L'ESSENTIEL
Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial des crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » a présenté le mercredi 2 juin 2021 les conclusions de son contrôle budgétaire sur « NexSIS 18-112 », le système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile.
I. UNE ORGANISATION ÉCLATÉE DU TRAITEMENT DES ALERTES, INSATISFAISANTE SUR LE PLAN OPÉRATIONNEL, QUI A MOTIVÉ LE DÉVELOPPEMENT D'UN SYSTÈME MUTUALISÉ
A. UNE ABSENCE D'INTEROPÉRABILITÉ, À LA FOIS ENTRE LES ÉQUIPEMENTS DES SDIS EUX-MÊMES, ET AVEC CEUX DES AUTRES ACTEURS DU SECOURS
Chaque service d'incendie et de secours (SIS) s'est équipé unilatéralement de systèmes d'information destinés d'une part, à la réception et au traitement des demandes de secours, à travers un système de gestion des alertes (SGA) , et d'autre part à l'engagement des moyens d'interventions, à l'aide d'un système de gestion opérationnelle (SGO) . Édités par différents industriels, ces systèmes d'information répondent aussi à des spécificités propres à chaque SIS, si bien qu 'ils sont très inégaux et qu'ils ne peuvent pas être interconnectés .
Par ailleurs, ces systèmes d'information sont partiellement interopérables avec ceux des SAMU, et aucun échange direct n'est possible avec ceux de la police ou de la gendarmerie nationale. Enfin, ils ne sont pas interfacés avec les outils des instances de commandement (préfecture, centre opérationnel de zone ou centre opérationnel de gestion interministérielle de crises ).
Cette absence d'interopérabilité entraine des lacunes fragilisant la prise en charge des personnes à secourir. Ces lacunes ont été rendues particulièrement visibles lors des attentats de novembre 2015 :
- dans l'incapacité de pouvoir solliciter l'entraide de départements voisins, les centres d'appels ne peuvent pas traiter toutes les alertes ou alors dans des délais trop longs ;
- l 'absence de partage de données en temps réel entre le SAMU, les sapeurs-pompiers et les forces de sécurité entrave la coordination des moyens de secours ;
- ces difficultés peuvent alors se répercuter sur le déclenchement des interventions et allonger leurs délais .
B. LA NÉCESSITÉ D'UN NOUVEAU SYSTÈME, INNOVANT SUR LE PLAN TECHNOLOGIQUE, ET MOINS COÛTEUX POUR LES FINANCES PUBLIQUES
Outre leur défaut d'absence d'interopérabilité, les SGA-SGO aujourd'hui en service dans les SIS sont marqués par un niveau technologique inégal et d'importants surcoûts , et sont aussi proches de l'obsolescence pour la plupart. Ces carences ont ainsi justifié la nécessité de développer un nouvel outil interopérable et commun à tous les SIS.
