adresse suivante : https://www.lesechos.fr/monde/chine/les-investissements-chinois-en-europe-au-plus-bas-depuis-dix-ans-1325383

* 34 Sandro, De Fursac, etc.

* 35 CGIT calcule le stock d'IDE chinois en milliards de dollars et entre 2006 et 2019 soit 24,8 milliards, alors que le groupe Rhodium l'évalue entre 2000 et 2019 en milliards d'euros soit 14,4, équivalant à 16,8 milliards de dollars. Un écart de 8 milliards de dollars sur une période de référence plus courte de six ans montre bien la difficulté qui existe à tenter de recenser les investissements étrangers en France.

* 36 À l'occasion du Forum des affaires Chine-Europe centrale et orientale qui se tenait à Varsovie.

* 37 Lors du Sommet du format tenu à Riga en 2016, il était prévu que la Slovaquie accueille le Centre de Transfert de Technologie Chine-Europe centrale et orientale, la Roumanie le Centre Chine-Europe centrale et orientale pour le dialogue et la coopération en matière de projets énergétiques, la Pologne le Centre européen de transbordement de la Nouvelle Route de la soie, la République de Macédoine du Nord le Centre Chine-Europe centrale et orientale de coordination de la coopération culturelle, la Slovénie le Centre Chine-Europe centrale et orientale pour la coopération forestière.

* 38 « La Grèce est-elle en train de devenir une colonie chinoise ? » d'Alexandros Kottis, publié le 2 janvier 2020 sur le site Slate à l'adresse suivante : http://www.slate.fr/story/185789/la-grece-est-elle-en-train-de-devenir-une-colonie-chinoise

* 39 Voir l'article « Xi Jinping à Athènes : pourquoi la Chine continue à cajoler la Grèce » de Sébastian Seibt, publié le 12 novembre 2019 sur le site de France 24 à l'adresse suivante : https://www.france24.com/fr/20191112-xi-jinping-grece-chine-investissement-europe-piree-histoire.

* 40 Aussi connu comme l'Initiative des mers Baltique, Adriatique et de la mer Noire (IMBAMN).

* 41 « Un fait nouveau est toutefois à souligner : lors de ce forum économique, la participation éventuelle de la Russie à la coopération entre la Chine et les 16 pays d'Europe Centrale a été évoquée. En effet, étant donné que la nouvelle route de la soie passerait par la Russie, une formule de coopération à « 17+1 » ou à « 16+1+1 » a donc été débattue. », « Le sommet du Format « 16+1 » à Riga : vers une institutionnalisation renforcée et une plus grande diversification de la coopération entre la Chine et les seize pays d'Europe centrale et orientale » par Richard Dorota, publié le 24 février 2017 sur le site de l'IRIS à l'adresse suivante : https://www.iris-france.org/89551-le-sommet-du-format-161-a-riga-vers-une-institutionnalisation-renforcee-et-une-plus-grande-diversification-de-la-cooperation-entre-la-chine-et-les-seize-pays-deurope-centrale/

* 42 Richard Dorota, « Europe centrale : l'Initiative des Trois mers » , Politique étrangère , 2018/2 (Été), p. 103-115. DOI : 10.3917/pe.182.0103. URL : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2018-2-page-103.html

* 43 Lors du sommet de l'ITM de 2017, cet équipement « aurait pour fin l'indépendance énergétique de la région (...) les entreprises polonaises et croates ont signé des accords pour sa réalisation ; les travaux devraient être achevés en 2020-2022 » .

* 44 « La tension entre la Chine et la Lituanie s'intensifie », publié le 26 août 2021 sur le site Chine Magazine à l'adresse suivante : https://www.chine-magazine.com/la-tension-entre-la-chine-et-la-lituanie-sintensifie/

* 45 « La Chine et les Balkans occidentaux : un ancrage à la périphérie de l'UE » , par Xavier Richet publié le 29 avril 2020, sur le site The conversation à l'adresse suivante : https://theconversation.com/la-chine-et-les-balkans-occidentaux-un-ancrage-a-la-peripherie-de-lue-137039

* 46 Voir notamment le rapport intitulé « China at the gates : a new power audit of EU-China Relations », de François Godement et Abigaël Vasselier, ECFR, 2017.

