B. DES OBSTACLES À LEVER
1. Un paysage institutionnel à construire
a) Une multiplicité d'acteurs et de périmètres
Les politiques de mobilité à l'échelle des territoires reposent sur plusieurs acteurs institutionnels, dont deux ont une place éminente : la région et l'intercommunalité.
• Historiquement, ce sont les entreprises, puis les communes qui ont commencé à organiser les transports collectifs urbains (TCU). Avec la mise en place des intercommunalités et l'extension des périmètres des TCU, le rôle d'autorité organisatrice des mobilités (AOM), a été assuré peu à peu par les intercommunalités, sauf en Île-de-France où cette compétence est dévolue à un acteur spécifique : Île-de-France Mobilités. En prévoyant que l'ensemble du territoire devra être couvert par une AOM, la loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 donne la possibilité aux communautés de communes de choisir de prendre la compétence, ou de la laisser, par défaut, à la région.
• Les régions depuis leur création dans les années 1980 ont reçu pour leur part la compétence en matière de transports collectifs non urbains et depuis 2017, ont repris les prérogatives des départements en matière de transports scolaires interurbains. La région a aussi une mission de coordination des différents acteurs des mobilités en étant désignée comme chef de file et d'ensemblier en matière de mobilité, avec les liaisons ferroviaires et l'offre TER au coeur de leur politique et qui doivent être au centre de l'offre de mobilité globale. Ce rôle de coordination est d'autant plus important et fort qu'il s'articule à la planification stratégique de vaste échelle des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).
La LOM a fortement rebattu les cartes pour les zones peu denses en ne permettant plus aucune « zone blanche » de mobilité, imposant à toutes les intercommunalités de mettre en place une AOM. Mais la loi laisse en réalité les territoires se saisir ou non des problématiques de mobilités dans les zones peu denses. Soit les communautés de communes choisissent d'exercer la compétence et d'établir des plans de mobilité, soit elles en laissent la responsabilité à la région devenant ainsi AOM locale par substitution. Les textes encouragent les acteurs locaux à se saisir des questions de mobilité et leur laissent une grande souplesse : les intercommunalités peuvent aussi confier à la région la mission consistant à organiser les services de transport lourds comme les lignes de bus grand public ou les lignes scolaires.
À cette liste s'ajoutent également les conseils départementaux en ce qu'ils sont en charge des solidarités et ont ainsi conservé la compétence du transport des personnes en situation de handicap qui est une compétence organisationnelle très fine du type transport à la demande. À ce titre ils seront associés à la définition de l'offre de mobilité solidaire à l'échelle des bassins de mobilités avec les régions et les AOM. Mais surtout, ils assument l'essentiel des flux routiers de voyageurs et de marchandises sur une très grande part du réseau routier renforçant d'autant la nécessaire bonne coordination avec le couple région-intercommunalité, qu'il s'agisse d'implanter des parkings de covoiturage, des arrêts de covoiturage, des pistes cyclables, des aménagements de chaussée... ou à terme d'intégrer les données des flux routiers dans les outils numériques développés par les AOM.
La manière dont seront organisés localement les services publics de mobilité dans les zones peu denses dépend donc largement des choix effectués par chaque collectivité territoriale et des relations entre établissements publics de coopération intercommunale et région dans les comités de partenaires et la coordination des échelles d'action au sein des bassins de mobilité.
b) Le besoin de coopération entre acteurs institutionnels
La plupart des spécialistes et praticiens des mobilités insistent sur le grand besoin de coopérations entre acteurs pour la mise en oeuvre des politiques de mobilité intelligentes adaptées à chaque territoire . D'autant plus que les périmètres administratifs des intercommunalités sont, pour l'essentiel, largement outrepassés par les modes de vie de nos concitoyens, particulièrement dans ce champ des mobilités.
Cette coordination passe aussi par l'articulation des différents périmètres géographiques concernés . Ainsi, la LOM a créé la notion de « bassin de mobilité » défini par les régions, à l'échelle duquel doit être conclu un contrat de mobilité entre la région et les intercommunalités exerçant le rôle d'AOM. Les acteurs économiques (employeurs) et les utilisateurs des services de mobilités (usagers, habitants) sont chargés de suivre l'exécution du contrat au sein d'un comité des partenaires.
