IV. LES EFFORTS POUR SÉCURISER LE VOTE PAR INTERNET DOIVENT ÊTRE POURSUIVIS

A. UNE MODALITÉ DE VOTE EXISTANTE MAIS PEU UTILISÉE POUR LES ÉLECTIONS POLITIQUES

1. Le vote par Internet des Français de l'étranger

La France a déjà recours au vote par Internet pour l'élection des représentants de nos compatriotes expatriés : 1,36 million d'électeurs inscrits sur la liste électorale consulaire (LEC) peuvent voter en ligne pour les élections législatives depuis 2009 et pour les élections consulaires depuis 2013 72 ( * ) . Cette modalité de vote est largement utilisée : ainsi, lors des élections consulaires de 2014, 43 % des participants se sont exprimés en ligne.

L'introduction du vote par Internet résulte d'ailleurs d'une initiative du Sénat, sous l'impulsion de Robert del Picchia en 2003, pour l'élection de l'ancien Conseil supérieur des Français de l'étranger (CSFE) 73 ( * ) .

En l'espèce, le vote électronique se justifie par l'éloignement géographique des bureaux de vote : « un expatrié vivant à Irkoutsk [Russie] doit parcourir 2 812 kilomètres pour voter à Ekaterinbourg, ce qui représente un trajet de 3 heures 20 en avion. Le prix du billet avoisine 470 euros pour un aller-retour » 74 ( * ) .

Si les expatriés n'ont pas pu voter par Internet lors des élections législatives de 2017 (voir infra ), cette modalité de vote devrait être ouverte pour les prochaines élections consulaires de mai 2021 . La plateforme de vote destinée à ces élections a été homologuée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères en janvier 2020, avec l'accord de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

S'agissant des élections législatives prévues en juin 2022, le Gouvernement travaille depuis 2018 à la refonte de la plateforme de vote dédiée. Cette prestation a été confiée à la société Voxaly, filiale du groupe La Poste, qui doit réaliser deux tests grandeur nature (TGN) 75 ( * ) en 2021.

2. Le recul du vote par Internet à l'échelle internationale

Aujourd'hui, seule l'Estonie recourt massivement au vote par Internet pour ses élections locales et législatives . Cette modalité de vote y rencontre un succès croissant : aux élections législatives, la part des votes en ligne est passée de 5,5 % des participants en 2007 à 43,8 % en 2019.

L'Estonie dispose toutefois d'un dispositif très spécifique, difficilement transposable à court terme . Depuis 2004, chaque électeur estonien - soit environ 1,3 million de personnes - est doté d'une carte d'identité numérique, qui permet d'accéder à toute une gamme de services publics (vote, impôts, transports en commun, résultats scolaires des enfants, etc .).

Dans le reste du monde, le vote par Internet est, au contraire, en recul, comme le démontre l'étude de législation comparée annexée au présent rapport .

La Suisse, qui avait recours au vote électronique depuis le début des années 2000, l'a suspendu afin de revoir ses dispositifs techniques. Des réflexions ont été engagées en Espagne, en Italie ou au Portugal, et des expérimentations ont été menées à grande échelle au Royaume-Uni, mais aucune de ces initiatives n'a abouti à la mise en place d'un vote en ligne.

L'expérimentation du vote par Internet à l'échelle internationale :
quelques exemples
76 ( * )

- La Suisse

Dix cantons ont expérimenté le vote par Internet, en utilisant deux systèmes différents : celui de la Poste suisse (développé en partenariat avec la société SCYTL) et celui du canton de Genève. Ce dernier dispositif a été utilisé pour plus de 150 scrutins locaux, sans difficulté majeure.

Le vote par Internet a été suspendu au milieu de l'année 2019 .

En effet, d'une part, la Poste suisse s'est séparée de son prestataire et développe sa propre plateforme de vote en ligne. Elle travaille à des alternatives plus sécurisées disposant d'un outil de « vérifiabilité universelle » , qui permettrait de contrôler, a posteriori , que les différents composants de la plateforme n'ont pas été modifiés pendant le scrutin.

D'autre part, le canton de Genève a indiqué qu'il n'avait pas vocation à « développer, exploiter et financer seul un système informatique d'une telle envergure ».

Les autorités helvétiques semblent toutefois souhaiter rétablir ce type de scrutin en 2021.

- Le Royaume-Uni

Le vote par Internet a été expérimenté en 2003 puis en 2007, mais aucun projet d'ampleur n'a été entrepris depuis . Des expérimentations sont menées à petite échelle, notamment à Gateshead, une ville de la banlieue de Newcastle.

Au printemps 2020, un rapport de l'Institution professionnelle britannique d'ingénierie et de technologie a conclu que les technologies disponibles ne permettaient pas de répondre aux enjeux de cybersécurité pour des élections parlementaires ou locales à grande échelle . Selon cette étude, le vote en ligne requiert de nouvelles avancées technologiques en matière de sécurité, de gestion de l'identité numérique mais aussi de vérifiabilité du vote pour les électeurs et les observateurs.

- Les États-Unis

En 2018, la Virginie occidentale a conduit une expérimentation permettant aux militaires en poste à l'étranger de voter via une application Internet dédiée, utilisant la technologie blockchain et la reconnaissance faciale .

À la suite d'un rapport du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui mettait en évidence des failles de sécurité permettant de modifier ou de récupérer les bulletins de vote, la Virginie occidentale a toutefois supprimé l'application.

En 2020, le Delaware , le New Jersey et la Virginie occidentale ont expérimenté le vote par Internet pour les électeurs en situation de handicap et les militaires déployés à l'étranger, à travers une plateforme baptisée Omniballot .

Ces projets, utilisés pour les primaires (3 000 utilisateurs dans le Delaware), n'ont pas été étendus aux élections générales ni à l'élection présidentielle de novembre 2020 . Des failles de sécurité significatives ont été révélées par des chercheurs du MIT, soulignant « une approche simpliste du vote par Internet qui est vulnérable à la manipulation par des programmes malveillants ».


* 72 Article L. 330-13 du code électoral et article 22 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

* 73 Loi n° 2003-277 du 28 mars 2003 tendant à autoriser le vote par correspondance électronique des Français établis hors de France pour les élections du Conseil supérieur des Français de l'étranger.

* 74 « Vote électronique : préserver la confiance des électeurs », rapport d'information n° 445 (2013-2014) fait au nom de la commission des lois du Sénat par Antoine Lefèvre et Alain Anziani.

* 75 Les TGN sont des simulations de vote organisées à grande échelle. 4 302 Français de l'étranger ont participé, sur la base du volontariat, au dernier TGN organisé en novembre 2019.

* 76 Voir, pour plus de précisions, l'étude de législation comparée annexée au rapport.

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