TRAVAUX EN COMMISSION
I. EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 11 avril 2018, la commission a examiné le rapport d'information du groupe de travail sur la lutte contre la pollution de l'air.
M. Hervé Maurey , président . - Mme Nelly Tocqueville nous présente ce matin les conclusions du groupe de travail qu'elle préside sur la pollution de l'air.
La pollution de l'air est un enjeu sanitaire majeur, responsable de 48 000 décès prématurés chaque année. La France, comme plusieurs autres pays européens, dépasse les normes relatives à la qualité de l'air fixées par l'Union européenne. Ces dépassements récurrents ont conduit la Commission européenne à engager, en 2009 et 2015, deux procédures précontentieuses à l'encontre de la France pour non-respect des valeurs limites en vigueur pour le dioxyde d'azote et les particules fines PM10. Ces procédures, en cours, pourraient déboucher prochainement sur une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : la Commission devrait donner sa position à la fin du mois d'avril.
Prenant acte du fait que les mesures mises en place pour réduire la pollution atmosphérique sont insuffisantes, le Conseil d'État, en juillet 2017, a enjoint le Gouvernement à élaborer et mettre en oeuvre des plans d'actions permettant de ramener les concentrations de polluants en dessous des valeurs limites dans quatorze zones, et à les transmettre à la Commission européenne d'ici le 31 mars 2018. Le Gouvernement a en conséquence confié aux préfets des régions concernées la responsabilité d'élaborer des feuilles de route opérationnelles.
C'est dans ce contexte que notre commission a souhaité créer un groupe de travail, présidé par notre collègue Nelly Tocqueville. Compte tenu des délais, l'objectif de ce groupe de travail n'était pas de faire une évaluation exhaustive de la politique gouvernementale en matière de lutte contre la pollution de l'air, mais de regarder comment ces feuilles de routes ont été élaborées, et si les mesures qu'elles contiennent sont à la hauteur des enjeux.
Mme Nelly Tocqueville , présidente du groupe de travail . - Chaque jour, nous inspirons et expirons 12 000 litres d'air. La qualité de l'air que nous respirons conditionne notre état de santé. La pollution de l'air est la principale cause environnementale de mortalité : chaque année, 48 000 personnes meurent prématurément en France du fait qu'elles respirent un air pollué. L'exposition aux polluants atmosphériques contribue au développement et à l'aggravation de maladies respiratoires, des maladies cardiovasculaires ou encore des cancers de l'appareil respiratoire. Le Centre international de recherche sur le cancer a d'ailleurs classé la pollution de l'air comme cancérogène certain pour l'homme en 2013. Il s'agit donc d'une urgence sanitaire, connue depuis longtemps.
À cet impact sanitaire s'ajoute un coût socio-économique important. Dans son rapport de juillet 2015, la commission d'enquête du Sénat sur le coût de la pollution de l'air - dont j'étais membre - a évalué à 3 milliards d'euros le coût annuel pour le système de santé associé à la prise en charge des maladies imputables à la pollution de l'air, et entre 70 et 100 milliards d'euros le coût socio-économique résultant des pathologies et des décès prématurés.
Les efforts conduits ces dernières années pour réduire la pollution de l'air, au moyen de la règlementation des émissions industrielles, l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments ou la modernisation du parc automobile, ont entraîné une baisse continue des émissions et des concentrations de polluants. Entre 2000 et 2016, les émissions de dioxyde de soufre ont ainsi baissé de 78 %, celles d'oxydes d'azote de 49 % et celles de particules fines PM10 et PM2,5 de, respectivement, 41 % et 48 %.
Malgré cette baisse, de nombreuses agglomérations affichent des dépassements récurrents des normes de qualité de l'air fixées par le droit européen et transposées en droit national. En 2016, seize agglomérations étaient exposées à des concentrations moyennes de dioxyde d'azote supérieures aux valeurs limites, et trois agglomérations étaient dans une situation similaire concernant les particules fines PM10. Ces agglomérations sont pour la plupart situées dans l'est et le sud de la France métropolitaine, en plus, naturellement, de la région Ile-de-France.
