II. L'AGENDA SOCIAL DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Depuis la présentation du socle européen des droits sociaux, la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives dans le domaine social. Ces textes sont censés illustrer la mise en application dudit socle. Avant de les aborder plus en détail, il convient de s'interroger sur les motivations qui les entourent. La mise en avant salutaire d'un socle européen des droits sociaux ne doit pas conduire à une harmonisation sur tous les sujets, à rebours des traditions sociales des États membres et à l'aune du seul objectif d'une plus grande intégration du marché intérieur. Le respect du principe de subsidiarité fait, dans ce domaine comme dans d'autres, figure de fil rouge pour une appréciation raisonnée des initiatives de la Commission européenne et dépasser l'attrait que peut revêtir leur valeur symbolique.

A. LA RÉFLEXION SUR LES CONTRATS DE TRAVAIL

1. Une consultation préalable

La Commission a lancé une consultation des partenaires sociaux sur la modernisation de la réglementation des contrats de travail 13 ( * ) . Le droit européen prévoit, pour l'heure, la possibilité pour les travailleurs de se voir communiquer par écrit les aspects essentiels de leur relation au travail dans les deux mois qui suivent le début du contrat 14 ( * ) .

La Commission considère aujourd'hui que la directive protège un groupe restreint de personnes (généralement, les travailleurs ayant un contrat « classique » à durée indéterminée ou un contrat de longue durée), alors que son application diverge dans la pratique ou est incertaine pour de nombreuses autres catégories de travailleurs. Elle souhaite donc aller plus loin et prendre en compte les formes atypiques d'emploi, à l'image de l'entreprenariat individuel ou du phénomène d'« ubérisation ». Elle entend ainsi garantir à tous les travailleurs de recevoir, en temps utile et par écrit, les informations adéquates sur leurs conditions de travail.

Elle veut également contribuer à assurer une convergence vers le haut favorisant l'égalité d'accès de tous les travailleurs à un certain nombre de droits importants. La Commission n'entend pas pour autant entraver le développement de nouvelles formes de travail. Elle estime en effet que celles-ci offrent des possibilités d'organisation flexible du travail et d'intégration dans le marché du travail de personnes qui, sans elles, auraient pu en être exclues.

2. Le choix de la révision de la directive

La consultation n'a pas débouché sur un processus de dialogue en vue d'établir des relations conventionnelles, y compris des accords, sur ce sujet, comme prévu par l'article 155 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La Commission a, dans ces conditions, présenté, le 21 décembre dernier, une proposition de directive relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles 15 ( * ) . Le texte se veut une première mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux. Il vise à prendre en compte de nouvelles formes d'emploi : travail domestique, travail à temps partiel marginal ou contrats de très courte durée, travail à la demande, travail basé sur des « chèques » ou travail via une plateforme.

Il prévoit, en premier lieu, l'alignement de la notion de travailleur sur la jurisprudence de la Cour de justice : aux termes de celle-ci, un travailleur est une personne qui fournit un service pour une certaine période pour et sous la direction d'une autre personne qui, en retour, la rétribue 16 ( * ) . Les organisations patronales estiment que cette définition risque de coexister avec celles existantes au niveau national.

La Commission propose, par ailleurs, la mise à disposition de tous les travailleurs d'un jeu d'informations actualisées et détaillées sur leurs conditions de travail dès leur premier jour de travail, et non dans un délai de deux mois comme le prévoit le droit aujourd'hui. Ces informations concernent la durée et les conditions de la période d'essai, le droit à la formation, les modalités portant sur les heures supplémentaires, l'affiliation à la sécurité sociale et les plannings de travail. Ces informations peuvent être transmises par voie électronique. Toute modification du contrat doit également être transmise dès le premier jour de la mise en oeuvre du nouveau dispositif. Les États membres sont incités à veiller à ce que les modifications nécessaires soient apportées aux accords individuels, conventions collectives, règlements intérieurs d'entreprises et autres dispositifs afin de les aligner sur les dispositions de la directive proposée.

