C. DES DÉPASSEMENTS DES VALEURS LIMITES DE POLLUANTS QUI PERSISTENT ET FONT CRAINDRE UN CONTENTIEUX EUROPÉEN

1. Malgré la baisse continue de la pollution atmosphérique...

Les actions entreprises ces dernières années pour réduire la pollution de l'air ont permis une baisse effective et continue des émissions et des concentrations de polluants .

Dans son bilan de la qualité de l'air en France en 2016 32 ( * ) , le Commissariat général au développement durable (CGDD) note que les émissions primaires de polluants ont baissé sur la période 2000-2016 , avec des disparités selon les polluants et leurs origines :

- les émissions de dioxyde de soufre (SO 2 ), qui proviennent majoritairement de l'industrie, ont baissé de 78 % sur cette période, du fait du développement des énergies renouvelables, des économiques d'énergie, et de la mise en conformité des installations avec la règlementation environnementale ;

- les émissions d'oxydes d'azotes (NO X ) , incluant le monoxyde d'azote (NO) et le dioxyde d'azote (NO 2 ), qui proviennent majoritairement des processus de combustion, ont baissé de 49 % du fait des progrès réalisés dans le transport routier (renouvellement des véhicules, pot catalytique) qui ont contrebalancé l'intensification du trafic et l'accroissement du parc automobile ;

- les émissions de particules fines PM 10 et PM 2,5 ont respectivement diminué de 41 et 48 %.

En revanche, les teneurs moyennes estivales en ozone (O 3 ), n'ont pas évolué de manière significative.

Les principaux secteurs émetteurs de pollution atmosphérique varient selon les polluants considérés. Ainsi, d'après le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), en 2015 :

- les émissions de dioxyde de soufre (SO 2 ) provenaient à 80 % de l'industrie manufacturière et énergétique, et à 17 % du secteur résidentiel et tertiaire ;

- les émissions d'oxydes d'azote (NO 2 ) provenaient à 62 % des transports, à 18 % de l'industrie manufacturière et énergétique, à 11 % du secteur résidentiel et tertiaire, et à 9 % de l'agriculture ;

- les émissions de particules PM 10 provenaient à 31 % du secteur résidentiel et tertiaire, à 27 % de l'industrie manufacturière et énergétique, à 27 % de l'agriculture et à 15 % des transports ;

- les émissions de particules PM 2,5 provenaient à 48 % du secteur résidentiel et tertiaire, à 22 % de l'industrie manufacturière et énergétique, à 19 % des transports et à 11 % de l'agriculture.

Émissions atmosphériques de SO 2 , NO x , PM 10 et PM 2,5 par secteur en France métropolitaine en 2015

SO 2 NO x

PM 10 PM 2,5

Transformation énergie

Industrie manufacturière

Résidentiel/tertiaire

Agriculture/sylviculture

Transport routier

Autres transports

Source : Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA)

Les concentrations de polluants atmosphériques ont également diminué sur la période 2000-2016, mais dans des proportions plus faibles que pour les émissions.

Si les concentrations de SO 2 ont fortement baissé, celles de NO 2 et en particules fines ont également baissé mais de manière plus modérée, et avec des variations interannuelles qui, selon le CGDD, « s'expliquent en partie par les conditions météorologiques » 33 ( * ) . Les concentrations les plus importantes sont relevées à proximité du trafic routier s'agissant du dioxyde de soufre et des particules fines 34 ( * ) , et en milieu rural s'agissant de l'ozone.

Évolution des concentrations en SO 2 , NO 2 , O3 et PM10 sur la période 2000-2016

(en indice base 100 des concentrations en 2000)

Source : Geod'Air, juillet 2017

2. ... des dépassements des normes de qualité de l'air sont toujours observés dans de nombreuses agglomérations...

Malgré les baisses constatées des émissions et des concentrations de polluants, de nombreuses agglomérations restent marquées par des dépassements des normes de qualité de l'air .

En 2016, ces dépassements concernaient principalement trois polluants : l'ozone, le dioxyde d'azote et les PM 10 35 ( * ) , pour respectivement 26, 16 et 3 agglomérations, principalement situées dans la moitié est de la France métropolitaine, en Ile-de-France et en Martinique.

Par ailleurs, la France ne respecte pas son plafond d'émissions fixé pour les oxydes d'azote par la directive « NEC », puisque les émissions étaient, en 2016, supérieures de 3,1 % à celles prévues.

Agglomérations concernées par un dépassement des valeurs limites de polluants atmosphériques en 2016

Source : CGDD, Bilan de la qualité de l'air en France en 2016

Il convient à nouveau de rappeler que ces dépassements ne concernent que les valeurs limites européennes transposées en droit national. L'absence de dépassement ne signifie donc pas que les populations ne sont pas exposées à des polluants atmosphériques dangereux pour leur santé .

Si l'on tient compte des valeurs recommandées par l'OMS qui permettent de réduire fortement les risques sanitaires, 92 % de la population française est exposée à des concentrations de particules fines PM 2,5 excessives , alors même qu'aucune agglomération ne dépasse les valeurs limites fixées pour ce polluant.

3. ... ce qui a conduit la Commission européenne à engager une procédure précontentieuse contre la France ...

Deux procédures précontentieuses ont été lancées par la Commission européenne contre la France pour non-respect des valeurs limites relatives aux particules fines PM 10 et au dioxyde d'azote.

