N° 667
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juillet 2020
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur les notes de synthèse des groupes de travail sectoriels sur les conséquences de l' épidémie de Covid-19 ,
Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Max Brisson, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert , vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Céline Brulin, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Damien Regnard, Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz, Mme Dominique Vérien .
AVANT-PROPOS
Réunie le mercredi 22 juillet, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné le rapport de Mme Catherine Morin-Desailly autorisant la publication, au sein d'un seul et même document, de l'ensemble des travaux réalisés par les groupes de travail chargés d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur les secteurs relevant de leur compétence.
Ce document est le résultat d'un travail transpartisan, lancé le 14 avril par le bureau de la commission et achevé le 22 juin par la présentation devant cette dernière des travaux des groupes de travail consacrés aux secteurs de la « Création » et du « Patrimoine ». Dans l'intervalle, les douze groupes sectoriels, animés par les rapporteurs budgétaires des secteurs concernés et composés de représentants de chacun des groupes politiques de la commission, ont effectué plus de 80 auditions pour entendre près de 170 personnalités appartenant aux domaines de l'enseignement scolaire, de l'enseignement supérieur, de l'enseignement agricole, de l'enseignement français à l'étranger, de la recherche, de la création, du patrimoine, du sport, de la jeunesse et de la vie associative, du livre et des industries culturelles, de la presse et des médias afin de rédiger les conclusions et les recommandations ici rassemblées.
Au fil de la publication de ces travaux, la commission a ainsi proposé aux différents ministres concernés des propositions concrètes dont certains n'ont pas manqué de s'inspirer dans la conduite de leurs politiques durant et après la période de confinement. La commission a ainsi activement participé aux débats entourant la définition et la publication, par les services du ministère de l'éducation nationale, du protocole sanitaire définissant les règles applicables aux établissements scolaires dans la perspective de leur réouverture annoncée à la surprise générale par le Président de la République.
Elle a également invité le ministère de la culture à mener à bien, dans des délais compatibles avec les attentes des acteurs du secteur, la transposition des directives européennes sur les services de médias audiovisuels (SMA), le droit d'auteur et « câble et satellite », finalement introduites par voie d'amendements dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), afin d'élargir l'assiette du financement de la création française dans cette période de crise.
Certaines autres propositions formulées par les différents groupes de travail sont venues par ailleurs enrichir le troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020.
Parmi ces dispositions figure la mise en place d'un crédit d'impôt en faveur des dépenses de création destiné à soutenir les éditeurs de chaînes de télévision fragilisés par l'effondrement de leurs ressources publicitaires, l'instauration d'un fonds en faveur des festivals, la compensation des pertes subies par l'ensemble des opérateurs culturels au cours de l'année 2020 et la compensation des pertes de loyers enregistrées par les Crous suite aux difficultés financières rencontrées par les étudiants.
Mais au-delà des mesures législatives déjà adoptées, ces travaux visent également à donner aux membres de la commission des outils leur permettant de participer activement à la définition et à la mise en oeuvre du plan de relance présenté à l'automne par le gouvernement. Car de nombreux défis restent à relever dans les champs de compétences de la commission !
Cette crise a en effet révélé l'extrême fragilité des secteurs et des écosystèmes qui la concernent. L'économie de la création, des musées, de la presse, des festivals, des salles de spectacles et de cinéma, mais aussi celle des clubs, des associations sportives ou des colonies de vacances, privés de spectateurs, de lecteurs, de pratiquants, privés de recettes publicitaires, de mécénat ou de billetterie menace aujourd'hui de s'effondrer sans le soutien massif de l'État et des collectivités territoriales.
Certains secteurs devront ainsi faire évoluer leur modèle économique dans des conditions particulièrement difficiles. C'est le cas du secteur de la presse dont les difficultés financières sont aggravées par la crise que traverse son système de distribution.
D'autres secteurs sont condamnés à attendre la levée progressive des interdictions qui les touchent et développer des projets alternatifs pour pouvoir survivre.
