TRAVAUX EN COMMISSION
MERCREDI 19 MAI 2021
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M. Laurent Lafon, président . - L'ordre du jour de notre réunion appelle en premier lieu la présentation, par nos collègues Catherine Dumas et Marie-Pierre Monier, des conclusions de leur mission sur le patrimoine culturel immatériel (PCI), régi par une convention de l'Unesco de 2003. Il s'agit d'un sujet important pour la vie de nos territoires qui nécessitait d'être analysé en profondeur. Jamais le Parlement ne s'était ainsi penché sur cette question depuis l'entrée en vigueur de la convention internationale. Il est regrettable que le PCI soit aujourd'hui encore aussi peu visible.
Mme Catherine Dumas, co-rapporteure . - Marie-Pierre Monier et moi-même formons le voeu que ce rapport permette à chacun d'entre vous de mieux comprendre ce qu'est le PCI. Il s'agit d'une forme de patrimoine beaucoup moins connue que le patrimoine matériel, mais pourtant tout aussi importante pour nos territoires. Nous espérons donc que vous pourrez puiser dans notre travail des informations utiles pour l'exercice de vos fonctions de sénatrice et sénateur.
Depuis janvier dernier, nous avons mené avec Marie-Pierre Monier près d'une trentaine d'auditions pour dresser le bilan de la Convention de l'Unesco de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de sa mise en oeuvre en France. Nous avons évidemment entendu les services de l'Unesco, la délégation française auprès de l'Unesco et le ministère de la culture, comme les acteurs institutionnels du PCI en France, des représentants de collectivités territoriales, ainsi que des représentants d'éléments qui ont obtenu l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco ou qui souhaiteraient déposer une candidature.
Avant que Marie-Pierre Monier ne vous fasse part de nos constats et de nos propositions, je crois utile de revenir quelques instants sur ce qu'est le PCI, ce qui le distingue du patrimoine matériel, et ce qu'a changé la Convention de 2003 dans l'action en direction du PCI. Pour mémoire, la protection du patrimoine matériel constitue une préoccupation bien plus ancienne. À l'Unesco, elle est régie par la Convention de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, soit plus de trente ans avant la convention relative au PCI, qui n'est d'ailleurs entrée en vigueur qu'en 2006.
Ce qui caractérise le PCI et le distingue du patrimoine matériel, c'est d'être un patrimoine vivant et dynamique. Il est composé de pratiques, de connaissances, de savoir-faire, d'expressions et de représentations qui sont liées aux personnes et à leurs traditions vivantes. Il recouvre des savoir-faire artisanaux, comme la dentelle au point d'Alençon, des jeux, des pratiques rituelles, des pratiques sportives, des pratiques sociales et festives, à l'image du Fest noz ou du carnaval de Granville, des traditions et expressions orales ou encore des danses et des musiques. Je pense, par exemple, au chant corse, le cantu in paghjella .
C'est bien parce qu'il est un patrimoine vivant que le PCI est un patrimoine extrêmement fragile. D'une part, parce qu'il n'est composé d'aucun élément tangible et que sa disparition est inéluctable si la transmission à la génération suivante n'est pas assurée. D'autre part, parce qu'il peut aussi disparaître s'il est figé dans son état d'origine ou rigidifié à l'excès. Le PCI doit pouvoir être adapté en permanence à l'époque et à l'environnement dans lequel il est pratiqué, sinon il pourrait tomber en désuétude et ne plus être reconnu comme un élément de patrimoine partagé par tous.
C'est pour cela qu'on ne préserve pas le PCI comme on préserve le patrimoine matériel. Les politiques relatives au patrimoine matériel visent à le protéger ou à le conserver pour les générations futures, tandis que les politiques relatives au PCI ont pour finalité sa sauvegarde, et non sa protection. Elles ont pour but de maintenir le PCI viable et pertinent afin que les générations suivantes puissent se l'approprier.
Il s'ensuit que la sauvegarde du PCI passe principalement par sa transmission, même si elle ne s'y résume pas, puisqu'une bonne transmission suppose qu'un élément soit aussi identifié, documenté, promu, mis en valeur et, si nécessaire, revitalisé.