L'absence de dépassement des normes en vigueur ne signifie pas pour autant que les populations ne sont pas exposées à des polluants dangereux pour leur santé. Les normes de qualité de l'air fixées par l'Union européenne sont en effet supérieures aux valeurs que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime de nature à réduire fortement les risques sanitaires de la pollution de l'air. Si l'on tient compte des valeurs OMS, 92 % de la population française est exposée à des concentrations de particules fines PM2,5 excessives et représentant une menace pour leur santé.
Vous le voyez, il reste encore du chemin à parcourir pour réduire les effets néfastes de la pollution de l'air sur la santé.
La France fait l'objet de deux procédures précontentieuses lancées par la Commission européenne pour non-respect des valeurs limites relatives au dioxyde d'azote et aux PM10. Ce n'est pas le seul État membre de l'Union européenne dans ce cas, puisque huit autres sont en situation de précontentieux européen, et deux ont déjà été condamnés par la CJUE : la Bulgarie en avril 2017 et la Pologne en février dernier. L'hypothèse d'une condamnation de la France n'est donc pas exclue, la Commission européenne ayant indiqué qu'elle prendrait la décision de saisir ou non la Cour de justice d'ici la fin du mois d'avril.
Prenant acte de la persistance des dépassements et de l'insuffisance des mesures mises en oeuvre, le Conseil d'État a, dans une décision de juillet 2017, enjoint le Gouvernement à élaborer et transmettre à la Commission européenne d'ici le 31 mars 2018 des plans d'actions dans quatorze zones permettant de ramener les concentrations de polluants sous les valeurs limites. Le Gouvernement a donc annoncé l'élaboration, par les préfets des régions concernées, de feuilles de route devant prévoir des actions locales permettant de réduire à court terme la pollution de l'air. Le calendrier a été tenu puisque les feuilles de route ont été effectivement réalisées et présentées devant le Conseil national de l'air le 20 mars dernier.
Notre groupe de travail visait à apprécier la manière dont les feuilles de route ont été élaborées, et si les mesures qu'elles prévoient sont à la hauteur des enjeux.
Un mot d'abord sur leurs conditions d'élaboration. Afin de respecter l'échéance du 31 mars 2018, le Gouvernement a décidé de ne pas procéder à une révision anticipée des plans de protection de l'atmosphère (PPA) couvrant les régions concernées par des dépassements, compte tenu de leur durée d'élaboration, souvent longue. Le choix de recourir à des feuilles de route a permis de réaliser un travail plus rapide, mais qui de ce fait présente plusieurs lacunes.
D'abord, ces feuilles de route n'ont pas à proprement parler d'existence juridique : elles s'apparentent à du droit souple, dont la portée normative n'est pas assurée. Ensuite, elles s'insèrent dans un paysage déjà dense et complexe de documents de planification relatifs à la qualité de l'air : le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa) et les plans de protections de l'atmosphère (PPA) élaborés par l'État et ses services, d'une part ; les schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) et les plans climat air-énergie territoriaux (PCAET) élaborés par les collectivités territoriales, d'autre part. Cela pose un problème de lisibilité de l'action publique. En outre, compte tenu des délais, les préfets n'ont pas pu réunir l'ensemble des acteurs traditionnellement impliqués lors de l'élaboration des PPA, comme les représentants du milieu économique, les associations environnementales ou les agriculteurs. Ceux-ci ont souvent été, au mieux, tenus informés des mesures pressenties pour figurer dans les feuilles de route. Enfin, l'impact des mesures prévues par les feuilles de route en termes de réduction de la pollution de l'air n'a pas pu être modélisé et quantifié, faute de temps. En l'absence d'évaluation, il est donc difficile de savoir si les feuilles de route permettront de faire baisser les concentrations de polluants de manière suffisante pour pouvoir respecter les normes européennes, et donc si elles convaincront la Commission européenne de ne pas engager de procédure contentieuse contre la France.
Ces documents ont cependant eu au moins le mérite de mobiliser les collectivités territoriales autour de l'enjeu de lutte contre la pollution de l'air. En effet, le choix a été fait de centrer les feuilles de route sur les actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales en vue de réduire les émissions polluantes.
La quasi-totalité des agglomérations sont concernées par des dépassements des valeurs limites de dioxyde d'azote, qui sont principalement imputables au trafic routier. Compte tenu des compétences des collectivités en matière d'organisation des transports, le choix de mettre l'accent sur les actions locales de lutte contre la pollution de l'air paraît justifié.
