PREMIÈRE PARTIE
LA PROLIFÉRATION DES ALGUES VERTES,
UN PHÉNOMÈNE MULTIFACTORIEL DONT LA PRISE EN COMPTE A ÉTÉ TARDIVE

L'évaluation de la performance du financement de la lutte contre les algues vertes doit passer par une analyse préalable des objectifs de politique publique qui ont conduit à la mise en place des plans de lutte.

I. UNE PROLIFÉRATION DÉCOULANT DE L'EUTROPHISATION DU LITTORAL BRETON ESSENTIELLEMENT IMPUTABLE À L'AGRICULTURE INTENSIVE DÉVELOPPÉE À PARTIR DES ANNÉES 1960

La responsabilité de l'agriculture intensive dans la prolifération des algues vertes détermine l'orientation des actions financées dans le cadre des plans de lutte. Cette responsabilité n'a cependant été que trop tardivement reconnue et les réponses de l'État lentes à se mettre en place .

A. LE RÔLE DU MODÈLE AGRICOLE BRETON DANS LES MARÉES VERTES

Les marées vertes correspondent à une prolifération de macro algues vertes, dénommées ulves ( ulva armoricana) .

Le développement d'algues vertes est favorisé par la présence dans les eaux bretonnes de nutriments en grande quantité, et en particulier d'azote et de phosphore.

Les ulves se multiplient dans les baies bretonnes car elles peuvent stocker rapidement l'azote, présent en grande quantité dans ces eaux. Il s'agit du résultat d'un phénomène classique d' eutrophisation, c'est-à-dire d'un déséquilibre du milieu provoqué par une concentration excessive en nitrates .

Les diagnostics scientifiques ont en effet montré que l'azote est le paramètre qui a le plus augmenté dans le milieu depuis les années 1950. Cela se traduit sur le long terme par une relative corrélation entre les flux d'azote et les marées vertes , visible notamment sur le graphique ci-dessous.

Volume d'algues vertes ramassé annuellement de 1997 à 2019
et taux de nitrates dans les eaux bretonnes

Volume d'algues ramassées (en milliers de m 3 )

Source : Commission des finances d'après le Centre d'étude et de valorisation des algues (CEVA)

À certaines saisons, les ulves prolifèrent en quantité trop importante et se déposent sur les côtes bretonnes, créant ainsi les « marées vertes ». Toutefois, le phénomène concerne inégalement les différents départements bretons, les Côtes d'Armor et le Finistère connaissant régulièrement les épisodes les plus importants .

La problématique des algues vertes sur le littoral breton est par ailleurs ancienne. Comme l'indique le graphique ci-dessus, les quantités d'algues vertes ramassées à la fin des années 1990 sont proches de celles collectées au cours des dernières années, après un pic de 2010 à 2011, qui correspond à la mise en place d'une réelle politique de lutte contre le phénomène.

Le volume d'algues ramassé annuellement est de 52 000 mètres cubes (m 3 ) en moyenne sur les dix dernières années , le maximum ayant été atteint en 2019 avec près de 90 000 m 3 récoltés .

1. Une origine agricole des nitrates désormais reconnue

Ces taux de nitrates élevés découlent essentiellement de pollutions « diffuses », liées à des fertilisations excessives des terres agricoles, favorisées par l'exploitation intensive des sols et l'usage massif d'intrants , tous deux caractéristiques du modèle agricole breton.

Si la responsabilité de l'agriculture bretonne dans les marées vertes a longtemps fait l'objet de débats, ceux-ci sont aujourd'hui tranchés. Le centre d'étude et de valorisation des algues (CEVA) a établi que 95 à 98 % des nitrates dans l'eau des bassins versants bretons sont d'origine agricole . En d'autres termes, « les diagnostics effectués ont démontré que les nitrates d'origine agricole étaient le paramètre déterminant dans les proliférations d'algues vertes » 1 ( * ) .

Le modèle agricole intensif mis en place depuis les années 1960, en particulier du fait de la densité des exploitations d'élevage, se traduit par une importante production d'effluents d'origine animale. Ces effluents sont épandus car ils constituent un engrais permettant d'accélérer la croissance des productions, et se retrouvent ensuite dans les eaux littorales par ruissellement. Les zones agricoles sont donc celles où les fuites de nitrates sont potentiellement plus élevées.

Source : DRAAF Bretagne et CEVA

Il n'est pas possible de déterminer une causalité directe entre les zones d'élevage et les rejets de nitrates . Les épandages sont généralement concentrés dans les zones de culture destinées à l'alimentation animale.

Plus rarement, une concentration en nitrates très élevée peut découler de pollutions ponctuelles , liées à des stations d'épuration ou des installations industrielles. Une étude du Conseil général de l'environnement et du développement durable 2 ( * ) chiffre à environ 2 % du total la part des nitrates dans les bassins versants bretons d'origine non agricole, soit 1 500 tonnes en 2012 .