L'autre élément qui distingue la sauvegarde du PCI de la protection du patrimoine matériel, c'est que l'Unesco estime que cette sauvegarde repose principalement sur les communautés. Ce terme de communautés ne doit pas s'entendre dans un sens identitaire : il renvoie aux individus, aux groupes d'individus et aux structures qui créent un élément de PCI, l'entretiennent ou le transmettent. Il s'agit d'un changement d'approche total par rapport à la manière dont nous concevons les politiques du patrimoine. En matière de PCI, la logique est ascendante, et les collectivités publiques ne viennent qu'en appui.
Ce qui ne veut pas dire que celles-ci n'ont aucun rôle à jouer, notamment pour aider à l'identification et contribuer à la reconnaissance. L'Unesco a d'ailleurs exigé des États parties qu'ils mettent en place des inventaires du PCI sur leur territoire. La France dispose d'un inventaire national depuis 2008, qui compte environ 500 éléments.
L'Unesco elle-même tient, de son côté, trois listes sur lesquelles figurent aujourd'hui près de 600 éléments de PCI : la liste de sauvegarde urgente, qui comportent des éléments qui font l'objet de menaces ; la liste représentative sur laquelle sont inscrits des éléments pour donner une meilleure visibilité au PCI ; et le registre des bonnes pratiques, sur lequel figurent des éléments dont les modalités de la sauvegarde apparaissent exemplaires. Dans les trois cas, l'inclusion à l'inventaire national est une condition préalable à l'inscription sur l'une des listes de l'Unesco.
Il ne faut pas pour autant se méprendre au sujet de l'inscription d'un élément sur l'inventaire national ou sur l'une des listes de l'Unesco. Il ne s'agit pas d'un label. Contrairement au patrimoine mondial ou aux monuments historiques, l'inscription ne distingue pas seulement les éléments qui ont une valeur exceptionnelle. Elle est ouverte à tous les éléments qui répondent à la définition du PCI. Elle ne procure d'ailleurs aucun avantage direct pour les éléments qui obtiennent l'inscription. Ses retombées sont en outre difficiles à mesurer. En tout cas, aucune mesure n'en a jamais été faite, ni par l'Unesco, ni au niveau national.
L'inscription doit plutôt être considérée comme une sorte de mise en visibilité et d'appel à la sauvegarde. D'ailleurs, chaque demande d'inscription s'accompagne de la présentation d'un plan pour sauvegarder l'élément qui lie moralement les demandeurs.
Les auditions que nous avons menées ont montré que la Convention de 2003 avait globalement marqué un véritable tournant dans la prise en compte du PCI en France et dans la manière de concevoir les politiques dans ce domaine. Avant elle, l'action dans le domaine du PCI était centrée sur la connaissance scientifique et concernait principalement un public d'initiés, en particulier des ethnologues. Depuis 2003, l'action dans le domaine du PCI s'est réorientée vers la sauvegarde, avec pour ambition d'impliquer le plus grand nombre, c'est-à-dire potentiellement toutes les personnes qui considèrent un élément de PCI comme faisant partie de leur patrimoine. L'Unesco estime qu'il faut, pour qu'une pratique relève du PCI, qu'elle soit vivante, non figée et constamment recréée par les communautés, transmise de génération en génération, propice au développement durable et conforme aux droits de l'homme.
Malgré les avancées auxquelles la convention a donné lieu, nous constatons que des améliorations restent encore nécessaires pour favoriser la sauvegarde du PCI et mieux le faire connaître, comme va vous l'expliquer Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - J'ai éprouvé un grand intérêt à préparer ce rapport en compagnie de Catherine Dumas, déjà très familière de ces questions sur lesquelles elle travaille depuis un grand nombre d'années. Le PCI est, en quelque sorte, l'ADN de la France et mérite véritablement qu'on s'y penche.
