B. FACILITER LA RELANCE DE L'ACTIVITÉ
La relance de l'activité dans les secteurs du spectacle vivant et des arts visuels se concentre autour de trois principaux enjeux : la nécessaire visibilité sur les conditions entourant la reprise de l'activité, la question du retour des publics et le niveau du soutien public pour accompagner, dans un premier temps, les acteurs dans le contexte d'une reprise « en mode dégradé ».
1. Donner davantage de visibilité au monde de la culture
a) Poursuivre le travail amorcé en matière d'aide à la décision
Pour aider les professionnels à organiser la reprise de leurs activités, le ministère de la culture a publié, depuis le mois de mai, une série de guides de recommandations , sans valeur contraignante, pour aider les professionnels à organiser la reprise de leurs activités. Ces guides concernent :
- la reprise des activités artistiques dans le champ du spectacle vivant ;
- la reprise des ateliers d'artistes, des ateliers partagés et résidences et la gestion des collections ;
- la reprise d'activité des conservatoires classés et des lieux d'enseignements artistiques publics ;
- la reprise de l'accueil du public dans des espaces d'exposition ;
- la reprise des activités d'action culturelle et d'éducation artistique et culturelle ;
- la reprise d'activité et la réouverture des salles de spectacles.
Aucun guide n'est en revanche paru en ce qui concerne l'organisation des festivals cet été , alors que rien n'interdit, en principe, les rassemblements de moins de 5 000 personnes.
Sa publication dans les plus brefs délais est cruciale , comme base à la rédaction d'une circulaire à destination des préfets les éclairant sur les conditions qui doivent être réunies pour pouvoir autoriser le maintien d'un certain nombre de manifestations. De telles instructions sont indispensables pour :
- éviter de faire peser la responsabilité sur les organisateurs de festivals et les collectivités territoriales ;
- limiter les risques que des inégalités apparaissent entre les territoires en cas de libre appréciation laissée aux préfets ;
- empêcher que l'été 2020 ne se transforme en un été sans festivals.
Recommandation n° 9 : Publier dans les plus brefs délais un guide sur la reprise des activités des festivals et transmettre aux préfets une circulaire fixant des instructions claires sur les conditions d'autorisation des festivals de l'été 2020.
b) Des clarifications nécessaires et urgentes concernant les conditions d'activité
Des clarifications rapides apparaissent nécessaires concernant la rentrée de septembre , à l'heure où tous les établissements culturels sont en train de réorganiser leur programmation et leurs conditions d'accueil. Il est indispensable que des éléments soient apportés au moins deux mois à l'avance compte tenu des contraintes liées à la programmation. La question des jauges autorisées est également cruciale pour les entreprises du spectacle vivant, compte tenu de leur modèle économique.
Alors que les acteurs culturels ont été invités à privilégier le report à l'annulation des spectacles, des expositions, des résidences ou des manifestations pour garantir la rémunération des artistes et des indépendants, qui sont les premiers pénalisés par la crise, celui-ci se révèle être un exercice délicat en l'absence de toute visibilité . Le report des événements se heurte en outre à une série de difficultés :
- les contraintes de la programmation, avec un problème de disponibilité des artistes ou des oeuvres et d'engorgement des lieux ;
- le problème de la disponibilité du public ;
- les risques pesant sur la pérennité de certaines structures.
La décision de report a aussi une incidence sur la rémunération des artistes, qui se trouve nécessairement retardée.
La levée ou la prolongation de l'interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes doit être confirmée rapidement , afin que les festivals qui sont en train de prendre leurs dispositions pour un report éventuel à l'automne ne se retrouvent pas dans une situation identique à celle qu'ils ont connue il y a quelques mois si cette interdiction devait être maintenue. Les conséquences financières seraient alors désastreuses, alors que les festivals font déjà face au retrait de plusieurs de leurs mécènes.
Recommandation n° 10 : Apporter rapidement aux acteurs culturels des clarifications et de la visibilité concernant les conditions de réouverture des établissements et d'autorisation des manifestations à compter du mois de septembre 2020 pour leur permettre de mieux anticiper leurs prochaines saisons.
2. Encourager le retour des publics
a) Rétablir la confiance du public
Les acteurs culturels sont particulièrement inquiets de l'impact de l'épidémie sur la fréquentation de leurs établissements. Cette inquiétude est particulièrement vive pour les salles de spectacle ou les organisateurs de festivals, où la position statique du public pendant plusieurs heures peut avoir un effet dissuasif.
Un travail de pédagogie sera nécessaire dans les premières semaines pour rassurer le public sur les mesures de protection mises en place. L'adoption de chartes de bonne pratique ou la création d'un pictogramme national pour les établissements qui respectent les exigences sanitaires pourraient donner confiance au public.
b) Accompagner les efforts des acteurs culturels pour préparer et traverser l'après-crise
Le Président de la République a insisté, dans son discours du 6 mai, sur la créativité dont allait devoir faire preuve le secteur de la culture pour « se réinventer ». Le groupe de travail tient à souligner que les acteurs culturels n'ont jamais manqué d'imagination pour « se réinventer », ce caractère étant inhérent à leur activité.