* 47 Ces chiffres sont extraits de l'article intitulé « Les nouvelles routes de la soie passent aussi par l'Europe de l'est » par Jean-Christian Cady, publié le 29 novembre 2017 sur le site institut-du-pacifique.org.

* 48 « La Hongrie, tête de pont de la Chine en Europe » par Jean-Baptiste Chastand, publié le 22 janvier 2001 sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/

international/article/2021/01/22/la-hongrie-tete-de-pont-de-la-chine-en-europe_6067195_3210.html

* 49 Cainiao Logistics .

* 50 « La Hongrie, cheval de Troie de la Chine en Europe » par Pierre Haski, publié le 30 avril 2021 sur le site du Point à l'adresse suivante : https://www.nouvelobs.com/monde/20210430.OBS43464/la-hongrie-cheval-de-troie-de-la-chine-en-europe.html

* 51 « Hongrie : la tentation chinoise de Viktor Orban » par Jean-Baptiste Chastand, publié le 14 juin 2021 sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/14/hongrie-la-tentation-chinoise-de-viktor-orban_6084026_3232.html

* 52 Ibid ; « Nous devons éviter la réémergence de politiques de guerre froide. Nous avons besoin de coopération, pas de boycotts, de sanctions, de sermons et de leçons », a justifié M. Orban dans un de ces communiqués où il défend mordicus son droit de veto.

* 53 « Le positionnement stratégique des états des Balkans occidentaux face aux puissances extérieures » du Dr Ardijan Sainovic, postdoctorant à l'Irsem, paru en juillet 2020 sur le site de l'Irsem à l'adresse suivante : https://www.irsem.fr/

data/files/irsem/documents/document/file/3269/NR_IRSEM_n103_2020.pdf

* 54 « La Serbie, sas d'entrée vers l'Europe pour Pékin » par Jean-Baptiste Chastand, publié le 19 mars 2021 sur le site du Monde à l'adresse suivante : https://www.lemonde.fr/international/

article/2021/03/19/la-serbie-sas-d-entree-vers-l-europe-pour-pekin_6073757_3210.html

* 55 Ibid.

* 56 Ou politique des nouvelles routes de la soie.

* 57 Document d'analyse n° 03/2020 « La réponse de l'UE à la stratégie d'investissement étatique de la Chine » , Cour des comptes européenne, 10 septembre 2020, Mme Annemie Turtelboom, Membre de la Cour des comptes européenne, responsable du document d'analyse, à l'adresse suivante :

https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/RW20_03/RW_EU_response_to_China_FR.pdf

* 58 Étude de Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, citée dans l'article « La Chine durcit sa guerre d'influence à l'échelle planétaire » de Nathalie Guibert et Brice Pedroletti, parue le 3 septembre 2021 sur le site du Monde, à l'adresse suivante https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/03/la-chine-durcit-sa-guerre-d-influence-a-l-echelle-planetaire_6093206_3210.html.

* 59 Document d'analyse n° 03/2020 « La réponse de l'UE à la stratégie d'investissement étatique de la Chine » , précité.

* 60 « Endettement. Monténégro, le pays qui s'est hypothéqué à la Chine » par Milos Vukovic, publié le 31 mai 2021 sur le site de courrier international à l'adresse suivante : https://www.courrierinternational.com/article/endettement-montenegro-le-pays-qui-sest-hypotheque-la-chine

* 61 « Pourquoi la Chine achète-t-elle compulsivement les ports d'Europe? » par Keith Johnson publié le 8 février 2018 sur le site Slate à l'adresse suivante : http://www.slate.fr/story/157396/chine-ports-europe

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