Même si l'on entend bien plus souvent parler de PCI qu'il y a vingt ans, cette notion reste encore obscure pour beaucoup de Français et d'élus. Le PCI souffre d'un fort déficit de visibilité, ce qui a naturellement des conséquences sur sa reconnaissance, sa notoriété et sa sauvegarde. Malheureusement, la plupart des personnes sont comme M. Jourdain et prennent part au PCI sans le savoir. J'en suis un bon exemple pour avoir participé à de multiples reprises aux fêtes des bouviers dans la Drôme, une pratique qui a été inscrite à l'inventaire national du PCI en 2019. Ces fêtes sont organisées dans mon département depuis plus de deux cents ans et témoignent bien du caractère vivant du PCI, c'est-à-dire d'un patrimoine qui sait évoluer au fil des années et s'adapter à son époque.
Il est triste de constater que le PCI est invisible jusque dans l'organigramme du ministère de la culture, puisque les termes mêmes de PCI n'y figurent nulle part : c'est la délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation, qui dépend de la direction générale des patrimoines, qui est chargée de traiter ces questions ! Encore faut-il le savoir !
D'où la première série de propositions que nous formulons pour accroître la visibilité du PCI et mieux y sensibiliser le grand public : faire de l'année 2023, qui coïncide avec les vingt ans de la Convention, l'année du patrimoine culturel immatériel ; organiser chaque année des journées du patrimoine culturel immatériel avec des démonstrations pour intéresser le grand public ; multiplier les actions « grand public » (panneaux d'information touristique, campagnes de communication, émissions de télévision, carnet de timbres de la Poste, etc...) ; et faire la promotion du PCI dans les lieux de patrimoine et de création, beaucoup plus connus du grand public, afin que le PCI profite de leur plus grande notoriété.
Nous pensons aussi qu'il faut faire un effort pour sensibiliser les jeunes aux enjeux du PCI dès leur plus jeune âge. Nous suggérons donc d'intégrer obligatoirement cette dimension dans le cursus de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et d'associer les responsables d'éléments de PCI inscrits aux actions d'EAC conduites dans les établissements scolaires.
En plus de ce déficit de visibilité du PCI, nous avons constaté que les collectivités territoriales semblaient encore relativement peu impliquées sur ce sujet. Il s'agit d'un problème majeur, parce que le concours des collectivités est souvent indispensable à la bonne mise en oeuvre des mesures de sauvegarde. Les collectivités ont en effet des compétences (en matière d'animation de la vie du territoire, de culture, d'éducation, d'économie, d'aménagement du territoire ou d'urbanisme), des ressources - notamment au travers des services publics culturels locaux qu'elles gèrent - et des contacts qui font d'elles des acteurs clés de la sauvegarde du PCI.
Il reste difficile de déterminer les raisons pour lesquelles les collectivités territoriales n'ont pas pris jusqu'ici davantage part au PCI. Est-ce parce que le grand public ne manifeste pas encore un intérêt marqué pour celui-ci ? Est-ce parce que les collectivités manquent aujourd'hui d'appui de la part de l'État pour les accompagner dans leurs projets de sauvegarde ? Est-ce simplement parce que les élus n'ont pas encore véritablement pris conscience du potentiel que représente le PCI sur leur territoire ?
Les auditions que nous avons menées nous ont pourtant montré à quel point le PCI peut être un marqueur d'identité, venir nourrir le sentiment d'appartenance et de fierté de ses habitants et contribuer à la notoriété d'un territoire. Je pense au maloya, qui est une musique, un chant et une danse née au temps de l'esclavage, dont la pratique fut interdite à La Réunion jusqu'en 1892, avant de faire partie des premiers éléments français inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2009 et d'être aujourd'hui ardemment défendu par tous les Réunionnais, département et région en tête.
Le PCI est aussi un outil de cohésion qui favorise la participation citoyenne, facilite l'intégration des nouveaux habitants et permet de fédérer les acteurs d'un territoire. Le Fest noz en est une belle illustration : la construction du dossier de candidature de cet élément auprès de l'Unesco a joué un rôle de catalyseur en réunissant autour d'un même projet des acteurs qui ne se rencontraient plus ou n'avaient pas l'habitude de se parler.