Lors de son audition, Michel Neugnot, premier vice-président de la région Bourgogne Franche-Comté et président de la Commission Transports et Mobilité de l'Association des Régions de France (ARF) estimait que la réussite des politiques publiques de mobilité, comme pour les politiques de développement économique, repose sur la bonne entente d'un « couple naturel » formé des intercommunalités et des régions .
Au-delà de cette coopération institutionnelle pour l'organisation des services, une coopération encore plus large s'impose en pratique pour mettre en oeuvre des solutions multimodales : ainsi, une aire de covoiturage pourra nécessiter l'engagement du département si l'aménagement doit se faire sur une route départementale ; la réalisation d'un parking à vélos à proximité du quai d'une gare pourra aussi dépendre de la mise à disposition d'espaces par la SNCF, propriétaire des emprises.
Enfin, le passage d'une logique de transports collectifs à celle de mobilités multimodales nécessite un changement culturel de la part des acteurs institutionnels , qui ont tendance à raisonner par mode et pas encore en prenant la mobilité comme un service au sens large.
c) La nécessité de trouver la bonne échelle d'organisation des mobilités
Au-delà de la coopération entre acteurs et entre territoires, se pose la question de la bonne échelle pour construire les politiques de mobilité. Dans les espaces peu denses, les espaces trop restreints ne sont pas adéquats. L'enjeu étant d'assurer une bonne connexion aux territoires voisins, il existe un fort besoin « d'interterritorialité ».
Le bassin de mobilité est ainsi l'échelle la plus pertinente pour articuler une politique publique de mobilité qui profite vraiment aux territoires peu denses. Chaque territoire peut ainsi conserver ses spécificités, mais s'inscrire dans un ensemble plus large qui prévient les incohérences, les correspondances inorganisées et les obstacles tarifaires ou administratifs.
Lors de l'examen de la LOM, le législateur a tenté de porter cette échelle au niveau des bassins de mobilité, proche des aires urbaines. Outre la difficulté juridique à définir ces périmètres, et à traiter d'espaces interstitiels, multipolarisés, il a également été considéré que le progrès réalisé par une couverture totale en AOM constituait déjà une étape substantielle en proposant l'échelon des EPCI et la mise en avant du couple régions-intercommunalité.
Cependant ce ne sera pas suffisant pour approfondir les enjeux des nouvelles mobilités intermodales dans la logique du couple mobilité/accessibilité et de la maîtrise de la répartition des services de l'habitat, des emplois et de l'amélioration des solutions de transport. En ce sens le rapprochement avec la compétence de planification urbaine des schémas de cohérence territoriale (SCoT) s'impose dans la logique nouvelle des plans locaux d'urbanisme intercommunaux - habitat déplacements (PLUI-HD). Il s'agit bien de créer des synergies entre les différentes politiques d'aménagement du territoire joignant services à la population et respect des impératifs environnementaux : concentration des flux, arrêt de l'expansion infinie de l'habitat pour respecter les objectifs en termes de non-artificialisation des sols et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Ces politiques d'urbanisme doivent s'enrichir de la gestion des temps et des rythmes. En cela l'expérience du think-tank Tempo Territorial présidé par Dominique Royoux, professeur de géographie à l'Université de Poitiers, est des plus intéressantes. Il a pour objet de sensibiliser les collectivités territoriales aux enjeux temporels et à la pertinence d'intégrer dans leurs actions cette nouvelle politique publique transversale. Qu'il s'agisse de tenter d'échelonner les horaires d'ouverture des écoles ou d'adapter les horaires d'une médiathèque aux disponibilités des habitants, cette approche est prometteuse en ville et dans les campagnes.
Dans cette logique, les périmètres des SCoT et des bassins de mobilités gagneraient à être les mêmes : conçus du point de vue des usagers, dans une logique fonctionnelle et de fait interterritoriale.