Il s'agit bien entendu du spectacle vivant, des musées ou des salles de cinéma. Certaines personnalités auditionnées ont d'ailleurs insisté sur les réticences d'une partie des spectateurs à revenir dans les lieux dédiés à la culture, en particulier les lieux clos, laissant présager une reprise particulièrement lente de l'activité culturelle dans les mois à venir ainsi qu'une modification profonde des modalités de consommation des biens et des produits culturels par le public.
Il s'agit aussi, dans un tout autre registre, du secteur de la jeunesse et de la vie associative dont la situation sociale et économique s'avère particulièrement difficile. Les conséquences de la crise pourraient en effet se faire sentir non seulement sur la fréquentation des colonies de vacances mais aussi sur l'appétence des jeunes à s'engager dans le cadre des programmes de service civique ou universel.
D'autres secteurs devront quant à eux redéfinir leurs modalités de fonctionnement et de gouvernance afin de tirer les leçons de la crise, en particulier la recherche, dont l'organisation mériterait de gagner en lisibilité et en efficacité ou l'enseignement français à l'étranger, si important pour le rayonnement de la langue et de la culture françaises.
Si cette crise a révélé les fragilités économiques et les carences organisationnelles des secteurs relevant de la commission, elle a également mis en lumière de manière particulièrement crue la marginalisation de certains d'entre eux dans le débat public. C'est particulièrement vrai du sport, ce qui constitue un paradoxe au moment même où le pays est chargé d'organiser des Jeux Olympiques et où le caractère structurant des infrastructures sportives sur l'ensemble de notre territoire n'a jamais été aussi important.
Si l'on peut comprendre que les événements sportifs aient été différés, que les championnats aient été arrêtés, que les pratiques occasionnelles aient été fortement encadrées pour des raisons sanitaires au plus fort de la crise, il est regrettable qu'aucun travail de fond n'ait été entrepris durant la période par le gouvernement pour permettre aux clubs, aux fédérations, aux ligues et à l'ensemble du monde sportif de se trouver en état de marche dès la sortie du confinement.
Si le secteur du sport a été le grand oublié de cette période de crise, le secteur de la culture au sens large en ressort lui aussi affaibli. Il ne s'agit pas de sous-estimer les efforts réalisés par le gouvernement ; l'État a même beaucoup fait pour la culture comparé à ce qu'il a entrepris pour le sport depuis le début de la crise.
Sur le plan strictement budgétaire, l'adoption d'une année blanche pour les intermittents pour près de 950 millions d'euros, les 700 millions d'euros en faveur du spectacle vivant et de la musique enregistrée, les 320 millions d'euros destinés au soutien de l'industrie du cinéma et de l'image animée ou encore les 200 millions d'euros octroyés à la chaîne du livre ne sont pas quantité négligeable. Au total, près de 5 milliards d'euros ont été débloqués pour soutenir les acteurs du monde de la culture et des médias, ce dont on ne peut que se féliciter.
Mais la commission a néanmoins relevé des flottements voire des dysfonctionnements dans la manière dont la crise a été gérée au cours des mois écoulés.
D'une part, des pans entiers du secteur culturel ont estimé avoir été abandonnés. C'est le cas des arts visuels, secteur en souffrance, qui mériterait d'être restructuré. Pourquoi ne pas confier aux fonds régionaux d'art contemporain de nouvelle génération le soin de jouer un rôle d'animateur en ce domaine ? C'est aussi le cas des auteurs indépendants qui se considèrent comme les laissés pour compte de la crise. Il convient d'avancer au plus vite sur la définition d'un statut social pour ces artistes.
C'est enfin le cas des enseignements artistiques et des conservatoires tiraillés entre les compétences de l'État, chargé d'assurer la délivrance des diplômes, les cursus, la formation des enseignants et celles dévolues aux collectivités territoriales, chargées d'organiser les examens.
D'autre part, le ministère a manqué de réactivité pour traduire en acte les mesures annoncées. Ainsi ni le décret définissant le régime applicable aux intermittents ni les circulaires définissant les règles d'organisation des festivals en dessous de 5 000 personnes ou précisant les modalités de réouverture des établissements et d'autorisation de manifestations à compter de septembre n'ont été publiés plusieurs semaines après leur annonce. De même, les mesures prises pour le soutien des établissements publics de coopération culturelle n'ayant pas été autorisés à accéder au dispositif d'activité partielle ne sont toujours pas annoncées.