Il nous paraît donc important que les collectivités territoriales s'emparent du PCI présent sur leur territoire, ce qui nous amène à formuler trois recommandations pour mieux sensibiliser les élus locaux aux enjeux liés à la sauvegarde du PCI.
D'abord, nous jugeons nécessaire que les services de l'État leur fassent parvenir un vade-mecum leur expliquant pourquoi et comment ils peuvent sauvegarder leur PCI, ainsi que l'aide que l'État et d'autres acteurs institutionnels peuvent leur apporter dans l'élaboration et la mise en oeuvre de mesures de sauvegarde. Le Québec a publié un guide pratique de ce type il y a quelques années qui nous paraît constituer un excellent modèle.
Ensuite, nous militons pour que soit développée l'offre de formation en matière de PCI destinée spécifiquement aux élus locaux.
Enfin, nous suggérons la mise en place d'un observatoire du PCI qui permettrait de mesurer les retombées d'une inscription. Nous pensons que ce type de données peut avoir un effet d'entrainement sur les collectivités territoriales.
Évoquer l'implication des collectivités territoriales conduit à s'interroger, plus largement, sur les moyens mis à disposition pour sauvegarder le PCI. Catherine Dumas a évoqué il y a quelques instants l'existence des listes de l'Unesco et de l'inventaire national, qui ont pour but d'inciter à l'élaboration de plans de sauvegarde.
Le problème, c'est que ni l'Unesco, ni l'État ne disposent aujourd'hui des moyens humains suffisants pour leur permettre d'assurer un suivi des mesures de sauvegarde mises en oeuvre par les porteurs de projet une fois l'inscription obtenue. Il s'agit d'une vraie faiblesse car ce contrôle permettrait d'identifier les carences dans la mise en oeuvre du plan de sauvegarde, de constater l'éventuelle disparition de la structure porteuse et de déterminer si d'autres solutions pourraient être trouvées. Il permettrait aussi de se faire une meilleure idée de la pertinence de la sauvegarde et des retombées liées à une inscription. L'Unesco demande aux États de lui transmettre périodiquement un rapport sur l'état des éléments inscrits - celui-ci doit être établi tous les six ans pour les éléments inscrits sur la liste représentative et tous les quatre ans pour ceux inscrits sur la liste de sauvegarde urgente. Mais l'organisation n'a pas les moyens de vérifier les informations qui lui sont transmises par les États.
Globalement, il est clair que la France consacre aujourd'hui des moyens très limités à la sauvegarde du PCI, surtout en comparaison de son action dans le domaine du patrimoine matériel. Seuls deux agents du ministère de la culture sont chargés de ces questions. Seules quatre directions régionales des affaires culturelles (DRAC) disposent d'un conseiller pour l'ethnologie (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Normandie et Occitanie) alors que les services déconcentrés de l'État seraient le point d'entrée naturel sur ces questions pour les acteurs de terrain, qu'il s'agisse des porteurs de projet ou des collectivités territoriales.
Ces moyens humains sont nettement insuffisants et donnent l'impression aux acteurs du PCI que cette forme de patrimoine reste encore terriblement déconsidérée par l'État.
J'ajoute que les acteurs du PCI ont besoin d'être mieux orientés. Les communautés ne peuvent pas mener seules une procédure de candidature. Elles ont besoin d'être accompagnées par des spécialistes pour les aider à collecter les informations pertinentes à la documentation de l'élément et pour rédiger le dossier de candidature. Mais, elles ignorent bien souvent auprès de qui s'adresser et ce que l'on attend d'elles, ce qui en conduit certaines à baisser les bras par manque d'information ou difficulté à la trouver - les informations en matière de PCI sont nombreuses sur internet, mais très éparpillées.
Il serait également bon que les communautés soient orientées vers les autres labels déjà existants qui pourraient être pertinents dans l'objectif de la sauvegarde d'un élément - comme, par exemple, le label d'entreprise du patrimoine vivant ou de site remarquable du goût au niveau français ou le réseau des villes créatives au niveau de l'Unesco. Il y a des synergies à créer pour briser les trop nombreux silos.