Le modèle agricole breton

Espace agricole tardivement développé, la Bretagne a fait l'objet d'intenses mutations à partir des années 1960. L'agriculture bretonne est aujourd'hui une agriculture d'entreprise, tournée vers l'exportation, industrialisée et très intégrée à la filière agroalimentaire.

L'activité du secteur agricole fournit 4 % des emplois bretons, soit le double de la moyenne nationale. Les 26 484 exploitations agricoles bretonnes employaient 68 110 actifs en 2018 , auxquels s'ajoutent 72 000 employés dans la filière agroalimentaire. Sur ces exploitations, huit sur dix sont de grande taille, c'est-à-dire que leur production brute standard est égale ou supérieure à 25 000 euros.

Répartition de la production agricole bretonne par filière en 2019

Source : chambre régionale d'agriculture de Bretagne

L'ensemble des productions agricoles bretonnes a généré 9 milliards d'euros en 2019, en hausse de 5 % par rapport à 2018, dont 67 % proviennent des productions animales.

La Bretagne est la première région de France pour la production porcine, 58 % de celle-ci venant de Bretagne , soit un total de 7,6 millions de porcs. La Bretagne est également la première région française pour la production laitière avec 12 900 élevages laitiers ainsi que pour la production avicole, qui représente un tiers de la production française.

Le « modèle agricole breton » productiviste engendre une forte anthropisation de l'environnement . La surface agricole utilisée (SAU) des exploitations bretonnes est de 1 625 990 hectares en 2019, ce qui signifie que 62 % du territoire régional est consacré à l'agriculture . Les zones artificialisées représentent 13 % de la superficie régionale contre 9,4 % en France métropolitaine en 2015. Le développement de l'agriculture biologique s'est toutefois accéléré au cours des dernières années. Actuellement, 8 % de la SAU bretonne est en agriculture biologique, ce qui ne permet pas toujours de limiter les fuites de nitrates.

Source des données chiffrées : Chambre d'agriculture de Bretagne, ABC 2020

Le principal enjeu est donc de mettre en oeuvre une gestion des effluents limitant les fuites de nitrates , ce qui ne peut passer que par une évolution des pratiques agricoles.

2. Une prolifération qui dépend également de facteurs climatiques

La présence de nitrates dans l'eau ne suffit pas à elle seule à expliquer les phénomènes de marées vertes . Plusieurs zones bretonnes où les concentrations en nitrates sont comparables à celles des baies où se produisent les marées vertes ne sont pas confrontées au problème.

En effet, la prolifération rapide des ulves dépend de plusieurs facteurs, notamment la morphologie du littoral . Les grandes baies bretonnes présentent différentes caractéristiques permettant le développement des algues : un espace important ; des masses d'eau relativement peu mobiles du fait du caractère clos de la baie et donc des eaux plus chaudes favorisant un enrichissement des eaux en éléments nutritifs ; une eau claire qui permet la photosynthèse ; des précipitations fréquentes qui lessivent les sols et drainent les nitrates vers les littoraux .

Le CEVA constate ainsi que des débits des cours d'eau multipliés par deux ou par trois au printemps 2020 sur la baie de St Brieuc ont déclenché un redémarrage de la prolifération. Dans les zones les plus fortement saturées en azote, la pluviométrie a un rôle moindre, dès lors qu'une baisse des précipitations ne permettra pas de passer en deçà du niveau d'azote permettant aux algues de proliférer.

Le volume d'algues varie très fortement selon les années, les marées vertes dépendant notamment du stock des échouages constatés durant l'année précédente . Les paramètres climatiques hivernaux jouent également un rôle, dès lors que les tempêtes hivernales permettent de disperser le stock, là où un hiver calme favorise le maintien d'un stock important.

Les échouages ne sont en outre pas répartis de façon égale au cours d'une même année , du fait de la variation saisonnière des facteurs limitants sur l'évolution des stocks d'algues . Au printemps, les stocks résiduels sont faibles et limités par la température jusqu'en mai environ, ce qui explique que les échouages sont généralement moindres pendant les premiers mois de l'année. Les proliférations atteignent cependant leur pic pendant la période estivale avant de diminuer en automne puis en hiver, permettant de redémarrer le cycle l'année suivante.

Le stock annuel est donc la conséquence à la fois du stock antérieur et de la prolifération estivale, laquelle peut être plus ou moins précoce, avec une saison pouvant démarrer en mars, à l'instar de l'année 2017.

Cycle annuel des échouages d'algues vertes de 2002 à 2020

Source : CEVA

Ainsi, si la présence de nitrates dans l'eau est responsable des marées vertes, une forte concentration en nitrates n'est pas une condition suffisante pour que l'on puisse constater une prolifération, même s'il s'agit du principal facteur toutes choses égales par ailleurs .

En outre, le réchauffement progressif des masses d'eau découlant du changement climatique devrait tendanciellement accroître les échouages au cours des prochaines années.


* 1 CEVA, réponse au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

* 2 Rapport CGEDD - CGAAER n° 007942-01, Bilan des connaissances scientifiques sur les proliférations de macro-algues vertes , mars 2012.

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