Le bassin de mobilité du syndicat mixte de la Multipole Nancy Sud-Lorraine est de ce point de vue un exemple intéressant : les 13 intercommunalités existantes, déjà associées pour élaborer ensemble un SCoT, ont retenu cette même échelle comme étant celle pertinente pour coordonner les mobilités, car correspondant au véritable mode de vie des habitants : 94 % des déplacements journaliers ont lieu au sein de cet espace de plus de 560 000 habitants et 435 communes. La perspective de rationaliser le nombre d'AOM y est envisagée.
2. Disposer de moyens financiers et humains pour diversifier la mobilité dans les zones peu denses
a) La recherche de moyens financiers
Dans les zones denses, le secteur des transports publics consomme déjà de très importants moyens financiers publics tant en investissement qu'en fonctionnement. L'extension des réseaux des coeurs d'agglomération vers les zones peu denses qui se situent à la lisière, voire en dehors des circuits de transports publics, peut s'avérer prohibitive en termes de coût par voyageur et par kilomètre. Des alternatives aux solutions traditionnelles de transport collectif peuvent se révéler plus abordables mais ne peuvent cependant pas être mises en place sans aucun soutien financier.
En étendant le périmètre des AOM à l'ensemble du territoire, la LOM permet d'instituer une source de financement des politiques publiques de mobilité dans les zones peu denses en étendant du même coup l'ex-versement transport (VT), rebaptisé versement mobilité (VM) à des espaces qui auparavant n'y étaient pas assujettis. Or, la possibilité de mettre en place un VM est subordonnée à l'existence de services réguliers de transports. Beaucoup de petites collectivités pourraient ainsi ne jamais pouvoir se doter de cet outil fiscal. Pour les territoires en capacité de lever cette contribution, les recettes nouvelles pourraient rester modestes du fait, d'une part, d'une assiette réduite en moyenne - si certains espaces de faible densité peuvent ne pas disposer d'entreprises assujetties au VM, d'autres peuvent en accueillir et disposer alors de recettes conséquentes - d'autre part, d'un taux faible , les élus des communautés de communes préférant plutôt ne pas pénaliser l'attractivité économique de leur territoire, comme le remarquait Éric Le Breton lors de son audition.
Pour les zones peu denses situées dans le périmètre d'AOM existantes, un autre problème peut résider dans une répartition des moyens financiers se faisant de manière très déséquilibrée, au profit essentiellement d'une zone dense centrale ayant de lourds besoins, par exemple en ayant développé des solutions de type tramways.
Or, la recherche d'alternatives au véhicule individuel en zone peu dense peut nécessiter des aménagements de voirie (nouveau marquage, nouvelles signalisations) qui restent coûteux. Les départements n'ont pas forcément non plus les moyens financiers de se lancer dans des plans ambitieux de construction de pistes cyclables de bourg à bourg, sans compter qu'outre l'investissement initial, ces voies nécessitent également un entretien (retrait de branchages, nettoyage pour éviter les chutes). Lors de son audition, Jean-Baptiste de Prémare, délégué général de Routes de France, a confirmé qu'il n'avait pas le sentiment que la priorité des collectivités était de développer les petites véloroutes, compte tenu du coût des investissements à réaliser.
Cette question du financement est cruciale et déterminante . Lors de l'examen de la LOM, le Gouvernement a tenté de conserver l'équilibre entre développement d'une offre de mobilité et préservation du financement par les entreprises ; ces dernières ne voulant pas voir les bases de VM s'élargir. Le gouvernement estimait par ailleurs que le « bouquet » de mobilités nécessaires aux espaces peu denses, hors transport régulier, était peu coûteux (estimé à 10€/habitant) et donc atteignable.
Pour y pallier, le Sénat a voté la possibilité de lever un taux réduit de VM (hors services réguliers) pour ceux dépourvus de base fiscale et d'y flécher une part de TICPE. Cette position n'a pas été suivie dans la version définitive de la loi.
Devant les besoins financiers nécessaires au bon développement d'une offre de mobilité, plusieurs pistes sont à envisager :
1. Une meilleure allocation du VM par un système de péréquation car certains périmètres sont très largement pourvus, et par l'extension des bassins de mobilité (où est prélevé le VM) en utilisant des taux différenciés comme le permet la loi.