Ces réflexions nous conduisent à formuler plusieurs recommandations pour donner plus de moyens à la sauvegarde du PCI sans que cela se traduise nécessairement par une hausse considérable des engagements financiers : la nomination d'un référent PCI dans chaque DRAC ; la mise à jour du portail internet du ministère de la culture dédié au PCI pour y trouver facilement toutes les informations nécessaires sur la procédure applicable aux candidatures, le contenu des démarches à entreprendre, les critères de sélection des dossiers, ainsi que les interlocuteurs à contacter à chacune des étapes de la candidature ; l'implication des autres ministères concernés dans la sauvegarde du PCI ; la mise en place par l'Unesco et le ministère de la culture d'un véritable suivi des mesures de sauvegarde ; le développement de synergies avec les labels et les programmes qui peuvent contribuer à la reconnaissance, à la valorisation et à la sauvegarde du PCI ; et enfin la mobilisation des différents opérateurs culturels de l'État pertinents pour promouvoir et transmettre les éléments de PCI.
Catherine Dumas et moi-même sommes très attachées à ce que les choses bougent et nous solliciterons donc un entretien avec la ministre de la culture pour lui faire part de nos propositions et la convaincre de ce qu'elles pourraient apporter à la sauvegarde du PCI.
Se pose également la question d'une meilleure articulation entre les listes de l'Unesco et l'inventaire national. Même si les porteurs de projet visent généralement l'inscription sur les listes de l'Unesco, peu d'entre eux parviendront à l'obtenir. Non seulement la procédure de candidature est longue, coûteuse et complexe, mais la France, compte tenu des quotas, ne peut présenter qu'un dossier tous les deux ans. Il y a donc un véritable engorgement. Il reste possible de déposer une candidature avec d'autres États pour contourner les quotas, mais la reconnaissance qui découle de l'inscription serait alors diluée entre différents pays, au risque que les porteurs de projets n'y trouvent pas forcément leur compte.
Il nous parait donc important que l'inventaire national gagne en notoriété et en attractivité pour qu'il ne soit plus simplement une antichambre de l'Unesco, mais un outil à part entière au service du PCI, reconnu en tant que tel. Pour cela, il faut qu'il devienne une référence pour le grand public, ce qui suppose de mieux faire connaître son emblème, créé en 2018, et de rendre sa consultation plus aisée. Il faudrait aussi que des efforts soient faits pour rendre l'inventaire plus équilibré d'un point de vue thématique et géographique car plus une région aura d'éléments inclus à l'inventaire, plus ses élus et sa population seront sensibilisés à l'importance du PCI et plus sa sauvegarde aura donc de chance d'être intégrée dans les orientations politiques. Comme l'inclusion à l'inventaire national se fait majoritairement sur la base d'appels à projets lancés par le ministère de la culture, même si elle peut également résulter de demandes spontanées des communautés, le ministère peut tout à fait remédier dans ses appels à projets aux déséquilibres constatés entre régions et entre catégories de PCI.
Mme Catherine Dumas, co-rapporteure . - Marie-Pierre Monier et moi voulons faire preuve d'un certain optimisme car la convention reste relativement récente et, depuis 2003, des outils de sauvegarde sont apparus et des acteurs se sont emparés de cette préoccupation. Ce qu'il manque aujourd'hui, c'est surtout davantage de fluidité, d'accompagnement et un engagement accru des collectivités publiques en faveur de cet enjeu. Nous avons évoqué à la fois les carences du ministère de la culture et la quasi-absence de conseillers en charge du PCI dans les services déconcentrés. Nous avons également mentionné le rôle décisif que pourraient avoir les collectivités territoriales dans la sauvegarde du PCI.
Nous pensons que ces évolutions sont d'autant plus importantes que la sauvegarde du PCI constitue un réel enjeu pour les politiques publiques parce que le PCI est le reflet vivace d'une culture.