Enfin, le ministère a désespérément continué à fonctionner de façon verticale, sans réussir à engager de véritable mouvement de coordination avec les collectivités durant la période. Les CTC auraient pourtant pu constituer un outil à la main des préfets permettant d'organiser la concertation et l'articulation des fonds d'urgence des différentes collectivités. Il s'agit au final d'une opportunité manquée !
La commission espère qu'en ce domaine les annonces réalisées devant le Sénat par le Premier ministre jeudi 16 juillet concernant la nécessité d'associer étroitement les territoires dans la définition et la conduite des politiques publiques, trouvent une concrétisation non seulement en matière culturelle mais aussi en matière éducative ou sportive !
En effet, ces derniers mois ont permis de prendre conscience que si l'État doit sans doute continuer à jouer un rôle d'impulsion et de coordination dans les domaines de compétence de la commission, il est de plus en plus rarement en mesure d'agir seul. La gestion de la réouverture des établissements scolaires, des établissements culturels, des structures sportives n'a pu se faire dans de bonnes conditions que grâce à l'implication, dans leurs domaines de compétences, des collectivités territoriales. Celles-ci seront d'ailleurs à n'en pas douter les maillons essentiels de la reprise à venir.
CONCLUSIONS DES GROUPES DE TRAVAIL CHARGÉS D'ÉTUDIER LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE COVID-19
I. CRÉATION
Le groupe de travail « Création » de la commission de la culture animé par Sylvie Robert (Ille-et-Vilaine, socialiste et républicain) est composé de Maryvonne Blondin (Finistère, socialiste et républicain), Jean-Raymond Hugonet (Essonne, LR), Françoise Laborde (Haute-Garonne, RDSE), Vivette Lopez (Gard, LR) et Sonia de la Provôté (Calvados, UC).
Le groupe de travail « Création » a été mis en place à l'initiative du bureau de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat le mardi 14 avril 2020, afin d'examiner l'impact de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 sur le secteur de la création artistique et culturelle et de suivre sa gestion par le Gouvernement.
Alors que son modèle économique est, dès l'origine, fragile, le secteur de la création artistique et culturelle, majoritairement constitué de petites structures et d'établissements publics, a été frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Celle-ci a eu tendance à amplifier les difficultés préexistantes. Il s'agit pourtant d'un secteur non négligeable pour l'économie française. Le spectacle vivant et les arts visuels réalisaient respectivement 0,34 % et 0,19 % du PIB en 2017, d'après une étude du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture parue en 2019. Leurs activités profitent très largement au secteur industriel et marchand, en particulier touristique, sur les territoires.
Le secteur de la création a été parmi les premiers touchés par la crise sanitaire du fait de l'interdiction progressive des rassemblements dès les premiers jours du mois de mars, avant que n'intervienne la fermeture définitive de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays à compter du 15 mars.
L'annulation des spectacles et des festivals, la fermeture des lieux d'exposition et des galeries d'art, la suspension des cours et des formations, l'arrêt des actions artistiques et culturelles à destination des publics spécifiques ont lourdement pesé à la fois sur les structures artistiques et culturelles et sur l'emploi. Le spectacle vivant et les arts visuels comptaient, avant la crise, plus de 200 000 actifs, avec une proportion plus importante de travailleurs indépendants par rapport au reste de la population active en France. Les artistes, en particulier, sont dans une situation extrêmement préoccupante.
Malgré la possibilité désormais ouverte d'une réouverture sous conditions de la plupart des établissements culturels, les perspectives de reprise de l'activité sont encore incertaines, l'accueil du public dans le respect des nouvelles exigences sanitaires engendrera nécessairement des coûts supplémentaires et le niveau de la fréquentation constitue une grande inconnue, comme en témoignent l'atonie persistante de la billetterie jusqu'à ce jour et les incertitudes entourant le mécénat.
Des premières estimations ont été réalisées par le secteur pour mieux appréhender l'impact de la crise sanitaire.