2. Une dotation complémentaire destinée aux espaces peu denses les moins bien pourvus en base de VM par un fléchage, par exemple de la TICPE. Cela ferait sens et ne serait pas dispendieux à l'échelle nationale.
3. Le difficile débat national relatif à l'application du principe pollueur/payeur devra déboucher pour permettre de financer partiellement ces besoins nouveaux et le report modal indispensable à la décarbonation et aux modes les moins polluants. À court terme le recours aux certificats d'économie d'énergie s'impose.
4. Le paiement à l'usage doit aussi être sérieusement considéré. En effet pour un usager ne disposant pas de moyens de transport, c'est l'offre de service qui compte avant son coût dans la limite d'un prix déterminé par l'AOM, pouvant se baser par exemple sur un « équivalent-taxi » ; des tarifications plafond existent pour les taxis conventionnés avec la sécurité sociale par exemple. Si cet usager ne dispose pas de moyens financiers, des tarifications solidaires sont alors envisageables.
A l'instar du modèle économique efficace mis en place par la LOTI de 1982 pour financer les TCU, basé sur la généralisation des AOT et d'un VT qui a permis le développement des modes collectifs en agglomération, un modèle économique sérieux et viable doit être proposé aux différents espaces peu denses pour constituer une véritable politique publique de mobilité et d'accessibilité à la hauteur des enjeux . Il s'agit d'éviter les politiques de mobilité à deux vitesses et cette fracture territoriale que l'on voit poindre, et qui est déjà une réalité pour nombre de personnes comme l'a démontré la première partie du mouvement des gilets jaunes.
b) La question des moyens humains et de l'ingénierie des mobilités
La mise en place de solutions alternatives de mobilité dans les zones peu denses nécessite le recours à des spécialistes capables de porter techniquement des projets complexes . Comme le rappelait David Caubel lors de la table ronde du 23 septembre 2020 : « l'ingénierie est essentielle pour accompagner les territoires dans la mise en oeuvre de solutions de mobilités ». Les connaissances requises touchent à de larges domaines : besoins de mobilité et de services à l'habitant, maillage des transports existants, état des infrastructures routières et de leur potentiel multimodal à court et moyen terme, solutions techniques possibles, animation et conduite de projet. Quand bien même le recours à des bureaux d'étude sur un sujet aussi évolutif semble inévitable, il paraît indispensable que l'élu dispose aussi en propre d'un minimum permettant de construire l'offre sur mesure correspondant aux besoins du territoire. Ainsi, il pourrait recourir à l'offre privée d'ingénierie, la diriger, capitaliser les expériences du territoire et gérer les mobilités produites, qu'elles soient alors en régie ou déléguées.
Or certains territoires ne disposent pas encore de moyens d'ingénierie de haut niveau, ce qui conduisait Charles-Éric Lemaignen à mettre en garde contre un encouragement des initiatives locales qui ne reposerait que sur des appels à projets car « les territoires qui y répondent sont ceux qui possèdent l'ingénierie et l'argent ».
La construction de partenariats entre les petites intercommunalités et les régions pourrait conduire à la structuration d'une véritable ingénierie territoriale permettant un portage technique efficace des projets de mobilités augmentées dans les territoires peu denses. C'est en tout cas l'objectif du bouclage de la carte des AOM poursuivi par la LOM. Les partenariats entre intercommunalités et les autres acteurs comme les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR) et les parcs naturels régionaux au sein de bassins de mobilité constituent également une voie possible pour disposer de telles ressources d'ingénierie à l'échelle pertinente.
En tout état de cause, la nécessité de mener des politiques locales de mobilité « sur mesure » induit de disposer de réels moyens en matière d'ingénierie, stables dans le temps, comme en matière de crédits d'investissement et de fonctionnement.
3. Les obstacles techniques et juridiques
a) Les obstacles techniques à la diversification des mobilités dans les espaces peu denses
S'il existe en théorie une palette de solutions alternatives à la voiture individuelle qui peuvent être déployées en zones peu denses et s'y révéler pertinentes, il convient de ne pas négliger les difficultés techniques pouvant être rencontrées pour les faire fonctionner.