Il s'agit d'abord d'un enjeu de politique culturelle car à travers le PCI, on donne à voir une image plus large et moins élitiste de la culture. On redonne leurs lettres de noblesse à des pratiques populaires longtemps déconsidérées. Bref, on favorise la diversité de la création et des expressions culturelles et on valorise la richesse culturelle de nos territoires, ce qui est aussi un moyen de mettre en oeuvre les droits culturels.
Mais, la reconnaissance et la sauvegarde du PCI est également un outil important pour renforcer la cohésion. L'inscription d'un élément sur l'une des listes de l'Unesco est une opportunité de renforcer l'unité nationale, dans la mesure où les candidatures sont présentées au nom de la France et que les éléments inscrits véhiculent une certaine image de notre pays et constituent une vitrine de notre patrimoine à l'international. C'est donc une occasion pour les Français de s'approprier collectivement un pan de leur histoire et de leur culture.
Lorsque la commission a décidé, début 2020, de réaliser un rapport sur la Convention de 2003 pour la sauvegarde du PCI, nous ne nous doutions pas encore que la pandémie à laquelle nous allions être confrontés allait donner à ce rapport un sens encore plus crucial. D'une part, parce que les mesures de distanciation physique et de confinement mises en place dans le cadre de la crise sanitaire ont empêché, pendant de longs mois, de pratiquer la plupart des éléments de PCI et menacé leur transmission. Sa sauvegarde revêt donc un caractère d'urgence. D'autre part, parce que la crise sanitaire a aussi contribué à mettre le PCI au premier plan. Sous l'effet du confinement, beaucoup de nos concitoyens se sont mis à investir de nouveau leur culture traditionnelle. Ils cherchent aujourd'hui des références ou des occasions pour s'unir et se rassembler. Et c'est justement ce que peut permettre le PCI.
Nous pensons qu'il serait opportun que la commission poursuive, dans les années à venir, ses travaux sur cette question, afin de contrôler l'action du Gouvernement en matière de PCI et de vérifier si les préconisations que nous avons formulées seront mises en oeuvre. Le vingtième anniversaire de la Convention de 2003 en 2023 pourrait être une occasion pour la commission d'organiser un colloque sur la sauvegarde du PCI. J'ajoute que vous avez tous sur vos territoires des savoir-faire, des traditions et des pratiques à valoriser et à perpétuer. J'espère que la présentation que Marie-Pierre Monier et moi-même venons de vous faire vous en donnera l'envie.
J'achèverai mon propos en évoquant des éléments d'actualité relatifs au PCI. Trois éléments avaient été identifiés comme pouvant faire l'objet d'une candidature nationale pour inscription sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'Unesco : le « Biou d'Arbois », qui est une fête périodique viti-vinicole de la ville d'Arbois, les « savoir-faire des couvreurs-zingueurs et des ornemanistes parisiens », ainsi que les « savoir-faire et la culture de la baguette de pain ». Vous savez que Roselyne Bachelot a finalement sélectionné ce troisième élément, dont la candidature sera présentée au nom de la France au titre du cycle 2021-2022. Vous connaissez tous mon investissement dans cette candidature mais, sans cela, il me semble qu'il s'agit d'un élément particulièrement représentatif de l'ADN de la France. Parallèlement au dépôt de ce dossier national, deux dossiers de candidature multinationale concernent également la France, puisque l'Unesco est dans l'attente de ce type de candidatures qui contribuent à rapprocher les États et à promouvoir la paix : les fêtes de l'Ours dans les Pyrénées avec la Principauté d'Andorre, et la culture vivante de la fête foraine et l'art des forains avec la Belgique.
Mme Sylvie Robert . - Le travail de Catherine Dumas et de Marie-Pierre Monier adresse un signal très fort de la part de notre commission sur ce sujet. Leur rapport pointe très justement les manquements et les points à améliorer. Il est nécessaire que l'État s'engage davantage. Il serait intéressant pour la commission de poursuivre ces travaux jusqu'en 2023 pour assurer le suivi des recommandations.
