B. UN FINANCEMENT DE L'ÉTAT PAR LE PITE QUI DOIT ÊTRE CONSERVÉ
1. Le PITE, un instrument budgétaire ad hoc porté par le programme 162 de la mission Cohésion des territoires
Le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE) , créé en 2006 , est composé de sept actions territorialisées répondant à des enjeux divers. Le PITE présente deux grandes caractéristiques qui le distinguent des autres programmes budgétaires :
- il se compose d'actions répondant à des enjeux locaux spécifiques , dont la mise en oeuvre est limitée à un périmètre géographique donné et ne correspondant pas à une politique publique nationale ;
- il est financé par des contributions issues de programmes de différents ministères, rendus fongibles au niveau de chaque action . Le PITE a ainsi vocation à mutualiser des moyens déjà consacrés par chaque ministère à la réalisation de l'action et non à créer de nouvelles lignes de dépenses.
Comme l'a souligné le rapporteur spécial dans un précédent rapport de contrôle, si le PITE est dérogatoire à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 25 ( * ) , « elle fait suite à une demande spécifique du ministère de l'intérieur de disposer d'un outil permettant de pallier les inconvénients du cloisonnement par programme des crédits budgétaires relevant d'un même ministère » 26 ( * ) .
Ce programme représente un faible enjeu budgétaire en termes de montants de crédits et dans l'ensemble, les crédits du PITE tendent à diminuer depuis la création du programme . Initialement doté de près de 149 millions d'euros en AE et de 85 millions d'euros en CP pour huit actions en 2006, son montant total en 2021 est de 41 millions d'euros en AE et 40,5 millions d'euros en CP. En loi de finances pour 2021 27 ( * ) , le programme a subi une baisse des AE à hauteur de 9,7 %, mais a bénéficié d'une hausse des CP de 5,2 % .
Évolution par action des crédits du
programme 162
« Interventions territoriales de
l'État »
(en milliers d'euros)
Action |
LR 2018 |
LFI 2019 |
LFI 2020 |
PLF 2021 |
Évolution 2021/2020 |
|||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP |
|
02 - Eau et agriculture en Bretagne |
7 147 |
6 110 |
2 285 |
1 783 |
1 984 |
1 784 |
1 976 |
1 974 |
0,0% |
0,0% |
04 - PEI en Corse |
17 813 |
20 213 |
27 323 |
17 833 |
16 833 |
17 866 |
16 768 |
17 780 |
0,0% |
0,0% |
06 - Marais poitevin |
1 105 |
1 717 |
1 594 |
1 446 |
0 |
0 |
-100,0% |
|||
08 - Plan chlordécone en Martinique et en Guadeloupe |
2 133 |
2 105 |
1 987 |
1 981 |
5 000 |
5 000 |
3 000 |
3 000 |
-40,0% |
-40,0% |
09 - Plan littoral 21 |
967 |
225 |
3 974 |
2 477 |
4 822 |
4 463 |
5 944 |
4 448 |
23,8% |
0,1% |
10 - Fonds interministériel pour la transformation de la Guyane |
16 853 |
7 462 |
11 970 |
11 366 |
-28,7 % |
53,0 % |
||||
11 - Reconquête de la qualité des cours d'eau en Pays de la Loire |
60 |
700 |
59 |
696 |
0,0 % |
0,0 % |
||||
12 - Service de secours à Wallis-et-Futuna |
1 276 |
1 276 |
||||||||
Total |
29 165 |
30 370 |
35 569 |
25 669 |
43 552 |
36 721 |
40 996 |
40 542 |
-9,7 % |
5,2 % |
En gris, action supprimée. En vert, action créée en PLF 2021.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
2. L'action 02 Eau et agriculture en Bretagne, support de la participation de l'État à la lutte contre les algues vertes
La part « État » du financement de la lutte contre les algues vertes passe entièrement par l'action 02 du PITE, dénommée « Eau et agriculture en Bretagne » . Il s'agit de l'action la plus ancienne du programme, inscrite depuis 2006. Elle ne compte que pour 4,8 % des crédits accordés au PITE en loi de finances pour 2021 avec 1,876 million d'euros . Toutefois, ces chiffres ne tiennent pas compte du transfert en gestion de 5 millions d'euros, soit deux tiers du montant de l'action .