Une étude commandée par le PRODISS évalue à 590 millions d'euros la perte totale de chiffre d'affaires du spectacle vivant privé pour la seule période allant du 1 er mars au 31 mai 2020.
Une étude initiée et coordonnée par France Festivals, consacrée aux conséquences de l'annulation d'une majorité de festivals de la saison 2020 du fait de la crise sanitaire, évalue entre 383 et 535 millions d'euros les pertes sèches pour les festivals musicaux , et estime les pertes totales pour l'économie , du fait des retombées manquantes qu'auraient dû avoir ces festivals, entre 1,5 et 1,8 milliard d'euros . Par extrapolation, elle estime que les pertes pour les festivals en 2020, toutes disciplines confondues, pourraient s'établir entre 580 et 811 millions d'euros, et que les pertes totales pour l'économie pourraient se situer entre 2,3 et 2,6 milliards d'euros.
Pour sa part, le Président du Centre national de la musique a indiqué, lors d'une audition devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale le 27 mai, que les pertes de chiffres d'affaires et de revenus pour le spectacle vivant musical, toutes esthétiques confondues , pourraient atteindre entre 1,7 et 2 milliards d'euros en 2020 .
Un tel chiffrage se révèle plus délicat en ce qui concerne les arts visuels, dont le réseau de diffusion est majoritairement constitué de très petites structures. Les conséquences de la crise actuelle se manifesteront dans les mois et les années à venir. Mais, les premières enquêtes menées auprès des adhérents font apparaître des pertes considérables liées aux ressources tirées de leurs activités (billetterie, mécénat, vente de catalogues) et également, pour certaines d'entre elles, la remise en cause d'une partie de leurs subventions.
Les établissements publics et les structures subventionnées ne sont pas non plus épargnés par la crise, compte tenu des pertes de billetterie et de revenus qu'elles enregistrent également. Une partie d'entre eux n'est pas autorisée à accéder au dispositif d'activité partielle, ce qui pourrait avoir des répercussions sur leur capacité d'action dans les prochains mois. Le directeur de l'Opéra de Paris, Stéphane Lissner, confiait ainsi que son établissement était « à genoux », avec 45 millions d'euros de dettes suite aux annulations de représentations liées aux grèves et à l'épidémie de Covid-19 depuis le début de l'année.
Dans ce contexte, l'avenir de nombreuses structures est menacé, avec des conséquences potentiellement multiples, sur l'emploi des artistes, des techniciens, des travailleurs indépendants et des salariés, mais aussi sur l'accès à la culture, la diversité artistique, et le dynamisme et le rayonnement des territoires .
Le soutien renforcé des pouvoirs publics est plus que jamais urgent et impérieux pour préserver l'avenir de notre modèle culturel . Les collectivités publiques - État et certaines collectivités territoriales - ont mis en place plusieurs dispositifs depuis le début de la crise pour venir en aide au monde de la culture. Ils doivent cependant être encore adaptés et complétés pour atteindre véritablement leur objectif, tant perdurent un certain nombre de « trous dans la raquette », pour reprendre une expression employée à de nombreuses reprises au cours des derniers mois. Ils doivent également être abondés pour mieux répondre aux besoins et enjeux du secteur.
Le manque de connaissances autour de ce virus et le caractère inédit de cette crise peuvent bien sûr justifier des tâtonnements . Mais, trois mois après le début de cette crise, les acteurs culturels manquent toujours cruellement de visibilité pour anticiper, imaginer des formules permettant de limiter les pertes, reconstruire la programmation de l'été et de la prochaine saison et « se réinventer », selon le voeu formulé par le Président de la République dans son discours du 6 mai dernier. La reprise de l'activité ne peut pas se décréter du jour au lendemain, tant la culture est un secteur d'activités où l'essentiel du travail s'effectue en amont de la présentation au public (recherches, création, programmation, répétitions...).