Il tient à saluer les efforts réalisés ces derniers mois par les acteurs culturels pour proposer de nouvelles initiatives par le biais du numérique . Si elles étaient bienvenues dans le contexte de la crise sanitaire et pourraient se révéler positives pour toucher de nouveaux publics, ces initiatives ne remettent pas en cause le fait que la priorité doit rester celle de la rencontre physique avec une oeuvre ou un artiste. Elles posent également la question de leur monétisation , renvoyant à la nécessité de transposer rapidement en droit français les directives « SMA » et « droits d'auteur », tout en y associant étroitement le Parlement , comme la commission de la culture, de l'éducation et de la communication l'a d'ailleurs recommandé, sur la base des travaux du groupe de travail Covid-19 « Livre et industries culturelles », animé par Françoise Laborde.
Au-delà de ce travail législatif, des précisions restent attendues sur le niveau et les modalités de l'accompagnement par l'État des acteurs culturels pour faire évoluer leurs modèles.
3. Soutenir la relance de l'activité
a) Compléter les mesures d'urgence par un plan de relance immédiat pour la culture
Le groupe de travail estime qu'un plan de relance est nécessaire pour éviter que les effets de la crise ne continuent à peser durablement sur les emplois et les structures culturelles. L'activité dans le secteur culturel restera, en tout état de cause, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, à la fois partielle et dégradée.
Un accompagnement des structures dans la mise en place des mesures sanitaires, ainsi que la compensation des surcoûts et des pertes de billetterie qui en découlent permettraient d'atténuer l'impact de la reprise en mode dégradé pour les acteurs culturels.
Recommandation n° 11 : Mettre en place des aides pour soutenir les structures pendant la période où des mesures sanitaires liées à la lutte contre l'épidémie de Covid-19 continueront à s'imposer.
Compte tenu de la dégradation attendue des revenus des artistes-auteurs dans les prochains mois, du fait de la diminution de la vente de leurs oeuvres et des commandes qui leur sont habituellement passées depuis le mois de mars, des mesures complémentaires devraient être prises en leur faveur. Dans son discours du 6 mai, le Président de la République a évoqué la piste d'une relance de la commande publique , tout en souhaitant la destiner prioritairement aux artistes de moins de trente ans.
Un effort particulier en faveur du dispositif des résidences permettrait également de préserver la vitalité artistique.
D'autres pistes mériteraient d'être prises en considération s'agissant des artistes visuels, en particulier une application plus stricte du dispositif du 1 % artistique , dont l'efficacité est aujourd'hui réduite en raison de l'absence de sanctions lorsqu'il n'est pas respecté. Il pourrait constituer un levier de la relance pour les artistes visuels, compte tenu des mesures de soutien prévues dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP). L'exonération de la TVA à l'importation pour les oeuvres produites à l'étranger par des artistes français , lors de séjours, résidences ou foires, fait également partie des dispositions attendues.
S'agissant du soutien aux entreprises du spectacle vivant, le renforcement et l'élargissement du crédit d'impôt sur le spectacle vivant, comme il fut réclamé lors de l'examen par le Sénat du projet de loi de finances pour 2020 , pourraient constituer une bouffée d'oxygène pour leur trésorerie, durement mise à mal par les pertes de recettes et l'arrêt de la billetterie. La commission de la culture souligne depuis plusieurs années l'intérêt de ce dispositif fiscal pour soutenir la création et la production de spectacles vivants musicaux et de variétés et l'importance de ses effets par rapport à son coût pour le budget de l'État.
Le groupe de travail regrette aussi la baisse significative des crédits du FONPEPS en 2020 , alors que cet outil aurait pu être adapté pour soutenir l'emploi artistique et les petites structures du spectacle.
Le groupe de travail regrette que tous ces sujets soient absents du PLFR 3 pour 2020 , démontrant que ce texte ne constitue nullement, en l'état, un plan de relance pour la culture . Ces sujets feront, à n'en pas douter, l'objet de débats parlementaires au plus tard à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, tant la plupart des effets de la crise sanitaire sur les structures ne se feront sentir qu'à l'automne, voire dans le courant de l'année 2021.
À cet égard, le groupe de travail se montre inquiet que des crédits toujours plus conséquents soient octroyés au développement du Pass culture , qui ne peut porter ses fruits en termes de démocratisation culturelle et de diversification des pratiques culturelles des jeunes sans un secteur culturel fort, dynamique et diversifié. Alors que l'expérimentation pourrait être élargie à des régions entières dans les prochains mois, une évaluation plus précise des résultats qualitatifs de cette politique mériterait d'être réalisée et rendue publique , en particulier en ce qui concerne la consommation des jeunes et la nature des offres majoritairement réservées pour chacune des disciplines. Il conviendra de mesurer les effets à long terme du confinement sur la nature des offres réservées, afin de s'assurer que la consommation des offres numériques ne prend pas définitivement le pas sur celle des offres physiques. La prochaine signature d'un contrat d'objectifs et de moyens entre la société Pass culture, l'État et la caisse des dépôts et consignations pourrait permettre de mieux cerner les objectifs assignés au Pass culture et les performances de cet outil.