a) Un financement par des crédits ministériels d'origines diverses
Lors de sa création en 2006, l'action Eau et agriculture en Bretagne ne comportait que trois axes :
- axe 1 : Inciter les agriculteurs et les autres acteurs à supprimer les atteintes à l'environnement ;
- axe 2 : Mesurer l'évolution de la situation environnementale des milieux et faire appliquer les solutions correctives par l'action réglementaire. Cet axe, quoique conservé aujourd'hui, vise désormais à faire appliquer des « solutions collectives » et non plus correctives, changement révélateur de la différence d'approche de l'État depuis la mise en oeuvre des PLAV ;
- axe 3 : Améliorer l'évaluation des résultats , développer le retour d'expérience et amplifier la gestion prospective et le pilotage à long terme.
À ces trois axes s'est ajouté un quatrième, portant les dispositifs spécifiquement prévus pour les neuf bassins versants visés par le « plan d'urgence nitrates ». Cet axe est aujourd'hui clos.
Aujourd'hui, le PLAV est supporté quant à lui par l'axe 5, intitulé « lutter contre la prolifération des algues vertes en application du plan algues vertes » .
Ventilation des crédits de l'action Eau et agriculture en Bretagne en 2020
(en %)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
La création de l'action 02 - eau et agriculture en Bretagne a donné lieu en 2006 aux contributions de sept programmes pour la mise en oeuvre des 3 premiers axes .
Programmes contributeurs lors de la mise en place de l'action Eau et agriculture en Bretagne du PITE
Programme |
Intitulé |
Ministère |
154 |
Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires |
Ministère de l'agriculture et de l'alimentation |
227 |
Valorisation des produits agricoles et régulation des marchés |
Ministère de l'agriculture et de l'alimentation |
142 |
Enseignement supérieur et recherche agricoles |
Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche |
153 |
Gestion des milieux et biodiversité |
Ministère de la transition écologique |
181 |
Prévention des risques et lutte contre les pollutions |
Ministère de la transition écologique |
228 |
Veille et sécurité sanitaires |
Ministère des solidarités et de la santé |
112 |
Aménagement du territoire |
Ministère de la cohésion des territoires |
Source : commission des finances
L'introduction de l'axe 5, dédié au plan de lutte contre les algues vertes, s'est accompagnée d'une contribution complémentaire du programme 154 (Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires). Les dépenses de collecte des algues remboursées aux communes ont été financées par un transfert, non pérenne, en provenance du programme 122 - concours spécifiques et administration de la mission Relations avec les collectivités territoriales.
Depuis 2018, le programme 149 - compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l'aquaculture finance par un transfert en gestion le PLAV, à hauteur de 5 millions d'euros.
Le suivi des crédits par programme contributeur n'a pas été mis en place lors de la création de l'action, et il est donc difficile aujourd'hui de retracer les crédits initialement versés par chacun des ministères.
b) Une variété de mesures financées par l'action Eau et agriculture en Bretagne
(1) Un poids important des dépenses de transfert
Comme indiqué, l'État contribue à hauteur de 40 % au financement du PLAV, via le PITE. Il contribue cependant de manière différenciée aux différents volets.
L'État finance seul le volet curatif , au travers de remboursements aux collectivités territoriales (dépenses de transfert). Pour 2020, le montant mobilisé était de 1,07 million d'euros en AE et CP . À chaque programmation, un montant prévisionnel de 1,3 million d'euros, correspondant à la moyenne pluriannuelle du PLAV 1, est fléché vers le volet curatif au titre de l'axe 5, auxquels s'ajoutent 50 000 euros pour les actions de ramassage dans le Morbihan, hors PLAV.
Le PITE finance également une partie du volet recherche du PLAV, à hauteur de 200 000 euros annuels. S'agissant du volet préventif du plan, l'État contribue annuellement à hauteur de 3,7 millions d'euros pour l'ensemble des huit baies.
Les dépenses de transfert représentent environ la moitié des dépenses de l'action Eau et agriculture en Bretagne, essentiellement à destination des collectivités. L'action ne finance pas de dépense de personnel (titre 2).
