II. UNE DOUBLE CRISE QUI INCITE À UNE RÉVISION EN PROFONDEUR DU RÉGIME DES AIDES À LA PRESSE ÉCRITE
Hors dépenses fiscales, les aides à la presse représentaient, avant la mise en place de nouveaux dispositifs dans le cadre du Plan de relance, 21,4 % du chiffre d'affaires du secteur, soit une progression de 6 points sur les dix dernières années.
Il y a lieu de s'interroger dans ces conditions tant sur le risque qu'une telle dépendance aux fonds publics peut faire peser sur l'indépendance de la presse que sur la pertinence des dispositifs mis en place. Ceux-ci permettent, en effet, de maintenir sous perfusion un secteur sans l'inciter réellement à mener à bien les choix industriels nécessaires en vue de s'adapter aux nouvelles habitudes de lecture. Un changement de philosophie apparaît indispensable, la crise sanitaire ayant manifestement accéléré une mutation du lectorat.
L'absence d'évolution majeure du régime des aides à la presse conduit en effet inévitablement à la transformation de celui-ci en un mécanisme de rente.
A. LA CRISE SANITAIRE EST VENUE EXACERBER LES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES D'UN SECTEUR DÉJÀ FRAGILISÉ PAR L'EFFONDREMENT DE PRESSTALIS
En dépit de la progression des téléchargements, la crise sanitaire est venue exacerber les difficultés rencontrées par le secteur qui se résument principalement à une chute des ventes et à une attrition concomitante des recettes publicitaires.
Répartition du chiffre d'affaires des titres de
presse écrite selon les recettes
(1988-2018)
(en pourcentage)
Source : Direction générale Médias et Industries culturelles, ministère de la culture, réponse au questionnaire budgétaire 2021
La diffusion de l'ensemble des titres de presse, qui était stabilisée autour de 7 milliards d'exemplaires pendant près de vingt ans connaît une forte érosion depuis 2009. Celle-ci est liée en grande partie à la chute de la diffusion de la presse gratuite d'annonces. Il n'en demeure pas moins que tous les types de presse sont concernés. Ainsi en 2018, la diffusion de l'ensemble des titres de presse s'établissait à 3,2 milliards d'exemplaires, soit une baisse de 43,5 % depuis 2009. Entre 2009 et 2018, la plupart des acteurs ont connu une baisse de leur diffusion de 50 %, la presse locale d'information enregistrant une moindre baisse, établie à environ 30 %.
Indice de diffusion de la presse écrite d'IPG
nationale et locale
(quotidiens payants et gratuits et magazines
hebdomadaires)
(Base 100 en 2007)
2018 |
2019 |
2020 (prévision actualisée) |
2021 (prévision) |
2023 (cible) |
72,5 |
70 |
64,9 |
63,2 |
59,9 |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
1. L'impact majeur de la crise sanitaire
La perte de chiffre d'affaires pour l'ensemble du secteur est estimée, par le ministère de la culture, à 1,9 milliard d'euros en 2020, soit une chute de 16 % par rapport à 2019. Circonscrite aux éditeurs de journaux, la perte atteint 559 millions d'euros par rapport à 2019 (- 15 %), les éditeurs de revue et de périodiques enregistrant un recul de 728 millions d'euros (- 16 %).
La presse papier a, dans ce contexte, perdu 23,7 % de ses recettes publicitaires par rapport à 2019, celles-ci dépassant à peine 1,5 milliard d'euros.
Les recettes sont cependant restées stables en ligne, même si des situations contrastées ont pu être observées selon la part de publicité programmatique et l'évolution des audiences de chacun des éditeurs. Reste que ces revenus supplémentaires ne couvrent que 5 % des pertes liées à la baisse de la publicité imprimée.
L'activité presse moyenne d'un magasin spécialisé indépendant a de son côté baissé de 4,2 % par rapport à 2019. L'exercice 2020 a par ailleurs été marqué par la suppression de 1 068 points de vente, soit 4,9 % du total.
Impact de la crise sanitaire sur différents indicateurs en 2020
(en %)
Source : commission des finances du Sénat
2. L'impact budgétaire de la liquidation judiciaire de Presstalis et son remplacement par France Messagerie
L'année 2020 a également été marquée par la liquidation de Presstalis. Son remplacement par France messagerie résout une difficulté conjoncturelle majeure mais ne règle pas définitivement la question de la distribution.
Au-delà des incidences sur le fonctionnement normal du marché, l'effondrement de Presstalis a également un coût budgétaire majeur. En effet, en additionnant les abandons de créances aux crédits accordés en loi de finances initiale puis dans le cadre du troisième collectif budgétaire, l'aide de l'État accordée en vue de la liquidation de Presstalis et du lancement de France Messagerie s'est élevée à 300,58 millions d'euros en 2020.
Crédits dédiés à
l'accompagnement de liquidation de Presstalis
et son remplacement par France
Messagerie
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La situation du nouvel opérateur apparaît cependant toujours aussi fragile, dépendante de nombreux aléas, qu'il s'agisse des restrictions d'activité liées aux mesures sanitaires ou, plus structurellement, à l'attrition du nombre de lecteurs de journaux papiers.