G. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 4 JUILLET 2019, SUITE À LA VISITE DU BOURGET LE 19 JUIN 2019
Mme Élisabeth Lamure , Présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises . - Mes chers collègues,
Avec onze membres de notre délégation -MM. Olivier Cadic, Agnès Canayer, Michel Canevet, Catherine Fournier, Jean-Marc Gabouty, Guy-Dominique Kennel, Daniel Laurent, Sébastien Meurant, Patricia Morhet-Richaud, Jackie Pierre et Michel Vaspart- nous nous sommes rendus mercredi 19 juin au salon du Bourget, à l'invitation du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (le GIFAS), pour y rencontrer plusieurs entreprises du secteur aéronautique et aérospatial.
Cet évènement, dont la première édition remonte à 1909 au début de l'aventure de l'aviation, rassemble tous les deux ans les professionnels et le grand public autour des dernières innovations technologiques du secteur. Comme vous le savez, il est également l'occasion de rencontres permettant la signature de contrats d'achat ou de partenariat.
L'enjeu économique du salon du Bourget est majeur pour toute la filière de l'aéronautique et du spatial. Cette année, « Le Bourget » a reçu 2 453 exposants, dont 1 185 Français, installés sur 324 000 m². Les exposants représentent 49 pays étrangers. On compte également 26 pavillons nationaux et près de 325 000 visiteurs. Notons la présence de 5 000 groupes scolaires, dont un tiers venu de région, à ce salon de l'aéronautique qui a peut-être inspiré ces jeunes dans leur projet professionnel.
Le GIFAS estime à 350 000 le nombre total d'emplois concernés par l'aéronautique et le spatial, et à 15 000 par an le nombre de recrutements par le secteur. Les entreprises se structurent en véritable « filière » de l'aéronautique et du spatial, du grand constructeur à la petite start-up en passant par les différentes filiales nationales ou PME régionales. C'est en fonction de ces différentes spécificités du secteur que nous avons construit notre parcours de visite avec un minutage serré.
Nous avons ainsi été reçus aussi bien par des acteurs publics de l'aérospatial, comme l'ONERA (Office National d'Études et de Recherches Aérospatiales), que par des grandes entreprises bien connues du grand public (THALÈS, SAFRAN).
Le groupement GIFAS réunit à lui seul 400 entreprises avec un poids de 195 000 employés. Nous avons pu assister à l'impressionnante démonstration en vol d'un RAFALE, l'avion de combat développé par Dassault Aviation. Émerveillés par la maitrise du pilote français et par la puissance technologique que représente l'avion, nous avons pu nous rendre compte de l'excellence de l'aviation française, qu'elle soit militaire ou civile.
Nous nous sommes ensuite dirigés vers le Paris AIR LAB, un espace dédié à la recherche, l'innovation et la prospective. ANEMOS TECHNOLOGIES , une start-up spécialisée dans les drones, nous a présenté sa technologie. Son ambitieux projet est de doubler les capacités de vol des drones et leur capacité de charge. Ensuite, nous avons été reçus par la Direction Espace de l'ONERA , qui a pour mission de coordonner les activités dont le périmètre applicatif est celui des lanceurs et des systèmes orbitaux. Les missions spatiales du futur et les technologies développées par l'ONERA pour ces missions nous ont également été présentées.
La visite s'est poursuivie dans le Pavillon
« l'Avion des métiers » qui présente, comme
son nom l'indique, les métiers de l'aéronautique.
Le pavillon
se structure en différents stands dans lesquels les visiteurs peuvent
découvrir la diversité des métiers. Des professionnels des
entreprises MBDA, LIEBHERR et SATYS
nous ont ainsi
expliqué les métiers de technicien méthode, monteur
mécanicien ou encore peintre aéronautique. Ces métiers
industriels ont, comme beaucoup d'autres, bien évolué et ne
correspondent plus à l'image « dure » ou à la
Zola que certains peuvent en avoir. Des « cobots » -robots
collaboratifs- existent pour faciliter le travail de l'Homme. Le
bien-être des salariés semble avoir été pris en
compte par les entreprises du secteur, qui n'hésitent pas à
investir dans ces technologies ou dans l'ergonomie des environnements de
travail. Ces métiers ont également évolué dans la
mesure où ils intègrent une dimension plus technologique, le
personnel travaillant aujourd'hui à l'aide de logiciels de conception
3D.