Synthèse des carences constatées parmi les SGA-SGO en service
Carence constatée en 2016 |
Exemples de conséquences opérationnelles pour les SIS |
Marché « de niche » morcelé, encadré par la marque NF399 qui ne produit pas les effets escomptés |
• Hétérogénéité des solutions et niveau technologique et fonctionnel des SGA/SGO inégal sur le territoire • Pas de mutualisations en matière d'ingénierie ou d'infrastructures techniques • À chaque modification (réglementaire, technique, processus d'intervention, ...), pas de mutualisation des sollicitations vers les éditeurs pour incorporer de nouvelles fonctionnalités • Absence de partage des actions de formation, absence de partage des retours d'expérience sur le meilleur emploi de fonctionnalités et la résolution de défauts • Pas de mutualisation des ressources humaines dédiées aux SGA/SGO |
Pas de système de gestion unifiée des alertes |
• Limitation des capacités de traitement, occasionnant des pertes d'appels parfois critiques • Organisation très limitée dans l'entraide entre services d'incendie et de secours en cas de défaillance ou d'afflux massifs d'appel, et coût en ETP pour prévoir dans chaque SDIS des ressources disponibles en cas d'afflux massifs d'appels |
Pas d'échanges de données opérationnelles entre SDIS |
• Difficulté d'intervention dans un département limitrophe • Retard dans l'engagement des moyens • Impossibilité d'inclure les moyens externes dans le suivi des interventions • Contraintes de pilotage, notamment dans les grands feux de forêts |
Pas d'échanges de données avec les systèmes des forces de police de gendarmerie |
• Permanence de communications téléphoniques non rémanentes et chronophages • Perte d'information pour plus de plus de 2 200 000 interventions par an qui nécessitent un concours simultané des forces |
Impossibilité d'assurer avec tous les SAMU les échanges nécessaires dans le cadre du traitement des alertes |
• Peu de partage des éléments de conduite opérationnelle, comme les éléments du bilan médico-secouriste • Permanence de communications téléphoniques qui conduisent à des retards dans le traitement de l'alerte • Perte d'informations et saisies multiples |
Pas d'échanges de données avec les organes de coordination et de pilotage de la sécurité civile |
• Lors d'opérations de grande ampleur, nécessité de se connecter à un système national dédié à renseigner manuellement alors que les équipes sont surchargées • Sous-information des centres de coordination zonaux sur l'activité opérationnelle des SDIS et réception des bilans a posteriori et en décalé lorsqu'ils concernent plusieurs départements • Difficulté des centres de coordination à participer à la gestion de crises |
Pas de politique commune de sécurité et des ressources partagées de filtrage et de contrôle disponibles pour les systèmes critiques du ministère de l'Intérieur |
• Vulnérabilité aux dysfonctionnements et cybermenaces • Surcoût sur les politiques de sécurité pour les SDIS, notamment pour acquérir des infrastructures résilientes, démultipliées et redondées, sur des sites différents |
Impossibilité pour les SGA de traiter des alertes autres que l'appel téléphonique |
• Impossibilité d'exploiter les flux multimédias, tant à l'occasion de la prise de l'appel que dans la conduite opérationnelle • Perte d'informations majeures pour traiter l'appel et organiser la réponse opérationnelle • Les éléments multimédias collectés par des outils tiers ne sont pas partagés dans les systèmes de gestion opérationnelle |
Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial et étude de faisabilité de décembre 2016
Les dépenses en matière d'acquisition et de maintenance de ces systèmes d'information n'ont aussi cessé de croître, pour atteindre des niveaux particulièrement élevés, estimés à près de 600 millions d'euros sur la période 2005-2015 sur l'ensemble des SIS .
Le développement d'un système unifié permettra de réduire considérablement ces coûts, le budget consacré à NexSIS 18-112 s'élevant à 237 millions d'euros sur les 10 premières années, pour l'ensemble des SIS et l'État .
Répartition des coûts de NexSIS 18-112 sur 10 ans
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Au-delà de cette économie globale, NexSIS permettra aussi d'importants gains financiers au niveau de chaque SIS, avec une redevance annuelle d'exploitation de 100 000 à 430 000 euros par an, contre auparavant des dépenses cumulées allant de 230 000 euros à 1 million d'euros.
II. UN PROJET DÉVELOPPÉ EN CO-CONSTRUCTION, ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, À L'AIDE D'UNE AGENCE AD HOC
A. UNE AGENCE DU NUMÉRIQUE DE LA SÉCURITÉ CIVILE À GOUVERNANCE PARTAGÉE, DONT LES MOYENS POURRAIENT ÊTRE RENFORCÉS
À la suite des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du projet ANTARES (radio numérique pour les SIS), la recherche d'un meilleur mode de gouvernance a conduit l'État à créer un nouvel établissement public pour porter le développement de NexSIS 18-112. Créée fin 2018, l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) assure ainsi une représentation paritaire entre l'État et les élus locaux au conseil d'administration , lequel est par ailleurs présidé par un président de conseil d'administration de SIS.