Cet exercice a d'ailleurs mis en lumière les disparités importantes, selon les régions, de prises de conscience et d'actions pour réduire la pollution de l'air. Si certains territoires sont mobilisés depuis longtemps en raison d'une situation particulièrement critique, comme la vallée de l'Arve, ou du fait d'un tissu associatif actif, comme à Strasbourg, il s'agit pour d'autres d'un problème moins aigu et donc moins bien appréhendé. Tel est le cas par exemple de l'agglomération de Valence, qui n'est pas couverte par un plan de protection de l'atmosphère, et pour laquelle l'élaboration de la feuille de route a donc été l'occasion de dresser un premier inventaire des leviers d'actions pouvant être actionnés.
J'en viens au contenu des feuilles de route. Quatorze zones sont concernées, réparties dans six régions : Auvergne-Rhône Alpes, Grand Est, Ile-de-France, Martinique, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les mesures que contiennent ces feuilles sont très hétérogènes, en termes d'objet, de calendrier de mise en oeuvre et de portée. Lors de mes auditions, je me suis particulièrement intéressée à quatre régions.
L'Ile de France est la principale région concernée en nombre d'habitants, puisque 1,6 million de franciliens sont exposés à des concentrations en oxydes d'azote supérieures aux valeurs limites, et 300 000 sont dans ce cas s'agissant des particules fines. Dans cette région, l'élaboration de la feuille de route a coïncidé avec la finalisation d'un nouveau plan de protection de l'atmosphère pour la période 2017-2020, dont l'élaboration a été engagée en 2016 et qui a été adopté le 31 janvier dernier. Compte tenu de ce calendrier, il a été décidé de centrer la feuille de route sur les actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales franciliennes, notamment dans le domaine des transports et dans le secteur résidentiel et tertiaire.
La feuille de route n'a donc pas constitué un exercice de définition de nouvelles mesures, mais a agrégé un certain nombre d'actions déjà engagées par les collectivités et retracées dans leurs propres documents stratégiques, comme le plan régional pour la qualité de l'air 2016-2021 de la région Ile-de-France, ou le plan climat air énergie de la métropole du Grand Paris. La plupart de ces mesures concernent le secteur des transports et visent, entre autres, à développer les transports en commun propres, à verdir les flottes des administrations et des entreprises, à développer le covoiturage et l'usage de mobilités douces, ou encore à soutenir l'acquisition de véhicules propres.
Parmi ces différentes mesures, une semble devoir retenir l'attention en raison de son caractère structurant et de son impact important sur la pollution de l'air : le renforcement de la zone à circulation restreinte (ZCR) à Paris et son extension à d'autres communes limitrophes. La ville de Paris a mis en place, le 1 er juillet 2016, une ZCR afin de restreindre la circulation des voitures les plus polluantes. Concernant au départ les véhicules immatriculés avant 1997, cette restriction a été étendu, le 1 er juillet 2017, aux véhicules classés « Crit'Air 5 », c'est-à-dire aux véhicules diesel immatriculés avant 2001. L'objectif est d'étendre progressivement les restrictions de circulation aux Crit'Air 4 en 2019, aux Crit'Air 3 en 2022 et aux Crit'Air 2 en 2024, ce qui correspondrait en pratique à une interdiction des véhicules diesel à cette date.
La métropole du Grand Paris étudie actuellement la possibilité de mettre en place, au 1 er janvier 2019, une telle ZCR sur l'ensemble du périmètre délimité par l'autoroute A 86, soit sur un ensemble de 80 communes. Des études préparatoires ont été lancées en ce sens et un comité de pilotage mis en place. Une telle extension pose la question de l'harmonisation avec les restrictions prévues par la ZCR parisienne, qui doit donc être durcie en 2019. Il paraît nécessaire que la mairie de Paris et les autres communes concernées travaillent de concert pour prévoir une adéquation entre leurs ZCR respectives. J'interrogerai Mme Hidalgo sur ce point cet après-midi.
Dans la région Auvergne-Rhône Alpes, les dépassements concernent cinq territoires : Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence et la vallée de l'Arve. Près de la moitié de la pollution aux particules fines provient du secteur résidentiel, en raison du chauffage au bois. Quant au dioxyde d'azote, qui provient majoritairement du trafic routier, l'exposition à ce polluant se concentre logiquement dans les zones les plus urbanisées.