Enfin, il s'avère essentiel de revenir sur les modalités de mise en oeuvre de certaines normes, certes légitimes, mais qui pèsent encore sur les acteurs culturels. La circulaire Collomb et le « décret-son » en sont des illustrations particulièrement probantes. Ces chantiers doivent être de nouveau ouverts et discutés avec l'ensemble des parties prenantes afin de parvenir à une solution satisfaisante qui ne pénalise pas les acteurs culturels, comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui.
Recommandation n° 12 : Veiller à mettre en place des outils propices à la relance des secteurs de la création dès maintenant et dans le futur projet de loi de finances pour 2021 et réaliser d'ici l'automne une évaluation complète et qualitative des résultats du Pass culture.
b) La question du soutien aux festivals
Ø Créer un fonds de soutien spécifique en faveur des festivals pour répondre à la crise sanitaire
Une attention particulière doit être apportée à la question des festivals, déjà fragilisés avant la crise sanitaire par la hausse du montant des cachets et l'augmentation des coûts de sécurité au cours des dernières années, tandis que les soutiens publics et privés sont restés globalement stables, de même que les recettes de billetterie.
L'annulation d'une grande partie des festivals qui devaient se tenir pendant la saison 2020, en particulier les plus gros d'entre eux, du fait de l'interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes jusqu'au 31 août, devrait avoir des répercussions dramatiques, à la fois sur l'activité économique et sur l'emploi.
Si le ministre de la culture avait annoncé, à la suite du discours du Président de la République le 6 mai, la création d'un « fonds festival qui viendra soutenir le monde du festival », celui-ci n'a toujours pas vu le jour, alors que les premiers festivals de cette édition 2020 singulière pourraient se tenir dès le mois de juillet. Sa création ne figure pas dans le PLFR 3 pour 2020, déposé devant le bureau de l'Assemblée nationale le 10 juin. Ses crédits pourront difficilement être pris sur les 50 millions d'euros promis au CNM, dans la mesure où ce fonds ne peut pas être géré par ce seul opérateur, puisqu'il priverait de soutien tous les festivals qui ne sont pas musicaux.
La création de ce fonds revêt pourtant un enjeu majeur pour l'avenir des festivals , à la fois pour soutenir ceux contraints à l'annulation à surmonter ce cap difficile, pour aider ceux qui auront lieu à faire face au manque à gagner et aux surcoûts liés au protocole sanitaire, et pour accompagner ceux qui tentent de réinventer à la dernière minute leur édition 2020 pour éviter que l'été en France ne manque de vie et reste silencieux, faute de festivals.
Recommandation n° 13 : Mettre en place avant l'été un fonds de soutien aux festivals, comme annoncé par le Gouvernement le 6 mai dernier, et pérenniser la « cellule festivals ».
Ø Renforcer la politique de l'État en direction des festivals
Le soutien de l'État aux festivals a été recentré au cours de la dernière décennie, avec une réduction du nombre de festivals subventionnés. Malgré le travail réalisé en 2018 par Serge Kancel en matière de recensement des festivals, aucune suite n'a véritablement été donnée à sa mission jusqu'à présent. La connaissance des festivals reste encore très partielle , comme en témoignent les écarts concernant le nombre de festivals en France chaque année avancé par les uns et les autres (entre 2 500 et 6 000). L'absence d'une définition unanimement partagée du terme de festivals n'y est sans doute pas étrangère. Les retombées économiques des festivals et leur contribution à l'emploi et au dynamisme des territoires n'ont jamais été précisément mesurées.
Une observation plus fine de l'écosystème des festivals serait très utile pour adapter la politique de l'État en direction des festivals. La crise sanitaire peut en fournir l'occasion grâce, d'une part, aux liens renoués par les services déconcentrés du ministère de la culture avec des festivals avec lesquels la relation était distendue ou inexistante et, d'autre part, à la création au sein de l'administration centrale d'une cellule festivals qu'il serait justifié de pérenniser .
Compte tenu de la multiplicité des enjeux liés aux festivals et de leurs retombées nombreuses, le groupe de travail estime qu'il pourrait être bénéfique de développer une approche interministérielle sur la question des festivals , entre les ministères chargés de la culture, du tourisme, de l'économie, de la cohésion des territoires et de l'intérieur. Elle pourrait entraîner une nouvelle dynamique favorable à la relance, sous réserve que chaque ministère impliqué ait à coeur de soutenir avant tout l'effervescence des festivals.
Recommandation n° 14 : Approfondir la connaissance de l'écosystème des festivals et réorganiser la politique de l'État en faveur des festivals.