Néanmoins, malgré ces avancées considérables, les métiers de l'industrie aéronautique peinent à recruter. Il existe des besoins par exemple pour les métiers d'ajusteur monteur, de technicien et de mécanicien aéronautiques. Ainsi l'entreprise LIEBHERR a ouvert 150 postes en 2019 et n'en a pourvu que 80 aujourd'hui. Les représentants de l'entreprise ont fait part de leurs difficultés à recruter, notamment dans les métiers de production, malgré le fait que :
- ce recrutement ne soit pas conditionné par l'expérience des candidats dans le secteur mais plutôt par leur motivation ;
- et que des perspectives d'évolution hiérarchique existent bien dans ces métiers.
Ce n'est pas la première fois que des difficultés de recrutement dans les métiers de l'industrie nous sont signalées, je dirais même qu'à chacun de nos déplacements, les entreprises nous interpellent à ce sujet. Et, vous le savez, nous travaillerons plus en profondeur sur ce thème afin d'apporter une réponse aux entreprises.
Le thème de la formation a également été abordé lors de cette visite avec POLYAERO Hautes-Alpes , un centre d'excellence dédié aux compétences en maintenance aéronautique du futur au service des industries françaises et internationales. Le projet POLYAERO a été porté par le Conseil général des Hautes-Alpes et a été financé à l'aide du Programme d'Investissement d'Avenir. Ce centre dispense des formations aéronautiques de type Bac Pro, BTS, Licence Pro ainsi que des Diplômes d'Université et des formations courtes en partenariat avec l'IUT de l'Université d'Aix Marseille, le Groupement d'Établissements des Hautes-Alpes (GRETA 05), la Chambre Régionale des Métiers et de l'Artisanat des Hautes-Alpes et le Lycée Aristide Briand de Gap. Cet établissement, dont l'édifice est situé sur l'aérodrome de Gap Tallard, est le seul centre de formation situé « en bord de piste », apportant une meilleure articulation entre la théorie et la pratique. À ce titre, les cours sont dispensés par des professionnels issus du secteur. L'alternance est également mise en valeur dans les cursus, permettant une insertion plus facile dans le monde professionnel. L'école compte d'ailleurs un taux d'insertion professionnelle très élevé, reflétant malheureusement aussi le manque de candidats aux postes de techniciens qualifiés. En plus de la dimension très professionnelle de ses cursus, POLYAERO se place en centre d'innovation par sa pédagogie, en phase avec les besoins de l'industrie aéronautique, et sa volonté d'anticiper les évolutions des métiers aéronautiques. Cette volonté se traduit par des équipements et des logiciels de haute qualité, démontrant ainsi le renouvellement des métiers de techniciens qualifiés qui intègrent aujourd'hui pleinement les nouvelles technologies. Ces initiatives gagneraient à être déployées sur tout le territoire français : elles répondent pleinement aux besoins des entreprises en terme de main-d'oeuvre, proposent une offre de formation professionnellement prometteuse pour les élèves et résoudraient ainsi de nombreux problèmes liés à l'emploi et au chômage.
Cette visite au Bourget n'aurait pu se passer d'un des géants de l'industrie aéronautique, le groupe THALÈS . Un Général nous a présenté les technologies de sécurité et de défense développées par l'entreprise ainsi que les différents enjeux auquel le groupe fait face dans ce domaine. Dans ce contexte de développement de l'intelligence artificielle et des machines autonomes, le Général a précisé que la démarche de THALÈS était de développer des technologies d'aide à la décision, le terme de « combat collaboratif » illustrant parfaitement le fait que l'humain garde le contrôle des machines.