Les feuilles de route de cette région prévoient donc plusieurs mesures visant à accélérer le renouvellement des appareils au bois peu performants, notamment par un élargissement des financements du fonds « air-bois » porté par l'Ademe, au profit d'autres sources d'énergie comme le solaire ou le biogaz. En matière de transport, les feuilles de route visent à accompagner les projets des agglomérations lauréates de l'appel à projets « villes respirables à 5 ans » pour mettre en place des ZCR. Des réflexions sont en cours pour permettre un contrôle automatisé des véhicules dans ces zones, par un système de lecture optique des plaques d'immatriculation. Les feuilles de route comprennent également des mesures pour développer le covoiturage, notamment dans l'agglomération lyonnaise, par la création de voies réservées aux transports en commun et au covoiturage.
Dans la région Grand Est, il existe une disparité importante entre les deux territoires concernés : si l'Eurométropole de Strasbourg est très mobilisée depuis de nombreuses années sur la question de la lutte contre la pollution de l'air, il s'agit pour Reims et son agglomération d'un problème plus récent et par conséquent moins bien appréhendé par les élus et les citoyens. À Reims, les principales mesures recensées par la feuille de route portent sur l'engagement d'une réflexion sur l'interdiction de la traversée urbaine de Reims pour les poids lourd, le développement de « zones 30 » dans l'hyper centre ou encore le lancement d'une étude prospective relative à la création d'une zone à circulation restreinte applicables aux véhicules de transport de marchandises. La métropole de Strasbourg envisage également de mettre en place une ZCR pour le transport de marchandises, et compte poursuivre le développement d'un « réseau express à vélo » sur plus de 130 kilomètres ou encore procéder à l'électrification de la flotte de bateaux gérée par la filiale du Port Autonome de Strasbourg « Batorama ».
Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur enfin, Nice, Marseille-Aix et Toulon sont concernées par des dépassements pour le dioxyde d'azote, le niveau de particules fines ne dépassant plus les valeurs limites, tout en restant supérieur aux recommandations de l'OMS. Les mesures se concentrent donc sur le secteur des transports, pour désengorger les zones denses, notamment par des parkings relais et des réductions de vitesse, et pour encourager les alternatives à la voiture individuelle, par des abonnements multimodaux aux transports collectifs. Les feuilles de route prévoient également de réduire les émissions des activités maritimes et portuaires, par l'électrification des navires à quai et la mise en place d'épurateurs mobiles de fumées. Concernant le secteur résidentiel, plusieurs mesures visent à améliorer la gestion des déchets verts, en limitant les dérogations à l'interdiction de brûlage - une pratique plus répandue que dans d'autres territoires - et en développant leur méthanisation.
Ces feuilles de route ont moins été l'occasion de définir de nouvelles mesures que de recenser celles déjà mises en place ou envisagées par les collectivités. Toutes ces mesures n'apparaissent pas comme des mesures de court terme - comme l'extension de lignes de transport en commun ou le déploiement de réseaux de bornes de recharge.
L'élaboration de ces feuilles de route ne doit pas être conçue comme la conclusion d'une procédure contentieuse mais comme une étape pour améliorer durablement la qualité de l'air. Le risque serait d'en faire un exercice ponctuel et formel, en réaction à un risque contentieux et dépourvu de suites concrètes. Il est donc indispensable de mettre en place un suivi rigoureux et régulier de la mise en oeuvre de ces mesures, aussi bien au niveau local qu'au plan national.
Il serait intéressant que ce suivi s'appuie sur une gouvernance élargie, permettant à toutes les parties prenantes de participer à la mise en oeuvre et à l'évaluation des mesures, à l'instar de l'instance de concertation mise en place dans la région Ile-de-France pour élaborer la feuille de route, co-pilotée par le préfet et par la présidente de la région. La concrétisation de ces feuilles de route doit permettre le développement de véritables projets de territoire pour la qualité de l'air. Le suivi des feuilles de route devra également déterminer rapidement le coût et les modes de financement des différentes mesures, car plusieurs d'entre elles nécessitent des ressources importantes, en particulier lorsqu'elles relèvent du secteur des transports. Faute de précision, ces mesures resteront lettres mortes. Il faudra enfin combler le manque d'évaluation préalable des feuilles de route, pour mesurer dans le temps l'impact des mesures prises, et les réorienter si elles s'avèrent inefficaces. Cela me semble également indispensable pour justifier ces décisions auprès de la population.