C'est la raison pour laquelle un véritable plan de relance reste nécessaire pour favoriser la reprise de l'activité artistique. Les artistes et les structures culturelles ont besoin d'être accompagnés pour surmonter la période transitoire de reprise d'activité « en mode dégradé ». Le Président de la République avait dessiné des premières orientations concernant le plan de soutien pour la culture le 6 mai dernier, mais ses propositions n'ont pas encore trouvé de traduction juridique. Les dispositions contenues dans le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) pour 2020 restent, en l'état, très en-deçà de ce qui était attendu et ne constituent aucunement un plan de relance global du secteur culturel. Elles devront impérativement être complétées.
Les acteurs culturels ont aujourd'hui besoin d'actes prouvant que leur place n'est pas reléguée à l'arrière-plan, comme l'a démontré leur incompréhension face aux règles d'un décret paru le 1 er juin, qui oblige à laisser vacant un siège sur deux dans les salles de spectacles, contrairement aux transports collectifs. Le groupe de travail est convaincu que la culture est essentielle à la vie de la Nation et conserve un rôle indispensable dans le « monde d'après » pour contribuer à l'émancipation des citoyens, à la cohésion sociale et à la vie des territoires. Il restera très attentif à ce qu'ils ne soient pas une variable d'ajustement dans les prochains mois.
A. PARER À L'URGENCE
1. Des mesures d'urgence nombreuses mais dont l'ensemble des acteurs culturels ne parviennent pas à bénéficier
a) Des mesures transversales fortes, mais souvent difficiles d'accès
Dès le début du mois d'avril, le Gouvernement a mis en place différentes mesures générales de soutien pour soutenir les entreprises pénalisées par l'interruption de leur activité économique du fait de la crise sanitaire, en particulier, le dispositif d'activité partielle, le report de paiement des échéances sociales et fiscales, le fonds de solidarité et des lignes de trésorerie bancaire auprès de BpiFrance.
Ces dispositifs ont depuis été complétés au mois de mai, compte tenu de la situation particulièrement difficile rencontrée par les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, des cafés, du tourisme, de l'événementiel, du sport et de la culture :
- le dispositif d'activité partielle, essentiel pour éviter des licenciements massifs à l'automne, a été maintenu avec une prise en charge de 100 % de l'indemnité pour ces secteurs jusqu'au 30 septembre 2020 ;
- le fonds de solidarité a été prolongé jusqu'à la fin de l'année 2020, le montant des aides accru et son bénéfice élargi, à compter du 1 er juin, aux entreprises jusqu'à 20 salariés (contre 10 précédemment) et présentant un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros (contre 1 million précédemment) ;
- les TPE et PME de ces secteurs sont exonérées des cotisations sociales au titre des périodes d'emploi de février à mai ;
- et les artistes-auteurs ont droit à une réduction forfaitaire de cotisations sociales d'un montant calculé en fonction de leurs revenus 2019.
Recommandation n° 1 : Réaliser une évaluation pour examiner l'opportunité de prolonger, pour le secteur culturel, jusqu'à la fin de l'année 2020 et éventuellement en 2021, l'ensemble des mesures générales de soutien mises en place par le Gouvernement, compte tenu des perspectives réduites d'activité pendant les mois à venir et des surcoûts générés par les contraintes sanitaires. Cette évaluation devrait reposer sur un bilan coûts/avantages en termes de survie des structures et de sauvegarde des emplois.
Compte tenu des critères d'octroi de ces aides, un certain nombre de structures culturelles n'ont cependant pas pu en bénéficier , malgré la volonté du ministère de la culture d'adapter, pour certaines structures, les critères d'accès. Le dispositif d'activité partielle a ainsi été ouvert aux associations, même subventionnées, et aux établissements publics à caractère industriel et commercial, sociétés d'économie mixte et sociétés publiques locales dont le produit de l'activité constitue la part majoritaire de leurs ressources. L'accès au fonds de solidarité a également été facilité pour les personnes dont les revenus ne sont ni linéaires, ni réguliers, à l'image des artistes, grâce à la possibilité d'apprécier l'existence d'une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % en avril 2020 en se fondant, non plus seulement sur le chiffre d'affaires perçu en avril 2019, mais également sur le chiffre d'affaires mensualisé de l'année précédente. Pour autant, les besoins de l'ensemble des acteurs culturels n'ont pas pu être satisfaits.
