C. UNE RÉFORME INSUFFISAMMENT PRÉPARÉE ET PAS ASSEZ PILOTÉE

1. Au niveau du ministère : un manque d'anticipation et de cadrage

Les nombreuses difficultés auxquelles se heurte la mise en oeuvre de la réforme révèlent un déficit d'anticipation de la part du ministère de l'enseignement supérieur qui, bien qu'il s'agisse d'une réforme co-conduite avec le ministère des solidarités et de la santé, est chef de file sur les nouvelles modalités d'accès aux études de santé :

• la dimension transdisciplinaire n'a pas été bien prise en compte : alors que la réforme concerne l'université dans son ensemble, sa mise en oeuvre a été concentrée sur les facultés de santé, au lieu d'impliquer toutes les composantes disciplinaires ;

• la phase de transition , qui fait cohabiter trois populations d'étudiants en santé - les doublants PACES, les LASS et les P.AS -, avec les risques inhérents de concurrence que cela comporte, n'a pas été suffisamment préparée , comme le montre les fortes incompréhensions sur la répartition des places entre voies d'accès ;

• la gestion des flux d'étudiants , en particulier pour l'accès en L.AS 2, n'a pas été travaillée en amont : il s'agit pourtant d'une question centrale pour garantir la continuité des parcours et l'effectivité de la « seconde chance ».

Ce manque d'anticipation se double d' un déficit de pilotage de la part du ministère , pointé par la Conférence des présidents d'université (CPU) et plusieurs représentants universitaires. Le respect du principe de leur autonomie n'empêchait pas la mise en place d'un socle minimal d'harmonisation des pratiques afin de garantir l'équité de traitement des étudiants sur le territoire. Or, la grande marge d'appréciation laissée aux universités par les textes réglementaires et le peu de directives ministérielles sur les modalités de mise en oeuvre de la réforme ont conduit à de multiples disparités (cf. infra ).

2. Au niveau des universités : un manque d'appropriation et d'interaction

De leur côté, les universités ont clairement manqué de temps pour appréhender la mécanique complexe de la réforme et se l'approprier . La publication des textes réglementaires est intervenue en novembre 2019 pour une effectivité du nouveau système à la rentrée 2020 : ce calendrier très contraint ne permettait pas une préparation de la réforme dans de bonnes conditions. D'ailleurs, les universités où sa mise en oeuvre se passe bien sont notamment celles où une expérimentation était en cours depuis plusieurs années.

Dans beaucoup d'établissements, le sens et l'ampleur de la réforme n'ont pas été bien compris . Le changement culturel que constitue le nouveau système, avec le passage d'une logique de pure sélection à une logique de progression et de réussite dans les études, n'a pas toujours été pris à sa juste mesure. En outre, la mise en oeuvre a trop reposé sur les facultés de santé et leurs doyens, au lieu de mobiliser les universités dans leur globalité et leurs présidents. Les échanges entre composantes disciplinaires ont été plus l'exception que la règle.

3. Les conséquences : des disparités à tous niveaux et des dysfonctionnements au détriment des étudiants

Ces manquements de la part du ministère et des universités sont à l'origine de nombreuses disparités sur le terrain :

• entre universités : pour reprendre l'expression d'un auditionné, « il y autant de réformes que d'universités » . Les formules qu'elles ont choisies sont en effet nombreuses et variées : certaines proposent le double parcours PASS/L.AS, avec un nombre de mineures en PASS et un nombre de L.AS très différents, tandis que d'autres n'ont mis en place que des L.AS. Des disparités s'observent aussi dans le contenu pédagogique des enseignements : alors que certaines universités ont fait l'effort de refondre les programmes, d'autres ont repris celui de l'ancienne PACES pour l'appliquer au PASS ; en outre, la charge de travail des mineures disciplinaires en PASS s'avère d'ampleur inégale, de même que celle des L.AS. Les modalités d'évaluation sont, elles aussi, très diverses : des universités ont instauré des notes éliminatoires pour le PASS - ce qui est contraire à l'esprit de la réforme -, quand d'autres permettent la compensation des résultats entre les semestres ; certaines prennent en compte la mineure pour la validation de l'année de PASS, alors que d'autres n'ont pas fait ce choix ;