La proposition de révision intègre, en outre, la mise en place de nouveaux droits minimaux, comme le droit à une plus grande prévisibilité du travail pour les personnes dont le planning de travail est majoritairement variable. L'employeur doit informer ces travailleurs des périodes (heures et jours) durant lesquelles ils peuvent être appelés à travailler. Les travailleurs peuvent accepter de travailler en dehors des heures et jours de référence, mais ne peuvent être contraints de le faire, et ne doivent pas subir de préjudice en cas de refus. Ils ne peuvent pas être obligés de travailler si leur employeur ne leur donne pas un délai de prévenance suffisamment raisonnable, fixé à l'avance dans la déclaration écrite. Ils peuvent accepter ces tâches, mais ne doivent pas subir de préjudice en cas de refus. Le délai de prévenance raisonnable peut varier d'un secteur à l'autre. Le texte prévoit également la possibilité de demander à passer à une forme d'emploi plus stable et de recevoir une réponse par écrit à cette demande. Il garantit également le droit à la formation obligatoire sans retenue sur salaire. Le texte fixe une durée maximale de six mois pour toute période d'essai, à moins qu'une durée plus longue soit justifiée par la nature de l'activité, comme l'exercice d'une fonction managériale, ou qu'elle soit dans l'intérêt du travailleur, par exemple dans le cas d'une prolongation à la suite d'une longue maladie . Cette disposition n'est pas sans susciter d'interrogations, la durée maximale de la période d'essai étant de deux mois en droit français. Aucun travailleur ne peut, en outre, être empêché par son employeur d'exercer un autre emploi (clauses dites « d'exclusivité » ou « d'incompatibilité »), sauf motifs légitimes tels que la protection de secrets d'affaires ou la prévention de conflits d'intérêts. Ces nouvelles normes minimales peuvent être modifiées par des conventions collectives conclues entre les partenaires sociaux en vertu du droit national ou de la pratique nationale. Le niveau global de protection des travailleurs ne doit pas être inférieur à celui prévu par le texte. Il convient néanmoins de s'interroger sur cette disposition au regard du recours de plus en plus marqué aux accords d'entreprises .

Le dispositif prévoit, enfin, le renforcement des moyens permettant l'application effective de ces règles en consolidant notamment les voies de recours pour garantir, en dernier ressort, le règlement d'éventuels litiges lorsque le dialogue ne suffit pas. La proposition de la Commission prévoit notamment que si un travailleur estime qu'il a été licencié ou a subi un préjudice équivalent (travailleur à la demande à qui l'on cesse de confier des tâches, par exemple) au motif qu'il demande l'application de ces droits ou en jouit, et s'il est en mesure d'établir les faits qui étayent cette affirmation, il revient à l'employeur la charge de prouver que le licenciement ou le traitement préjudiciable allégué était fondé sur d'autres raisons objectives. Les États membres sont par ailleurs tenus de fournir aux travailleurs se plaignant de violations des dispositions adoptées en application du nouveau texte une protection judiciaire adéquate contre tout traitement ou toute conséquence défavorable de la part de l'employeur. Cette mesure devra être précisée lors des négociations au Conseil afin qu'elle puisse être conforme au principe de subsidiarité.

Il en va de même pour les procédures visées par le texte pour manque d'informations. Les États membres doivent, en effet, veiller à ce que, lorsqu'un travailleur n'a pas reçu dans le délai prescrit tout ou partie des informations et que l'employeur n'a pas remédié à cette omission dans un délai de 15 jours à compter de sa notification, deux solutions lui soient offertes. Soit le travailleur bénéficie des présomptions favorables définies par l'État membre. Ainsi, lorsque les informations fournies ne comportaient pas les éléments sur la durée du contrat, planning et volume des heures rémunérées, les présomptions favorables incluent les présomptions, respectivement, que le travailleur se trouve dans une relation de travail à durée indéterminée, qu'il n'y a pas de période d'essai et que le travailleur occupe un poste à temps plein. L'employeur a la possibilité de réfuter ces présomptions. Soit le travailleur peut introduire une plainte auprès d'une autorité compétente en temps utile. Si l'autorité compétente estime que la plainte est justifiée, elle enjoint à l'employeur ou aux employeurs concernés de fournir les informations manquantes. Si l'employeur ne fournit pas les informations manquantes dans un délai de 15 jours suivant la réception de l'injonction, l'autorité peut infliger une sanction administrative appropriée, même si la relation de travail a pris fin. Les employeurs ont la possibilité de former un recours administratif contre la décision infligeant la sanction. Les États membres peuvent désigner des organismes existants comme autorités compétentes.


* 13 Première phase d'une consultation des partenaires sociaux, organisée en vertu de l'article 154 du TFUE, sur l'éventualité d'une révision de la directive relative à la déclaration écrite (directive 91/533/CEE) dans le cadre du socle européen des droits sociaux (C(2017) 2611). Une seconde phase de consultation a été lancée le 26 septembre 2017.

* 14 Directive 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991 relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail.

* 15 COM (2017) 797 final.

* 16 Arrêt du 3 juillet 1986 Lawrie-Blum et Arrêt du 17 novembre 2016 Ruhrlandklinik .

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