Le groupe de travail s'inquiète en particulier de l'impossibilité, pour les établissements publics, notamment les établissements publics de coopération culturelle (EPCC), dont le budget est majoritairement constitué de subventions, de pouvoir prétendre au dispositif d'activité partielle . Cette mesure devrait avoir de lourdes répercussions sur la santé de ces établissements, auxquels il a été demandé d'honorer les contrats de travail et de cession, y compris pour les représentations annulées pendant cette période. Cela signifie qu'il appartiendra aux collectivités territoriales de supporter l'intégralité du poids des charges de ces établissements, puisque ces derniers ne génèrent aucune recette à l'heure actuelle. Ces établissements financent l'essentiel de leurs projets sur la base de leurs ressources propres. Leur capacité à relancer une dynamique culturelle sur nos territoires dans les prochains mois devrait en être amoindrie.
La question du cumul des subventions et des aides d'État peut légitimement se poser, mais il est tout à fait possible de trouver des solutions pour concilier l'urgence de sauver les structures et la nécessaire bonne gestion et répartition des aides publiques. En tout état de cause, il semble essentiel que les règles s'appliquent indistinctement à l'ensemble de la filière professionnelle, sujette aux mêmes réalités économiques.
Recommandation n° 2 : Élargir le bénéfice du dispositif d'activité partielle aux salariés de droit privé de l'ensemble des structures culturelles, quelle que soit leur forme juridique.
b) Un soutien sectoriel globalement limité et inégal selon les secteurs
Pour compléter ces mesures transversales, le ministère de la culture a chargé le Centre national de la musique (CNM) et le Centre national des arts plastiques (CNAP) de jouer un rôle d'information auprès des professionnels de leur secteur respectif et de leur apporter un soutien.
À cette fin, plusieurs fonds de soutien sectoriels ont été mis en place :
- pour la filière musicale , un fonds de secours géré par le CNM destiné aux professionnels les plus fragilisés et aux artistes-auteurs, doté d'une première enveloppe de 11,5 millions d'euros , dont 10 millions d'euros financés par l'État et 1,5 million d'euros par les organismes de gestion collective ;
- pour le secteur du spectacle vivant non musical (théâtre privé, cabarets...), des aides d'urgence à hauteur de 5 millions d'euros destinées à répondre aux difficultés rencontrées, avec une attention particulière au maintien de l'emploi ;
- pour le secteur des arts plastiques , un fonds d'urgence géré par le CNAP et les DRAC, doté de 2 millions d'euros , principalement destiné aux galeries d'art, aux centres d'art labellisés et aux artistes-auteurs, même si les structures non labellisées des arts visuels ont également pu en bénéficier, ce qui constitue un élément nouveau et positif.
L'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) a également été chargé de soutenir les entreprises de la musique, du spectacle vivant et les galeries d'art impactées par l'épidémie en offrant notamment sa garantie financière et en octroyant des prêts de trésorerie et des prêts destinés à assurer la relance de l'activité. Ses capacités de prêt devraient être renforcées à hauteur de 85 millions d'euros par le PLFR 3 pour 2020, conformément aux annonces formulées par le Président de la République lors de son discours du 6 mai 2020.
Si ces diverses mesures ont été accueillies favorablement par les acteurs culturels, la dotation de ce plan d'urgence pour la culture a néanmoins été jugée nettement insuffisante par rapport à l'ampleur des besoins du secteur.
La répartition de ces crédits est par ailleurs très inégale, au détriment, une fois encore, de celui des arts visuels , en dépit du nombre de professionnels concernés par le dispositif. La fragilité économique initiale qui règne dans ce secteur et la grande précarité des artistes visuels, auraient pourtant justifié un soutien accru en leur faveur, au regard de son poids économique et de son rôle de vitrine de la France sur la scène internationale.
Recommandation n° 3 : Accentuer l'effort budgétaire et l'investissement en faveur des arts visuels.
Se pose, dans ce contexte, la question du déblocage de la réserve de précaution pour renforcer le soutien au monde de la culture. Aucun dégel, même partiel des crédits, n'a jusqu'ici été annoncé. Il serait pourtant indispensable pour accompagner les structures culturelles pendant la période transitoire qui s'ouvre avec la reprise de l'activité.
