C. LA DYNAMIQUE DU CRÉDIT IMMOBILIER NE SEMBLE PAS EXERCER D'EFFET D'ÉVICTION SUR LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES
Au-delà de ses effets sur la productivité, un autre motif souvent invoqué pour freiner l'expansion de l'immobilier tiendrait à son possible effet d'éviction sur le financement des entreprises .
Ainsi que le relève l'économiste Patrick Artus dans une récente publication de Natixis, « on s'inquiète régulièrement de ce que les marchés obligatoires et les banques financeraient plus facilement l'immobilier que les investissements productifs, au détriment de la croissance potentielle » 49 ( * ) .
Selon cette thèse du « mal-investissement » 50 ( * ) , l'effet d'éviction induit par la dynamique des prix de l'immobilier serait double . D'une part, les banques présentes sur des territoires où le marché de l'immobilier est particulièrement dynamique tendraient à accorder davantage de prêts à l'habitat aux ménages, tout en réduisant en parallèle les prêts aux entreprises 51 ( * ) . D'autre part, au sein des entreprises, la part des investissements en construction augmenterait au détriment des investissements dits « productifs » en machines-outils, robots et droits de propriété intellectuelle.
Là encore, les données disponibles tendent, jusqu'à présent, à infirmer cette thèse dans le cas français.
Au niveau macroéconomique, il peut être observé que si l'endettement des ménages - composé à 90 % de crédits à l'habitat - a connu une croissance soutenue depuis le milieu des années 1990, tel est aussi le cas de l'endettement des entreprises, dont la part dans le PIB a augmenté de plus de 20 points.
Endettement des ménages et des entreprises non financières
(valeur nominale, en % du PIB)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de la Banque de France)
L'analyse comparée des bilans bancaires à l'échelle internationale suggère par ailleurs que la part des crédits à l'habitat dans le financement bancaire ne présente pas de caractère atypique en France , en dépit de l'inflation immobilière observée depuis la fin des années 1990.
Évolution de la part des crédits à l'habitat dans le financement bancaire
(en %)
Source : commission des finances du Sénat (d'après : Jordà-Schularick-Taylor Macrohistory Database )
Au niveau microéconomique, des estimations sur données individuelles menées dans différents pays suggèrent même qu'une hausse du prix du foncier favoriserait l'investissement des entreprises , en permettant à ces dernières d'augmenter la valeur des biens immobiliers qu'elles apportent sous forme de garantie auprès de leurs établissements bancaires. En France, une étude menée sur la période 1987-1998 suggère par exemple qu'un euro de collatéral supplémentaire conduirait à une hausse de l'investissement des entreprises de 0,24 euro en moyenne 52 ( * ) .
S'agissant enfin de l'équilibre entre l'investissement en construction et les autres catégories d'investissements, les analyses plus détaillées par type d'actifs menées en 2015 par les services de l'Insee tendent là encore à confirmer l'absence d'effet d'éviction . Si la dynamique des prix de l'immobilier aurait exercé en France un impact « significatif et positif » sur l'investissement en bâtiments des entreprises au cours de la période 1999-2007, « l'inflation immobilière n'aurait pas eu d'effet net sur l'investissement [dit] productif » 53 ( * ) .
En conclusion, sur le plan de l'efficacité économique, il ne semble donc à ce jour exister aucun motif valable justifiant de vouloir pénaliser ou freiner l'investissement immobilier en France.
* 49 Natixis, « Que finance la dette ? », Flash Économie, 13 juin 2017, p. 1.
* 50 Pour une discussion récente, voir par exemple : François Villeroy de Galhau, « Le financement de l'investissement des entreprises », rapport au Premier ministre, septembre 2015.
* 51 Chakraborty, Indraneel, Itay Goldstein et Andrew MacKinlay, « Do Asset Price Bubbles Have Negative Real Effects? », University of Pennsylvania, 2013.
* 52 David Thesmar, David Sraer et Thomas Chaney, « Collateral Value and Corporate Investment - Evidence from the French Real Estate Market », Direction des études et synthèses économiques, Insee, 2007.
* 53 Yaëlle Hauseux, Bertrand Marc, David Audenaert et Charles-Marie Chevalier, « Le prix du foncier n'aurait pas d'effet direct sur l'investissement en actifs productifs », Note de conjoncture, Insee, juin 2015.