Vous l'aurez compris, il reste beaucoup à faire pour mettre en action les mesures listées dans ces plans, et plus généralement pour réduire la pollution atmosphérique à laquelle trop de nos concitoyens sont encore exposés, ce dont ils ne semblent d'ailleurs pas toujours conscients. Telle est avant tout notre responsabilité, en tant qu'élus nationaux et locaux. Car si lutter contre la pollution de l'air est aujourd'hui une responsabilité morale, il s'agira peut-être demain, en cas de carence prolongée, d'une responsabilité pénale - nous en avons déjà un exemple dans la vallée de l'Arve.
M. Hervé Maurey , président . - Merci pour ce travail de grande qualité, mené dans des délais très courts.
Mme Michèle Vullien . - En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons créé en 2001 le Club des villes durables afin de sensibiliser les communes à la pollution liée aux transports. Le problème, c'est que les mesures ne sont parfois qu'incitatives, se télescopent, ou sont imbriquées avec d'autres plans, comme le plan climat. Elles exigent en outre d'être déclinées au plus près du terrain.
Il faut également impliquer au maximum les citoyens qui, sauf allergie, se plaignent plus spontanément des embouteillages et du bruit que de la pollution. Les ZCR ne font que prendre la suite des zones d'action prioritaires pour l'air, sur lesquelles nous avons longtemps travaillé avant de mettre le dossier au fond d'un tiroir... Les mesures doivent en outre être rendues acceptables. L'interdiction des feux de bois, par exemple, ne rime à rien. Il faut enfin aider à la conversion des véhicules. L'électrique est selon moi une fausse bonne idée - nous en reparlerons.
M. Michel Vaspart . - Nous l'avons constaté hier à l'occasion d'une réunion d'Armateurs de France : certaines mesures se mettent en place, comme l'électrification des navires à quai. Le mouvement d'électrification à tous les niveaux est enclenché.
Cependant, les énergies marines renouvelables ont du plomb dans l'aile, compte tenu de la volonté du Gouvernement de remettre en cause les marchés passés, ce qui aggravera notre retard de production. Nous avons sans doute raison de promouvoir les déplacements propres, mais comment ferons-nous face à la demande d'électricité dans les années à venir ? Je n'ai pas l'impression que nos gouvernants aient conscience de ce problème. Les bonnes intentions, c'est bien, mais favoriser l'indépendance énergétique, c'est mieux.
M. Claude Bérit-Débat . - Je félicite la rapporteure pour son travail. Dans nos territoires, quelle que soit leur taille, la pollution de l'air fait l'objet de toutes les attentions. Elle était ainsi au coeur du plan de déplacements urbains de la communauté d'agglomération que j'ai présidée pendant plusieurs années. Elle provient le plus souvent des moyens de transport, et se trouve renforcée par des caractéristiques géographiques particulières - ce qui fait que certaines régions sont plus touchées que d'autres. Il faut certes informer et sensibiliser les citoyens, mais les sujets centraux restent ceux qui font le coeur de métier de notre commission : transports, pollution industrielle, par exemple. C'est un travail considérable, dont il sera difficile de venir à bout - la conclusion de la rapporteure en témoigne.
M. Guillaume Gontard . - Félicitations pour ce rapport très complet. Nous avons en effet besoin d'une démarche globale, redescendant jusqu'au citoyen, et abordant tous les aspects du problème : transports, énergie, rénovation thermique des bâtiments, etc. Dans la région grenobloise, l'action publique est forte en direction des particuliers, mais elle cible également les chaufferies collectives. Dans la vallée de l'Arve, l'enjeu du fret est considérable. Il faut enfin s'intéresser à la production d'énergies renouvelables, dont l'hydroélectricité est la première en France. Or de ce point de vue, la vente à la découpe des barrages n'est pas pour nous rassurer.