Recommandation n° 4 : Dégeler les crédits de la réserve de précaution en 2020.
2. Des artistes en danger
a) Des dispositions encore attendues en faveur des intermittents
Le soutien aux artistes et techniciens intermittents du spectacle est extrêmement attendu par l'ensemble de la profession afin d' assurer le maintien des talents et des compétences lorsque l'activité pourra reprendre pleinement .
Jusqu'ici, est seulement prévue une neutralisation de la période comprise entre le 1 er mars et, au plus tard, le 31 juillet 2020 pour le calcul de la période de référence ouvrant droit à assurance chômage et à droits sociaux pour les intermittents, ainsi que pour le calcul et le versement des indemnités au titre de l'assurance chômage pour les intermittents du spectacle et les salariés du secteur culturel en contrats courts.
Cette disposition se révèle toutefois insuffisante, dans la mesure où le printemps et l'été constituent souvent la période la plus propice pour permettre aux intermittents d'atteindre le compte de leurs heures. La commission de la culture l'avait d'ailleurs fait observer au ministre de la culture, Franck Riester, dès le 13 avril, lors de son audition. Le Président de la République a finalement annoncé, le 6 mai dernier, la prolongation d'une année des droits des intermittents « au-delà des six mois où leur activité aura été impossible ou très dégradée, c'est-à-dire jusqu'à fin août 2021 ».
Le décret n'a pas encore été publié à ce stade, mais l'un des articles de la loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, qui devrait être prochainement promulguée, autorise expressément le ministre chargé de l'emploi à prolonger les droits des intermittents jusqu'au 31 août 2021 au plus tard.
Recommandation n° 5 : Publier avant juillet le décret adaptant les droits des intermittents afin de concrétiser la promesse présidentielle et d'apporter aux artistes et techniciens du spectacle le plus rapidement possible de la visibilité sur leur avenir.
En revanche, cette disposition ne règlera pas le cas des nouveaux entrants dans le régime , qui espéraient réaliser pour la première fois leurs 507 heures au cours de l'année 2020. Le ministre de la culture avait évoqué, en avril, la possibilité de mettre en place des dispositifs d'accompagnement pour soutenir l'emploi artistique à l'issue de l'épidémie. La question d'un fonds de soutien pour accompagner les primo-entrants , pourrait à cet égard se poser, dans la mesure où il s'agirait d'un dispositif exceptionnel qui n'aurait pas vocation à être pérennisé.
Le futur décret devrait également relever le plafond des heures d'enseignement artistique pouvant être prises en compte dans le calcul des droits des intermittents, jusqu'ici limité à 70 heures pour les moins de 50 ans et à 120 heures pour les plus de 50 ans. Il s'agit d'une mesure indispensable pour permettre aux intermittents de compenser partiellement la perte d'activité qu'ils subissent cette année, en s'investissant davantage en matière d'éducation artistique et culturelle (EAC), autour des deux programmes lancés par le Gouvernement : les « vacances apprenantes », d'une part, et le « dispositif 2S2C » (Sport, santé, culture, civisme), d'autre part.
Le groupe de travail attire l'attention sur le fait que les artistes ne sont pas des animateurs et qu'il conviendra de veiller à ce que les activités proposées dans le cadre de ces programmes ne soient pas uniquement destinées à occuper les enfants de façon ludique afin de permettre à leurs parents de reprendre leur activité professionnelle.
Le lancement du « dispositif 2S2C » sans concertation préalable a surpris le monde culturel, compte tenu de la suspension de tous les projets d'EAC programmés depuis le mois de mars, malgré la réouverture des écoles depuis plus d'un mois.
Ce dispositif a pour effet de transférer la prise en charge de certaines obligations qui relèvent de l'éducation nationale vers les collectivités territoriales, ce qui soulève d'importantes questions. Compte tenu de son coût et du soutien modeste de l'État (110 euros maximum par journée de six heures), toutes les collectivités n'ont pas les moyens de le financer. Il présente donc le risque de créer une rupture d'égalité territoriale dans l'accès à ces enseignements . Il introduit également une forme de concurrence avec les activités qui étaient menées dans le cadre de l'EAC, au risque de leur porter préjudice.