Les technologies satellitaires ont également fait
l'objet d'une présentation. THALÈS développe des
satellites dont les champs d'application seront multiples : lutte contre
la déforestation et la pollution, aide à la navigation et
à la recherche en mer, renseignement militaire et réduction de la
fracture numérique dans les territoires. Ce dernier point a
attiré toute notre attention : l'idée de THALÈS est
d'utiliser la puissance de ses satellites afin de fournir une connexion
internet à un débit de 30 mégabits par seconde dans
les lieux non raccordés par la fibre d'ici mi-2021.
La personne en
charge du projet nous a expliqué que cette technologie permettrait de
palier le problème du « dernier kilomètre de
fibre », l'installation de la fibre étant peu rentable dans
les zones peu habitées et donc non prioritaire. Cela se
présenterait sous la forme d'une offre d'abonnement, en partenariat avec
EUTELSAT et ORANGE, dont le prix serait identique à celui des
abonnements fibre.
Nous avons poursuivi avec
SAFRAN
, autre
pointure française de l'aéronautique, de l'espace et de la
défense. Les moteurs d'avion CFM et LEAP, qui font la fierté du
groupe, nous ont été présentés. Ces deux
modèles sont plébiscités par les constructeurs pour leur
fiabilité et permettent à SAFRAN de s'assurer un carnet de
commandes rempli non pas pour une mais les sept prochaines années !
Par ailleurs, SAFRAN a privilégié la France pour la production de
ses moteurs en s'installant à Commercy dans la Meuse. Cette usine de
27 000 m² est dédiée à la fabrication des
pièces en composites tissés 3D procédé RTM et est
dotée des moyens industriels les plus modernes. SAFRAN prévoit
d'ouvrir une quatrième usine -les deux autres étant
situées dans le New-Hampshire et au Mexique- pour ses moteurs. Nous
avons formulé le voeu qu'elle soit installée en France.
La
transition écologique étant un sujet d'importance majeure pour le
groupe et pour l'industrie aéronautique, SAFRAN a réussi à
diminuer la consommation de carburant de 15 % avec son nouveau moteur LEAP
par rapport aux précédents modèles. Pour aller plus loin,
nous a-t-on dit, il nous faudra passer à une toute nouvelle
génération de moteur, permettant une baisse drastique de la
consommation d'énergie. Les piles à hydrogène pourraient
devenir les technologies de rupture permettant le « zéro
émission » ; SAFRAN y travaille et les avancées
sont encourageantes : l'efficacité énergétique de
l'hydrogène est proche de celle du kérosène.
La
prochaine étape serait d'atteindre une puissance de 500kw/h/kg afin de
rendre la technologie applicable au domaine aéronautique, la puissance
maximale existant aujourd'hui étant de 200kw/h/kg. Les atouts du
crédit impôt recherche ont été aussi
évoqués, ce dernier étant essentiel pour développer
de nouvelles technologies.
Notre journée s'est terminée avec la visite d' AZUR DRONES , leader européen du drone de surveillance. Ce groupe a réussi à lever 20 millions d'euros en trois ans auprès d'investisseurs privés afin de développer sa technologie : le drone autonome. Le SKEYETECH est un drone totalement automatisé, qui permet de renforcer la sécurisation de sites sensibles 24h/24 7j/7, sans aucune intervention humaine. Le système peut être connecté à n'importe quel réseau de sécurité pour fournir aux équipes de sécurité une vision aérienne en temps réel. Il est capable d'évaluer rapidement une situation, sans compromettre la sécurité des opérateurs. Un tel drone peut remplacer des dizaines de caméras et/ou agents de sécurité, réduisant ainsi les coûts opérationnels. Plus rapide que des humains et très précis, ce drone peut être utilisé pour la surveillance de sites industriels sensibles, centrales nucléaires, ports ou centres de logistique, en prévention d'actes de malveillance ou d'accidents industriels. Néanmoins, l'utilisation des drones fait encore face à une réticence de la société. Elle peut aussi être menacée par l'utilisation sauvage et non professionnelle de drones par certains amateurs, préoccupation déjà évoquée par l'un des entrepreneurs rencontrés lors de notre déplacement dans le Val d'Oise.
