C. RENFORCER LA PLACE DU PARLEMENT DANS LE PROCESSUS D'ÉLABORATION ET DE VALIDATION DES POLITIQUES D'ADAPTATION.

1. Les freins à une appropriation des enjeux d'adaptation par le Parlement

Le Parlement pourrait, en se faisant plus largement l'écho des enjeux liés à l'adaptation climatique, contribuer à l'ancrage de ce thème dans le débat public. S'en saisir constitue cependant un défi.

En raison de leur caractère transversal, les enjeux d'adaptation au changement climatique rencontrent en effet une certaine difficulté à trouver leur place dans les travaux parlementaires. À l'instar du travail gouvernemental, ceux-ci tendent en effet à s'organiser par grands domaines sectoriels de compétences. L'adaptation est une affaire de risques naturels, de biodiversité, d'agriculture, de tourisme, d'assurance, d'urbanisme, etc. Les mesures législatives contribuant à l'adaptation sont donc dispersées dans de nombreux textes sectoriels qui débordent très largement du champ de compétences des diverses commissions permanentes.

De même, le contrôle et le vote du Budget ne sont pas un moment propice à la construction d'une vision parlementaire globale sur la politique d'adaptation, car les lignes budgétaires qui sous-tendent cette politique sont dispersées dans plusieurs missions et programmes.

De même encore, les modalités de la présence parlementaire au sein du conseil national de la transition écologique (CNTE) ne permettent pas vraiment un relai de l'information vers le Parlement. Ce n'est pas en soi un défaut du CNTE, mais plutôt une difficulté qui concerne de façon générale le fonctionnement des organismes extraparlementaires.

Outre cet obstacle de la transversalité, l'appropriation parlementaire des problématiques d'adaptation rencontre aussi celui de la temporalité. La démarche adaptative s'inscrit en effet par nature dans un temps long. Elle suppose de se projeter loin vers l'avenir pour anticiper les évolutions climatiques et leurs impacts, de revenir vers le présent pour traduire ces anticipations en grandes orientations et en mesures structurelles souvent peu spectaculaires, qui porteront leurs fruits bien après le terme du mandat de ceux qui les défendent ; puis de recommencer sans cesse cet aller-retour entre l'avenir et le présent afin d'actualiser prévisions et d'opérer les inflexions nécessaires. L'adaptation au changement climatique, ce n'est pas une réforme ; c'est un chantier, un processus qui durera plusieurs décennies. S'y inscrire implique de se dégager de l'urgence du présent, des arbitrages financiers et politiques de court terme, pour réfléchir dans le long terme et construire des visions partagées sur l'avenir qui se profile.

2. Des propositions pour lever ces freins

Pour renforcer l'implication du Parlement dans les politiques d'adaptation aux changements climatiques, on peut proposer plusieurs mesures. L'une est ponctuelle et vise à impulser une dynamique ; les autres sont plus structurelles et ont pour finalité de créer les conditions d'un suivi parlementaire de ce sujet dans la durée.

L'impulsion pourrait passer par l'inscription à l'ordre du jour du Parlement, d'ici à trois ans, d'un projet de loi-cadre sur le thème de l'adaptation aux dérèglements climatiques . Ce texte aurait pour objet de passer en revue l'ensemble des champs législatifs concernés par l'adaptation. Ce grand rendez-vous législatif permettrait donc au Parlement de se saisir de l'enjeu de l'adaptation dans sa globalité et, au-delà, de mobiliser l'opinion sur un agenda législatif clairement identifié.

Pour faciliter le contrôle à l'échelle nationale des mesures d'adaptation au changement climatique, il est par ailleurs proposé de mettre en place un outil transversal de suivi budgétaire sur les politiques d'atténuation et d'adaptation, sur le modèle des « jaunes budgétaires ».

Enfin, accueillir une réflexion parlementaire capable de penser l'adaptation de façon transversale et dans une temporalité longue, cela constitue tout naturellement la vocation d'un organe tel que la Délégation à la prospective du Sénat . À travers cette délégation, qui n'existe pas à l'Assemblée nationale, le Sénat pourrait devenir le pôle parlementaire d'expertise et de réflexion stratégique sur l'adaptation aux changements climatiques. Déjà, en mai 2016, la délégation s'est prononcée sur un sujet qui se trouve au centre des enjeux d'adaptation : celui de l'eau 31 ( * ) . Notre délégation se prononce de nouveau, trois ans après, sur les perspectives des politiques d'adaptation. Il faut considérer que ce nouveau rapport n'est lui-même qu'une étape dans la réflexion parlementaire sur les politiques d'adaptation. Ce chantier est en effet si vaste et si évolutif que nous pouvons déjà imaginer les suites à lui donner - par exemple en s'interrogeant sur le rôle de l'Union européenne dans les politiques d'adaptation, sur l'opportunité d'une initiative européenne transversale dans ce domaine, ainsi que sur une révision de textes européens sectoriels afin qu'ils intègrent les enjeux de l'adaptation (on peut penser notamment à la directive cadre sur l'eau).

Vos rapporteurs proposent donc d'inscrire le suivi des enjeux d'adaptation dans les priorités de travail de la Délégation à la prospective du Sénat.


* 31 « Eau : urgence déclarée », Rapport d'information de MM. Henri TANDONNET et Jean-Jacques LOZACH, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective n° 616 (2015-2016) - 19 mai 2016

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