Ventilation des dépenses de l'action Eau et
agriculture en Bretagne par titre
et par catégorie en 2021 hors
PLAV
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Le graphique ci-dessus, élaboré sur la base des documents budgétaires ne prend toutefois pas en compte les cinq millions versés à l'axe 5 lors du transfert en gestion, et n'est donc pas entièrement représentatif.
La subvention pour charge de service public correspond à une subvention à l'agence régionale de santé au titre des axes 2 et 3 de l'action Eau et agriculture en Bretagne, établie sur la base d'une convention annuelle 28 ( * ) . Elle s'élevait à 240 000 euros en 2021 et pourraient être augmentée à hauteur de 270 000 euros en 2022.
Les transferts aux collectivités territoriales financent les actions de ramassage et de traitement des algues . Les autres transferts recouvrent quant à eux des financements versés à l'institut national de la recherche agronomique (INRA), à la chambre régionale d'agriculture de Bretagne et au conservatoire de l'eau.
(2) Le PITE finance les seules aides du PLAV n'étant pas de droit commun
Les partenaires financiers ont mis en place pour le PLAV 2 un décroisement des aides afin de simplifier les dossiers de subvention . Il est donc désormais plus facile de retracer l'origine des différents financements, difficulté qui a été soulevée par l'ensemble des acteurs à l'issue du PLAV 1.
Le financement apporté par le PITE constitue la principale valeur ajoutée du PLAV, dans la mesure où les financements apportés par le conseil régional et par l'agence de l'eau sont des aides de droit commun.
Concernant le ramassage des algues vertes échouées, il est désormais pris en charge à 100 % sur fonds PITE, tout comme la moitié des frais de traitement de ces algues.
Concernant le volet préventif du PLAV, l'État finance au travers du PITE plusieurs dispositifs destinés à limiter les fuites de nitrates en améliorant les pratiques agricoles.
Ceux-ci portent notamment sur le conseil agricole ciblé pour les exploitants sur différentes thématiques (diagnostic individuel, changement de système, gestion de l'herbe, gestion de l'azote et gestion de l'interculture), des chantiers collectifs de semis précoces de couverts végétaux et le remplacement pour congés ou formation des exploitants agricoles.
Ainsi, les chantiers collectifs sont financés par le fonds PITE, et notamment les semis de couverts précoces. Ces semis précoces, qui réduisent les lessivages pendant les pluies d'hiver, permettent de capter une partie des nitrates et de limiter l'érosion des sols. Plus le couvert végétal est implanté tôt, plus il permet de piéger l'azote avant l'hiver. L'intégralité des frais découlant des semis précoces est prise en charge par le PITE , à l'exception des semences. Le paiement des prestations est généralement assuré par des financements aux entreprises de travaux agricoles (ETA) ou aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) .
Les chantiers collectifs de semis précoces sont un succès auprès des agriculteurs « car ils permettent aux agriculteurs de répondre présents sur des priorités d'actions des baies tout en leur permettant de s'alléger des contraintes de travail au niveau de leur exploitation » 29 ( * ) . Sur la seule baie de St Brieuc , 6 000 hectares de couverts précoces ont été semés en 2020, ce qui représente 400 agriculteurs et 31 ETA et CUMA . Plus généralement, les chantiers collectifs de semis précoces concernaient en 2019 le triple des surfaces implantées en 2017 .
La boucle vertueuse
La « boucle vertueuse » est un dispositif mis en oeuvre dans le cadre du PLAV 2 dans deux baies « algues vertes », la Lieue de Grève et le Douron 30 ( * ) . Elle permet de promouvoir des pratiques agricoles vertueuses.
Elle s'appuie sur un projet d'exploitation construit avec l'agriculteur. Un agriculteur mettant en place des pratiques et techniques limitant les fuites de nitrates bénéficie de prestations en compensation.
La boucle vertueuse fonctionne par un système de points, correspondant à une aide de minimis autorisée par l'Union européenne. La mise en place d'actions vertueuses, comme la couverture hivernale des sols, la conversion en biologique ou l'aménagement bocager, permet à l'exploitant d'accumuler des points. Chaque agriculteur bénéficie d'un chéquier lui permettant de faire financer différentes prestations (par exemple la fertilisation assistée par drone, ou le sursemis de prairie), en fonction des points accumulés.