S'agissant des PM 10 , la Commission a adressé à la France une mise en demeure en 2009, puis deux avis motivés en octobre 2011 et avril 2015 pour dépassement des valeurs limites dans 10 zones 36 ( * ) , et pour non-respect de l'obligation d'établir des plans de lutte contre la pollution de l'air permettant de réduire cette pollution.

S'agissant du NO 2 , après une mise en demeure adressée à la France en juin 2015, la Commission européenne lui a fait parvenir un avis motivé en date du 15 février 2017, pour des dépassements concernant 13 zones 37 ( * ) .

Depuis l'engagement de ces procédures précontentieuses, la situation s'est améliorée s'agissant des PM 10 puisque, comme indiqué ci-dessus, les dépassements ne concernent plus que trois agglomérations.

Ces procédures précontentieuses pourraient conduire la Commission européenne à saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) , si elle estime que les mesures prises par la France pour réduire la pollution atmosphérique sont insuffisantes.

Les procédures précontentieuses et contentieuses
pour manquement aux obligations européennes

L'article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que « si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne ».

Cet article distingue donc une première étape, précontentieuse, d'une seconde étape, qui se tient devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

La phase précontentieuse se compose de :

- la mise en demeure : les États membres sont invités à présenter leurs observations dans un délai fixé par la Commission européenne ;

- l' avis motivé , transmis aux États membres lorsque leurs réponses ne parviennent pas à la Commission dans le délai imparti ou si celle-ci les juge insuffisantes. Dans ce cas, elle expose les manquements et les actions correctrices à apporter et fixe un nouveau délai.

À l'issue de cette phase précontentieuse, si l'État membre ne s'est pas conformé au droit européen, la Commission européenne peut saisir la CJUE conformément à l'article 260 du TFUE (procédure de recours en manquement 38 ( * ) ). Celle-ci peut condamner l'État et l'enjoindre à se conformer à ses obligations.

Si, malgré une première condamnation par la CJUE, l'État ne se conforme toujours pas à ses obligations, il peut par alors faire l'objet d'une nouvelle condamnation assortie cette fois-ci de sanctions pécuniaires (procédure de « manquement sur manquement 39 ( * ) »).

La France n'est pas le seul État de l'Union européenne à faire l'objet d'une procédure précontentieuse pour non-respect des normes de qualité de l'air. Huit autres États membres 40 ( * ) font l'objet de telles procédures, tandis que deux pays européens ont déjà été condamnés par la CJUE pour non-respect des valeurs limites relatives au PM 10 : la Bulgarie en avril 2017, et la Pologne en février 2018.

Afin de s'assurer que des mesures efficaces soient prises pour réduire la pollution de l'air, le commissaire européen à l'environnement , Karmenu VELLA, a convoqué les neuf États-membres concernés à un sommet sur la qualité de l'air le 30 janvier 2018 . À cette occasion, il a indiqué que, faute de mesures suffisantes, « la Commission n'aura d'autre choix que d'engager une procédure judiciaire en saisissant la Cour de justice d'un recours ». La Commission européenne devrait prendre une décision à ce sujet d'ici la fin du mois d'avril 2018.

4. ... et le Conseil d'État à enjoindre le Gouvernement à agir pour réduire la pollution de l'air

Dans un arrêt Association Les Amis de la Terre du 12 juillet 2017, le Conseil d'État a jugé que les dispositions de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 relatives au respect des valeurs limites de polluants atmosphériques imposent à l'État une obligation de résultat .

L'arrêt précise en effet qu'en cas de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants dans l'air, l'État ne peut se contenter de prévoir un plan de nature à réduire les polluants , mais doit s'assurer que les mesures prévues par ce plan permettent effectivement de revenir en-deçà des seuils limites prévus.

Dans ces conditions, le Conseil d'État a enjoint le Premier ministre et le ministre chargé de l'environnement à prendre « toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en oeuvre, pour chacune des zones énumérées 41 ( * ) (...) un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM 10 sous les valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018 ».

Ces zones correspondent à des zones administratives de surveillance de la qualité de l'air ambiant , au sein desquelles les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA) sont chargées de surveiller la qualité de l'air 42 ( * ) .


* 32 Commissariat général au développement durable, « Bilan de la qualité de l'air en France en 2016 », octobre 2017.

* 33 Commissariat général au développement durable, « Bilan de la qualité de l'air en France en 2016 », octobre 2017.

* 34 À proximité du trafic routier, les concentrations moyennes annuelles sont 2 fois plus élevées pour le NO 2 par rapport au fond urbain et 1,2 fois pour les PM 10 et les PM 2,5 .

* 35 Deux autres polluants font l'objet de dépassements : le benzopyrène dans deux zones et le nickel dans une zone.

* 36 Douai-Béthune-Valenciennes, Grenoble, Lyon, Marseille, la Martinique, Nice, Paris, Toulon, la zone urbaine régionale Provence-Alpes-Côte d'Azur et la zone urbaine régionale de Rhône-Alpes.

* 37 Paris, Lyon, Grenoble, Vallée de l'Arve, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Marseille, Toulon, Nice, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Reims.

* 38 «  Si la Cour reconnaît qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet État est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour » (article 260 du TFUE).

* 39 « Si la Commission estime que l'État membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, elle peut saisir la Cour, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations » (article 260 du TFUE).

* 40 L'Allemagne, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Slovaquie.

* 41 ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Toulon Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, ZUR Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées pour le dioxyde d'azote ; ZUR Rhônes-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique pour les particules fines PM 10 .

* 42 Ces zones sont définies par l'arrêté du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l'air ambiant.

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