M. Pierre Médevielle . - Merci pour ce rapport fort intéressant sur ce problème qui touche tout le territoire. Nous avons réalisé une étude sur la qualité de l'air dans l'agglomération toulousaine, qui a fait apparaître ce que nous savions déjà : l'air est dégradé, surtout autour des noeuds routiers. Nous ne prenons en outre pas assez au sérieux les pathologies que génère la pollution de l'air, particulièrement insidieuses puisqu'elles peuvent mettre vingt, trente ou quarante ans à se déclarer. Il nous a de même fallu quarante ans pour mettre des photos sur les paquets de cigarettes, en dépit du coût du tabac pour l'Assurance maladie ! Certes, il n'y a pas de solution miracle, mais nous pouvons réagir de façon plus vigoureuse.
M. Guillaume Chevrollier . - Vous avez peu parlé de la mobilisation des collectivités dans l'ouest de la France. Pensez-vous qu'elles soient suffisamment mobilisées ?
Quelle est exactement la place du Conseil national de l'air dans la mobilisation des acteurs locaux et la sensibilisation du grand public ? Quel est le poids de la recherche et développement dans le domaine de la qualité de l'air ? Les investissements publics sont-ils suffisants dans ce domaine ?
M. Charles Revet . - Compliments à Mme Tocqueville pour ce rapport, réalisé dans des délais très brefs.
Personne n'a évoqué le développement des transports collectifs de ville à ville. L'histoire est un éternel recommencement : dans les années 1970, au moment du tout-voiture, nous avons rogné sur les transports publics à l'intérieur des villes, avant de les réactiver - je songe aux tramways que j'ai connus dans ma jeunesse. La France dispose, avec l'Allemagne, du plus grand maillage de liaisons de ville à ville, mais 10 000 km de voies secondaires ont ainsi, à l'époque, été supprimés. Certains pays misent sur le tram-train, ces lignes qui peuvent pénétrer à l'intérieur des villes et remédier ainsi aux embouteillages. Je suis convaincu que réactiver ces lignes rendrait service à la population.
M. Jean-Pierre Corbisez . - Je remercie à mon tour la rapporteure. Vice-président d'une fédération Atmo pendant des années, je veux également attirer l'attention sur la pollution de l'air intérieur : le design moderne, jusque dans nos voitures, est parfois plus dangereux que la pollution atmosphérique...
Les aides financières pour l'achat de véhicules propres sont désormais fléchées vers l'électrique ; que sont dès lors censées faire les collectivités qui se sont engagées à encourager certaines motorisations, bioénergie ou gaz naturel par exemple ? Ce sont des investissements lourds.
M. Olivier Jacquin . - Je salue à mon tour la qualité du rapport, notamment sa conclusion. Il est toujours facile de s'exonérer de sa responsabilité individuelle, lorsque la responsabilité est aussi collective... Heureusement que l'Europe vient nous rappeler à nos responsabilités : son volet pénal pourrait bien mettre une pression supplémentaire sur les décideurs. Il est amusant de constater que le débat actuel sur le ferroviaire évoque bien peu la question climatique - absente du rapport Spinetta par exemple. À trop cloisonner la réflexion, nous n'arriverons à rien. Sur toutes ces questions, il faut raisonner globalement, et passer à la phase des propositions, dans la perspective de l'examen du prochain budget notamment.
Mme Angèle Pr éville . - Je veux revenir sur la grande cause de la pollution de l'air, à savoir les transports. À mon sens, on ne pourra pas s'exonérer d'une grande étude sur les trajets domicile-travail.
Par ailleurs, j'avais coutume de dire à mes élèves qu'il fallait aérer chez eux s'il y avait une odeur de neuf. En effet, énormément de composés organiques volatils très mauvais pour la santé sont présents dans l'air des maisons.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Ce rapport a aussi l'avantage de nous démontrer que nous sommes arrivés aux limites d'un système de développement. Sans faire de jeu de mots, ce système s'essouffle considérablement.
Je m'interroge également sur les multiples associations agréées qui oeuvrent au quotidien pour la surveillance, le contrôle, la mesure de la qualité de l'air. Il me semble qu'un certain nombre d'entre elles sont actuellement en grande difficulté. Est-ce que leurs financements sont pérennes ? Comment faire le relais entre les programmes de recherche ? Quelle est, au niveau national, la gouvernance globale du plan relatif à la qualité de l'air ?