• entre étudiants : toutes ces disparités dans l'organisation du nouveau système créent des inégalités entre étudiants d'universités différentes, mais aussi entre étudiants d'une même université , pouvant engendrer une concurrence entre filières - exacerbée par la présence cette année de doublants PACES -, conduire à des chances de réussite très variables pour la validation de l'année universitaire et pour l'accès à la deuxième année des études de santé, favoriser des stratégies opportunistes dans le choix des mineures en PASS ou du calendrier de validation de la « mineure santé » en L.AS.

À ces disparités viennent s'ajouter des dysfonctionnements dont les étudiants sont les premières victimes :

• dans certaines universités, une absence de choix de la mineure disciplinaire en PASS ou de la L.AS : des étudiants n'ont pas eu la possibilité de choisir leur mineure en PASS ou leur L.AS à cause d'une offre trop limitée ou d'un nombre de places insuffisant dans des filières déjà en tension. Ce choix imposé est contraire à l'un des fondamentaux de la réforme , celui d'une orientation des étudiants vers la voie la plus adaptée à leur projet d'études ;

• un manque d'adaptation des programmes : nombre de témoignages révèlent des situations très douloureuses d'étudiants devant mener de front deux années en une - le PASS et la mineure disciplinaire ou la L.AS et la « mineure santé » - parce que les programmes n'ont pas ou peu été adaptés. Non seulement cette surcharge de travail va à l'encontre de l'objectif de mettre fin au « bourrage de crâne » du précédent système et d'améliorer les conditions d'études des étudiants en santé, mais elle contribue en outre à pérenniser le recours aux préparations privées, que la réforme souhaitait pourtant combattre ;

• des incertitudes sur la gestion des « flux » et des réorientations : faute d'anticipation et de préparation, les flux d'étudiants vers la deuxième année de L.AS et les réorientations en licence première année constituent un point d'inquiétude majeur . À ce jour, ni le ministère ni les universités ne sont en capacité de garantir : que les étudiants de PASS n'ayant pas été acceptés en deuxième année d'études de santé pourront accéder à la L.AS 2 correspondant à la mineure disciplinaire suivie - notamment s'agissant des filières en tension-, faute de quoi certains pourraient décider de retourner en licence première année ; que les étudiants de PASS ayant choisi une mineure « par défaut » pourront avoir une place dans une autre licence correspondant à leur souhait. Ces inconnues, si elles devaient perdurer, iraient à l'encontre de l'ambition de progression dans les études portée par la réforme.

4. Une réaction tardive de la part du ministère de l'enseignement supérieur

Alors que les retours de terrain sur les difficultés constatées étaient de plus en plus significatifs et que la contestation de la part d'étudiants et de parents ne cessait de grandir et de se structurer depuis l'automne 2020, c'est seulement à partir de janvier 2021 que le ministère de l'enseignement supérieur a commencé à prendre la mesure du problème .

Reprenant plusieurs des propositions de la Fédération générale des associations étudiantes (FAGE), formulées dans un rapport publié en novembre 2020, puis dans une note publiée en février 2021, le ministère a successivement décidé de mettre en place un comité national de pilotage de la réforme , présidé par le doyen de la faculté de médecine d'Angers, d'élaborer et d'adresser un vademecum aux universités , de demander l'installation d' un comité de suivi de la réforme dans chaque université , de nommer un chargé de mission spécifiquement dédié à la réforme pour identifier avec chacune d'elles les points de blocage. La ministre a en outre mandaté, début mars, l'Inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche (IGESR) pour analyser « ce qui se passe sur le terrain » .

Ces initiatives allant dans le sens d'un meilleur pilotage sont évidemment les bienvenues, mais elles arrivent malheureusement bien tard au vu de l'urgence à répondre à la situation des étudiants actuellement en PASS et L.AS.

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