Ce fut donc une visite enrichissante avec des thématiques chères à notre délégation : la formation, l'emploi, l'écologie et l'innovation. Je tiens encore à remercier le GIFAS de nous avoir accueillis une nouvelle fois dans ce salon du Bourget.
Nous avons été nombreux à participer à ce déplacement. Peut-être d'autres collègues souhaiteraient-ils également faire part de leurs impressions à la suite de cette visite qui fut, de mon point de vue, particulièrement intéressante et instructive.
Mme Nelly Tocqueville . - Je n'ai pas participé à cette visite avec la délégation mais j'ai pu me rendre au Bourget avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La visite s'est focalisée sur la recherche et le développement des technologies permettant la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons été particulièrement intéressés par les recherches menées par SAFRAN. Je pense qu'il existe un fort potentiel de recherche et développement en France, dont les travaux pourraient contribuer à limiter les conséquences néfastes du trafic aérien. En attestent la qualité des recherches et le savoir-faire des entreprises.
Mme Pascale Gruny . - Ces belles entreprises françaises ont de quoi nous rendre fiers. Pourvu que l'on garde cependant nos ingénieurs et que l'on puisse vendre ces nouvelles technologies. Malheureusement, sur ces points, nous avons encore à faire, même si nous occupons une place centrale dans le secteur.
Mme Élisabeth Lamure . - Nous avons pourtant les meilleurs ingénieurs du monde ...
Mme Pascale Gruny . - Concernant les drones, si leurs applications sont très utiles, des questions de cybersécurité méritent d'être posées. Derrière les drones, il y a des humains, parfois malveillants. Notre monde évolue vite et il faut prêter attention à ces évolutions.
M. Philippe Paul . - Cela fait depuis deux ou trois ans que l'on parle du secteur aéronautique, qui est en pleine expansion. Problème : nous ne trouvons pas de personnel qualifié pour accompagner ce développement. L'entreprise Dassault produisait auparavant 11 avions RAFALE par an, étant donné le peu de commandes qu'il avait. La progression de ses ventes l'amène à augmenter sa production, péniblement jusqu'à 14 unités au vu du manque de personnel. J'ai pu parler avec un Général de l'Armée de l'Air qui m'a expliqué que cette faible production avait des conséquences sur l'approvisionnement de l'Armée de l'Air. Elle ne sera fournie qu'en 2021, avec plusieurs années de retard. À l'heure actuelle, il faut construire les RAFALES pour les puissances étrangères, qui ne manquent pas de budget et qui achètent les technologies les plus performantes. C'est ainsi que les technologies que nous développons partent à l'étranger.
La concurrence étrangère n'est pas inquiétante ; c'est SAFRAN qui fabrique par exemple les réacteurs de BOEING. Néanmoins, SAFRAN doit trouver du personnel pour honorer sa commande de 30 000 réacteurs. Je me suis rendu à Cherbourg pour la future inauguration du sous-marin nucléaire SUFFREN et les armateurs ont également manifesté leurs difficultés de recrutement. Le secteur naval de la défense est pourtant en plein développement, NAVAL GROUP venant par exemple de s'associer à l'armateur italien FINCANTIERI. Ces entreprises ont besoin de soudeurs et de métallurgistes mais ne trouvent personne. Les conditions peuvent être particulières mais ces emplois sont extrêmement bien rémunérés. À titre d'exemple, sur le chantier PIRIOU à Concarneau, un chaudronnier, à un niveau bac +2 ou bac +3, commence avec un salaire mensuel de 4 000 euros ! La construction de sous-marins souffre du manque de soudeur et il faut 7 ans pour former un soudeur. Dans l'aéronautique, il existe également de nombreux postes de pilote à pourvoir l'an prochain ...
Mme
Pascale Gruny
. - De nombreuses entreprises de chaudronnerie
cherchent des apprentis et n'en trouvent pas. Dans certains
départements, comme l'Aisne, les jeunes souffrent également d'un
problème de mobilité.
Le métier reste parfois
difficile mais les conditions de travail ont beaucoup progressé. Cette
situation va nous amener à fermer des centres de formation car nous
manquons de jeunes, alors que les entreprises ont besoin d'eux pour
développer leur activité.