M. Alain Fouché . - Pour réduire la pollution, il faut créer à l'entrée des villes des grands parkings afin de permettre aux gens de stocker leur voiture avant de prendre les transports en commun. Or il n'y a pas de crédits prévus pour cela.
M. Fré déric Marchand. - On voit bien que la question des transports est essentielle. Aujourd'hui, et nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler avec la maire de Paris cet après-midi, il y a un grand débat sur la gratuité des transports en commun. À l'aune des expériences menées actuellement en France, notamment à Dunkerque, où cela marche, ne serait-il pas intéressant que, dans cette enceinte dépassionnée qu'est le Sénat, nous puissions réfléchir à cette question ?
Mme Nelly Tocqueville , présidente du groupe de travail . - Je vous remercie de vos questions et de l'intérêt que vous portez à ce sujet, qui relève aussi de notre responsabilité en tant qu'élus. Nous n'avons pas attendu pour engager des réflexions depuis longtemps. Une des difficultés repose sur l'existence de ce millefeuille de structures très difficile à lire, en particulier pour des collectivités de taille réduite. L'installation d'une zone à circulation restreinte relève de la police du maire, mais il faut une bonne raison pour la réaliser. Par ailleurs, la lecture ne peut plus se faire à l'échelle de la commune, mais à l'échelle d'un territoire. On le voit bien à propos du Grand Paris. Mais vous avez raison, les élus locaux ont du mal à trouver leur chemin dans ce labyrinthe.
Il est aussi important de dire que la pollution de l'air est invisible. On ne la voit malheureusement que dans les statistiques sur l'augmentation des maladies respiratoires, des cancers du poumon ou des maladies causées par les produits agricoles nocifs. Or il est déjà trop tard. C'est pour cela que cette pollution est pernicieuse. Il faut bien alerter nos concitoyens sur ce point, ce que fait plutôt bien le monde associatif, et mettre l'accent sur la pédagogie à l'école.
Monsieur Vaspart, vous avez raison, le tout-électrique, c'est bien beau, mais l'électricité ne tombe pas du ciel ; il faut bien la produire. Ensuite, que fait-on des batteries des véhicules électriques ? Oui au développement de ce mode de transport, mais soyons conscients des problèmes qui en découlent.
Monsieur Bérit-Débat, je pense, comme vous, que les élus des territoires ont mené ce travail de réflexion, mais avec plus ou moins d'engagement. La sensibilisation est moins forte dans certaines régions que dans d'autres.
Vous avez évoqué les brûlages, mais il faut savoir que cette pratique très polluante est interdite partout. Pourtant, dans certaines régions, les pratiques culturelles font que cette interdiction n'est pas respectée. Il y a là une question de responsabilité, y compris pour les générations à venir.
Les bilans sont donc très variés et les engagements inégaux.
Monsieur Jacquin a abordé la question du fret ferroviaire. Le Sénat en a débattu la semaine dernière et force est de constater que notre pays connaît un retard considérable en la matière. À mon sens, nous devrions pousser plus loin la réflexion et faire un bilan dans deux ans. Nous devons absolument regarder ce qui se passe en Allemagne et en Suisse. Pourquoi ne voit-on pas plus de camions sur les trains en France ?
Mon collègue Cyril Pellevat, qui assistait à une audition avec moi, a soulevé le problème de la vallée de l'Arve. Il faut savoir que, dans certaines communes, à certaines périodes de l'année, les enfants ne peuvent pas sortir en cour de récréation à cause des taux de pollution trop élevés. Les élus réfractaires pour s'engager dans une voie vertueuse devraient se rendre sur place pour prendre conscience de la gravité du problème.
Toulouse est une région qui travaille avec rigueur sur ce sujet et prend des engagements. Il ne faut pas avoir peur des chiffres. Si l'on pas des références solides, on reste dans l'incantation. Cette démarche est la bonne.
Monsieur Chevrollier, les collectivités de l'ouest de la France n'apparaissent pas dans les feuilles de route, car elles ont des PPA, des plans climat-air-énergies territoriaux et des schémas régionaux assez aboutis, ce qui ne veut pas dire que tout va pour le mieux. La Normandie n'est pas concernée non plus par des dépassements...