Recommandation n° 6 : Mis en place dans des circonstances très particulières afin de pallier l'impossibilité pour les établissements scolaires d'accueillir tous les élèves volontaires du fait du protocole sanitaire, le dispositif 2S2C constitue un dispositif exceptionnel, qui n'a pas vocation à être pérennisé au regard des difficultés qu'il soulève.
b) La situation dramatique des artistes-auteurs
La crise sanitaire est venue fragiliser encore davantage la situation déjà très précaire des artistes-auteurs, dont les commandes et les engagements ont tous été annulés.
Malgré la demande de l'État que les engagements qui n'auraient pas pu se tenir soient néanmoins rémunérés, les artistes-auteurs peinent aujourd'hui, dans de nombreux cas, à obtenir cette rémunération . En principe, les règles de la comptabilité publique imposent le règlement des prestations sur la base du service fait .
L'ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 a assoupli cette clause pour faciliter le règlement des engagements contractés remis en cause du fait de la crise. De nombreuses structures, à commencer par les services de l'éducation nationale pour les projets prévus en milieu scolaire, continueraient à opposer soit cette règle, soit le cas de force majeure , pour justifier l'absence de rémunération des contrats.
Recommandation n° 7 : Transmettre une circulaire explicitant les assouplissements, applicables depuis le 12 mars 2020, apportés à la règle du service fait et leurs conséquences afin de faciliter le règlement rétroactif des prestations annulées depuis cette date.
Les mesures générales de soutien (fonds de solidarité, report des loyers et des factures) sont particulièrement difficiles d'accès en raison de leur inadaptation et de leur mauvais calibrage par rapport aux spécificités de leur secteur professionnel . Le cumul des mesures sectorielles avec les mesures générales n'est pas autorisé. Les carences dans le système de protection sociale des artistes-auteurs restent nombreuses, et le décret en cours de préparation les inquiète très fortement. Ces professionnels devraient néanmoins disposer d'une nouvelle mesure en leur faveur, inscrite à l'article 18 du projet de loi de finances pour 2020, de réduction forfaitaire de leurs cotisations sociales sur 2020.
Il n'en reste pas moins que les artistes-auteurs ont le sentiment que la crise sanitaire a mis une nouvelle fois en évidence le manque de prise en compte de leur réalité professionnelle et leur relégation à la marge des industries culturelles , déjà pointée du doigt il y a quelques mois par Bruno Racine dans son rapport, qui dénonçait la dégradation grandissante des conditions de vie des artistes-auteurs. D'ailleurs, il est impératif de relancer le débat sur les postulats et préconisations de ce rapport, malheureusement interrompu par la crise sanitaire. La problématique du statut des artistes-auteurs, ou plutôt de son absence, est plus que jamais d'actualité.
Ils s'étonnent ainsi du choix du Gouvernement de confier aux opérateurs de chacun des circuits de diffusion (CNAP, CNC, CNL, CNM) le soin de soutenir les artistes-auteurs, avec pour conséquence une approche en silo et un traitement différencié des artistes-auteurs selon leur discipline artistique , particulièrement préjudiciable aux artistes visuels et en décalage pour les artistes-auteurs pluridisciplinaires. Un fonds d'urgence commun à l'ensemble des artistes-auteurs aurait été une occasion de reconnaître l'apport essentiel de cette profession au monde de la culture, tout en garantissant que des critères identiques s'appliquent à tous les créateurs pour l'octroi des mesures de soutien.
Le soutien à ces professionnels apparaît d'autant plus essentiel qu'ils sont à la base de toute l'activité artistique et culturelle. Aucun plan, ni d'urgence, ni de relance, ne sera efficace s'il se concentre uniquement, soit sur les structures, soit sur les artistes, tant ils sont interdépendants.
Recommandation n° 8 : Faire de la mise en place du statut des artistes-auteurs une priorité absolue de l'année 2021, avec un calendrier et des objectifs clairs.