La taille de cette agence peut sembler relativement modeste alors qu'elle comprend seulement 20 agents salariés . Ses activités de développement sont ainsi très peu internalisées, à seulement 6 % , ce qui est très en-dessous du ratio préconisé par la direction interministérielle du numérique (à 37 %). Une hausse des effectifs de l'ANSC doit donc être envisagée à cet égard.
B. UN COFINANCEMENT REPOSANT SUR UNE DOTATION DE L'ÉTAT, UNE CONTRIBUTION VOLONTAIRE ET UNE REDEVANCE VERSÉES PAR LES SIS
Si le financement des SGA et SGO relève en principe de la compétence des SIS, il a été convenu que l'État finance pour partie la construction du produit. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) y contribue donc, pour environ 7 millions d'euros par an, soit 1 ,2 % du montant total des crédits du programme 161.
Le versement de cette contribution doit s'arrêter à partir de 2023, l e modèle économique du programme escomptant un autofinancement par les redevances versées par les SIS. Ces derniers doivent en effet contribuer pour 84 % du financement du projet , selon deux modalités :
- une fois NexSIS déployé, une redevance ajustée aux caractéristiques propres à chaque SIS , avec une part globalisée , tenant compte de la démographie, et une part spécifique ;
- en amont du déploiement de NexSIS, une contribution volontaire de préinvestissement , déductible du montant de la redevance. Une trentaine de SIS a déjà versé une telle contribution.
Modèle économique de NexSIS 18-112 sur 10 ans
Source : Plan projet NexSIS 18-112, 2018
III. UN DÉPLOIEMENT RÉALISÉ PROGRESSIVEMENT JUSQU'EN 2026, ET DONT LE SUCCÈS DÉPEND D'UNE TRANSITION SANS RÉGRESSION
A. UNE ADHÉSION VOLONTAIRE DES SIS AU NOUVEAU SYSTÈME, QUI SUPPOSE DE LUI GARANTIR UN HAUT NIVEAU D'ATTRACTIVITÉ
Si l'objectif de déployer NexSIS sur l'ensemble du territoire est poursuivi, l'adhésion au nouveau système reste relativement libre, même si les SIS sont obligés d'en être équipés s'ils veulent disposer d'un SGA-SGO interopérable avec les systèmes d'information tiers.
Pour le moment, l'engouement des SIS pour la réception de NexSIS est très majoritaire. Cela dit, certains sont dans l'expectative, et préfèrent attendre une « maturation » du produit, afin d'avoir la certitude que sa qualité ne soit pas inférieure à celle de leur SGA-SGO actuel.
L'intérêt de NexSIS mérite donc d'être renforcé, d'une part sur le plan opérationnel . L'ANSC doit ainsi veiller à assurer une transition sans régression, en intégrant bien la question des interfaçages avec les systèmes d'information tiers, notamment ceux des autres acteurs du secours. D'autre part, l'attractivité de NexSIS sur le plan financier pourrait aussi être valorisée alors que d'autres économies seront permises par de nouvelles mutualisations de commande.
B. UN CALENDRIER DE DÉPLOIEMENT ÉCHELONNÉ SUR LA BASE D'UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE PRUDENTE
Le nombre de SIS candidats à la migration vers le nouveau système étant supérieur aux capacités de déploiement de l'agence , des critères objectifs de priorisation des migrations ont été définis, tels que :
- le niveau d'obsolescence des systèmes en place ;
- le risque contractuel avec leurs éditeurs ;
- la mobilisation des ressources locales du SIS pour mener à bien le déploiement ;
- la tenue prochaine d'événements internationaux, tels que la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de 2024.
Dates de déploiement prévues pour les SIS candidats
Source : ANSC, janvier 2020
Ce calendrier de déploiement s'accompagne d'une trajectoire financière prudente , qui reste néanmoins proche de la programmation prévue dans le cadre du modèle économique du projet.
Dépenses réalisées et
prévues
par rapport à la trajectoire programmée par le
modèle économique
(en millions d'euros)
Source : Plan projet et réponses au questionnaire du rapporteur spécial, mars 2021