Je suis préoccupée par le manque de suivi. Si je prends l'exemple de la Bretagne, le Fest noz est inscrit depuis bientôt dix ans sur la liste représentative du PCI. Cette inscription a constitué une reconnaissance majeure. Cependant, je constate, comme le rapport le souligne également, qu'une évaluation de l'impact de cette inscription se fait toujours attendre. Quel effet celle-ci a-t-elle eu en termes de transmission entre générations ? Les jeunes participent-ils plus au Fest noz ? Le but de la sauvegarde est de garantir la transmission entre générations. Une évaluation serait dès lors très utile.
Enfin, le PCI me paraît intimement lié aux droits culturels. Je rappelle que le Sénat a été à l'origine de leur inscription dans la loi. L'évolution de l'organigramme du ministère de la culture et la création il y a quelques mois démontre une réelle prise de conscience de l'importance des droits culturels, avec la création d'une délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle spécifiquement chargée de leur mise en oeuvre. J'espère qu'il en ira de même pour le PCI, qui me semblerait lui aussi pouvoir relever des compétences de cette nouvelle délégation transversale.
M. Bernard Fialaire . - Je félicite également nos collègues et je m'interroge simplement sur les contraintes administratives qui pèsent pour la candidature ou le renouvellement de la labellisation.
Mme Monique de Marco . - La Nouvelle-Aquitaine bénéficie de nombreuses inscriptions au titre du PCI. Je m'interroge cependant sur les critères qui président à l'inscription suite à une polémique il y a quelques années relative à l'inclusion de la corrida sur l'inventaire national. L'affaire avait été portée devant la juridiction administrative et le Conseil d'État, en cassation, avait validé la décision de la cour administrative d'appel de Paris de radier cette pratique de l'inventaire. Quels sont donc les critères de sélection des éléments inclus à l'inventaire national ?
Mme Annick Billon . - Je constate que des régions et des départements à l'identité très forte, comme la Nouvelle-Aquitaine et la Bretagne, se retrouvent richement dotées en inscription au titre du PCI. Peut-on faire un lien entre cette politique de promotion d'une « marque » régionale ou départementale et l'inscription sur la liste ? Par ailleurs a-t-on une idée du coût que représente un dossier de candidature pour une inscription au titre du PCI ? Les collectivités territoriales ont un rôle essentiel mais parfois difficile à valoriser car il passe par la mise à disposition de salles ou de bénévoles. Comment mieux le mettre en valeur ? Je m'interroge également sur l'impact de la crise pandémique notamment au regard du désengagement des bénévoles dans le domaine culturel. Une toute dernière interrogation sur les listes de l'Unesco et l'inventaire national. L'inscription sur l'une est-elle concurrente ou complémentaire de l'inscription sur l'autre ?
Mme Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Je peux répondre immédiatement à la dernière question d'Annick Billon : il faut être inscrit à l'inventaire national pour pouvoir prétendre à l'inscription sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'humanité.
En ce qui concerne le coût de la candidature, des études approfondies sont nécessaires pour étayer les dossiers. Le ministère de la culture alloue chaque année 1 million d'euros au titre du PCI.
Sur la question de la tauromachie, il me semble que les critères d'éligibilité excluent toute forme de conflit et de violence.
Vous nous avez demandé s'il y avait une actualisation des éléments inscrits au patrimoine culturel immatériel. L'Unesco a retiré en 2019 le carnaval d'Alost, inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel, à la suite d'un char caricaturant les Juifs orthodoxes.
Comme je l'ai indiqué, un rapport est réalisé tous les six ans pour les éléments inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité - ou tous les quatre ans si l'élément est inscrit sur la liste de sauvegarde urgente. Les communautés qui cherchent à faire inscrire leur patrimoine doivent être accompagnées. Les directions régionales des affaires culturelles, mais aussi les collectivités ont un rôle important à jouer, car les communautés ne peuvent pas monter seules le dossier de candidature.
Nous avons auditionné l'association chargée de la sauvegarde du Fest noz , Dastum. Cette candidature a véritablement joué un rôle catalyseur en rassemblant des acteurs qui ne se parlaient plus ou n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble.
