B. CETTE VIOLENCE EST EN PARTIE AMORTIE PAR LES SPÉCIFICITÉS DE L'ÉCONOMIE DE LA DÉFENSE
Alors que certains secteurs économiques sont passés, du fait de la crise, à l'arrêt total, comme notamment le transport aérien et le tourisme, les industries de défense avaient encore des commandes à exécuter, en raison de l'étendue dans le temps des programmes d'armements, qui, pour les programmes majeurs, se compte plutôt en années qu'en mois. D'autre part, les clients étatiques ont une surface financière qui leur a permis de ne pas remettre en cause les contrats en cours.
C. QUAND LE CARACTÈRE DUAL SE TRANSFORME DE FORCE EN FRAGILITÉ
Certaines entreprises de la BITD ont une activité uniquement tournée vers la défense. C'est le cas par exemple de MBDA, Nexter, d'Arquus ou, pour l'essentiel, de Naval Group.
Un second groupe repose sur un équilibre entre production civile et activités de défense. Dans ce groupe, on peut retrouver notamment Thalès, Safran et, avec des variations dans un sens ou dans l'autre selon les périodes, Dassault Aviation.
Un troisième groupe a une activité qui repose d'abord sur la production civile. Airbus est le cas le plus intéressant de ce point de vue, car c'est à la fois la plus grosse entreprise de défense européenne, et un groupe reposant à 70 % sur les activités civiles.
Cette orientation duale, rappelée ici pour les grands groupes, se retrouve également dans nombre de PME et ETI.
Le caractère dual est en général présenté comme un atout, car en raison de l'absence de lien économique direct entre les marchés civils et les marchés de défense, la dualité de l'activité est une façon de lisser les fluctuations de l'un ou l'autre des segments. Toutefois, dans les circonstances présentes, les activités de défense résistent bien mieux, à court terme, que les activités civiles. C'est en particulier spectaculairement dans le secteur de l'aéronautique, confronté à la plus grave crise de son histoire. Deux chiffres permettent d'apprécier le caractère extraordinaire de la situation :
- Lors des précédentes graves crises du transport aérien civil (11 septembre 2001, SRAS-1...), le recul de l'activité, perçu alors comme considérable, était de l'ordre de 5 % sur l'année. Ce recul était d'autant plus durement ressenti que le marché du transport aérien se développait très rapidement, avec l'accélération de la mondialisation et la baisse du coût des trajets 2 ( * ) . La crise actuelle pourrait conduire à une baisse de l'activité aérienne de 50 % en 2020 par rapport à 2019, soit un choc dix fois plus fort que les précédents ;
- Sur environ 21.000 avions de ligne dans le monde, on estime que 14.000 ont été cloués au sol au plus fort de la crise.
La situation du transport aérien est fondamentale pour le sujet qui nous occupe, en raison précisément de la nature duale de nombreux acteurs, souvent de premier plan. De ce point de vue, deux éléments extrêmement préoccupants sont à considérer :
- Le choc de trésorerie est, pour les compagnies aériennes, encore à venir. En effet, lorsque les avions sont cloués au sol, les compagnies aériennes peuvent limiter leurs pertes (l'absence de recettes va de pair avec des coûts très inférieurs à la normale, du fait de l'absence de coûts d'exploitation et de maintenance). Pour les compagnies, la phase la plus critique est celle qui débute actuellement, à savoir la reprise du programme de vols, et donc des coûts d'exploitation proches de la normale, avec un taux d'occupation des vols très faible. C'est donc le second semestre qui sera la plus difficile à affronter pour les compagnies aériennes ;
- Le second sujet d'inquiétude concerne la possibilité d'un changement définitif de l'économie du transport aérien et du tourisme. S'il est trop tôt pour savoir si un tel changement aura réellement lieu dans la durée, il est vraisemblable que la situation antérieure ne soit jamais retrouvée 3 ( * ) .
Dans ces conditions, le retour à une situation « normale » (qui serait encore loin du dynamisme précédent la crise) ne se ferait que dans 2 à 3 ans, pour les segments les plus dynamiques du transport aérien, et dans 4 à 5 ans pour les autres segments.
Une telle perspective amène à se demander comment les entreprises concernées vont pouvoir survivre à cette apnée économique. La réaction des Etats apporte la réponse : la survie de l'aéronautique civile est impossible sans soutien massif des États.
La particularité de la crise actuelle est donc la violence avec laquelle elle atteint certaines activités civiles, et donc le poids qu'elle fait peser sur les entreprises duales.
* 2 Cette baisse rapide des coûts dans les dernières décennies est due à l'essor des compagnies à bas-coûts, d'une part, et la tendance technologique de long terme qui veut que chaque nouvelle génération d'avions commerciaux permette de réduire les coûts d'exploitation de 20 à 25%.
* 3 On peut penser que pèseront dans ce sens au moins trois facteurs : le très fort développement des outils de télétravail dans la période de confinement, qui a démontré que certains déplacements pouvaient être évités au profit de solutions de télétravail ; le conditionnement par de nombreux pays des importantes aides aux compagnies aériennes à une meilleure prise en compte de l'impact environnemental du transport aérien ; et une association par les passagers du transport intercontinental à un vecteur épidémique, ce qui pourrait avoir un impact très durable sur l'image du secteur.