Ainsi, un dispositif utilisant le numérique pour commander un transport ne peut pas être envisagé sans régler au préalable la question de la couverture réseau du territoire concerné. Promouvoir la marche ou le vélo dans un plan de mobilité simplifié n'est aussi possible que si sur l'ensemble d'un parcours, sont aménagés des cheminements de qualité et sécurisés . L'encouragement d'une mobilité électrique en voiture ou scooter dans les espaces peu denses se heurtera également à la disponibilité de bornes de recharge . Demain, la possibilité d'utiliser des véhicules autonomes sera peut-être bridée dans les espaces peu denses par une voirie de dimension trop réduite, ou dont le marquage au sol serait insuffisant.
Si les obstacles techniques ne sont pas tous insurmontables, les surmonter est cependant un préalable à la mise en place de solutions efficaces et pertinentes.
b) Des obstacles juridiques à lever
L'émergence de pratiques innovantes est parfois contrariée par l'absence de cadre juridique voire l'existence d'obstacles à leur essor : il en a été ainsi en milieu urbain pour le déplacement et le stationnement des nouveaux équipements de glisse urbaine, trottinettes, monoroues etc. Cela a été également le cas pour l'indemnisation des conducteurs dans le cadre du covoiturage.
Les initiatives en zones peu denses ne sont pas exemptes de difficultés juridiques. Ainsi, le transport solidaire , en plein essor, dispose d'un cadre juridique fragile. Un décret de 2019 44 ( * ) permet désormais d'officialiser le transport d'utilité sociale (TUS) en l'autorisant pour une distance de moins de 100 kilomètres et à condition que les bénéficiaires résident au sein d'une commune appartenant à une unité urbaine de moins de 12 000 habitants ou disposent de faibles ressources. Mais, dans le but de prévenir toute concurrence déloyale avec les taxis, ce décret a limité les déplacements à l'unité urbaine ou à des trajets vers un pôle multimodal d'une unité urbaine voisine, bridant l'utilisation de ce type de service pour répondre à certains besoins, comme par exemple se rendre directement à un rendez-vous médical dans un pôle urbain.
La question de la responsabilité en cas d'accident est également délicate à appréhender dans le cadre de services publics de proximité assurés par des personnes privées, comme les initiatives de transport scolaire en vélo collectif, pédibus etc.
Ces aspects juridiques doivent ainsi être pris en compte lorsqu'un plan de mobilité est défini par une collectivité s'étant saisie de la compétence en application de la LOM.
4. Des freins pratiques et psychologiques à la diversification des mobilités
a) Une culture automobile combinée à un bon niveau d'équipement
Malgré le coût élevé de la détention et de l'utilisation de la voiture individuelle, estimé entre 5 000 € et 7 000 € par an par l'Automobile Club Association 45 ( * ) , celle-ci reste prédominante dans les modes de déplacement et semble encore indépassable à de nombreux habitants, au vu des distances à parcourir et du caractère très polyvalent du véhicule individuel. Les autres modes de déplacement paraissent insuffisamment développés ou adaptés pour qu'on puisse y recourir.
L'existence d'un réseau routier de qualité, bien maillé et plutôt bien entretenu, l'absence d'embouteillages dans les zones peu denses ou encore la possibilité de stationner facilement constituent également des incitations à conserver cette habitude d'utiliser un mode de transport souple et rapide, pour l'ensemble des déplacements du quotidien. Finalement, comme le notait Marie Huyghe lors de son audition, dans les territoires ruraux, tout le système de mobilité est construit autour de la voiture .
La mise en place de nouvelles solutions alternatives à la voiture individuelle risque dans ces conditions de se heurter à la force des habitudes et d'échouer. Plutôt que de lutter contre la voiture, dans les espaces peu denses, il paraît plutôt pertinent de travailler à des incitations à la diversification des modes de déplacement, qui peuvent aussi passer par la diversification des usages de l'automobile .