En outre, en 2016, nous avons intégré, dans le cadre de la loi relative à la création, à l'architecture et au patrimoine, les éléments du patrimoine culturel immatériel dans la définition de la notion du patrimoine donnée à l'article L. 1 du code du patrimoine.
Mme Catherine Dumas, co-rapporteure . - Nous avons constaté qu'il y avait assez peu d'évaluation. Le peu d'évaluation qui est réalisé l'est à l'occasion du rapport qui doit être remis à l'Unesco tous les six ans. Pour nous, ce manque d'évaluation constitue une vraie difficulté.
Je me suis intéressée au PCI dès 2009, au moment de l'inscription du repas gastronomique des Français sur la liste représentative de l'Unesco. J'avais alors proposé que notre commission se saisisse de ce sujet. À l'époque, le président de la commission de la culture qui était en fonction n'y était pas favorable, en raison de l'image que cela aurait pu renvoyer - le sujet ne lui apparaissait pas suffisamment sérieux. Or pour moi, cette thématique entre pleinement dans le champ de notre commission. Ce rapport est important car il permet de faire un point d'étape sur le PCI et de mieux l'évaluer et le faire connaître à l'avenir.
Cette reconnaissance du PCI - l'Unesco refuse que l'on parle de label - ne profite-t-elle pas plus à l'Unesco qu'aux territoires ? Nous voulons inverser ce fait. Les communautés font un travail fantastique. Monter un dossier prend du temps - souvent plusieurs années. Cela nécessite de traduire des éléments de façon intellectuelle voire ethnologique. Un comité - le comité du patrimoine ethnologique et immatériel - évalue tous les dossiers de candidature, puis le ministre chargé de la culture celui qui sera présenté au nom de la France.
Les élus locaux ont un rôle à jouer, en s'emparant de ce qui a déjà été inscrit et en en faisant la promotion. En tant que sénateurs, nous devons les sensibiliser sur ce point. Les sénateurs doivent parler de ce sujet sur les territoires, afin que tous les élus avec lesquels vous travaillez fassent vivre le travail réalisé par les communautés.
Il existe un lien entre une identité forte d'une région et l'inscription d'éléments au titre du PCI. Cette identité forte suscite plus de candidatures, avec une mobilisation plus forte pour les y faire inscrire.
Les démarches de candidatures pour obtenir une inscription ne sont pas forcément coûteuses. Mais il faut avoir le temps et les outils pour monter un dossier. Or les outils ne sont pas là et le ministère de tutelle ne se mobilise pas beaucoup en faveur du PCI. 120 pays sont liés par cette convention dont le Canada que nous avons mentionné dans notre présentation. Le Canada a rédigé un vade-mecum pratique, qui est une sorte de mode d'emploi pour déposer un dossier de candidature. Nous aimerions que notre ministère de la culture s'approprie cette idée.
L'accompagnement par les collectivités territoriales des communautés est indispensable. Je suis convaincue que les sénateurs ont un rôle à jouer pour les y sensibiliser.
M. Laurent Lafon, président . - Je me félicite du travail accompli par nos deux rapporteures. Ce sujet est typique des missions de notre commission : elles ont réalisé un travail précurseur, qui n'est pas fait par ailleurs, car c'est un sujet dont on parle peu. Même si la convention aura bientôt vingt ans, nous ne sommes qu'au début de la reconnaissance du PCI. Il reste beaucoup à faire, comme nous y ont invités Sylvie Robert et nos rapporteurs. 2023 pourrait être un temps fort. Notre mission est de continuer à mettre ce sujet sur la table, exercer une pression sur le ministère de la culture mais aussi sur les collectivités territoriales pour que chacun s'en saisisse. Nous avons tous dans nos territoires du PCI à mettre en valeur. En tant que sénateurs et notamment membres de la commission de la culture, nous devons porter cet enjeu.
Il me reste à demander formellement à la commission d'autoriser la publication du rapport.
La commission autorise la publication du rapport d'information.