Un point équivaut à 75 euros, entièrement financés sur crédits PITE. Les prestations sont réalisées par des entreprises de travaux agricoles (ETA) ou des coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA), qui font elles-mêmes les demandes de financement auprès des services de l'État. L'exploitant ne perçoit donc aucune somme en direct et la CUMA ou l'ETA est bénéficiaire de l'aide et assume l'engagement vis-à-vis des partenaires financiers.
Au cours des trois dernières années, 529 000 euros en AE et 418 000 euros en CP ont été consacrés annuellement aux semis et à la boucle vertueuse dans les Côtes d'Armor, et 246 000 euros en AE et 230 000 euros en CP dans le Finistère.
Le PITE finance également des dispositifs de conseils individuels aux agriculteurs, effectués par des prestataires privés et par la chambre d'agriculture.
La DRAAF Bretagne gère plusieurs actions, dont les campagnes de mesure de reliquats azotés dans les cours d'eau (234 000 euros en AE et 147 100 euros en CP pour 2020), le coût d'une campagne annuelle de mesure oscillant entre 150 et 200 000 euros. La DRAAF finance également des actions spécifiques à certains territoires, et notamment les études préliminaires à la mise en place de paiements pour services environnementaux (PSE) à hauteur de 60 000 euros. Enfin, elle conventionne avec des organismes de conseil agréés pour réaliser des interventions thématiques dans les exploitations agricoles, à hauteur de 500 000 euros en 2020 en AE et 285 000 euros en CP.
Le secrétariat aux affaires régionales gère différentes actions de recherche ainsi que des aides aux investissements à destination des collectivités, des actions d'animation et de suivi, des aides directes aux agriculteurs, ces dernières s'élevant à 2 millions d'euros en AE et en CP en 2020.
3. La facilité de gestion et la souplesse du PITE, un atout permettant de s'adapter aux besoins du terrain
Le PITE est selon le rapporteur spécial l'outil le mieux adapté pour financer la lutte contre les algues vertes . Il permet de prendre en compte les spécificités des actions locales tout en garantissant la cohérence de l'action de l'État en réunissant des crédits de différents ministères.
Il garantit un pilotage plus réactif en laissant au préfet une marge de manoeuvre bienvenue , à la fois pour orienter les financements en les adaptant davantage au territoire mais également pour garantir une flexibilité intra et interannuelle du fait de la fongibilité des crédits entre actions.
Les montants accordés par le biais du PITE permettent de catalyser la participation des autres acteurs , en particulier locaux. Ainsi dans le cas des algues vertes, les montants apportés par le PITE constituent la réelle valeur ajoutée du plan de lutte, et permettent d'orienter les aides de droit commun apportées par les autres acteurs, agence de l'eau et conseil régional en premier lieu, au service d'un objectif commun de limitation de fuite des nitrates.
Le rapporteur spécial considère qu'il serait regrettable de revenir à un fléchage ministériel , qui, s'il serait certes plus conforme aux termes de la LOLF, priverait le préfet d'un outil dont la souplesse a fait ses preuves.
En outre, s'agissant de projets aussi étendus dans le temps que la lutte contre les algues vertes, l'usage du PITE permet une forme de sanctuarisation des crédits .
Enfin, le PITE offre une réelle visibilité politique aux actions menées par l'État , davantage que ne le ferait une action ministérielle, d'autant plus que la complexité du problème implique nécessairement une gestion interministérielle. Il permet également une plus grande lisibilité budgétaire par rapport à une pluralité de financements en provenance de différents programmes.
Recommandation n° 7 : Conserver le PITE comme outil de financement d'initiatives interministérielles, notamment afin de financer le plan de lutte contre les algues vertes.
* 25 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.
* 26 Un nouvel élan pour le programme des interventions territoriales de l'État (PITE) , rapport d'information n° 604 (2016-2017) de M. Bernard DELCROS, fait au nom de la commission des finances, juillet 2017.
* 27 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
* 28 Comme pour tous les organismes bénéficiant d'une charge de service public, au titre du décret n? 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.
* 29 Réponse au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial à la chambre régionale d'agriculture.
* 30 Arrêté préfectoral 2018-16996 du 6 décembre 2018.