Comme l'indiquait Marie Huyghe lors de la table ronde du 23 septembre 2020, « l'enjeu n'est pas de renoncer totalement à la voiture, mais plutôt de ne pas acquérir de deuxième voiture. Il faut oeuvrer pour que les ménages ne procèdent pas à cette acquisition ».
La transformation des mobilités dans les espaces peu denses passe donc d'abord par un combat culturel consistant à faire s'approprier par les habitants et les élus de nouvelles solutions construites avec eux et de diversifier peu à peu les modes de déplacement. Un tel changement des mentalités prend nécessairement du temps.
Cette diversification peut passer par l'encouragement de l'intermodalité, avec utilisation de la voiture seulement sur une partie du trajet, afin que la transition se fasse en douceur vers de nouveaux modes.
b) Le besoin d'une politique volontariste appuyée par des efforts de communication
Tous les interlocuteurs auditionnés ont insisté sur l'effort nécessaire de communication pour encourager la diversification des modes de déplacement.
Communiquer sur une offre alternative peut prendre les voies traditionnelles, institutionnelles, mais doit aussi s'incarner sur le terrain : ainsi, une nouvelle aire de covoiturage doit être visible, bien située, bien signalée, bien identifiée, pour que l'appropriation locale de ce nouvel outil puisse intervenir. Lorsque l'on travaille sur des solutions de rabattement vers des modes de transport collectifs, la signalétique doit être adaptée, les délais d'attente ou de trajet indiqués et actualisés en temps réel. Lors de la table ronde du 23 septembre 2020, Nathalie Mas-Raval, directrice générale des services de la communauté de communes du Pic Saint-Loup déclarait « il existe un levier important pour changer les comportements de chacun à travers la communication ».
A l'instar d'autres politiques publiques comme les politiques de santé publique, la communication ne produit ses effets que dans le temps . La lutte contre le tabagisme a nécessité un effort continu et soutenu ainsi qu'un véritable portage politique. La lutte pour la diversification des modes de déplacement pourrait nécessiter le même volontarisme.
Le volontarisme politique passe aussi par des incitations à adopter de nouveaux comportements, qui ne sont pas que financières : l'efficacité et la fiabilité d'un mode est ce qui est recherché en priorité par les utilisateurs.
Or, en matière de transports et de mobilités, le volontarisme produit des effets. Lors de son audition, Éric Le Breton avait rappelé que les villes avaient peu à peu cédé au tout-voiture et souvent réduit leurs systèmes de transports collectifs à partir de l'après-guerre et que le retour des transports collectifs, qui s'est notamment traduit depuis une trentaine d'années par la construction de nouvelles lignes de métro ou de tramways, avait nécessité une longue prise de conscience à partir du Colloque de Tours qui s'était tenu en 1970, moment-clef dans la prise de conscience de la nécessité d'un retournement de tendance, qui avait débouché sur la rédaction d'un Livre vert en faveur du développement de transports collectifs urbains.
Plusieurs leviers peuvent être utilisés pour encourager les alternatives à la voiture dans les espaces peu denses : l'argument de la santé pour les modes actifs comme la marche et le vélo, l'argument économique afin de favoriser un usage partagé des véhicules, ou encore l'argument pratique pour éviter les contraintes liées au transport des enfants jusqu'à leurs établissements scolaires ou leurs activités extrascolaires. Par ailleurs, quand on conduit une voiture, il n'est pas possible de se livrer à d'autres activités comme la lecture, ou de travailler avant même d'arriver sur son lieu de travail. Le changement de mode peut permettre une nouvelle utilisation du temps disponible. D'ailleurs comme le fait remarquer Vincent Kaufman, « on constate un certain désamour de la voiture, et particulièrement auprès des jeunes générations, sur ce motif que le temps de conduite est un temps perdu ».
Il n'en reste pas moins que la culture dominante de la voiture individuelle, qui n'est du reste pas l'apanage des seuls espaces peu denses et s'étend aussi aux espaces périurbains proches des coeurs de ville, doit être prise en compte comme un frein à la diversification des mobilités.
* 44 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038939847/
* 45 https://www.automobile-club.org/assets/doc/Budget_de_lAutomobiliste_2020_BD.pdf