M. Hervé Maurey , président. - Elle est exemplaire !
Mme Nelly Tocqueville , présidente du groupe de travail . - Comme toujours ! Cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes exonérés et que tout va bien. Mais, je le répète, dans toutes les régions de l'ouest, les documents ont été établis et les mesures sont connues, en particulier dans le secteur industriel. Cependant, il faut rester vigilant, sinon, nous pourrions être montrés du doigt lors du prochain bilan.
S'agissant des investissements publics, des moyens sont mis sur la surveillance de la qualité de l'air et la connaissance de ses effets sanitaires, à travers le financement des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air ou d'organismes de recherche comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Monsieur Revet, le tram-train, on en parle, on en rêve ! C'est l'une des pistes à explorer.
Plus largement, je déplore que chacun travaille sur son territoire, de son côté, sans s'inspirer forcément de ce que font les autres, même si les contraintes géographiques ne sont pas les mêmes partout.
Pour l'anecdote, le 20 mars dernier, lorsque tous les préfets se sont retrouvés autour du ministre, certains se sont étonnés d'être mis sur le même plan que tel ou tel autre, dont le territoire était réputé plus pollué. Cela renvoie à ma réflexion de tout à l'heure sur le caractère invisible de la pollution.
Monsieur Corbisez, madame Préville, vous avez parlé de la pollution de l'air intérieur, qui est aussi un problème fondamental. L'objet du groupe de travail se limitait à la pollution atmosphérique, mais vous avez raison de soulever ce point. Cette pollution est également invisible, et lorsque l'on vaporise un certain nombre de produits odorants ou censés nettoyer l'air, c'est encore pire. Il s'agit là encore d'une question de pédagogie. Une solution serait d'interdire à la vente l'ensemble de ces produits d'intérieur polluants.
Monsieur Houllegatte, vous vous interrogez sur les limites de notre système de développement. Dans l'absolu, peut-être, mais réfléchissons plutôt aux moyens de maîtriser ce développement en ayant le courage de prendre des mesures fortes. On ne peut pas tout arrêter, sauf à engager une réflexion philosophique radicale sur notre modèle de société.
Effectivement, les associations sont très nombreuses et efficaces. Je n'ai pu auditionner que Les Amis de la terre, mais l'ensemble du milieu associatif travaille très bien avec l'ensemble des collectivités territoriales lorsqu'il y a une vraie volonté de concertation. C'est à la fois un levier d'action et une courroie de transmission avec nos concitoyens.
Les feuilles de route ont le mérite d'exister, malgré les limites que j'ai mentionnées. Je veux aussi rappeler que le Gouvernement a lui-même produit une liste de mesures prises au plan national, qui a été transmise à la Commission européenne. Pour l'anecdote, sachez que la limitation à 80 kilomètres/heure sur un certain nombre d'axes routiers figure dans ses préconisations...
Monsieur Fouché, vous avez raison, la multiplication des parkings relais à l'entrée des villes est une évidence. Des agglomérations s'y sont déjà fortement engagées, tandis que d'autres, dont Marseille et, plus largement, les grandes villes de la région PACA, sont très en retard.
Monsieur Marchand, vous avez abordé la gratuité des transports collectifs. C'est une question qui revient régulièrement à l'ordre du jour, notamment dans les débats au sein de la métropole Rouen-Normandie. J'ai été très surprise de lire dans Paris-Normandie , avant-hier, qu'un collectif d'usagers était opposé à la gratuité. Ils craignent en effet un assèchement des financements nécessaires à l'entretien et au développement des transports collectifs.
M. Hervé Maurey , président. - Je vous remercie de la qualité de ces échanges. Je crois pouvoir dire que nous avons toujours été relativement réservés sur le tout-électrique en matière de véhicules propres dans notre commission. Noter ancien collègue Louis Nègre avait beaucoup insisté lors des débats sur la loi de transition énergétique sur le fait que le véhicule électrique n'était pas le seul véhicule propre. Je crois que les faits nous donnent raison aujourd'hui.
Je tiens aussi à souligner le rôle très important des collectivités locales. Il y a cependant encore beaucoup de travail pour sensibiliser les élus. Nous aurons l'occasion d'en reparler cet après-midi avec Mme la maire de Paris.
Enfin, j'insiste sur la question de la pollution intérieure. Il faudra que nous regardions comment travailler sur ce sujet, qui est encore trop peu médiatisé.